Le temps avait passé. Sous la poussière, les objets et meubles abandonnés avaient perdu de leur superbe et faisaient mine d’être figés, comme retenant leur souffle ; la pièce en elle-même semblait avoir rétrécit. Ou était-ce le garçon qui avait grandit ? Quelques rayons d’un soleil encore naissant s’étaient frayé un chemin jusque dans la pièce et berçaient les lieux d’une atmosphère apaisante, arrêtée dans le temps. L’heure matinale était encore calme, on entendait la ville qui doucement s’éveillait. La mélodie lointaine des cloches sortit le garde de sa contemplation et il pénétra enfin dans la pièce.
Les locaux qu’il redécouvrait étaient séparés en trois : les armes et armures terminées d’un coté, l’atelier de l’autre avec quelques projets encore en cours, méthodiquement rangés, et les matières premières dans le fond. Étonnement, rien n’avait changé. Il y avait une place pour chaque chose et chaque chose était à sa place. L’organisation était un trait qui caractérisait parfaitement le Maître Forgeron. Ce souvenir de Samuel rappela à Adrian la raison de sa venue : le deuil rouvert, il prit appui sur une table, comme pour encaisser une deuxième fois la nouvelle. La mort de son vieil ami avait été soudaine et le jeune homme n’avait pas encore prit le temps de cicatriser ni même de retourner à son village natal faire ses adieux. Or, ne pouvant se permettre d’accumuler des dettes envers le propriétaire du local, il devait se hâter de débarrasser les lieux avant tout. « La priorité aux affaires petit » avait-il l’habitude d’entendre en grandissant.
Aussi, reprenant ses esprits, le garde entreprit de trier chaque morceau de métal qui trainait dans l’atelier. Il y avait là quelques pièces qui pouvaient intéresser les combattants comme les badauds. Même les autres forgerons y trouveraient leur compte, ne serait-ce que pour la refonte. Soucieux du travail de son mentor, Adrian s’éternisa afin de ne pas abîmer le moindre plastron. Lorsqu’enfin il termina d’examiner la dernière pièce, les coups de midi étaient déjà passés depuis quelques temps. Il chargea alors hâtivement les sacs sur la monture qu’il avait emprunté à la caserne et se dirigea vers la place du Marché. Tous les premiers Dimanche du mois, un grand étal était organisé et chacun pouvait venir y vendre ses biens, moyennant une compensation reversée à la ville.
C’était donc jour de Marché pour le jeune homme. L’emplacement qu’il avait réservé n’était pas bien grand, mais il avait le mérite d’être fournit avec des tables et deux mannequins. Sur ces derniers, le jeune homme entreprit de disposer ses deux plus belles armures et casques tandis que sur la table, il disposa une première série d’armes en tous genres. Du coutelas à l’épée lourde, en passant par le sabre et le fleuret, il y en avait pour tous les gouts ; et tous les prix.
Très vite, quelques passants s’arrêtèrent à son étal et il effectua ses premières ventes. Les prix étaient fixés mais le jeune homme se laissait néanmoins une marge de manœuvre ; « à l’amabilité du client » lui avait-on appris. Il sourit du coin des lèvres à cet énième souvenir qui le frappait doucement tandis qu’il présentait un poignard léger à une demoiselle.
« C’est une arme très délicate mais qui saura vous rendre service, croyez-moi ! Il est noté 90 mais pour 80 cristaux sombres elle est à vous » Il tendit alors l’arme à l’intéressée et récupéra ensuite son dû.
Adrian connaissait maintenant bien la danse de la négociation : il l’avait observée des années durant et parfois même pratiquée. L'après midi s'annonçait longue, mais il était prêt à faire honneur à son défunt Mentor et ami.
Pour autant l'idée de brader le travail de son défunt mentor ne lui avait en aucun cas traversé l'esprit. Le respect qu'il portait pour l'homme se reportait naturellement sur le travail qu'il avait laissé derrière lui.
" N'hésitez pas à vous approcher messieurs dames, nos armes et armures sont de très bonne qualité, je peux vous le garantir ! "
Alors qu'il aguichait une nouvelle fois quelques badauds de son sourire le plus charmeur, un homme mûr s'approcha et pointa un heaume d'apparat orné de différentes pièces autour du thème du dragon. C'était là un des objets favoris du jeune homme, on y retrouvait tout le savoir faire et la minutie que lui avait enseigné son Maître. Prenant l'objet dans ses mains, il l'observa quelques instants l'air songeur. Souhaitait-il réellement vendre une telle pièce ? Après tout, peut-être méritait-il de garder un souvenir ? L'homme devant lui s'impatientait mais Adrian restait imperturbable. Le regard planté dans les deux fentes de la pièce d'armure, il hésitait profondément. Il avait toujours été fortement sentimental et réalisa à ce moment qu'il lui faudrait effectuer son deuil en bonne et dû forme.
Finalement, il tendit le casque le coeur lourd et récupéra les quelques cristaux dont il avait estimé la valeur en échange. C'était une énième vente de conclue. Une vente de plus qui lui faisait l'effet d'un coup de massue dans la poitrine. Avec chaque vente, c'était une partie de son ami qui s'éteignait doucement, comme si elle suivait l'arme ou le plastron en quittant à jamais l'étable ; de la même manière que l'homme avait maintenant quitté ce monde.
