*Le calvaire commence…*
Si Eivar ne progressait que très lentement au travers des ruelles du quartier commerçant, c’était certes en partie à cause de sa population de plus en plus dense, mais aussi à n’en pas douter car il redoutait le travail qui l’attendait une fois arrivé à son point de rendez-vous. Rares étaient les fois où le jeune homme avait été aussi peu enthousiaste, même après avoir cédé à une exigence de ses parents. Bien que les dîners de courtoisies, les bals et autres réunions pompeuses ne lui plaisaient guère, a aucun moment il ne s’y sentait complètement étranger : ces évènements, il avait grandit en les connaissant, il savait ce qu’il y avait à savoir pour y survivre. Ce à on l’avait convié aujourd’hui par contre, était quelque chose dont il n’avait jamais fait l’expérience, et à aucun moment l’idée de se retrouver dans une telle situation n’avait effleuré son esprit.
Il finit par arriver sur place, en avance comme souvent, et s’adossa simplement au mur d’une boutique, jetant des coups d’œils rapides autour de lui. Quelques images de ces même ruelles, tout aussi bondées quelques semaines plus tôt, lui vinrent à l’esprit, mais le souvenir de la charmante compagne qu’il avait alors guidé à travers la foule nuançait drastiquement avec son état d’esprit présent. Il n’eut pas le temps de songer très longtemps avant que ses yeux ne se déposent, non sans lui faire relever le sourcil, sur une longue robe à noire, parfaitement lisse, qui faisait tâche au milieu des habits aux couleurs plus nuancées, soit par le temps, soit par la poussière accumulée. Et en entendant la voix nasillarde de la femme qui revêtait le vêtement, il n’eut plus aucun doute quand au fait que sa cliente était arrivée… ou peut-être était-il plus correct de parler de « ses clients » en l’occurrence?
Suivant de près sa mère, une jeune demoiselle tentaient tant bien que mal de la prendre comme modèle, parvenant difficilement à garder le menton relevé et le dos droit. A ses côté, une petite sœur, d’une pureté et d’une innocente presque mignonne, tournait la tête à gauche et à droite sans arrêt, émerveillée par tout ce qui se trouvait autour d’elle, et qu’elle paraissait découvrir pour la toute première fois. Il fallut quelques secondes à Eivar pour remarquer la dernière petite tête, cachée derrière la robe de sa mère, le petit nobliau, timide comme pas deux baissa la tête dès qu’il sentit le regard de l’aventurier se poser sur lui. Ce dernier laissa s’échapper un soupir, entre l’appréhension et le soulagement, heureux d’au moins ne pas avoir à porter un bambin jusqu’à la fin de la journée.
-Le jeune des Olgierd, avec cette chevelure blonde platine, on ne risque pas de si tromper
Eivar ne sut trop comment interpréter cette réflexion, mais dans le doute et pour ne pas envenimer les relations de sa famille, il préféra répondre en souriant amicalement, et en s’inclinant légèrement
-Un héritage dont nous sommes très fiers pour sûr… Mais je vous en pris, Eivar sera suffisant Madame Laëon
-Oui, votre père en était fier, c’est peu dire… c’était un autre temps… Bien, voici Léonie, mon ainée, Naelys sa jeune sœur, et enfin le petit dernier… Brock, cesse donc de froisser ma robe et montre toi un peu!
Les trois enfants lui firent un signe respectueux de la tête, plus par peur d’une réprimande que par politesse d’après ce qu'il en comprenait. Le jeune homme leur rendit, ce qui fit sourciller les deux filles qui ne semblaient pas vraiment s’y attendre.
-Bien, je vais devoir vous laisser, je dois rejoindre mon époux au plus vite, nous ne voudrions pas manquer cet évènement, pour sûr… Vos collègues ne devraient pas tarder à vous rejoindre, nos enfants se connaissent déjà, et s’entendent à merveille, vous verrez, une fois ensemble les garder ne sera qu’une partie de plaisir !
Les yeux de la dame trahissaient une légère hésitation à ces derniers mots, comme doutant des capacités de l’aventurier… Ou alors peut-être mentait-elle tous simplement à propos des relations entre les enfants… Mais pourquoi, pour le rassurer ? Dans tous les cas, Eivar ne s’attendait pas à une partie de plaisir, et le résultat pourrait difficilement être pire que ce qu’il avait pu imaginer. Alors que leur mère venait de leurs donner ses dernières directives, les trois jeunes avaient tous rejoints le blondinet, et à peine eut-elle quitté leurs champ de vision qu'il sentit la petit main de Brock tirer légèrement sur son manteau blanc.
