Ce jour-là, Dahlia s'était réveillée la poitrine gonflée d'espoir. Elle avait reçu la veille, de la part de la Commission de la Garde, une assignation un peu différente de celles dont elle avait l'habitude d'écoper : une enquête, portant sur le meurtre d'une femme par empoisonnement, et la disparition du noble Christian Teramyrh. Ce n'était pas tant la teneur de l'investigation qui lui importait, mais le fait que l'on ait, enfin, songé à elle pour réaliser ce type de mission.

En effet, depuis qu'elle officiait à la Garde - il y a deçà un certain nombre d'années maintenant - Dahlia ne s'était pas vue confier beaucoup d'enquêtes. Il faut dire qu'avec son tempérament un tantinet tête brûlée, elle ne présentait pas vraiment les qualités requises pour briller lors de ce type d'opération, où une certaine finesse était plutôt de mise.

On semblait lui avoir enfin laissé sa chance, et elle allait essayer d'en tirer profit. Son objectif ? Mener à bien l'opération, mais sans excès de zèle, bien sûr. Elle n'allait pas s'user à la tâche, alors qu'aucun de ses supérieurs ne l'accompagnerait. Ils relèveraient seulement le résultat, qui se devait d'être concluant, de fait, mais sans entrevoir les moyens ayant conduit à ce dernier.

Elle n'était pas seule, bien entendu, pour élucider cette affaire. Adrian l'accompagnait, s'étant également vu attribuer cette assignation. Ce garde était arrivé récemment à la Caserne, la lune dernière à peine, et Dahlia n'avait pas encore eu l'occasion de faire très amplement sa connaissance, bien qu'ils fussent dans le même logement de fonction. Elle avait déjà pu relever son tempérament calme, qui s'annonçait comme un atout certain, et fondait de grandes espérances en ses compétences d'enquêteur. La réussite de la mission allait résider dans la bonne complémentarité des savoir-faire de leur binôme.

Elle devait présentement le rejoindre aux écuries, où ils s'étaient donnés rendez-vous. Ils devaient en effet apprêter des chevaux pour se rendre au dernier lieu où avait été vu le disparu : son propre Manoir, un peu à l'écart de la ville. En arrivant à l'approche du garde, elle entonna d'un ton enjoué :

« Salutations, Adrian! On se met en selle ? Le Manoir Teramyrh n'est pas à côté, et on a ce bon vieux Christian à retrouver... »

L'écho de sa voix se perdit dans la brume matinale qui stagnait dans l'enceinte de la Caserne. Ce pauvre Christian, allaient-ils seulement le retrouver ? Et démasquer le coupable du meurtre de cette femme, qui avait seulement voulu se rafraîchir le gosier au champagne ? L'important serait de réussir à collecter suffisamment d'éléments pour identifier le potentiel coupable, et les tenants et aboutissants du complot.

« J'espère que tu es rompu à l'art d'enquêter... Pour ma part, je dois avouer que ce n'est pas quelque chose que je maîtrise très bien encore... Mais t'inquiète, j'arriverais certainement à prouver mon utilité dans cette affaire ! »

Elle termina sa tirade sur un sourire à peine contrit. Elle n'osait pas lui dire explicitement qu'avec elle en tant que partenaire de mission, il était tout sauf bien loti.

Encore un jour qui débutait paisiblement à la Caserne. Le soleil berçait la chambrée d'un halo chaleureux et par la fenêtre entr'ouverte, un brin d'air frais se faisait sentir. L'heure était encore très matinale et donc, le calme régnait dans ces lieux d'habitude si bruyant. Adrian prit le temps de savourer quelques minutes cet instant de calme et d'ignorance qui appartenait encore à la nuit. Les yeux encore à demi fermés et l'esprit embrouillé, il se positionna sur ses coudes pour avoir une meilleure vue de sa chambre. Comme à son habitude, il avait expressément demandé à se trouver le plus près de la fenêtre pour des raisons qu'il avait laissé évasives.
La chambre était calme, deux de ses camarades étaient encore assoupis tandis que le troisième venait vraisemblablement de quitter sa couche. Cette information retentit dans la tête d'Adrian comme un son de cloche. C'était la couche de Dahlia qui était vide. Et le jeune homme savait pertinemment pourquoi. Sortant alors de ses rêveries, le garde se sentit submergé par un ensemble d'informations qu'il avait soigneusement choisi d'oublier jusque là. Christian, le meurtre et l'enquête.

