Double date

─ avec Vrenn

J’attends au restaurant, seul. Luz a une intervention tardive, elle nous rejoint dès qu’elle le peut. J’ai hésité à laisser les tourtereaux ensemble et attendre mon amante, quoi, je ne vais pas tenir la chandelle quand même ? Mais bon, il s’agit de Zah, et de son gars. Je ne le connais pas trop ce type, j’ai mis quelques secondes à le remettre quand Luz m’en a parlé. Ce sera l’occasion d’en savoir un peu plus sur lui après tout. Bien que peu loquace, je peux bien faire cet effort pour les filles. Puis je m’assurerai que Zah est heureuse avec lui.
D’ailleurs si je me souviens bien c’est plus elle qui est réticente. Dans la cuisine de Jack, avant d’apprendre la terrible nouvelle, je crois bien me souvenir de Vrenn dépité que Zah n’assume pas leur relation. Ce dîner montre bien que les choses ont évolué, c’est une bonne chose. Enfin je crois.

Le restaurant, « Au quatrième mur », est vraiment classe. D’une sobriété élégante, le blanc épouse quelques notes mordorées accentuées par quelques végétaux à la vive couleur. Connaissant ce type d’endroit de par ma jeunesse, bien que père nous y amenait peu, j’ai vêtu des vêtements qui se prête plus à l’occasion. Simple mais efficace. Une demi couette pour tenir un semblant mes cheveux et c’est parti.
J’arrive pile à l’heure en espérant rejoindre directement les invités. Au lieu de cela je reste seul, un premier verre en main pour me faire patienter. Les minutes sont longues, je finis par sortir un tabac au goût fruité pour m’en rouler une. Je ne fume quasiment jamais, c’est Zahria qui m’y a initié après nos entraînements à l’arène. Voyant mon goût prononcé pour celui-ci en particulier elle m’a laissé la fin avec quelques feuilles. Et je dois bien vous avouer : je galère à rouler ces machins là. Ce soir je m’en sors pas trop mal, et me servant d’une des bougies sur la table pour l’allumer, je prends le temps d’inspirer et de savourer la fumée sucrée.

Et le temps, il s’écoule tranquillement. J’ai le temps de finir et mon roulé, et mon verre quand Vrenn débarque. Ça y est je le remets mieux maintenant que je le vois. Il arrive droit sur moi, se présente. Je le coupe pour lui faire comprendre qu’il n’y a pas besoin, je me souviens encore de la soirée chez jack bien qu’on ait bu pour essayer d’oublier le drame. Ou pour soutenir notre ami. Ça semble le surprendre d’ailleurs. On échange quelques banalités, j’apprends le retard de Zahria. Je commence à croire que tout cela est un coup monté, en vain, pourquoi ? Ces dames ont des emplois du temps digne de ministres, je me demande même s’ils ne sont pas pires.

- T’es aventurier c’est ça?
- Ouais.
- C’est quoi ta spécialité?
- La chasse à l’homme.

Je le regarde, dubitatif, puis il lève son verre.

- Profitons de notre repos.
- Bien dit.

Nous buvons une bonne lampée de vin. Il est agréable en bouche, la tanin, présent, ne prend pas le dessus sur les goûts fruités de fruits rouges. Légèrement épicée une note presque fraîche relève la dernière bouche.

- Sinon avec Zahria ça va?
- Ça va.
- Tu comptes pas m’en dire plus?

Cette fois c’est lui qui relève la tête de son verre pour me regarder presque blasé.

- Je comprends pas toujours ce qu’elle attend de moi. Ça pourrait être simple tu vois, mais ça ne l’ai pas. Tu comprends ?

Je tais le fait qu’avec Luz rien est compliqué, l’osmose dans laquelle nous baignons est parfaite et les obstacles que nous pouvons rencontrer deviennent de simple dos d’âne lorsque nous sommes ensemble.

- J’imagine. Mais qu’est-ce qui est compliqué au juste?

Il se renfrogne, le serveur revient vers nous.

- Faut-il débarrasser les tables à vos côtés ?
- Non laissez, nos compagnes ne devraient plus tarder ...
- Très bien.

Sauvé par le gong, je n’insiste pas sur la relation entre Vrenn et Zah. Je verrais bien comment ils se comportent ensemble.

- Ça fait longtemps que tu connais Jack ? Vous vous êtes rencontrés à la Guilde?

Il m’explique vaguement l’histoire et je lui fait par de la manie de notre moustachu à ne jamais l’appeler par son prénom.

- Qu’est-ce tu veux, Vrenn c’est compliqué à retenir.

Tiens, une esquisse de sourire.

