-Dis, Jack, t’en es où de la campagne ?
-Où ? Comment ça, où ?
-Bah, imprimer des prospectus, battre la pavé, chercher des signatures. Faire tout ce qu’il faut pour que tu sois élu, quoi
-Euh. Bah. C’est que j’ai trois dossiers à finir pour Lou avant après-demain. Et tu sais, il a fait son regard.
-la spéciale ?
-Ouai. Celui ou si tu fais pas ce qu’il a dit, il va faire te faire vivre un enfer administratif.
-Ah oui. Pas fou, ça.
-Et comme je suis un peu à la ramasse, je pense que je vais me prendre un demi-regard, au moins.
-Chaud.
-Ouai, pas dingue.
-Mais sinon, pour ta campagne ? Parce qu’elle va pas se faire tout seul.
-ça fait deux jours. Il y a pas le feu.
-Arno Rak a déjà une équipe de dix personnes pour lui faire tout le boulot.
-Ah ?
-Ouai. Et Camomille peur compter sur tous les hôtes et hôtesses pour faire sa promo.
-Je peux compter sur les examinateurs…
-T’as pas vu sur la table de Trovnik ?
-De quoi ?
-Sa pétition pour l’élection. Elle est tellement en évidence que tu peux pas la rater. Et dès que t’en aperçois, tu sens son regard sur ta nuque et il dit un truc du genre « vous avez vu quelque chose d’intéressant ? »
-Sérieux ?
-Ouai. Tu peux pas y couper.
-T’as signé.
-Je suis désolé.
Je t’en veux pas.
-Mais ouai, faudrait que tu te bouges. La course est longue, mais il ne s’agirait pas de récupérer un retard considérable. L’important, c’est de marqué les esprits d’entrée.
-Tu me conseilles quoi ?
-Forme déjà une équipe. Des gens de confiance. Ils sauront employer les bonnes méthodes pour te faire récupérer des soutiens.
-Merci mec.
-De rien.

Je pense tout de suite à Gégé. Pas parce qu’il est examinateur, mais parce que c’est le seul à avoir signé ma pétition, pour l’instant. Justement, le papelard est tombé par terre tellement j’ai plein de boulot. Je m’arrête un instant dans le travail pour réfléchir un coup. Qui aurait cru il y a une semaine que je me proposerais pour le conseil, hein ? Personne. Ou alors Gégé après une soirée bien arrosé, c’est-à-dire où il finit par ressentir les effets de l’alcool. C’est que les dernières semaines ont été très mouvementées. Cette fameuse soirée. Je ne préfère pas m’en souvenir, mais ça ne manque jamais. Tu glisses doucement sur la pente et tu jettes un regard dans le gouffre. Et c’est un grand vestige qui fait très mal. Et après, pendant des heures, tu n’arrêtes pas d’y penser. Elina ? Merde.

Heureusement, il y a le boulot. Je me suis plongé dedans. J’ai accepté tous les boulots de Trovnik sans sourciller. J’ai passé mon temps sur les routes à faire des inspections, à enquêter, à superviser et à remplir des tonnes de dossiers, de rapports et de formulaires. Il a été surpris. Même si bon, Trovnik ne sait pas ressentir de la surprise, ni même un autre sentiment, mais je le sais. Il a dû croire que j’étais malade. Et en soi, c’était vrai. J’étais malade. Un truc qui me bouffait les entrailles. Enfin, je suis toujours malade, mais l’élection s’est un bon moyen de combler les rares moments de calme par d’autres choses à penser. Et effectivement, comme le dit mon collègue examinateur qui n’aura pas le loisir d’avoir un nom, il est peut-être temps de passer à la vitesse supérieure, même si pour le coup, il s’agirait juste de passer une vitesse, malgré le fait que la boite de vitesse n’existe pas ici, ce qui fait que cette expression ne veut pas dire grand-chose. Mais qui sommes-nous pour juger ?

