Un peu de repos, cela ne se refuse jamais. Vous voilà tous deux (parti de votre côté étant donné que vous ne vous connaissez pas) parti vers les côtes sud ouest du royaume pour profiter un peu de la plage, de la mer et du beau temps.
C'est dans ce contexte estival que vous allez vous rencontrer seulement, vous êtes loin d'imaginer de quelle manière.
Sur la plage où vous êtes allé, il n'y a que peu de monde : juste un couple de touriste en plus de vous deux. C'est donc très calme, la mer vient doucement caresser le sable et le soleil brille dans le ciel. Vous êtes prêt à aller piquer une tête et, le hasard à voulu que vous posiez le pied dans l'eau exactement en même temps. Et vous êtes tous deux pris dans un tourbillon de magie.
Impossible d'en sortir, vous vous demandez bien ce qu'il a pu se passer et lorsque, quelques secondes après, tout cela cesse, vous regardez autour de vous et le paysage à changé. Vous êtes toujours sur une plage mais celle-ci est plus petite. Derrière vous, un tout petit bout de terre, sans eau douce et sans brin d'ombre. Vous pouvez facilement voir que vous vous trouvez désormais sur une île au milieu de nul part. Sans vos affaires avec vous si ce n'est le maillot que vous portez...
Partie hier en bateau de l’île Centrale avec Père, celui-ci m’a déposée avec Frederica dans un petit port de la côte Sud-Ouest du continent avant de continuer la route plus au nord pour le commerce. Avec Frederica, nous devions nouer quelques relations commerciales avec les artisans locaux en leur faisant découvrir les produits que nous vendons, et surtout mettre en avant les produits à coût raisonnable. Ma visite à l’Etoile du Sud m’a bien montrée que nombres d’artisans n’imaginent même pas pouvoir travailler avec certains des trésors des îles du fait de leur prix. Si les perles parfaites se monnayent à prix d’or, on en trouve des légèrements “défectueuses” à un prix tout à fait raisonnable. C’est ces produits là que je suis venue présentée aux artisans locaux qui ne roulent pas forcément sur les cristaux. Le nombre d’artisans intéressés étant relativement réduit dans ce petit port et les alentours, la journée a été largement suffisante. Père ne devant revenir que demain, ce jour sera une journée de repos à la plage locale.
Installé sur le sable pour profiter du grand soleil, la plage est extraordinairement calme. Tout le contraire des plages de mon île natale où de nombreuses personnes y travaillent et pêchent. Allongée directement sur le sable, je profite de l’occasion de ne rien faire pour me reposer.
Vous ne devriez pas rester au soleil comme cela Mademoiselle.
Je lève mon chapeau posé sur mon visage pour fixer Frederica qui s’abrite du soleil sous un toile tendue.
Le soleil est moins fort que chez nous. C’est à peine si je sens sa chaleur…
Allez profiter un peu de l’eau avant du monde n’arrive alors.
Même pas je peux lézarder en paix au soleil sans que Frederica me refile ses conseils… Avec un soupire, je me relève. Époussetant un peu le sable accroché sur ma peau, je jette un oeil à la plage. Il n’y a vraiment presque personne ici… Un couple là-bas et un homme solitaire là. Rien que ça sur une plage sous un soleil idéal. Je m’avance jusqu’à l’eau prête à aller piquer une tête comme dans les lagons de l’Archipel. Mais à peine mon pied s’enfonce dans l’eau, une irrésistible force entraîne l’eau en un tourbillon. L’eau s’enroule autour de moi coupant mon regard. Je tend une main dans la direction de Frederica mais le jet d’eau la repousse. Après quelques secondes qui font grimper les battements de mon coeur a des sommets, l’eau reprend sa place naturelle… Mon premier réflexe est de chercher Frederica mais elle n’est plus là… La plage elle-même n’est clairement plus la même. Plus petite et dépourvue d’arbres. Il n’y a que l’autre homme qui était avec nous à la plage. Paniquée, je me précipite vers le lopin d’herbe que je vois. De là, la vue est identique partout où que ce porte mon regard… Sable et eau, rien d’autre, juste une petite île au milieu de l’océan. Me mordant l’intérieur de la joue, je vais vers l’homme. Il va falloir éclaircir cette situation.