-M’sieur…
Un simple coup d’œil sur ses cuisses resserrée et sa main déposée sur son bas ventre lui suffit à comprendre que la marche à pied avait éveillé l’un de ses besoins les plus primaires.
-Bon... où est-ce-que je trouve des toilettes moi...
- C'est quoi ce taff, bordel..
Jin, adossé à un arbre, jette des cailloux au sol, l'ennuie dévorant son esprit. D'un gravier blanc comme une craie, elle trace une ligne blanche allant vers une batisse, un manoir exactement, délimité par de grands conifères de chaque côté. De là, on pouvait voir Le grand portail, impeccable, décoré d'ornements métallique torsadées qui prend la forme d'un blason. Jin pousse un juron, puis un soupir et se rapproche du portail. Il jette un dernier caillou plus fort pour marquer son manque de motivation mais...
... J'ai pas le choix. Si seulement il était question de pognon, mais non. La Guilde veut que j'me mette dessus, grr y'a pas la garde pour ce genre de merdier ?! Bon, ça à l'air sympa comme piaule mais c'est bizarre, y'a personne pour m'ouvrir. En tout cas j'peux pas tricher, sinon la guilde embarque mon insigne, et j'pourrai plus faire mon "vrai" métier. Allez Jin, des fois faut donner du sien.
- Y'a quelqu'un ? Eh oh !
Quelques secondes plus tard, un homme, ayant l'allure d'un majordome visiblement, marche à toute hâte vers le battant métallique, Jin tient deux barreaux comme un prisonnier. Le domestique, la cinquantaine, les cheveux blancs tirés en arrière, des gros sourcils apparents, peine à chercher à ce qui est vraisemblablement un trousseau de clé au vu bruit car en effet, la présence du Chasseur n'a pas l'air de rendre la tâche des plus confortable.
- M-monsieur Hidoru, je présume.
- Sans dec'.
- Je vais vous ouvrir, le fiacre est prêt. Vous monterez avec le cocher. Pardonnez du retard, Madame Montavau a pris du temps sur les préparatifs.
- Grr.
Jin entre dans la cours, dévoilant une fontaine de chaque côté, des statues de personne inconnus pour le Chasseur, des haies de lauriers roses dessinant des spirales formant un labyrinthe sans nom scindé en deux par la petite allée que nos deux protagonistes empruntent avant d'arriver à l'entrée. Jin plante les pieds devant la maison, impressionné par la bâtisse, tandis que le majordome ouvre la porte puis se décale subitement d'un geste vif, les mains derrière le dos. Des bruits de discussion se faisaient entendre, dont une particulièrement stridente, doublé par des voix d'enfants. Puis celle-ci se découvre enfin, une robe violette excentrique, couverte à la nuque par une fourrure animal, une coiffe plumée absolument absurde et un maquillage tellement prononcé qui lui déforme le visage. Jin écarquille les yeux et fait d'un pas en arrière.
Et bah, elles ne ressemblent pas toute à Haru.
- Vous êtes en retard ! Dit-elle le nez vers le haut.
Elle se fout de ma gueule.
- Pardonnez le, le voyage a était long de la capitale jusqu'à votre Domaine. Siffle t-il vers le jeune homme avec un regard complice, comme pour insister de le suivre.
- Euh ouais, c'est ça.
- Et bien alors?! Dépêchons, dépêchons ! Les filles !
En baissant les yeux, Jin aperçois de petites jumelles, parfaitement identiques et habillées de la même manière à savoir; un chemisier violet avec une jupette bleue nuit, et des ballerines pourpres. La coiffure ébène comme leurs mère, tout comme les bijoux qui décore les jouvencelles, sont aussi excentriques que leurs marâtre. Jin roule les yeux vers le haut, désespéré. Le groupe va ensuite vers la diligence et Jin n'attend pas très longtemps de monter au côté du cocher tandis que le majordome fait entrer l'Illustre famille. Ce dernier présente un pale visage, des cernes noires entouraient ses yeux et une barbe de quelque jours faisait naître des poils poivre et sel. Il hausse un sourcil vers son copilote.
- Bonjour, et bonne chance.
Jin tourne la tête vers la vitre transversale qui montre l'intérieur du fiacre, révélant la famille à l'intérieur.
- Putain, tu l'as dis.
- Hm. Ya !
Un coup de sangles, et le fiacre sorti de la Demeure Montavau. Jin comme le cocher gardèrent le silence pendant le trajet tandis que le véhicule filait à travers les paysages verdoyants du royaume pour déboucher vers la Capitale. Le fiacre mit du mal, beaucoup de mal pour accéder à la place commerçante. Tant bien que mal le cocher plante les freins devant un établissement. Jin manque presque de tomber avant de sursauter car en effet ce dernier... Vient de se réveiller. En frottant les yeux il se concentre vers la structure. Il affiche un sourire en coin, un œil dans le passé, se rappelant avoir déjà franchi la porte de cet établissement.
