Ainsi, cette journée avait commencé tout à fait normalement. Elia s'était levé, après avoir passé la nuit cachée dans les combes d'une auberge dans laquelle elle s'était glissée la veille, et après avoir subtilisé quelques denrées dans la cuisine, elle était partie un peu avant le levée du soleil. Elle observait à présent l'aube se dessiner peu à peu, assise sur un toit, grignotant la pomme qu'elle avait pu récupérer. Il faisait bon à cette période de l'année, la saison froide était finie, et bientôt un soleil de plomb s'abattrait sur le pays tout entier. Il fallait en profiter. Les couleurs orangées des premiers rayons donnaient à sa chevelure des reflets lumineux, et durant un instant, si on l'avait contemplé ainsi, on aurait pu oublier la crasse sur les joues de la jeune fille, les haillons qui lui servaient de vêtements, et on aurait simplement vue une enfant aux immenses yeux verts, un peu perdue dans ce monde.
Bien loin de ces considérations-là, Elia jeta le trognon de pomme par-dessus son épaule, s'étira pour chasser les affres du sommeil, et descendit de son perchoir. Ce n'était pas tout ça, mais il allait falloir songer à s'activer ! Sa bourse était toujours vide, elle n'avait pas été très productive la veille, et si elle avait l'estomac relativement rempli pour une fois, elle voulait mettre de côté pour s'acheter quelque chose de plus gros. De nouvelles chaussures - les siennes commençaient à partir en miette - une tunique neuve ou pourquoi pas... Un familier ? Elle rougit à cette pensée. Quelle idée saugrenue que de vouloir s'encombrer d'une bestiole stupide ? Et pourtant, cela lui trottait dans la tête depuis plusieurs jours. Mais pour envisager une telle chose, Elia allait devoir dépenser une fortune, fortune qu'elle était bien loin de posséder. Il était donc temps d'user de ses talents.
Une fois au sol, elle déambula l'air de rien dans les rues, en quête d'une cible facile. Pourtant, ce ne fut absolument pas la définition de la personne sur laquelle son regard s'arrêta, l'instant suivant. Une femme, dans la vingtaine, aux cheveux argentés, et qui semblait posséder une bourse bien remplie ainsi qu'une dague magnifique à sa ceinture. Le regard de la rouquine fut subitement attirée par l'objet, dont elle pouvait deviner la lame tranchante, et par l'épaisseur de la bourse. La rue dans laquelle elle se trouvait était en train de s'animer, le moment idéal pour se fondre dans la foule. Elia se glissa parmi les gens, se faufila jusqu'à la femme, et rendit la main jusqu'à ce qu'elle se referme sur sa cible. Elle n'eu cependant pas le temps de crier victoire, que la chance tournait déjà...
Derrière ses yeux jaunes couvaient un feu insoupçonné. Née d'une femme, élevée par la rue et endurcie par les épreuves. Un visage d'ange mais un venin de serpent. Tel était la réalité de Valeera, et pourtant...
Elle était maintenant une magnifique femme, marchand avec une grâce féline nullement forcée, un délicat parfum de violette sur elle et une élégante tenue embellit par son port altier
Et pourtant c'était une criminelle de la pire espèce. Le Lotus noir, perversion d'une fleur noble qui plongeait ses racines dans les autres pour survivre.
Elle remontait une rue d'un air tranquille, nullement inquiétée par l'émoi qui était entrain de se faire à l'autre bout de la ville. Un terrible accident de chariot avait eu lieu, un essieu savamment scié avait cassé entraînant un marchand passablement important dans la mort.
"Terrible", tels avaient été les mots qu'elle avait employés, avec un air affecté et un faux tremblement devant la garde qui avait tout de suite accouru pour constater que l'homme avait fini broyé sous ses propres tonneaux de vin, son sang se mélangeant au précieux nectar dans un gâchis regrettable mais nécessaire
Et voilà qu'elle rentrait chez elle, une grosse récompense dans une des boites cachées de sa demeure, de quoi couler des jours encore plus heureux et plus confortable. Peut être profiterait-elle du luxe d'une journée de repos demain, se prélasser dans des draps de soie pendant que bien d'autre mourraient la dehors. La justice était une notion abstraite pour elle qui avait du empiler une montagne de larcins pour en arriver là, sans se faire attraper.
Les ruelles commençaient à se remplir à son grand dam, mais faisait aussi une bonne couverture pour un espion qui la suivrait. Idéal dans bien des situations, et elle avait, plus jeune profité de ces dernières pour commettre bien des crimes.
Alors, quand quelqu'un commença à se faufiler entre les badaud, assez subtilement, mais pas assez pour une experte dans le milieu, elle ne fut pas prise au dépourvu.
Une petite main chercha un chemin jusqu'à ses hanches pour attraper sa chère dague, mais rencontra la main de Valeera qui la prit énergiquement pour la tordre vicieusement.
Qu'on la vole elle ? Cela lui tira un sourire ironique, voilà qu'elle était la cible des voleurs, chose qu'elle était elle même.
Trainant sa victime dans une ruelle sombre, comme si c'était la chose la plus naturelle du monde, elle finit par poser ses yeux perçants sur le coupe bourse mal avisé.
-Qu'avons nous là... Oh ! Une petite pouilleuse des rues
Il y a quelques années, ça aurait été elle à sa place, mais cela n'instaurait pas pour autant la moindre pitié au Lotus noir, bien au contraire.
Lui infligeant une petite gifle, d'avantage humiliante que douloureuse elle reprit avec son air autant, refusant de lâcher son poignet.
-Mais loin d'être une anguille, tu es plutôt un éléphant, rien que ton odeur t'aurai trahit, petite.
Dégainant la dague qu'elle avait voulu saisir, sa poignée délicatement ornementée d'une améthyste taillée. Mais c'était d'avantage l'hydre gravée qu'elle montra à la petite voleuse des rues. Une hydre qui avait vu la fin de bien des gens, et qui risquait bien d'en voir une de plus. La hors la loi n'étant pas à un meurtre près, surtout pour une offense de ce type.
