Putain, me retrouver sur les toits avec le mal au bide que je me coltine encore, c’est vraiment dégueulasse. J’ai failli me téléporter sans stress, histoire de pas me faire chier, mais j’rechigne toujours à m’en servir sans raison. Imagine y’a un type qui m’attend en haut avec une grosse épée pour me planter, et qu’à ce moment-là j’peux plus disparaître ? Bon, c’est pas comme si j’avais pas d’autres assurances, j’me l’accorde, mais c’est toujours mieux de garder le plus d’atouts possibles dans la manche.

Là, y’a un voleur qui traîne un peu trop et qu’aurait fauché des trucs à un type important de la Garde. Lieutenant ou quoi. Ça serait moche que ça continue, qu’ils se fassent tous braquer leurs rapports top-secrets, puis ça fait une fuite d’information à laquelle Zahria est vachement sensible en ce moment, avec les histoires de Cabale et tout. Donc faut chopper le gars, savoir ce qu’il sait, pourquoi, et le calmer un bon coup. Voire le calmer directement en taule.

J’ai pris les escaliers jusqu’au dernier étage d’une barraque, puis j’suis monté sur le toit par la trappe. Normalement, il se pointe par ici régulièrement, mais j’suis prêt à faire quelques jours de planque si nécessaire. Ça fait partie du boulot, et j’le faisais déjà avant de retourner ma veste, après tout. Puis c’est l’occasion de se reposer, après tout.

L’ironie cosmique, évidemment, c’est que quand j’arrive sur les toits avec un peu d’avance, j’tombe sur un gars avec une grosse épée. Ah, non, c’est une nana. Du coup, pas la personne que j’cherche, à moins que y’ait une bizarrerie de transformation ou d’illusion ? J’jette un œil à mon talisman d’indépendance, qu’a rien repéré, et à mon détecteur de magie, qui clignote à tout-va, comme d’habitude dans la Capitale. Trop de magie partout, utilisée en permanence, y compris la mienne.

J’écoute la phrase d’une oreille distraite, et j’examine autour, mais y’a rien ni personne, pour le moment. Bon, ça serait mon bonhomme ? Nan, ça cherche aussi.

« Nan, nan, tu fais erreur, j’cherche le voleur aussi. Ça fait longtemps que t’es là ? Que tu le cherches ? T’as des informations sur lui ? »

Vu la taille de l’épée, y’a clairement quelque chose à compenser, si on me demande mon avis, mais j’en parle pas. Déjà pasque j’ai pas envie de me battre pour le moment, et ensuite pasque j’ai autre chose à foutre. Puis, franchement, si je devais faire la remarque à chaque aventurier que j’croise, j’m’en sortirais pas, après tout. C’est plutôt les mecs, cela dit, d’habitude, qu’ont ça, d’où l’idée de compensation.

Puis j’me dis qu’on est quand même vachement voyant, sur le toit, à se découper contre l’horizon. Jamais le vrai voleur passerait par ici, si c’était pas elle.

« Tiens, on se met dans un coin, là, derrière la cheminée. »

J’lui tourne le dos pour montrer que j’ai pas peur et rien à cacher, mais mon pouvoir magique est prêt à s’activer avec tout le florilège : oubli partiel, téléportation, invisibilité… Bref, ce qu’il faut pour survivre. Pasque j’ai aucune envie de courir pour le moment. Puis j’avise la ‘teille de rouge.

« Attends, t’es là pour le voleur ou pour te murger en paix ? »

Nan mais on s’en fout, en fait, faut que j’me concentre si j’veux pas y passer des lustres.

« Enfin bref, moi c’est Vrenn. Viens te planquer, il devrait pas tarder. Qu’est-ce que tu fous là ? »

J’déteste quand des amateurs viennent me compliquer le turbin.

Sa compagnie, c’est la bouteille de pinard ? Faudrait que je lui présente Gégé, ils s’entendraient à merveille, avec une p’tite caisse et l’alambic dans un coin de la pièce. Tout ce qu’il faut pour être heureux, dirait l’Examinateur. J’me demande bien qui elle attendait, tiens, sur les toits. Probablement un rencard amoureux, encore que ça explique pas pourquoi elle aurait sorti son épée aussi brusquement, dans ce cas… Ouais, nan, ça doit vraiment être le voleur, j’suppose. C’est juste bizarre de se pinter avant de devoir capturer quelqu’un, mais chacun ses méthodes, je juge pas.

« Aimèmepée ? D’acc. »

Bizarre, comme nom. Y’a p’tet un jeu de mot avec le nom de famille, que ses parents ont fait. Ou c’est des initiales, va savoir. Ou encore un surnom. Mets-la Moi Profond, par exemple ? Ca paraît pas si improbable, en la regardant avec son litron de rouge. Et j’me dis que j’dois être diablement intimidant, pour qu’elle oscille entre le tutoiement et le vouvoiement. J’ai toujours su que j’avais la classe, après tout, non ? Peut-être.

« Hésite pas à me tutoyer, on est sur un toit avec une ‘teille de rouge, hein… »

Bon, la bonne nouvelle, c’est qu’elle cherche le même gars que moi. On devrait pas trop se marcher sur les pieds, si elle veut récupérer des bijoux de famille, et que moi j’veux juste arrêter le bonhomme et récupérer les papelards qu’il aura volé chez mon officier de la Garde. Et merde, quoi, d’où il s’est fait voler des trucs, aussi, ce naze. Résultat, j’me retrouve à faire le guignol ici alors que j’ai sacrément autre chose à faire.