- Comment ça, "elle arrive"?
"Bonsoir, Haru du Lys, je crois que nous allons passer la soirée ensemble n’est-ce pas ?"*
Je ne serai pas client cette fois. Ha. Allez, au travail.
Jin sauta sans l'once d'une hésitation et se plante devant la portière de la diligence. Celle-ci s'ouvre, le majordome descendit en premier, puis pose un marche un pied avant que les trois autres passagères puissent descendre à leurs convenance. Jin, qui voit ça pour la première fois, affiche un sourire moqueur, mais sera vite remarqué.
- Un problème ?! Cracha t-elle.
- Nope. Répondit d'un ton sec.
- Hm. Mes chéries, restez auprès de ce monsieur, il va vous accompagner là où bon vous semble !
En chœur : Oui mèèère ! Puis chacune leur tour : Il mange des humains? Pourquoi il pue? Pourquoi il a des cheveux longs? Pourquoi ses habits sont sales?
- Suffit ! Je vous laisse, tachez d'être sage.
Les petites s'engouffrent dans les longs bras squelettiques de leurs mère pendant que cette dernière lance un regard d'avertissement à l'Aventurier. Jin hausse un sourcil, et fit un signe de tête, résigné. A présent partie avec le majordome dans le restaurant, les deux petites filles regardent d'un œil condescendant leurs nouvelle nounou.
- Tu as vu Mona...
- Oui, Fauna...
- Il travail pour nous...On peut faire ce qu'on veut...
Dans quelle mouise j'me suis foutu bordel.
- Je te vois venir, Estrella. Lui lança Solaire en riant. Tu as des montagnes de rubans à la maison, laisse les donc aux demoiselles qui en ont besoin !
- J’étais sûr qu’il ne voudrait pas… Fit une autre demoiselle d’une voix fluette, aux côtés d’Estrella.
- Et pourtant tu n’as rien dit, Filianore ! Protesta sa sœur en faisant la moue.
- Calmez-vous toutes les deux, de grâce ! Vous allez être complètement déconcentrées pour votre récital.
Les deux filles s’en retournèrent vers leur marche, dépassant l’échoppe de tissus chatoyant sous le regard déçu du vendeur. Ce dernier espérait sans doute pouvoir toucher un bon petit pactole en voyant ces nobles midinette arriver de nulle part devant ses pièces de soie. Estrella Von Drache avait treize ans, elle était magnifique. Une cascade brunes descendaient sur ses épaules et son dos et ondulait à chacun de ses mouvements toujours emplis de grâce. Toujours coquette, Estrella aimait se parer de rubans et de bijoux, elle adorait les activités mondaines et être le centre d’attention. Elle paradait, plus élégante que jamais dans sa robe bouffante de satin rose brodée d’or. Elle tenait une ombrelle en dentelle qu’elle s’amusait à faire tourner entre ses mains gantées.
À ses côtés, marchait Filianore, de deux ans sa cadette. Filianore était une demoiselle des plus étranges. Elle avait le teint pâle, les cheveux d’un rose mêlé d’argent et des yeux si pourpres qu’on aurait pu la penser venir d’un autre monde. Elle avançait à petits pas dans une robe noire surchargée de rubans blancs, au col boutonné recouvrant tout son cou. Filianore était aux antipodes de sa sœur. Elle était introvertie, constamment silencieuse, et il n’était pas rare qu’on finisse par oublier jusqu’à sa présence. Filianore collectionnait les insectes qu’elle s’amusait à dessiner, et à conserver dans des vivariums loin des dangers de la nature. Entre ses mains, elle tenait un étui à violon qu’elle serrait pour ne pas le faire tomber. Ce violon était à Estrella, virtuose des cordes. Le plus curieusement du monde, Filianore avait décidé de s’orienter vers le chant pour ses études musicales. Ses talents et sa motivation de cantatrice étonnaient encore sa famille, elle qui était d’ordinaire si discrète…
- Rappelle moi pourquoi nous devons accompagner tes sœurs jusqu’à l’opéra ? Se plaigna une voix languissante.
Cette voix appartenait à Lunar Le Fay, présentement aventurier de la Guilde. Le zoologue marchait tout doucement, accroché au bras d’un autre jeune homme. Élégamment vêtu d’une longue tunique noire à liserés d’or ainsi qu’une cape d’épaule aussi jaune qu’un tournesol, Solaire marchait la tête haute en gardant Lunar près de lui. Il irradiait d’une telle confiance, à en bomber presque le torse. Solaire était le fils aîné de la noble famille Von Drache, des magistrats éminents dans la capitale. Leur réputation n’était plus à refaire, et leur fortune colossale.