Excusez-moi ? Savez-vous où nous sommes par hasard ?
J’ai peu d’espoir mais qui ne tente rien n’a rien.
L’été, c’est plutôt chouette, surtout quand on n’est pas coincé à la Capitale. Généralement, c’est la période où les Examinateurs s’arrangent pour récupérer des missions à la campagne ou, pour les plus chanceux et les plus féroces, à la mer. Evidemment, Lou surveille tout ça d’un regard sévère et impitoyable de bureaucrate fanatique. Mais pour moi, c’était surtout une période assez faste. Tout le monde part en vacances, les piaules sont vides de leurs occupants, mais impossible de partir avec tout ce qui est précieux, hein ? Donc c’est l’explosion des vols en ville.
Maintenant que j’suis dans l’autre camp, la dynamique n’a pas vraiment changé : la majorité des missions ont lieu à la Capitale, mais celles-là sont prises par la Garde principalement. En tant qu’espions, heureusement, on s’attaque qu’aux gros poissons, aux filières de trafics et de recels, bref, ce genre de trucs. Et, parfois, par chance, une mission nous amène à la place.
Marrant, que ce soit pas Damoiseau qui ait écopé de celle-ci, mais il devait être occupé ailleurs. Vais pas m’en plaindre, pasqu’elle est finie, et que j’ai quelques heures pour profiter de la plage, de la mer, du soleil, avant de devoir ramasser mes clics et mes clacs, Et, après avoir bien pris la chaleur sur le sable fin, j’me décide à foutre les panards dans l’eau pour me rafraîchir un coup.
Le tourbillon magique, c’était pas terrible.
Être sans mes affaires à part mes enchantements, que j’quitte jamais, c’était pas mieux.
Être coincé avec une gamine de treize ans sur une plage déserte sans rien à boire ni manger, disons que ça parachevait bien le tableau.
J’ai même pas le cristal pour prévenir la patronne que j’ai rencontré un petit souci, tiens. Elle devrait pas trop m’en vouloir, j’ai toujours des bonnes raisons, en général, genre une rencontre inopinée avec trois gars qu’ont des couteaux, mais ça reste problématique. Tiens, j’ai le collier jumeau serti de la pierre de lien, quand même. Heureusement que j’le quitte jamais. Mentalement, je sonde, et il me semble qu’on n’est pas franchement éloigné de là où on était auparavant, à la plage.
Donc le tourbillon magique a pas dû nous envoyer à perpette à l’autre bout du monde.
Ou, plutôt, il nous a envoyés à un endroit qu’est à la même distance, à quelques vaches près, de Zahria, donc sur un cercle qu’aurait le même rayon, et ça peut être n’importe où. Bon, ça reste le sud, cela dit, vu qu’on n’est pas en train de grelotter avec mes boules retournées se réfugier dans mon ventre, il est vrai. Mais ça nous avance pas des masses : faut rentrer chez mémé.
La gamine avance vers moi, genre adolescente. On n’était pas bien nombreux sur la plage, et l’a fallu que j’tombe avec elle, tiens.
« Nan, pas la moindre idée, j’ai été transporté par le tourbillon bizarre, là. M’apprendra à vouloir profiter de la vie, tiens. Bon, enfin, autant voir ce qu’on a sous la main. »
J’me dirige vers l’île, et force est de constater qu’il s’agit que d’un vieux bout de terre sans flotte ni ombre. Bienvenue dans les insolations et la deshydratation, ça, et ça pue sec. Et rien à l’horizon que j’puisse distinguer.