En effet, quelques jours plutôt, il avait été assigné au jeune homme sa première enquête. Bien qu'il se soit engagé dans la Garde exactement pour ce genre d'assignation, la perspective de se retrouver livré à lui-même dans ce travail l'inquiétait plus qu'il ne saurait l'admettre. Saurait-il faire preuve d'assez de pragmatisme ? Saurait-il poser les bonnes questions aux bonnes personnes ? Etait-il tout simplement à la hauteur ? Tant de questions qui se bousculaient et qui ne tarderaient pas à trouver réponses, bien qu'il eut préféré retarder au maximum cet échéance.

Dans le coin de la pièce, une petite boule de poils rousse, noire et blanche se déplaça furtivement pour venir se camper sur les genoux de son compagnon. Quelques miaulements brefs avertirent Adrian qu'il était l'heure de manger et donc il sortit de sa sacoche quelques morceaux de poisson séché qu'il donna à la vieille chatte. Ensuite, le jeune homme prit le temps de se préparer correctement et enfila ses habits les plus propres. Il était question de se rendre dans un manoir tout de même, il ne s'agissait pas de se présenter débraillé. Surtout que, s'il avait bien compris qui était sa partenaire il fallait être à la hauteur. Dans le monde de la Garde, le nom de Delancy n'était pas inconnu, loin de là et même Adrian avait connaissance des exploits de cet ancêtre. *Avec de telles origines, elle doit en avoir dans le ventre la Demoiselle* Se dit-il tout en passant le pas de la porte.

Tous deux avaient rendez-vous à l'écurie pour débuter cette mission, aussi, le garde en prit la direction immédiatement, son ombre féline sur les talons.

Arrivé sur place, l'odeur caractéristique des étables emplit les narines du jeune homme. Le foin humide, le crottin fumant, les bêtes transpirantes... C'était comme retourner à la maison. Il esquissa alors un sourire vis à vis de ce souvenir, qui s'estompât immédiatement lorsque le palefrenier lui indiqua les montures qui étaient disponibles aujourd'hui. Il y avait le choix mais son attention se porta particulièrement sur une : un magnifique étalon couleur brune et à la crinière noire qui s'ébrouait d'impatience. Dans son box, l'animal piaffait et ne teait pas en place, on sentait immédiatement le fort caractère qui l'animait. N'ayant jamais grimpé sur autre chose que le mulet de sa famille, le soldat resta un instant émerveillé par tant de puissance puis reporta son attention vers une autre monture à priori plus calme. Cette épreuve serait une première, il fallait mettre un maximum de chance de son coté. Un jour peut-être, s'essayerait-il à plus difficile, mais pas aujourd'hui. Aujourd'hui il monterait une jument qui paraissait dormir debout et dont le pelage grisonnant le réconfortait. *C'est parfait*

Tandis qu'il se félicitait de son choix, une voix retentit dans son dos. Il l'avait déjà entendue dans le dortoir alors il la reconnue immédiatement.

" Bonjour Dahlia ! Oui, je pense que les bêtes sont prêtes, allons-y " Répliqua-t-il avec entrain. Il en faudrait aujourd'hui, ça il n'y avait pas de doutes.

Les craintes de la jeune femme eurent l'effet de miel aux oreilles d'Adrian. Certes, il était toujours intéressant de travailler avec des pairs plus expérimentés ; mais, qu'on se le dise, deux non initiés travaillant ensemble, cela enlevait instantanément un semblant de pression.

" Oh je suis optimiste ! Personnellement, je manque d'expérience dans tous les domaines tu sais ? " Commença-t-il en riant de lui-même " Tu n'es pas tombé sur le plus rôdé des gardes mais, c'est la pratique qui fait la perfection et je suis sûr qu'à deux, nous saurons nous en sortir " Continua-t-il alors, affichant un franc sourire.

*Ou alors, on ne va pas du tout savoir par où commencer et les témoins ne nous prendrons pas au sérieux et on ne retrouvera jamais Christian ni la personne qui a tué cette demoiselle au champagne* Garda-t-il pour lui-même. Il n'était pas question de partager ses inquiétudes pour l'instant. *Fais semblant jusqu'à ce que ce soit vrai* se dit-il tout en empoignant les rennes de sa monture pour la sortir dans la cour.

