Pas plus que pour sa jument, Brindille. Sa robe fauve et sa crinière blanche comme la neige l'avaient rendue célèbre auprès de la Garde Civile. Mais c'était son caractère aventureux et affectif qui plaisait surtout aux soldats, comme aux autres chevaux. Offerte par son ancien Capitaine lors de sa montée en grade, elle était depuis huit ans une compagne fidèle et une monture d'exception. Ces animaux avaient la réputation d'être loyaux et protecteurs, et Brindille ne dérogeait pas à cette règle. Elle avait toute confiance en son cavalier, qui la traitait comme une part de lui-même. Bon, il avait une odeur différente des autres humains, ce qui avait rendu le premières heures de leur rencontre étrange, mais tout cela appartenait au passé.
Lorsque vint le soir, l'officier n'était toujours pas arrivé en ville. Son voyage avait été mené à bon train, mais ce ne fut hélas pas suffisant. Il lui faudrait faire une halte, car cheminer de nuit, même sur les grandes routes, n'était jamais une bonne idée. Certes il pourrait repousser l'attaque de bandits de grand chemin, or prudence est mère de sûreté. Il n'était plus un jeune chiot prêt à aboyer sur tout ce qui bouge, et avait apprit à ses dépens les risques d'un comportement trop vif. Bientôt sa halte se dessina au loin, sous la forme d'une modeste auberge. Ses fenêtres éclairées de l'intérieur, sa structure en bois épais et sa cheminée fumante étaient annonciatrices d'un bon repas, mais surtout d'une bonne pinte. Et d'un bon lit, mais ceci, aux yeux du Chien de Garde, était de moindre importance. Il attacha Brindille à l'écurie, aux côtés de deux autres montures et alla se soulager contre un arbre avant d'aller se présenter à l'aubergiste, à l'intérieur.
Comme le laissait penser son apparence, l'établissement était chaleureux et accueillant. Un barde était même présent, et chantait à qui voulait l'écouter quelques classiques accompagné de sa lyre. Rufus crut même entendre "La Marche du Héros", grand classique des tavernes et que l'on pouvait entendre dans tout le royaume. Même lui, enfant, avait eu l'occasion d'en profiter lorsqu'un ménestrel passait dans son humble village. Tout en marmonnant l'air, il commanda au patron un beau morceau de viande, et deux pintes de bière brune. Une pour la soif, l'autre pour le dessert. On s'étonna de voir un membre de la Garde siphonner avec aisance tant d'alcool, mais il avait un corps d'athlète à hydrater, le bougre. Une fois bien remplit, il alla se coucher : là encore il allait devoir quitter sa couche avant le lever du soleil.
Une fois sa nuit achevée, il paya son dû au tavernier avant de reprendre la route. Peu après, le soleil se leva enfin et éclaira de sa douce lumière orange le paysage. Il ne tarda pas à monter haut dans le ciel, offrant son spectacle radieux à tout Aryon. La chaleur elle aussi était au rendez-vous, et ce climat estival tira même un grand sourire à Gladstone. Chez lui, ça impliquait de laisser pendre sa langue, tout en soufflant bruyamment par la bouche et en remuant la queue. Les bons vieux réflexes. C'est finalement quelques heures plus tard qu'il parvint aux abords de la Capitale, toujours aussi imposante. Il reçut aux portes de la cité quelques salutations de la Civile, qu'il rendit avec plaisir, et chemina encore parmi les grandes avenues. A mesure qu'il approchait de la Caserne Centrale, sa bonne humeur s'était faite plus timide. Même s'il avait hâte de revoir tant de visages familiers et amicaux, il ne parvenait pas à deviner la raison de sa convocation. Il essayait de toutes façons de ne pas trop y penser.
Enfin, il arriva dans la grande cour du bâtiment militaire le plus imposant du pays. Ses hautes tours, ses chemins de ronde et ses fortifications étaient toujours aussi écrasants, renforcés par l'éclat ardent du soleil sur ses vitraux aux motifs guerriers. Lui-même, lors de sa première fois ici, avait été étourdi par l'imposante structure. Chef d’œuvre architectural et tactique, seul le palais royal, aux yeux de Rufus, pouvait être mieux défendu. Il confia Brindille à un palefrenier qui lui proposa ses services, et se rendit au bureau qui s'occupait des visites pour informer de sa présence.
"Vous êtes en retard, Officier."
Dans le jargon, on appelle cela une douche froide. Il s'attendait à beaucoup, mais certainement pas à se faire réprimander. Même sur un ton respectueux.