Bref, j’avise justement Gégé qui entre dans le bureau et je viens à sa rencontre. On discute un coup, surtout de la soirée d’hier. Parce que le soir, pour oublier de ne pas penser à des choses fâcheuses, la meilleure chose à faire, c’est de se prendre une bonne cuite, mais attention, une cuite de qualité. Avec les alcools de Gégé, on oublie tout et on sort sans gueule de bois. Tout bénef. On en fait régulièrement avec Gégé. C’est un bon gars. Il voit bien que je suis dans le mal. Il dit souvent que la tête, parfois, elle n’est pas faite pour réfléchir. Heureusement, le destin a mis l’alcool sur leur chemin. Et un grand maître de la distillation a été mis sur mon chemin. Merci Gégé. Je peux compter sur lui qu’il me dit. Et ça vous étonne peut être que je fais pas le dialogue, c’est parce que parfois, le dialogue indirect, c’est pas si mal, sauf quand on ne fait que ça, bien évidemment. Il va recruter des copains à lui. Ils lui en doivent un paquet. Ça remboursera pas tout, mais ça a le mérite de me donner un coup de main.

Après, je pense aux autres amis de la guilde. Il y a Carciphona d’abord. Même si penser à elle me fait penser à la soirée. Foutu soirée. Je crois bien qu’elle est en mission, mais elle est sur le point de finir. Je lui ferais passer un message quand elle arrivera. Je suis sûr, elle voudra bien m’aider. On s’entend bien. Au pire, je pourrais compter sur K’awil. Si je suis élu, je donnerais le droit d’élections aux familiers. Je suis sûr qu’avec ça, j’aurais le soutien de cette bonne vieille loutre. En même temps, elles font une grande partie du boulot, ils ont des droits aussi, non ? Puis, je gamberge un coup et je me souviens d’un copain. Comment qu’il s’appelle, déjà. Je l’aime bien. Grenn… Tuchel… Karen… Brel…. Ah oui, je sais.

Naëry Wig.
Il m’aidera sûrement lui.

Les réseaux d’information de la Couronne sont toujours aussi performants. Même pas le temps de passer à la Guilde pour récupérer les cancans que Zahria m’a déjà mis sur le coup. Y’a un des conseillers de la Guilde qui a décidé de se faire la malle, retraite ou canné, peu importe, et c’est Jack qui est sur le coup pour prendre sa place. Evidemment, il a des rivaux. J’ai déjà la liste. Une hôtesse appelée Camomille, assez adorable mais qui cache une volonté de fer sous son sourire gentillet, et Lou Trovnik lui-même, qui doit se dire qu’il va pouvoir mettre de l’ordre dans la Guilde s’il en atteint le plus haut échelon.

Je frissonne, bien malgré moi, en pensant à la possibilité que Trovnik devienne conseiller.

Si ça arrive, j’demande une mutation à Zahria. J’suis même prêt à apprendre à faire la révérence avec les autres nobles pour pas être dans la Guilde de Trovnik. Apprendre à danser, aussi, et à déguster des petits fours et goûter du vin au lieu de descendre mon litron de gros rouge en bouffant du sauciflard. Ah, c’est sûr que l’ambiance sera pas la même.

Mais il n’y aura pas l’examinateur en chef, la bête noire de tous ceux qui le côtoient. Seul Gégé arrive à lui tenir tête. Et c’est davantage une question d’inertie induite par l’alcool. Il a eu Trovnik à l’usure, sans bouger, avec des effluves d’alcool pur qui incommodaient le patron. La légende raconte qu’une fois, alors que Trovnik engueulait Gégé, ce dernier a ouvert la bouche pour répondre, et que Lou était tellement bourré qu’il s’est arrêté et est retourné travailler à son bureau.

Oui, évidemment, il serait pas rentré chez lui pour dormir ou en arrêt maladie. C’est impossible pour Trovnik.