Dans l'heure qui suivit, Adrian parvint à vendre l'ensemble des armures qu'il avait en stock et fut tout de même satisfait de n'avoir plus qu'à écouler quelques armes. Au final, Samuel n'avait pas laissé beaucoup de pièces terminées à la Capitale. Sachant que l'atelier restait sans surveillance la plupart de l'année, cela aurait été mal venu de sa part.
Devant l'étal, de plus en plus de passants ne s'arrêtait que furtivement, sans une salutation ou même la moindre considération pour le vendeur. Ce n'était pas là quelque chose qui importait au garde : il préférait nettement cela à quelques palabres inutiles, échangées par courtoisie. Cependant, le regard d'Adrian se posa sur un jeune homme au cheveux de jais qui contrairement aux autres jusque ici, interpella sa curiosité. Cela faisait maintenant quelques minutes que l'inconnu observait une des épées courtes que proposait le forgeron mais n'avait pour autant pas encore fait signe au vendeur. C'était peu commun. Et Adrian se méfiait d'un tel comportement. Il n'avait jamais eu à courser un voleur à la sauvette mais il ne pouvait jamais être trop prudent. Aujourd'hui n'était pas le jour où il était bon de l'importuner ainsi.
Alors qu'il fixait le jeune homme, ce dernier finit par se redresser et leurs regards se croisèrent. Aussitôt, les suppositions du garde s'envolèrent et il s'en voulut d'avoir pu ainsi mal juger le jeune homme. Son air tout à fait amical n'avait rien d'un voleur et il avait visiblement pas la moindre mauvaise intention en tête.
" Merci beaucoup ! Et non, pas tout à fait, mais j'ai participé à l'élaboration de certaines pièces, oui. " L'informa-t-il simplement avant de poursuivre en désignant l'objet de convoitise du client " Je peux t'assurer que le forgeron qui s'est occupé de cette épée est... " Il s'arrêta au milieu de sa phrase un instant. Remarquant son erreur, il ravala sa salive et se reprit d'un air qui se voulait enthousiaste mais qui transpirait la mélancolie. " était un Maître dans la matière. "
Tandis qu'il terminait sa phrase, son regard se posa sur l'épée en question. C'était là un bel objet, sans nul doute. Encore une vente qui allait tirailler le jeune homme. Entre le plaisir de voir le travail apprécié et la tristesse de voir ces quelques souvenirs s'envoler, la fin de cette journée s'annonçait longue. L'idée d'une boisson alcoolisée lui traversa alors la tête. Voilà un réconfort qu'il aurait bien mérité.
« Ça devait être une personne d’exception, vu la qualité de son arme. Celle-là aussi, c’est lui qui l'a faite non ? »
Tu pointais du doigt une des armes qui demeurait là. Sa qualité était remarquable, mais l’épée en elle-même était bien trop lourde pour ton gabarit. Sans demander, tu saisissais la courte lame sur laquelle tu avais salivé, bien trop curieux pour la laisser sur la table. Tu la faisais virevolter gracieusement, entamant ta danse d’épéiste. Elle était d’une légèreté étonnante, sa qualité et sa finesse avait tout pour te séduire. Dans ce petit numéro, tu avais voulu lui rendre honneur à ta façon.
« Elle est vraiment parfaite, je suis fauché, mais je te la prends ! Merci bien l’ami, j’en prendrais soin promis. »
Tu balançais une bourse remplie de cristaux au châtain. Tu n’avais même pas cherché à négocier, il y avait l’âme de son ami dedans ça n’avait pas de prix. Un sourire aux lèvres, tu t’avançais vers le marchand avant de l’attraper amicalement.
« Je t’aide à remballer et on va boire un verre ? »
Il avait l’air gentil, pourquoi pas sympathiser avec lui. Tu le relâchais, un peu gêné, ce n’était pas très réfléchi d’agir comme ça.
« Sinon moi, c’est Kali et toi ? »
Tu devais au moins lancer la conversation, sinon ça allait être gênant. Tu ne savais plus du tout comment te comporter socialement, mais tu allais faire de ton mieux. Cet homme t’intriguait, il semblait si différent de toi pourtant, il dégageait une aura positive qui donnait envie de marcher à ses côtés.
Une fois les affaires remballées, tu te mettais en route vers la taverne qui te semblait la plus proche. C’était quand la dernière fois que tu avais picolé ? Tu n’en avais pas souvenir, tu n’aimais pas trop ces endroits normalement, bien trop de monde y braillait.
Adrian attrapa ensuite la bourse en plein vol et la soupesa sans prendre pas la peine d’en compter le montant exact. Les chiffres n’étaient pas vraiment ses alliés principaux. Et puis, en étant à la garde, sa situation s’était nettement améliorée mais en soit, le souvenir de sa vie modeste était encore très présent. Alors il comprenait. Lui aussi avait déjà lorgné sur les étals sans être pour autant capable de s’offrir quoique ce soit. Et puis, après une longue observation, l’inconnu n’avait pas l’air méchant. Samuel lui-même lui aurait fait un prix. L’homme avait toujours eu la fibre à aider les plus jeunes. Surtout lorsqu’ils semblaient aussi intéressés par les armes.
Aussi, le garde attrapa un des petits poignards qui n’avaient pas trouvé acquéreur et le tendit au jeune homme.
« On n’a jamais assez d’arme » lui dit-il en souriant.