- Apparemment. concédé-je en me rappelant les Truelle, Graine, Traîne et autres affabulations dont le brun s’est vu nommé.

Les verres s’enquillent, la bouteille est vide. Les filles toujours absentes. Cette fois c’est moi qui commande une autre bouteille, je me souviens d’un vignoble plutôt reconnu chez la bourgeoisie Aryonnienne.

- Avez-vous du Vin de Merde? *

Je vois Vrenn qui me regarde avec des yeux ronds, je souris.

- C’est du Domaine d’Aniane au Sud d’Aryon. L’oenologue en collaboration avec le propriétaire des lieu avait beaucoup d’humour. Enfin il doit toujours en avoir. Tu vas voir, le tanin est plus charpenté, l’acidité plus fraîche et l’onctuosité un poil plus épais.

Cette fois, c’est le serveur qui me regarde avec des yeux ronds. Oui, j’apprécie cette boisson et je n’ai pas manqué d’en déguster plus que d’en boire. Le type revient avec la commande et nous sert.

- Vas-y balance, qu’est-ce qui te taraude Vrenn?

Je vois bien au voile devant ses yeux que ses méninges tournent à plein régime.

code ─ croquelune

Double date

─ avec Vrenn

- Allons-y, commandons.

Il n’y a pas énormément de choix, preuve de la fraîcheur des plats « faits maison » comme dirait l’autre. Je dois avouer que ce que je vois me fait saliver. En espérant que la promesse que je lis entre les lignes est à la hauteur de ce qu’attendent mes papilles.
Le vin me tournicote la tête, ça ne fera pas de mal de se remplir la panse. Je m’apprête à questionner de nouveau Vrenn lorsque mon cristal sonne. Je m’excuse d’un signe et sort prestement. C’est Luz, elle m’annonce qu’elle ne pourra pas se libérer. Un bruit sourd en fond m’inquiète, j’insiste pour savoir si tout va bien, elle m’en assure. Un patient agité d’après elle … Je la laisse à ses affaires et retourne à table.

- Notre double date se transforme en tête à tête cher confrère. annoncé-je neutre tout en me replongeant dans la carte.

Le serveur laissant traîner son oreille ne manque pas l’information et vient débarrasser aussi discrètement que possible les tables à nos côtés. Je le fixe jusqu’à capter son attention.

- Puis-je vous être utile?
- Nous sommes prêts à commander.

Il se redresse et marque son attention à notre égard.
- Une assiette découverte à partager en entrée, ça te va Vrenn? Puis je prendrai ce pavé de veau accompagné de sa fricassée de pleurotes.

Je laisse mon partenaire dicter ses choix et nous voilà à nouveau seuls. Je résumes rapidement dans mon esprit le fait que tous l’oubli.

- Y a pas un objet de pouvoir qui pourrait contrer ta malédiction?
Et Zah, comment faisait-elle pour ne pas l’oublier ? Maintenant que j’y pense, Luz a eu du mal à me décrire le fameux compagnon de notre amie.

Je n’ai pas le temps de m’intéresser davantage qu’un type s’installe sur la table à nos côtés, faisant signe au serveur de remettre le couvert.

- On vous dérange pas trop ça va? l’abordé-je sèchement.

Il me regarde sourire en coin, faisant claquer sa langue sans pour autant me répondre. Nous restons longuement yeux dans les yeux jusqu’à ce qu’il détourne son regard sur Vrenn.

- J’suis sûr vous en êtes. L’autre m’a dit de vous retrouver là, il a une mission pour vous.

Je ne comprends rien à son charabia, mon compère prend la parole ;

- J’crois bien que tu t’es trompé de table l’ami.
L’homme le fixe longuement, il essaie de communiquer par télépathie ou quoi ? Remarquez, dans ce monde ce ne serait pas improbable que ça arrive.
- S’cusez vous m’faites penser aux autres. Bon ap M’sieurs.

Le serveur revient avec assiette, couverts et verre, je lui fais signe que ce n’est pas utile de les remettre. Je ne manque pas d’apercevoir la contraction d’indignation de sa mâchoire.

- T’as compris ce qu’il voulait?
- Sûrement un simple d’esprit qui s’est trompé d’gaillards.
- Mmh... conclus-je pas du tout convaincu.

L’assiette découverte à partager arrive, et ce que je vois m’enjoue. C’est sans compter sur une révolte aiguë qui provient d’une tablée non loin de nous. Une femme crie tandis qu’un homme à ses côtés s’écroulent lourdement sur le sol, le visage rougit et la mousse au coin des lèvres. L’affolement gagne la salle, le serveur y compris. Je vois du coin de l’oeil l’homme qui nous a abordé quelques minutes plus tôt filer discrètement dans ce capharnaüm, j’interpelle Vrenn sur le fuyard pendant qu’on entend des "Un médecin vite!", "Est-il empoisonné?", "On va tous mourir?!" et autres exclamations plus ou moins constructives couvrent la fuite de notre inconnu.