Baissant les yeux vers elle, la criminelle put voir les haillons miteux, et les chausses trouées de la petites. Une bâtarde des rues sans doute
-Alors petite, on jauge mal ses cible à ce qu'on dirait. J'ai bien peur que ce soit la dernière fois, alors je serais miséricordieuse, qu'aimerait tu perdre pour ton vol ? Un œil ? Un doigts ? Ta langue ?
Devant le terme "pouilleuse des rues", la gamine fronça les sourcils mais se garda bien de répliquer. L'inconnue venait de planter ses prunelles dans les siennes, et sans pouvoir en donner la raison, Elia sentait qu'elle était en danger. Il y avait quelque chose dans le regard de son interlocutrice de glaçant. Ce n'était pas de la colère, mais quelque chose de plus maîtrisé. De plus effrayant. La fillette ne cilla pas cependant, même lorsqu'elle reçu une gifle, légère, sur sa joue et prit sur elle pour contenir sa respiration. Hors de question de montrer qu'elle avait peur. Les remarques de la femme la firent cependant grimacer de plus belle. Elle qui se croyait si discrète et futée, se faire traiter d'éléphant cela faisait mal au coeur ! Mais qui était cette dame ? Une membre de la garde ? Elle semblait puissante, et elle savait visiblement se servir d'armes.
Voilà par ailleurs qu'elle sortait sa dague, celle qu'Elia avait tenté de lui subtiliser. Un bel objet, mais qui lui paraissait tout à coup bien menaçant. Devant les menaces de son interlocutrice, la fillette fit durcir son regard et serra les lèvres, déployant tous ses efforts pour garder contenance. Ses grandes prunelles vertes brûlaient de défi. Si sa fierté n'avait pas parlé à sa place, elle se serait sans doute mise à pleurer pour essayer d'amadouer l'inconnue, mais quelque chose en elle lui indiquait que cette stratégie n'aurait jamais marché. Sa respiration lente, pour tenter de dissimuler les battements affolés de son coeur, Elia planta son regard dans celui de la femme aux cheveux blancs, tentant d'avoir l'air la plus froide et mauvaise possible. Sans rien répondre, elle cracha par terre, consciente que ce geste pour tout lui coûter.
Dire que la petite était dans une situation délicate, cela aurait été comme dire que le palais était "protégé". Valeera était sans doute la personne la plus sadique qui ai posé le pied dans cette ruelle et il avait fallut que cette petite pouilleuse tombe sur elle.
Elle aurait presque pu avoir de la pitié, mais c'était une émotion que la blonde avait écrasée il y avait fort longtemps.
Et devant ce regard plein de défis qui lui était rendu, puis ce crachat insultant, elle écrasa le pommeau de la dague dans l'estomac de la petite, tournant vicieusement la pierre taillée, non sans raison, dans l'estomac. Écrasant des parties plus que douloureuses, remontant jusqu'au foi avec de s'arrêter.
-Ne me regarde pas comme si nous étions égale petite pouilleuse.
Asséna t-elle d'une voix froide, ses yeux cruels ne la lâchant pas un instant alors que son arme reprenait sa place initiale.
Elle avait un peu de cran, Valeera voulait bien le lui accorder, mais dans le monde des voleurs, ça ne serait jamais suffisant.
Cette enfant faisait partie des nombreuses pierres qui traînaient sur la route et l'expérience ne l'avait pas encore taillée et polie. Et au vu de son age et de son talent, jamais, au grand jamais elle ne serait une pierre précieuse, pas sans un mentor.
-Compte-tu te servir de ta langue avant que je ne te la coupe ?
Valeera avait le sourire, celui qu'un chat aurait pu avoir en s'amusant avec une souris qu'il venait de chasser. Bien sur le Lotus noir aurait pu la laisser s'enfuir pour avoir le plaisir de la rattraper. Mais courir partout n'était pas dans son envie.
Comme un félin précieux, madame décidait de quand elle voulait courir après la vermine. Aujourd'hui c'était elle qui venait au chat, pas l'inverse.
-Ton nom.
Un rat était un rat, mais un nom pouvait changer bien des choses. Si de par son apparence elle n'aurait surement pas de famille, ou alors un père alcoolique et une mère prostituée. Rien qui ne puisse payer une rançon, peut être le savoir l'empêcherait de faire une bourde si la garde l’interrogeait un jour
En reprenant la parole, la femme eu un sourire mauvais, qui ne disait rien qui vaille à la rouquine. Elle avait l'intention de la torturer, de lui faire du mal. Pour se venger de sa tentative de vol ? De son effronterie ? Ou juste par pur sadisme ? Elia ne pouvait encore pas le prédire, mais cela avait finalement peu d'importance. Ce qui comptait était de trouver un moyen de s'en sortir. Avec la douleur dans son estomac, impossible de se concentrer suffisamment pour se transformer et fuir. Elle força de nouveau sa respiration à se calmer. Elle devait gagner du temps, si elle voulait s'en tirer sans prendre un membre, ce qui n'était pour l'heure pas garantie. Elle tenta donc de se redresser pour faire davantage face à son interlocutrice, et répondit d'une voix qu'elle espérait ferme :
- Elia. Une idée lui vint. Elle ajouta, avec hargne : Mes frères seraient furieux si je perdais ma langue, et ils savent eux aussi se servir d'une dague !
Mensonge, évidemment. Si Tomy était encore en vie, et si la bande existait encore, elle aurait pu espérer une protection, mais la fillette ne pouvait pas compter sur qui que ce soit pour la venger s'il lui arrivait malheur. Cela valait toujours la peine d'essayer, le temps de pouvoir se transformer en lézard et prendre la fuite, loin de cette femme bien trop dangereuse.