« D’ailleurs, tu partagerais ? »

Pas qu’il a l’air bon, mais on discute, on discute, et ça assèche la bouche, hein.

« En tout cas, ouais, j’suis là aussi pour le voleur. Il a aussi piqué des conneries à un pote, donc j’m’y colle. Les détails du quoi, c’est pas bien important. Et j’m’en fiche pas mal qu’il arrive à rouler des galoches sous la lumière des étoiles, ou qu’il soit un séducteur hors pair. »

Ben ouais, grand bien lui fasse.

« Nan, j’y connais que dalle, aux étoiles. C’est pratique la nuit quand on veut se déplacer, moins pratique quand y’a besoin d’être discret, mais au-delà de ça… J’suis incapable de m’orienter avec, alors repérer les constellations, putain… J’ai déjà vu des dessins, des truc dessinés pour faire ressortir les formes spéciales, genre la constellation du glooby, du fenrir, et tout, mais j’ai jamais compris la logique. J’ai l’impression que tu peux dessiner des traits comme tu veux pour faire une forme, et que ça fait pas forcément toujours la même bestiole, tu vois ce que j’veux dire ? »

Son interprétation est pas déconnante. J’veux dire, elle suppose quand même de croire à Lucy, et j’peux pas dire que ce soit vachement mon cas, on va pas se mentir, mais quitte à en fournir une, autant qu’elle soit un peu marrante, pas vrai ? J’veux dire, on s’emmerde déjà assez sur cette terre pour pas en plus s’imaginer des trucs tristes là où on peut pas avoir de réponse.

« J’avais un pote qui disait que c’était des très très grosses lucioles qu’on aurait piquées sur la grande toile bleu foncée, noire, du fond du ciel. J’me demande, moi, si ça serait pas plutôt de gigantesques boules de gaz qui brûleraient en continu à une distance incroyable, que a lumière mettrait des années à parcourir. C’est con, hein ? »

Bon, d’un autre côté, on a du temps à tuer avant l’arrivée de notre victime désignée, qui sera p’tet même en charmante compagnie. Ça lui gâcherait un peu son rencard, à la donzelle, mais elle avait qu’à choisir un autre mauvais garçon.

« Tu fais quoi, toi, quand t’as pas des voleurs à traquer sur les toits avec une bouteille de piquette ? »

Au moins, on s’occupe, les yeux braqués sur le vasistas par lequel il doit jaillir.

Au moins, elle partage, c’est bonne ambiance. Puis, finalement, si le gars se pointe pas, j’aurai pas totalement perdu ma soirée : y’a pas de mal à se reposer un petit peu, de temps en temps. Même que c’est le toubib qui m’a dit que ça serait mieux, avec ma blessure, pendant quelques temps. Bon, l’a aussi dit de pas picoler comme un connard, mais, hé, on fait ce qu’on peut. Puis si j’suis trop obéissant, j’choppe de l’urticaire et des ulcères, après, ça reviendrait juste à m’arrêter encore plus longtemps. Donc autant que j’sois détendu.

« Vrai que les lucioles, c’est moins débile que les gaz, encore que si on reprend ta théorie, ça pourrait être ceux de Lucy, ou d’une gigantesque bestiole noire qu’on voit pas sur le fond du ciel, à aller par là. M’enfin, aucun sens pour aucun sens… »

J’avise qu’elle a remis la bouteille au milieu. J’attends un peu avant de reprendre une lampée, quand même, pasque c’est de la piquette et que ça m’assèche vachement.

« Bah, après, rendre service, c’est pas un mal, tant que y’a paiement. J’ai bossé un peu dans le même genre. »

Quand j’étais criminel. Là, j’prends une gorgée, à trinquer intérieurement au temps passé.

« C’est toujours le cas, d’ailleurs, vu que j’fais aventurier. C’est juste que la Guilde joue le rôle d’intermédiaire. Du coup, tu fais ça pour passer le temps et les soirées, j’suppose, mais en ce qui concerne le paiement des trucs style la bouffe et le toit, ça se passe comment ? Tu te fais payer par menus services aussi ? »

J’dis ça avec un sourire en coin, pasqu’à mon avis, à voir la grosse épée et le côté mercenaire, y’a pas besoin d’aller bien loin pour supposer qu’elle est aventurière aussi. Dommage, j’suis plus examinateur, j’pourrai pas aller fouiller dans les dossiers histoire de me taper une bonne poilade, si c’est le cas. Enfin, j’pourrais demander à Jack, mais c’est p’tet pas le moment de le distraire avec des conneries, vu qu’il est assez triste… Sale histoire.

« Pieux, hein ? Nan, pas trop mon rayon, la foi et la piété. J’laisse ça aux professionnels, j’voudrais pas leur voler leur travail, ça serait pas très sympa. Et Lucy vit sa vie, si tant est qu’elle existe, tant qu’elle me laisse vivre la mienne peinard. »

Malfrat, par contre, c’est vache, j’suis repenti, moi, non mais… Cela dit, ça fera marrer Zahria, si je lui raconte, donc j’me note ça dans un coin de la tête.

« Nan, nan, j’suis pas un criminel du tout. »

Enfin, plus.

« Aventurier, comme j’disais. Du coup, uniquement du légal. La barbe, c’est pratique pour aller dans la forêt, les ronces, tout ça, ça évite de s’esquinter les joues. Puis j’ai l’air d’un poupon, sans. Franchement, associer ça au milieu de la pègre, quelle indignité… »

Voilà que j’m’anime dans mon propre mensonge.