" Par exemple, je n'ai jamais monté de cheval, seulement un mulet, est-ce vraiment différent ? " demanda-t-il peu sûr de lui à son interlocutrice. " Si tu as des conseils, je suis preneur " Continua-t-il tout en se hissant sur le dos de l'animal qui sortant de son état léthargique, en profita pour se mettre à marcher, déstabilisant ainsi le jeune homme qui retomba sur ses pieds en manquant de perdre l'équilibre. Gêné, de s'afficher ainsi en spectacle, Adrian jeta un coup d'oeil à son auditoire et réessaya une seconde fois avec plus de succès mais toujours aussi peu d'assurance.

" Allez, je te suis, je crois que tu connais le chemin mieux que moi " Conclut-il en se tournant vers Dahlia, toujours incertain de comment se servir des rennes qu'il avait entre les mains. Tsuki quant à elle, décida de prendre place sur une botte de foin chaude de l'écurie. Visiblement, la petite chatte ne se sentait pas non plus à l'aise à l'idée de poser ses pattes sur l'équidé.

La jeune femme était décidément pleine d'assurance ; et certainement forte de beaucoup plus d'expériences que son coéquipier. Tout en ajustant ses étriers tel que le lui avait expliqué Dahlia, Adrian se questionnait sur sa place ici. Ces derniers temps il lui semblait passer plus de temps à discuter avec lui même qu'avec les autres. C'était une habitude qu'il lui fallait quitter. Et plus que ça, il était temps de ne plus se poser de questions. Il était temps de montrer ses preuves. Et c'est décidé que le jeune homme mit en route sa monture.

Le trajet jusqu'au manoir se déroula sans encombres. Manquant tout à fait d'assurance en quittant la caserne, le jeune homme avait été particulièrement attentif aux conseils de la cavalière qui faisait trajet avec lui. Le dos droit, les talons vers le sol... Attention à ne pas regarder le sol mais bien devant soi ! Tant de consignes à suivre et qui rendaient la posture très inconfortable. Mais l'évidence était faite : arrivé aux abords du Manoirs, après plusieurs minutes à chevaucher, le novice n'avait toujours embrassé le sol ce qui constituait une victoire en soi.

L'idée que présenta Dahlia plu énormément à Adrian. Il n'en avait cependant jamais entendu parlé. Un bon et un méchant garde ? Quelle surprenante idée. Contrairement à elle il n'avait pas eu de cours à l'Académie pour connaitre ce genre de stratégie et il était soulagé qu'elle puisse lui transmettre quelques ficelles. Concernant cette stratégie en particulier, le jeune garde ne resta pas dubitatif longtemps. Il le savait bien il n'était pas connu pour être quelqu'un de méchant. Il savait hausser le ton, pour sûr. Mais jouer au méchant...? Il ne pensait pas en être capable.

" Quelle idée ! C'est surprenant mais je te suis." Commença-t-il d'une voix enjouée avant de reprendre de manière plus sérieuse " Je ne pense pas être crédible en tant méchant garde si je dois être honnête ". Il marqua une pause pour sonder la réaction de la demoiselle. Elle semblait très sûre d'elle mais peut-être se sentait-elle plus à l'aise dans ce rôle là également ? " Après si tu ne te sens pas de jouer les méchantes, je peux me débrouiller, il parait que ma voix ressemble à un grondement lorsque je m'énerve " Finit-il par conclure en tournant sa tête vers le Manoir qui s'élevait devant eux.

Jamais de sa vie le jeune homme n'avait vu de pareille bâtisse. Certes les maisonnées de la Capitale avaient déjà un certain standing, mais ce bâtiment dressé en retrait sur un domaine privé se détachait de tout autres. La cour était immense pour commencer. Immense et déserte. Il régnait un air lourd qui rappela à Adrian un sentiment de Mort. *Cela a du secouer tout le monde ici, la mort de Mr Teramyrh* Réalisa le garde. Il avait de la peine pour les proches de l'homme. S'il en avait. En avait-il ? Adrian était sûr de rien, quelques mois plus tôt il n'avait jamais entendu le nom de cet homme. Peut-être était il figure importante mais son nom n'était pas arrivé jusqu'à la campagne. Rien d'étonnant jusque là. La plupart des informations se perdaient en route.

Dans cette cours immense, un homme les attendait. Seul, comme perdu, il observait les deux nouveaux venus d'un regard songeur.