« Vous savez comment vous repérer par rapport au soleil, aux constellations, ou un truc du genre ? Ou p’tet que y’a une périodicité au tourbillon magique, et qu’il va nous ramener… Ou nous emmener ailleurs… »
Quelle saloperie, putain. En plus, j’suis incapable de me repérer comme je lui ai demandé de le faire. M’enfin, j’sais pas bien à quoi ça nous avancerait, à la réflexion, de savoir où on est : j’me sens pas trop de nager dix-huit heures dans une direction ou l’autre, après tout.
C’est qu’il a pas vraiment l’air commode lui… Rien que de regarder son visage, ma tête me hurle de me méfier de cet homme. Voleur ou brigand, je n’ai pas vraiment le choix, il n’y a que lui ici avec moi. Il fait un tour rapide de l’îlot comme moi quelques secondes plus tôt pour en arriver aux même conclusions. Rien d’utile pour survivre et se repérer. Comme dit Père quand un tempête approche de l’Archipel, ça sent mauvais pour nous… Le soleil, je ne le crains pas trop, il tape fort chez moi mais l’eau risque d’être vite un problème. Interrogé sur mes éventuelles capacités à me repérer grâce au ciel pour nous situer un minimum, je réfléchis un instant.
Si l’on est bien toujours dans le secteur sud ouest du royaume, je pourrais. Je connais les étoiles permettant de se diriger dans l’Archipel.
Si je peux retrouver les constellations du ciel insulaire, je pourrais nous situer mais pour ça, il faudra attendre la nuit… Entre temps, il va falloir patienter… L’hypothèse de l’homme sur la possibilité que ce tourbillon magique me semble plutôt farfelue. Cela me semble un peu trop optimiste vu notre situation actuelle. Plus dépité qu’autre chose, je m’installe au centre de l’île, là où le sol est de terre. En théorie, en creusant suffisamment, on devrait pouvoir en tirer de l’eau “douce” filtrée par la terre.
Puisque l’on ne sait pas pour combien de temps nous sommes coincés ici, autant se présenter. Je m’appelle Onélie Maple et vous ?
Être piégé sur une île perdue au milieu de l’océan ne remet pas en cause les règles de savoir-être.
La gamine fait style pêcheuse marchande des îles, mais en un peu cossue. Autant dire que j’suis tombé avec une fille de marchands de poissons, quoi. En mer, on pourrait trouver pire, comme situation, mais j’ai bien peur que la situation dans laquelle j’me trouve soit un peu plus problématique qu’anticipé. Rien à l’horizon, elle a aucune idée de ce qu’on fout là ni, surtout, comment rentrer…
Bref, ça daube.
« Ouais, bon, faut attendre la nuit, on en a encore pour plusieurs heures, après, ça fera long, au soleil… »
Elle se présente, bon, elle a pas tort, autant faire la discussion, c’est pas comme si on avait vachement mieux à faire. Putain, mais j’étais enfin en vacances, et voilà ce qui m’arrive, quoi. J’dois avoir mal parlé de Lucy récemment, pour que ça arrive. Quoique… je parle toujours mal de notre très divine déesse, alors d’un autre côté, c’est p’tet un miracle qu’il me soit pas arrivé davantage de tuiles.
Ou alors tout ça c’est des conneries. Je dis ça hypothétiquement, évidemment, ô déesse, ne le prends pas personnellement. J’aurais juste besoin d’un signe que t’existes pour renflouer ma foi, une petite preuve de réalité, ça nous ferait pas de mal.
Non, rien ? Bon, tant pis. J’aurai essayé.
« Vrenn Indrani. J’suis Aventurier, j’étais là en repos… Il va vite faire soif, en tout cas, et chaud. Tu crois qu’il faut creuser un trou pour se fourrer dedans ? »
Ouais, j’ai le tutoiement facile. Mais bon, elle doit avoir la moitié de mon âge à tout casser, et j’ai la tête ailleurs, là.
