-Signez pour moi ! Pour une guilde des aventuriers mieux reconnu !
-Signez. Pour plus de rigueur.
-Signez ici ! Pour plus d’égalité hommes femmes !
-Signez chez moi ! Pour un représentant sympathique !
C’est l’heure de manger. Et devant les bâtiments de la guilde, il y a foule. Déjà parce qu’une grande partie des membres de la guilde sortent pour manger un morceau, mais aussi parce que tous les candidats sont en campagne et rabattent le chaland dans les filets de leur pétition. Enfin, pas tous les candidats. Certains, comme Arno Rak ; pour ne pas dire que lui en fait, ne s’embarrassent pas de moyen en faisant appel à des collègues, voire des amis extérieur à la guilde, pour faire son travail à sa place. Là où il devrait se tenir, il y a trois de ses soutiens qui tentent d’attirer l’attention des aventuriers affamés, exposant fièrement leur pins « Conseiller Rak » épinglé sur leur poitrine. Ils sont beaux. Ils sont fringants. Ils doivent avoir un budget à part entière pour l’apparat pour être si bien sapé. C’est triste à dire, mais ça paie. Plusieurs personnes qui avaient signés pour moi sont passées pour retirer ledit soutien. La course est encore longue jusqu’à la décision finale, mais ça donne un petit coup au moral tout ça. Heureusement, on en regagne toujours après. Mais Rak tient la course en tête.
Quand je disais que tout le monde est là ; Sauf Rak, du coup ; c’est que c’était vraiment tout le monde. Même Lou est là. Engoncé dans son imper’ délavé et arborant un semblant de rictus grimaçant dans un effort incroyable pour avoir un soupçon d’émotion, l’examinateur en chef mène campagne pour davantage de règlements, davantage de formulaires et davantage de paperasse. Car « l’ordre est le fondement de toute organisation civilisée », le détestable individu est convaincu que plonger le monde dans le tout administratif le conduira vers davantage de stabilité et de bonheur. Sentiments dont il ne connaît pas le sens, soit disant passant. Il n’attire pas foule, comme s’il y avait l’épicentre d’une aura de répulsion particulièrement efficace. Un moment, je capte son regard alors qu’il me fixe. Je me rappelle que j’ai un dossier un retard. Il le sait. Et que je ne sois pas entrain d’y bosser l’insupporte, même si à cause des élections, les candidats ont quelques dérogations pour alléger leur charge de travail. J’ai ouïe dire que Lou comptait annuler ces dérogations une fois au conseil. Si ça arrivait, bien sûr.
Parce que l’objectif, c’est quand même de gagner.
Soudain, il y a du mouvement et des gens se mettent à crier. C’est la campagne, certes, mais là, le ton est menaçant et je vois un rabatteur de Rak et un autre de Camomille, la candidate des hôtes et hôtesses d’accueil échanger des propos agressif. Naturellement, je viens me poser entre eux même si on pourra me le reprocher à l’avenir. Genre je profite du moindre événement pour me mettre au premier rang et attirer la lumière sur moi. Mais faut savoir faire les bonnes actions quand on en a besoin.
-CES METHODES SONT SCANDALEUSES !
-JE N’AI RIEN FAIT !
-Allons. Allons. Calmons nous et discutons à tête reposée, vous voulez bien ?
Les deux types me reconnaissent et me lancent soudainement des regards suspicieux, mais ils se rendent bien compte que je suis quelqu’un de profondément sympathique, alors ils se calment un peu.
-Alors, de quoi parlez vous ?
-Je l’ai vu discuté avec des types louches. Depuis deux jours, il y a des vols à proximité de la guilde. J’ai perdu une pile comme ça de prospectus à cause d’eux !
-Ce n’était pas moi ! Tu confonds avec quelqu’un d’autre !
-Si c’est pas toi c’est un autre. Je suis sûr que c’était un membre de l’équipe de Rak.
-N’importe quoi.
-Et comment t’expliques que vous êtes épargnés par ces agissements ?
-La faute à pas de chance.
-Moi aussi, j’ai pas trop à me soucier de ce genre de problème. Je les découvre même.
-Ah ouai ? Peut-être que c’est toi le responsable, non ? A qui profite le crime ?
-Oh calmez vous. On accuse pas comme ça les gens.
Les esprits s’échauffent davantage et il y a un brusque regain de défiance à mon égard. Ça, ça peut me faire perdre l’élection. Enfin, à peu près tout et n’importe quoi peut me faire perdre à l’élection. Même croiser le regard de quelqu’un peut paraître dangereux. Je dois désamorcer la situation avant que ça ne m’handicape trop sérieusement.