« Evidemment, j’suis bien forcé de tailler et raser quand j’vais dans des endroits très chauds, genre le cœur d’un volcan, sinon elle risque de prendre feu. Mais pour aller en classe de neige ou classe verte, c’est quand même le mieux. Après, visiblement, tu vas pas pouvoir faire ça… Mais ils font des très beaux foulards, pour le bas du visage, si tu veux. Y’a un marchand pas loin de la porte nord, tarifs concurrentiels, travail soigné… »

Est-ce que ce marchand existe ? Franchement, j’en ai pas la moindre idée. Mais j’suis distrait de mon laïus inventé par le bruit de la fenêtre qu’on surveille plus ou moins vaguement. Est-ce que ça serait notre coco ? Ça serait bien. Si on voit effectivement une tête blonde s’extirper de l’appartement en-dessous, c’est manifestement celle d’une femme. On attend avec impatience pour voir s’il s’agit de la conquête du soir de notre voleur de cœur, mais elle se contente de fermer derrière elle, et de nous adresser un signe de la main avant de continuer sa route.

Avant qu’elle s’éloigne trop, j’cligne des yeux.

« Excusez-moi, vous avez pas croisé quelqu’un sur le chemin ? Un gars blond et imberbe ?
- Hein ? Oh, non, personne. Vous attendez quelqu’un ?
- Ouais, on fait pique-nique, il devait amener à bouffer, mais du coup on a juste à boire…
- Ah, mince. J’espère qu’il tardera pas trop. Vous regardez les étoiles ?
- C’est ça.
- Bon, bonne soirée alors.
- Merci, vous aussi. »

Surréaliste.

« J’en sais rien, où elle va, cette conne. On est sûr qu’on cherche un mec, et pas une nana ? Et que son pouvoir c’est pas une connerie genre changer de sexe ? Pasque si c’est le cas, il vient de nous rouler assez salement dans la farine, pour ce qu’on en sait. »

Y’a toujours des pouvoirs loufoques avec des applications qui n’ont quasiment aucun sens, en plus, donc ça paraît même pas si impossible. Ou simplement un changement d’apparence, ou des illusions… Mais mon détecteur n’a repéré aucune magie, d’un autre côté… Après, une métamorphose, la magie a déjà eu lieu, non ? Donc y’a pas de raison que ça l’active… Raaah, quelle saloperie. Enfin, tant pis, si c’est elle-lui, elle est déjà partie, donc on va pas lui courir après maintenant.

« Des fêtes sur les toits, y’en a toujours, non ? C’est la nouvelle mode, là, avec les bars rouffe-taupe. Comme l’animal, tu sais. Qui creuse des trous dans le ciel. Mais vrai qu’on pourrait nous inviter davantage… »

Des p’tites sauteries sur les toits, j’en ai fait un paquet, dans toutes les années de criminel. Les gardes y montent pas facilement, à part pour sauver le chat de mémé, alors forcément, c’est un bon coin pour être tranquille, et c’est rarement illégal.

Enfin, sauf si on les fait sur des toits sur lesquels on est pas censé être. M’rappelle d’une fois sur le toit de la Caserne… Putain ce qu’on s’était marré, même si on avait failli se faire chopper. C’était y’a quoi ? Vingt piges au moins. Les Gardes fêtaient un truc et se pintaient salement à l’intérieur, d’ailleurs.

« Ouais, c’est ça aussi, Aventurier, vaut mieux faire des missions bidons que d’aller canner contre un monstre immortel… »

C’est à toi que j’pense, le crocotaupe. Si j’avais pas été forcé par la Couronne, jamais j’serais allé explorer cette saloperie de Citadelle des Tréfonds, après tout. J’me passe machinalement la main sur le bide, là où j’me suis ouvert.

« Crois-en mon expérience d’aventurier aguerri… »

Même pas un mensonge, tiens.

« … mieux vaut sauver le chat de la mère Michelle qu’affronter une armée de gévaudans dirigés par un fenrir. »

Après, c’est sûr, la paye est pas la même dans les deux cas, mais à quoi bon avoir des pépettes si c’est pour les avoir dans l’estomac d’un monstre ? Y’a pas de distributeur là-bas, hein. Ni de bistrot, de restau, bref, des endroits où on peut dépenser la thune durement gagnée.

J’lâche un soupir quand elle s’entête avec son impression que j’suis pas de la Guilde. Et j’sors ma plaque d’aventurier.

« Contente ? T’sais, y’a pleins de gens à la Guilde que tu verras pas, qui y sont quasiment jamais. Entre ceux qui font ça en p’tit boulot d’appoint, ceux qui prennent les missions dans lesquelles tu passes ton temps à voyager par monts et par vaux, et pour finir ceux qui se contentent d’un passage éclair avant de repartir, la plupart des gens te laisseront aucun souvenir… »

Puis avec mon pouvoir, justement, les souvenirs, c’est pile ce qu’il reste pas aux types quand j’suis parti. Juste un papelard avec mon blaze.

« Il reste du pinard ? Sinon j’dois avoir un truc dans mon sac sans fond. »

Genre, ce petit alcool de la Cité Enfouie, à s’en déchausser les mâchoires.

Mais on est distrait de ces considérations toutes gastronomiques par un nouveau claquement de la fenêtre. Allons donc, à quoi on va avoir droit, cette fois ?

