L’avantage de mon double-métier, c’est que des informations dans l’un peuvent être utiles dans l’autre. On n’est pas au niveau du délit d’initié, mais disons que j’peux communiquer des trucs d’un côté ou de l’autre. Y’a des quêtes d’aventuriers qu’ont capoté ou, au contraire, vachement bien réussi quand j’ai donné des rivaux criminels ou, à l’inverse, quand j’ai sacrifié des aventuriers pour une belle bourse de cristaux.
Ça fait partie du boulot, de trouver, de créer les bonnes occasions.
Et, parfois, faut que j’aille faire le turbin moi-même. Quand j’ai le temps de tout préparer, ça va comme sur des roulettes. Mais là, j’ai été pris un peu au dépourvu. Pince-mi et Pince-moi sont partis avec une demi-journée d’avance, pour aller traquer un crapaureau dans les marais, enfoncés dans la grande forêt. La faune et la flore, c’est pas trop trop mon truc, à part l’humanité et la ville, sans se mentir, alors j’me retrouve à mettre les bouchées doubles et à couper mon gain potentiel pour m’occuper d’eux.
J’sais pas ce qu’ils ont foutu pour se foutre un parrain à dos, mais c’est pas tellement mon problème.
Moi, j’me contente de les retrouver, de m’arranger pour qu’ils sortent jamais de cette forêt et qu’on retrouve pas les cadavres avant plusieurs mois, le temps que le tout se tasse et qu’on soit incapable de dire s’ils se sont fait bouffer par un truc plus gros et plus méchant qu’eux, ou s’ils ont pris un coup de surin dans le dos. Et ça sera plus probablement la seconde option.
Du coup, comme j’ai du retard, j’suis obligé d’utiliser un joker. En plus, j’le sentais pas trop, tout seul dans la forêt à les pister alors que ce sont des chasseurs, et moi pas tant. Donc faut pas hésiter à connaître ses faiblesses et demander l’aide d’une professionnelle aux contraintes morales pas trop présentes. J’l’ai contactée par message et on se retrouve à l’orée des bois, là où les deux aventuriers, un homme et une femme, sont entrés.
Notre objectif, c’est un marais qui s’étend dans un méandre du grand fleuve, un coin bien pourri où ça pue et où y’a de la bouillasse jusqu’au cou, par endroits. Bref, un endroit où vaut mieux pas trop traîner. Et ma copine du jour, c’est Saryna. Elle a une vie difficile. Parfois, j’me plains de mon pouvoir, puis j’vois la gueule des gens qu’ont subi une transformation partielle ou totale merdique, et j’relativise. Mais elle vit à l’écart du peuple, pépouze dans ses bois, et elle rend service, quand la motivation –comprendre la récompense- est suffisamment forte.
D’ailleurs, elle est déjà là quand j’me pointe.
« Salut, Saryna, c’est Vrenn. C’moi qu’ai envoyé la demande. Ellauh et Misha sont déjà partis devant. T’as pu chopper la piste ? »
C’est qu’il faudrait idéalement les buter dans le marais et tout bazarder là-bas. Après, que ce soit avant, après, ou pendant la chasse au crapaureau, ça m’en touche une sans faire bouger l’autre. Si on les bute après, on pourra récupérer les matériaux qu’ils auront dépecés, cela dit. Profit supplémentaire, hé ? On crache pas dans la soupe.
Vous savez quand on se cherche du boulot pour combler le manque de cristaux, on ne fait la fine bouche et on prend ce qui nous passe sous le nez. Ce genre de boulot, on ne le trouve pas en gueulant dans les rues ni sur les p’tits tableaux d’affichage de la capitale. Non ça prend de la discrétion et des contacts. Des gens capables de te mettre en lien avec les bonnes personnes pour les bons boulots. Il semblerait qu’une de ses personnes avait besoin de moi. J’ai dû rester dans les parages de la ville histoire que nos lettres puissent être échangées. Difficile quand on n’a pas de domicile fixe et qu’on a de présence que de nom.
Je m’assure de comprendre sa demande histoire de ne pas arriver là-bas les mains vides. Après tout, si notre but est de faire disparaître de la civilisation deux chanceux, fallait trouver un plan. De ce que j’ai compris, ils avaient prévu de partir en chasse au crapaureau ce qui était en soit un exploit s’ils réussissaient, mais cela voulait aussi dire qu’il faudrait s’enfoncer loin dans la forêt et il y avait tant de choses à exploiter. Enfin, je devais aussi attendre son point de vue, car difficile de tout se dire en lettre quand on ne sait pas dans quelles mains elle peut tomber.
Je me dirige, équipée de tout mon matériel nécessaire, vers notre point de rendez-vous afin d’y faire un peu de repérage. Si nos chasseurs ont pris de l’avance sur nous alors il me faut au plus vite retrouver leurs traces. J’essaie de ne pas trop contaminer le lieu de ma propre présence. Il ne me faudrait pas remonter la mauvaise piste lors de notre départ. Là vous vous dîtes, mais Saryna t’es une araignée, t’as qu’à laisser un fil derrière toi. C’est une bonne idée en effet, mais pas quand on ne sait pas ce qui nous attend. Je me suis gavée en bidoche avant de venir, mais je ne devais quand même pas utiliser mon fil pour ce genre de situation. Bref, ce que mes yeux cherchent c’est n’importe quelle trace de pas qui ne serait pas animale, des branches cassées derrière leur passage ou bien même de fins cheveux trouvés sur les branchettes des arbres. Après tout, qui ne s’était jamais pris la tête dans une branche? Comme je ne suis pas un chien, mon odorat ne me serre absolument à rien. Enfin cela me prend environ une trentaine de minutes et je finis par trouver quelques choses qui pourraient convenir. Deux traces de pas de taille différente; une masculine et l’autre féminine. Enfin, je retourne à notre point de rendez-vous en marquant légèrement l’écorce de quelques arbres pour me retrouver.
