Est-ce votre réputation ou vos réussites ? Mais un des nobles du grand port vous a spécialement demandé pour assurer son escorte en mer. Avec les dons qu'il fait généreusement chaque année à la caserne, vous n'avez pas pu lui refuser ce petit service.
Vous voilà près à embarquer avec lui depuis les quais du grand port jusqu'à Labyrinthia. Un long voyage en mer. Votre mission sera de veiller sur lui ainsi qu'à sa marchandise a l'aller et au retour et repousser les éventuels pirates qui pourraient vous attaquer. Le navire sur lequel vous embarquez est luxueux. Il tangue très peu, les cabines sont immenses et richement décorées.
Un mission assez calme en apparence, en mer il ne se passe pas grand chose... Jusqu'au troisième jour du voyage. Pas d'attaque pirate mais un orage imprévu. Malgré tout, il existe encore des phénomènes naturels que la magie ne peut pas prévoir, malgré le cristal de météo à bord du navire. La tempête commença une nuit alors que vous étiez en train de contourner les rives du royaume et elle a frappé soudainement et avec une intensité exceptionnelle.
Les vagues passent par dessus le pont, balayant quelques marins, le tonnerre gronde, le ciel se déchire. Une tempête en pleine mer comme vous n'en avez encore jamais vu. Dans un contexte aussi cauchemardesque, il ne serait pas étonnant de voir un Tanhiwa débarquer. Mais heureusement, les éclaires ne semblent provenir que du ciel... Mais combien de temps le bateau va tenir dans ces conditions ? Et que pouvez vous bien faire pour accomplir correctement votre mission...
Ils avaient donc embarqué pour la croisière vers l’île mystérieuse, et Calixte n’avait pu s’empêcher de repenser à celle qu’il avait empruntée quelques semaines plus tôt, dans des conditions assez similaires, avec Adrian et Naëry. Et au terme de laquelle il avait récupéré le petit drarbuste Ayren. Bon, il se serait bien passé de l’attaque du tanhiwa, mais on ne pouvait pas tout avoir. Restait à espérer que le Capitaine de ce navire-ci n’allait pas jouer les imprudents. D’autant plus que sa camarade ne semblait pas vraiment avoir le pied marin. Malgré la hauteur des flancs du bateau, il était amusant de la voir lorgner d’un mauvais œil l’onde marine quelques mètres plus bas. Il était encore plus amusant de savoir qu’elle avait choisi son affectation au Grand Port alors qu’elle paraissait en conflit avec le milieu aquatique. Mais le coursier était content de passer un peu de temps avec Solveig. L’assignation ne leur était pas compliquée pour l’heure, et la plus grande difficulté résidait en la tentation du buffet, toujours plus grand, proposé à chaque repas par le cuistot à bord. Ou, tout du moins, jusqu’au troisième jour.
L’orage les prit par surprise – enfin pas tant que ça, s’ils y réfléchissaient bien, car les teishebas avaient étrangement été de bonne humeur depuis quelques heures – et la houle se fit plus tempêtueuse. Dans les cabines luxueuses du bateau, les objets qui n’avaient pas été calés valdinguaient d’un mur à l’autre. Etrangement ravi de cette évolution du temps, Sieur Lapèche tenait fermement en main une bonne bouteille de rouge et un ballon bien rempli de l’autre.
- Enfin un peu d’action ! s’exclama-t-il avant de descendre le liquide rubis.
Peut-être était-ce le fils de la mer qui parlait, ou l’aventurier en lui. Ou peut-être était-ce le vin. Sieur Lapèche ne s’était pas montré mauvais bougre jusqu’ici. Il savait ce qu’il voulait, et pouvait se montrer d’un entêtement pénible tant qu’il n’avait pas obtenu ce qu’il souhaitait. Mais il était par ailleurs bonne compagnie, à l’agréable conversation, et aux ordres relativement raisonnables. Il pouvait se montrer extrêmement excentrique, mais quel Noble ne l’était pas ? Non, vraiment, les deux gardes auraient pu tomber sur bien pire.
- Sortons !
Ou pas.
- Heu, je ne suis pas certain que ce soit actuellement judicieux, répondit Calixte en échangeant un regard avec Solveig.
Orage ! Sortir !
Non, Eli. On reste avec le monsieur. Et le monsieur va rester à l’intérieur. J’espère.
Monsieur vouloir sortir ! Sortir !
Mauvaise idée.
Zaza aussi vouloir sortir ! Sortir !
… Très mauvaise idée.
Au-dessus de la tête de la Valkyrie, Calixte pouvait effectivement apercevoir Azazel s’impatienter. Avec un Noble et deux teisheba prêts à sortir affronter la tempête, ils n’allaient pas être trop de deux pour tenter de les dissuader de cette folie.
Par chance cela lui passa au matin du second jour. La mer étant calme, elle avait finit par s’habituer au rythme et petit à petit son estomac calma ses ardeurs. En matière de renvoie en tout cas parce que pour le reste, elle avait vingt quatre heures de nutrition à rattraper. Sous les yeux ébahis de leur hôte elle avait dévorée deux à trois fois la ration d’une personne normale. Dans toute cette histoire, le seul véritable point positif, était au final la présence de Calixte. Ça avait d’ailleurs été une véritable surprise de le voir sur la même assignation qu’elle. En vérité, elle n’avait même jamais pensé un seul instant que cela arrive un jour. Leur seules missions en commun avaient été celles de se coller des apéro à tour de bras dès qu’une occasion de présentait. Néanmoins, elle était bien contente de sa présence à bord de se navire. Parce qu’elle l’appréciait sans aucun doute mais parce qu’il semblait bien plus à l’aise qu’elle dans cette situation. La garde n’aurait pas donné cher de sa peau si c’était avec Thépa qu’elle avait dû effectuer cette mission.