Le schéma facile convenait parfaitement à Adrian. Il n'était pas d'humeur à jouer la comédie outre mesure. Le risque de faire un faux pas était trop grand et il ne souhaitait pas compromettre sa première mission. Néanmoins il fut interpellé par les propos de sa camarade. De l'intimidation ? Le garde n'était pas sûr de vouloir assister à cela.

Lorsque le palefrenier vint s'occuper de leurs montures, le jeune homme ne put s'empêcher de jeter un oeil à l'écurie qui s'ouvrait sur la cour du manoir. Positionné exactement dans le champ de vision du jeune homme, une bête qui ressemblait grandement à un équidé terrifiait les employés qui essayaient de s'en approcher. Un bon mètre soixante dix au garrot, un pelage sombre comme du charbon et non pas des sabots mais des griffes aux pattes : Adrian n'avait jamais vu pareil animal. Néanmoins, la bête lui rappela certaines histoires que lui comptait le vieillard du village à l'époque. " C'est un animal imprévisible le Tsi'ly les enfants, mais un compagnon formidable " Disait-il à qui voulait l'entendre.

L'homme qui les avait accueilli sur le perron incita les deux gardes à entrer dans le manoir. La bâtisse était encore plus fastueuse à l'intérieure qu'à l'extérieur, Adrian en resta bouche bée quelques secondes. Suivant leur hôte jusqu'à un salon bien plus grand que nécessaire, le jeune homme prit le soin de noter tout détail qui aurait pu sortir de l'ordinaire. A part le calme quasi mortel qui régnait en ces lieux, à priori, rien ne sortait de l'ordinaire.

Au début de l'interrogatoire, Dahlia prit la mène. A chaque question qu'elle pouvait poser, Adrian s'attachait à observer les réactions de l'homme. Tout le monde était un suspect potentiel après tout, il ne fallait pas se laisser attendrir. *Aucune descendance ? Une amie régulière ? * Voilà des informations qui interloquèrent le jeune homme au plus haut point et, qui, il en était sûr, devaient piquer la curiosité de sa camarade également.

Lorsque l'homme prit congés pour s'en aller chercher les domestiques évoqués, Adrian en profita pour se pencher vers Dahlia.

" L'avantage c'est que la question des droits de descendance est vite écartée dans cette histoire. C'est très étrange d'ailleurs. Peut-être s'attendait-il à avoir plus de temps pour ... procréer ? Tu crois que ... "

Des bruits de pas vinrent couper Adrian alors qu'il s'apprêtait à demander à la garde ce qu'elle pensait de ces premières informations. Qui aurait pensé que de trouver quelqu'un dans un manoir si grand s'avérerait si rapide. Reprenant alors une position plus avenante dans le fauteuil, le garde observa le nouveau venu. C'était un homme d'âge moyen et qui avait une pilosité faciale particulièrement étonnante. Sa moustache déjà grisonnante était coiffée en un arc de ciel qui descendait jusqu'à la ligne de sa mâchoire et qui donnait à son visage un air particulièrement triste. En observant un peu plus l'homme, Adrian réalisa que ce n'était pas seulement un effet d'optique mais qu'il avait réellement un air misérable qui lui voilait le regard. Etait-ce possible de ressentir tant de peine pour son Maître ? Peut-être était-ce une ruse ?

" Bonjour Monsieur, je suis Adrian et voici Dahlia nous avons quelques questions à vous poser au sujet de la disparition de Mr Teramyrh, vous permettez ? "

" Euh oui, oui b'sûr. C'tragique. Tragique c'qui s'passe. J'ai rien pu faire moi v'savez, il était coriace ce bonhomme. Oh M'sieur Christian j'vous ai failli... J'n'en dors plus... C'tragique.. Terrible j'vous dit. J'espère qu'il va payer le charognard ! Ce fils de ... "

Voyant que l'homme commençait à s'emballer, Adrian se pencha vers lui et prit sa voix la plus douce et calme pour le recentrer vers ce qui les intéressait.