- Tu sais bien que mes parents sont au palais de justice, ils ont réquisitionné nos gardes. C’est à moi de jouer les nounous.
- Tout ce temps qu’on aurait pu passer juste tous les deux… Soupira Lunar en tournant le regard.
- Vois ça autrement mon cher, minauda malicieusement Solaire. Quand mes sœurs s’entraîneront pour leur récital , nous aurons tout un après-midi tous les deux. Et… je ne suis pas tenu de rester en leur compagnie une fois rentrées à la maison…
- Ça vaut bien un dîner aux chandelles, avec vue sur l’île royale et la Rivière Luisante.
- Un jour on dînera sur l’île royale, à domicile ! Lui susurra Solaire à l’oreille.
- C’est pour ça que je t’aime autant, tu sais me parler ! S’écria Lunar en éclatant de rire.
Les deux hommes continuaient de suivre Estrella et Filianore. La plus loquace des deux allait et venait d’échoppe en échoppe, s’extasiant devant chaque ornement qui lui plaisait sous le regard navré de sa sœur. Solaire était toujours obligé de la rappeler à l’ordre pour qu’elle se remette en route. Lunar aurait préféré passer ce temps avec son prince charmant, mais il décidait présentement de jouer le jeu. Estrella et Filianore connaissaient la nature de la relation qu’il entretenait avec leur grand frère, et Lunar préférait les avoir dans sa poche jusqu’à ce que Solaire l’introduise à ses parents. Devenir noble était une optique qui séduisait Lunar, ça signifiait beaucoup d’entrée et de nouvelles cordes à son arc. Un petit vacarme le ramena bien vite à la réalité…
- Fauna ! Hé Faune attends moi !
- Tu peux pas m’attraper Mona !
Deux gamines arrivèrent en trombe un peu plus loin, manquant de renverser un troubadour et son tambourin. Derrière elles trottinait un homme qui peinait à suivre ces deux garnements. Il n’était pas aussi bien habillées que ces filles. Lunar plissa les yeux. Cet homme… Sa tenue noire comme du charbon, son visage fin et ses yeux de faucon… Sa longue tignasse de jais aux reflets roussis, décoiffée et filasse. L’aventurier le reconnu en un éclair. Après tout, il avait suffisamment étudié cette Guilde qu’il détestait tant.
- C’est pas vrai… Pas lui !
- Tu le connais ? Fit Solaire, d’un ton concerné.
- Un autre raté de la Guilde. Jin Hidoru, le Châtieur Ardent...
Là, les deux sœurs attendaient. Le tempérament de la plus jeune, Naelys, très guillerette, semblait influer un peu sur Léonie, qui s’était détendue depuis le départ de sa mère, laissant ses yeux papillonner sur les passants.
-Vous ne sortez pas beaucoup, je me trompe ? J’étais exactement comme vous à votre âge !
Les deux jeunes filles se tournèrent soudainement vers le blondinet, surprises par son retour, puis après avoir échangé un regard entendu, la plus âgée lui répondit d’une voix fluette, mettant en doute ce qu’elles avaient cru comprendre jusqu’ici. Aucune des deux ne pouvait croire qu’un individu comme lui venait d’une famille noble comme la leur, et encore moins qu’il avait reçu la même éducation. Il ne put se retenir de pouffer de rire devant une telle franchise, et alors qu’ils se remettaient tous les 4 en marche vers la petite place d’où ils étaient venus, il essaya de leur expliquer brièvement pourquoi il ne portait pas une tenue aussi tape-à-l’œil que les leurs. Naelys l’écoutait dans un silence religieux : elle ne semblait pas vraiment sensible aux histoires de la noblesse, et à dire vrai, Eivar n’avait aucun mal à retrouver en elle l’enfant qu’il avait pu être jadis…
L’aventurier marchait lentement, essayant de ne pas trop tirer sur les jambes de Brock, qui enchaînait les petits pas pour suivre le rythme. De sa main, il tenait fermement l’un des plis du long manteau argenté que le jeune homme portait, de la même façon qu’il qu’avec la robe de sa mère un peu plus tôt.
-On va où ???
Cette question, bien que très simple au demeurant, suffit à Eivar pour prendre conscience du fait qu’il n’avait aucune idée d’un quelconque programme à leur proposer. La seule indication qu’il avait cru comprendre était qu’il n’était pas seul à garder un œil sur des enfants de bonne famille aujourd’hui… avec un peu de chance, en retournant sur la petite place, il finirait par tomber sur une nourrice un peu plus investie que lui. Alors qu’il s’apprêtait à trouver une excuse parfaite pour que le petit garçon continue de le suivre sans faire d’histoire, il fut interrompu par les voix aigues et perçantes de deux jeunes demoiselles qui leur passèrent juste à côté sans prendre la moindre précaution quant aux passants qu’elles bousculaient.