Maintenant que ses nausées étaient passées et qu’elle avait pu récupérer toute l’énergie qu’elle avait perdu, les jours lui semblèrent calme. Son amour pour la mer était toujours inexistant mais l’équipage et leur commanditaire étaient suffisamment sympathique pour qu’elle apprécie le voyage. Jusqu’au troisième jour. Solveig avait remarqué l’activité accru d’Azazel et du familier de son camarade. Elle l’avait déjà vu s’agiter ainsi lorsque, en mission avec Valentino, un orage avait fait soudainement son apparition. Naïvement elle avait choisit de se voiler la face en se disant que c’était une coïncidence. Un bon teisheba ne saurait mentir, l’orage avait éclaté seulement quelques heures plus tard. La mer avait commencé à s’agiter, les éclairs zébraient le ciel et pire que tout les vagues commençaient à gonfler, encore et encore, secouant le bateau de par et d’autre.
Sans doute à cause de l’adrénaline qui la tenait en activité, le mal de mer ne refit pas totalement surface et son estomac se contenta de gronder plusieurs fois de manière menaçante et inopinée. Elle ne pouvait, de toute façon, pas de concentrer sur autre chose que ce vieux loup de mer qui s’était mit bille en tête de monter sur le pont. Si l’âme aventureuse de Solveig lui soufflait qu’y faire un tour serait sans doute amusant, elle était convaincu que si cet homme passait par dessus bord, Calixte et elle prendrait un savon monstrueux.
Le coursier fut le premier à s’opposer à la requête de l’homme.
- Il a raison. Trancha-t-elle ensuite un peu à contre cœur. - Azazel, doucement. Souffla-t-elle ensuite tout en levant les yeux vers la petite nébuleuse bleuâtre qui grésillait au dessus de sa tête.
Sans crier gare Lapèche se leva d’un bon -sans jamais lâcher sa bouteille – et fonça d’un pas déterminé vers la porte. Sur ce coup, Solveig fut la première à réagir et se placer entre lui et la porte. Tout sourire elle ancra ses appuies dans le sol. - Vous devriez écouter mon camarade. Il ne serait pas judicieux de sortir maintenant.
- Ça tombe bien ! Je ne vous ait pas demandé votre avis.
- Ça tombe bien, moi non plus ! Avait répondu la demi chiraki d’un ton hilare tendant les mains vers l’avant, prête à bloquer son avancée -sans vraiment d’espoir de réussite. Malheureusement avant qu’aucun d’eux n’aient le temps de réagir un crissement désagréable se fit entendre et Solveig eut tout juste le temps d’esquiver une décharge au niveau de sa cuisse.
- Lequel de vous deux à fait ça ?! Gronda-t-elle, sourcils froncés, tout en fixant les deux teisheba qui semblaient hilare. - Calixte, rappel moi de refuser toute mission en mer à l’avenir. Ne put-elle s’empêcher de gémir.
La Valkyrie fut prompte à réagir – le mal de mer devait donc lui laisser un temps de répit – et se plaça entre sieur Lapèche et la porte de la cabine. Grésillant au-dessus de sa tête, Azazel semblait lui aussi perdre patience.
Sortir !
Non, Vreneli.
L’échange entre le Noble et la garde sentait presque autant la houle que celle agitant le bateau, à ceci près qu’elle était joliment occultée par un rideau de courtoisie et de sarcasme. Observant la folle chevelure de sieur Lapèche, Calixte pouvait presque voir les rouages imbibés d’alcool s’activant pour trouver le moyen le plus rapide d’échapper à sa surveillance et satisfaire ses pulsions marines. Il y avait là quelque chose d’assez ironique.
Finalement, se furent les teishebas qui craquèrent en premier, faisant sursauter la Valkyrie. Profitant de l’éclat d’un éclair au dehors, l’un des deux avait laissé s’échapper une décharge électrique au niveau de la cuisse de Solveig. Grimaçant, Calixte se dit que si la cible avait été lui, il n’y aurait pas coupé. Momentanément distraits, ils eurent juste le temps de voir le mouvement de cape de sieur Lapèche qui s’esquivait dans un rire pour gagner les couloirs du navire tandis que la Valkyrie grondait les deux familiers.
- Sol ! s’exclama bêtement le garde en s’élançant à la poursuite du noble fugitif.
Plus rapide à la détente que lui, sa camarade s’était déjà engagée après sieur Lapèche. Tout comme les teishebas. Avisant l’excitation des deux petites créatures nébuleuses, Calixte grimaça. A tous les coups elles allaient juste en profiter pour elles aussi aller s’exposer à l’orage. Et aux éléments. Rajoutant du stress et des ennuis aux deux gardes déjà bien affairés.
Vren !
Sortirsortirsortirsortirsortir !
Ne t’éloigne pas trop !
Sortirsortirsortirsortirsortir !
Si la créature avait pu lui adresser un doigt d’honneur, nuls doutes qu’elle ne s’en serait privée. Mais, heureusement pour Calixte et la relation qu’il entretenait avec celle-ci, il ne profita que du dédain de sa voix télépathique.
Solveig mit la main sur la cape de sieur Lapèche, mais ce dernier s’en défit rapidement d’un jeu adroit des épaules, et emprunta un couloir perpendiculaire tandis que le vêtement venait embrasser les deux militaires à ses trousses.
- Vous êtes trop jeunes pour avoir un vieux loup comme moi ! s’exclama dans un rire aviné l’homme s’éloignant de plus en plus sur leur gauche.
- Il va prendre l’escalier qui contourne la timonerie pour aller au gaillard d’arrière, indiqua Calixte en aidant la Valkyrie à se débarrasser de l’étreinte vestimentaire.