Bordel, j’voudrais bien faire des arrestations plus souvent comme ça. C’est de la mission comme on voudrait en avoir tous les jours, le gars t’apporte à bouffer, une gonzesse, et encore un peu et il se ligotait lui-même, tiens. Ah ça, on m’avait vendu un loup, j’suis tombé sur un agneau. Même plus facile que de voler sa sucette à un enfant, dis donc. Et oui, pour référence, j’ai déjà essayé.

J’m’assure donc que notre livreur puisse pas s’enfuir en l’attachant solidement avec ma corde, celle que j’ai toujours avec moi, et j’me frotte les mains avec l’impression du devoir accompli. Plus qu’à vérifier les objets volés, et ramener le gros lourdaud à la Garde, après avoir prélevé ce qui intéresse la patronne au premier chef, à savoir les papiers de l’autre naze.

J’attrape au vol l’apéro, malgré la demi-bouteille enquillée en attendant, et j’le jette dans ma bouche. Hm, croustillant à l’extérieur, juteux à l’intérieur, voilà des gloots comme je les aime : morts. Jamais pu blairer cet animal, dis donc. Probablement pasqu’il oublie tout le monde, et que ça me rappelle que tout le monde m’oublie. Une vraie saloperie.

Enfin, maintenant, c’est plus pareil.

Tout s’trouve effectivement dans la pièce du dessous, et j’laisse ma copine ramasser ce dont elle a besoin une fois que j’me suis servi. J’ai p’tet prélevé un peu plus, mais c’est pour payer les frais professionnels, hein ? Ouais.

Et on s’retrouve à nouveau sur le toit, avec un panier à pique-nique rempli de bouffe, d’apéro, et d’alcool.

« Hé, t’es pressée ? Nan, pasque ça serait du gâchis, tu crois pas ? »

Clairement. Il s’est donné la peine de nous apporter tout ça, en plus de ça personne qui gesticule dans un coin du toit, avec un bâillon sur la bouche, pendant que j’m’installe sur l’endroit-même où il comptait probablement séduire la démoiselle, qu’on a déposée au bas de l’immeuble. Elle peut bien appeler la Garde, d’ailleurs, mais m’est avis qu’elle en fera rien.

J’ouvre le panier et, à défaut de revoir une des bouchées au gloot, j’repère deux brochettes de coq de léral. Pas de raison de se priver, surtout qu’elles sont encore fumantes. J’en tends une à la collègue, et j’commence à attaquer la seconde.

« L’alcoolisme, hein ? C’est un passe-temps comme un autre, mais j’ai du mal à accepter les trucs qui t’esquintent la santé au point de plus savoir se défendre. Un peu trop dangereux à mon goût, dans notre métier, non ? »

Ben ouais, si on n’y voit plus rien, qu’on peut plus courir sans avoir mal au foie, le jour où t’as le crocotaupe au cul, ben… Vaut mieux avoir un bel appât. Putain d’regrets.

« J’avoue que les avantages de changer de sexe, j’aurais pas dit ça. J’aurais dit un mélange de pisser debout, et de se faire payer des coups. Mais bon, j’suppose que ça se vaut aussi. »

J’jette le bâtonnet de la brochette sur le voleur.

« Ta gueule, toi. D’ailleurs, c’est étonamment innocent, comme manière de considérer la chose. M’est avis que la personne qu’a ce pouvoir, elle se fait surtout passer dessus par des gens des deux sexes suivant ce qui les arrange, et ce qu’elle a envie de ressentir. »

Oh, une Dead Glooby Club, en bouteille. Celle-là, elle est pour moi, de bière.

« Ah ben c’est sûr, mais quand on en arrive à trouver son courage dans la piquette, c’est déjà signe qu’il faut p’tet bien changer de carrière, à mon avis… Genre serveur, barman, couturier… Un truc civil, quoi, pas aller dézinguer des monstres et arrêter des hors-la-loi. Encore que j’ai connu un paquet de gardes qu’avaient besoin de ça pour se décider à aller patrouiller. »

J’me pose quelques secondes pour mâcher la fin de ma brochette.

« Cela dit, la Garde, c’est quand même un monde à part, faut bien l’avouer. »

Et c’est autant le cas quand j’y étais extérieur et que j’les fuyais, que maintenant que j’suis plus ou moins dedans. Comme tous les environnements, on pourrait dire, mais leur esprit de corps est vraiment bizarre, avec leur ensemble de règles débiles, de codes, et le taf naze qu’ils font… J’me demande bien comment on peut vouloir s’engager à patrouiller les rues la nuit. Qu’est-ce qui passe dans la tête des gars ? M’est avis qu’ils se voyaient tous capitaines un jour, sur un cheval blanc qui se cabre sur fond de soleil couchant, à sauver la reine ou la princesse, suivant s’ils les aiment matures ou innocentes.

Pour finir par marcher dans la rue avec un sifflet. Sale histoire.

Oh, des rillettes de shalupin. J’en tartine allègrement une tranche de pain de campagne. C’est ce bon vieux Blood qu’aurait les boules, s’il savait. Il cannerait p’tet d’apoplexie, tiens, de voir ces bestioles qu’il adore tant sous forme d’apéritif. Et ben elles sont délicieuses. Le voleur a bon goût, en tout cas, il achète pas de la merde quand il s’agit de voler le cœur des demoiselles. Ou qu’il vole, pour ce que j’en sais.

