Ce n'était que très rare que le jeune homme sortait de son bureau, pour aller arpenter la ville par ses propre moyens. Depuis qu'il avait accédé à sa fonction de Conseiller, il avait de nombreuses petites mains pour subvenir à ses moindres désirs. Il n'avait d'ailleurs pas vraiment le loisir de s'amuser, les affres de la politiques étant un gouffre insondable, dans lequel aurait pû se perdre n'importe lequel des voyages les plus éclairés de ce monde.
Pas de boussole, ni de compas pour se diriger dans ce monde impitoyable, seulement quelques outils pour se faciliter la vie.
Par ailleurs, Kâ était d'une catégorie à part de conseiller. Son père l'était avant lui -et dieu merci l'aidait à sa tâche grâce à des correspondances régulières. Et son poste, il le devait à un acte honorable et courageux, ce qui faisait de lui un conseiller plutôt en vogue pour le couple royal. Un conseiller qui venait du terrain, et non pas élevé pour cela. Il avait donc une vision politique peu orthodoxe, ni usité, qui en faisait un original plutôt mal vu par le reste du gouvernement.
Ce jours là cependant, faisait exception à la règle.
- Monsieur, j'ai pensé que ceci pourrait vous intéresser, commença la secrétaire en pénétrant dans son bureau après y avoir frappé les trois très traditionnel coup de semonce établis entre eux. Il leva la tête du parchemin qu'il parcourait depuis quelques heures, et lui fit un sourire triste en attrapant un tract qui faisait l'article d'un concours de chant, organisé par quelqu'un du gouvernement -comme le laissait à penser le cachet ministériel sur l'annonce, qui se déroulait tout près du palais, sur la place publique. Vous savez très bien que nous pensons tous à votre bien être, vous travaillez beaucoup trop !
Il ne pouvait pas laisser passer cette occasion : Merci Mery Popin, il est vrais qu'une petite pause ne me ferait pas de mal, les rapports d'expéditions pourront bien attendre ! Qu'il lâcha en soufflant, presque soulager de ne plus avoir à travailler pour l'heure. Malgré qu'il aimait son pays, sa fonction, et tout ce qui tournait autours, il faisait parfois presque comme des indigestions, à force d'avaler des parchemins et des ordres de missions, comme si c'était des petits pains.
Il se laissa aller durant le chemin, seul et sans autre escorte que sa faucille -qui servait usuellement à récolter des échantillons plutôt que des âmes, et sa science du combat. Ce qui en faisait une protection assez efficace pour un conseiller ministériel en déplacement incognito.
- A vous qui venez d'arriver aujourd'hui, BIENVENUE aux grandes éditions des ... CRISTAL GLOBES ! Lança un homme à travers une pierre qui déformait sa voix de manière à la rendre audible de tous. Le présentateur était un escogriffe tout de blanc vêtu, avec un grand chapeau pourvu d'une plume qui lui donnait l'aspect d'un coq de basse cours ayant à coeur d'impressionner toutes les poules du poulailler. Il avait plus du paon, que du poulet par ailleurs, car il s'agitait dans tout les sens sur la scène montée sur une des plus grandes places de la ville. A côté de lui, six candidats, tous endimanchés dans leur plus beaux habits également. Ils souriaient tous très fort, comme si c'était le plus beau jour de leur vie, ou comme si leur vie entière dépendait du nombre de quenottes que l'on arriverait à compter depuis le premier jusqu'au dernier de l'assistance.
Profitant d'un mouvement de foule, Kâ se glissa entre les personnes déjà bien en place, pour se rapprocher de l'action. Il voulait capter la voix des candidats sans avoir besoin de la pierre qui permettait à tous d'entendre la prestation, car il savait d’expérience qu'elle déformait la voix des chanteurs, et en puriste, voulait en profiter a capela.
Le premier candidat se présenta, et tout le monde -y comprit notre héro, applaudit. Mais c'est en reconnaissant une tête dans l'assistance, qu'il se dit que cette journée allait être extrêmement intéressante, car si sa vue ne le jouait pas des tous c'était bien .... Mais oui, c'était elle pas de doute.
À dire vrai, je m'étais présentée au concours uniquement pour le plaisir de participer. Pour montrer une tenue qui me tenait à cœur, pour chanter et danser sur un poème que j'avais écrit et que je désirais tant offrir... Je ne m'attendais pas à ce que le nom qu'ils allaient prononcer serait le mien. Ciel Kyrie Eleison... Miss Aryon. Ma mère serait si fière de moi...