« Tiens, c’marrant, ces nuages à l’horizon. Tu crois que c’est un orage ? Ou une tempête ? Il fait froid, en mer, quand y’a des grains ? J’y connais pas grand-chose, j’suis plutôt Capitale, d’habitude… »
Ouais, bon, Lucy, c’était p’tet pas la peine de te manifester comme ça…
L’homme se présente également faisant suite à ma présentation des plus polies. Il est aventurier donc il doit avoir une certaine habitude de ce genre de situation… Je me demande s’il se moque de moi concernant le fait que je commence à creuser la terre meuble et gorgée d’eau de notre îlot désertique. Continuant ma tâche, je me contente d’une réponse très terre à terre.
Se cacher dans un trou non, mais en creusant sous le niveau de l’océan, un peu d’eau va traverser le sol pour s’y engouffrer. Elle n’aura ni bon goût ni un aspect correct mais la terre aura filtrer le sel.
C’est une chose que l’on apprend quand on s’intéresse à la vie sur les îles de l’Archipel. La pluie ne suffit pas à fournir assez d’eau douce pour tout, la terre s’abreuve par ses propres moyens. Je creuse avec mes frêles mains mais même pas il viendrait m’aider. Promis, je le laisse crever s’il manque d’eau ! C’est bien le premier aventurier que je croise qui se montre aussi peu utile quand il devient nécessaire de se bouger… Je relève la tête lorsqu’il m’interroge sur la nature des nuages visibles au loin. Abandonnant mon ouvrage, je les fixe.
Cela règle le problème de l’eau…
Rien qu’à leur couleur, je peux dire que cela sent mauvais pour nous. Presque noirs d’encre, si ce n’est pas une tempête, c’est au moins un gros orage qui va nous tomber dessus… Si ce n’est qu’un orage de pluie, on pourra s’en sortir. Si des bourrasques de vent s’en mêlent, je doute que l’on arrive à rester sur l’île.
Au moins un gros orage, avec un peu de chance il n’y aura pas trop de vent… Sinon, l’île pourrait vite être submergée par les vagues.
Il y a aussi un gros risque que des billes de glaces soient de la partie, ça arrive assez souvent lors des tempêtes dans l’Archipel. D’abord transportée sur un îlot désert et maintenant une tempête…
Il faut encore que cela s’approche pour dire mais je n’ai pas l’impression qu’il y ait trop de vagues. Mais ça pourrait vite changer. Vous qui êtes aventurier, vous avez une idée sur ce que l’on pourrait faire ?
Bien qu’habitante des îles, je ne suis jamais sur le front quand les tempêtes approchent, on peut même dire que je suis bien à l’abri dans ces moments… Toujours est-il que ça s’approche assez rapidement pour être une vraie menace si on ne trouve pas un moyen de rentrer à notre point de départ ou de se protéger efficacement.
Tiens, j’avais jamais pensé qu’on pourrait creuser pour récupérer de l’eau de pluie qui se seraient infiltrée, comme pour un puit. Pour moi, en creusant, on aurait juste trouvé de l’eau de mer qui se trouvait en-dessous. Mais d’un autre côté, quand on y pense, le continent n’est jamais qu’une très très grosse île posée aussi sur quelque chose, alors pas de raison que l’île soit différente, surtout qu’elle flotte manifestement pas.
« Intéressant, mais j’ai comme l’impression que ce sera pas utile tout de suite… »
Ouais, j’vais plutôt me contenter d’ouvrir la bouche et de laisser les gouttes tomber dedans. J’regarde si j’ai un truc pour recueillir l’eau qui va nous tomber sur la gueule, mais à part enlever mon short de bain, je vois pas trop… Et j’ai pas envie d’avoir des soucis avec la Garde, pour exhibition sur mineurs ou agression sexuelle, là. Ça ferait pas joli dans un dossier qui traite plutôt de crimes crapuleux que d’affaires sordides. Enfin, y’avait du sordide quand même… mais pas comme ça.