« Ouais, chacun ses goûts en amour. J’ai pas de préférences, personnellement, mais j’peux comprendre qu’on se sente plus à l’aise ou mieux avec l’un ou autre. L’avantage, c’est que j’me ferme pas d’portes, de ce que disent les copains ou les copines. Le désavantage, c’est qu’il faut faire davantage de choix, et pas s’planter, m’enfin ça, c’est comme tout, hé. »

Enorme, l’histoire du gars qu’était élastique, tiens. Ça devait ouvrir pas mal de possibilités. J’me creuse la tête. C’est sûr que j’en ai entendu d’autres, des anecdotes du même genre. J’me donne le temps de la réflexion en fouillant le panier, pour sortir un bocal avec une belle étiquette.

« Putain, regarde ça ! Du Yirmak nourri au Lhumi Nœud ! Monsieur se refuse rien, hein ? »

Le Yirmak, y’en a pas des masses, mais c’est des bêtes de trait qui viennent à la base des montagnes et qui se nourrissent de bois et d’écorce. Et le Lhumi, c’est l’arbre qui fait des globes lumineux qu’on peut manger en accompagnement ou utiliser pour la Lumineers. Donc on fait bouffer ça au Yirmak, ravi, avant de le faire passer à la casserole. Dans le bocal, on a un genre de tartare, de la viande hachée super parfumée.

« Ça va être une tuerie, tu vas voir. »

Et, effectivement, ça fait longtemps que j’ai pas mangé un truc aussi bon.

« Pour revenir aux pouvoirs marrants… Y’avait un gars qui pouvait manipuler l’eau. Et du coup, il pouvait s’en servir pour caresser ses copines ou même aller au charbon, si tu vois c’que j’veux dire. L’avantage, c’est que du coup ça restait humide. Mais dans un cours d’eau, ça devait donner des frissons. Paraît qu’il s’est fait jeter des thermes, pasqu’il aurait un peu abusé, là-bas, à vouloir ‘’rendre service’’ aux gens présents. »

Le gars, son pouvoir lui était monté à la tête, j’sais pas. Il a dû croire qu’il était un genre d’émissaire de Lucy venu donner du plaisir aux inconnus. Ça a dû leur faire tout drôle, de sentir Lucy dans eux alors qu’ils avaient rien demandé, tiens.

« Sinon, y’a ce type que tout le monde oublie. Du coup, toutes ses fois sont ses premières fois avec les gens, pour eux. Donc il peut repérer à force les trucs qui marchent sur une personne, et passer pour un bon coup alors qu’il a été naze pendant une semaine avant. Mais c’est bizarre cette histoire, pasque si on l’oublie, j’vois pas comment j’pourrais connaître cette rumeur… Du coup, c’est p’tet juste inventé. »

Ou pas, ça sent le vécu, hein ? On peut bien rigoler un peu.

La garde, un monde à part ? A vrai dire je n’y connaissais pas grand chose de ce qu’il se passait la bas, n’ayant pas des tonnes de contacts sur place. Après tout, on était pas trop du même monde.. Je ne me voyais pas la bas de toute façon, c’était pas trop mon style de vie. Mais bon, il en fallait bien pour tous les goûts ! S’ils n'étaient pas là, peut-être que l’ordre public ne tiendrait pas une seule seconde et que la populace mettrait fin au règne de notre roi et “créerait une diplomatie “? J’avais lu ca dans un livre fantastique. Qu’elle drôle d’idée d'élire des gens et de faire voter le peuple. Imaginatif !

“- Ah ca ! .. Je me demande bien ce qui les motive pour s’engager.. Peut-être est-ce l’espoir de prendre un jour le thé avec notre Reine qui les motive ? Faut dire qu’elle a du chien quand même !”

Après ils avaient beau venir tapper à sa porte, la reine avait la réputation d’être sacrément fidèle à son roi. Et tant mieux dans le fond, bonjour l’image dans la presse à scandale “La Reine, surprise avec le 15e garde, récit d'un nyctalope qui à assister à la scène” , “Une nuit dorgie au palais?!”, “Mais qui était cet homme en scooter volant s’échappant du palais?”... Je pris une lampée d’alcool directement à la bouteille que j’avais en main en écoutant l’histoire de Vrenn, manquant de m'étouffer lorsque celui-ci me parla d'Aqua-man.

“- Mais nooon tu le connais ? Un grand barbu, avec des cheveux long noir comme la nuit et ondulés, carrure de boxeur, l’air un peu sauvage et des Dote-Raki .. ? Il s’fait appeler Aqua-man le gars ! Enfin, si on parle du même car le mien il est enfermé dans la prison de fou de Aze-Ruban avec l’autre folle de Belle Trick Lastranche…”

Le monde est petit tiens… Arquant un sourcil, mon regard s’attarda sur le fameux plat de Yirmak que l’aventurier me tendait. Sa théorie folle sur cet homme que tout le monde oublie était intéressante..