Satisfait de son acte de gentillesse, il s’apprêtait à poursuivre ses affaires lorsqu’il réalisa que son dernier client était toujours campé devant lui. Lorsque le dénommé Kali lui attrapa le bras, Adrian se raidit à nouveau, prêt à toute éventualité. Il n’était pas du genre à apprécier les contacts physiques, d’autant que les deux jeunes gens ne se connaissaient pas même de Lucy. Relevant la tête il planta son regard dans le sien et écouta ce qu’il avait à dire sans bouger. Le jeune homme à la chevelure brune dû réaliser la gêne qu’il avait malencontreusement instauré car il relâcha rapidement sa prise.
Malgré cette première approche maladroite, Adrian décida de laisser une chance à cette nouvelle rencontre. Après tout il ne connaissait pas beaucoup de monde en dehors de la Garde.
« Moi c’est Adrian et tu dois lire dans mes pensées, je suis pas contre un verre ! » Déclara-t-il avec enjouement.
Jetant un coup d’œil à son étal, il constata qu’il ne lui restait que quelques invendus et se félicita de cet après-midi de succès. Il méritait en effet une collation de réconfort. Aussi, il ne rechigna pas à ranger le restant des affaires tout en faisant la conversation. Quand finalement les sacs furent suspendus à la monture d’Adrian, les deux jeunes gens n’étaient plus vraiment des inconnus et l’atmosphère s’était nettement améliorée.
« Avant d’aller à la Taverne il me faut déposer tout ça chez moi, c’est de l’autre côté de la rivière. Il est encore tôt, on a le temps » Expliqua-t-il à Kali avant de se mettre en route vers la Caserne.
Durant le trajet les deux hommes échangèrent des banalités. La rue était bruyante à cette heure-ci, on s’entendait à peine penser. Adrian remarqua alors que son compagnon n’appréciait guère le bruit incessant de la foule. Peut-être n’étaient-ils pas si différents finalement. Aussi lorsqu’ils arrivèrent devant la Caserne, beaucoup plus calme, il eut une idée.
« Il y a une taverne qui est très fréquentée par les membres de la Garde de la Capitale non loin d’ici. C’est beaucoup plus calme que les tavernes publiques, ça te dit ? Je te laisse réfléchir je reviens. »
Et sur ces mots, Adrian entraina sa monture dans l’enceinte de la Caserne. En faisant signe aux gardes à l’entrée, il réalisa qu’il n’avait en aucun cas parlé de son statut de garde à Kali jusque là. Un manque de communication dont le garde commençait à avoir l’habitude, et il espérait que sa nouvelle connaissance ne lui en tiendrait pas rigueur.
Après avoir déchargé la monture et l’avoir installée dans les écuries, Adrian ouvrit le local des armes et y entreposa le reste des invendus, puis il prit le chemin de sa chambre. Là, il salua rapidement ses colocataires et se déchargea du butin qu’il avait amassé durant la journée. Quelques cristaux suffisait pour la taverne, pas la peine de forcer le destin vers un vol quelconque. Sur son lit, Tsuki miaula doucement à son approche. Elle venait visiblement de se réveiller et l’idée d’une sortie faisait briller ses pupilles. Le jeune homme l’attrapa en même temps qu’il prenait un gilet en laine et la posa sur ses épaules. Il redescendit ensuite en trottinant et retrouva Kali.
Dans la rue, le vent s’était levé et le soleil n’était plus aussi chaud qu’il l’avait été dans l’après-midi. Un frisson traversa le corps d’Adrian qui se félicita d’avoir prit de quoi se couvrir. Il commençait à avoir froid et malgré le petit chauffage qui avait prit place sur son cou, la laine n’était pas de trop.
« Désolé de l’attente ! Alors qu’est-ce qu’on fait ? » lança-t-il à Kali le sourire aux lèvres. Dans sa nuque, Tsuki ronronna un peu plus fort comme pour rappeler sa présence.
« Ah et je te présente Tsuki, mon chat. Elle est mignonne mais elle te mordra si elle le peut, sache-le ! » Conclut-il en caressant machinalement la tête de la petite boule de poils.
Le bruit des alentours t’avait donné la nausée, tu te demandais comment les humains pouvaient rester si calme dans ces circonstances. Heureusement Adrian était avec toi, sa présence te rassurait un peu. Il était l’éclat chaud dans ce monde si froid, la lumière dans les ténèbres… C’était trop beau pour être vrai, car une fois arrivé devant la caserne, cette chaleur s'estompait. Lucy s’était une nouvelle fois jouée de toi, Adrian était un garde, tu n’avais aucune chance d’être son ami. Malheureusement tu ne pouvais plus t’enfuir, il avait ton visage, ton nom et si tu fuyais comme ça, il comprendrait que tu étais quelqu’un de louche. Tu répondais tant bien que mal à l’homme, masquant au maximum ton désarroi.
« Ça marche ! À tout de suite. »
Tu affichais un sourire forcé, observant l’homme s’engouffrer dans la caserne. Que devais-tu faire ? C’était un paradoxe si tu devenais ami avec lui, un garde et un assassin ce n’était pourtant pas fait pour s’entendre. Anxieux, tu te grattais la tête, pourquoi les personnes que tu appréciais étaient toujours du mauvais côté. Si seulement ce type qui avait massacré ta famille n’avait pas existé, si seulement… Tu sortais le poignard que ton soi-disant ami t’avait offert, avant de jouer avec. Tu faisais tournoyer celui-ci sur tes doigts, ça faisait passer le temps. Mais cet amusement avait assez duré, un inconnu te saisissait à l’épaule souhaitant te faire face. Celui-ci plongeait son regard glaçant dans tes prunelles puériles avant de s’exclamer d’un ton sec.