Et c’est pas dans son maillot de bain à elle qu’on va récolter grand-chose, quand bien même elle l’enlèverait. Bah, quelle arnaque. Si encore j’avais eu droit à une méga chaudasse, j’aurais fait contre mauvaise fortune bon cœur. A la place, j’ai une mioche. Vie de merde.
Puis elle est jeune, Onélie, alors elle voit le bon côté des choses : qu’on va pas être noyés par les vagues vu qu’il y aura potentiellement peu de vent. M’semblait que dans les grains, justement, fallait affaler les voiles ou je sais pas quoi pour pas casser la mâture ? Bon, enfin, c’est elle la fille de pêcheurs, hein, pas moi. J’fais plutôt rat d’eau douce, voire rat des champs, après tout.
« Euh, bonne nouvelle pour le vent, alors. J’suppose qu’il faut bien garder les pieds au sol et essayer de tenir le choc, c’est ça ? »
Nan pasque les nuages sont sacrément noirs, quand ça arrive à la Capitale ou en campagne, c’est plutôt le moment où on cherche un endroit où s’abriter, de préférence pas sous un arbre pour éviter que la foudre nous tombe sur la gueule. En pleine mer, peu de chances que ça nous arrive. Quoique, j’suis assez largement le plus grand de nous deux, maintenant que j’y pense, est-ce que je dois m’inquiéter ?
« Par contre, pour être tout à fait honnête, j’ai fait la majeure partie de ma carrière en tant qu’Examinateur de la Guilde, hein, donc plutôt la paperasse, les contrôles financiers et le recouvrement de dettes, et moins les gros monstres. Et ceux que j’ai affrontés, y’avait rarement une tempête avec. On attendait plutôt bien au chaud avec un grog ou un vin chaud que ça se tasse. »
Oui ben, hein, on va pas aller courir sous la pluie sans raison, non plus, ça n’aurait aucun sens, après tout.
Vrenn accueille avec une certaine joie mon hypothèse sur les vents de cet orage. Je me retient de casser sa “joie” en lui signifiant que tout peut changer en l’espace de quelques minutes lorsque l’on est en pleine mer. Disons que c’est ma manière de rassurer mon interlocuteur même si j’en mène pas large…
On verra bien quand l’orage sera sur nous mais si le vent se lève, il y a de forte chance qu’on soit emporter…
Finalement, je me montre quand même un peu pessimiste. De toute façon, on ne pourra s'abriter nul part sur cet îlot. Creuser un trou pour se protéger du vent serait synonyme de mort par noyade si la mer se déchaîne. Autant dire que cette option est écartée d’office. Reste l’option de compter sur l’aventurier qui m’accompagne. Après tout, c’est un guerrier habitué aux situations extrêmes ! Enfin, les vrais aventuriers… Visiblement, lui, c’est un faux aventurier. Un aventurier en papier… A ce tarif là, je pourrait me promouvoir aventurière vu le nombres de documents commerciaux qui défilent à la maison… Documents qui passent tous entre mes mains maintenant que Mère a décidée que j’était prête à préparer sa succession. Succession qui arrivera le plus tard possible je l’espère.
Est-ce qu’on peut dire que vous êtes vraiment un aventurier à ce compte là ? Non pas que je mette en doute vos capacités de traitement des documents officiels, Assitant ne serait-il pas une appellation plus juste ?
Ce n’est peut-être pas le moment de disserter sur le sujet au final mais ça m’aide à oublier que la mer va peut-être m’emporter définitivement aujourd’hui à cause d’un tourbillon magique débile… L’orage se rapproche et je commence à me dire que les ennuis ne font que commencer… Une fois à l’eau, même si on échappe à la noyade, il y a plétor de prédateurs qui vivent dans l’océan… Requin, Eratrodon etc… Et plus il se rapproche, plus le rideau de pluie se fait visible. Puissante et intense, on va être trempé en un éclair.
Vous n’auriez pas par hasard une botte secrète qui pourrait nous sauver la vie ?