“- Ce pouvoir m’aurait tellement servi ! Bon dieu j’espère qu’il en profite bien parce que c’est une chance ! Si on pouvait oublier toutes les conneries que j’ai pu faire comme ça aha Ca peut aider pour le travail aussi, imagine tu fais des missions et hop tout le monde t’oublies après coup ? Bien que, pour la guilde qui a zappé que le gars part en mission ou je sais pas, le bailleur qui loue une maison ca doit être compliqué…” Je me mis à rire “Imagine si le gars se marie, tu crois au moins que sa nenette s’en souviendra du mariage ? J’en rigole mais en vrai ca doit être l’enfer pour le gars si il est hyper sociable”

Enfin c’était drôle, mais pour ce pauvre gars pas forcément en fait. Hochant la tête, j'observe attentivement le met dont avait parlé Vrenn. Je connaissais le Yirmak, mon cher Yves Remord, grand chef culinaire en avait déjà fait mention dans l’un de ses bouquins, mais je n’avais pas eu la chance de tester encore. J’attendis que l’aventurier me tende le plat pour y goûter également. Un morceau dans le bec, je me retournais vers notre voleur bâillonné.

“- Saint couillebeau.. C’est vrai que c’est bon ton truc mon ptit gars ! Tu dois choper du tonner ici avec ton panier. Si y’a bien un truc que t’as pas loupé dans ta vie c’est bien ça !”

En guise de réponse, il remua en gueulant quelque chose d’incompréhensible à travers son bâillon.

“Tais toi les vieux dorment peut-être à cette heure ci !”

Zieutant dans le panier, j'aperçois ce qui s’apparente au dessert et sorti le petit plat. Des petits gateau chocolat/lucol. J’en pris une bouchée, appréciant la saveur du lucol qui prenait le dessus.

“- Eh bien mon cochon, il voulait vraiment battre le velours ce soir lui. Par tous les moyens. Je crois qu’en plus de stopper un voleur on à sauver une jeune femme d'une sombre histoire sans lendemain !”

Trop ivre pour dire stop surement, on avait probablement sauvé sa pureté à l’autre noeunoeud.

Quand elle se met à parler de la reine, j’me pose sérieusement la question. J’l’ai vue, comme tout le monde, pendant les festivals, les célébrations, les promenades surveillées dans les rues de notre belle Capitale. Vrai qu’elle est pas mal, c’est sûrement un mélange des gènes et de la vie confortable au Palais, ça. ‘Sûr que c’est plus facile d’avoir le teint frais quand t’as une armada de bonniches pour s’occuper de toi et que la plus grosse épreuve de ta journée, c’est soulever ton cul de ton lit à ton bureau.

« Ouais, elle est plutôt pas mal, j’suppose. Mais, j’sais pas, y’a toujours eu un truc que j’ai jamais trop aimé chez elle… J’saurais pas trop dire, p’tet un côté trop sculptural ? A choisir, maintenant qu’elle a grandi, j’dirais plutôt la princesse. Trop jeune, encore, elle pourrait être ma fille, j’crois bien, mais visuellement, tu vois ? Elle fait moins policée, plus spontanée, même si ça vient probablement de la différence d’âge avec sa mère. »

J’ricane quand elle parle d’Aqua-man. Et j’fous la main dans le sac qu’on a pour en tirer une bière. C’est que le baluchon est bien rempli, mademoiselle aurait roulé directement sur le dos pour laisser notre voleur lui faire son affaire.

« Ouais, c’était bien lui. Il avait pas mal défrayé la chronique à l’époque, faut dire. Entre les utilisations… érotiques de son pouvoir, et celles qu’étaient carrément criminelles, il a joué sur tous les fronts. M’étonne pas qu’il ait fini au trou avec l’autre folle. Après, la question de savoir lequel des deux est le plus frappé… Tant qu’ils restent où ils sont, c’est assez secondaire. »

J’ai un sourire un peu jaune qui touche pas mes yeux quand MMP se met à parler de mon pouvoir. Oui, c’est sûr, les avantages, on les connaît, j’en ai joué aussi. Mais il faut toujours un temps fou aux gens pour commencer à imaginer les inconvénients. Genre la nénette, encore que j’ai pas cet écueil actuellement, eu égard aux circonstances particulières qu’ont fait de moi un espion… Et si j’veux qu’on se souvienne, je peux toujours porter mes menottes antimagie, comme avec Grassim. Enfin, ça me rend tellement démuni, j’ai l’impression d’être un écolier dont on pourrait voler le cartable après les cours sans le moindre effort…

« Ouais, avec un pouvoir pareil, vaut mieux carrément être un ermite et partir élever des chèvres dans le Lard-Zack, à mon avis. D’ailleurs, c’est p’tet ce qui se fait, vu que personne se souvient jamais de ce coin et des gens qui y vivent… survivent, plutôt. Quand même, putain, y’a bien des coins qu’intéressent personne, même dans ce beau royaume qu’est le nôtre. »

Beau royaume, mes couilles. J’tapote ma sacoche pour les documents du gradé que j’ai récupérés. Y’a quand même une criminalité non-négligeable, à laquelle la Garde essaie vaguement de mettre un terme, mais ils sont pas suffisamment équipés pour faire face à la diversité des situations possibles dues aux différents pouvoirs. Rien que le mien, c’est une plaie, mais probablement qu’il aurait fallu le dépister au plus tôt et me coller des menottes à vie « pour me rendre service » ou me recruter directement pour pas que je faute.

Enfin, paye la dictature, dans ce cas, aussi.

On va se mettre à attaquer le dessert, et force est de constater qu’il reste plus grand-chose dans la mallette. C’est que ça fait un moment qu’on est là, l’alcool commence à bien taper malgré le pique-nique, et j’secoue la tête en signe de dénégation.