Evidemment aucun des teishebas ne s’attarda pour prendre cette donnée en considération, et les deux petites créatures foncèrent tout droit pour emprunter le passage le plus direct vers le pont.
Vren !
Sortir !
- Hum, tu suis sieur Lapèche et je passe par le pont – avec ces créatures du diable – pour vous rejoindre ?
La course poursuite ne fut pas très longue et bientôt la garde réussit à s’approcher suffisamment du fugitif pour pouvoir se saisir de sa cape. Ni une ni deux, elle tira dessus avec toute la force qu’elle possédait. - Je vous tiens ! Clama-t-elle certaine de son coup. Pour toute réponse, la cape vint s’écraser sur son visage tandis qu’elle se mit à pousser un petit cri aigu. - Par la déesse ! Alors qu’elle tentait vainement de se débarrasser du morceau de tissus, ce fut Calixte qui lui offrit la solution et l’en dégagea mieux qu’elle ne l’aurait sans doute fait.
- Le gaquoi ? Demanda-t-elle les yeux grands ouverts. - Tu as plus d’expérience que moi sur un bateau. Enfin… Je… Son regard suivit les deux teishebas qui s’éclipsèrent vitesse grand V et sa mine se fit déconfite. - Ils auront notre peau… Maintenant libérée de son entrave, elle écouta son compagnon avant de secouer la tête. - La mer est agitée, je me déplacerais plus facilement sur le pont que toi. Glissant une main dans ses cheveux elle les ébouriffa pour le taquiner. - Mais je te fais confiance. On se rejoint sur le pont ! Évite de passer par dessus bord, je ne suis pas une bonne nageuse ! Éclatant de rire, elle repartie sur les chapeaux de roue aux trousses de l’homme. Ce dernier avait d’ailleurs prit suffisamment d’avance pour que Solveig ne le rattrape instantanément. Pendant quelques instant elle douta même de ce que le coursier avait supposé. Mais lorsqu’elle arriva enfin sur le gaillard arrière, elle dû se rendre à l’évidence, il avait vu juste.
- Monsieur Lapèche, c’est terminé ! Rentrez dans vos appartements ! De toute façon vous ne pourrez plus avancer, Calixte sera la d’une minute à l’autre ! Dit-elle en avançant d’un pas vers lui.
- Bah tiens ! Je naviguais sur ses mers bien avant que tu vois l’jour ! Râla-t-il tout en posant fièrement les mains sur ses hanches tandis que la houle ne cessait de faire tanguer le bateau dans tout les sens.
Devant un équilibre si précaire, Solveig se rapprocha du bastingage de façon à progresser avec plus de sécurité. Et tout continuant de parler, elle avança. Pas après pas, dès qu’elle verrait Calixte elle tenterait d’entraver le pauvre homme.
- Il m’arrive des fois de ne pas faire preuve de maladresse. Des fois, insista-t-il d’un ton exprimant pourtant le doute.
Il était lui-même convaincu que, pour toute son aversion de l’eau, la Valkyrie allait effectivement être de pied plus agile que le sien sur le pont. A tous les coups allait-il encore finir par fusionner dans l’urgence dans une rambarde en attendant une accalmie. En espérant que cette fois-ci il ne passerait pas par-dessus bord. Il savait qu’il aurait dû craquer pour cette magnifique bouée glooby qu’il avait vue l’autre jour en vitrine.
- A tout d’suite ! acquiesça-t-il alors que Solveig se relançait à la poursuite de leur cible. Sois prudente là-haut !
Un rire lui répondit et, après un dernier coup d’œil à la silhouette bondissante de sa camarade, il se mit à courir dans la direction empruntée par les teishebas.
Il gagna rapidement le pont, et la vision qui l’accueillit ne l’enchanta pas des masses. L’océan était déchainé, levant ci et là des murs d’eau à faire pâlir le plus téméraire des marins, et se confondant avec le ciel d’un noir orageux. Des traits de lumière déchiraient le toit de nuages, accompagnés de grondements furieux. Entre ceux-ci, le tambourinement de la pluie, la colère du vent et le fracas des vagues, il y avait là un orchestre chaotique de pair avec le paysage anarchique. Organisés dans l’adversité et face aux éléments peu cléments, les matelots s’affairaient au gréement dans un ballet d’ordres hurlés et de gestes vifs. Où étaient passés les teishebas ?
Vreneli ? appela Calixte en fouillant des yeux la scène cauchemardesque tout en rabattant les pans de sa cape anti-climat. VRENELI ?
Le talisman de localisation du familier attira son attention vers le bastingage sur sa droite et, après quelques secondes de recherche, son regard se posa sur les deux petites nébuleuses crépitant d’électricité. Tournoyant avec excitation l’un autour de l’autre, Azazel et Vreneli déchargeaient par moment quelques salves électriques. Voilà qui allait être amusant.
Vreneli ! Reviens par ici s’il-te-plait !
Non ! Bien ici !
On doit d’abord faire rentrer sieur Lapèche… et peut-être après.
Dans quoi est-ce qu’il s’engageait ? D’ailleurs, où en étaient le noble filou et son amie la Valkyrie ? Se tenant à la rambarde de l’escalier remontant vers le gaillard arrière, le coursier chercha du regard les deux silhouettes familières. Et, effectivement, il les trouva rapidement dans la tourmente de la tempête. Sieur Lapèche semblait avoir abandonné sa bouteille quelque part – nuls doutes qu’il l’avait finie – et, dos au coursier, faisait face poings sur les hanches à la Valkyrie. De cette dernière Calixte n’apercevait que le haut des oreilles, qu’il trouvait bien proches du bastingage. Il espéra que la houle ne ferait pas faire d’embardée au navire.
Attaquer Lapèche !
Quoi ? Non !
Faire rentrer ! Comme ça dehors après.