"J'ai fait aussi vite que possible." répondit-il de sa voix profonde et grave. "Veuillez transmettre mes excuses, mais le soleil brillait trop fort pour que je puisse exiger de ma monture d'arriver plus tôt."
Tandis qu'il parlait, son intonation ne laissait pas de doute sur sa bonne foi, et laissait entendre que si c'était à refaire, il n'hésiterait pas. On lui signala finalement que son audience avait été reportée au lendemain matin, car la journée avait été plus chargée que prévue. Ce qui ne manqua pas de le faire marmonner quelque chose comme "Si j'avais su, moi aussi j'aurai fait la grasse matinée...". Mais pas trop fort, histoire de ne pas se faire davantage remarquer. Il choisit donc d'aller sur le terrain d'entraînement derrière la Caserne, proche de l'Académie. Sur le chemin, une idée saugrenue lui vint en tête, une idée qui le replongerait des années en arrière, alors qu'il était adolescent : lui et ses camarades de chambrée se donnaient parfois des défis de plus ou moins bon goût. Rufus en avait un qui revenait souvent, c'était celui d'aboyer le plus fort possible sur d'autres recrues.
D'un coup d’œil rapide, il crut apercevoir à quelques mètres de lui Rosalina, une jeune femme qui avait fait ses classes en même temps que lui, et reconnaissables à ses longs cheveux dorés. Ils ne s'étaient pas revus depuis quelques années, et cela la ferait sûrement rire autant que lui, comme au bon vieux temps. Tâchant de faire preuve de discrétion, il se plaça derrière la malheureuse victime et accomplit son crime.
"WOUF !"
J’aimais bien cette académie, ça me rappelait des souvenirs de mon enfance. Mon père était encore en vie, j’avais l'insouciance de la vie, j’ai été pendant de longues années, une fille qui apprenait tout pour être une femme au foyer exemplaire mais Lucy en a décidé autrement. Je me suis inscrite il y a presque vingt ans de cela à l’Académie. On m’a appris à me battre, à connaître mes limites mais pas que. J’ai eu des soeurs et frères d’armes puis on m’a envoyé à Forteresse pendant presque dix ans. Là-bas, j’ai appris qu’on vivait dans un monde sans danger à la Capitale. J’ai perdu de nombreux camarades à la frontière et a chaque ami proche perdu, une fraction de mon coeur disparaissait avec lui mais à chaque fois, j’arrivais à m’en remettre mais pourquoi avec Van Andrasil c’est si différent ?
On a passé quelques lunes ensemble à Forteresse, nous avons accompli quelques missions puis elle a pris la direction de celle-ci. Au début, une certaine jalousie m’avait envahit, elle avait obtenu le rôle que j’ai toujours voulu depuis la Percée de Wendigo. Puis finalement, j’étais plutôt contente de cette décision, je m’étais rapprochée de la Capitale, j’ai pu passer du temps avec ma mère après la mort de mon père, un célèbre Saphir de la Guilde.
Mais même si j’étais là sur le terrain d’entraînement derrière cette Académie qui me tient tant à coeur. Je m’efforcais d’évacuer tous mes mauvaises pensées, pourquoi je n’avais pas pu aider le capitaine, pourquoi cette histoire a fini comme ça. J’avais un sabre d’entraînement dans les bras pour éviter de casser toutes les cibles. De la même longue que mon arme à combustion, je pouvais aussi bien taper de chacun des côtés. Enchaînant différentes parades, ponctuant de coup de pieds et autres blocages avec l’avant-bras. Je me dis que l’épuisement physique me permettra de m’endormir sans penser à rien. Comme si ça ne suffisait pas, hier le Capitaine Hekmatyar m’a proposé le poste d’Elina, ça fait peu de temps qu’elle était morte et la Commission propose déjà de la remplacer sans qu’on fasse notre deuil.
Dans la colère, je brise mon arme en bois et part en chercher une autre. Je continue de me défouler et ça pendant peut-être de longues heures. Dorago, mon capitaine, m’a laissé ma journée. Elle a bien compris que la proposition de la Commission m’a sortie de mes gonds donc elle m’a dit de prendre l’air et ce terrain d’entraînement était parfait. Mais alors que je donnais un coup franc dans le bas du mannequin, j’entendis un aboiement dans mon dos. Mes sens en alerte, je pivote aussitôt sur le côté, tenant le manche fermement des deux mains pour donner une bonne leçon au plaisantin. Mon sabre s’arrête à quelques centimètres du bras de l’homme en face de moi. J’ai reconnu aussitôt l’armure et quand je lève aussitôt la tête, je reconnais cet homme.