Et pour couronner le tout, à chaque minutes qui passe, j’ai l’impression que des vagues se forment… Sur le rivage de notre îlots, les vaguelettes se font de plus en plus fortes.
Je reviens sur ce que j’ai dit, il va y avoir des vagues Monsieur Indrani. Assurément des grosses vagues.
Il ne manque plus que le typhon pour avoir un joli tableau de tempête hivernale dans l’Archipel...
« Et si le vent se lève, on fait quoi ? On se laisse flotter en espérant croiser un bateau et pas un léviathan, c’est ça, le plan ? »
Ça pue. C’est vraiment horrible de se retrouver à oualp sous la tempête, comme une population primitive qu’aurait pas encore inventé les maisons, les toits, les sapes, et tout le confort un peu basique de la civilisation. Et que ce soit un ilot plat au milieu de nulle part ne fait qu’aggraver les choses : en montagne, y’a des grottes, dans la forêt y’a des arbres pour brûler des bidules, bref, y’a des solutions.
Là, j’ai l’impression qu’on se fout de ma gueule. Lucy doit ricaner derrière les nuages.
« Ouais, j’suis aventurier, j’ai fait des missions sacrément dangereuses, comme la Cité Enfouie. »
En général, les gens, ça les calme. Faut dire, avec le taux de pertes, l’intervention de l’armée, et les rumeurs de monstres horribles qui en sortent, on a l’air de pas avoir démérité. Parfois, on se fait même payer un verre par des camarades qui y étaient aussi, et on échange nos histoires. Bon, c’était pas si pire que la plupart des gens s’imaginent, genre tout le monde est pas tombé sur des scolopendres géants, et j’ai croisé les wardans que de loin, vu que j’me suis barré fissa, même si j’en ai des morceaux d’un dans la poche…
« C’était horriblement dangereux. Un collègue proche est mort. Il s’appelait… »
Merde, c’était comment, déjà ?
« Bref, peu importe, on a d’autres soucis. »
Cela dit, ça serait bien de respecter un peu les Aventuriers. On fait tout le sale boulot que la Garde veut pas faire pasque c’est trop dangereux ou qu’elle risque de se salir les doigts ou se casser un ongle. Et là où c’est tragique, c’est que j’suis un espion qui fait le sale boulot du Royaume, au sein des aventuriers, qui le font aussi. Y’a une thématique, j’crois que c’est que j’fous les pognes dans la merde et que j’touille. M’enfin, hein, pas comme si j’avais pas l’habitude…
« J’ai des bottes secrètes, mais elles nous aideront pas, là. Et nan, assistant, c’est un grade encore en-dessous d’Examinateur. Des genres de stagiaires qui veulent accéder au saint graal, un peu, tu vois ? Puis t’façon, j’suis redevenu aventurier. J’aimerais bien t’y voir, dans les missions que j’me suis coltinées depuis, tiens. »
J’fais l’inventaire de mes objets. L’invisibilité, ça sert à rien, la téléportation à cent mètres non plus, le laser idem, toutes les variantes sur l’oubli, queutchi… Ouais, bon, on va pas passer un bon moment, quoi.
« Si c’était un monstre qui se pointait, on aurait davantage nos chances, j’vais pas te mentir, gamine. »
Ça t’apprendra à mal me parler.
« Puis pense au respect de tes aînés, d’abord. »
Il reste que quelques instants avant qu’on finisse vraiment sous l’eau.
« Bon ben… On s’colle et on prie pour que ça se passe pas trop mal ? Pasque tu risques de t’envoyer, là… »
Franchement, je vois pas trop quoi faire d’autre. Plus jamais je lâche mon sac sans fond. Mais il est pas étanche, je pouvais pas me baigner avec… Tiens, c’est ça qu’il faudrait que j’fasse. Le rendre étanche.