Non ! Vren !
Un éclair s’écrasa à quelques centimètres de sa main posée sur la rambarde, et il coula un regard sévère à son teisheba.
Ca suffit, Vren. Viens ici, sinon on ne ressortira pas !
Non !
Mais le petit familier se rapprocha tout de même de son maître, se positionnant finalement au-dessus de ses mèches blondes. Pour toute sa mauvaise humeur et ses caprices, Vreneli n’en restait pas moins sensible à ses ordres. Et c’était déjà un petit miracle. Intrigué par le développement de la situation, Azazel finit par les rejoindre, restant tout de même davantage à distance. De leur corps nébuleux grondait toujours l’orage miroir à celui du ciel, et Calixte se dit qu’il allait se prendre une décharge à un moment ou un autre. Soupirant, il se mit à gravir les marches menant au gaillard arrière pour prêter main forte à Solveig.
Vous avez réussi à bloquer sieur Lapèche sur la gaillard d'arrière. Celui-ci essaye de vous regarder, mais l'alcool dans son sang n'aide pas à la concentration.
"Jamais vous ne m'attraperez. Vous entendez ? JAMAIS !"
Il se lance alors dans les escaliers menant à la dunette et se met debout sur la rambarde, les bras écarté et face à la mer.
"Ô déesse de la mer ! Je suis à toi !"
Et comme si l'océan répondait à son appel, une énorme vague engloutit la dunette ainsi que la gaillard d'arrière. Vous retrouvez rapidement vos esprits, vos vêtements et vos cheveux dégoulinants d'eau de mer. En regardant vers la dunette, vous espérez voir le noble. Mais aucune trace de monsieur Lapèche.
Le vieux grincheux reculait à mesure qu’elle avançait et ce manège n’en finissait pas. D’un certain point de vu, Solveig pouvait faire penser à un félin qui se jouait d’une vieille bête blessée. Sauf que dans la situation actuelle, c’était l’inverse. Son corps entier était tendu comme un arc, chacun de ses sens était en alerte. A la moindre erreur, elle lui sauterait dessus et le saucissonnerait avec tout ce qu’elle pouvait trouver. Mais pour cela, il lui fallait l’aide de son fidèle compagnon de beuverie qui, définitivement, ne semblait pas décidé à pointer le bout de son nez… Quoi que ! Malgré l’odeur forte des embruns et de la pluie, une léger fumet vint chatouiller ses narines délicates et un petit sourire étira ses traits.
- J’ai vraiment cru que tu t’étais perdu ! Ironisa-t-elle sans jamais lâcher des yeux l’homme qui était maintenant acculé contre la dunette. - Bien, monsieur ! Soyez raisonnable et rentrez. Même si vous êtes un sacré gaillard, vous aurez du mal à faire le poids cette fois ! Assura-t-elle, convaincu de ses paroles. - Vous ne pouvez aller nul part. Surenchérit-elle d’un air triomphant. Comme une petite hyène sadique, Azazel émit un petit hululement amusé et vint se placer au dessus de la tête de sa maîtresse, comme pour appuyer ses paroles. Forte du soutiens incongru que venait lui prêter le petit animal, Solveig se trouva plus convaincu que jamais des propos qu’elle avançait. Qu’à cela ne tienne, en un claquement de doigt son visage triomphant laissa place à une expression mêlant stupéfaction et terreur.
Tout c’était passé si vite que même l’hybride qu’elle était n’avait pas eut le temps de réagir ou était-ce peut-être parce qu’elle avait été incapable de bouger tant elle avait été sidérée par si peu de jugeote ? Même elle n’aurait pas tenter une telle chose. Qu’on ne lui dise plus qu’elle était folle ! Cela étant, elle n’eut pas le loisir de réfléchir outre mesure. Une vague grande comme dix fois leur bateau se dressa de toute sa splendeur au dessus d’eux et déferla avec une force inouïe, une force effrayante également. Bringuebalée dans tout les sens sans savoir où se trouve le ciel, où se trouve le sol, elle se saisit de la seule chose qui lui sembla véritablement importante sur le moment. La main de son binôme. Perdre un client était une chose affreuse et qui lui vaudrait sans aucun doute une punition exemplaire mais perdre un frère d’arme était bien pire. Alors dès qu’elle supposa avoir repéré Calixte, elle empoigna ce qu’elle put et s’accrocha au premier cordage qui passa sous son nez, bandant chacun de ses muscles afin de les empêcher de passer par dessus bord.
Tout ceci ne dura pas, ou peut-être l’espace d’une seconde. Pourtant la garde eut la sensation qu’une éternité venait de s’écouler. Affalée sur les planches du bateau, à peine plus trempée qu’elle ne l’avait été jusque ici, elle relâcha son assurance vie et soupira bruyamment. - Si il n’est pas mort, je le tuerais moi-même. Je te le promet. Grogna-t-elle, vraiment en colère pour une fois. - Ô déesse de la mer gnagnagna… Imita-t-elle grossièrement tout en se redressant, tendant une main secourable à son compagnon. - Qui voudrait d’un vieux pocheron tout libidineux hein ? Sans jamais cesser de râler, elle se hissa jusqu’à la dunette et se pencha par dessus bord à son tour, non sans se maintenir fermement. Évidemment, les possibilités de tomber sur Lapèche était moindre mais cela valait tout de même le coup de jeter un petit coup d’œil, sur un malentendu… - Rien. Annonça la demi chiraki. - C’est qu’il va m’obliger à plonger… Je le déteste, je déteste les plus de cinquante ans, je déteste les bateaux, je déteste le vi… Non. Non, j’aime bien le vin. Quand même…
Alors que Solveig réfléchissait encore à ce qu’elle devait faire ou non, ce fut le coursier qui proposa une idée et quelle idée ! Dans leur duo si elle était les muscles, il était clair que Calixte était la tête. Si, à leur première rencontre elle avait été étonnée d’apprendre qu’il était de ces gardes ingénus qui rechigne au combat, elle devait avouer que dans bien des situations c’était un véritable atout. De plus elle avait finit par comprendre qu’elle avait suffisamment de force et d’énergie pour eux deux. Quittant son perchoir, elle s’avança vers le blond tout en essorant ses vêtements.