Bref, je n’attends pas vraiment longtemps que mon compagnon du moment arrive en me saluant tout bonnement. Il sait que c’est moi, bien que je cache en partie ma présence sous un épais capuchon. Rares sont ceux à m’avoir vu, car je travaillais toujours seule, mais il avait besoin de mes compétences plus qu’autre chose alors soit, il me fallait parfois faire des compromis. Je le salue d’un mouvement de la main, simple, rapide, pas le temps de niaiser.
« Ouais, j’suis arrivée d’avance pour faire cela, vaut mieux partir maintenant si on ne veut pas les perdre définitivement. Ça va se compliquer là où on doit se rendre. »
Je n’attends pas réellement de réponse de sa part et je pars devant en poussant une branche de mon bras tout en la lâchant suite à mon passage. Pas le temps de traîner derrière! Je nous mène bien vite à notre destination et je lui pointe la direction logique qu’il faudrait suivre.
« Voilà, c’est par là, on va continuer un peu en ligne droite histoire de voir où nous mènent les pas. J’vais continuer de chercher la moindre trace de changement de direction. »
Et puis j’suis quand même curieuse…
« Ils ont fait quoi pour avoir droit à notre visite? »
Je souriais sous ma capuche bien qu’il était difficile de le voir pour le moment. Enfin, je savais qu'il avait sûrement pas le droit de me le dire, mais quand même. Ce qui était ici, devait rester ici non?
L’avantage de bosser avec des professionnels, c’est qu’on perd pas de temps dans des chichis interminables. Saryna, c’est un peu ça. Elle est moche, transformation oblige, mais elle a développé des compétences et une moralité tout à fait intéressantes. Finalement, tout ça, c’est des histoires de pouvoirs, comme pour moi. J’pourrais faire chercheur, tiens, écrire des parchemins poussiéreux que personne lira sur le sujet.
Ou juste continuer ce beau métier qui est le mien.
On avance rapidement jusqu’au marais. On sait qu’ils vont là, et la trace ne fait que le confirmer. Faut dire, j’vois pas où d’autre ils auraient trouvé un crapeaurau… P’tet qu’il y a une quête dangereuse sur le sujet. Leurs talents sont adaptés à cette chasse, faut dire. Et moins à survivre à deux facilitateurs de la nature. A leur place, si ça m’arrivait, j’aurais les boules, pour être honnête : un peu comme si quelqu’un m’avait buté en traitre après avoir survécu au wardän de la cité enfouie, ou à la Dingue Rose.
« Ce qu’ils ont fait ? J’croyais que la règle, c’était des cristaux et pas de question ? »
J’la taquine, évidemment.
« Rien de bien fameux. Pendant une mission, ils sont tombés purement par hasard sur un petit trafic de drogues douces. Donc ils ont jeté un œil, et ont balancé le tout à la Garde. Le type qu’était en haut de la pyramide a pas trop le sens de l’humour, si tu vois ce que je veux dire. Donc il veut que ce soit bien clair qu’il faut pas lui chier dans les bottes. L’histoire bête. »
Pour le coup, pour eux, c’est clairement l’histoire bête, ouais. Ils font leur devoir de citoyen, et ils vont le payer au prix fort. Mais c’est des choses qu’arrivent, et c’pas moi qui décide ce genre de choses. J’fais jamais qu’exécuter ce qu’on me demande poliment de faire. J’suis juste un facilitateur. Et si c’est pas moi qui m’y colle, ce sera quelqu’un d’autre. Globalement, ils sont condamnés, donc autant que j’prenne l’oseille.
Et c’pareil pour Saryna.
« Enfin, c’est le boulot, on fait et on discute pas, hé ? C’est pour ça qu’on est si bien payé. »
Puis on pénètre dans le marais proprement dit. La terre laisse place à de la boue, des ornières pleines de flotte stagnante et un peu croupie. L’odeur devient plus tourbée, et on a toujours autant d’oiseaux, mais surtout vachement davantage d’insectes. Moustiques, moucherons, autre saloperies… J’essaie même pas de protéger ma peau, j’sais que c’est peine perdue. Faut juste encaisser, et j’verrai pour prendre une potion en rentrant, si c’est trop inconfortable.
Saryna arrive encore à suivre la piste, mais j’ai aucune idée de comment elle fait. Chacun son turbin, hein.
« D’ailleurs, à un moment, faudra p’tet plutôt chercher le crapeaurau, vu que c’est là qu’ils vont, non ? Genre si on arrive pas à suivre leur piste à eux. Enfin, c’est ton boulot, cela dit… »
Reste que les marais, c’est super chiant. J’ai déjà les bottes qui s’enfoncent alors qu’on vient à peine de commencer. Si on doit crapahuter des heures comme ça, j’sens que j’vais vite être gonflé.
Et c’est d’ailleurs ce qui se passe. Le marais basique dans lequel on s’trouve s’approfondit progressivement, les arbres deviennent faméliques, minces, décharnés. L’absence de vent fait que l’odeur d’eau croupie et de souffre devient prenante, surtout quand des bulles explosent à proximité dans un bruit dégueulasse, et libèrent une odeur un peu gerbante, entêtante. Il fait sombre sous la canopée, cela dit, et on n’entend même pas le bruit de la grande rivière qui doit pourtant être proche, pour qu’on soit près d’un bras mort. J’écarte une brassée de joncs, et j’m’essuie le visage, un peu en sueur avec l’effort physique et la torpeur des lieux.
« C’est pas des sons, qu’on entend plus loin ? Que j’souffle. »
« En même temps, quand t’es une mauvaise balance, c’est normal qu’un accident arrive si vite. »
Nos pas nous amène verre le marais et cela comment à ce sentir et se voir. La flore change et les odeurs nauséabondes prennent place. Ce n’est pas la première fois que je m’aventure ici, mais si j’ai pas de raisons valables je préfère éviter. Les créatures sont souvent trop dangereuses pour moi seule et mis à part les insectes, y’a pas vraiment de quoi se mettre sous la dent. À vrai dire, je préfère récolter certaine plante pour les revendre, mais bon on s’en fou en vrai alors autant éviter se passage. La voix de Vrenn me fait sursauter. J’l’avais presque oublié celui-là tellement j’étais concentré à ne pas perdre notre piste. Ce qu’il me dit n’était pas totalement faux, mais en même temps ça ne me servait à rien de trouver un crapaureau si ce n’était pas le bon qu’on cherchait.