Monsieur l’examinateur semble avoir plutôt mal pris ma question sur la vérité de son activité d’Aventurier. Il faut dire que je n’y suis pas aller avec le dos de la cuillère pour lui signifier qu’examinateur n’est pas la même chose qu’aventurier à mes yeux. Un aventurier, c’est un héros qui parcourt le monde pour éliminer les monstres les plus dangereux et sauver les gens ! Mais il semble vraiment l’avoir mal pris au point de se vanter de ses sorties de ses petits papiers. Je fais la moue lorsqu’il semble avoir clairement oublié ce pauvre homme mort durant l’expédition royale… Cela ne fait quand même pas très sérieux. Il essaie de recentrer notre “conversation” sur le sujet principale de la tempête qui approche à grand pas mais continue quand même de divaguer sur son mérite d’aventurier ayant accompli des quêtes si terrible que je n’aurais jamais pu les remplir. Avec un haussement d’épaule, je me contente de répondre d’un ton désintéressé.
Ma santé ne me permettrait pas d’entrer dans les rangs des Aventuriers donc la question ne se pose pas Monsieur Indrani.
Je le fixe un instant lorsqu’il affirme ne pas me mentir sur le fait que la situation où nous sommes ne pourrait pas être pire… Il préférerait même un monstre. Ce serait amusant de le voir essayer de prouver sa valeur d’aventurier en terrassant un petit monstre marin. Un sourire sournois s’affiche sur mes lèvres lorsqu’il réclame un peu de respect pour l'aîné qu’il est. Les premières bourrasques se font déjà sentir et il propose que l’on se colle et prie.
Permettez-moi de proposer autre chose mon aîné. Voyez-vous, je suis jeune et nettement plus petite, vous avez une plus grande surface exposée au vent… Vous serez donc le premier à être emporter par le vent. Je vous prie donc, en tant qu’ainé, de vous sacrifier pour garantir la survie de la plus jeune dont la vie ne fait que commencer.
Le tout avec un impeccable respect de l’homme. S’il me traite de gamine, cela me semble tout à fait juste de le traiter comme un vieux en fin de vie bon à sacrifier pour le bien commun. Vérifiant le sens du vent, je m’installe au milieu de l’îlot présentant mon profil au vent pour limiter son impact. Les premières gouttes ne tardent pas à se joindre au vent et les vagues à commencer à envahir le maigre espace disponible.
Il ne faut pas vraiment longtemps avant que la tempête ne devienne invivable… Chaque goutte de pluie frappe ma peau comme la grêle. Et le vent sur ma peau mouillée me glace le sang… S’il n’y avait que ça, cela serait limite supportable. Bien positionnée et accrochée au sol avec les mains plantée dans la terre, ça pourrait bien se passer mais il y a aussi les vagues… Toutes n’arrivent pas jusqu’à nous mais certaines noient complétement l’îlot pendant quelques instants. La plus importante a fait monter l’eau jusqu’à mon menton l’espace d’une demi-seconde. Je suis sûr que l’autre se moque de moi, fière d’être “grand”.
Y’a un truc que j’ai tendance à oublier à force de côtoyer des adultes, des gardes, des malfrats. C’est que, putain, qu’est-ce que c’est casse-burnes, les gamins. Et les gamines, c’est la même chose, surtout quand elles ont encore de la bouse entre les orteils. Enfin, on dit la bouse pour les pêcheurs ? P’tet de la vase, du coup. Ouais, ça semble pas mal, la vase.
En vrai, si j’pouvais, j’la laisserai canner, ou j’lui ouvrirai le bide pour me réchauffer avec ses entrailles. C’est un collègue aventurier qui m’a dit qu’il avait ça dans les montagnes un jour de blizzard. Euh, avec sa monture géante, cela dit, pas avec une petite fille, ce qui serait considérablement plus glauque. Et y’a toujours plus d’entrailles qu’on croirait.
Mais j’crois que ça ferait pas beaucoup rire Zahria, dans le genre bavure policière, encore que personne s’en souviendrait, si j’utilise mon pouvoir pour la faire oublier. Même la domestique sur la plage oublierait tout simplement l’existence de la nana.
