Alors que son regard, nostalgique, allait s’attarder sur le manoir a sombre mine qui se dessinait au loin, bien après une rangée d’arbre austère, elle remarqua sur sa droite une silhouette qu’elle ne connaissait que trop bien. Une silhouette qu’elle n’aimait pas et n’avait jamais aimé. Lorsqu’elle était enfant, l’apercevoir la terrifiait, maintenant cela lui mettait les nerfs en pelote. L’ombre sortie de sa cachette et Queen ne put retenir sa langue un instant de plus.
- Tiens, en voilà un visage bien désagréable ! Comment vas-tu, Archibald ? Tu m’as l’air bien plus voûté que dans mes souvenirs.
Le dénommé Achibald ou Archi pour les intimes, qui avait sans doute dû être un beau jeune homme dans sa jeunesse, n’en était aujourd’hui plus que l’ombre. Aussi décrépit que le portail grinçant qu’il était entrain d’ouvrir, il était bossu, presque édenté et en plus d’être laid, il était méchant. D’ailleurs, Queen s’étonnait constamment de ses capacités à rester en vie. Lorsqu’elle était née, il était déjà vieux. A l’adolescence, vieux. A l’âge adulte, vieux. Depuis qu’elle était partie vivre à la Capitale, chaque visite au domaine était une occasion de parier sur les probabilités de sa survie. Contre toute attente, il défiait tout les chiffres possible. Au grand désarroi de la trésorière.
- Madame votre mère vous attend. Répondit l’homme d’un ton grinçant. Lui non plus n’aimait pas Queen. Il n’aimait aucun des enfants Milan et avait proposé à plusieurs reprises de les punir avec plus de sévérité. Il n’avait pas non plus caché sa joie de voir Primus partir ou même Fauve.
- Madame ma mère aurait pu se déplacer.
- Madame est en colère.
- Quand est-ce que madame n’est pas en colère ? Ironisa-t-elle.
Le pauvre bougre dût se mordre la langue afin de ne pas rétorquer. Il haïssait la noble, plus que n’importe lequel des autres enfants. Elle était la chouchoute, la favorite, celle que sa mère protégeait envers et contre tout. Mais elle était aussi capricieuse, vicelarde et elle prenait un malin plaisir à faire de sa vie un enfer lorsqu’elle revenait au domaine. Tout ce qu’il espérait c’est que sa visite soit de courte durée. Sans rien ajouter de plus, il l’invita à marcher devant lui, sur le chemin de gravillon qui les mèneraient jusqu’au manoir. D’un geste sec, la blonde lui désigna ses bagages et même si cela lui coûtait, Archibald se précipita pour les traîner à sa suite.
- Bien. Pourquoi mère est en colère ?
- Vous verrez cela avec elle.
- C’est pour cela qu’elle ne s’est pas présenté en personne ? Je suis sa fille après tout.
- Vous n’êtes pas son seul enfant.
- Je reste sa fille. Fais attention a tes paroles, majordome. Le regard qu’elle lui lança ensuite, ne laissa pas place à la discussion et l’homme le comprit immédiatement.
Une fois devant les grandes portes en bois, l’homme la devança et les ouvrit.
- Bienvenue chez vous, Mademoiselle Milan.
Sans un mot ni même un regard, elle entra. Sans surprise elle retrouva sur la droite quelques domestiques qui étaient venu – de force – lui souhaiter la bienvenue. Elle ne leur adressa pas l’ombre d’une œillade. Mais une petite crinière rousse attira son attention, elle s’arrêta à sa hauteur et le jeune femme releva la tête dans sa direction avant de le rebaisser prestement. Lui faisant une révérence elle murmura. - Bonjour Dame Queen. Même si ce fut bref, la trésorière pu apercevoir les cicatrices qui courraient depuis plusieurs années sur le visage d’Olivia. Cette domestique avait le même âge qu’elle, elles avaient pour ainsi dire, grandit ensemble. Mais les lois régissant leurs mondes respectif étaient dure et son visage le lui rappelait tout les jours. Pour toute réponse, Queen agita la main d’un air lasse. - Reprenez vos occupations, ôtez vous de ma vue. Grogna-t-elle. Et ils disparurent tous immédiatement. Sauf le majordome, qui s’échinait encore à rentrer tout ses bagages à l’intérieur. - Où est ma mère ? Reprit-elle sur le même ton.
- Madame vous demande de bien vouloir patienter dans votre chambre, elle reçoit quelqu’un pour l’heure.
- Bien.
Sans plus attendre, elle tourna les talons et prit la direction de l’aile est.