Elia donc ? Voilà un nom qui sonnait bien, un nom de fleur mais qui n'aurait pas du pousser dans les bas fond putride d'une ville. Cette catin de Lucy avait donc un sens de l'humour bien ironique. Et parfois, la jeune femme se demandait si elle ne s'amusait pas parfois à mettre dans la rue de jolies fleurs pour les voir pourrir ou flétrir sous le contact nauséabond des autre.
Quoi qu'il en soit, la pouilleuse avait un nom, ce qui marquait tout de même un changement, on ne demandait pas souvent le nom de ceux qu'on allait tuer.
Et la mention de ses frères fit éclater d'un rire mauvais. Des menaces, vraiment ?
Penchant sa tête sur le côté elle demanda.
-Serait-ce des menaces petite Elia ? Compte tu me menacer en envoyant ta pitoyable famille à mes trousses ? Qui te dit que je te laisserais partir.
Non soit raisonnable, un bon voleur aurait de bien meilleurs tours dans son sac.
Comme un petit oiseau, elle se débattait en essayant ses meilleurs techniques possible, mais contrairement à elle, le Lotus noir avait déjà usé de ces arguments.
Elle la jaugea un instant, soupirant de dépit.
-Tu sera morte d'ici un an, alors pourquoi ne pas abréger tes souffrances ? Par miséricorde je peux faire cela rapidement, ce sera mieux que de courir les rues, allant vers une mort certaine avec ta famille miséreuse.
Et c'était une réalité. Quel avenir pour un enfant sans argent, condamné par sa naissance à voler, pour le moment, et sans doute pire, un peu plus tard.
Le crime si la chance lui souriait, la prostitution si ce n'était pas le cas, des marmots et un homme alcoolique. Un schéma qui se vérifiait à chaque génération.
Resserrant son étreinte, comme une serpent aurait étouffé sa proie, la vipère enroula ses anneaux autour de l'enfant, ses deux prunelles jaunes cherchant quelque chose.
-Quel sera ton prochain mouvement petite pouilleuse, vas tu sortir un nouveau tour pitoyable de ton sac en cherchant à t'enfuir, ou vas tu essayer de me surprendre ? Es-tu un rat des villes condamnés à manger les restes des autres ?
Ou as tu autre chose ?
Valeera ne prenait pas les gens en pitié, pas plus qu'elle n'accordait de faveur. Mais... elle se voulait plutôt magnanime quant aux talents divers. Et c'était peut être ce qu'elle cherchait à voir ici. Une étincelle d'ambition, quelque chose dans ces yeux mal avisés qui hurlent autre chose que "Je veux survivre"
Non, hurler n'était pas une bonne solution. Elle lança un regard noir à son bourreau lorsque celle-ci ajouta qu'elle serait sans doute morte d'ici un an. Qu'en savait-elle ? Elia avait très bien survécu jusqu'à présent, elle pouvait très bien continuer ! Bon, elle s'était retrouvée dans quelques situations bien ennuyeuses, et avait eu de la chance de s'en sortir par moment, mais force était de constater qu'elle avait du talent pour se sortir des mauvais pas. La menace se rapprocha, la femme la tenait fermement, et la rouquine devait déployer tous ses efforts pour ne pas céder à la panique. La dague était bien trop proche de son visage pour qu'elle puisse se détendre réellement, mais elle continuait de fusiller son interlocutrice du regard. Allait-elle se sortir vivante de cette situation là ? Elia commençait à en douter, mais elle préférait ne pas se poser de question pour le moment. Elle devait trouver un échappatoire, et vite.
Il se produisit alors quelque chose d'étrange. Quelque part, dans les dernières paroles que prononcèrent l'étrange dame aux cheveux blancs, raisonna dans les tripes de la fillette. Autre chose. Elle voulait être autre chose. Cette certitude brûlait en elle, depuis longtemps déjà, et les insultes, le mépris qu'elle venait de se prendre en pleine face - mais qu'elle se prenait en vérité depuis sa naissance - ne faisait qu'attiser ce brasier. Et voilà qu'il explosait.
- JE SUIS AUTRE CHOSE ! hurla-t-elle en vidant l'air de ses poumons.
Un éclair de lucidité la traversa, et son corps, la seconde suivante, se métamorphosa. Il n'y avait plus d'adolescente maigrichonne aux cheveux roux, mais un minuscule lézard marron, qui filait entre les jambes de la femme pour grimper au mur derrière elle. Elia escalada à vive allure, bien plus rapide qu'aucun humain, et une fois bien haut, sur le toit de la maison qui surplombait la ruelle, elle prit le temps de réfléchir. Fuir. Elle devait fuir. Pourtant, une part d'elle avait envie d'affronter une dernière fois ce curieux personnage, qu'elle pouvait enfin contempler sans en être terrorisée.
Prenant une inspiration, le lézard céda de nouveau sa place à la fillette. Cette dernière observait celle qui l'avait menacé avec colère, et pourtant... Un étonnant respect. Elle avait libéré quelque chose en elle, une colère, une ambition qu'elle n'avait jamais osé avouer. Alors, une pensée absurde la traversa.
- Apprenez-moi. Lâcha-t-elle froidement. Apprenez-moi à être autre chose, puisque vous êtes si maligne. Elle croisa les bras, toujours perchée sur son toit, à cinq bons mètres au-dessus de la rue. Si vous refusez, j'irai prévenir la garde qu'une femme, de vingt ou vingt-cinq ans, aux cheveux blancs, s'amuse à terroriser les enfants. Et je suis très douée pour attirer la pitié.
Voilà qui n'était pas un mensonge. Elia était bonne comédienne, pour le prouver l'assurance avec laquelle elle venait de s'exprimer, alors qu'elle n'avait diablement aucune idée de ce qu'elle était en train de faire. Dans quelle folie s'était-elle retrouver ?