Tout le monde autour avait relevé la tête tant elles se faisaient remarqué, et les yeux d’Eivar ne mirent pas bien longtemps à se poser sur un jeune couple d’homme, dont les deux membres lui semblaient familiers, même s’il n’arrivait pas à savoir où il avait pu déjà les croiser… Tous deux échangeaient quelques mots, apparemment à propos du poursuivant des deux demoiselles, qui venait d’effleurer l’épaule du blondinet à l’instant, et qu’il n’eut aucun mal à reconnaitre, tant sa tenue et sa démarche le démarquaient, même au sein de la Guilde…
-C’est bien trop pour être une coïci…
-Fauna ?! Mona ?!
Léonie venait de s’écrier à haute voix, laissant de côté la moindre trace de retenue qu’elle s’était imposée jusqu’alors pour le faire paraître, ce qui provoqua chez les deux jumelles un léger sursaut, puis un arrêt soudain suivit d’un demi-tour tout aussi executif, leurs visages à toutes les deux offrant un grand sourire en découvrant leur bonne amie, et relevant un sourcil à la vue de son accompagnateur…
Voilà une heure, que les jumelles déambulent avec leurs nounou de feu. Durant tout ce temps, Jin n'a eu son mot à dire sur les déplacements. D'abord dans la contestation par soucis de bien faire son boulot, mais finalement ce dernier décide d'abandonner et de suivre le rythme, autant qu'il peut le faire en tout cas. Quand Jin la voit arriver, vibrante, il l’observe. Un peu inquiet. La foule, cette masse compacte et mouvante. Écrasante d’arrogance, confiante dans la force du nombre. Dizaines qui ne font plus qu’un, tous tendus dans la même direction, vers le même but. Redoutable armée à qui l’on doit céder le passage. Elle malmène les âmes esseulées qui nagent à contre-courant. Les repousse, leur bloque le passage, les force à s’arrêter et ça leurs semble normal. Les pauvres clients qui veulent s'arrêter aux étables sont ballottés de gauche à droite, acculés contre un mur, touchés à l’épaule… Ils esquivent dans une lutte de tous les instants, rendant leurs achats plus frustrants qu'autre chose.
C'est pour cela, en grande partie; que Jin fait un maximum pour dégager de lui un homme peu recommandable. Rendant les coups d'épaules plus forts, gardant le ton grave, il arrive facilement à se frayer un chemin dans toute la smala qui traverse comme un fleuve les allées de la Place Commerçante. Malgré la tranquillité qu'il peut avoir en se frayant son propre chemin, il n'en reste pas moins compliqué de garder la proximité avec ces deux enfants, qui systématiquement s'arrêtent quand elle le souhaite, acheter ce qu'elle souhaite, des bonbons, des accessoires inutiles, des pâtisseries. A présent devant une représentation de magie, par un prestidigitateur de rue, les jeunes filles ont l'air d'être assez curieuses pour savoir en quoi cela consistait. Jin en profite pour reprendre son calme et regarde la scène de fortune, les bras croisés. Tant qu'aux filles, elles s'impatientent déjà en le faisant savoir en tirant sur le manteau du Chasseur. Agacé il grogne et leurs accordant quand même son attention.
- Quoi, encore.
- Il est nul ! Pourquoi il fait pas de la magie?!
- Ouais, il est nul !
- ... Il n'a pas encore commencé.
Le prestidigitateur commence à lever son chapeau et lève sa baguette, pointé sur une table avec un Polom en position couché avec une caisse en bois posé sur son flanc.
- Mesdames et messieurs ...!
- Tais-toi monsieur aux mèches rouges., tu vois pas qu'il commence ?
- Ouais, c'est lui qui est nul en faite.
- J'y crois pas, ça fais une cinq minutes que vous n'arrêtez pas de...
Toute les deux en chœur : Tais-toi !
- J'm'appelle Jin, c'est pas difficile à retenir, merde !
- Chhhhhut !
Et ça va gouverner notre pays ces trucs? Par pitié, faîtes qu'on se revoit lorsque vous serez majeurs pour vous arracher la tête et les clouer à l'entrée de votre merdier qui sert de château.