Rien n’avait changé. La couleur rouge des murs avait vieillit et l’endroit était poussiéreux, mais tout était à sa place. La trésorière traversa la grande pièce et s’approcha de la fenêtre de plein pied qui donnait sur les jardins arrières. D’ici, elle avait une vue sur tout le domaine et sur la forêt qui s’étendait à perte de vue. Elle pouvait même apercevoir l’aile opposée à la sienne. Celle où s’était trouvé la chambre de Primus. Chambre qui maintenant, n’existait plus. Après son départ, leur mère avait mit un point d’honneur à détruire chaque parcelle, arracher chaque tapisserie et chaque tableau. Faire en sorte, qu’il n’ait plus jamais sa place ici. Et ce fut le cas. Ses paupières s’abaissèrent et elle soupira lentement avant de se détourner de la fenêtre. A sa gauche, elle trouva son bureau. Ses plumes étaient couvertes de poussière, ses papiers avaient jaunies mais le cadre renfermant une image d’elle et Primus était toujours présente. Du bout des doigts elle s’en saisit et l’épousseta.
- Qu’est ce que tu deviens, mon frère ?
On toqua à la porte.
- Quoi ? Répondit-elle irascible.
- Madame vous attend dans le boudoir.
- Le boudoir ? Répondit Queen d’une voix surprise.
- Le boudoir.
Elle marqua un instant de silence.
- Dis lui que j’arrive dans un instant.
- Madame n’aime pas attendre.
- Obéit ! Tonna-t-elle.
- Bien Mademoiselle.
La porte se referma en douceur.
Queen n’aimait pas le boudoir, elle ne l’avait jamais aimé. C’était une pièce où aucune lumière extérieur ne pouvait passer, où aucun son ne pouvait sortir. Il s’était passé bien des choses dans cette pièce, des choses dont elle ne voulait aucunement connaître la nature. Calmement, elle reposa le cadre sur le bureau.
- Me laisser l’affronter seule. Quel couard tu fais, Primus. Un dernier regard pour le visage souriant de son aîné et elle tourna les talons. L’heure des retrouvailles avait sonné.
Soudain, un air de clavecin s’éleva dans la résidence. Comme une mise en garde. Queen eut envie de prendre ses jambes à son cou. Cela n’avait pas suffisamment l’air funeste ? Il fallait en plus qu’elle joue de cet instrument ? Oui. Sa mère avait toujours eut un don pour les situations dramatiques. Cela lui donnait également un avant goût concernant les échanges qui allaient avoir lieu. Elle aimait profondément sa mère mais elle la redoutait plus que n’importe qui. Ce n’était pas pour rien qu’elle était devenu ce qu’elle était, pas pour rien non plus que cet endroit semblait maudit et abandonné. Les seuls fois où il se paraît réellement de beauté, c’était lorsque sa famille donnait l’un de leur rare bal. Sinon, tout était d’un calme mortel, d’une noirceur impénétrable. C’est ainsi qu’ils avaient tous grandit. D’un geste lent la trésorière laissa ses doigts courir sur le cadre du tableau et s’en détourna pour poursuivre sa route. Petit à petit, elle s’enfonça dans le cœur du domaine. Sur sa route, elle ne croisa pas âme qui vive. Comme des petits animaux apeurés, les domestiques avaient tous fuit en entendant le clavecin se mettre à jouer. Personne n’était dupe ici et cet instrument était presque devenu une alerte pour chaque personne qui vivait ici. L’entendre était de mauvaise augure. Néanmoins, cela n’empêcha pas Queen d’avancer, les sourcils froncés, l’air parfaitement déterminé. Tout ses masques étaient tombés, plus de faux sourire, plus de mensonges et autres air empruntés. Son regard était aiguisé, malsain. Sa démarche ferme et déterminée. Une Milan dans toute sa splendeur.
Bientôt, elle se retrouva devant la porte du boudoir. Ses yeux la passèrent en revu. Rien n’avait changé. C’était toujours le même velours rouge qui l’ornait, les même dorures qui dessinait cette rose épineuse et prisonnière. Elle ne put s’empêcher de tendre la main afin de caresser son emblème. Qu’allait-il advenir d’elle maintenant ? Elle qui avait mentit éhontément à sa génitrice afin de prendre un peu plus de galon.Si elle avait autrefois trahit la couronne, aujourd’hui c’était sa mère qu’elle était en train de trahir. Bien malgré elle d’ailleurs. Mais n’était-ce pas elle qui avait inculqué à sa fille se besoin intarissable ? Cette obsession de l’ambition ? Ce besoin vital d’écraser autrui et de prendre ce qui lui revient de droit ? Si c’était cette femme. Cette même femme qui avait, par le passé, trahit famille et amis afin de se hisser au plus haut de la société actuelle et qui même arrivé à ce point, n’était jamais rassasiée. La force des choses avaient voulu qu’elle ne puisse aller plus loin, alors, elle avait finit par faire de ses enfants ce qu’elle-même avait voulu être. Tout ceci avait échoué avec ses aînés, avec Primus. Mais Queen… Queen était un joyaux brut qu’il avait suffit de tailler avec minutie. Quelle bien triste lignée que celle des Milan…
La blonde enclencha la poignée en bronze et ouvrit la porte qui grinça pour annoncer son arrivée.