Ce qui serait assez con, pasque si on survit jusqu’à ce que des secours arrivent, ils ont plus de chances de venir pour Onélie que pour moi. Surtout s’ils ont l’habitude de faire du bateau, davantage de possibilités pour elle.
« Ouais, nan, c’est gentil de proposer, mais le sacrifice héroïque pour les autres, c’est plutôt un truc de Garde que d’Aventurier. L’aventurier moyen est plutôt quelqu’un de lâche qui se bat que quand il est sûr de gagner, alors que le Garde est globalement trop bête pour s’en rendre compte, tu vois ? »
L’ironie, c’est que j’fais partie des deux, et j’pense que ça en dit long sur moi, ha.
Puis la tempête nous arrive dans la gueule. C’est le cri des éléments, la mer qui s’agite, et les gouttes froides sur la peau. On est loin des averses tropicales d’été qui donnent l’impression d’une bonne douche ou d’un sauna, et davantage au niveau de la pluie froide, glaciale, avec des grosses gouttes qui font que l’impact est tout à fait désagréable. J’enfouis mes pieds dans le sable jusqu’aux chevilles, et j’me baisse pour ouvrir que mon dos aux éléments, avec les doigts coincés sous mes aisselles.
La posture devient rudement moins pratique quand les vagues commencent à submerger l’ilot. Du coup, j’les pose au sol aussi, et j’endure la morsure de mes cuisses pour pas me faire emporter. A côté de moi, la gamine, désavantagée par sa taille, manque de boire la tasse ou de se faire emporter à chaque fois que le ressac se fait un peu plus fort. J’dois bien peser trente kilos de plus qu’elle, faut dire.
Bon, allez, un enfant, c’est comme le bébé sertrèfle. Autant faire plaisir à Zahria.
La mort dans l’âme, et sans excès de motivation, j’tends la main pour fixer Onélie au sol et l’empêcher d’être brinqueballée par les vagues. Les minutes passent, et on grelotte, puis on se met à entendre la foudre. Mais elle est pas sur nous, et semble même s’éloigner sous l’effet des vents hurlants.
Au bout de longues minutes, le vent tombe, ou va faire sa vie ailleurs, plutôt, tout comme les vagues, et il ne reste plus qu’une petite pluie persistante qui s’achève elle aussi. J’en profite pour me frictionner vigoureusement, comme Onélie fait, pour me réchauffer. Puis les nuages, noirs initialement puis devenus d’un gris presque blanc, s’écartent pour laisser entrevoir un magnifique soleil estival.
Un peu sur la gauche, on distingue même un arc-en-ciel qui se dessine doucement contre l’horizon.
Et j’me rends compte que j’ai pleins de grains de sables collés à la peau, à cause du vent. L’impression est désagréable, alors j’fous le pied dans l’eau pour aller me rincer, comme ma camarade d’infortune.
Impression de néant avec un fondu au noir.
Et nous revoilà sur la première plage, comme s’il ne s’était rien passé, si ce n’est que la servante court partout en hurlant. Mes affaires sont toujours à leur place, et j’m’empresse de vérifier qu’il manque rien, puis de contacter la patronne pour m’assurer que y’a pas de souci et la rassurer.
Et tout va bien.
Jamais j’retourne sur cette plage de merde. Ni j’fous les pieds dans la mer sans l’ensemble de mes affaires.
Enfin, c’est un vœu pieux, j’sais que j’ferai la connerie à un moment donné. Mais là, j’m’en suis sorti. C’est bizarre, inexplicable, mais l’important c’est que tout aille bien à la fin.
« Bon, Onélie, c’était sympa mais j’ai poney. Allez, salut. »
Ouais, zéro motivation à taper la discut’, là. J’veux juste un bon bain chaud dans une auberge, un gueuleton avec du pinard pour finir de réchauffer la moelle de mes os, et être loin de cette plage de merde.