Jin ravale sa colère et glaire par terre comme pour passer sa frustration ailleurs. Le spectacle commence. Le magicien parle de façon énigmatique, et fait de grands gestes pour attirer l’œil des spectateurs et présente l'intitulé de l'illusion. L'homme n'était pas très grand, la cinquantaine, les cheveux noirs tirés vers l'arrière avec de la cire, et un costume quatre pièces qui avait très mal vieilli. Il invite son Polom à se glisser sous la caisse, qui ce dernier répondra docilement. Un mouvement de baguette, un deuxième, et comme par magie le polom disparu. Acclamation général des personnes aux alentours qui ont assistés à la représentation. Tous, sauf...
- Booooouuuuh !
- C'était nul !
Le public commence à regarder avec un oeil assez mécontent dans la direction du châtieur et des enfants, dont même une femme assez ronde tenant un sac de légume prendra un ton grave et se fera remarquer.
- Vous pourriez tenir vos gosses correctement tout de même !
- Quoi? Mais c'est même pas mes...
- T'as vu Mona ?! Elle croit qu'il est Père !
- Ouais, alors qu'il sent pas bon !
- Hahaha !
- Hahaha !
Trop c'est trop, Jin grogne encore une fois et saisit les bras des deux enfants afin d'échapper aux prochaines foudres de personnes mécontentes du comportement non conventionnel des ces derniers. Agacées, elles vont échapper l'étreinte du chasseur et compliquer encore la situation. Encore.
- Touchée ! C'est toi le chat !
- Vient que je t'attrape !
- Attendez !
Merde, merde et merde !
Jin se met à courir à leurs poursuite. Évidemment pas aussi petit, ni aussi svelte, il se fera vite distancer par les demoiselles qui parviennent à se faufiler sans difficultés dans la foule. Mais alors que Jin commençait sérieusement à s'inquiéter de leurs disparition, la poursuite va s'arrêter lorsque les personnes en question se plantent devant un jeune garçon. Leurs âges vraisemblablement. Jin hausse un sourcil et s'approche du trio.
Bah tiens, ces pestes ont réussi à se faire des amis?
Balayant la zone d'un regard rapide, un visage familier va sortir du lot, accompagné d'autres enfants.
Pas très grand, blondinet...Hmm déjà vu à la guilde. On nous aurait affecté la même mission?
Jin s'approche de ce dernier, un regard scrutant son vis-à-vis.
- Une gueule familière. T'es de la Maison hein? Jin, on a du se croiser à la Guilde. Ravi de voir un..
Ma voix s'est coupée quand j'ai vu ce type, accompagné d'un jeune homme. Ils gardent aussi des enfants, et cet aventurier me dit quelque chose aussi. Un regard méprisant, l'air de pas vouloir se mélanger. Me fait penser curieusement aux bourges que j'escorte tiens. Ils arrivent, et fallait bien que je termine de me présenter.
Toujours le regard en direction du couple, Jin fronce les sourcils.
- ... Visage amical.
- Oh, minauda-t-il, regardez qui voilà.
- Des connaissances à toi, mon cher ? Fit Solaire en souriant.
- Des aventuriers de la Guilde. Répondit sèchement le grand blond en dévisageant Lunar.
- Qu’est-ce que tu veux, Le Fiel ? Dit Jin d’un air passablement agacé.
- C’est Jin Hidoru, glissa Lunar à Solaire sans même considérer la question de l’aventurier. Il se fait appeler le “Châtieur Ardent”.
- C’est… original comme surnom. S’exclama Solaire en riant aux éclats.
- Vous avez un problème ?
- La seule chose d’ardente chez lui c’est sa propension à courir les bordels.
- Pardon ?
- Tu ignorais ta réputation cher collègue ? Pourtant c’est ce que tout le monde dit à la Guilde. Que la seule chose plus enflammée que tes fournaises, c’est ta libido. Oh mais ce ne sont évidemment pas mes mots…
Un large sourire s’était dessiné sur le visage de Lunar face à son interlocuteur en furie. Ses provocations faisaient mouche et il adorait ça. Bien évidemment, tout ce qu’il leur racontait n’était que mensonges éhontés. Il avait tellement l’habitude de raconter n’importe quoi à tout le monde au sein de la Guilde que tout le venin qu’il crachait pouvait parfois passer pour des vérités. Tout le monde tournait en bourrique à cause de lui, et tout le monde finissait par le détester. Il leur rendait bien ceci dit. Et s’il était voué à s’ennuyer en ce jour en accompagnant les sœurs de son compagnon, il allait tuer l’ennui en tourmentant ces deux benêts. Il se tourna alors vers le grand blond mal rasé en arquant un sourcil.
- Et… Hm. Je n’ai aucun souvenir de toi. Soupira-t-il. Toutes mes excuses, entre l’insipidité de ta silhouette et l’ingratitude de ton physique, je n’ai absolument aucun souvenir.