Une réaction viscérale, sortant du plus profond des entrailles de cette petite voleuse avant qu'elle ne décide de s'échapper à la grande surprise de Valeera qui se mit à arborer un grand sourire.
Peut être avait-elle fait fausse router, le caillou qu'elle avait cru voir était peut être une pierre précieuse sale.
Et alors que le petit lézard disparaissait, le Lotus noir eut bien l'impression qu'elle s'enfuyait pour de bon et, rangeant sa dague, s'essuya les mains sur son pantalon avant de faire demi-tour. Rapidement arrêtée par la petite voix d'Elia
La menace la fit rire, car elle ne se doutait pas que le monde était bien plus cruel et que ça. Son rire se répercuta dans la rue mais la blonde finit par se reprendre faisant un petit signe de la main à la roublarde.
-Descend d'ici morveuse, tu as gagné ta survie, nous avons à discuter toi et moi.
S'adossant au mur, une jambe pliée contre ce dernier, elle attendit patiemment que ce petit être la rejoigne, il ne devait pas être très loin de midi, et le soleil brillait haut dans le ciel, sans pour autant réussir à éclairer cette ruelle.
Croisant les bras, Valeera fixa ce petit joyaux brut.
-Tu veux apprendre de moi tu dis ? Pourquoi pas, mais ça ne sera pas gratuit, et pas simple. Tu me servira en échange de mes connaissances, je serais ta seule maîtresse et tu devra faire ce que je te dirais, sans hésiter.
Le prix n'était pas en cristaux bien sur, et si la jeune femme prenait une apprentie, on ne pouvait pas dire que sa vie allait être simplifiée. Elia allait apprendre, à la dure, mais elle apprendrait avec quelqu'un qui saurait lui donner les bons conseils.
-Je suis d'accord si tu es prête à faire une croix sur tout le reste, et une fois commencé, tu n'aura pas le choix, ce sera finir ta formation jusqu'à ce que je t'estime prête, ou mourir.
Si elle faisait un effort, le Lotus noir allait en demander le double de la part de la petite voleuse. Alors, décroisant les bras, et commençant à marcher vers chez elle, leva une main pour faire signe de la suivre.
-Viens avec moi si tu veux vivre autrement que comme un rat morveuse, ou reste là pour mourir, sache juste que ton choix sera définitif, et mon offre expirera une fois que j'aurai tourné au coin de la rue.
Après une ultime hésitation, la fillette rejoignit celle qui l'avait menacé l'instant d'avant, non sans rester sur ses gardes. Elle haussa un sourcil devant les conditions de son interlocutrice. Pas gratuit ? Ce n'était pas comme si elle avait les moyens de payer sa formation. Mais étonnamment, la femme aux cheveux blancs ne parlait visiblement pas d'argent ici, mais plutôt de service rendu. Cela, Elia savait le faire. La perspective de lui obéir aveuglément ne plaisait pas vraiment à l'adolescente, elle ne pu retenir une petite grimace. Cela faisait longtemps à présent que personne ne lui disait quoi faire. Serait-elle capable de se plier à une nouvelle discipline ? Elle ne pouvait l'affirmer avec certitude. L'idée de l'engagement jusqu'à la mort avait de quoi faire reculer également. Etait-elle réellement volontaire pour tout cela ? Elle lui avait demandé de la former par provocation, sans vraiment réfléchir aux conséquences, et voilà que tout cela devenait très réel.
Finalement, la femme s'éloigna, après avoir pris la parole une ultime fois. Elia savait que c'était sa dernière chance de saisir l'opportunité d'avoir une formation. Certes avec un étrange personnage, au sadisme douteux, et avec une grosse zone de floue. Mais une formation quand même. La rouquine arrêta d'hésiter, et emboîta le pas de son interlocutrice.
- Et euh... Vous me formerez à quoi exactement ? Je vous imagine mal fleuriste ou vendeuse de bijoux. Demanda-t-elle une fois à sa hauteur.
L'adolescente ignorait tout de la dame qui lui faisait face. Elle possédait une belle dague, semblait puissante, agile et rapide. Mais que faisait-elle ? Etait-elle membre de la Guilde ? Ou bien de le garde ? Cela lui paraissait peu probable. Une pensée la traversa alors, tandis qu'elle la dévisageait :
- Oh et vous vous appelez comment d'ailleurs ?
L'heure des présentations de base était donc arrivée. La rouquine avait décliné son identité, qui n'avait de toute manière que bien peu d'importance, et elle était désormais curieuse d'en apprendre davantage sur celle qui allait visiblement s'occuper de sa... Formation.
Valeera eut un sourire pour elle même, se retournant vers la petite pouilleuse qui était désormais son apprentie. Sans le savoir elle avait mis un pas d'un côté bien plus dangereux de la loi.
Bien sur Elia était déjà une petite voleuse, mais le Lotus noir comptait bien en faire quelque chose de mieux. De plus... grandiose.
Le chemin détourné qu'elle emprunta les conduisirent chez elle ou la maîtresse s'arrêta
-Je vais faire toi une vraie voleuse, pas une petite pouilleuse des rues qui chipe des bourses aux malvoyant.
Le crime paye Elia, contrairement à la propagande de la garde.
Elle lui ouvrit la porte, l'invitant à entrer dans la tanière de l'hydre, la fausse maison de Valeera, une villa luxueuse qui avait le même parfum que la jeune femme, un parfum de violette qui embaumait toute la maison.
Un lourd tapis brodé accueillait la nouvelle apprenti et alors qu'elle rentrait dans ce qui allait devenir sa nouvelle maison.
La blonde fit claquer la porte, fermant le verrou qui grinça légèrement alors que les deux yeux jaunes de la criminelles se mettaient à luire légèrement.
-Tu peux m'appeler Valeera, c'est le nom que mon idiot de tuteur m'avait donné.