-Ecoutez. Ce que je vous propose, c’est que je vais m’occuper moi-même de cette affaire.
-Comment ça ?
-Je vais enquêter. Et quand j’en aurais fini, il n’y aura plus de problèmes. C’est juste des vols ?
-Des intimidations aussi. Des vols de matériels, mais des vols plus classiques chez des gens de chez nous.
-Mmmh. D’accord. Vous inquiétez pas. Whiskeyjack est sur le coup. Je vais nous débarrasser de ce genre de tracas.
-Ouai. Z’avez intérêt.
Je ne me fais pas de bille. Je suis plein de ressources.
Plus assurée, et habillée suffisamment proprement pour ne plus passer pour une souillon, Elia déambulait dans les rues, l'air tranquille, mais l'esprit affûté. Elle avait entendu du grabuge du côté de la Guilde des Aventuriers, et sa curiosité naturelle la poussait à s'approcher. Il était visiblement question d'une campagne, d'une élection, mais l'adolescente ne comprenait pas tout. Une fois devant le bâtiment, elle n'eu aucun mal à se fondre dans la foule déjà bien présente qui s'était massé autour de trois gaillards en pleine bagarre. Une accusation de vol de prospectus, tentative de sabotage de la campagne apparemment. Elia haussa un sourcil. Tout ceci ne la concernait pas vraiment, en vérité. Pourtant, elle était tentée de rester, de s'en mêler. Une part d'elle songeait que sa maîtresse serait ravie d'en apprendre plus sur les affaires de la Guilde, cela pouvait toujours être intéressant. Une autre part, plus discrète, lui soufflait juste que la Guilde était une alternative. Une possibilité. Quelque chose qu'elle n'avait jamais envisagé avec sérieux. Mais qui existait. Elle fit taire cette voix, bien trop pleine d'espoir déplacé à son goût, et fit un pas en avant.
Un type, dans la trentaine, au physique assez quelconque, venait de proposer d'enquêter sur cette fameuse question des vols de prospectus. Voilà qui était une occasion à saisir. Elia s'approcha de lui, un sourire plein d'innocence aux lèvres, et se lança :
- Vous avez besoin d'aide ? Il paraît que je suis assez futée dans mon genre? Je pourrai vous filer un coup de main, pour votre enquête.
Qui pouvait imaginer que derrière cette frimousse angélique et ces grands yeux verts se cachaient une petite tête pleine pleine ?
-Me donner un coup de main ? Oh bah c’est bien gentil, ça. Je dis pas non. Les jeunes de nos jours, ils sont bien serviables. Et qu’est ce que tu sais faire ?
-Je suis habile de mes mains et je remarquer des petits détails. Et puis, je cours vite.
-D’accord, t’es embauché.
Embauché, vous dites ? Whiskeyjack fait dans le travail des enfants ? M’enfin, le travail forge la jeunesse comme on dit par chez nous. Faut bien faire acquérir de l’expérience de la vraie vie de la vie véritable pour s’y épanouir. Et franchement, est-ce que j’ai l’air d’un pitoyable employeur ? Hein. Non. Je lui fais signe de me suivre et on se dirige vers l’endroit où on a fait les derniers signalements. C’est une rue qui longe les bâtiments de la guilde. Pas très passante, mais pas non plus craignos, si vous voulez tout savoir. Les aventuriers l’empruntent régulièrement pour accéder à une rue plus fréquenté où on peut trouver un paquet de petites boutiques pour manger sur le pouce. Le pic de fréquentation, c’est surtout le midi, donc. Et comme c’est le midi, justement, de tout son long, la rue laisse déambuler des aventuriers guidés par leur estomac vide. A peu près au milieu de la rue, il y a un petit carrefour ou la troisième voix débouche sur une petite place avec une ruelle dans le fond, pas très sûr celle-ci. C’est dans ces environs que les méfaits ont été accomplis. A priori, ils se produisent en fin de matinée, au moment ou le trafic est encore très léger. Ce sont les membres des équipes électorales qui passent à cette heure : ils vont mangés en amont, histoire d’être disponible pour faire leur pub lors de la sortie du gros des troupes. Endroit stratégique, donc.
-Bien. Voyons si tes yeux sont capables de repérer des indices.
Je regarde aussi, hein. Je suis pas là non plus pour me reposer sur les épaules des autres. Ça s’appelle des stagiaires, ça. Moi, aussi, je regarde les environs à la recherche de quelque chose utile, mais à part les signes distinctifs propre à ce lieu, c'est-à-dire des détritus et des reliefs de repas à peine terminé, il n’y a pas grand-chose de visible. Quelques nuisibles nous guettent dans les ombres. Paraîtrait qu’on les dérange. Et pas qu’eux. Trois individus finissent par m’interpeller. Les sourcils renfrognés et les pouces à la ceinture pour se donner un genre. Je vous dirais pas lequel.