« Tu me dis quelque chose, ces yeux, je les ai déjà vues. »
En regardant l’uniforme, tu comprenais que c’était un garde. Tes iris t’avaient trahi, en tant que meurtrier ce n’était pas la bonne couleur à avoir. Alors que le colosse t’avait pris de court, tu apercevais Adrian sortir du baraquement. Tu souriais à l’homme avant de lui répondre d’une voix douce.
« Vous avez dû me prendre pour quelqu’un d’autre. Je suis désolé, j’attendais Adrian et il arrive, donc si vous voulez bien me laisser. »
Le gaillard soufflait, relâchant sa poigne. Il partait, sans un mot, croisant Adrian. Tu avais eu de la chance, un peu plus et tu étais démasqué. Tu détaillais ton ami une énième fois. Il s’était vêtu pour l’occasion, accompagné d’une étrange boule de poil. Tu l’observais de plus près, elle était vraiment trop mignonne. Elle semblait heureuse ronronnant à tout-va. Trop obnubilé par le chat, tu avais répondu sans réfléchir.
« On peut aller à ta taverne, ça sera plus tranquille. »
Tu caressais Tsuki, elle était toute douce. Comme le jeune homme l’avait prédit, elle n’avait pas tardé à te mordiller le doigt. Tu lâchais un petit soupir de douleur.
« Tu as bien choisi son nom. Elle est aussi magnifique que la lune. »
Tu adorais les chats, ton cœur en souhaitait, malheureusement, tu n’avais pas les moyens pour t’en occuper dignement. Adrian, c’était vraiment une personne bien, tu n’avais aucun droit de trainer avec une personne comme lui.
Adrian ouvrait la voie et toi, tu te contentais de le suivre. La journée s’éteignait à petit feu, c’était souvent l’heure où tu commençais à travailler. Ce n’était pas le moment d’y songer, tu devais profiter de cette soirée.
« Tu aimes les chats à ce que vois ! »
C’était d’une banalité… Tu aurais pu faire mieux tout de même, un minimum de sérieux.
« Parle-moi de ton ami qui a forgé l’arme que tu m’as vendue. Enfin, je ne sais pas si tu as envie de parler de ça. »
Tu avais un don pour casser l’ambiance. Mais bon tu étais curieux, tu voulais connaître l’histoire de ton arme et pourquoi elle était chère à ces yeux.
« C’était mon mentor, j’ai appris à forger avant d’entrer dans la Garde. Avec tout ce qu’il m’a enseigné, je le considère comme mon deuxième père »
Adrian interrompit sa phrase tandis que les deux jeunes gens arrivaient devant la Taverne. L’échoppe ne payait pas de mine et semblait même laissée à l’abandon. Mais la devanture peu soignée et particulièrement vétuste était accompagnée d’un vigile qui s’assurait que seuls les gardes et leurs accompagnants puissent entrer. Cet homme impassible était le garant d’une tranquillité certaine qu’Adrian avait apprit à apprécier depuis son arrivée à la Grande Vile. Désignant son compagnon de boisson comme invité, le garde présenta son matricule ce qui eut pour effet de faire se déplacer le colosse et de faire s’ouvrir la porte vieillit devant eux.
Lorsqu’ils pénétrèrent dans les lieux, un cocktail d’odeurs leur attaqua les narines. L’alcool, la sueur et le ragout du soir se mêlaient de la pire des manières qui soit. C’était le propre des Taverne : Adrian n’en avait encore jamais trouvé qui soit tenu par un individu suffisamment propre sur lui pour s’intéresser un tant soit peu à l’entretien de son commerce. C’était la raison pour laquelle il n’était pas forcément friand de ce genre d’endroit. « Aux grands maux les grands remèdes » disait-on. D’un pas décidé, Adrian se dirigea vers le comptoir et commanda 2 bières et un verre de lait. Il n’oubliait jamais sa compagne à moustaches. Lorsqu’il eut payé la première tournée, il entraina ensuite Kali vers une des tables les plus éloignées du comptoir où quelques gardes s’étaient déjà lancés dans des concours de beuverie en tous genre.
« Faut les excuser, les temps libres sont très animés ici. Expliqua-t-il à son invité. Mais la salle est à son rendement maximal là, on devrait être tranquilles »
On comptait une dizaine d’individus dans une grande salle qui pouvait en recevoir le double. Aussi, le brouhaha quoiqu’incessant n’était pas très élevé et permettait à tout un chacun de s’écouter parler, voire penser, pour les plus philosophes.
« On parlait de quoi déjà ? Ah oui, Samuel. C’était son nom. Il est décédé récemment c’est pour cela que j’ai dû faire du tri dans ses affaires » Expliqua-t-il en essayant de garder un air détaché malgré que cette phrase lui ait fait l’effet d’une rapière rouillée dans la gorge.
Il porta alors son verre à la bouche et en dégusta une première gorgée, comme pour faire passer la sensation de picotement qui le gênait. Cette gorgée fut rapidement suivie de plusieurs autres et très vite, le verre se vida. Il n’était pas particulièrement buveur, mais ce soir il le serait. Son amie MMP serait fière de lui, se dit-il. A ses côtés, Tsuki avait entamé tranquillement son bol de lait et observait la salle d’un œil blasé.
« Mais j’ai assez parlé. Dis moi Kali, qu’elle est ton histoire à toi ? » Demanda-t-il au jeune homme tout en faisant signe au tavernier de lui servir une deuxième fois. La soirée commençait à peine.