Elle commença à monter les escaliers qui partait de l'entrée, la jeune fille sur les talons. S'arrêtant à l'étage, elle désigna une porte blanche, enluminée de gravure dorée, un emblème d'hydre similaire à celui de sa dague gravé dessus.
-Ici, c'est ma chambre, tu n'y rentrera que quand je t'en donnerai l'ordre, ou pour nettoyer.
Le palier contenait bien d'autres pièces, mais elles n'étaient pas toutes occupées. En fait la plupart avaient encore leurs meubles datant de l'ancien et défunt propriétaire. Une bonne partie du travail d'Elia serait d'entretenir ces derniers, pour que si un jour, quelqu'un se faufile chez elles, il ne trouve qu'une maison parfaitement normale.
Continuant sa visite elle montèrent sous les combles, Valeera ouvrant une porte pour laisser découvrir une petite chambre sous les toits.
Elle n'était pas très luxueuse, et deux lucarnes venaient éclairer cette petite chambre pourvu d'un lit sans fioriture mais en bon état.
S'asseyant dessus, le Lotus noir fit un tour de regard, détaillant les meubles en bois simple, purement fonctionnels. Embrassant l'espace d'un geste.
-Et ceci, jeune apprentie sera ta chambre, je t'autorise à la décorer, tant qu'elle reste propre.
C'était sans doute mieux que ce qu'elle avait connu, un endroit chaud et isolé des éléments, un lit et de quoi se reposer.
Même si elle passerait sans doute la plupart du temps ailleurs dans la maison.
-J'espère que tu sais cuisiner, ou que tu apprendra vite, en attendant, pas le temps de t'extasier, suit moi.
Le chemin fut fait en sens inverse jusqu'au rez de chaussé ou Valeera attira l'enfant dans la salle de bain, l'imposante baignoire dans l'angle de la pièce n'attendant qu'Elia, récupérant une tenue simple dans un des placard le blonde déposa le tout sur un petit meuble avant de se retrousser les manches.
Commençant à faire couler un bain chaud, la hors la loi lança un savon et un shampoing à la petite fille.
-Tu vas commencer par te laver et me jeter ces loques, un vrai voleur ne vaut rien si on le remarque de par son odeur ou ses vêtements. Et il n'y aura plus de pouilleuse sous mon toit.
Si tu tiens à ce que je t'appelle par ton nom, tu devra être propre, sinon tu restera une pouilleuse
Les consignes étaient dites rapidement et sèchement. Mais la blonde ne pouvait pas faire confiance à la petite.
Avec le temps, elle serait surement plus proche, mais Elia avait tout à prouver avant
Les deux femmes s'arrêtèrent finalement devant une maison, qui avait plutôt jolie allure malgré un côté un peu ancien. Elia jeta un regard suspect à sa nouvelle "maîtresse". Possédait-elle vraiment cette demeure ? Ou l'avait-elle obtenu d'une façon plus sinistre ? L'adolescente haussa les épaules. Après tout, cela ne la regardait pas, et si cela pouvait lui permettre de dormir avec un vrai toit sur la tête, elle n'allait pas opposer de résistance. Elle pénétra dans la bâtisse, en écoutant les présentations de la propriétaire des lieux. Valeera donc. Un nom étonnamment élégant pour une criminelle. La rouquine regarda autour d'elle avec curiosité, et grimpa les escaliers, sans piper mot. Elle ne réalisait toujours pas dans quoi elle venait de s'embarquer, mais son coeur battait à toute vitesse. Elle faillit percuter la femme aux cheveux blancs, qui s'était arrêtée devant une pièce. Sa chambre donc, qu'elle devrait... Nettoyer ?
- Je suis apprentie voleuse ou servante ? demanda la gamine à demi voix.
Elle avait l'impression de s'être bien faite avoir, dans cette histoire. S'il s'avérait que son seul apprentissage ici serait de passer la serpillière, alors elle trouverait vite le chemin de la sortie. Sa curiosité la poussa cependant à continuer de suivre Valeera, qui poursuivait son chemin à travers la maison. Elles passèrent devant plusieurs pièces, vides, puis s'arrêtèrent devant une autre chambre. La sienne. Une première pour Elia, qui avait prit l'habitude de dormir dans des greniers, des cales ou sous les toits. L'adolescente ne pu s'empêcher de sourire à cette perspective, et observa un peu trop longuement les quatre murs qui seraient désormais à elle.
Sans avoir davantage le temps de s'installer - elle n'avait de toute manière aucune possession - sa maîtresse (qu'il allait être étrange de l'appeler ainsi !) l'entraîna de nouveau au rez-de-chaussé de la maison, et la fit entrer dans une nouvelle pièce : une salle de bain. Elia contempla la baignoire qui se remplissait d'eau sans un mot, ne parvenant pas à retenir une grimace. Se laver n'avait jamais été une de ses priorités, mais visiblement son professeur estimait que c'était important. La rouquine croisa les bras en lui jeta un regard :
- Je veux bien jeter mes vêtements, mais je n'en ai pas d'autres. Et mon odeur ne m'a jamais dérangé, à moi. Ajouta-t-elle plus bas.
Elle trempa son doigt dans l'eau, et poussa un petit soupir, se résiliant à cette nouvelle tâche. Elle se tourna de nouveau vers Valeera, et ajouta, entre la gêne et l'agacement :
- Je pourrai avoir un peu d'intimité ? Je veux bien me laver, mais seule.
Un peu de solitude n'allait pas être de trop. Elia avait beaucoup d'information à assimiler, elle avait besoin de faire le point sur tout ce qu'il venait de se produire, et peut-être ce bain lui serait au moins utile pour cela.
-Tu apprendra tout ce que je te dirais.
Première leçon, la parole de sa maîtresse était absolue, cela dit, il aurait été stupide de lui laisser penser qu'elle faisait tout cela pour rien. Alors, comme pour prouver elle agita la ceinture qu'elle avait volé à la petite fille sans qu'elle ne s'en rende compte l'agitant sous son nez avec un sourire narquois.