-Qu’est ce que vous faites là ?
-On nous a dit qu’il y avait eu des agressions dans le cadre de la campagne électorale. Et comme ça pourrit l’ambiance, on enquête.
-Vous enquêtez ? Vous ne seriez pas plutôt entrain d’effacer vos traces non ?
-Ca serait partir du principe que c’est nous les coupables, ce que je réfute totalement. Je suis un candidat honnête.
-Mouai. Avec une gamine qui me fait penser à une voleuse. Moi c’est ce que j’en dis.
-M’enfin, mais pas du tout. Regardez là. Elle a l’air totalement gentille et innocente. Hé… Hé ! Viens te présenter.
Elle s’approche. Elle se présente. C’est quand même plus pratique de mettre un nom sur sa tête. Et je surenchéris.
-Voyez ? Il n’y a pas besoin d’avoir de soupçons.
-Mouai. Et vous, c’est quoi ?
-Whiskeyjack Callahan. Mais vous pouvez m’appeler Jack. Vous nous laissez faire notre travail, maintenant ?
-Mouai. Mais on vous a à l’œil.
-Si vous voyez quelque chose d’intrigant, n’hésitez pas.
Plus on est d’enquêteur, mieux c’est. Parait-il.
Et sans s'étendre davantage en explication, il prit la direction d'une allée sillonnant la guilde, suivie de près par la rouquine, qui n'allait pas le lâcher de la journée. Apparemment, les vol de prospectus avaient été principalement eu lieu ici, ainsi que des méthodes d'intimidations. Elia n'était pas assez sotte pour ne pas deviner qu'il s'agissait de passage à tabac. Le type de la guilde lui intima d'ouvrir les yeux à la recherche d'indice. La rouquine ouvrit de grands yeux, s'attardant sur chaque recoin. C'était un endroit assez peu fréquenté par les citoyens lambda, sans doute bien plus par les membres de la guilde. Quelques stands de restaurations.
- Si c'est le chemin le plus rapide pour rentrer à la guilde tout en mangeant un morceau, alors les coupables profitent sûrement du relâchement des candidats qui se goinfre pour piquer les prospectus. Et p't'être même que l'un des restaurateurs est dans le coup.
Comme elle pouvait l'observer, lorsque les estomacs grondaient, vers la fin de la matinée, tous le monde oubliait ses tâches pour se remplir le bide. Certains avaient des tractes plein les mains, les tenant à bout de bras, arrivant à peine à tenir les brochettes ou les sandwichs qu'ils venaient d'acheter. Elia plissa les yeux, mais n'eu pas le temps d'en voir davantage qu'elle et le gaillard étaient interpellés par un groupe, d'aventuriers certainement. Ils n'avaient pas l'air ravi de les voir en train de fouiner dans les parages. La jeune fille fronça les sourcils lorsque l'un d'eux supposa qu'elle était une voleuse. Eh ! Elle était toute propre en plus. Bon, ses ongles étaient peut-être un peu noir, mais depuis qu'elle était avec Valeera, elle se lavait bien plus souvent. Elle s'avança donc, une expression angélique sur ses traits, et décida d'opter pour une fausse identité, dans un soucis de prudence :
- Priscilla, je suis une jeune adepte de Lucy, au service de la bonne sœur Friede. J'espère seulement un jour devenir une grande aventurière, c'est un honneur pour moi de rendre service à Monsieur aujourd'hui.
Elle laissa le gaillard se présenter également, se demandant s'il avait conscience que tout ce qu'elle disait était absolument faux. Sœur Friede était l'une des fausse identité que prenait régulièrement Valeera, elle savait qu'elle couvrait ses arrières en utilisant ce nom là. Jack - puisque c'était son nom - essayait d'embrigader tous le monde dans son enquête, mais ces types n'avaient pas l'air convaincus.
Les deux détectives du jour s'éloignèrent, et Elia leur coula un regard inquisiteurs. Cette attitude méfiantes était étrange. Elle avait toujours cru qu'une grande camaraderie régnait dans la guilde, elle ne s'était pas imaginée qu'il puisse y avoir ce genre de rivalité.
- Vous les pensez impliqué ? Demanda-t-elle tout bas.