" Monsieur Monsieur, un instant je vous prie. Ne nous emballons pas. Je comprends votre douleur et nous sommes évidemment tout deux sincèrement désolé de ce qu'il vous ait arrivé. Mais, pourriez vous essayer de vous souvenir ce qu'il s'est passé ? Nous sommes là pour vous. "

" Oui, oui s'cusez moi m'sieur l'garde. Moi j'faisais l'tour des chambres comme j'le fais toujours. 20 années qu'j'travaille pour les Teramyrh, 20 ! Pas une bavure, rien. J'l'aimais bien moi M'sieur Teramyrh v'savez... C'terrible "

" Et donc, le couloir...? "

" Ui donc j'faisais ma ronde et là, j'vois une silhouette qu's'ballade. J'ai pas hésité v'z'auriez dû voir ça ! Avec les évènements d'la soirée tou'l'monde était sur les nerfs v'savez ? Oh ça aussi c'terrible... Oh la la... Une si belle Dame. Et gentille en plus ! Rare comme bijou, moi j'vous l'dit ! "

" Et donc la silhouette ...? "

" Oh là oui ! J'suis sûr qu'vou'z'auriez pas fait mieux ! Enfin, sans dire quoiqu'ce soit sur la Garde hein ? Mais j'l'attrape et j'cris ! J'cris ! Comme un bébé qu'on r'tire à sa mère. V'z'avez des gosses vous ? Qu'est-ce qu'ça braille l'marmots alors ! "


D'ordinaire très patient, Adrian ne voyait pas de problème à reprendre l'homme dans ses dires. Il se demandait cependant si sa camarade était du même avis. Jetant un coup d'oeil vers elle, il se demanda à quel moment elle souhaiterait mettre son plan à exécution.

La suite de l'entretien avec le domestique fut quelque peu plus directif. Adrian se surprit à lever un sourcil à plusieurs reprises, tant le ton tranchant de Dahlia le surprenait. C'était loin d'être une fleur fragile la demoiselle, il le voyait bien. Les quelques informations qu'ils parvinrent à extirper de la pipelette intriguèrent le garde. Il avait particulièrement grimacé lorsque l'interrogé avait mentionné le coup vicieux qui lui avait été infligé. Quel homme sain d'esprit se serait abaissé à un coup si bas ? C'était une règle tacite que tout homme normalement constitué respectait et jusque là, Adrian n'avait jamais rencontré d'individus qui y avait manqué.

Tandis que le majordome s'en allait chercher le nouveau témoin, le garde se pencha à nouveau vers sa comparse.

" Je ne connais aucun homme qui s'attaquerai aux parties génitales d'un autre homme. Soit on à affaire à un dégénéré, soit... "

Une fois encore, il laissa sa phrase en suspend et se leva pour accueillir l'enfant qu'on venait de leur présenter. Une sorte de petit béret entre les mains et arborant un visage contrit, l'enfant ne semblait pas du tout à l'aise. Adrian se présenta lui ainsi que sa consoeur et l'invita à s'asseoir en posant une main réconfortante sur son épaule.

" Avant tout, sache que si tu as des choses à dire, nous sommes là pour les écouter mais ton témoignage restera anonyme, tu comprends ce que ça veut dire ? "

Le petit hocha timidement la tête.

" Bien. Tu peux nous dire ce que tu faisais avec Mr Teramyrh dans les appartements ? "

Serrant plus fort son béret, le garçon regarda tout autour de lui et, après avoir arrêté son regard sur le majordome non loin de là, se retourna vers les deux gardes et secoua la tête vigoureusement en signe de non.

Voyant bien que l'environnement n'inspirait pas confiance à l'enfant, Adrian se leva et intima au majordome de les laisser seuls. Après tout, l'anonymat était un droit fondamental et s'il avait des informations sensibles à donner, le petit pouvait tout aussi bien craindre les représailles.

" Nous sommes seuls maintenant, tu n'as rien à craindre "

Pas de réponses.

" Est-ce que tu étais très proche de Mr Teramyrh ? Est-ce qu'il te ... Adrian déglutit de dégoutant avant de poursuivre sa phrase ... Touchait ? " C'était quelque chose d'on ne peut plus normal chez les riches, mais le garde ne supportait pas cette idée.

" Non ! Non vous dites n'importe quoi ! Mr Teramyrh était très gentil avec moi. Il ne me faisait rien, lui. Mais maintenant qu'il est parti... Monsieur et Madame la Garde, je... J'ai peur "

Surpris par tant de fougue, Adrian prit le temps de peser chacun des mots que le petit venait de dire. Pourquoi avait il précisé "lui" ? Et pourquoi avait-il peur ? De qui ?