« Ouais, j’voulais juste m’assurer qu’on se trouve, dans le bon coin pour éviter de chercher le mauvais tu comprends. Si on est à l’opposé d’eux, ça ne va pas vraiment nous aider. »
Quand je le regarde, je vois un nuage d’insecte qui lui tourne autour comme des vautours autour d’une charogne. Bon mauvais exemple, il n’est pas encore mort et n’a rien d’une charogne, mais ça m’amuse de le voir se faire dévorer la peau à petit feu. Alors que moi, je ne sais pas trop pourquoi, mais c’est comme s’ils s’avaient que j’étais l’un de leurs prédateurs, mais en beaucoup plus gros. Il s’approchait peu de moi…
La lourdeur des lieux se fait de plus en plus présente et comme mon compagnon j’en ai déjà marre d’être ici. J’ai l’impression que l’air se raréfie et qu’on ne respire que des vapeurs toxiques. Enfin, ça reste vivable, mais on va devoir se dépêcher. Je note la présence de traces de patte de batracien et de défécation de la grosseur de la bête ce qui me fait dire qu’on est sur le bon chemin. D’ailleurs, ça ne m’étonnerait pas de croiser des œufs éventuellement, mais pour le moment ce n’est pas trop le cas. Vrenn s’arrête tasse quelques quenouilles de son bras et je l’entends me souffler un truc. Je me suis arrêté juste à côté de lui j’écoute. En effet, on dirait des bruits de combats, le sifflement d’une flèche, un cri, le craquement sourd d’un arbre qui semble s’être pris un coup. En effet, on devait être aux bons endroits et aux meilleurs moments. Soit la bête était blessée ou presque morte soit les aventuriers téméraires étaient dans la mouise. Je regarde devant nous et je remarque qu’on se trouve près de quelques planthoraciques…
« Fais gaffe! Ces plantes-là, ça colle et sa brûle la peau! » Je me dégage du bourbier. « Bon, comment veux-tu qu'on s'y prenne? On leur fait une petite surprise? On profite de leur combat pour les emmerder et faire passer leur mort sur le dos du crapaureau? J’ai de quoi les paralyser, mais j’ai une quantité limitée de chance… On pourrait attendre que la bestiole les achève, mais ça voudrait dire qu’on prend des chances de se retrouver le crapaureau au cul. Sinon, on les aide et on les prend en traitre? »
Il fallait trouver un plan avant d’agir, car la discorde était ce qui avait de pire lors d’une attaque-surprise comme nous devions faire. Si j’avais été seule, je me serais planqué dans un arbre avec le meilleur angle de vue pour tirer une flèche sur l’un d’eux. Le seul hic, c’est que nous étions deux et que je devais attendre son point de vue, malheureusement.
C’est effectivement le son d’un combat qu’on entend. Et, franchement, à part nos deux loustics, j’vois pas bien qui pourrait venir se paumer ici. Enfin, j’veux dire, ça serait vraiment pas de bol, en plein milieu du territoire du crapeaurau. Après, on a déjà vu des hasards plus surprenants. Au pire, on cannera des gens qu’auront rien demandé, ça arrive, c’est les risques du métier. D’un mouvement, j’m’éloigne des plantes désignées par Saryna avec un geste de la tête en guise de remerciement.
Reste à déterminer la stratégie pour se débarrasser des deux cibles. J’avoue que mon cœur balance. Mais finalement, faut bien se donner un peu de défi, pas vrai ? Sinon on s’amuse pas, et la vie, c’est pas que se lever puis aller regarder des dossiers à la Guilde. Faut savoir se trouver des petits plaisirs du quotidien, des difficultés, pour se maintenir au top, aussi bien physiquement que psychologiquement. Sinon, c’est la déprime. Puis on devient brouillon, et on meurt bêtement là où on n’a pas le droit.
Pas qu’on ait le droit de mourir, évidemment. Surtout moi.
« Ce que j’te propose, c’est de se faire un petit à-côté. Personne crache jamais sur un bonus, hein ? On s’arrange pour que le crapeaurau y passe également, que ce soit uniquement par le duo de cibles, ou grâce à notre aide, puis on s’occupe d’eux. Y’aura qu’à écouler ensuite les éléments de crapeaurau au marché noir. J’connais quelques apothicaires et alchimistes qui cracheraient pas sur un œil ou un peu d’huile, peu importe sa provenance. »
J’sens qu’elle est d’accord : elle est là pour la thune.
« Donc ouais, on les aide, puis on les prend en traître quand ils sont encore blessés et fatigués. Ils ont pas des pouvoirs anodins, mais au bout d’un combat, on devrait pas avoir de mal à se les farcir. Y’aurait moyen de les paralyser sur la fin ? Pour les achever tranquillement et bazarder les corps dans la bouillasse. »
Une fois que le plan sommaire est établi, on reprend notre chemin vers le monstre et les deux aventuriers qui l’affrontent. Et ça n’a pas loupé, grâce à Saryna, on a bien trouvé ce qu’on cherchait : un crapeau géant, dégueulasse, et laid, en plein combat contre un binôme, un couple, même. Le gars lève un mur de terre boueuse pour se protéger d’un crachat empoisonné, tandis que sa compagne court sur le côté.
« On arrive vous aider, que j’gueule en pataugeant. »
Ils me jettent à peine un coup d’œil.
« On garde la récompense par contre !
- Vous inquiétez pas, on est payé par une autre mission.
- Vendu ! »
Et c’est réglé comme ça. Faut dire qu’ils sont un peu occupés : le gars a une vilaine brûlure d’acide au niveau du torse, qu’a rongé ses protections et dévoile de la peau déjà noircie. Un genre de nécrose ? Nan, ça irait pas aussi vite, ça doit juste être la brûlure. Il survivra bien, même si visiblement sa mobilité est touchée. Comme il manie la terre, cela dit, avec son pouvoir, il devrait servir de point d’attention. J’échange un regard entendu avec ma forestière, puis j’m’approche à mi-distance du monstre.