Cela ne l'aurait pas étonné, mais le gaillard connaissait mieux la situation qu'elle. De son côté, elle continua d'observer les allers et venus des aventuriers en quête de repas. Il y allait bien en avoir un pour avoir un comportement suspect. Enfin, si Jack continuait de crier sur tous les toits qu'ils étaient des enquêteurs, tous le monde risquait de se montrer prudent, et il serait bien plus difficile de trouver des indices.
Le triplet d’aventuriers soupçonneux s’éloigne, attiré probablement par la promesse d’un bon repas, parce que nous sommes tous égaux devant l’estomac vide, grand héros des temps modernes comme les génies du mal. J’approuve du chef à la question de ma jeune apprentie enquêtrice tout en les suivant du regard comme si j’avais quelque chose en tête. Je vais vous dire un secret : pas du tout.
-Il parait que les criminels reviennent sur leur trace. Ils peuvent ne rien à avoir à se reprocher comme être des gens de la guide qui chercherait à me faire porter le chapeau de cette affaire pour mieux me décrédibiliser, ou alors, ils cherchent eux aussi. Tu vois Priscilla ? Il ne faut réfléchir à toutes les possibilités et les prendre toutes en considération. Etre soupçonneux, mais ne jamais être porter un jugement sans de solides preuves. C’est là la clé d’une enquête réussie. Ce sera ta première leçon.
Whiskeyjack Callahan est enquêteur, vous vous dites ? M’enfin, enquêter, c’est faire preuve d’un minimum de jugeotte. Et j’ose croire que j’en ai un peu. C’est pour ça que vous écoutez mes histoires, non ? J’espère. Bref. On peut reprendre notre enquête. La recherche d’indice ne donne pas grand-chose. Il y a quelques prospectus électoraux à même le sol, mais qui ne jette pas son prospectus quand il doit faire le choix entre le lire et ne pas faire tomber son pain fourré aux trois viandes et à la sauce du grand port, hein ? Dans une fraction de seconde, on palie toujours au plus important. On ne s’avoue pas vaincu car même si la place fait plus arrière cour, il y a des maisons qui donnent sur cette espace. Une enquête de voisinage s’impose. Qui sait ? Des gens peuvent avoir vu quelque chose d’utile ?
La première porte ne donne rien. Personne ne répond. La deuxième est une meilleure pioche, mais pas mieux qu’un deux sept dépareillés : une petite vieille bienveillante mais qui a la fâcheuse tendance à me prendre pour son petit fils. Après plusieurs tentatives de questions intéressées, je finis par lâcher l’affaire. Priscilla tente bien d’amadouer la petite vieille qui, visiblement, manque de compagnie dans sa vieille maison entourée de ces trois chats empaillés, mais il semble assez évident qu’elle n’a plus toute sa tête. On finit par s’en débarrasser. Et c’est le moment pour la deuxième leçon de la grande expérience de Whiskeyjack Callahan.
-Parfois, il vaut mieux ne pas insister.
Un jour, j’écrirais un livre pour partager mes perles de sagesse au monde. Mais ça, c’est quand je serais vieux. Il n’y a que les vieux qui écrivent des livres. Le suivant est beaucoup mieux. D’abord, on arrive devant une dame beaucoup moins vieille et beaucoup moins atteinte par les aléas de la vieillesse. Même si ces cheveux blanchissent, son regard est vif et alerte. On se présente.
-Bonjour Madame. Je suis Whiskeyjack et voici Priscilla. Nous enquêtons sur des incivilités qui se produisent à côté de chez vous. Pouvez vous nous en parler ?
-Vous voulez parler de ces idiots d’aventuriers qui se battent et qui salissent devant chez moi ? C’est tout bonnement scandaleux de déranger les honnêtes gens de cette façon ! La guilde des aventuriers est vraiment un ramassis de jeunes écervelés qui ne pense à qu’à semer le chaos et pervertir notre belle société. Des fainéants et des délinquants. Moi je vous dis.
-Certes.
-Vous êtes aventuriers ? Vous ressemblez aux autres…
La bonne idée ne semble pas de mentir dans la situation présence, mais mentir, c’est mal. Ce serait donner un mauvais exemple à Priscilla et mentir ne ferait que confirmer les propos de la dame. Que l’on ne vaut pas grand-chose.
-Oui, je suis aventurier.
-Baaah ! Je n’ai rien à vous dire. Vil garnement !
Elle ferme la porte. Je me mâchouille la lèvre inférieure et je coule un regard vers Priscilla.
-Peut-être que tu y arriveras mieux que moi ? Tu devrais avoir plus de chance que moi.
Troisième leçon du jour. Utiliser les jeunes, mais ne pas le dire à autre voix.
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