Lorsque l'on m'avait annoncé ceci, j'avais eu les larmes aux yeux. Je m'étais retenue un petit instant, mais mon corps était bien trop fragile, et mon cœur battait à la chamade. J'étais si heureuse... Si surprise, si choquée... C'était un événement qui me marquerait pour tout le restant de ma vie, sans doute...
En tout cas, je l'avais bien vite fait savoir à ma famille, par le biais d'une lettre. Le domaine familiale étant assez loin, je ne pouvais pas me permettre d'y aller, et ce malgré cette grande occasion. Mon titre m'en empêchait, et je devais prendre celui-ci bien au sérieux. Alors je restais à la capitale, le plus souvent dans mon bureau, au palais. Je me souvenais avoir plusieurs fois déchiré ce que j'écrivais : mes larmes ne cessaient pas de salir le papier. Je ne me pensais pas moi-même si belle que ça, mais par respect envers ces autres participants, et par respect pour tous ces artistes qui me prenaient pour muse, je me devais de le voir en face, et remercier ces belles flatteries qui me touchaient profondément.
Pendant quelques temps, je ne sortais plus de mon bureau. Je travaillais sans relâche autour des études sur la magie, je revoyais avec le ministre de la Justice quelques lois pour voir si tout le monde les respectait... Et bien que l'air frais de dehors me manquait, il y avait quelque chose, au plus profond de moi, qui me bloquait. Qui m'interdisait de sortir, d'ouvrir ces grandes portes...
Quelque part, je doutais. Quelque part, je savais d'où venait la source de ce problème. Et ceci me nouait le cœur. Ma relation avec Arthorias, chef de la garde royale, était bien trop intime. En y réfléchissant, cela devenait toxique pour moi. Mais il n'y avait pas que lui... Il y avait la première ministre, avec qui j'avais été bien trop séductrice... Ce genre de choses m'effrayait en prenant du recul. Une angoisse insupportable grandissait en mon être, et, suffisamment étouffante, elle m'attachait à mon bureau, et me forçait à endosser un faciès pratiquement froid, avec une légère once de tristesse visible.
Les jours passèrent. Les jours devinrent des semaines... Puis des mois...
Et finalement, je pris mon courage à deux mains, et posai un pied dehors.
C'était étrange. Je passais mes nuits autour de livres ouverts, la tête sur le bureau, avec une petite odeur de bougie. C'était une ambiance, une chaleur ambiante dont je m'étais habituée... Un peu trop. Car ma tête fut quelque peu douloureuse une fois que je sortis du palais. Une sorte de choc thermique, supposais-je. Il me fallut donc un petit moment à déambuler les rues pour que je puisse me ressaisir enfin. Pour dire, les voix des passants qui me saluaient étaient floues, comme brouillées dans ma tête. Tout semblaient me surprendre, des portes qui s'ouvraient aux enfants qui hurlaient... Parfois il m'arrivait de tenir ma tête, mon visage se déformant sous toute cette cacophonie.
Après quelques heures à marcher dans mon habituel kimono, mon attention fut attrapée par une voix altérée par une pierre. Un homme était là, s'agitant dans tous les sens en harranguant la foule avec maestria. Haussant un sourcil par curiosité, je m'approchai. Cristal Globes ? Je n'en avais jamais entendu parler auparavant... Et pourtant, tout laissait à penser que c'était une réunion de chanteurs ! Déjà, un bon monde se développa autour des participants de ce mystérieux concours, qui étaient d'une si grande gaieté que je ne pus m'empêcher de sourire. En tant que ministre de la magie, ma présence fit en sorte que les civils se décalaient pour me laisser de la place, ce à quoi je répondis par quelques remerciements polis. Néanmoins, des chuchotements passèrent dans mes oreilles... On parlait de moi en tant que Miss Aryon, et une certaine admiration se formait parmi eux. Rougissant d'embarras, je tenais cependant à garder une certaine tenue, paraissant relaxée et naturellement chaleureuse. La fatigue provoquée par des mois de travail acharné avait l'air de s'être déjà évaporée, ma passion pour les arts me la faisant oublier.
J'assistai donc à la première présentation, applaudissant élégamment avec un grand sourire aux lèvres. Mais quelque chose d'autre- ou plutôt quelqu'un attira mon attention : c'était le conseiller Kâ Arakne, aussi connu comme étant le sauveur de mon ancien supérieur, et ex-ministre de la magie. Prise par surprise, j'inspirai un grand coup en ouvrant mon éventail devant ma bouche. Je le connaissais déjà bien avant... Certes, très peu. Mais pendant ma longue période en tant que Sœur du Culte de Lucy, au Temple près des plaines, je l'avais rencontré, et je m'occupais même des offrandes qu'il apportait lui et sa famille. C'était visiblement quelqu'un de très croyant, mais nous n'avions jamais réellement parlé ensemble. Cet homme avait toujours été, pour moi, quelqu'un de très mystérieux. Et malgré son apparence froide, je sentais qu'il avait quelque chose d'intéressant en lui. De fascinant même. Alors... Le trouver ici, aussi près de moi... Assistant lui aussi à un spectacle... C'était quelque chose.