« Pour ce qu’on en sait, c’est elle qui lui a mis le grappin dessus. Parfois, c’est dans ce sens que ça se passe, après tout, et p’tet qu’il s’est senti pousser des ailes et qu’il a claqué un max de cristaux pour tous les apéros qu’on gobe depuis tout à l’heure, alors que le vrai dessert, c’est lui et qu’il s’en était pas rendu compte. Faut pas prétexter l’innocence naïve chez toute les jeunes femmes, y’en a qui sont assez décidées, contrairement à ce que les apparences laissent penser. »

Ouais, y’en a.

M’enfin, en tant que mec, j’aurais mauvaise grâce de m’en plaindre.

J’avale une bouchée du dessert chocolat-lucol, puis j’le pose à côté.

« Tiens, finis, si tu veux, j’suis pas très sucré. »

Ohlala, le grand couplet sur la destinée et les objectifs. J’en ai déjà les yeux qui piquent de sommeil. Faut croire que les gens arrivent pas à assumer qu’on est sur Aryon par hasard, qu’on fait des trucs, et qu’à la fin on canne, hein ? Et qu’il ne restera rien, tout est vécu en vain, on peut partir tard, on peut partir demain, on peut boire de l’eau, on peut boire du vin, hein, comme le dit la chanson.

J’lui coule un regard en coin quand elle reparle de mon pouvoir et de ce qu’il permet de faire, et de la rencontre de la destinée qui sauve la mise. Attends… c’est possible que ce soit une espionne envoyée par Zahria ou quoi ? Nan, nan, ou alors elle m’a complètement bluffé, pasque quand même, on dirait pas le couteau le plus affûté du tiroir, là, si ? J’me refais la soirée en accéléré, d’aussi bien que j’me souvienne avec tout ce qu’on a descendu et la digestion qui fonctionne à plein régime, mais le doute subsiste… Jusqu’au blabla sur la meute de gloobies en rut.

« La plus sensée en plusieurs jours ? Ha. J’veux pas casser l’ambiance, mais si on a tous un destin, à quoi servent nos choix et pas juste s’allonger par terre et attendre que ça se passe ? Si on est destiné, tout se passera bien quand même, nan ? Et ça serait quoi, toi, ton destin, à part mourir d’alcool en faisant des missions débiles ? C’est vraiment ça, la raison d’être sur ce monde que tu t’imagines ? Pasqu’à ce compte-là, autant imaginer plus grandiloquent. »

J’éclate d’un rire bon enfant.

« Bof, pour avoir des soucis avec la gente féminine… »

Des problèmes de facturation, ça compte ? Nan mais au-delà de ça, sinon, franchement… ça fait certaines histoires cocasses, des expériences incongrues, mais le tout reste très commercial et professionnel, y compris quand trois gorilles débarquent dans la piaule pour te faire passer le goût de l’originalité avant de te balancer manu militari par la porte d’entrée, devant tous les clients, et en t’assurant que plus jamais tu pourras remettre les pieds ici.

J’suis revenu la semaine d’après, au calme.

« Un digestif ? J’ dois avoir ça sous la main, attends, dans mon sac sans fond… Voilà ! Tu vois cette gourde à l’aspect un peu moche et antique qu’on dirait pas de chez nous ? C’est une des précieuses reliques de la Cité Enfouie ! Et ouais ! Tu mettais en doute mes histoires d’aventurier, ben sache que j’faisais partie de l’expédition partie explorer les tréfonds ! Alors respecte un peu les aventuriers expérimentés, petite. »

J’termine ma tirade avec un ton de grand-père sûr de lui.

« Ca tape sec, par contre. »

J’prends la première gorgée sans la moindre galanterie, et j’lui tends la gourde remplie d’un alcool bien concentré.

« J’le descendrai à la Garde, ils le foutront au trou en attendant le procès, j’suppose. Pour revenir à la gente féminine… Bah. Je sais pas trop. »

Les yeux dans le vague, j’regarde les boules brillantes dans le ciel, les crachats de Lucy, comme dirait l’autre.

« Et toi, la gente mascu… enfin, la gente qui t’intéresse ? »

Pas de préjugés, chacun trouve midi à sa porte, qu’il ait le service trois pièces ou les loches qui pendent.

“- Bien sûre que non. Il y a une nuance entre le destin et le libre arbitre. Même si une trame est tracée, tu peux toujours décider de ce que tu peux devenir et des choix qui en découlent ! Admettons. Ton destin c’est d’engendrer le mioche qui va devenir le plus puissant de cette terre et qui va renverser le trône pour semer la tyrannie après avoir dressé un fenrir en lui montrant c’est qui l’patron -parce que les dieux sont joueurs, la paix c’est cool mais ca va deux minutes-. Tu as toujours le choix, peut-être que tu vas rencontrer une nana et tu auras le choix de te la tapper ou non. Tu te diras “non pas ce soir”. Puis tu en rencontreras une autre a qui tu refuseras pas ce plaisir. Mais dans le fond, peut importe laquelle passera sous tes mains car l’une comme l’autre elles auraient engendré le même monstre perfide car c’était dans tes gênes de le faire m’voyez ?... Après, voilà, personnellement je ne sais pas ce que j’fou là encore, mais je pense qu’il y a bien une raison. Ce genre de ptit luxe là..” Montre le panier avec les bouteilles vides “- C’est du bonus”

Prenant la bouteille tendue, je la portais à mes lèvres pour y goûter le breuvage. Il semblait pas hyper convaincu par mes propos et riais de bon coeur, mais peu m’importait, chacun à sa manière de voir les choses. Y’en à bien qui pense qu’après la mort, 100 vierges les attendront au paradis, alors bon ! Faut être réaliste quand même ! Qui de nos jours est assez cons pour rester vierge jusqu’à sa mort ? C’est comme de refuser d’croquer dans une part de quiche aux escargots volants tout chaud ! Faudrait être perché quand même. Le liquide se déversa dans ma gorge, brûlant tout ce qu’il trouvait sur le passage. La gnôle, ca me connait, mais vain dieu ! Les larmes me montèrent alors que je toussotais légèrement

“- Morbleu, ca arrache ton truc ! J’vais rouler pour rentrer là, quel bazar.. ! Attend, attend.. Dans la cité enfouie ? Mais non, aurais-je affaire à l’un des explorateurs de là bas ! Tu as rencontré Christophe malaucolomb ?!”

