Ah ça, rêveuse, Leoven l’avait toujours été ! Déjà petite, coincée dans sa prison d’or, elle brulait de découvrir le monde à dos de dragon. Sa nourrice attitrée devait la traîner de force hors de son lit certains matins tandis que d’autre, la petite tête rousse disparaissait subitement pour jouer dans un monde qu’elle seule semblait voir. Avec l’âge et les études, l’enfant capricieuse et imaginative avait laissé place à une adolescente maussade et grincheuse. Pourtant, elle n’avait jamais perdu sa grande curiosité. Comment aurait-elle donc pu résister en apprenant qu’à quelques heures du Grand Port avait lieu une grande vente de familiers et montures en tout genre ?

La jeune soldate déambulait donc en tenue de civil parmi les tentacules, les griffes et les plumes d’une impressionnante variété d’animaux. Ses sourcils flamboyant n’était exceptionnellement pas froncés dans une mimique grincheuse. Il était assez rare de la voir cette faire preuve d’autant d’allégresse et d’innocence. Le temps d’une après-midi, elle semblait avoir délaissé sa peau de râleuse-casse-pied comme un serpent qui se défait de sa mue. Avec un petit sourire timide qui lui donnait 3 ans de moins, elle s’approcha de chaque enclos pour y observer les différents animaux qui y étaient exposés. Au loin, elle pouvait entendre le raffuts de la vente aux enchères qui avait attirée tant de monde. L’occasion rêvée pour s’immiscer discrètement dans les coulisses de l’événement et d'en prendre plein les yeux !

C’est après un gigantesque terrarium remplis de glooby qu’elle le vit. Ses prunelles émeraudes s’agrandirent devant tant de grâce et de puissance. L’animal semblait être nerveux : il frappait le sol en renâclant furieusement. La garde comprit rapidement pourquoi en voyant deux hommes sortirent pressement de l’enclos, armés de longes et cordages peu adaptés à un animal si fier et intelligent. Fascinée, la petite rouquine s’approcha à petit pas de l’étalon, mains en avant et le regard plongé dans celui de la bête. A plusieurs reprises, Leoven avait dû s’occuper de chevaux réfractaires. Elle se retrouvait en eux qui, tout comme elle, refusaient la moindre entrave imposée. Elle savait comment amadouer leur vigilance.

« Doucement… Doucement. Je sais bien que cet endroit n’est pas fait pour toi. Tu rêves d’espaces, de prairie où rien ne t’arrêtera. Tu rêves de pouvoir galoper sans contraintes, libre comme l'air. Je connais tout ça. »

Avec une douceur qu’elle ne réservait qu’aux animaux, l’adolescente s’approcha un peu plus de la barrière qui les séparait. Elle posa une main sur le morceau de bois et tendis l’autre vers ses naseaux. Silencieusement, elle semblait lui demander l’autorisation de mettre un pied auprès de lui. Avec une douceur proportionnelle à celle qu’on lui offrait, l’étalon vint souffler entre les doigts de la jeune fille. Cette dernière sourit en comprenant qu’elle venait de gagner sa confiance. Avec assurance et sans peur, elle le quitta pour la première fois des yeux et se glissa souplement entre les planches de la clôture. Le visage paisible, elle vint gratter avec des gestes assurés le chanfrein de l’animal. Ses mouvements étaient extrêmement calmes et doux, témoins d’une grande expérience. Captivée par la prestige de cet étrange équidé cornu, elle ne vit pas qu’une personne s’était approchée pour les observer. Puis l’étalon releva brusquement la tête, rompant l’échange magique qu’ils partageaient. Leoven se redressa elle aussi en entendant une voix l'interpeller un peu rudement, mais non sans curiosité. Surprise, elle regarda une étrange femme bondir agilement dans l’enclos pour la dévisager d’un air suspicieux. Ses vêtements n’étaient pas habituels, très foncés et parcourus de trou. Manquait-elle d’argent ? A voir son imposant collier étrangleur, ses cheveux bleu électrique striés de noirs et son maquillage tout aussi sombre, Leo devina que cette drôle de femme avait simplement des goûts … différents.

Une main toujours posée sur l’encolure de l’étalon, elle lui répondit en plissant les yeux :

« Je pourrais te retourner la question ... »

Elle aussi savait se montrer forte tête ! Elle releva légèrement le menton dans une posture provocatrice. Malgré tout, la présence de l’unicorne apaisait son tempérament un peu trop impulsif si bien qu’elle finit par se forcer à ajouter :

« Mais en personne polie, je vais te répondre la première. Je m’appelle Leoven et je suis une simple curieuse. »

Inutile d’en dire plus ! Faut pas pousser mémé dans les orties non plus… Néanmoins, Leoven se savait en tort. Elle n’avait rien à faire dans cet enclos et devrait donc se la jouer fine pour éviter les ennuis. La rouquine fit un pas en avant et tendis une main franche et rigide à son interlocutrice pour une bonne poignée de mains entre collègues inconscientes de l’être !

Aucune des deux femmes ne le remarqua, mais le regard vif et futé de l'unicorne derrière elles luisant d'un air malicieux. Avait-il déjà deviné ce qui allait advenir de cette rencontre ?