Quand j’arrive dans le grand hall, je vois Jack déjà en discussion avec Carci. Je lui trouve une petite mine, en ce moment. Il s’est jeté à corps perdu dans le travail et les soirées avec Gégé, alors c’est un peu inquiétant. Tout le monde s’inquiète pour lui, même si peu savent réellement pourquoi il est pas bien. La mort d’Elina, ça a été un coup dur, pour lui. J’me demande d’ailleurs comment avance cette affaire. On lui a annoncé, et puis ensuite ?

Bon, enfin, c’est pas le sujet du sujet, hein, voilà.

« Salut Jack, Carci, ça va ?
- Ah, salut Naëry ! Je pensais justement à toi ! »

Hein, quoi ? J’louche brièvement. Il va plus mal que j’pensais. Ou alors, depuis qu’on se côtoie plus tous les jours, sa mémoire se barre vraiment à vau-l’eau. Entre mon pouvoir et l’alcool, faut dire, ça doit pas être facile…

« Non, moi, c’est Vrenn. »

J’regarde Carci, qu’a l’air aussi surprise que moi. En même temps, elle connaît vachement bien Naëry, de ce que j’ai compris.

« Bon, après, qu’on me confonde avec Naëry, c’est plutôt flatteur, hein, j’accepte volontiers, ça pourrait être pire. »

Ben ouais, la coqueluche de ses dames, et de certains de ces hommes, n’est-ce pas, un garçon extrêmement beau, séduisant, et aimable. Instinctivement, je carre un peu plus les épaules et j’me redresse. Hé, quand je raconterai ça à… ouais, nan, mieux vaut pas en parler, à la réflexion.

« Ah, oui, Truelle, pardon.
- Ca va, Jack ?
- Oui oui, tout va bien, ne t’inquiète pas. Et toi ? La vie d’aventurier de grand chemin avec Zahria ? Ca file le parfait amour ?
- Ahah, ouais, je fais des quêtes, elle cartographie, tout ça tout ça, tu sais ce que c’est…
- Oui, vous vivez d’amour et d’eau fraîche. C’est beau. Ça me… »

Il s’arrête brusquement. Hé ben quoi ? Ah, merde, Elina… Vite, faire diversion avant que ça devienne gênant…

« J’ai entendu dire que t’allais devenir conseiller de la Guilde ? »

Il semble soulagé d’avoir une distraction, et un autre sujet.

« Oui, enfin, je me présente, quoi. C’est compliqué. J’ai des rivaux très influents.
- Trovnik…
- Oui… »

On a un léger silence, et il regarde l’heure par réflexe, pour pas dépasser de son temps alloué.

« Et y’a Camomille, aussi, non ?
- Ouais.
- Méfiez-vous d’elle. Elle a évincé toutes les autres hôtesses pour avoir l’exclusivité sur tous les aventuriers et aventurières qui l’intéressaient. Tous ceux qui ont des chances de devenir Saphir, il paraît. Enfin, c’est que des rumeurs, évidemment.
- Mais c’est pas mon hôtesse attitrée ! »

On regarde Carci.

« Est-ce que la réponse ne serait pas dans l’intitulé, justement ?
- Aventurière trop géniale ! Dit la loutre. »

Qu’est-ce qu’on dirait pas pour continuer à être nourri, hein ?

« Bon enfin, on est venu t’aider et te filer un coup de main pour emporter l’affaire, Jack ! Tu peux compter sur nous !
- Distribuer des tracts, faire de la publicité… »

Oui, alors j’pensais plutôt à déterrer des trucs sales sur les rivaux, les faire chanter, leur casser les genoux dans des ruelles sombres, moi… Mais c’est pas grave, j’m’occuperai de cette partie tout seul, pas de souci.