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Double date

─ avec Vrenn

Pas le temps de tergiverser sur les confidences de Vrenn, je commence à comprendre l’importance de son pouvoir. Des actes répréhensibles oubliés. Utile. En est-il arrivé là ? On abordera le sujet plus tard, car en parlant d’acte répréhensible voilà que notre homme disparaît de ma vue. Je fonce sans trop réfléchir, l’éternel inconnu à mes talons.
D’ailleurs ce dernier me propose des toasts qu’il a pris en partant alors que notre criminel s’envole vers les toits. Je lui jette un regard noir :

- T’es sérieux Vrenn?!

Il hausse les épaules, sort son arbalète-grapin et s’envole à son tour. Damned ! Je n’ai pris que le strict minimum avec moi, laissant mon sac sans fond et mon équipement chez moi. Ce rendez-vous n’était pas du tout censé finir en course poursuite d’un éventuel – n’oublions pas la présomption d’innocence – meurtrier.

Okay je continue à gambettes au sol alors, j’ai de la chance, la lune est pleine ce soir, et l’ombre des deux coureurs de toit se projette de mon côté, m’aidant à suivre le bougre depuis le sol. Jusqu’à ce que l’ombre disparaisse dans un crie, certes masculin, mais pas très viril. Il est de l’autre côté de ma rue ! Je rage. Je tambourine à une porte, un homme m’accueille avec une arme. Pas le temps de discuter, une clé du bras lui fait lâcher sa prise, je l’immobilise en quelques secondes au sol tout en lui demandant s’il a une cours arrière. Il me fait un vive signe que oui, je me relève sa femme me regarde apeurée.

- Excusez ma dame, une urgence. Vous n’avez rien à craindre de moi. glissé-je en courant à l’arrière de la maison.

Me voilà dans le jardinet, somptueux dois-je avouer en passant. J’entends que l’on se débat pas loin, je grimpe sur le muret. Et là, chez le voisin, j’aperçois Vrenn sur notre homme en train de le ligoter. Je le rejoins le souffle court.

- Bien joué, ça va?

Demandé-je entre deux souffles alors que du sang coule sur l’arcade de mon comparse. Il s’essuie nonchalamment.

- Oh ça … C’est rien.

Il relève le type pour retourner dans la rue. Sauf que … y a pas de chemin, on va être obligé de traverser cette maison ci aussi.

- Tiens regarde la fenêtre est ouverte, tu rentres et tu m’ouvres la porte?

Ça relevait plus de l’ordre que de la question. Pénétration dans une propriété privée, infraction. Remarque, on est déjà en délit. Je hausse des épaules et je m’exécute.
A peine j’entrouvre la porte que Vrenn passe tenant toujours le type fermement devant lui. Je vois le lascar mâchouiller la rogne qui lui sert de couvre cou. Je discerne une petite capsule coincé dans les mailles et je comprends rapidement qu’il essaie de la gober. Je le stoppe et arrache le tissu.

- Si t’as froid je peux te passer ma veste hein, si j’étais toi j’mettrais pas ça.
- Regarde.
- Ah.

Je garde la capsule, sait-on jamais qu’elle nous permette de retrouver les types pour qui le scélérat bosse.
On sort de là non sans réveiller les propriétaires qui appellent la garde à tue tête. Tant mieux, c’est d’eux dont on a besoin. Il a fallu bien débattre pour pas nous faire embarquer aussi en plus du malfrat. Heureusement que nos habits classes argumentent nos paroles.

- Ça colle plutôt bien avec l’incident du restau.

Souffle un garde à son supérieur. C’est normal puisque c’est ce qu’il s’est passé ai-je envie de rétorquer. Je m’abstiens.

- Monsieur vous avez besoin de soin, on va vous amener voir un médecin. annonce le dit supérieur à Vrenn.
- Non c’est bon. J’connais un médecin qui s’occupera de ça. Pour l’heure j’ai un repas à finir. Coffrez moi ça et faites ce que vous faites d’habitude.

Tout le monde le regard avec des yeux ronds. Oui oui, il est sérieux pensé-je au fond de moi en le suivant avec un léger sourire aux lèvres.

- T’as raison Vrenn faut pas se laisser aller. Pas sûr qu’ils servent encore là bas par contre.
- Détrompe-toi. rétorque-t-il sûr de lui.

Ben il a raison le bougre. Après avoir évacué la victime et interrogé tout ce beau monde, nous y compris, on se réinstalle et le serveur revient vers nous, tremblottant.