- J’ai hâte de me retrouver coincé dans une minuscule bille de verre ! Lui assenant une tape amicale sur l’épaule, elle éclata de rire. - Je crois que c’est le meilleur moment que je vais passer de tout mon séjour ici. Par contre je te préviens, si on retrouve ce vieux croûton, je le tue quand même ! La tape amicale se transforma en une main légère mais immobile sur son épaule. - Aller ! C’est partie ! Et elle laissa le soin à Calixte de lui montrer toute l’étendu de ton pouvoir.
Ses doigts attrapèrent un bras, mais pas celui initialement visé. Trop loin de sieur Lapèche, le coursier observa avec horreur l’immense vague s’abattre sur eux et empoigna Solveig qui, pour le coup, était soudainement à sa portée. A défaut de sauver leur Noble charge, au moins pourrait-il peut-être éviter à sa collègue de finir par-dessus bord. Parce qu’autant il pouvait vivre plutôt sereinement avec la pensée que le nobliau alcoolisé était parti nourrir les poissons, autant l’idée de savoir la Valkyrie abhorrant la mer empêtrée dans les flots de celle-ci lui était plus inconfortable.
Le passage de la vague fut violent mais bref, et Calixte n’eut même pas à les faire fusionner dans le bastingage. Crachotant l’eau de mer qui avait siphonné ses sinus et laissé un goût de sel sur sa langue, il tourna un regard inquiet alentour. Bien qu’aussi trempée, Solveig semblait en un seul morceau. Pas de trace de sieur Lapèche néanmoins.
Vreneli?
Orage! Content!
… au moins y en a un de content...
Ils se relevèrent péniblement et avisèrent la dunette.
- Tu sens le chiraki mouillé, nota avec un mélange d’amusement et d’appréhension le coursier en se penchant prudemment par-dessus la rambarde.
Le noir de la mer, miroir de celui du ciel, ne lui offrit rien ressemblant à la silhouette d’un Noble prenant l’eau. Les yeux plus perçants de la Valkyrie ne furent pas plus chanceux. Ils allaient se faire défoncer par Emeor. Il tapota l’épaule de la jeune femme.
- Tu crois qu’ils nous en voudraient vraiment de ne pas le ramener? Sur un malentendu… fit-il en observant pensivement l’océan déchainé. On peut peut-être éviter la natation en eaux troubles pour le moment.
Viens Eli, tu vas pouvoir te promener.
Promener!?
Comme on a fait l’autre jour. Avec Kana. Tu te souviens?
Oui! Promener maintenant!
Attends! Et dis à Azazel de venir. On aura peut-être besoin de lui.
Il montra la petite bille de verre à Solveig avec un grand sourire.
- Tu te souviens de mon pouvoir de fusion? On va pouvoir se mettre à l’abri des éléments dans cette petite bille et partir en balade au-dessus des flots à vol de teisheba, à la recherche de sieur Lapèche.
Il se rapprocha davantage de la Valkyrie alors qu’elle éclatait de rire en laissant sa main sur son épaule.
- Ne le tue pas trop quand même, ça nous fera des lunes de paperasse à remplir par la suite. Prête, soldate Prêth?
Prêt, Eli?
Prêt! Prêt! Prêt! Prêt!
Le familier se saisit de la petite bille, et ils fusionnèrent aussitôt avec elle. Encore dotés de leurs sens et de leur capacité à parler, ils se laissèrent porter par le teisheba qui s’élança joyeusement vers l’océan chaotique.
Calixte n’aurait su dire si les pouvoirs de Solveig persistaient malgré leur état actuel, mais lui-même n’y voyait toujours rien de concluant. La surface agitée ne montrait rien d’autre qu’une noirceur terrible, et nulle part trace d’un bras, d’une jambe, d’un membre d’être humain passé par-dessus bord. Vreneli et Azazel esquivèrent adroitement un pilier d’eau salée partant se fracasser contre le flanc du navire, et ils contournèrent la poupe pour en faire le tour. Plus les secondes passaient, plus le coursier pouvait sentir l’inquiétude le gagner.
- Heum. A tout hasard: tu crois que ça survit combien de temps dans la tempête un homme à la mer?
Probablement pas hyper longtemps. En tout cas, moins que ce petit dumctopus à la fière chevelure rousse s’agrippant avec un amour tout béat au bateau.
- Ca a des cheveux les dumctopus? demanda Calixte à Solveig en se disant que ces folles mèches ressemblaient fortement à celles de sieurs Lapèche.
Avaient-ils un peu de chance? Se pouvait-il que le pouvoir du Noble fût celui de se transformer - partiellement visiblement - en créature à ventouses? Et si c’était bien le cas… comment le récupérer?
Ses interrogations furent cependant coupées court par un voile d’eau qui prit les teisheba par surprise, et délogea la bille de verre de la petite mâchoire, l’envoyant valser contre l’écume. Ca flottait le verre?
- On va défusionner et refusionner, indiqua-t-il à Solveig par-dessus le fracas des vagues. Accroche-toi, ne me perds pas; prends une inspiration, c’est parti!