-On ne naît pas voleur, c'est un art complexe qui n'inclus pas que les tours de main et le vol de bas étage. Un bon voleur sait aussi s'infiltrer, et faire semblant.
Pense tu qu'une servante arrivée dans une maison de noble peut se balader librement selon ses envies ? Non petite pouilleuse. Savoir s'infiltrer n'importe où, c'est là l'essence même de notre métier.
Oh l'agilité était une chose, mais c'était un travail qui viendrait. Sans vraiment qu'elle le sache, Valeera lui apprendrait à la fois à rendre crédible n'importe quel de ses couvertures, mais peut être aussi à vivre...
Dans la salle de bain, Valeera récupéra les vêtements souillés, avant de dire.
-Moi elle me dérange. Et tu te pliera à mes envies, si tu veux rester en bonne santé, tu te lavera.
Quant à tes vêtements, je te trouverai quelque chose d'ici à ce que tu ai fini.
La laissant là, elle partit jeter les loques qui servaient de vêtements, passant rapidement dans un magasin de vêtements. Achetant un set de tenue neuf.
-C'est pour votre fille ?
-Pardon ?
Dit la jeune femme en se retournant vers le vendeur, accrochant au passage un des vases avec le paquet en main, ce dernier s'écrasant au sol avec fracas.
Mais le vendeur, à qui elle venait de lacher une petite bourse lui fit signe de partir sans soucis.
Un vase contre une petite somme.... cela valait le coup.
De retour dans la maison, elle revint au bon moment, lançant à la jeune femme une des tenues neuves et surtout propre.
-Tu aura quatre tenues, tache d'en prendre soin, je t'apprendrais à le faire. Mais les prochains, tu les achètera avec ce que tu aura gagné.
Il y avait beaucoup d'information dites, et encore plus qu'elle devrait deviner avec le temps.
Mais un jour peut être, Elia saurait décrypter sa maîtresse
La femme aux cheveux blancs la laissa finalement, visiblement déterminée à lui trouver des vêtements avec une meilleur odeur. Une fois seule, Elia poussa un soupir et entra dans l'eau froide du bain, un peu hébétée. Très bien, il fallait récapituler. Elle avait tenté de voler une bague à une inconnue, qui s'était avérée être une malfrate plutôt douée. Après l'avoir menacé, et sans doute manqué de lui couper une oreille, et suite à une provocation de la part de l'adolescente, elle lui avait proposé de la former. Et voilà que la rouquine se trouvait dans une baignoire, à se récurer la peau pour essayer d'y enlever la crasse incrusté depuis des années, en attendant le retour de sa nouvelle maîtresse. Etait-elle en plein rêves ou tout ceci était-il bien réel ? Enfin, rêve ou cauchemar, car Valeera ne semblait pas être une âme généreuse et pleine de douceur. Quelque chose soufflait à Elia que son apprentissage à ses côtés ne seraient pas de tout repos, et qu'elle pourrait même en venir à regretter sa décision.
- C'est complètement insensé, murmura-t-elle en s'aspergeant le visage. Insensé mais... Est-ce qu'il y a mieux qui m'attend dehors ? Au moins ici j'apprendrai. J'apprendrai à faire quelque chose, à devenir quelqu'un.
Elle continua de frictionner son corps avec le savon, et se lava également la tête. Elle se coupait régulièrement les cheveux pour garder une longueur relativement courte et ne pas être ennuyée, mais sa chevelure restait sale et pleine de nœuds. Il lui fallu plusieurs minutes pour parvenir à démêler le tout. La rouquine s'attaqua ensuite la crasse sous ses ongles, s'assura qu'elle n'avait rien oubli, et sorti de l'eau, à à présent devenue marrons. Elle s'essuya vivement à l'aide d'une serviette que sa maîtresse avait laissé là, et se regarda dans le miroir. Elle avait meilleur mine, sans ces traces noirs sur ses joues ! Elle en profita pour regarder l'ensemble de son corps, n'ayant pas souvent l'occasion de le faire. Son corps était maigre, on voyait ses côtes, mais également des muscles, sur ses bras et ses jambes. Petite et fine, même pour son âge, elle ne deviendrait jamais une armoire à glace, cela ne faisait aucun doute.
Valeera rouvrit la porte, et Elia se dissimula vite derrière sa serviette, dans un élan de pudeur. Ce n'était pas son genre de se promener à poil devant des inconnus, et elle se sentait toujours assez vulnérable sans une tunique. Quatre tenus ? Jamais elle n'avait possédait autant de biens ! La rouquine se dépêcha de s'habiller, acheva de sécher ses cheveux, qui avaient retrouvés leur pli rebelles, et se tourna vers la femme aux cheveux blancs, sans parvenir à dissimuler un sourire excité.
- Je suis propre. Dit-elle en écartant les bras comme pour prouver qu'elle s'était correctement acquittée de sa mission. On commence quand ?
Habillée et lavée, déjà le petit rat qu'elle avait récupéré dans la rue avait plus l'apparence d'un être humain qu'autre chose. Bon signe en soit !
Valeera fit signe à sa nouvelle disciple de la suivre, l’amenant sur le pallier ou l'attendait une nouvelle paire de chaussure neuve que la jeune femme lui pointa du doigt.
-Et j'ai ça pour toi, elles sont à la même taille que tes loques d'avant.
Loques qu'elle avait jeté dans la poubelle la plus proche. Difficile de croire que le Lotus noir avait commencé si bas, mais il fallait un début à tout.
La bonne nouvelle, c'était qu'Elia avait trouvé quelqu'un pour la sortir de sa galère, même si elle le lui ferait payer en sueur et en travail.
-Quand ? Ta formation à commencée Elia, tu n'es plus la crasseuse d'il y a quelques heures, mais dorénavant en publique, tu t’appellera Priscilla et tu m’appellera Friede. Tache de bien retenir cela, ça te sauvera peut être.