Hors de question que j’aille me le farcir au corps à corps. Certes, j’ai une invisibilité et une petite téléportation, mais c’est pas mon boulot. Moi, j’suis juste là pour profiter comme un vautour de ce qui se passe autour.
La nana arme sa petite arbalète, et tire avec une précision assez impressionnante, à moins que ce soit à l’aide de la magie. Le carreau se plante dans la grosse langue de la tête, qui pousse un beuglement bestial, en postillonnant partout. Sa gorge se gonfle, et la langue se détend brusquement pour frapper la jeune femme. J’laisse faire en toute sérénité, et j’lance un couteau de lancer sur l’œil exorbité qui me regarde.
La lame se plante, au grand désespoir du monstre, qui doit sérieusement envisager de se barrer. Puis j’vois qu’une de ses pattes est prise dans un piège posé par les deux aventuriers. Ceci explique donc cela. Ils sont fichus de s’en sortir, si on n’est pas là pour leur faire un croche-patte au moment fatidique. Ça explique aussi qu’ils aient pris cette mission, cela dit.
Derrière, l’homme et Saryna sont relativement proches, et attaquent le crapeaurau comme ils peuvent. J’suppose que la balle est dans le camp de ma camarade.
Enfin, on se rapproche alors de nos deux amis qui se battent déjà tant bien que mal. Je regarde la situation d’un œil minutieux. Il me faut trouver un plan et vite, car plus j’attends, plus je perds mes chances. Vrenn échange avec eux et je ne m’en mêle pas. Pour ma part je m’approche du combat, l’arc à la main. Je tire deux flèches l’une après l’autre visant des endroits spécifiques. Le derrière de sa patte avant, là où la peau est plus tendre. Et la seconde rebondit légèrement sur sa peau plus épaisse. Tssss, saleté de bestiole! Je les hais!
Je m’approche alors du couple, mais surtout de l’homme. Son pouvoir semble intéressant et son mur de boue m’a donné une idée qui pourrait être intéressante à étudier. D’ailleurs, pour mettre en œuvre ma pensée il me faut quelques choses de solides. Et alors que je patauge et que je me démène pour arriver près de ce dernier, je vois justement un bout d’écorce assez grand et épais pour ce que j’avais en tête.
Je range mon arc et attrape le morceau avant de ne courir vers l’homme en question. Sa compagne se fait frapper par la langue du batracien, mais en vrai je m’en tape comme l’an quarante. Notre champion veut aller l’aider, mais moi je le remets à l’ordre.
« Ho! Pas le temps! Tu restes ici et tu utilises ton pouvoir sous moi quand je te dis go! »
Il ne comprend pas, mais j’insiste avec les yeux et faut dire que ça le saisit un peu, parce qu’il ne s’attend pas du tout à rencontrer deux globes oculaires rouges comme les miens.
« T’as une fraction seconde pour agir! » Je recule légèrement et prends un élan et lorsque je me retrouve à ses côtés je lui lâche un « GO! » Je saute vers l’avant en plaçant le bout de bois comme s’il s’agissait d’une planche de surf et il utilise la boue comme un pilier afin de me propulser dans les airs. Bon, petite explication rapide, la boue c’est plus liquide que solide, alors ça me prenait quelque chose d’assez grand pour ne pas être simplement aspergé, enfin, voilà pour l’explication.
Me voilà maintenant dans les airs et lorsque je retombe, ce n’est pas vers le sol, mais bien vers le crapaureau et surtout en direction de sa tête. Oui, je suis un peu suicidaire, mais on est efficace où on ne l’est pas. Lui foncer dessus tête baissée était complètement débile et mes flèches avaient des chances de ne pas percer sa peau. J’atterris sur lui et je manque déjà de me casser la gueule par terre, parce qu’il se met aussitôt à essayer de me désarçonner. Je m’accroche du mieux que je peux en enfonçant mes griffes dans son dos et je reste coucher sur ce dernier. Il se calme assez vite, après tout, l’une de ses pattes est toujours prise dans un piège. Alors je fais ce qui se doit d’être fait. Je m’assieds sur la bestiole. J’empoigne fermement mes deux dagues d’une trentaine de centimètres qui se trouvaient sur mes cuisses et je lui enfonce à la base du crâne à la jonction de l’occipital. Je tourne mes lames et les bouges de droite à gauche histoire de bien faire des dégâts, puis lorsque j’entends un « crounch » je sens la bête qui semble tituber et râler sous moi. Je retire mes lames en y mettant un peu du mien, puis lorsqu’elles sortent je m’éclabousse un peu de son sang sur l’armure. Je hausse les épaules avant de ne fuir le dos de la créature. J’atterris en éclaboussant tout autour de moi, mais voilà, il ne devait pas lui en rester pour bien longtemps.
« J’vous laisse l’achever! » Dis-je en levant un bras vers les airs. Pour ma part, je devais passer à la suite de notre plan et préparer la phase deux. Je m’éloignai légèrement du combat afin de prendre deux fioles dans ma petite besace. Je fais un signe à Vrenn et je lui en lance une. Ce sont les deux seules en ma possession, bien que je puisse mordre directement, mais je préférais éviter de mettre ma bouche n’importe où. D’un simple regard, je lui fais comprendre que c’est ce qui pourra nous être utile pour la suite.
Hé bah, j’ai eu raison de recruter Saryna. C’est la première fois qu’on bosse ensemble, mais c’est une vraie professionnelle de la chasse. Elle aurait pu travailler dans un cirque, aussi, ou nuitamment sur les toits, ça aurait pas dépareillé, avec une agilité pareille. En tout cas, personnellement, j’aurais pas tenté ce qui s’appelle communément dans notre jargon une « legolasserie », en référence à un archer casse-cou de la Guilde des Aventuriers.
Mais elle s’en est très bien sorti, et a considérablement affaibli le crapaureau. Si avec ça, on n’a pas toute la confiance du couple, franchement, je sais pas quoi faire… Enfin, si, je sais, quoi qu’il arrive.