L’échoppe n’était pas ce à quoi tu avais songé, elle paraissait limite misérable, sans doute pour masquer le fait que c’était une taverne pour les gardes. Un homme, sûrement ce qu’on appelait un vigile se trouvait là. Tu essayais de ne pas paraître trop louche, si quelqu’un te reconnaissait, c’était fini pour toi. Heureusement, Adrian était avec toi, affichant son beau badge de garde et te présentant comme invité. Tu entrais dans le bâtiment, d’un pas non assuré. Après tout, tu entrais volontairement sur le terrain de l'ennemi. Les fortes odeurs venaient brouiller tes sens, ça en devenait presque insoutenable. Tu détaillais les environs, c’était bel et bien vide, il n’y avait que quelques hommes qui faisaient les marioles. Ton ami, avait pris soin de prendre trois verres, même un pour Tsuki ce qui avait eu le don de t’arracher un sourire. Il était vraiment gentil, peut-être même trop…
Tu suivais le châtain jusqu’à une table plus éloignée, avant de t’étaler sur un des bancs qui se trouvaient là. Les gardes ne semblaient pas plus sérieux que toi, c’était des gamins en fait, tu ricanais silencieusement. Tu oubliais parfois que c’était des humains, pas des machines. Il fallait dire que certains étaient sans pitié, ils pouvaient tuer pour un rien malgré leurs statuts. Le monde n’était pas rose et ça, tu le savais.
Samuel… C’était le nom de son maître, quelle tristesse. Aryon avait encore perdu un homme talentueux. Tu compatissais, le deuil n’était pas quelque chose de simple. Curieux, tu voulais savoir l’origine de sa mort, mais tu le gardais pour toi. Tu tapotais sur la table, tu avais brisé l’ambiance… Désemparé, tu accompagnais Adrian dans son action, buvant à ton tour. La boisson malgré son amertume, restait douce et réconfortante. Tu la finissais rapidement, posant ton verre en même temps que ton camarade de beuverie. Tsuki avait aussi l’air de se régaler, même si le lait était à consommer avec modération. Tu posais ton coude sur la table, avant d’appuyer ta tête sur ta main. Tu fixais les yeux émeraude de ton interlocuteur. Sa question, tu ne savais pas réellement comment y répondre. Devais-tu être honnête ? Tu devais vraiment raconter toutes ces choses tristes, celles qui t'étaient arrivé ? Tu n’en savais rien, ton esprit était bien trop embrumé pour réfléchir.
« Je suis l’enfant d’une famille de boulanger réputé. Malheureusement, ils ont trouvé la mort dans ma jeunesse, assassinés par un enfoiré… »
Voyant le tavernier arriver, tu avais marqué un silence. Une fois les cocktails sur la table, tu reprenais ton discours avec une voix enrouée.
« Du coup depuis, j’essaie de survivre dans ce monde. Mon but est bien sûr de retrouver ce meurtrier et de rendre justice à mes parents. Je sais donc à quel point c’est dur de perdre son père, je ne peux que me montrer compatissant. »
Tu portais la chope à tes lèvres, la vidant cul-sec. Il t’était arrivé bien pire après, la mort de ton ami, l’assassina de Sophie… Ce n’était pas un passé bien glorieux. La chaleur de la boisson, ne pouvait pas réchauffer ton cœur froid. Tu avais froid, bien trop froid pour qu’une quelconque ardeur puisse raviver ton âme. Tu étais enfermé dans cette glace perpétuelle, condamné à devoir chercher une flamme qui pourrait te tiédir. D’un geste faible, tu faisais signe au barman d’apporter de nouveaux breuvages.
« D’ailleurs, pourquoi tu es devenu garde ? Tu ne voulais pas être forgeron ? »
Tu avais pris l’initiative de changer de sujet, ce n’était pas le moment de déprimer, surtout au début, ce n’était que le début de la soirée.
Néanmoins, le forgeron ne pouvait que compatir à la perte des proches de Kali. Et il eut même des remords en écoutant les propos du jeune homme. Il ne connaissait pas le sentiment d'orphelinat : lui conservait une famille complète, ses deux parents biologiques coulaient des jours heureux à la ferme, chez eux. Alors où était sa légitimité dans ce deuil ? Même si Samuel ne possédait aucune autre famille à part lui, il n'était pour autant pas du même sang et la blessure devait donc être beaucoup plus superficielle que cette qu'avait subit Kali. Quel imposteur.
D'un geste de dégout, Adrian repoussa sa chope vide et souffla " tes deux parents " souffla-t-il d'un air abasourdi.
L'idée lui semblait inconcevable. Le reste de l'explication sur les intentions de son invité vis-à-vis de ce qui lui était arrivé flotta un instant au-dessus de la tête d'Adrian. Peut-être était-ce la boisson fermentée qui commençait à le rendre groggy. Peut-être était-ce le cocktail d'effluves en tous genre auquel son corps c'était habitué certes, mais qui ne restait pas moins entêtant. Toujours est-il qu'Adrian se recula dans son banc et prit appui sur le mur qui était dos à lui. Il fixa un moment la salle devant lui, écoutant à moitié la question que lui posait son ami et se félicita d'être venu ici plutôt qu'ailleurs. Son esprit vagabonda à des choses et autres jusqu'à ce qu'un mot qu'il avait entendu fasse écho dans sa tête. *rendre justice à mes parents... Rendre justice... Justice ?* Secouant légèrement la tête, le garde se tourna vers son voisin l'air intrigué.