- Tu te prends pour qui pour nous parler comme ça ?! S’emporta l’intéressé, attirant le regard de quelques passants aux alentours.
- Sainte Lucy, c’est pas vrai ! Eivar de Olgierd ! S’étonna Solaire, rendant le blondin aussi blafard que du lait. Je rêve, c’est bien toi.
Eivar ne répondit pas, fuyant le regard. Jin, sidéré par la désinvolture des deux persifleurs, se tourna néanmoins vers le grand blond en fronçant les sourcils, intrigué. Lunar avait l’air lui aussi songeur suite aux propos de Solaire…
- De Olgierd, ça sonne familier… J’ai déjà entendu ce nom.
- Des membres de la petite noblesse.
- Ooh, rien d’aussi reluisant et noble qu’un grand aristocrate comme toi, roucoula Lunar.
- Certes mon cher, il est vrai. Et ton collègue, expliqua Solaire en désignant Eivar du doigt, est l’héritier disparu de sa famille.
- Je vous déconseille de parler de ma famille, répondit Eivar en serrant les dents.
- C’est dommage. Tout un destin dans la haute société ruiné pour devenir un parvenu... Quand nous allons en toucher mot aux autres...
Eivar bouillonnait, cela se voyait. Lunar fit mine d’avoir l’air navré. Intérieurement, il jubilait face à ces deux aventuriers de cette Guilde qu’il détestait tant. Le bel éphèbe savait pertinemment que, quand bien même ils pouvaient hurler ou déverser des flots d’insultes à leur encontre, jamais ils ne pourraient lever la main sur eux. Il était aux bras de l’héritier d’une éminente famille noble, était en phase de se propulser socialement grâce à un futur mariage avec Solaire. Sans oublier une machination personnelle avec la Garde qu’il avait prévu d’acter sous peu, il pouvait bien se permettre de provoquer le tout venant… Perdu dans ses pensées, il remarquait cependant que Solaire s’activait à ses côtés.
- Quelque chose ne va pas ?
- Estrella ? Filianore ? Je ne les vois nulle part… Mes sœurs ? Commença-t-il à appeler.
Subitement concernés, Jin et Eivar jetèrent un coup d’œil par dessus leurs épaules pour vérifier si leurs escortes étaient toujours près d’eux. L’affolement les gagna à leur tour :
- Fauna ! Mona ?!
- Naelys ! Léonie !
Lunar soupira nonchalamment, n’ayant toujours pas bougé. Consterné, il leva les yeux au ciel et maudit ce jour où on lui avait imposé la garde de ces enfants… Son après-midi avec son dulciné était à présent gâché.
- Peste. Les gamines ont toutes disparu…
Eivar avait rarement été aussi satisfait qu’au moments où ils s’interrompirent, paniqués par l’absence des deux sœurs du noble, mais ce répit ne fût que de courte durée. A part le petit Brock, toujours fermement accroché au long manteau du blondinet, tous les gamins – les 6 gamines en l’occurrence - avaient profité de la tension pour filer en douce. Les quatre jeunes hommes échangèrent quelques regards furieux, incapable d’admettre que la faute était partagée. Jin fut le premier à se jeter dans une bataille sans queue ni tête, mais à laquelle les trois aventuriers comptaient bien participer, démontrant une immaturité certaine face à la situation.
-Voilà où ça mène de travailler en coopération ! Et on s’étonne encore que je préfère travailler seul alors qu’à l’instant même où je vous croise...
-Ecoutes-le, mon cher, il essaye de nous faire croire que tout allait bien, celui-là même qui se trouvait incapable de rattraper deux gamines quelques minutes plus tôt !
Solaire acquiesça, ses doigts devant sa bouche pour retenir un rire moqueur, faisant grincer l’Ardent des dents, et soupirer Eivar qui en leva les yeux au ciel.
-Vous deux... à supporter vos amourettes et vos réflexions infantiles, moi aussi je n’ai qu’envie de m’éclipser...
Sa réaction soudaine surprit légèrement le couple, qui mit un temps à faire le lien. Solaire finit par afficher un léger rictus, plus sensible à l’ironie à laquelle Lunar ne sembla pas enclin à réagir. Alors que ce dernier s’apprêtait à rétorquer, le blondinet ne lui en laissa pas l’occasion.
-Mais pour le moment, il serait préférable de mettre nos différents de côtés, et de retrouver nos pestes respectives. J’ai cru comprendre que même pour vous, les égarer ne signifiait rien de bon. Plus vite on leur met la main dessus, plus vite on retourne à nos affaires, non ?