J’attrape au vol la fiole qu’elle m’envoie, et qui doit être remplie de poison paralysant. Ce sera bien utile pour les prendre en traître, justement. J’en mets une partie sur mon poignard, des fois que j’parvienne pas à toucher une partie vitale et achever mon adversaire d’un seul coup, et l’autre sur l’aiguille qui dépasse à peine de mon gantelet d’assassinat. Il n’y a que quelques gouttes, mais j’espère que ça suffira pour que le matériel de la Cité Enfouie porte ses fruits.
Saryna a raison de prendre une petite pause, en tout cas. Elle a largement fait sa part du turbin et prépare déjà la suite.
J’fais des gestes pour faire semblant d’essayer d’attirer l’attention du monstre. Evidemment, l’objectif, c’est qu’il continue à tabasser nos deux loulous jusqu’à ce que leur triple mort s’ensuive. Mais j’dois avoir un côté irritant, j’suppose, parce qu’il se tourne autant qu’il le peut vers moi.
« Bien joué ! Gueule la nana. »
Salope.
La langue se détend brusquement vers moi, et j’me tords sur le côté pour l’éviter, en bondissant et en poussant un glapissement assez peu seyant. Puis j’me casse la gueule dans la bouillasse, jusqu’à être recouvert. J’me redresse à quatre pattes, et j’m’éloigne par réflexe de quelques mètres pour éviter de me faire taper à nouveau par l’appendice. J’suis couvert de bouillasse des pieds à la tête, et j’dégage une odeur peu enviable, pour être tout à fait franc. Mais c’pas grave, j’donne l’illusion d’être utile.
Ou je le suis réellement, au choix.
Les deux aventuriers échangent un regard, et une vollée de carreaux d’arbalète volent vers le monstre. En plein vol, ils sont améliorés, en quelque sorte, par de la roche qui s’agrège dessus et en fait de véritables piquets de terre qui s’enfoncent dans le cuir épais du crapaureau. La bête, déjà blessée à plusieurs reprise, balaye autour d’elle avec sa langue, tente encore de cuir, puis s’effondre pesamment et s’enfonce de quelques pieds dans la fange.
J’crois qu’on a gagné ?
« Il est mort ? Que j’demande.
- Il me semble bien, fait l’homme en reprenant son souffle après sa débauche de magie.
- Oui, je ne sens pas de pouls, ajoute la femme.
- Cool. »
On reprend tous nos souffles, on vérifie qu’on n’est pas blessé à des endroits qu’on n’aurait pas sentis. Ça arrive, parfois, dans le feu de l’action, de penser qu’on s’en est tous sorti indemne, et là un type tombe par terre et clamse, alors même que quelques secondes d’anticipation auraient pu le sauver, une potion à la main.
Bon, évidemment, si ça pouvait arriver à nos cibles, ça serait parfait, mais ça n’est pas le cas.
Le type avec la brûlure d’acide se rapproche du cadavre, le pousse du bout de la botte.
« Une belle saloperie, mais on l’a eue. »
Puis il se tourne vers moi, bien en face, pendant que sa compagne le rejoint. Saryna est un peu plus loin, mais dans leur angle mort.
« Alors comme ça, vous êtes des aventuriers venus nous aider ?
- Ouais, on avait une mission comme ça. »
J’lui montre ma plaque d’Examinateur de la Guilde, à même de lui montrer qu’on n’est pas des pillards opportunistes. Il la regarde, hoche la tête, m’adresse un sourire éclatant.
« Merci pour votre aide, alors. Je pense que votre mission est accomplie. Vous pouvez rentrer.
- On doit s’assurer que vous revenez bien à la Capitale, malheureusement, que j’grimace. Par contre, hors de question que j’touche le monstre, vous vous démerdez avec ça. Votre mission, votre caca. »
Quand il tourne la tête vers la fille pour lui glisser un mot, j’fais un geste vif du poignet pour envoyer une aiguille maintenant empoisonnée droit dans sa gorge. Puis c’est le début de la foire. Faut l’achever, puis s’occuper de la nana, pas forcément dans cet ordre.
Allez, Saryna, à toi.
Le combat s’arrête sur le crapaud qui s’enfonce dans la flotte boueuse, et je laisse mon ami discuter avec eux. Je me fais toute petite, bien que je m’approche silencieusement du couple par-derrière sans savoir ce qui les attendait. C’était de bons combattants, c’était dommage pour eux, mais la vie était faite ainsi.
Je ne les écoute pas, je me contente d’observer mes proies attendant le bon moment. Puis j’vois Vrenn qui finit par agir. L’homme semble toucher et recule d’un pas vers l’arrière surpris par cette attaque alors que la femme réalise finalement la situation dans laquelle ils se trouvent. C’est à moi de jouer. Je bondis vers la femme mettant ainsi derrière moi la distance qui nous séparait et avant qu’elle n’ait le temps de tirer son petit couteau pour s’en prendre à Vrenn, je passe mes bras devant elle en tenant fermement une corde faite de ma toile que je lui mets aussitôt au cou. Instinctivement la mademoiselle se débat pour retrouver son souffle en déblatérant des insultes à nos égards. Je lui mets un coup derrière les genoux la faisant tomber dans la boue et j’abandonne mon fil qui flotte légèrement, pour lui prendre une poignée de cheveux afin de tirer sa tête vers l’arrière. Je prends finalement ma fiole et je lui fou carrément le contenu dans la bouche que je ferme aussitôt pour éviter qu’elle recrache après avoir mis la fiole entre mes lèvres évitant ainsi de la perdre. J’attends quelques secondes et je vois que ça commence déjà à faire effet, car elle tombe sur le côté son corps parsemé de spasme. J’ai frappé vite, mais pas assez pour que l’autre homme ne soit pas capable d’agir. Bien, sûr encore une fois, son réflexe n’est pas de se sauver lui-même, mais bien de sauver sa compagne. J’ai pas le temps de bouger que je me prends un jet précis qui m’envoie valdinguer plus loin. Je roule un moment avant de m’arrêter alors que je suis recouverte de la tête au pied de cette infâme substance… J’essaie de me relever, mais je sens que mon côté droit me fait un mal de chien. Je fais la grimace et me soulève malgré tout. Heureusement que je portais mon armure de cuir. Ça avait quand même encaissé une bonne partie du choc, mais je sens que l’ecchymose ne sera pas petite.