" Tu ne nous dis pas tout, je me trompes ...? Tu as vu l'agresseur ? Que s'est-il passé ? "

Le garde ne se rendit pas compte qu'il assommait quelque peu le jeune garçon de beaucoup de questions à la fois. Mais quelque chose lui disait qu'ils tenaient là une information très intéressante et il était hors de question de la laisser filer. Se tournant vers Dahlia, qui écoutait patiemment jusque là, il se dit qu'ainsi, la demoiselle semblait particulièrement douce. Sans savoir pourquoi, elle lui rappelait l'animal qu'il avait aperçu plus tôt dans les écuries. Le Tsi'ly aussi était un animal qui pouvait paraitre calme au premier abord. Mais le moindre faux pas, ou le moindre mouvement contre les siens et l'équidé se transformait en féroce combattant. Adrian se demandait si sa consoeur avait le même genre de caractère tempétueux. Après tout, elle portait son costume de "méchante garde" à merveille.

Adrian admirait l'aisance avec laquelle Dahlia intervint dans l'entretien avec le jeune garçon. Encore une fois, elle avait su prendre la main au moment où la méthode douce s'était heurtée à quelques difficultés. Visiblement, on soutirait plus d'informations avec des menaces que des promesses ; c'était un constat qui attristait tout de même le garde.

D'abord, il écouta d'une oreille attentive l'interrogatoire mené par sa collègue. Finalement, le jeune garçon en avait des choses à dires. Mais au fils des échanges, Adrian devint songeur et son oreille devint plus distraite. Les phrases du garçon perdirent tout intérêts et les mots qu'il déversait avec hâte devinrent rapidement des bribes à peine inaudibles. Finalement, le regard du garde regard changea également d'intérêt et finit par se perdre dans la pièce. Ce salon était particulièrement cossu. Des tentures paraient chaque fenêtre et des sortes de drapés reposaient même sur les quelques canapés. Qui pouvait bien avoir l'utilité de temps de tissus ? L'oeil d'Adrian s'arrêta sur l'un des draps qui recouvrait la plus grande des assise, en face de lui. D'une couleur ocre qui brillait presque, le tissus semblait d'une douceur sans pareille, matière chatoyante que les quelques rayons du soleil caressaient suavement en cette fin de matinée.

Suivant du regard cet halo lumineux, Adrian plongea alors par-delà les carreaux des fenêtres et réalisa qu'il avait une vue directe sur les écuries qu'il avait entr'aperçues plus tôt. Soudain éveillé d'un vif intérêt, il se demanda s'il parviendrait à observer l'animal de là où il se tenait. Le Tsi'ly emplissait bel et bien l'esprit du jeune homme. Tant de puissance et de fougue dans un être vivant à l'allure si élégante... Le garde se surprit à s'imaginer chevaucher l'animal. Il rêva un instant à ce mélange de peur et d'excitation mais fut rapidement rappelé à l'ordre par la voix douce et ferme de son amie.

Portant son regard tour à tour sur Dahlia puis sur le jeune domestique, Adrian se sentit terriblement confus : il n'avait aucune idée de ce qu'il s'était dit. Aussi, lorsque sa consoeur lui proposa de terminer l'entretient, il se contenta de remercier le garçon pour sa coopération et le congédia. Il s'agissait de voir tous les témoins avant le début d'après midi de toute façon. Lesdits témoins n'apportèrent néanmoins aucune information complémentaire. Vue de dos, furtive... La cible était visiblement difficile à saisir.

Lorsque les deux gardes prirent congé de leur hôte et des différents domestiques qu'ils avaient interrogé, Adrian sentit tout l'espoir qui les accompagnait. Visiblement, la maisonnée semblait apprécier fortement son Maître ou du moins, elle le prétendait à merveille. Une fois seuls, Adrian avoua avoir manqué d'attention lors du deuxième entretien et demanda quelques détails à Dahlia qui les lui transmis sans commentaires, aucuns, chose qu'apprécia grandement le jeune homme.

Ils poursuivirent leur conversation durant tout le chemin du retour et se mirent d'accord sur le discours à mener auprès de leurs supérieurs. Ce qui était sûr, c'est qu'il était impossible d'effectuer le portrait robot qui était initialement demandé. Tout deux espéraient donc que les hauts gradés seraient compréhensifs.

De retour à la caserne, les deux gardes se rendirent dans leur chambrée et rédigèrent le rapport. Du moins, Dahlia le rédigea puisqu'en effet, l'écriture n'était pas une des cordes les plus maitrisées de l'arc d'Adrian. Enfin, ils se rendirent tout deux au centre des assignations et le donnèrent au soldat qui était de garde : il leur fallait désormais attendre quelques jours pour connaître le verdict de la part de leurs supérieurs.

.: RP Terminé :.