" Tu entends quoi par "rendre justice à tes parents" au juste, tu m'intrigues "
En effet, son sens du devoir avait rapidement prit le dessus sur son taux d'alcoolémie montant. Il avait reprit de son alerte et fixait désormais Kali dans ses yeux bleus de glace.
" D'ailleurs, tant qu'on y est, il te voulait quoi le Garde à l'entrée de la Caserne tout à l'heure ? "
Maintenant qu'il y pensait, il se souvint de cette interaction plus qu'étrange dont il n'avait aperçu que la fin. Le garde en question était en surveillance permanente autour de la Caserne : il ne quittait pratiquement jamais son poste ; et surement pas pour faire la conversation avec un fils de boulanger.
Adrian ne lâcha pas des yeux son invité et essaya tant bien que mal de le jauger à travers la brume de l'ivresse. Finalement, il ne connaissait vraiment rien du jeune homme. Peut-être était-il un voleur ? Ou pire, puisqu'il l'avait mentionné, un assassin ? Le garde ne put s'empêcher de dévisager Kali. Cette idée semblait saugrenue. Il avait l'air si amical : ses yeux bleus certes froids, n'avaient rien de sanguinaire. Le regard du garde se déporta sur les chopes de bières qui venaient d'être remplies une nouvelle fois et il ferma les yeux l'espace d'une seconde. L'alcool devait brouiller ses sens. Venait-il vraiment d'accuser un parfait inconnu du pire des crimes ?
" Je suis désolé, la journée a été longue... Je ne voulais pas... Il marqua une pause et porta sa boisson aux lèvres. J'imagine que tu dois être un habitué de la Caserne si tu cherches à ce que l'assassin de tes parents soit retrouvé. J'essaierai de t'aider si tu le souhaites "
Tandis qu'il reposait sa chope, une vague de chaleur l'envahit soudainement. Etait-ce la gène ? L'alcool qui réchauffait son corps ? Il commençait à suffoquer sous ses vêtements. Naturellement, le garde retira alors sa laine pour laisser à son corps matière à respirer. Assis dans la Taverne, le vent et le froid ne mordaient plus. Une fois plus à l'aise, la question qui lui avait été posée lui revint en mémoire. La garde.
" Je t'avoue qu'au départ, j'y suis entré parce que c'est ce qu'on souhaitait de moi. Samuel... Mes parents, tous voyaient là un honneur qui m'était accordé, un moyen de sortir de la campagne " En y réfléchissant, il est vrai que son mentor ne lui avait guère laissé le choix à l'époque, en prenant rendez-vous pour lui aux entretiens.
" Moi j'aimais bien forger. Mais quand on m'a dit que je pouvais continuer à forger tout en remplissant les fonctions de garde, j'ai sauté le pas " Il marqua une autre pause et sourit du coin des lèvres au souvenir de toute sa petite famille. Tous lui avait dit qu'il fallait qu'il quitte la campagne. Et il l'avait fait. Mais sa nouvelle vie ne lui avait pas encore laissé le temps de retourner les voir. C'était au moins là le point positif de tout ça : il irait bientôt leur rendre visite, pour les funérailles.
" Tu as reprit l'affaire de tes parents toi, du coup ? " Demanda-t-il soudainement à Kali. L'idée d'enterrer son ami ne lui plaisant guère, il préféra changer de sujet.
« Pas de soucis, ça arrive… »
Soufflais-tu entre ses mots. Un habitué de la caserne ? Ça oui tu l’étais, mais pas pour les mêmes raisons. Tu craignais même cet endroit, puis tu préférais autant retrouver l’assassin tout seul, pour pouvoir lui faire la peau. Après tout, c’était ta seule motivation, ton but, ta vengeance. Ce n’était pas un coup de tête, tu ne traquais sans cesse, malheureusement, il était beaucoup trop futé, tu allais encore devoir galérer un moment.
« Oui, j’étais un habitué de la caserne effectivement. »
Tu lui avais répondu, d’une voix faible, n’ayant pas envie d’en parler. Tu te frottais la tête, portant la chope à tes lèvres. Le goût n’était pas terrible, pour ne pas dire infect. Du poison ? Non, ce n’était pas le style de la maison, enfin dû moins, c’était ce que tu pensais. Un peu sonné, tu écoutais ton ami, ses dires sonnaient tel une mélodie bien construite. Sa vie semblait être l’inverse de la tienne, en constante évolution vers le bien. Tu lui souriais, il le méritait, c’était quelqu’un de bien. Dans une autre vie, vous étiez sûrement ami, dans cette-là vous étiez obligé d’être ennemi. La garde ce n’était pas une si mauvaise chose, tu étais encore assez jeune pour t’y engager, seulement ton passé d’assassin et de voleur t’avait fermé les portes depuis bien longtemps.
Donc Adrian était devenu garde car le monde l’avait désiré, et toi, le monde avait désiré que tu deviennes quoi. Sûrement pas un assassin, peut-être un boulanger, ça aurait été amusant… Toi qui adorais le pain, son odeur, sa texture, son goût, tu serais sans doute devenu un maître dans la matière. Tu affichais une mine enfantine, il avait lu en toi cet Adrian, te posant justement la question à laquelle tu étais en train de répondre en toi. Tu répondais d’un ton qui se voulait mélancolique.
« Malheureusement, non ! Mes parents sont morts trop tôt, ils n’avaient pas eu le temps de m’apprendre leur art. L’affaire a donc coulé et j’ai été laissé pour mort… Quelque part quand j’y pense, ça a dû arranger d’autre boulanger que mes parents meurent. »
Tu marquais un silence avant de reprendre.