Il allait falloir une nouvelle identité à cette gamine, et une raison pour qu'elle soit toujours ensemble toutes les deux. Ce serait crée de toute pièce, mais qu'importe.
Il fallait qu'elle apprenne que sa véritable identité valait bien plus que n'importe quelle somme de cristaux.
-Maintenant tu vas venir avec moi pour ta première leçon, c'est un peu rapide, mais tu aura tout le temps d'y réfléchir plus tard.
Et sans un mot de plus, la jeune femme partit, rapidement suivit de la petite fille sur ses talons. Elle ne comptait pas la faire voler quoi que ce soit aujourd'hui. A la place de quoi la blonde comptait simplement apprendre à son apprentie à acheter quelque chose.
Pas le voler, mais bien à l'acheter comme si c'était la chose la plus naturelle du monde. Dans son enfance, elle n'avait pas vraiment pu acheter quoi que ce soit. Toujours à voler ou à mendier.
Déposant quelques cristaux dans sa main elle désigna un étal de brochette, dont l'odeur venait titiller les narines de Valeera.
-Prend 6 brochettes, soit polie, et ne vole rien. S'il reste de quoi faire, tu peux prendre quelque chose qui te fait plaisir.
Et dernière information pour toi, tu es une orpheline laissée au temple, et je suis la sœur Friede, ta tutrice.
Ses vêtements étaient suffisamment sobre pour faire l'affaire et dans une démonstration parfaite de comédie, elle lui fit un grand sourire, son visage dégageant soudain toute la chaleur et la sympathie du monde alors que sa voix douce lui disait :
-Allez Pricilla, n'oublie pas ce que je t'ai demandé !
Et voilà que les deux voleuses quittèrent la maison, vêtue de leur nouvelles identités. Elia tâchait d'avoir l'air le plus tranquille possible, mais son regard exprimait toute son excitation. Qu'allaient-ils faire à présent ? Valeera avait indiqué que la formation avait commencé, mais n'était pas entré dans les détails. Allaient-elles commettre un premier larcin ? Assez rapidement, elles se retrouvèrent dans une allée plutôt animées, où divers étales étaient installés. La femme aux cheveux blancs se tourna alors vers elle, et déposa quelques cristaux dans ses mains. Instinctivement, l'adolescente fut tentée de s'enfuir avec cette maigre somme, puis se rappela qu'elle n'était pas là pour ça. Elle écouta attentivement la consigne, quelque peu perplexe cependant. Acheter quelque chose, cela ne semblait pas bien difficile. Bon certes ce n'était pas dans ses habitudes, elle avait plutôt tendance à chaparder, mais elle n'était pas non plus complètement idiote, ni sauvage.
La rouquine hocha la tête, et se dirigea d'un pas d'abord trop vif vers le stand que sa maîtresse lui avait indiqué. Elle se rappela ensuite qu'elle était supposée être une orpheline, et tâcha d'avoir l'air plus docile et timide. Elle s'approcha du vendeur, un grand bonhomme un peu rond avec un air affable, qui la salua chaleureusement :
- Bonjour mademoiselle ! Je peux faire quelque chose pour toi ?
Surprise, Elia resta muette une seconde, ce qui ne fit pas défaut à son rôle. Les gens ne lui parlaient pas ainsi d'habitude, ils se montraient méfiants et désagréable. Un bain et des vêtements propres faisaient vraiment toute la différence, c'était assez fou. Plus confiante dans son personnage, elle reprit avec une petite voix :
- Bonjour bon monsieur. Je voudrais vous prendre ces six brochettes s'il vous plait, pour ma bonne soeur et moi-même. Je vous remercie.
Le vendeur la servit immédiatement, avec toute sa bonne humeur, rendu d'autant plus amical par l'évocation d'une religieuse. Le culte n'était pas extrêmement répandu, mais les fidèles étaient vus comme des honnêtes gens pieux, ce qui aidait à se faire apprécier. Elia attrapa le sac de brochettes, et salua l'homme avec une petite courbette maladroite. Elle n'était pas vraiment habituée à avoir des manières, ses gestes lui paraissaient assez disgracieux, mais cela ferait l'affaire. En revenant vers Valeera, elle aperçu un étale qui vendait des foulards, et en acheta un, le plus sobre possible, qu'elle noua sur sa tête pour cacher ses cheveux. Si elle voulait réellement devenir Priscilla l'orpheline, elle ne devait pas se faire repérer par les potentiels gardes qui pouvaient la reconnaître.
- Voilà les brochettes... Soeur Friede. Dit-elle en lui tendant le sachet. Puis-je savoir en quoi cela fait-il parti de ma formation ?
Elle tâcha de parler à voix basse, et de garder un ton poli, mais elle était toujours perplexe.
Acheter des choses quand on y était pas habitué était une petite épreuve pour Elia, et ça, la jeune femme le savait, elle était passé par là aussi. Ne pas devoir voler, être considéré comme une humaine ordinaire... Cela avait de quoi surprendre.
Remplissant son rôle de tutrice, elle resta là à attendre son apprentie, un large sourire sur le visage et un air bienveillant. Elle loua l'achat du foulard et récupéra le paquet avant d'emmener sa pupille un peu plus à l'écart.
-Parfait mon enfant, nous pouvons maintenant rentrer au temple, il serait dommage que nous mourrions de faim
La démarche de la religieuse changea quelques rues plus loin, reprenant son air habituel, plus concentré, et nettement moins sympathique.
-Cela Priscilla, sert à te montrer deux choses : L'une que l'apparence dans ce monde fait tout, pour peu que tu ai la toilette adaptée, les gens te prennent pour ce que tu souhaite être tant que tu ne leur prouve pas le contraire
Et la seconde que paraître normal n'est pas un jeu d'enfant, devant un marchand, en pleine rue, c'est chose aisée. Mais quand un garde que tu connaîtra t'interrogera ? Quand le noble que tu cambriole sous des atours de servante te demandera de faire son linge ?
