Depuis peu, une nouvelle pastille est en cours sur le marché. Il est vendu une petite fortune mais apparemment, il permettrait de rêver en étant pleinement conscient et mieux encore, de pouvoir se rejoindre au pays des rêves.
Si vous étiez un peu perplexe lorsque le marchand vous a présenté ce petit cachet, finalement vous avez cédé lorsqu'il vous a fait une grosse remise. Vous étiez toutes deux ensembles (pour la raison que vous souhaitez) quand il vous l'a vendu et vous avez donc décidé de le tester le soir même. Vous vous êtes donc partagé la pastille de rêve à deux en vous mettant d'accord pour la prendre le soir...
Et c'est ce que vous allez faire en rentrant chez vous. Vous l'avalez et vous allez vous coucher.
Puis le rêve commence à apparaître. Même si vous pouvez librement agir, le marchand vous a prévenu que vous ne pourrez pas choisir le contexte et vous ne pouvez qu'espérer de pas tomber dans un cauchemar... Mais visiblement, vous avez éviter le pire.
Autour de vous, des arbres à perte de vue : des feuilles bleues, violettes, roses et rouge. Des oiseaux multicolores qui volent autour de vous. Un petit ruisseau transparent. Quelques fleurs blanches. Dans ce rêve, vous êtes toutes les deux ensembles dans cette clairière. Il ne vous reste plus qu'à explorer ce monde onirique et en profiter au maximum !
Le soir venu, Louise s’enferma dans ses quartiers afin de s’y endormir. Elle avala le médicament qu’elles s’étaient partagées avec Luz un peu plus tôt puis, après s’être installée sur la couchette, ferma les yeux pour plonger dans le monde des songes. Quelle ne fut pas sa surprise quand, lorsqu’elle ouvrit à nouveau les yeux, tout autour d’elle n’était plus qu’un mélange de couleurs et de nature. Le marchand n’avait pas mentit sur sa marchandise.
Une petite voix l’extirpa alors de sa contemplation :
- S'il vous plaît... dessine-moi un mouton !
Louise sursauta, comme si elle eut été frappée par la foudre. Un petit garçon tout ce qu’il y a de plus ordinaire la fixait, assit non loin sur une souche d’arbre, un carnet de croquis sur les genoux et un crayon à la main. Son regard s’accrochait à elle, grave ; il finit par lui tendre les outils nécessaires à la réalisation de sa demande.
Comme la pirate ne réagissait pas, il répéta à voix basse comme s’il s’agissait d’une chose très sérieuse.
- S'il vous plaît... dessine-moi un mouton...
Elle n’osa pas poser de questions, et se contenta de répondre qu’elle n’était pas fort bonne dessinatrice. Cela ne parut pas déconcerter le jeune homme, qui se contenta de répéter à nouveau.
- Ce n’est pas grave. Dessine-moi un mouton.
Comme elle n’avait pas envie de lui faire de la peine, la demoiselle récupéra le crayon de l’enfant. Elle eu l’étrange conviction qu’elle n’avait pas besoin de feuille pour parvenir à lui dessiner l’animal demandé et en fit l’esquisse dans le vide. Les traits de son dessin invisible apparurent alors, flottants avec légèreté dans l’air, et la créature en deux dimensions s’anima sous leurs yeux.
- Ce mouton n’est pas très beau ! » S’exclama-t-il, un brin déçu.
- C’est normal. C’est un mouton qui s’est enfuit et a vécu six années seul près d’une grotte. » Lui fit-elle remarquer en rigolant.
- Je ne veux pas d’un mouton égaré. Je veux l’un de ces beaux moutons, sur lequel le chien aboie pour qu’il rentre à la bergerie.
Louise s’exécuta alors sans protester. Elle dessina un mouton dans le vide, et celui-ci s’anima comme le précédent.
- Ce mouton est bien plus beau. Mais pourquoi est-il si triste ?
- C’est un mouton comme les autres. » Répondit simplement Louise.
- Il faudrait être aveugle pour ne pas voir qu’il est triste. Pourquoi l’est-il ?