- Gladstone….
Dis-je en baissant aussitôt mon arme. Nous n’avons jamais travaillé ensemble mais qui n’aurait pas entendu parler de lui avec son allure atypique. On m’en a dit que du bien et quand mon regard fini par tomber dans le sien, je crois que je n’étais pas la personne qui souhaitait surprendre.
- Drôle de façon de saluer Officier. Vous êtes là pour vous dégourdir les jambes ?
Car pour moi c’était un homme malgré son apparence d’un chien, je ne vais pas m’amuser à dire patte ou autre bêtise du genre.
- Ou peut-être voulez-vous un petit combat amical, ce n’est pas tous les jours qu’on croise un homme de votre gabarit et j’ai besoin de distraction ces derniers jours.
Je plante la pointe de mon arme dans le sol, le regard plein de défi. C’est sûr, avec un homme comme lui, je sens que je vais bien m’amuser et peut-être m’en sortir avec quelques bosses….
"Je vous prie de m'excuser." dit-il de sa voix la plus douce possible. "J'ai cru reconnaître une amie, et j'ai voulu lui rappeler un jeu que nous faisions lorsqu'elle et moi étions recrues."
Voilà qui devait faire une belle jambe à son interlocutrice. Il lui avait aboyé dessus comme s'il avait été un chien errant ou mal dressé. Or Rufus était l'incarnation du molosse élevé avec rigueur et fermeté. Ses années à protéger son troupeau et à l'Académie, puis celles passées sur le terrain l'avaient changé en Garde honorable et... visiblement prompt à gueuler sur des inconnus, comme l'aurait fait un roquet sur le facteur. Il secoua la tête pour chasser de son esprit à quel point il avait été irrespectueux et salua avec respect la jeune femme. Effectivement, de dos elle ressemblait trait pour trait à celle qui avait été novice en même temps que lui. Mais de face, elle inspirait beaucoup plus de force et de caractère. Son odeur était celle d'un champs de blé en été, mais était cachée sous une fine couche d'orage imminent. Comme si elle couvait une sourde colère. Peut-être du chagrin.
Se rendant soudain compte qu'il reniflait à son insu l'odeur de la garde devant lui, il interrompit son enquête et entreprit de répondre à la question posée.
"Hélas non, je ne suis pas venu ici pour me dégourdir les papattes."
Beaucoup de personnes le fréquentant s'assuraient de ne pas employer de termes ayant rapport aux chiens, ou plus généralement aux animaux, en sa présence. Mais lui brandissait son apparence et ses liens avec le Chien des Montagnes comme une fierté. Il avait prit cette habitude lors de ses années d'entraînement, et avait changé les quolibets quotidiens en armes. Jamais il ne rougirait de sa différence, il l'assumait avec vigueur et se servait de l'humour comme d'une bannière.
"J'avais rendez-vous avec l'Etat-Major ce matin, mais hélas le temps m'a empêché de presser ma jument. Ils doivent donc me recevoir demain aux aurores, et je me suis dit qu'en attendant, je pourrais revenir faire un tour à l'Académie. Et puis ça tombe bien, il fait beau."
Elle lui proposa ensuite un petit combat amical, ce qui le fit hausser un sourcil. Décidément la jeune femme ne manquait pas de surprises. Elle l'avait reconnu, et souhaitait maintenant croiser le fer avec lui. Le Chien de Garde eut grandement envie d'accepter, si bien que sa queue s'était mise à remuer avec entrain. Mais était-ce raisonnable ? Que diraient les instructeurs si, à côté de leurs cours, deux soldats aguerris se livraient bataille et captaient toute l'attention des recrues ? Et puis que voulait-elle dire par "un homme de votre gabarit" ? Faisait-elle allusion à ses faits d'armes ? Ou bien à son imposante stature ? Ou bien le poulet rôti qu'il avait engloutit la veille à l'auberge avait-il déjà laissé des séquelles graisseuses ? Mais d'un autre côté, mince à la fin. Il voulait bel et bien se dégourdir les patounes, et un combat amical serait parfait pour cela.