Enfin, le venin qui parcourait ses veines à plus petite dose finit par avoir raison de ce dernier qui tomba au sol en se tenant le cou. Mon venin n’était pas mortel, mais bien handicapant s’il n’était pas traité rapidement. Pas de bol pour eux, je n’avais pas l’antidote avec moi, oups. Je m’approche alors de mon collègue en me tenant les côtes du côté droit bien que cela ne servait absolument à rien, car ça n’atténuait pas la douleur. Enfin, je retire ma capuche qui me collait à la peau et je le regarde tout en pointant du menton les deux autres.
« Je te laisse le plaisir de finir en beauté... »
Je donne un coup de pied au passage au corps du mec pour passer ma frustration et je sens la résonnance du coup jusque dans mes côtes et j’échappe malgré tout un grognement de douleur. « Arghh, bordel! Je suis con ou quoi?! » Comment ai-je fait pour oublier ce détail? Enfin, moi j’étais payée pour le guider jusqu’ici et l’aider à planquer les corps. Ce n’était pas noté que je devais les achever.
Pfiou. Le gros du turbin est fait. Maintenant, il reste plus grand-chose à finir, à part justement les deux loustics. Du coup, reste à savoir comment on procède. Si on pouvait réussir à l’arranger pour que les corps ne soient jamais retrouvés, ça permettrait de prendre leurs richesses, et de nettoyer le cadavre du crapaureau. Mais est-ce que ce serait pas faire preuve d’un certain appât du gain ? Le défi de maquiller correctement toutes les preuves me motive, en tout cas.
« Bon, on reste sur l’idée qu’on leur prend tout et qu’on s’arrange pour que les cadavres remontent jamais à la surface ? »
Le couple est paralysé, mais ils suivent le moindre de nos mouvements des yeux. Quand ils entendent ça, ça s’voit qu’ils essaient de parler, de lutter contre le poison paralysant, mais sans succès. J’ai aucune idée de combien de temps ça peut durer, par contre, alors autant ne pas laisser traîner les choses outre-mesure.
« Lequel en premier ? Que j’leur demande. »
J’attends pas spécialement de réponse, et j’leur fais leur affaire rapidement et sans la moindre difficulté, un couteau chacun dans l’œil pour aller jusqu’au cerveau pour abréger leurs souffrances. Puis j’retire le fil de soie d’araignée.
« J’te conseille de récupérer les liens et les bazarder ailleurs. Pasque les tissenuits viennent rarement par ici, et que ça pourrait pointer vers toi, si jamais. »
J’avise le cadavre du gros monstre.
« J’te laisse dépecer ce truc, ça n’a jamais été trop mon truc, j’risquerais de saloper les matériaux. »
Moi, faut que j’vois quoi faire de mes deux macchabées. J’suis pas équipé pour les couper en petits morceaux pour les jeter au fond du bras mort de la rivière, mais j’pourrais les traîner là-bas et les lester avec des cailloux, par exemple. Ça me semble d’ailleurs être une assez bonne solution. J’leur crève l’estomac pour éviter que les gaz fassent remonter les cadavres à la surface et, pendant que Saryna s’occupe de récupérer les yeux, l’huile, le foie ou je sais pas quoi du crapaud géant, j’les traîne au bord de l’eau.
Puis j’ramasse des pierres.
« T’as encore le fil de soie ? J’en ai besoin pour attaquer les cailloux. »
Au final, c’est une bonne chose de faite, quand les deux tombent droit vers le fond du bras mort de la rivière, et vont se déposer dans la fange du fond. Les poissons et autres saloperies qui zonent dans le coin auront largement de quoi se régaler plusieurs mois, et avec un peu de bol, personne réussira à les retrouver avant que cette affaire sorte des mémoires, si tant est qu’on les retrouve un jour.
Saryna a fini ses affaires aussi, et m’file les morceaux de choix qui me reviennent.
« Bon, ben bon boulot, hein. »
J’verse le reste des cristaux promis, maintenant que le travail est terminé.
« Par contre, on est dégueulasse, j’peux pas rentrer en ville comme ça. Tu connais un endroit où on pourrait se rincer ? T’en as pas mal besoin aussi, de ce que j’vois. »
Ouais, revenir plein de boue le jour de la disparition des deux contre un crapaureau, les gens se souviennent pas de moi mais ça aurait quand même l’air sacrément suspect, on va pas se mentir. Et j’veux justement éviter d’attirer l’attention.
« Je t’inviterais bien pour se jeter un godet, mais y’a pas trop de taverne, dans le coin. »
Somme toute, j’suis pas pressé de rentrer, mais plutôt de sortir de ce marais de ces morts.
« Sinon, si tu pouvais juste me ramener vers la sortie de la forêt, j’me démerderai ensuite. »
« C’est ça qu’on avait dit non? »
Enfin, pour la suite, je le regarde achever nos pauvres victimes du moment alors qu’ils laissent tout deux échapper de drôles de gargouillement suite au coup de couteau qu’ils venaient de se prendre en pleine tête. Même moi j’avais plus de respect pour achever un animal que lui. Bref, fallait pas que je me le mette à dos et ce que j’avais vu aujourd’hui restera éternellement caché dans le font de mes souvenirs. Enfin, il me temps mon fil de soie que je reprends bien vite en le glissant sous mon armure et je me dirige alors vers le cadavre du monstre. C’est moche et ça schlingue en même temps… J’ai rien pour me pincer le nez, mais c’est pas grave. On va se faire un petit paquet avec tout ça.