- Parce qu’il est comme les autres. » Répéta Louise. Parce qu’avant la nuit tombée, le berger et le chien l’obligeront à rentrer à la bergerie.
- Le mouton qui s’est enfui est-il triste ?
- Il l’est, parfois.
- Alors, pourquoi a-t-il l’air si heureux ? » Questionna le jeune homme, de plus en plus intéressé par cet étrange mouton égaré.
- Parce qu’il a choisit de l’être.
- Il aurait pu être heureux à la bergerie.
- Dessine moi un mouton heureux…
Le garçon fut surprit par cette demande, mais il s’exécuta. Il dessina l’animal dans le vide comme l’avait fait sa camarade avant lui. Le mouton prit vie, comme les précédents.
- Il ressemble beaucoup à ton premier dessin. » Fit remarquer l’enfant.
- Il n’est pas très beau. » Constata Louise, souriante.
- Peu importe, puisqu’il est heureux.
- Est-il chassé chaque jour par le chien pour rentrer à la bergerie, ou bien s’est-il enfui ?
- S’il est heureux, c’est un mouton qui s’est enfuit.
- S’il est heureux, c’est qu’il a choisit de l’être.
- Je croyais que seuls les moutons qui se sont enfuis le sont ?
Louise se mit à rire de bon cœur. Ce petit garçon était décidément très attachant !
- Si c'est ce que tu penses, alors tu ne m’as pas bien écouté…
Elle fronça de nouveau les sourcils lorsqu’elle tenta de se déplacer. Ses jambes étaient comme murées dans une souche de boue qui l’empêchait de se mouvoir à sa guise. Oh bon sang, avait-elle échappé au cauchemar pour souffrir autant des marasmes de son propre cerveau ? Prise comme un papillon dans du miel, elle ne put durant de longues secondes interminables qu’assister impuissante à ces rêves où votre corps est comme pris d’une étrange paralysie aqueuse. Pourvu que Louise ait eu plus de chance…
Elle profita de ce moment d’attente pour détailler son environnement et réalisa avec bonne humeur que celui-ci se parait progressivement d’une multitude de détails. Les efforts conjoints de leurs deux cerveaux étaient probablement la source de ce splendide phénomène, mais elle n’avait jamais vécu jusqu’alors de rêve aussi vif et travaillé… Elle pouvait presque sentir la brise sur son visage et le chatouillement de l’herbe contre sa peau ! Elle baissa les yeux et découvrit que son corps s’était à peu près stabilisé. Elle tenta un pas, savoura la fluidité de son action et plaça ses mains sur ses hanches. Où diable était partie Louise ? Elle fit volte-face, voulut se diriger vers l’arbre le plus proche et…
Elle dut pratiquement piler pour éviter le saut guilleret d’un mouton moche qui manqua l’emporter dans son élan. Les yeux ronds, elle ne perçut qu’alors les éclats de voix qui perçaient derrière l’écorce de l’arbre. Elle contourna l’animal bêlant qui semblait s’être pris d’une terrible affection pour elle –heurk, plein de laine collée à sa peau- et avisa l’étonnant duo qui devisait paisiblement sur la souche d’un arbre.
Fendue d’un immense sourire, elle salua d’un rapide hochement de tête le jeune garçon qui dessinait des moutons. Puisque Louise lui retournait un regard bizarre, Luz, complètement nue, crut bon de préciser :
Elle ferma les yeux et tâcha de se concentrer. Allons, la plupart des rêves conscients étaient manipulables avec un brin d’effort. Elle sentit au fil de ses efforts du tissu recouvrir sa peau pour constater bientôt qu’une combinaison pelucheuse d’ours la recouvrait désormais.
« Il est vrai que ce costume vous sied à merveille, ma chère, surenchérit le mouton moche guilleret qui recula de deux sabots pour mieux contempler l’étendue du spectacle. »
- Mince, ta tenue est trop bien ! Tu crois que j’peux faire pareil ? » Demande Louise, émerveillée.