Ils émergèrent de la bille juste avant qu’elle ne s’enfonçât dans les flots, et sans plus réfléchir il fit entrer Solveig dans sa cape en tissu anti climat. Il espéra distraitement que ses doigts un peu désespérés n’eussent pas laissé une empreinte trop mordante sur le bras de la Valkyrie, puis le froid tumultueux de l’océan le rappela à des préoccupations plus pressantes. Il se débâtit un moment de ses doigts gourds, entendant partiellement ce que Solveig lui criait, puis se saisit enfin du compartiment de sa ceinture contenant les diverses billes qu’il stockait. Il sentit celles-ci s’échapper par l’ouverture, et après avoir bu une nouvelle fois la tasse sous l’ardeur d’une vague vicieuse, il passa la main sur l’une des sphères flottantes. Son amie à l’abri dans sa cape et lui-même dans celui de la bille, il souffla enfin.
- Ca va Sol? demanda-t-il avec inquiétude.
Vreneli? VRENELI?
Rigolot! Jouer encore?!
Pour jouer: viens me chercher.
Celle-là!
Il regarda avec dépit le petit familier plonger droit sur une autre sphère.
Non. Pas celle-ci. Lâche-la. Lâche-la! Vren… Lâche-la!
Après quelques minutes pénibles ballotés par l’océan déchainé à observer les teishebas qui tentaient de récupérer leur bille, ce fut finalement Azazel qui se saisit d’eux entre ses crocs. Et si l’espion avait trouvé que commander son familier n’était pas chose facile, il révisa alors son jugement aux à coups de celui de Solveig.
- Je crois que je vais vomir, indiqua-t-il à celle-ci alors que le teisheba effectuait un énième salto.
Eli, dis à Azazel de nous rapprocher à nouveau du dumctopus.
Zaza jouer. Aime bien jouer.
Oui. Mais on jouera mieux avec le dumctopus.
Il eut à peine le temps de finir sa pensée, qu’un éclair partit taquiner ledit dumctopus. Il grimaça intérieurement, espérant que le mollusque ne se détacherait pas du navire. Mais peut-être était-ce là signe que l’animal était aussi aviné sous sa forme actuelle qu’humaine, car il se contenta d’agiter une patte avec langueur avant de chercher à éviter ces éclairs qui venaient le chatouiller.
Il faut qu’il monte, Eli. Essayez de le faire monter.
Et c’est ainsi que, sous la pluie diluvienne alimentée par l’orage et la mer, l’ascension de la coque du bateau débuta. Lentement. Un peu plus à chaque décharge électrique.
- C’est ridicule, commenta Calixte en riant légèrement à la vision du dumctopus à la crinière folle gravissant le flanc du navire au rythme indolent de ses tentacules se ventousant contre la surface de bois. Avec notre chance il va retrouver forme humaine juste avant d’atteindre la rambarde.
Mais il devait sembler que non. Car la créature se hissa sur le pont sous sa forme marine, et même dans les trente minutes permettant la fusion de Solveig dans la cape de Calixte. Lorsque les deux gardes défusionnèrent et reprirent la forme qui était la leur, sieur Lapèche-dumctopus – et le coursier espéra que c’était bien lui, car ça serait cocasse mais surtout douloureux d’expliquer à leurs supérieurs qu’ils avaient ramené un dumctopus et à la place du Noble – chercha à se faufiler contre le buste de la Valkyrie.
- Hééé ! Vilain sieur Lapèche ! s’écria le coursier en essayant de décoller le mollusque de sa camarade.
Heureusement, Calixte, au-delà d’une bonne compagnie, avait toujours plus d’un tour dans son sac. Une fois de plus, c’est lui qui proposa en premier un plan d’attaque alors que la demi-chiraki hésitait encore à quitter ses bottines pour se jeter à corps perdu dans l’océan. - Je ne sais pas, mais si ça ne tenait qu’à moi, il resterait là où il est. Sauf que cet ordre de mission était indépendant de sa volonté et que malgré sa conscience parfois douteuse, elle ne pouvait se résoudre à abandonner cet idiot en pleine mer. Soupirant elle regagna une place plus sécuritaire et se retourna d’un bond vers son ami. Comme si rien ne s’était passé elle l’assomma d’un entrain naissant. Après tout Solveig était curieuse et c’était sans doute là, sa première et dernière occasion de se faire fusionner avec une bille de verre tout en volant au dessus de l’océan, le tout porté par un teisheba qui comptait lui griller l’arrière train quelques secondes avant ! - Je suis toujours prête cher ami ! Claironna-t-elle juste avant de se faire happer par le pouvoir du blond.
Ce n’était pas la première fois qu’elle se faisait ainsi fusionner, quoi que c’était sans doute la première fois que son corps entier l’était. Ce n’était pas une sensation très agréable mais ça n’avait rien de franchement dramatique. Toutefois, elle s’estima heureuse d’avoir un estomac plutôt bien accroché, sans quoi elle se serait bien vu dégobiller tout son repas. Quoi que… Pouvait-elle vraiment rendre quelque chose dans une telle situation ? La question n’eut jamais de réponse, il y avait plus important pour l’heure. Comme prier par exemple. Prier pour que Vren ne lâche pas la bille auquel cas elle ne donnait pas cher de leur peau. - Je pense que ça ne survit pas longtemps. Encore moins quand c’est aussi aviné. Ses yeux parcoururent une énième fois la houle. - C’est peine perdu Cal’, rentrons… Dit-elle avant qu’il ne l’interrompe, désignant une petite créature qu’elle repéra instantanément. Comme des braises sur lesquels un vent d’été se mettrait à souffler, l’espoir de la chiraki regonfla jusqu’à devenir vivace. Mais qu’à cela ne tienne, rien ne se passa comme prévu. - Quoi ?! Dit Solveig en s’étranglant à moitié.