Vous voyez ? C’est des vrais amis. On parle d’eux et ils accourent. C’est comme quand j’ai organisé une soirée, mais j’en dirais pas plus, hein, parce qu’on va éviter d’en parler, même si j’ai avancé l’histoire, quoi qu’en dise les gens taquins. Autant Carciphona et K’awill, difficile de les oublier tellement ils en imposent, pas que je dis que la loutre est grosse, hein ; même s’il faut dire qu’elle est géante ; mais Carciphona est tellement rayonnante qu’on peut difficilement passer à côté. Et puis bon, K’awill se voit, quand même. Mais Bruelle, je l’oubliais presque. Je m’en souvenais différent. Ça doit être l’alcool. Surtout que je me souviens bien sa relation avec Zahria et ça, c’est un petit rayon de soleil dans mon esprit pluvieux. J’ai tout de suite vu le coup entre eux et que ça se passe bien, c’est un des trucs qui me fait tenir. Tout ce que je touche ne se transforme pas en poussière, je dirais. C’est bon de les savoir ensemble. Et avec Carciphona, même si on est devenu ami, ça ne l’empêche pas d’être sur la route pour devenir la meilleure saphir de l’histoire de la guilde. Pour sûr. Je fais des bonnes choses dans ma vie. Faut se dire ça. Et ne pas penser autre chose.

Si ce n’est l’élection. A nous trois, je me sens capable de renverser la vapeur. J’expose la situation pour que tout le monde soit au fait de quoi qu’on parle.

-Comme chacun sait, il faut faire signer des registres de soutien aux membres de la guilde. Les gens peuvent retirer leur soutien à tout moment, donc même si certains ont déjà amassé pas mal de signatures, elles ne leur sont pas éternels… comme…
-Et ensuite ?
-Ensuite ? Ah. Euh… Donc, des gens comme Arno Rak, qui a le soutien d’un conseiller, et Camomille, qui est fortement implanté chez les hôtes et hôtesses, qui disposent de pas mal de soutien ont frappés très forts. Ils avaient déjà leurs équipes et ils sont organisés depuis le premier jour. Ils monopolisent le terrain.
-Il y a encore Lou et ?
-Varda. C’est une aventurière assez ancienne. C’est la candidate la plus ancienne des cinq. Lou, il signe peu, mais c’est difficile de revenir vers lui en lui disant qu’on retire son soutien. Il y a ce petite quelque chose dans le regard…
-Ouai… Je m’en rappelle bien.
-Ca me fait toujours quelque chose… C’était comme avec…
-Et Varda du coup ?
-Hein ? Ah. Démarrage de campagne plutôt tranquille, mais l’expérience pourra finir par parler. Elle n’a pas ton niveau Carci, mais elle a fait tellement de mission que Lou doit avoir une étagère d’archives que pour elle.
-Ah oui, quand même.
-Elle met le pied à l’étrier à pas mal de jeunes aventuriers. Elle a une sorte de figure maternelle pour beaucoup d’entre eux et ils s’en rappelleront le moment venu.
-Et comment tu veux qu’on procède ?

Très bonne question de Carciphona. Et je les regarde tous. Gromelle, Carci et K’awill qui me regarde en retour, attendant les instructions qui feront office d’ordre. L’armée de Whiskeyjack Callahan est en marche et avec des lieutenants comme eux, on ne pourra pas nous arrêter.

-Les endroits stratégiques, c’est les parties communes. Le bar de la guilde, l’entrée principal et les principaux lieux de réunions pour le boulot : les bureaux des hôtes et hôtesses, le tableau des contrats. Il faut mettre en place une présence continuelle dans ce genre de lieu. Faire signer, c’est bien, rester dans la tête des gens, c’est mieux. Tu as dit que tu avais plein d’amis Carciphona.
-Oui !
-Carci populaire !
-Alors je compte sur toi pour trouver ceux qui pourront faire ce genre de boulot. Pour rappel, il faut être extrêmement sérieux et ne pas commettre d’impair. Il s’agit de ne pas braquer une partie des gens contre nous. Une catastrophe est si vite arrivée et difficilement rattrapable.
-Tu peux compter sur moi ! Je suis parfaitement responsable !