N’attendant pas de réponse, elle ferme les yeux et fait tout son possible pour se concentrer. Comme sa partenaire quelques instants plus tôt, du tissu vient rapidement l’envelopper et remplacer ses anciens vêtements. Lorsque tous les morceaux sont rassemblés, elle constate avec joie que l’opération est une réussite.
- Oh, totalement inadapté. » Fait remarquer l’arbre prêt de Luz.
- Il est vrai que ce n’est pas ce dont je vous aurais personnellement affublé, très chère amie. » Réplique le mouton moche.
Elle tente d’observer sa tenue, mais l’opération est assez délicate. Tout ce qu’elle remarque, c’est la couleur jaune de l’ensemble, quelques tâches marron disséminées par-ci par-là, et une queue qui termine son costume. Le petit garçon, percevant sa détresse, ouvre son carnet et y dessine un miroir. Il le tend à Louise qui s’observe longuement
- On appelle ça une girafe.
- Ah ? Bah c’est mignon, c’est quoi le problème ?
- Ta taille. » Réplique le petit garçon.
- Oh, bah il va vite fermer sa gueule le petit mioche.
Le garçon ouvre la bouche en un large O, choqué par les derniers propos de la demoiselle. Elle lui met un taquet dans le visage et celui-ci s’écroule au sol, mort. La pirate découpe ensuite son cadavre à l’aide du crayon et oblige l’arbre à manger pendant que…
- Mademoiselle ? Eho ? » Tente de la faire réagir l’enfant.
- … Je. Non ? Pardon, je pensais à autre chose. On y va ?
- Oh, c’est une bonne idée. » Fait l’arbre.
- Suivez-moi ! » Propose le mouton moche.
- D’accord.
Alors, Luz, le mouton moche, l’enfant, Louise et l’arbre se mettent en marche vers leur première destination : le château du grand maître des sardines. Arrivés dans le village d’Anguille sous roche, deux gardes les arrêtent en tendant leurs lances dans leur direction.
- Mot de passe. » Demande l’un d’eux.
- Oh non, encore des mots de passe.
Sans attendre, Louise attrape la lance de l’un des gardes, la brise en deux et enfonce violement les morceaux dans la chair de son ancien propriétaire. L’autre s’élançant vers elle, elle utilise son camarade pour s’en protéger puis saute à la gorge du second. Dans un bain de sang, elle…
- Louise, Louiiise ? » Tente de la réveiller à nouveau le garçon.
- Ah je… Désolée. J’ai des hallucinations, fiu. Et comment tu connais mon nom ?
- Eh bien… Ne sommes nous pas dans un rêve ? » Révèle-t-il d’une voix mélodieuse. Nan je déconne, il y a ton nom sur l’étiquette au niveau de tes fesses.
- Tu regardes mes fesses ?
- Euh bah non mais…
- Bah si, tu viens de dire que tu les regardes.
- Mais non mais !
- Non mais c’est bon tais toi. Ça demande de dessiner des moutons, et dans l’dos ça matte comme un sac.
- Mot de passe. » Redemande l’un des gardes, semblant perdre patience.
- Chat écrasé banane. » Répond le mouton moche.
- Correct. Mais les deux animaux restent ici.
- Je crois qu’ils parlent de vous deux. » Explique le mouton moche.
- D’accord, et si on s’en fou ? » Dit Louise.
- Non bah nous on ne va pas insister non plus. Si vous ne voulez pas faire d’efforts…
Le groupe entre alors dans la ville sans le moindre problème. Le château, au loin, est facilement visible depuis l’entrée et il ne faudra pas très longtemps pour le rejoindre. En marchant dans les ruelles, Louise s’aperçoit que le peuple des Sardines est très bienveillant et possède une culture très intéressante. D’ailleurs, ils ne ressemblent aucunement à des sardines. C’est dommage, Louise aurait trouvé ça très rigolo.
