De l’amour et des amis, les ingrédients d’une vie épanouie─ avec Jack, Vrenn, Carci, Luz & Zah
La soirée prend une tournure mélodramatique, et là, je dois avouer que je n’ai plus aucun mal à me taire. Je ne suis pas certain que raconter les souvenirs d’Elina, celle que Jack aime plus que tout, soit un réel pansement. Pourtant l’effet s’en fait ressentir, et le lourd poids qui affaisse les épaules de Zah semble la quitter un tant soit peu. Luz reste avec elle, bien plus compréhensive que moi sur la douleur de son amie. Je vois Carci, qui comme moi, se mue dans un silence de toute les attentions, nous écoutons les histoires et observons les réactions de Jack. Ce bon Jack dont le sourire de la souffrance perce son visage lorsqu’il regarde une photo ou entend une anecdote. Quel calvaire !
Et nous continuons la soirée, notre hôte toujours aussi attentionné malgré l’heure tragique nous sert un festin. Bien que la situation ne s’y prête pas et que la faim m’a quitté pour l’occasion je me force à manger. Et d’un, ça épongera l’alcool déjà imbibé, de deux … Comment lui refuser le peu de plaisir qu’il lui reste encore de nous avoir à ses côtés ?
Viennent alors les compliments et les étreintes. A commencer par Luz et moi. Je rends son accolade à mon ami dans le silence. Je ne peux pas lui dire qu’il connaîtra l’amour lui aussi, celui que je vis avec ma Douce médecin. Car pour l’heure, son amour est mort. Et j’espère qu’Elina n’était pas la femme de sa vie, que celle-ci l’attend encore quelque part.
Il fait le tour des bras et ses mots sont plus doux les uns que les autres. Carci et K’awill nous accorde une petite pause émotionnelle par leur échange léger, c’est presque un soulagement. L’aventurière nous propose même un jeu après ce moment trop chargé, histoire de relâcher la pression.
- Je ne connais pas, tu m’expliques les règles? Oh oh oh
Maudite potion. Je fais un point d’honneur à ne plus ouvrir la bouche, nous jouons sans grande conviction et très vite le fin de cette soirée s’annonce. Un sentiment partagé m’assaille, partir, fuir cette tragédie, respirer à nous. Rester avec Jack, lui faire oublier, le rassurer. C’est pour cela que nous sommes tous rester, et je sais que rien ne pourra l’aider plus que notre présence actuel. A part peut-être la solitude qui se profile devant les pas qui nous éloignent de lui.code ─ croquelune
Si Zahria comprend l'intention qui était celle de Naëry en sortant cette potion dans la précipitation, elle ne peut s'empêcher de penser que ce n'était vraiment pas celle qu'il fallait et dont avait besoin Jack à ce moment précis. Son discours sur Elina est teinté d'un ridicule qui ferait pouffer n'importe qui, qui pourrait devenir pathétique, mais parce que c'est Jack, est juste attendrissant et finit de briser le coeur de la maître-espion. Elle se tait pendant une bonne partie de ce qui reste de la soirée, notamment pendant le repas, où elle touche à peine à son assiette, seulement ce qu'il faut pour faire plaisir à leur hôte et l'assurer de la qualité certaine de sa cuisine.
Puis Jack commence à faire sa tournée des accolades, et là c'est fini. Zahria sait qu'il se raccroche à ce qu'il trouve beau dans leur présence pour oublier sa peine, mais elle retient un sanglot en repensant à son amie disparue si injustement, et qu'elle n'a pas pu sauver pour la ramener vivante au moustachu. La culpabilité l'assaille, et il faut que leur hôte vienne se placer devant Vrenn et elle pour que sa concentration revienne sur l'instant présent, avant qu'un nouveau poids ne s'écrase lourdement sur ses épaules, celui qu'il décide de faire peser sur le couple qu'il croit qu'ils forment. Alors qu'eux-mêmes n'ont jamais mis de mot sur leur relation, et certainement pas un aussi formel. Elle manque de s'étouffer avec son verre, mais se retient pour ne pas brusquer Jack, tirant un sourire mi-figue mi-raisin en échangeant un regard paniqué avec Vrenn. Pas le moment d'expliquer quoi que ce soit au grand gaillard, de toutes façons. Autant le laisser croire, l'espace d'un instant.
Il boit, ils trinquent, à "eux" - mais qui eux ? - et reboivent. Un jeu commence, Zahria ne se sent pas d'humeur, elle décide plutôt de sortir son violon de son étui et en tirer quelques notes douces tout en chantonnant une mélodie dont elle a oublié les paroles. Au bout de deux ou trois chansons, mécontente de sa musique, épuisée, et voyant que la soirée s'achève, que les uns et les autres se préparent à partir sans trop savoir si c'est le bon moment, elle se lève enfin puis vient vers Jack.
