« Où est cette foutue chandelle ? »
La nuit est fraîche et Ernst râle. Une fois de plus, le vent a fait disparaître la maigre flamme qui aidait ses yeux fatigués à se repérer. Il souffle à nouveau, irrité. Il n’en serait pas encore là à décharger la marchandise si cet incapable de Grévault ne lui avait pas fait faux bond au dernier moment. Cette famille est vraiment quelque chose, pensa-t-il, mais Grévault est quand même un remarquable spécimen. Un jeune homme qui présente si bien qu’il fait illusion aux yeux de la société. Pourtant, dès qu’il ouvre la bouche, le mot « benêt » prend une dimension toute nouvelle.
« Foutue chandelle, où est-elle ? »
Cela dit, Ernst n’avait pas engagé Grévault pour écrire une encyclopédie mais bien pour décharger des caisses. Même pour Grévault, cela devait être de l’ordre du faisable, non ? Et pourtant, l’aîné de la famille Tramo avait réussi – un exploit ! – à conforter un peu plus l’image d’incapables qui poursuit l’ensemble de ses membres.
« Ah, la voici… »
Ernst ralluma la chandelle et éclaira le contenu du chariot. Il frémit en constatant qu’il n’en avait déchargé que le tiers. La nuit était encore jeune, mais pas lui. Son agacement à l’égard de Grévault ne faisait que renforcer le poids de la fatigue.
« Hmm ? »
Ernst venait de reconnaître le pas léger de Grévault au coin de la rue. Il ne savait pas si Grévault était à ce point idiot pour se pointer trois heures en retard et espérer repartir en un seul morceau. Ernest massa ses épaules endolories. Il attendrait que le jeune Tramo ait fini son boulot pour lui passer un savon.
« Grévault, espèce de petite ordure… »
Ernst passa la main à son fourreau, ça n’était pas Grévault.
Elle arriva près d’une boutique faiblement éclairée, une ombre se dessinait près de la porte, devant un tas de caisses et d’objets aux formes étranges, le tout empilé sur un chariot branlant. Alors qu’elle n’était plus qu’à quelques mètres, une voix se fit entendre, les mots prononcés par un homme, visiblement, n’étaient pas clairement parvenus aux oreilles de la soldate, mais le supposé propriétaire de la boutique semblait contrarié.
La soldate leva les yeux au ciel avant de s’approcher à nouveau, prête à faire sa bonne action de la journée mais se stoppa net juste devant le vieillard qui était prêt à dégainer une arme. Elle recula d’un pas en présentant ses mains vides.
Ouhla, du calme Grand-Père. Je ne vous veux aucun mal.
Le vieil homme l’observa de longues secondes, s’attardant inévitablement sur ses cicatrices faciales. Nehla resta plantée là, en attendant que l’inspection soit terminée, croisant les bras sur sa poitrine. L’homme retira finalement sa main de son arme avec une moue étrange.
Je suppose que vous avez besoin d’aide. J’ai quelques minutes devant moi, si vous voulez, je vous décharge tout ça. Vous devriez vous faire aider par un apprentis, Grand-Père.
L'Adjudant Theldj présenta finalement sa main à l’ancêtre pour serrer la sienne en lui souriant.
Theldj, enchantée.
Ouhla, du calme Grand-Père. Je ne vous veux aucun mal.
Ernst reprit ses esprits et constata qu’il avait toujours la main sur son fourreau. Il détendit sa main. Cette vieille lame aurait eu probablement peu d’utilité. Elle lui servait principalement à couper son fromage, et à effrayer les jeunes enfants qui entraient régulièrement dans sa boutique pour tenter de lui dérober quelque chose. De toute évidence, la personne en face de lui avait plus de 12 ans et aurait été plus difficile à impressionner.
Je suppose que vous avez besoin d’aide. J’ai quelques minutes devant moi, si vous voulez, je vous décharge tout ça. Vous devriez vous faire aider par un apprentis, Grand-Père.
Pas d’hostilité. C’était un bon début. Ernest accepta la main tendue.
Theldj, enchantée.
« Je suis le vieux Bricks. Mon âge ne vous autorise cependant pas à être aussi familier avec moi. »
Ernst contempla la proposition d’aide et se retrouva face à un dilemme. Il avait certes dans sa cargaison tout un tas d’objets insignifiants à destination de son magasin. Mais dans certaines de ses caisses se trouvaient entassées un nombre important de produit de contrebande. Ernst n’était pas le vendeur (il ne prendrait pas ce risque), simplement un intermédiaire, et il ne devait stocker que quelques jours la marchandise chez lui, mais les autorités ne l’entendraient pas de cette façon… Grévault étant un imbécile, il n’y avait pas de risque de dénonciation.