Arrivés prêt de la porte du château, un garde les arrête :
- Mot de pa…
- Ecoutez. » L’interrompt Louise. J’sais que c’est très drôle le délire des mots de passe, haha qu’est-c’qu’on rigole. Ca rapproche les gens qui sont dans le secret, ça donne de l’importance, tout ça tout ça. Mais si c’est pour nous dire un truc insensé à la fin et qu’on passe quand même, s’ilvousplaît, laissez nous juste entrer.
- Je… Tout a commencé quand j’avais sept ans.
- Oh, c’est si triste. » Dit l’arbre.
- Attendez une minute. Comment un arbre peut arriver jusqu’ici ? Il n’est même pas déraciné.
- C’est un arbre magique.
Soudainement, l’arbre assène un coup de boule à l’homme face à lui. L’individu tombe inconscient au sol.
- Oh, tout à fait efficace.
- Vite, entrons ! » Dit le mouton.
Le groupe se précipite à l’intérieur, suivant le trajet indiqué par un long tapis rouge qui, s’ils ne se sont pas trompés, devrait les mener jusqu’au trône du roi des sardines. Arrivés dans la pièce la plus majestueuse et grandiloquente ils aperçoivent un siège retournés, au loin, éclairé par la lumière du jour filtrant au travers de superbes vitraux colorés. Le quatuor s’approche doucement, puis à mi chemin, le siège finit par se retourner.
- Jack Jack ! C’est horrible Jack ! Elina est morte ! » Fait la bouteille.
- Et je suis son conseiller, HAHA ! TICHONDRIUS !
- Mais, il n'a même pas dit qu'il était le roi...» Constate Louise.
- Je suis si vieux...
Pourquoi leur rêve ne pouvait-il pas leur montrer de charmantes créatures ? A la place d’une satanée bouteille et d’un vieux croulant ? Elle rit doucement. S’il s’agissait bien d’un rêve, alors il y avait quelque chose qu’elle pouvait toujours faire sans conséquence pour une fois… Elle s’élança donc, franchit l’espace dans un souple salto concrètement ralenti par un effet de lévitation rêveuse –Luz songea qu’elle devrait im-pé-ra-ti-ve-ment tenté de voler avant que leur rêve commun ne s’achève- et atterrit sur la bouteille. Qu’elle écrasa d’un coup sec de talon.
La bouteille brisée répondit en un borborygme d’agonie, un fin criaillement qui allait en s’étiolant. Alors, Luz se pencha et s’empara de l’un des morceaux, un regard circonspect sur le visage.
« Hmm, oui, c’est bien du sucre, constata Luz dont les morceaux de faux verre craquaient sous la dent. »
« Un peu comme ces bouteilles en sucre, m’voyez, surenchérit l’arbre, très bien faites, qui servent pour les spectacles d’acrobates… Il parait qu’ils se les mettent dans la tête pour impressionner le public, persuadé qu’il s’agit de verre. »
« Vous avez tué le Roi ! répéta une nouvelle fois Tichondrius, cette fois-ci sur une tonalité un brin plus plaintive. »
Il fit volteface vers la large porte et interpella les deux Gardes qui s’y trouvaient :
L’un des soldats eut un sursaut concentré et se précipita vers le levier qui dépassait du mur à sa gauche. Il lui fallut réunir l’entièreté de sa force pour l’abaisser, après quoi la salle se mit à trembler et l’ample rugissement du mécanisme couvrit leurs exclamations interloquées. Le sol s’ouvrit sous les pieds, racines et sabots du petit groupe – Louise, l’arbre, le garçon, le mouton moche heureux et Luz- et nos cinq lurons s’élevèrent brutalement vers le ciel. Un cri au bord des lèvres, Luz tenta de se protéger du plafond qui filait vers eux à vitesse croissante lorsque celui-ci s’ouvrit, dévoilant une immense plateforme volante. La gravité les attira immanquablement à elle et tous les cinq eurent tôt fait de s’écraser dans l’une des allées de verdure. Au-dessus d’eux, très loin dans le ciel, ils pouvaient toujours apercevoir le palais inversé, comme un double reflet de miroir. Décidant qu’elle en avait assez de se briser la nuque pour contempler ce spectacle extraordinaire, Luz s’assura que chacun allait bien et posa la question dérangeante :
« Jamais vous ne sortirez de ce labyrinthe maudit, exulta la lointaine voix de Tichondrius. »
A cet instant, un son de mauvais augure se mit à résonner tout autour d’eux.