« Je reste dormir ici, Jack, si ça ne te dérange pas. Il paraît que tu as un canapé hors du commun. Et on pourra continuer à picoler toute la nuit, comme ça. »
Hors de question de le laisser seul après tout ça. Et puis, après tout, elle aussi a besoin de sa cuite carabinée. Les autres peuvent partir, elle continuera à boire jusqu'au bout de la nuit avec le moustachu en mal d'amour. Boire pour oublier. Boire pour remplacer les larmes ayant trop coulé.
Boire pour Elina.
Des… Enfants ? Luz s’étrangla brièvement et parvint à masquer sa surprise interloquée sous un ravissant sourire de son cru. Celui qu’elle réservait aux amis très proches et aux personnes diablement sympathiques. Après tout, les paroles de ce bon vieux Jack faisaient réfléchir. C’était dans la mort que l’on s’apercevait de la fragilité des vivants et le destin tragique d’Elina ne manquait pas de projeter sur eux des perspectives autrement différentes que l’existence sans responsabilités qu’ils menaient jusqu’à présent. Lorsqu’ils s’installèrent pour jouer sur les recommandations de Carci, Luz jeta un regard à la dérobé à son tendre Lynx. Il était Aventurier et ne manquait pas de mener quotidiennement des missions plus ou moins dangereuses. Auraient-ils le temps de vieillir ensemble ? L’occasion, même ? Ou une bestiole cornue et esthétiquement peu viable s’arrangerait-elle pour le tuer discrètement loin dans la nature sauvage, là où Luz ne retrouverait jamais son corps ? Elle réalisa qu’ils avaient déjà parcouru ensemble un sacré chemin et que leur relation n’avait cessé d’évoluer. Oui, elle avait finalement peu de peine à envisager un futur commun à ses côtés, et ne rejetait pour une fois pas la possibilité de… Bâtir une famille, un jour, puisque c’était lui et nul autre. Elle tâcha de graver dans son esprit cette infime pensée adoubée par l’alcool et se promit de ne pas l’oublier lorsque la sobriété du lendemain la gagnerait.
Et puis, Zahria se leva et soumit sa proposition à Jack, guère remise du deuil qui faisait des ravages dans son cœur ce soir. Luz, qui bénéficiait d’une intelligence sociale de toute évidence plus fine que celle de Carci et de Naëry - K’awill bien entendu les dominait tous en la matière -, perçu ce que le Maître espion ne disait pas. Elle épousseta donc le tissu de sa robe sur ses cuisses et fit doucement glisser sa main sous le bras de Naëry pour attirer son attention.
Il la dévisagea une longue poignée de secondes et elle se sentit l’obligation d’ajouter pour mieux traduire sa pensée :
Elle rit au regard incongru qu’il lui retourna et se releva cette fois-ci d’une souple détente du canapé.
Elle tourna un regard fortement amusé en direction de son adorable lynx qui s’était fait un devoir d’accompagner chacun des verres pris par ce sympathique Jack.
Elles n’avaient bien sûr jamais parlé de cette soit disant échoppe. Et pour s’assurer que l’Aventurière de génie n’irait pas contrevenir à ses plans par une remarque pleine de sa finesse légendaire, elle s’empara avec une autorité toute féminine de son bras pour l’aider à se diriger vers la porte à la manière de deux meilleures amies. A présent, elle était soudainement pressée de rejoindre son lit. Son lit, ou celui de Naëry, elle n’était pas exigeante. Il était grand temps de voir s’il était possible de tirer quelque chose de satisfaisant de ce petit « oh oh oh », en comité plus réduit… En attendant, rassurée que Zahria reste dormir sur place, elle se tourna vers le maître des lieux et la longue série d’au revoir gênants s’amorça.
Là où la soirée commençait à salement déraper, au-delà de l’annonce de la mort d’Elina, c’est quand Carci et Naëry ont commencé à faire n’importe quoi. Putain, mais y’a des communications du Royaume sur la consommation de drogues étranges, pourtant, ils pourraient faire gaffe, quoi… ça devient franchement gênant, là. Même si c’est pas forcément leur faute, hein, s’entend, m’enfin là, ils en ont trop fait.
T’façon, dans ces cas-là, y’a pas cinquante trucs à faire. On picole, on échange quelques mots, et on espère que le principal intéressé va rapidement s’effondrer dans son fauteuil pour se lever le lendemain avec la casquette en plomb vissée sur le crâne. Qui à recommencer aussi sec, évidemment, jusqu’à ce que tout ça se tasse. En tout cas, j’pense que c’est clairement le plan.