Je sors donc mon couteau à dépecer de son étui et je mets alors à la tâche. Je récupère ce qui me semble le plus important en faisant gaffe de ne pas percer une poche de poison histoire de ne pas finir brûler et empoisonné par le bestiau mort. Ça serait vachement con de ma part d’ailleurs. Bref, la tâche me semble plus fastidieuse parce que je dois vous avouer que mon côté droit ne m’aide pas du tout. Chaque fois que je lève le bras me fait grimacer, mais bon, je devrais être habituée avec le temps. Je lui jette quand même un coup d’œil et je le vois trimbaler les cadavres puis ramasser des cailloux.
« Ouais je l’ai encore. T’en a besoin de plus? »
Je lui donne à l’un de ses passages alors qu’il finit le boulot de son côté. Pour ma part j’ai presque fini. Me reste qu’à lui enlever ses deux yeux bien dégueulasses. Je plante mon couteau sur le côté et je fais un effet levier. L’œil se détache dans sa cavité en faisant un bruit de succion dégueulasse et il sort en dehors pendant au bout du nerf. Je fais la même chose du deuxième et je coupe leur lien me gardant une partie pour pouvoir les tenir. Je finis par retrouver Vrenn après avoir retrouvé l’une de mes fioles que j’avais perdues suite à ma chute.
« Ouais, je m’attendais à plus difficile, mais bon, c’est ça l’efficacité. »
Je tente un petit sourire maintenant que tout est terminé. En lui donnant sa part de la grenouille. Il conclut le contrat en me remettant ma part des cristaux que je fourre aussitôt dans ma besace puis je regarde l’état dans laquelle on se retrouve tous les deux. C’est vrai qu’entre sa tronche pleine de boue et la mienne recouverte de muqueuse de crapaud en plus ça ne donnait vraiment pas confiance.
« Si mes souvenirs sont bons, y doit y avoir une petite cascade non loin du marais. Y’a moyen de s’y nettoyer en effet. »
Je me mets aussitôt en marche bien que ma vitesse soit ralentie par le tout. Enfin, on était plus trop pressé par le temps. C’était mission accomplie et lui pourrait annoncer à son employeur que ça avait été réglé. Moi je retrouverai ma vie normale par la suite.
« T’inquiète pas trop pour la taverne, c’est pas trop mon truc de toute façon. Et puis, tu aurais pu attendre de me payer à la toute fin non? Je pourrais te laisser en plan maintenant et te laisser te démerder seul pour retrouver la sortie. »
Je lui jette un bref regard amusé par la situation et après un certain temps de marche qui me parut être une éternité, nous arrivâmes finalement près d’un cours d’eau propre. Nous étions sortis du marais et il nous restait qu’à trouver la cascade dont j’avais parlé en suivant la cour d’eau en contre sens.
Finalement arrivée au petit bassin surplombé de la petite chute que j’avais parlé, je dépose mes biens au sol et je me laisse tomber par terre sur le bord de l’eau. J’enlève mes bottes et ma cape dévoilant ainsi complètement ma tête et mes oreilles. Je retire mon armure dans une grimace et je lève ma chemise afin d’apercevoir les dégâts. Une grosse plaque violacée commençait à couvrir mon flanc déjà grisâtre. Je continue de retirer mes vêtements ne gardant que le minimum et je me laisse glisser à l’eau jusqu’à être complètement submergé. Je me frotte rapidement histoire d’enlever la crasse qui avait commencé à sécher puis je sors que la tête pour reprendre mon souffle plaquant mes cheveux vers l’arrière. Je ferme les yeux profitant de la froideur de l’eau qui semblait atténuer la douleur de mes côtes. J’appréhendais déjà le moment de devoir sortir, nettoyer mon armure et me revêtir…
« Je pense pas qu’on devrait tarder, j’imagine que la forêt et la nature c’pas ton truc. Tu dois avoir envie de retrouver tes affaires. »
Une fois toutes les tracasseries faites, j’suis surpris que Saryna accepte mon offre. C’est que c’est pas trop son style, de ce que j’ai compris, mais j’suppose que la solitude dans la forêt, même quand on a l’habitude, ça devient vite pesant. Et oui, j’paye avant qu’elle me ramène, mais ça faisait pas partie du contrat, et j’respecte les contrats… Et puis j’ai beau dire que j’serais incapable de retrouver la Capitale, j’exagère un tout petit peu. En suivant la rivière, déjà, ça serait jouable, après tout. Mais ça impliquerait probablement de se coltiner à nouveau ce vieux marais de merde, et les piqûres commencent déjà à me démanger.
J’irai me faire filer un cataplasme ou quoi par un toubib.
Saryna nous dégote une p’tite cascade, et commence à se dessaper sans pudeur. Bon, au moins, mon invitation presque totalement innocente a une réponse assez claire à mes yeux. J’fais de même. J’ai des affaires de rechange dans mon sac sans fond, alors j’foutrai tout à laver en rentrant à la Capitale. J’laisse toutes mes fripes sales ou abîmées en tas sur la berge, et j’me glisse en calbut’ dans la flotte.
Elle est gelée, putain.
J’manque de remonter pour rentrer chez moi après avoir trempé deux orteils, mais ça serait pas bien sérieux : je pue, j’suis sale, et puis, quitte à être venu jusqu’ici… Après tout, Saryna, si elle est une tête d’hybride araignée, indéniablement, le reste du corps est tout à fait normal. Et normal, côté flatteur. C’est la vie en nature, chasser, tout ça. J’suppose que y’a pas trop de quoi fabriquer de la graisse. Doit y avoir d’autres soucis, mais c’est pas mon souci pour l’instant.
Avant qu’elle sorte la tête de l’eau, j’plonge d’un coup. C’est mieux comme ça, pour s’habituer, sinon, ça prolonge juste la souffrance. Puis j’reste pas immobile, à frissonner, nan, j’me frotte avec énergie un peu partout pour virer cette bouillasse infâme et fangeuse qui s’est glissée partout.
Quand j’sors la tronche, j’entends sa question.
« Oh, y’a pas l’feu au lac, j’peux passer quelques temps ici, ou dans la forêt. Si j’rentre trop tôt, ça pourrait presqu’être suspect, après tout. »
J’la jauge du regard, y compris sous l’eau un peu trouble. Un combat, ça fouette les sangs, quand même, même avec un plongeon dans l’eau froide juste après. J’me passe une main dans les cheveux pour les recoiffer en arrière et j’essaie de virer la boue de ma barbe en foutant les doigts dedans et en grattant un peu. Ce faisant, j’marche à nouveau vers la berge.