Vous voilà tombé dans le labyrinth... Mais ce n'est qu'un rêve, ce n'est pas si grave que cela n'est-ce pas ? Vous finirez bien par sortir en vous réveillant donc il n'y a nul besoin de s'inquiéter ! C'est donc calmement et joyeusement que vous commencez à arpenter les chemins du labyrinth, effectivement, il a l'air immense et plus d'une fois vous tombez sur un cul de sac. Cependant, toujours pas besoin de stresser ce n'est qu'un rêve.
Soudain, vous entendez quelqu'un crier de rage :
- QU'ON LIBÈRE LE GARDIEN !
Et vous entendez ensuite un bruit, entre l'aboiement, le grognement, le hurlement... et fois trois. C'était le cri d'un cerberus et vous l'entendez s'approcher de vous au travers du labyrinth en grognant... Il serait peut être temps de s'inquiéter ?
Impossible de trouver la sortie de ce foutu labyrinthe alors que la créature semble se rapprocher de plus en plus ! Celle-ci pousse d’ailleurs un énième hurlement, grognement, aboiement – on ne sait pas trop le décrire en fait – tandis que Luz, Louise, le garçon, l’arbre et le mouton moche mais joyeux tombent nez-à-nez avec un autre cul-de-sac. La poisse. L’équipe se retourne alors pour tenter sa chance ailleurs mais il est trop tard : la bestiole les a d’ores et déjà trouvé et s’apprête à leur bondir dessus pour déchirer leur chair, boire leur sang et dévorer leurs entrailles… Ou pas.
Après avoir remarqué que la bête ne se jetait pas sur eux – ou tout du moins n’y arrivait pas -, Louise examine plus en détail le cerberus qui se tient à quelques mètres d’eux. Après un court examen de sa situation, elle comprend bien vite que l’animal possède un collier relié à une laisse, elle-même maintenue par un grand homme chauve vêtu d’un t-shirt portant le numéro « 1 ». L’individu retient l’animal avec un peu de difficulté et lui intime de se calmer en l’appelant à de nombreuses reprises par ce qui semble être son nom, « Médor ».
- ‘Scusez m’ssieurs dames. D’habitude l’est pas comme ça. C’est qu’il aime po les étrangers l’ptit. » Dit-il dans un accent incompréhensible, semblable à celui de certaines personnes au Grand Port.
- Et vous êtes ?
- J’souis l’gardien, Farthez.
- Ah ! Et vous gardez quoi exactement ? » Demande Louise, intriguée.
- Beh pê grand-chose j’l’avoue. C’est qu’c’è un vrai labyrinthe ici, pas facile d’s’y retrouver.
- Ah ça, pas évident de travailler dans de grands locaux de ce genre.
- Oué pis, y’a Médor voyez, il m’prend du temps, l’veut toujours qu’on s’occupe dé loui mais c’est qu’ça demande du temps c’genre de bête. Voyez l’calibre.
- C’est sûr. Bon, pardonne nous Barthez…
- Farthez. » La corrige-t-il.
- … Farthez, mais nous devons partir. Vous savez dans quelle direction on doit aller ?
- Tendez j’vais vous montrer.
- Oh, c’est fort aimable. » Dit l’arbre, parce qu’il faut bien faire parler un personnage secondaire de temps en temps.
Ainsi, tout la troupe se met en route en compagnie de Barthez et de son animal de compagnie, Médor.
Luz resserra les jambes sur les flancs de l’animal et réajusta son assise. D’une légère pression indicative des talons, elle incita le cerberus à se mettre en route à la suite de ses compagnons d’aventure, prenant garde à ne pas renverser sa tasse de chocolat chaud bouillante et son bol de cookies sur le pelage soyeux du canidé. C’est que sa démarche était étrangement chaloupée, ses trois têtes ne cessant de flairer le sol ou de venir quémander des caresses à son maître, Farthez.