Ayant décidé de ne plus faire attention à l’allure narquoise ou au ton hautain de l’un et l’autre, Eivar avait fini par retrouver son calme naturel. Même si ce n’était pas gagné, avec un minimum d’entente leur petit groupe avait moyen de se montrer plus qu’efficace... Enfin encore fallait-il savoir par où commencer les recherches, et pour ça, ils allaient nécessiter l’aide du morpion collé à sa jambe. Le blondinet s’accroupit, son visage au niveau de celui de Brock, qui semblait complètement déboussolé par la situation, et incapable de se concentrer sur ses paroles. Eivar leva les yeux vers ses trois compères.
-Notre meilleur piste, c’est lui. Il ne lâche jamais ses sœurs des yeux, je suis sûr qu’il sait par où elles sont parties... Si quelqu’un a une idée de génie pour capter son attention...
Finalement, cette mission va rentrer dans la liste des boulots les plus compliqués que Jin ai put réaliser. Garder des enfants donc; avec les chasses à l'homme, des personnes disparues, des fugues, des combats contre un ours, un dangereux qui manipule les ombres et même un géant... Oui, Jin n'a pas la moindre idée de comment s'occuper de ces démons qui n'ont pas même encore l'âge de la maturité. Et les conséquences vont vite traduire cette incompétence. Les enfants ont disparu, et ça ne signe que le début des agacements. En cercle, les quatre hommes s'estoquent l'un à l'autre pour tenter de donner raison à son parti mais ça sera Eivar qui va imposer un cessez-le-feu. Le châtieur prendra quelques secondes pour écouter son collègue et bien sur acquiesce d'un timide signe de tête, mais coopératif.
- Y'a du pognon à la clé ouais. En route.
Lorsque le blondinet fait mention du petit garçon, Jin ne remarque que maintenant l'existence de ce dernier. Il lève un sourcil et tangue sa tête dans sa direction. Évidemment l'enfant se cache davantage en couvrant sa tête avec le manteau de l'aventurier qui lui-même montrera une expression d'impuissance. Sans doute que cela doit faire un moment qu'il est greffé au jeune homme. Sur les derniers dires d'Eivar, un calme plane entre les quatre nounous. Réfléchissant à comment procéder. Jin mise sur le petit comme aux conseils de son collègue et s'accroupit à son niveau. Le petit garçon s'écarte davantage, avec la main qui tient celle de son gardien aux cheveux Blond. Jin soupir devinant déjà un potentiel échec, roule les yeux vers le ciel et se racle la gorge, avant de parler par dépit.
- Eh, gamin. T'arriverai à nous dire où elles sont partit?
- ...
- Tu sais, il est possible qu'elles court un grave danger.
- ...
Jin cherche de l'aide en regardant son partenaire, impuissant également, tandis que le couple ne peut s'empêcher de glousser, moqueurs à l'intervention laborieuse du chasseur de primes. Mais que voulez-vous ? Il est formé pour intimider, interroger et envoyer des criminels en prison contre des cristaux. En rien dans ce que lui a appris son mentor comportait une quelconque attitude à avoir avec les enfants, ni avec qui que ce soit finalement. Son enfance? Jin était un véritable démon qui passait son temps à se battre et brûler les poubelles du quartier, autant dire qu'il est a cours de support maintenant. Mais une idée lui vient a ce moment-là. Enfin, le spectacle auquel il a assisté précédemment. Oui, les enfants aiment les spectacles. Il tend la main vers le jeune garçon et une flamme aussi ronde qu'une balle flotte au-dessus de sa paume. Eivar fronce les sourcils mais Jin lui répondra d'un clin d'oeil, alors que le garçon est hypnotisé par le phénomène lumineux, chaleureux et dansant sans mordre toutefois la peau de son hôte.
- C'est Lunar et Solaire qui sont dans un bateau. Le bateau prend feu, et il n'y a qu'une seule bouée. Qui va la prendre?
- Euh...
- "On s'en fout."
Il étouffe la flamme en fermant le poing qui le fit sursauter. Puis quelques secondes plus tard, le garçon s'esclaffe de rire sous le regard désapprobateur des personnes mentionnées dans l'histoire racontée par l'aventurier. Il se redressa vers le binôme et fit d'un sourire carnassier en guise de réponse. Eivar tant qu'à lui se tourne à nouveau vers son dernier protégé.
- Tu arriverai à nous dire où elles sont partit?
Il répondit timidement d'un signe de tête et pointe dans la direction du sud. Jin emboîte le pas.
- Allez, on y va. Tiens bien le gamin surtout.
Le petit groupe suit et entame une marche à travers la foule dans la direction donnée. Tout va reposer sur l’honnêteté d'un petit garçon, mais c'est tout ce qu'ils avaient, pour l'instant.