Tout cela s'apprend, et c'est un long travail, jouer la comédie est notre quotidien, et bien peu doivent savoir réellement ce que tu pense.
Elle même ne se confiait à personne, se laissant parfois aller lorsqu'elle était seule dans sa chambre et la petite devrait apprendre à faire de même, ou du moins, savoir à qui se confier.
De retour à la maison, elle prit le temps de dresser la table, en profitant pour montrer la disposition de la cuisine à son apprentie. Cette pièce, elle allait devoir rapidement la connaitre si elle tenait à parfaire ses talents dans le domaine.
-Dès ce soir, tu fera le repas, pour commencer à apprendre, je t'aiderai au début, après ce sera à toi de le faire.
Mais pour l'instant, mange ta part de brochettes, tu as mérité au moins cela.
Elle commanda à Elia de s'asseoir, prenant place en face d'elle.
Couteaux, fourchettes, tout l'attirail d'un service de noble et même plus car ces ustensiles étaient en surnombre. Quatre fourchettes, autant de couteaux, et deux cuillers.
Devant le regard perplexe, Valeera eut un petit rire amusé.
-Bien sûr, cela aussi il va falloir apprendre, si chez les roturiers on mange avec les mains ou des couverts, chez les nobles il en existe beaucoup plus, quasiment un par met.
Et il en va de même pour les boissons, quatre verre : eau, vin rouge, vin blanc, champagne... inutile de te dire que cela doit être naturel.
Elle lui démontrait par là que rien de ce qu'on pensait acquis ne l'était vraiment et que, dans un déguisement, le moindre petit détail pouvait compter.
Il fallait être naturel, comme si on avait grandit dans ce milieu.
La jeune fille n'était pas sûre d'adorer son rôle de Priscilla l'orpheline, mais était-ce mieux d'être Elia la gamine des rues ? L'objectif sur le long terme était bien sûr d'être autre chose. Quoi exactement ? Elle n'en avait encore qu'une idée floue et vague, mais cela viendrait. Elle suivit Valeera jusqu'à sa maison, qui était du coup la sienne aussi désormais, et la regarda avec étonnement mettre des couverts sur la table. Allaient-elles manger ? La rouquine faisait rarement des repas complet, assise à une table, avec des couverts et tout le toutim, elle préférait aller se percher sur un toit pour grignoter ce qu'elle avait pu chaparder. Il fallait croire que son mode de vie allait changer, dès maintenant, et sa maîtresse ne tarda pas à lui expliquer ce qu'elle en avait en tête, provoquant une énième moue perplexe chez la fillette. Elle ? Cuisiner ? Ca, c'était bien une première. Elle prit place à la table, en écoutant les dernières paroles de sa maîtresse, un peu confuse.
- Je dois vraiment apprendre tout ça ? Une orpheline ne sait sans doute pas manger avec trois fourchettes différentes ! Enfin j'imagine que c'est pour me préparer à d'autres rôles ? Elle soupira, voyant bien qu'elle n'allait pas avoir le choix. Pour la cuisine, il va falloir m'apprendre parce que j'ai jamais touché à un fourneau de ma vie.
Le ménage, la cuisine... Elia allait apprendre à devenir une parfaite petite servante, à son grand désespoir. Elle détailla les différents couverts devant elle, sans réellement parvenir à discerner ce qu'ils pouvaient bien avoir de spéciaux les uns les autres. Se rappelant un détail assez important qui risquait de lui causer du tord si elle voulait se faire passer pour une noble, elle ajouta :
- Ah et euh, je sais pas lire. Ni écrire.
Sans réellement savoir pourquoi, elle eu honte de cette révélation. Personne n'avait jamais pris la peine de lui apprendre, elle n'avait bien sûr jamais mis les pieds dans une école, et ce n'était pas sa mère ou sa fratrie qui s'étaient préoccuper de ça.
D'une main experte, Valeera découpa une des brochettes avec le couteau à viande, mangeant délicatement avec toute l'attention d'une femme de noble naissance. Bien entendu, elle n'en était pas, mais elle voulait prouver à sa disciple que tout n'était question d'image.
-Tu raisonne plutôt bien petite Elia, je ne vais pas faire de toi un voleur lambda. Tu vas devenir une grande dame, une clocharde, une bourgeoise et une garde, tout cela à la fois. Tu apprendra tout comme je l'ai fais, car en choisissant de venir avec moi, tu as aussi fait le choix d'embrasser une carrière de grand voleur.
Et tu serais surprise du nombre de chose que l'on peut voler, ou que d'autre seraient prêt à t'acheter.
Quelques bouchées plus tard, elle fit signe de sa fourchette pour lui intimer de manger avec n'importe lequel des couverts avant d'ajouter.
-Je ne suis certainement pas une sœur de cette catin de Lucy, mais je prendrais soin de toi, tant que tu respectera mes règles, et donc, je t'apprendrais ce que tu aura besoin de savoir, ou je t'enverrai des gens expérimentés..
L'annonce de son analphabétisme ne l'étonna guère, le royaume n'était pas pourvu pour les miséreux et dans bien des cas, l'école était oubliée au profit de travaux plus rémunérateurs.
Haussant les épaules, elle se fendit d'un sourire.
-Je vois que tu commence à comprendre, ce n'est pas un problème, nous te trouverons un professeur d'ici quelques lunes, et tu saura lire avant la fin de la saison.
C'était assez ironique, car la jeune femme semblait tout donner à la petite Elia, nourriture, vêtement, éducation... Elle aurait presque pu passer pour une sainte si tout cela n'avait été destiné à faire d'elle une parfaite petite criminelle.
La vie de l'une comme de l'autre allaient drastiquement changer
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