- Quel histoire, quel histoire ! Je ne sais pas si je vais m’en remettre!
- Je reprendrai bien vos toasts à la mousse là. Un p’tit dédommagement plus que bienvenue.

Le garçon de salle le regarde, éberlué. Il se renfrogne.

- Je ne me souviens pas vous avoir vu assister au drame, espèce de profiteur. Sortez de ...
- Je vous assure qu’il était là. Le coupé-je.

Moi, c’est sûr, il va s’en souvenir. Il pince ses lèvres et fini par repartir.

- Et une bouteille du château Lacour, histoire de nous remettre de nos émotions. Dis-je assez fort.

Les autres clients sont encore en train de piailler sur les derniers événements, certains s’en vont d’autres nous regarde offensés, mais finissent par faire de même.

- Donc tu disais que de se faire oublier à ses avantages, tu en as prit partie?

Pourquoi s’inquiéter davantage, nous n’avons pas été la cible de ce manège et la garde se chargera de l’affaire bien mieux que nous.

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Double date

─ avec Vrenn

Le petit saligaud, il a bien profité ! En même temps, si j’avais un tel pouvoir, n’aurais-je pas fait de même ? Après tou, ce qui nous retient le plus, ce sont les conséquences. Lorsqu’il n’y en a pas, avec toute l’éducation du monde, ne serions-nous pas tenter d’enfreindre quelques règles ? Commettre quelques délits ?
La conséquence est tout de même lourde. Personne ne vous reconnaît, aucun lien possible. Il y a quelques années, j’avoue que la perspective aurait été des plus attrayantes. Maintenant, non, je ne le ferai pour rien au monde.

Les plats arrivent, s’enchaînent doucement. Vrenn me demande alors de raconter mes petits trucs pas fier. Je pense alors à mon enfance, ma disparition, l’abandon de ma famille. Je n’en suis carrément pas fier, et l’alcool aidant, je suis presque prêt à lâcher le morceau. Parler du plus grand secret de ma vie. Je commence prudemment, tournant autour du pot, esquivant le vif du sujet.

- Oh tu sais à l’adolescence j’ai été recueilli dans un couvent, il n’y avait pas grande marge de manœuvre. J’étais plutôt sage bien que j’ai fait tourner sœur Martha en bourrique quelques fois. Rien de bien méchant.

Une gorgée de vin, une gorgée de courage.

- Moi aussi je me suis fait oublier, pour fuir une vie que je ne voulais pas. De mauvaises raisons quoi …

Le dessert arrive, je remercie notre peu aimable serveur avant d’entamer la tarte. Quelles saveurs ! L’acidulé des fruits confronté à la douceur de … Qu’est-ce que c’est d’ailleurs cette petite quenelle ? Je demande au serveur, retardant la suite de mon récit.

- Somptueux travail de banane et pois chiche. lâche-t-il avec flegme.
- Et la mousse sur le dessus? insisté-je alors que ceci me picote les papilles.
- Emulsion de champagne.

Voyant que je n’ai pas d’autres questions il se retire. Patient, Vrenn n’insiste pas et sur mon histoire, bonne stratégie. Non opressé je m’apprête à reprendre quand le collier jumeau en lien avec Luz m’alerte d’un danger. Je me lève d’un bon !

- Luz est en danger!

Je saute dehors, tente de la joindre via le cristal. J’attrape alors la pierre de lien pour connaître la direction où se trouve mon amante et la rejoindre au plus vite. Vrenn sur les talons prêt à en m’aider, non sans son assiette de dessert en main. Indécrottable.
L’effet de l’alcool s’estompe aussitôt que le danger et la peur m’assaillent. Du moins, j’en ai l’impression car quelques zigzag s’imposent à notre route. La dernière bouteille était bien bonne. A moins que ça ne soit « l’émulsion de champagne ». Sans nul doute.

Nos pas nous mènent devant la coloc, aucune source de lumière ne s’échappe de la maison en bois. Pourtant la magie de la pierre de lien me crie qu’elle est là. Je me précipite à l’intérieur pour me faire vite maîtriser par un duo. Très vite Luz et Zahria nous menacent.

- Mais qu’est-ce que vous faites?!

Nous reconnaissant les filles nous libèrent aussitôt pour nous raconter leur mésaventure. Effectivement, sous nos yeux un corps emmailloté.
Conclusion numéro un : Quand ta compagne te dit « j’ai un empêchement », ce n’est peut-être très bon signe.
Conclusion numéro deux : Vrenn est un bon pote, il suit sans poser de question !
Conclusion numéro trois : Les filles se débrouillent très bien sans notre aide.

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