Pas le temps de dire ouf qu’elle se voyait déjà sortir de la bille de verre, son cœur manqua un battement et c’est par pur réflexe qu’elle s’agrippa au jeune homme comme si sa vie en dépendait. Puis tout ce qu’elle sentait sous ses doigts se déroba et elle lui lança un regard terrifié sans même reprendre son souffle. La seconde suivante, elle avait fusionnée avec sa cape. Maintenant aux premières loges pour voir le pauvre Calixte se débattre avec la tempête, elle n’en était pas plus rassurée. Du mieux qu’elle le pouvait elle s’époumonait à l’encourager et même à tenter de le prévenir lorsqu’une vague lui sembla trop grosse. Mais peu importe la bonne volonté qu’elle y mettait, le vent, le fracas de l’eau ou encore le tonnerre rendait ses paroles quasiment inaudible. - Laisse moi sortir, tu nageras mieux sans cape, idiot ! Se plaignait elle sans pouvoir faire quoi que ce soit pour aider. Autour d’eux, se mirent couler et flotter des billes de différents formats, de différentes matières. Une nouvelle activation de son pouvoir et ils se retrouvèrent prisonnier d’une nouvelle prison de verre, flottante cette fois. Ne restait plus qu’aux teishebas la lourde tâche de les retrouver. Force était de constater qu’Azazel était bien moins à l’écoute que son comparse, cela ne fit d’ailleurs que se confirmer lorsque ce fut lui qui mit le croc sur leur bille de secours. Sans demander son reste il s’éleva dans les airs et effectua quelques pirouettes. Comme si leur séjour dans cette mer agitée n’avait pas suffit.
- Azazel ! Tonna Solveig avec le même ton qu’elle employait lorsqu’elle voulait gronder son garçon. Cela eut d’ailleurs le même genre d’effet puisque un éclair partie droit sur la créature, tentant maintenant de remonter sur le bateau. - Je vais bien. Finit-elle par soupirer. - Et toi ? Tu vas être malade vu toute l’eau de mer que tu as ingurgité. Ce n’est peut-être pas si mal qu’Azazel te fasse vomir après tout… Poursuivit-elle d’un air pensif avant de se remettre à pester contre son petit familier qui s’acharnait avec son compagnon à faire grimper la petite pieuvre rouquine à bord. - Ne parle pas de malheur par pitié, si on doit retourner une fois de plus le chercher je pense que je me met à pleurer. Par contre… Si c’est bien lui, je propose de le ligoter, fermement et de lui faire passer la fin du voyage dans la cale de son bateau. Ou attaché au mât. Non ? Tu n’es pas d’accord ? Il était certain que si elle avait pu, elle lui aurait offert son meilleur regard de chiraki battu.
Les minutes lui semblèrent des heures et lorsqu’enfin l’ascension fut terminée, la jeune femme avait l’impression que plusieurs vies venaient de passer. Aussi vite qu’ils les avaient piégés dans la cape et la bille, Calixte les libéra. Solveig eut du mal à cacher à quel point elle était ravis de regagner un sol dur et stable – en partie.
- Bon… Ça a été laborieux mais c’est une affaire rondement menée tu ne crois pas ? Mon idée de l’accrocher au mât tiens toujours sois dit en passant. On a perdu déjà assez de temps, il serait bon de mettre les bouchées double et ce n’est pas en faisant des plongeons à tord et à travers qu’on ira quelques part ! Dit-elle tout en adressant un regard appuyé à la créature qui se rapprochait bien trop d’elle à son goût. - Euh… Eut-elle tout juste le temps de murmurer avant de se retrouver engluée dans une montagne de tentacule. - Aide moi… Son ton était d’un calme étrange, qui ne lui ressemblait pas. De même son visage était de marbre avec pour seule réaction, un nerf qui s’était mit à pulser sous son œil gauche. Son compagnon dû en comprendre le sous entendu puisqu’il se mit immédiatement en tête de les décoller. Solveig aussi y mettait du sien mais rien n’y faisait.
De son côté Azazel observait la scène. Intrigué et inquiet. Sa maîtresse était parfois embêtante mais il devait bien avouer qu’il l’aimait bien. Sauf que depuis qu’elle était sur ce bateau elle était soit malade, soit de mauvaise humeur. De plus, il y avait cette créature qui s’était collé à elle et dont elle semblait vouloir se défaire. Même le papa de Vren, son nouveau copain s’acharnait à libérer Solveig. « Danger » traversa l’esprit du petit teisheba. Oui, si ils mettaient autant d’énergie dans quelques choses c’est qu’il y avait un soucis et si il y avait un vrai soucis, il se devait d’aider. Pour la première fois de sa vie Azazel se chargea du mieux qu’il pu, il grésilla fortement tout en venant virevolter autour du trio.
- Attend ! La voix cristalline de la Valkyrie se vit rapidement étouffée par une contracture violente qui la prit dans tout les corps. Quelques secondes auparavant, du coin de l’œil, elle avait aperçu son familier effectuer la meilleure décharge qu’elle avait pu espérer d’une créature aussi jeune. Toutefois elle aurait volontiers appréciée que cela se fasse sur un ennemie ou sur une créature qui ne pouvait pas transmettre le courant électrique. Tombant à la reverse, elle mit plusieurs secondes avant de reprendre totalement ses esprits. Le dumctopus gisait à leur pied, tout fumant.
- Calixte ? Ca va ? Dit-elle en se redressant plus franchement, s’obligeant à bouger ses muscles endoloris. Azazel descendit au niveau de son visage, flottant calmement. Levant le pouce dans sa direction elle lui offrit un sourire tout tordu. - La prochaine fois, attend qu’on ne soit plus en contact. Il pencha la tête, sans comprendre. - Laisse tomber, c’est bien. Mais j’espère qu’il n’est pas mort. Avant toute chose elle s’assura de la santé de son binôme et offrit enfin de l’attention à la petite pieuvre. - Si il est mort...Dit-elle en plantant un doigt un doigt dans la peau gluante.