"Avec plaisir !" jappa-t-il avec plus d'enthousiasme que prévu, les yeux pétillants. De plus, si son flair voyait juste, son interlocutrice avait bien besoin elle aussi de se dépenser. De plus, son regard plein de défi en disait long sur sa volonté. "Peut-être devrions-nous nous éloigner, je ne veux pas déranger les leçons du jour. Qui sait, nous risquons de prendre de la place." ponctua-t-il d'un léger clin d'oeil, sa queue remuant désormais avec force. D'un pas assuré, comme un réponse à la provocation de son homologue, il alla déposer ses armes sur un râtelier, pour les remplacer par un bouclier en bois et une épée émoussée. Puis il invita sa partenaire à le suivre sur dans un cercle de terre, à l'écart des élèves et de leurs professeurs, là où le fracas des armes ne dérangerait pas grand monde.
"Mais au fait, vous me connaissez, or moi j'ignore qui vous êtes. Si vous le permettez, reprenons les présentations depuis le début. Ce n'est pas parce que nous sommes sur le point de nous coller des mandales que la politesse n'est pas de mise, n'est-ce pas ?"
Puis il déclara d'une voix forte :
"Je suis Rufus Gladstone, officier supérieur de la Garde Civile Régulière, enchanté. A qui ai-je l'honneur ?"
Je lève un sourcil quand il utilise de lui-même ses atouts canins. Je ne sais pas si il dit ça pour se moquer de moi ou chez lui, c’était quelque chose de naturel mais je prends note. D’ailleurs, c’est que son corps et ses attributs répondent aussi bien aux questions que je pose. Il a les mêmes réactions qu’un chien et je trouve ça plutôt amusant qu’autre chose que je souris légèrement.
On s’éloigne des autres élèves, c’est vrai qu’on risque de faire du bruit puis si monsieur a envie soudaine d’aboyer encore, je ne voudrais pas que toute l’académie vienne nous voir car un chien et un ange vont se battre d’ici peu. Il part attraper un bouclier et une épée d’entraînement, je décide de faire de même car mon bâton de bois ne va pas survivre longtemps. Mon bouclier était un peu plus petit que lui, plus adapté à mon gabarit car ça ne sert à rien qu’il traîne par terre quand je vais devoir courir. Mon épée était aussi longue que la sienne, j’aimais les grosses épées et à force d’entraînement, j’étais devenue aussi habile même si je préférer ma double épée.
- Ahaha, bien sûr. Enchanté Officier Gladstone. Je suis Bridget Alnilnam du régiment du Myrmidon du Solstice à la Capitale.
Déposant mon bouclier au sol ainsi que la pointe de l’épée. J’essaye d’évaluer une stratégie pour terrasser ce molosse. Est-ce qu’il était aussi musclé que sa carrure le laisse penser. On connaît tous les animaux à la grosse fourrure mais en-dessous, c’était ridicule. Je n’ai pas d’eau à porter de mains mais sa tenue me laisse penser que c’était bien du muscle et l’envie de le battre devient alors plus grande.
- Alors un combat d'entraînement, ça vous va ? Même règle que l’Académie, fair-play et évitons les coups mortels bien entendu.
Généralement, on demandait aux élèves de ne pas viser la tête sans casque. On peut en compter de nombreux oeil crevé et j’en passe. Nous étions là pour s’amuser et se dégourdir les muscles, pas besoin d’estropier l’autre.
- Sachez que je passe une très mauvaise semaine et vous êtes la personne idéale pour évacuer toute cette frustration. Nous pouvons discuter en même temps de combattre, ça nous permettra de travailler notre concentration.
Attrapant l’anse en cuir du bouclier, je le glisse sur l’avant-bras, le fixant avec les sangles à l’intérieur pour éviter qu’il ne bouge trop. Bougeant le haut du corps pour voir si tout ceci était en place, j’attrape le pommeau de mon épée et frappe plusieurs fois sur le bois du bouclier. Le bois encaisse bien, quelques vibrations mais ça va aller. Ce n’était pas du super matériel mais pour aujourd’hui, ça me suffira.
- Alors Officier, pourquoi l’Etat-Major vous convoque, ce n’est jamais bon signe, j’en sais quelque chose…
Puis je place mon pied gauche devant, m’accroupis un peu et lance la première attaque pour tomber directement sur son bouclier qui venait de mettre devant.
- Ahahaha, je sens qu’on va bien s’amuser. Alors ? Votre venue ?
Puis je fais de nouveau deux pas en arrière pour lancer une nouvelle attaque. J’étais déterminée et un sourire finit par s’afficher sur mon visage. Je ne pense plus à rien, plus à Elina, plus à la Commission. Je pense que je vais devoir lui payer une bonne bière après ça si j’en sors indemne. Puis je repars à l’assaut….