Ça serait juste mieux s’il pouvait arrêter de dire que si pour lui ça n’a pas marché, tout se passera à la perfection pour Zah et moi. C’est pas à nous de porter le fardeau de son plan cul sans cul qui a canné, merde, quoi. Qu’il aille trouver une femme à Trovnik, plutôt. Ou à Gégé. Ou elle était morte aussi ? P’tet de vieillesse, si les rumeurs comme quoi son pouvoir lié à l’alcool le rendrait immortel. Y’a vraiment des améliorations surprenantes, quand on y pense. Lucy réfléchit de façon mystérieuse, indubitablement.
V’là que mes pensées se mettent à suivre des chemins bizarres. Zahria sort le violon, joue des airs un peu triste. Elle aussi, ça la fait déprimer, forcément, même si elle a déjà fait son deuil. Ça m’tue de devoir le faire deux fois, par contre, subir la tristesse de quelqu’un. Elle était même pas sympa, en plus, Elina, ou en tout cas pas avec moi. Même pas un semblant d’apparence de courtoisie, juste pasque j’étais pas dans le camp des gentils à l’époque. Et c’est très relatif, tout ça.
Finalement, Weiss décide qu’il est temps de remballer les gens qui font partie des connaissances un peu lointaines et, avant que Carci puisse dire des conneries, l’attrape et la traîne vers le porte-manteau. Naëry a un peu de mal à sortir de son siège et à se redresser, alors j’pose la main sur son bras pour l’empêcher de se casser la gueule.
Jack se lève vaillamment, et j’sens qu’il va falloir turbiner sec pour finir de le coucher convenablement. Comme Zahria a annoncé qu’elle restait, j’suppose qu’en tant que membre du couple, j’dois aussi. Si on s’contente de picoler sans parler, l’ambiance sera pesante, mais au moins j’aurai pas besoin de faire mine d’en avoir quelque chose à foutre du glaçon du nord.
« Merci d’être venus. Farpi. Naë. Luz.
- Désolé que ça se soit passé comme ça.
- Si besoin, nous venir ! Fait Ka’will. »
Ça se dit au revoir, à la prochaine, ça se souhaite bien du courage et, après avoir piétiné quelques minutes dans l’entrée à se rhabiller, la porte se referme et Jack revient.
« Il doit me rester quelques autres bouteilles. »
On doit tout finir, c’est ça ? Nan, y’en a trop, et la gnôle de la Cité Enfouie tape dur, en prime. Pendant qu’il regarde ses placard, j’descends le contenu de ma gourde fontaine pendant que Zahria me fait les gros yeux.
« J’vais pas me coller une gueule de bois des enfers pasque vous avez décidé de le faire, prends de l’eau sinon demain tu pourras même pas ouvrir les yeux que tu vomiras partout, que j’lui chuchote. »
Après, on peut pas sauver ceux qui veulent pas l’être. Et, manifestement, ils ont décidé de se faire du mal. Mais j’suis beau joueur, alors j’les suis. T’façon, c’est ce qui est attendu de moi, socialement, alors j’fais les gestes. On trinque à la gnôle, au whiskey, avec un rhum aromatisé à la vanille que j’trouve trop sucré. Les cadavres des bières s’agitent un peu au début, puis arrêtent bien vite. Puis, à un moment, plus moyen de savoir si les bouteilles parlent vraiment, sous l’action de l’objet de Jack, ou si j’ai vraiment trop picolé.
Vu comme tout tourne quand j’me lève pour aller pisser, j’ai ma p’tite idée sur la question. Les yeux plissés, j’trouve le chemin des chiottes, et quand j’reviens, ça somnole doucement. J’jauge les bouteilles, mais à part quelques fonds, il reste rien.
« Je vais vous déplier le canapé, propose Jack.
- Bonne idée. »
Difficilement, en s’y mettant à trois cerveaux, on parvient à en faire une couche potable, et j’descends un grand coup de flotte, comme Zahria. Jack refuse, soi-disant par principe. J’pense que c’est pasqu’il a envie d’avoir mal. Ça lui passera, quand il se sera battu quatre ou cinq fois à la sortie des bistrots, j’espère. Et j’espère que ça finira pas mal.
Allongés. Y’a tout qui tangue et qui tourne. Heureusement, la lumière de la rue fait qu’on n’est pas trop désorienté.
« Vrenn, tu dors ? Demande Zahria.
- Pas encore.
- Merci… d’avoir été là. »
J’me tourne pour la regarder, mais elle a l’air de déjà dormir.
Bah putain.