- Queen… Cela faisait longtemps. L’accueillit une voix sinistre qu’elle ne connaissait que trop bien.
- Je suis rentrée. Mère. Répondit-elle d’un ton impassible.
Dans ses souvenirs d’enfant, le boudoir était une pièce gigantesque et aveugle. Elle empestait la cigarette froide, l’alcool et une autre odeur morbide qu’elle n’avait jusque ici jamais réussit à identifier. Cet endroit lui avait toujours donné l’impression d’un piège dont on ne pouvait s’échapper que par la porte qu’elle venait de claquer. Ses plus bas instincts et tout son être lui hurlait de faire demi tour, pourtant, Queen restait plantée sur ses jambes. Son visage, de même que celui de sa mère était partiellement cachés par la pénombre de la pièce. Une pièce toute vêtue de rouge et de noir. Le long des murs s’étendait des canapés et des fauteuils à foison, parfois quelques cendrier et au centre de la pièce une petite table basse. Une théière fumante y était installée.
- Assied-toi, mon enfant.
Relevant enfin les yeux, Queen pu croiser le regard de sa mère. Glacial, insolent, lugubre. Il était aussi bleu que le sien, pourtant, ils étaient diamétralement différent. Celui de la jeune femme respirait la détermination et la vie alors que celui de sa mère était un portail vers une âme morte, vers son enfer personnel. A croire que derrière ses yeux, dans ce corps, il n’y avait plus âme qui vive. Cependant, cela ne l’impressionnait plus. Cela faisait maintenant vingt cinq ans que ce regard se posait sur elle, sur ses frères, sur sa sœur. D’un geste ferme et indiscutable, la matriarche intima l’ordre de s’asseoir. Queen serra la mâchoire et prit place.
- Tu m’as l’air bien tendu. Comment vas ma fille favorite ? Que dis-je… Mon enfant unique.
- Bien mère. Le trajet a été éprouvant.
- Oh vraiment… Tu m’en vois désolée. Elle gloussa.
- Vous n’êtes en rien responsable. Que puis-je faire pour vous ?
Un des poings pâles de sa mère s’abattit avec force sur l’accoudoir.
- Quoi ? Tu veux me fausser compagnie tout de suite ? Pourquoi veux-tu en venir au fait tout de suite ? Hein ? Queen ? Est-ce pour cela que tu ne communiques plus ?! La voix de sa mère grimpa dans les aigus.
- Rien de tout cela. Pardonnez moi. Répondit Queen avec un calme qu’il était rare de la voir employée. A vrai dire, elle était de nature impulsive et n’aimait pas que l’on puisse lui manquer de respect. Sauf qu’avec sa mère et même si elle était l’enfant favorite, rien n’était jamais simple.
Pour toute réponse, la femme se leva et révéla son visage aux lumières faiblarde de la pièce. Par le passé, Nienor Milan avait été une des plus belles femmes de ce royaume. Délicieusement mortelle pour quiconque n’y prenait pas garde. Mais aujourd’hui, elle n’était plus que l’ombre d’elle même. Sa peau laiteuse était presque transparente tant elle ne voyait jamais l’astre. Ses cheveux avaient vainement tentés d’être accroché dans un chignon mais ils étaient bien trop fragile et abîmés pour que cela ne donne une coiffure convenable. Pire que tout, c’était son visage fatigué et émacié, si bien que Queen faillit ne pas la reconnaître. Sa mère avait-elle dépérit si vite ? La femme qu’elle avait connu était forte, bien en chaire et toujours prompt à prendre soin d’elle. Aujourd’hui, l’héritière faisait presque face à un cadavre ambulant. Queen déglutit bruyamment alors qu’une main cadavérique lui versait une tasse de thé. Elle n’en voulait pas mais n’osa refuser. Qu’avait-il bien pu se passer en son absence ?
- Merci.
- Bien ma chère enfant, bois, bois. Cela te fera du bien.
Et Queen, sans méfiance aucune, avala une longue gorgée.