Ernst ne savait en revanche rien de cette personne.
« Eh bien je… »
Tant pis. Il pouvait encore moins se permettre de rester au milieu de la rue avec cette patate chaude.
« Oui, votre aide serait la bienvenue ! Il me faut rentrer toutes ces caisses dans la boutique. Mais je vous préviens, je n’ai pas de quoi vous rétribuer. »
Allons, Grand-Père, si vous vous nommez vous-même « le vieux Bricks », je peux bien vous appeler comme ça. Je suis en plus presque sûre que vous connaissez ma mère et ma sœur, elles tiennent une boutique un peu plus bas. Allons-y, Grand-Père…
Elle adressa un clin d’œil amusé au vieux marchand avant de se saisir d’une lourde caisse et de se diriger à l’intérieur de la boutique, glissant un œil au commerçant pour savoir où elle devait la poser. Elle déchargea ainsi le chariot du vieil homme en suivant ses ordres secs, qui lui faisait déplacer chacun des objets qu’elle posait, alors qu’il avait été placé exactement là où il lui avait demandé. Un léger soupir se fit entendre, il jouait un peu à la malmener mais c’était de bonne guerre, elle le prenait pour un papi. Alors qu’elle soulevait la dernière caisse, une légère odeur familière s’en dégagea, la faisant hausser un sourcil. Elle les fronça ensuite en plissant les yeux pour mieux observer els marques et diverses écritures qui jonchaient le bois pour les déchiffrer dans la pénombre, cherchant dans sa mémoire la provenance de cette odeur.
Secouant finalement la tête, elle entra dans la boutique du vieux Bricks pour poser la caisse sur une commode, avant de la déplacer sur une autre pour finir par rester debout au milieu de la pièce en attendant que l’homme se décide. Ainsi postée sous un éclairage bien plus fort que celui de la ruelle, elle put apercevoir une marque bien familière sur la caisse. Elle fronça à nouveau les sourcils avant d’observer le vieux marchand. Cette caisse provenait du Grand-Port, elle avait ouvert plus d’une boîte comme celle-ci et ça lui avait valu de nouvelles cicatrices à force de servir de bouclier et de petite main pour une connaissance qu’elle n’avait pas revu depuis. Décidément ce Vrenn lui laissait de biens mauvais souvenirs plutôt obscurs même. Elle posa finalement la caisse au sol avant d’y poser le pied, pliant la jambe pour y appuyer sa main en fixant le vieil homme.
Et vous vendez quoi exactement dans cette boutique, Grand-Père ?
Ernst tenta de faire déguerpir la jeune femme en se montrant vraiment infect. Il la menait à la baguette en lui faisant déplacer et re-déplacer les caisses de façon irrationnelle. Mais loin de s’en offusquer, elle semblait même s’en amuser et ne bronchait pas.
Il la vit s’arrêter un instant et fermer les yeux. Elle était en train de… sentir !
Merde, merde, merde.
Elle était en train de se douter de quelque chose. Il fallait qu’il agisse.
« Je vends quoi ? Oh, vous savez. Toutes sortes de choses… »
Là était peut-être sa chance, si la fille était un peu trop curieuse. Il savait combien sa boutique intriguait même les plus sceptiques vis-à-vis de sa réputation.
« Pour vous remercier, je ne peux pas vous laisser partir sans vous faire une petite visite guidée de l’établissement ! J’ai une sacrée collection, vous savez. »
Ernst fit le tour de deux-trois rayons sans importance, et Nehla le suivit, visiblement prête à se montrer patiente face aux lubies d’un vieil homme. L’objectif d’Ernst se trouvait en haut du prochain rayon.
« Pourriez-vous m’attrapez ce petit coffret, mon amie ? »
Ce coffret lui avait été refourgué par un honnête march… bon, par un malhonnête mercenaire. Selon l’énergumène en question, ce coffre était censé endormir celui qui l’ouvrirait. Un parfait leurre à placer chez soi pour protéger sa fortune en somme ! Il aurait préféré le vendre pour un bon prix, mais il n'avait pas le choix. Il lui fallait ce débarrasser de son invitée qui commençait à poser trop de questions.
« Je vous laisse regarder jeter un œil, je ne veux pas gâcher la surprise ahah. Mais vous allez être impressionnée par son contenu ! C’est la perle rare de mon magasin »
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