A 1 mètre 30 seulement au garrot, Luz devait veiller à soulever ses pieds pour que ses semelles ne s’empêtrent pas dans le dénivelé du terrain. Ce n’est que lorsqu’elle préleva une bruyante gorgée de son chocolat que Louise lui retourna un regard circonspect.
« Le mouton moche mais heureux me l’a donné juste avant cela, se défendit le petit garçon. »
« Que nenni, l’arbre me l’a confié en premier, surenchérit le mouton moche mais heureux. »
« Que sont donc ces fadaises mon bon ami ? répliqua l’arbre. Vous avez perdu l'esprit ! Ce sont de terribles accusations que vous ne devriez pas formuler devant des enfants. Mes racines en frémissent. »
« Votre mère la liane, répondit le mouton moche mais heureux, piqué au vif. »
« Oh allons, ne vous disputez donc pas pour cela ! Nous profitions enfin d’une paisible balade… »
« Et vos cookies ? D’où viennent-ils ? intervint Farthez. »
Luz stoppa sa monture et le dévisagea quelques fractions de seconde avec la moue d’une adulte stupéfiée par l’étendue de la stupidité d’un adolescent.
Elle glissa subrepticement un coup d’œil atterré à Louise, l’air de lui dire qu’elle ne comprenait pas comment Farthez avait pu survivre jusqu’alors dans ce monde onirique sans avoir connaissance des règles basiques.
Il pencha subtilement son écorce vers l’avant dans un terrible craquement de bois.
Il baragouina une nouvelle excuse et s’écarta promptement du chemin. Celui-ci était constitué de pavés de toutes les couleurs et s’évasait paisiblement vers le sommet d’une colline baignant dans un soleil environnant. Etait-ce l’aurore ? Le crépuscule ? Luz n’aurait su le dire, mais ce spectacle était proprement à couper le souffle.
Louise Duciel a écrit:
- Bon, bah c’était bien sympa. Va falloir qu’on y aille. » Dit Louise, après avoir admiré le superbe paysage sous leurs yeux. Il est temps de faire nos adieux, non ?
- Oui. Merci encore d’avoir rétablit la paix dans le Royaume de Piss-porte. » Lui répond le mouton moche mais heureux, la larme à l’œil. Nous n’oublierons jamais vos noms, quels qu’ils soient.
- C’était bien sympa cette petite aventure.
- Oui. Content de vous avoir connu ! Tu vas me manquer, Louise ! » Dit le petit garçon, sourire aux lèvres.
- Mouton, fais attention à toi, et reste heureux.
- Clair, j’ferai tout pour !
- L’arbre, tu es… L’arbre ? Mince, il est o…
En regardant un peu plus loin, elle aperçoit un groupe de bucherons en train de fendre des bûches à partir d’un arbre coupé. Elle hausse les épaules : tant pis, il sera plus utile ainsi.
- Farthez, change de monture. On sait jamais, si on r’vient une autre fois il faut que ma camarade puisse avoir un transport digne de ce nom. La c’était pas top top niveau qualité.
- Po évident quand on a pas de salaire. Là j’suis obligé de tourner dans des pubs de yoghourt pour arrondir les fins d’mois.
- Ah ça. Bon, on vous dit au revoir, sur ce ! Adieu !
- Au revoiiir ! » Font-ils tous en même temps, certains levant la main / la patte / la racine.
La racine ?
- Oh, ils sont partis. Fichtre. J’étais partis séver dans un coin, mais j’ai toujours besoin d’un peu de temps car je lis toujours en même temps.
- Mais tu n’as rien à lire sur toi.
- C’est vrai ça… Mais, dans ce cas, comment est-ce que j’ai pu…
- Attention, paradoxe détecté, rupture du continuum espace-temps en cours, ce monde va s’autodétruire. » Annonce une voix. Veuillez donner le Mot de Passe pour annuler.