Conseiller Arakne ? Mes salutations, c'est un honneur de vous trouver ici !, m'exclamai-je en agitant mon éventail, toute heureuse.
J'espérais au moins qu'il n'allait pas se sentir dérangé...
Il appréciait la voix pure de la première candidate, elle n'était pas très technique, mais se rattrapait par un timbre particulier, et une chaleur dans la voix. Et puis son grain, il était inimitable. Soudain, alors qu'il fermait les yeux pour mieux être plongé dans le spectacle, une voix brisa le silence du publique, tandis que la chanteuse terminait sa prestation.
Un tonnerre d’applaudissement lui répondit, comme si elle était la responsable de toute cette joie.
Arakne se retourna vers la responsable de tout ce raffut, tandis qu'en arrière fond, on demandait encore un tonnerre d'applaudissement de la part du présentateur de ce concours. Il n'y avait que la capitale pour proposer des animations pareilles en pleine rue, de jour. Si l'on allait dans les campagnes alentours, on subissait bien vite la tyrannie paisible de la ruralité, et bien qu'il appréciait les arts plus que quiconque, et au moins autant que sa compagnie aujourd'hui, un peu de tranquillité lui permettait de mieux se concentrer, et de faire un travail remarquable. Ici, il avait de nombreuses difficultés à être à son maximum, et il faisait souvent des aller retour jusqu'au domaine viticole que possédait sa famille, plutôt que d'user de la chambre attenante à son lieu de travail.
Il arqua un sourcil, mais ce fut un sourire qui répondit à la prise de parole de sa vis à vis, qui lui faisait part de l'honneur qu'elle éprouvait à le rencontrer en ses lieux. Et le plaisir alors ? Lui avait un plaisir tout particulier à la croiser en ce jour, surtout depuis qu'elle était devenue la femme la plus cotée de tout le pays. Il faut dire qu'elle était sacrément belle, et surtout intelligente. Une femme brillante, avec du charisme et beaucoup de grâce. Il en fallut de peu qu'il perde son objectif de vue, celui de la remplacer un jour dans ses fonctions.
Après tout, il avait le temps d'attendre ; Chaque chose en son temps.
- L'honneur est partagé, Madame la Ministre Eleison, le plaisir également je l'espère ?Votre vue m'a toujours procuré une joie certaine, mais ses derniers jours, vous semblez de plus en plus resplendissante ... Fit-il d'un ton mielleux, mais sans excès. On aurait pû croire de la politesse venant de quelqu'un de normal, mais pour Kâ, c'était ainsi qu'il montrait son intérêt. Il avait toujours admiré cette femme, depuis ses visites fréquentes au temple de Lucy, jusqu'à aujourd'hui.
Et appartement, en croyant à sa chance, il l'avait provoqué.
- Je tenais à vous féliciter en personne pour votre victoire, être Miss Aryon, rien de moins que ça ... Vous le méritez en tout les cas, bravo.Fit-il en applaudissant de manière distingué la concurrente qui repartait se reposer, se rafraîchir ou que sais-je encore. Mais tout ceci n'était que les banalités d'usage pour un noble parcourant le dur monde de la politique. Des ronds de jambes, des courbettes, et beaucoup de salive, voilà le secret. Et il aimait son travail pour cette raison, il détestait avoir à se battre lui même, et préférait laisser ce domaine de prédilection aux hommes qui affectionnait l'adrénaline du combat, et l'hémoglobine qui giclait.
Son truc à lui c'était des mots et de l'encre sur le papier.
Deux armes qui ne s'obtenaient que grâce à la connaissance, plus que la puissance. Ainsi, il n'était pas étonnant qu'un homme dont l'on ne reconnaissait pour l'instant que les compétences martiales, ne fut que conseiller, malgré qu'il doive souffler sa vingt-neuvième bougie quelques mois plus tard. Mais s'il ne déméritait pas, s'il s'accrochait à son rêve, peut être qu'il arriverait à faire quelque chose de cette position, et se hisser à la tête du gouvernement.
C'était son plus grand rêve.
- Profitons du spectacle, mais je pense que nous avons fort à parler, vous et moi, beaucoup d'années se sont écoulés, n'est-il pas ?
Le deuxième concurrent, un homme fluet et blond, s'avança sur la scène.