Ouaaaah c’était trop la classe. Si on m’avait dit que j’allais rencontrer ce soir un de ces mecs qui avaient pu s’aventurer là bas, je l’aurais pas cru. Beaucoup d’histoire à ce sujet, très peu de réelles info fiables, c’était dur de determiner dans toutes ces informations pour savoir le vrai du faux de cette expédition.

J’attendais sa réponse tout en commençant à ranger les objets et la nourriture éparpillées. Une fois tout remis en vrac dans le panier je me redressais pour ranger mon épée.

“- J’avais un peu squeezé mais je dois aller rendre les affaires à l’autre cloche qui m’a demandé de lui rendre service. Il devait demander sa fiancé en mariage au resto là, et la bague qui se trouve dans ses affaires est encore là. J’imagine que j’vais arriver pour leur digeo à eux aussi”

Y’aura cas foutre le bijou dans un verre elle y verra que du feu, ca serait super romantique.

“- J’imagine qu’on se recroisera en ville ? La prochaine fois, il faudra que tu m’en raconte davantage sur cette aventure dans la cité enfouie maintenant que tu m’as mis l’eau à la bouche ! …”

Ou plutôt l'alcool dans l’gozier. Debout sur le toit, je me plantais devant le beau brun qui s’prennait pour un vieux. Tendant la main à l'aventurier, j’affichais sur mes lèvres un sourire des plus francs. Un brave type à l'humour douteux, j'aime bien. On pouvait se serrer les mains sans avoir besoin de gel hydroalcoolique, plutôt cool.

« Ouais mais ce que tu dis, c’est que la trame est tracée, donc mettons, le gars fourre Truque au lieu de Bidule, lui colle une miche dans le four, et le gamin est prédestiné à le buter, et ça serait arrivé qu’il ait tronché Truque ou Bidule ou Machine ? Autant faire les trois et les laisser se battre entre eux, à ce compte… Mais ça n’arriverait pas, deux seraient dans un mauvais jour, ou infertile, ou… Enfin tu vois l’idée. Et si on suit ton raisonnement, t’es encore là pasque c’est ton destin de te pinter sur un toit avec un inconnu après avoir arrêté un voleur de bas-étage. »

J’fais rouler l’alcool dans ma bouche, j’savoure la sensation de brûlure.

« C’est débile, j’trouve. En gros, t’es plus responsable de rien, c’est la loterie à ta naissance qui définit tout ça, et on pourra jamais rien te reprocher pasque c’était ton destin. Alors qu’un gros connard, y’a p’tet des raisons mais pas d’excuses, et si ça lui revient sur le coin du museau, il aurait mauvaise grâce de s’en plaindre. »

Et j’assume, hein, j’parle en connaissance de cause.

Mais le sujet passe, puis ça vaut pas le coup de s’énerver alors qu’on passe une bonne soirée.

« Ouais, la Cité Enfouie, c’était une sacrée merde. On y voyait que dalle, le matos fourni était défaillant, et ça grouillait de monstres. J’ai un confrère qu’a été buté par un nid de tissenuits, on a survécu par miracle… »

Quand on l’a abandonné au triste sort qu’il s’était choisi en étant particulièrement con.

« C’était un gars bien, euh… »

Putain, il s’appelait comment ? J’avais fait le truc de la Colérique Rose avec lui, en plus. Ah, ouais, Fana De Queen. Ou un truc du genre.

« Un sacré luron, ce Fana. »

Voilà, j’passe moins pour un crevard à pas me souvenir comment il s’appelait. Mais c’était y’a des mois, j’le connaissais que vite fait, et il est canné, alors autant faire de la place dans mon cerveau pour les gens utiles, non ?

« Ouais, j’vais m’occuper de rendre ses affaires à mon copain aussi, et refiler le voleur à la Garde. Bonne chance pour les tourtereaux, que ça s’passe bien ou pas… Et bon digeo, s’ils partagent. Et si on s’recroise dans les couloirs de la Guilde ou sur une mission, promis, j’te raconterai quelques anecdotes croustillantes d’aventurier chevronné. Tu vas voir, tu seras pas déçue. Puis on ira descendre un godet dans un vrai lieu de perdition, plutôt qu’un panier chicos sur un toit, hé ? »

On s’serre la pince, et j’sais qu’elle se souviendra pas de moi, la prochaine fois. Mais j’plaiderai que c’est la picole qui lui a fait oublier, ça passera sûrement, vu le personnage. Et tandis qu’elle descend, j’reprends une gorgée de mon alcool antique, avant de foutre un coup de pied dans le corps étendu du voleur qui me regarde en ricanant silencieusement, l’air de dire que lui, il aurait conclu avec le pique-nique.