- Noooooooooon…
Louise ouvre les yeux à nouveau. Instinctivement, elle touche son corps et remarque qu’elle ne possède plus de pyjama girafe. Elle est également à nouveau capable de ressentir véritablement les choses ; il semblerait donc qu’elle soit revenu dans la réalité.
Quel étrange rêve, en tout cas ! C’était fort amusant, même si cette aventure lui a rappelé une autre qu’elle avait déjà vécu auparavant… Buarf, une coïncidence, très certainement !
Alors qu’elle s’étire paresseusement, elle se laisse aller à un long bâillement qui finit de la réveiller. Ses pensées sont alors dirigées vers Luz, sa partenaire d’aventure, qu’elle essaie d’imaginer à ce moment précis. Vient-elle également de se réveiller ? A-t-elle aussi trouvé le rêve à son goût ? Une chose est sure, elle n’aurait pas voulu le partager avec quelqu’un d’autre…
- CAPITAINE ! CAPITAINE ! » L’appelle Vingt-deux avant d’ouvrir brutalement la porte. On fait un jeu à partir de dessins. Vous savez dessiner des moutons ?
- Je peux m'débrouiller pour deux bons gros moutons rouges sur chaque joue si tu fais encore irruption dans ma chambre comme ça. » Lui répond-elle avant de se lever pour rejoindre l’extérieur. Je peux te dessiner des moutons, mais ne t’avise pas d'me dire qu’ils sont moches.
Vingt-deux hausse les épaules et lui tend un carnet ainsi qu’un crayon.
- Barf, du moment qu’ils sont heureux !
Luz écarquilla les yeux tandis que la silhouette de Louise disparaissait progressivement sous leurs regards ébahis. Un instant déboussolée, elle se reprit pourtant bien vite et bondit jusqu’à l’endroit où se tenait son amie : il n’en fallut pas plus pour que son corps se désintègre sous ses doigts, réduit à l’état de paillettes multicolores accompagnées d’un solo de jazz éperdument mélancolique.
Affolée, Luz fouilla les brins d’herbe à ses pieds et retourna même une motte de terre abritant une pauvre famille de loutrodragon souterraine. Une espèce qu’elle n’avait jamais vue d’ailleurs. Cette réflexion, plus que le soleil inexistant et le palais toujours inversé au-dessus de sa tête, acheva de lui rappeler les raisons de sa présence dans son monde. Un rêve. Elle rêvait. Louise ne venait pas de mourir cruellement désintégrée, mais avait simplement été aspirée vers la réalité. Ce qui signifiait que… Elle jeta immédiatement un coup d’œil à ses mains, d’ores et déjà drapées dans une transparence croissante. Le monde autour d’elle se délitait à grands morceaux de tourbillons colorés à présent que l’un des deux cerveaux bâtisseurs n’était plus présent. Luz n’eut pas le temps de s’angoisser à l’idée de ne pas se réveiller à son tour qu’une immense obscurité la saisissait.
Elle se réveilla en sursaut dans son lit, enroulée comme une enfant dans sa couette. Sur la table de nuit, le verre d’eau à moitié bu demeurait le seul vestige de la pastille de rêve. Elle passa une main sur son front pour en chasser la moiteur nocturne et brossa ses cheveux en arrière de ses longs doigts fins. Nom d’une antilope crue ! Quelle expérience ! Un sourire heureux ne manqua pas de fleurir sur ses lèvres. Dire qu’elle n’avait pas osé tenter l’aventure auparavant… Il faudrait absolument qu’elle envoie une missive à Louise dès le lendemain matin pour lui faire part de sa propre expérience en la matière !
Oh, et puis non… Un tel rêve valait bien un déplacement ! Elle nota intérieurement de faire annuler l’ensemble de ces consultations du lendemain pour prendre le portail magique et rejoindre Louise sur son navire… Elles avaient après tout beaucoup à discuter. Et puis, une semaine de vacances au Grand Port ne lui ferait peut-être pas de mal, à proximité de Louise ?
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