« Je suppose que l’assassin a été engagé par un des boulangers, après j’étais trop jeune, je ne comprenais pas encore la notion de concurrence. Mais bon ainsi va la vie. »
Tu vidais ta bière, avant de sortir ton carnet à dessin. Sur une des feuilles volantes se trouvait un dessin de tes parents. Un sourire angélique s’était dessiné sur ton visage, tu montrais leur portrait à ton nouvel ami.
« Voilà, ils ressemblaient à ça. »
Tu rangeais l’image, avant de prendre un crayon, commençant à dessiner Tsuki sirotant son lait. Une touche mignonne ça ne faisait pas de mal de temps en temps.
« Ce n’est pas trop dur d’être garde ? Tu as déjà vécu des moments effrayants ? »
Tu poursuivais ta tache, tout en restant à l’écoute de ce qu’avait à te raconter le garde. Pendant ce laps de temps, une des personnes se trouvant là, s’approchait dangereusement de toi. Que voulait-il, venait-il pour toi, ou pour Adrian. Ça tu allais bientôt le savoir.
Face à lui, il réalisa que Kali grimaçait en terminant sa chope alors il plongea instinctivement son regard dans son propre verre. La couleur du breuvage n’était certes pas engageante mais il n’avait jamais été vraiment déçu par ce que servait le tavernier. Approchant ses lèvres, il renifla la boisson et ne décelant aucune odeur suspecte, but une gorgée. Contrairement aux autres boissons qu’il avait pu descendre depuis son arrivée, celle-ci avait un goût particulièrement âcre qui fit grimacer Adrian a son tour. Manquant de recracher le liquide, il se força à l’avaler et chercha du regard son salut gustatif. Un instant, il pensa même à se rabattre sur le lait que lapait son chat afin de chasser le goût infect qui lui saturait les papilles puis finalement, il se contenta de faire signe au tavernier pour qu’on leur apporta pain et terrine. Après tout, il ne fallait pas se contenter de boire, au risque de perdre toute lucidité bien trop rapidement.
En entendant les suppositions qu’émettait Kali sur le commanditaire de ce crime abjecte, l’esprit de détective du garde s’éveilla. La logique du jeune homme était plus que bonne, les histoires de concurrences et de jalousie mal-placée était souvent à l’origine de tragédie. Encore une fois, le pouvoir qui allait avec la richesse transformait les honnêtes gens en bête assoiffée et sans limites. Tout pour l’argent. Adrian soupira. Le monde était bien trop corrompu à son goût. Machinalement, il reprit une gorgée de sa boisson, avant de grimacer à nouveau. Le goût amer emplit à nouveau sa bouche et il grogna doucement pour ne pas s’énerver contre lui-même avant de déposer la chope encore à moitié pleine sur le plateau de la serveuse qui leur apportait leurs encas.
« Pourrions-nous changer de cuvée Mademoiselle ? Celle-ci n’est... Pas à notre goût » La demoiselle rougit lorsqu’Adrian posa son regard doux sur elle et balbutia quelques mots avant de s’en retourner au bar.
Kali de son côté, avait sorti un calepin qui enfermait une feuille sur laquelle étaient croqués les visages doux et souriants d’un couple encore dans la fleur de l’âge. Adrian ne put s’empêcher de sourire en réponse à l’expression joyeuse qu’arborait l’orphelin. Finalement, le deuil pouvait finir par laisser la place à de sentiments plus légers.
Alors qu’il s’apprêtait à répondre sur sa vie de garde, un nouveau venu interrompit Adrian. C’était un homme d’une cinquantaine d’année et qui, aux vues de sa démarche ébrieuse, avait visiblement forcé sur la boisson plus que de raison. Titubant presque, il s’affala sur la chaise libre qu’offrait la tablée, son mouvement brusque allant même jusqu’à rompre la quiétude du vieux chat qui quitta son bol pour se réfugier sur les genoux de son maître, les oreilles plaquées en arrière de colère. L’intrus lui, se tourna vers le seul civil de la pièce sans même accorder le moindre regard au chat qu’il venait de déranger ou à son collègue de la garde. Ce dernier n’avait pas une bonne mémoire des visages et était incapable de mettre un nom sur cet inconnu.
« On se s’rait pas croisé qu’e’que part toi et moi ? Ta tête m’dit un truc… Les yeux là… »
Tout en prononçant ces quelques mots, l’homme s’était dangereusement penché vers Kali et avait planté son regard noir et embrumé par l’alcool dans celui du jeune homme. Autour de lui, l’air empestait d’ailleurs la liqueur et la sueur, si bien qu’Adrian eut un mouvement de recul avant de l’interpeller.
« Eh l’ami, t’es un peu près de mon compère là, tu crois pas ? » lui dit-il en lui touchant l’épaule pour s’assurer d’être entendu.
Pour toute réponse, l’homme recula dans sa chaise et reprit des distances plus acceptables tout en continuant de fixer le jeune homme aux cheveux bruns. La main sur son épée de service qui ne le quittait jamais, Adrian n’intervint pas plus pour l’instant. Il préférait laisser aux autres le soin de combattre leurs combats et intervenir qu’en cas de nécessité. Il était de nature pacifiste mais, prêt à dégainer, il n’hésiterai pas à croiser le fer si besoin.