« POUF » émit le corps dans un petit nuage vite dissipé par les vents pour laisser apparaître le corps nu vivant du sieur.
-Pitié… Gémit Solveig en grimaçant et détournant le regard à la vitesse de l’éclair.
Attaquer danger !
Ecarquillant les yeux, le coursier n’eut le temps de rien faire d’autre que de subir la soudaine décharge électrique. Son corps se tendit, ses muscles se bandèrent, le projetant en arrière pour chuter lamentablement contre le sol humide du ponton dans un mélange de surprise et d’outrage. Ça lui rappelait vaguement le combat contre Hel D. Vhor alors qu’ils étaient en quête avec Naëry, où il avait déjà subi pareille attaque. Suite à laquelle il était allé rendre tripes et boyaux, chose qui semblait, aussi, vouloir se répéter. Dès que ses membres eurent retrouvé un semblant de mobilité endolorie, il rampa jusqu’au bastingage et se pencha par-dessus le rebord pour nourrir les poissons de l’océan agité. Plus si agité que ça. Finissant de dégobiller – son dernier repas, les litres d’eau de mer lorsqu’il avait bu la tasse, et étaient-ce là des poils de chiraki ? – le coursier nota distraitement que de nouvelles éclaircies venait les baigner de leur douce chaleur et que le tumulte des flots comme du ciel semblait peu à peu se calmer.
- Ca va, fit-il d’une voix encore un peu vacillante , mais se sentant tout de même effectivement mieux ainsi délesté. Toi ? demanda-t-il en jetant un coup d’œil par-dessus son épaule pour vérifier l’état de son amie.
Elle semblait moins secouée que lui et, maintenant que l’urgence de la situation était passée, entreprenait d’expliquer à Azazel que son idée avait été la bonne. Bien qu’électrocuter absolument tout le monde – maîtresse comprise – était en réalité optionnel avec un meilleur timing. Ayant rejoint son copain, Vreneli semblait lui aussi perplexe quant aux directives de la Valkyrie.
Quoi contact ? Azazel pas bien attaquer danger ?
Azazel a bien attaqué. Mais il aurait dû attendre quand Solveig lui a dit d’attendre. Comme quand toi tu attends, quand je te dis d’attendre.
Moi faire ce que je veux !
Mais oui…
Plus léger, Calixte revint à la hauteur du petit groupe et ils se penchèrent sur le dumctopus gisant et fumant, empêtré dans sa crinière flamboyante et ses tentacules. Et était-ce là aussi la trace que le coursier n’avait pas été le seul à rendre tripes et boyaux ? Quoi que pour le coup, ça sentait plus le jus fermenté que l’eau de mer. Curieuse, Solveig planta son doigt dans la chair molle de la créature pour vérifier si elle était toujours vivante et, dans un nuage rapidement dissipé par la brise, sieur Lapèche réapparut sous sa forme humaine. Sa forme humaine nue.
- Bien joué, fit le garde avec un rire amusé tandis que la Valkyrie se détournait exaspérée. Au moins c’est bien lui, et il a l’air entier. Et vivant, et bien moins traumatisé que nous par tout ça, ajouta-t-il au ronflement sonore du Noble.
A défaut de ses billes qui étaient parties vivre leur vie dans l’océan, il attrapa un crayon dans sa ceinture et y fit fusionner l’homme à poil. Puis il glissa ses doigts contre la chaleur de ceux de Solveig.
- La voie est libre, rigola-t-il en lui désignant le chemin soudainement dépourvu de silhouette dans son plus simple appareil. Retournons à la cabine ; personnellement je ne serais pas contre une douche chaude après toutes ces péripéties. Et à défaut d’attacher sieur Lapèche au mât, on peut déjà l’attacher à son lit.
Puis il cligna des yeux à l’image de cette suggestion.
- Enfin, j’veux dire qu’on peut – que je peux – le rhabiller et le mettre au lit et l’attacher là.
Non, ça sonnait toujours un peu étrange. Et tendancieux.
- En tout bien tout honneur ?
C’était peut-être pire d’ajouter cette partie.
- Tu vois ce que je veux dire, grommela-t-il finalement, faussement agacé par ses mots maladroits avant de répondre à l’amusement de Solveig par son propre rire.
Ils reprirent la direction de la cabine de sieur Lapèche en espérant que le reste de la croisière allait être moins agité.
Le reste de la croisière fut légèrement moins agité, mais tout juste. Loin d’être refroidi par l’expérience, sieur Lapèche y avait au contraire trouvé là la dose d’adrénaline qui satisfaisait son sang marin, et n’hésita pas à rejouer les inconscients à diverses occasions. Lassés de courir après un homme prêt à sauter à l’eau toutes les dix minutes, Solveig et Calixte avaient finalement craqué et attaché le Noble au mât du navire sous le rire amusé du concerné – qui, vraiment, une fois aviné se réjouissait de presque tout – et de l’équipage pour une certaine – une énorme – partie de la croisière.
Lorsqu’ils se déchargèrent enfin de sieur Lapèche au retour au Grand port, de gros cernes décoraient leur visage creusé et leurs bras avaient pris l’habitude d’attraper au passage toute silhouette rousse courant à proximité. Ce qui leur valut de plaquer instinctivement un pauvre inconnu sur le chemin des quais au Bastion, mais ni le lieutenant Calyx ni la lieutenante Prêth n’avait besoin d’être au courant de cette petite bavure. Après tout, sieur Lapèche avait été très content de sa croisière, leur offrant des lettres de recommandation et des sucreries en forme de dumctopus. Ne leur restait plus qu’à dormir un peu pour récupérer de l’éprouvant voyage. Genre vingt-quatre ou quarante-huit heures d’affilées.