« T’es pressée de retourner à ton campement, toi ? Toujours pas envie d’aller boire un verre ? J’dois avoir un peu d’alcool dans mon petit sac sans fond. »
Vrai que j’en ai toujours, et que j’ai aussi de l’alcool antique, celui de la Cité Enfouie. Il tape fort en bouche, dans l’estomac, et derrière la tête, mais il a pas été gâté par le passage des siècles, et il est encore bien bon. J’jette un œil vers elle, j’essaie de jauger sa réaction en remettant des vêtements propres. La morsure du froid me fait claquer des dents une seconde avant que j’contrôle mon corps, et j’me frictionne autant pour finir de sécher que pour me réchauffer.
« Du coup, t’en dis quoi ? »
« J’suis pas particulièrement pressée, c’pas comme si j’pouvais pas m’passer d’mon campement. Y’a rien qui m’attend là-bas, mais moi j’ai mon argent. C’tout ce qui compte. »
Je finis par le suivre non loin, parce que j’voulais pas non plus me claquer une crise d’hypothermie. Après tout, j’sais pas si c’est le fait d’être à moitié araignée, mais le froid je l’apprécie bien, mais en petite dose. Enfin, je jette un regard en sa direction alors qu’il semble avoir des vêtements rechange alors que moi, bah, je dois remettre les mêmes… Je me frotte frénétiquement les bras pour me réchauffer puis j’essors un peu mes cheveux histoire qu’ils arrêtent de me couler dans le dos, puis j’attrape mon pantalon que j’enfile avec un peu de difficulté. Après tout, c’était un truc moulant et quand ta la peau mouillée ça fait l’effet de colle. On peut m’entendre jurer légèrement de mon côté alors que je sautille sur une jambe pour enfiler l’autre. Bref, rien de bien gracieux. Pour ce qui est de la chemise, je la prends, je l’observe un instant et je déchire les manches enlevant ainsi les bout les plus souillés. Le reste avait été plus ou moins protégé par mon armure de cuir, puis je l’enfile.
Bon en même temps j’avais quand même pensé à son offre. Elle était tentante, très même, mais en même temps je devais rester réaliste. C’était un assassin qui m’avait engagée dans le but de le guider jusqu’au marais. Je l’avais aidé, on était quitte. Peut-être que dans d’autres circonstances j’aurais accepté, mais j’lui faisais pas confiance, voir pas du tout. Déjà de savoir qui j’suis était quelque chose de problématique à mes yeux. Alors, boire et risquer de me retrouver dans un moment de faiblesse à ses côtés, c’était de jouer avec le feu. Je m’assieds par terre et j’enfile mes bottes. Pendant que j’les lasse, je tourne ma tête vers ce dernier.
« J’veux pas te décevoir l’ami, mais on va en rester là. Peut-être que si on s’était rencontré sous d’autres circonstances, on aurait pu se prendre un verre, mais disons que j’évite ce genre de truc avec les gens qui m’engages si tu vois ce que je veux dire. »
Je me relève agilement et je prends mon armure que je vais légèrement nettoyer dans la flotte. Je l’enfile du mieux que je peux bien que la douleur soit toujours présente. Je remets ma cape puis je prends mon arc et mon carquois en main, m’assurant rapidement que mes dagues avaient bien été remises à leur fourreau. Je vérifie que ma bourse est bien présente à ma ceinture et je me retourne finalement vers Vrenn.
« Bon t’es près? Je te ramène à l’orée de la forêt. »
Bon, pas motivée. Tant pis, j’irai ailleurs. En plus, avec la paie qui va tomber, y’a moyen de se faire plaisir. P’tet même que j’prendrai un menu spécial avec hallucinations ou transformation, histoire de goûter ce que j’aurai pas eu là, pour voir, m’faire une idée. C’est que ça m’a rendu curieux. Et que j’ai pas grand-chose d’autre à foutre, sur le coup. Donc j’vais rentrer tranquillement, et m’atteler à fêter convenablement le succès de ce contrat un peu merdique.
Faut que j’vende les morceaux de crapaureau avant qu’ils pourrissent dans mon sac sans fond, aussi. Ça doit puer la mort, ces trucs.
On finit de se rhabiller, et j’prends quand même une gorgée d’alcool pour me ragaillardir. Déjà, ce sera l’apéro. Histoire de se mettre en jambe et se réchauffer un peu davantage que la marche le permettra. Puis elle tient sa promesse, et m’ramène en silence à l’orée de la forêt. Bon, j’étais si sûr que j’aurais réussi à retrouver mon chemin, mais probablement pas aussi rapidement, il faut bien l’admettre.
C’est quand même bien dommage : elle s’en serait de toute façon pas souvenu, que j’l’ai engagée ou pas… Mais j’pourrais attendre qu’elle m’oublie et la recroiser, hé, et là ça marcherait ? Enfin, ça impliquerait de revenir rôder dans ce marais moisi et puant, autant profiter des rues pavées de la Capitale, hein…
Et, du coup, on s’dit au revoir. Elle retourne dans ses bois, et moi dans mes bâtiments. Il faudra quelques jours pour se rendre compte de la disparition de pince-mi et pince-moi, et d’ici là, personne se rappellera de mon emploi du temps. C’est la fin de journée quand j’vois enfin les faubourgs de la ville, et j’m’arrête rapidement dans une taverne que j’connais bien sans que l’inverse soit vrai.
Le premier verre arrive, et il vire toute la poussière accumulée dans ma gorge. J’me sens déjà mieux. J’commande à bouffer, aussi, pour aller avec, pasque y’a pas de mal à se faire plaisir. Après tout, la soirée ne fait que commencer. J’irais bien faire un tour dans un tripot clandestin, tiens, ça fait longtemps. Puis ils auront p’tet du nouveau boulot, pour moi, sait-on jamais.
Pas de repos pour les braves, hé ?