« On se s’rait pas croisé qu’e’que part toi et moi ? Ta tête m’dit un truc… Les yeux là… »
L’homme se penchait vers toi, détaillant tes prunelles et ton visage marqué par la fatigue. Il t’avait sans doute reconnu, mais vu qu’il était bourré, ce n’était pas un problème. En tout cas, il avait brisé ta tranquillité, tu avais envie de lui faire payer. Tu posais ta main sur le poignard que t’avais offert Adrian, prêt à le planter s’il tentait une quelconque folie. Ton ami semblait aux aguets aussi, tapotant l’épaule du colosse. Il t’entait de le résonner avec les mots, sans doute inutile vu l’état déplorable de l’inconnu. Étrangement, l’homme avait pris ses distances, mais il continuait de te fixer d’un regard noir et glaçant.
« Ton pote lui ? »
Il semblait cogiter, tu n’étais pas en bonne posture, surtout qu’Adrian t’avait soupçonné tout à l’heure. Toi, tu restais de marbre face à cette situation. D’une voix froide, tu répondais au géant.
« Moi, tu ne me dis rien. Tu as dû te tromper de personne, comme ton collègue tout à l’heure. »
Tu posais tes mains, sur la table, fermant les yeux. Tu devais te calmer, tu ne voulais pas te battre, surtout pas dans un bar. L’inconnu se tournait vers ton défendeur, affichant un air qui se voulait sérieux.
« J’te laisse gérer et garder un œil sur lui, il n’est pas net. »
L’homme se levait avec peine, pour partir en direction du comptoir tout en titubant. Toi, tu soupirais, soulagé. Heureusement, rien n’était arrivé. Tsuki venait te frotter les mollets, elle était vraiment mignonne.
« Tu le connais ? »
Tu marquais une pause avant de reprendre, d’une voix un peu attrister.
« Je pense que je ne vais pas tarder à y aller. Je sens que je fais un peu tache ici. »
Tu te levais doucement, accompagné d’un sourire. Rester était trop risqué, si un autre garde venait à te reconnaître, ça allait confirmer le fait que tu étais quelqu’un de louche. Tu ne voulais pas perdre un ami que tu venais à peine de te faire.
Le colosse qui s’était invité à la table intriguait néanmoins les deux comparses. Chacun était désormais monté sur ressort afin de réagir à la moindre menace, au moindre geste suspect. Adrian s’attendait toujours au pire lorsque l’alcool était paramètre de l’équation. Certains avaient commis les pires atrocités sous son emprise : le breuvage était un ami qui pouvait se révéler trompeur. Pourtant, l’intrus resta étonnamment calme dans ses intentions comme dans ses remarques.
Kali, de son coté, semblait particulièrement perturbé par cette menace. Les mains posées sur la table, il répondit d’une voix glaciale qui fit lever un sourcil aux deux gardes attablés près de lui. Adrian ne pouvait pas lui en vouloir, lui-même aurait certainement perdu son sang froid s’il avait dû subir un tel assaut au beau milieu d’une soirée détente.
« J’te laisse gérer et garder un œil sur lui, il n’est pas net. »
Adrian hocha machinalement la tête pour toute réponse ce qui eut pour effet de faire décoller son collègue de son tabouret. Il l’observa tituber jusqu’au comptoir où il prit appui sur une chope débordante d’un liquide doré avant de s’affaler sur un nouveau tabouret. Le regard du garde se perdit alors tandis qu’il réfléchissait aux derniers évènements. Pas net. C’était la deuxième fois dans la soirée. Il se tourna vers son camarade de boisson tandis que la serveuse revenait avec les dernières boissons commandées.
« Je comprends… Je suis désolé que la soirée ait été écourtée par cet ivrogne »
Le forgeron sentait que sa nouvelle connaissance était mal à l’aise dans cet endroit. Il l’observa se lever et nota sa mine attristée. Il est vrai que tant de gardes pouvait impressionner. Il se dit qu’il ne réitèrerai plus l’expérience.
« J'ai passé un très bon moment en tout cas ! Mais je vais rester encore un peu, j’ai… Des choses auxquelles je dois réfléchir. Il marqua une pause. L’instant d’une soirée, il avait réussi à oublier la raison initiale de sa venue. Mais, avec la fin de cette pause, les souvenirs revenaient et le deuil s’abattit sur son visage. Ne souhaitant pas paraître morose, il afficha un grand sourire et poursuivit. Et puis, on va pas laisser ces chopes pleines, je vais m’en occuper ! »
Et tout en disant cela, il associa le geste à la parole et porta une des chopes pleines à sa bouche. Visiblement, toutes les cuvées devaient se ressembler à cette heure, car il eut peine à déglutir. Cette gorgée était aussi infecte que la précédente.
Mine de rien, il salua Kali qui prit congés sans attendre. Comme poussé par une force invisible, ce dernier se glissa entre les tablées de la taverne sous le regard intrigué d’Adrian. Pas net. Pourquoi l’ivrogne avait-il dit cela ? Un rapide coup d’œil en direction du comptoir apprit au garde qu’il n’était pas le seul à observer le brun quitter les lieux : ledit ivrogne et quelques-uns de ses amis avaient le regard mauvais. Reportant son attention sur le jeune homme, Adrian porta machinalement une dernière fois la chope à ses lèvres et grimaça. Kali lui, disparut par la porte.
Un éclair traversa alors le forgeron. Il chuchota alors quelques mots qui restèrent en suspend au-dessus de sa tête.
« Pourquoi diable un fils de boulanger aurait-il besoin d’épée ? »