Je crois me souvenir d’un truc pas en adéquation avec ça. Mais je dois confondre. Elle est l’élite après tout. Je me tourne vers Yrène, On connaît bien les examinateurs, et comme Lou a fait main basse dessus, il ne peut pas trop bosser là-dessus, à mon sens. Frenn, de ce que je me rappelle difficilement, c’est plutôt un type qui sait être au courant et ça, c’est très utile.

-Avrenn, j’ai besoin de toi pour t’informer sur les autres candidats.
-Tu veux dire trouver des boules puantes sur eux ?

Il a l’air surpris.

-Ah non ! Pas du tout ! L’élection doit être la plus propre possible et je ne m’abaisserais pas à ce genre d’extrémité.
Ah. Bon. Tu me rassures. D’une certaine façon.
Par contre, il est possible que d’autres en fassent l’usage. Surtout Arno Rak, si tu veux mon avis. Il a le soutien d’un conseiller qui a pas mal de relations. Pas impossible qu’ils s’en servent pour décrédibiliser ses opposants.
-C’est dans mes cordes.

Il a un petit sourire en coin comme s’il savait déjà quoi faire. Ça fait plaisir de voir des gens impliqués qui comprennent parfaitement qu’il ne faut pas enfreindre les règles du jeu. C’est tout de même important que tout se passe dans la plus extrême cordialité. Les coups fourrés, c’est vraiment pas très sympa.

-Je dois aller à l’imprimerie. Pour faire les tracts. Je suis bien embêté, parce qu’il faut trouver des slogans et des phrases d’accroches. J’ai pas trop d’idée. Qu’est-ce qui vous semblent important à mettre dedans ?

Ça daube, putain.

J’hésite à lui dire en face. Mais d’un autre côté, on est aussi là parce que Gégé nous a filé l’adresse, que le gars nous attendait, et qu’il fait bien ça pour nous rendre service. En plus, il est pas insensible au charme de Carci. A mon avis, ça prouve qu’il a des goûts de merde, et qu’il faut pas lui laisser carte blanche pour faire les affiches, surtout : la loutre est bien plus mignonne. P’tet elle qu’il faudrait mettre, d’ailleurs.

« Euh, ouais, sûr, j’ai pleins d’idées pour la campagne…
- J’y ai réfléchi moi-même, fait l’imprimeur. Généralement, ce qui se fait bien, c’est un paysage qui inspire confiance et grandeur. Une falaire, un précipice, une montagne fièrement dressée comme une…
- Je crois qu’on a saisi le concept. Je ne suis pas certain que ce soit une bonne idée… »

Je sais pas si j’ai déjà fait preuve d’autant de diplomatie, ha.

« J’aurais pu être un roc, une montagne, pour…
- Définitement pas une bonne idée.
- Sinon, comme autre idée que j’avais, c’est les animaux de compagnie. Les aventuriers aiment bien les familiers, les femmes aiment généralement tout ce qui est petit animal mignon, donc si tu as quelque chose du genre, Jack… »

Il se pose quelques secondes, hésite.

« J’ai bien un glooby qui s’appelle Eli…
- Ouais nan, mauvaise idée, on va faire autre chose, hein ?
- Hm, oui, il vaut mieux, je crois aussi, marmonne Jack. »

Putain, il le fait exprès, l’autre débile ?

« Si mes idées ne vous conviennent pas, n’hésitez pas à proposer les votres, hein. J’essaie juste de vous rendre service.
- Hé, tranquille, on cherche juste un truc qui résonnerait dans l’esprit des gens et leur ferait se dire ‘’Ah, c’est Jack, ça !’’.
- Oui, bon, pardon…
- Mmmh… »

On regarde autour de nous, en jetant des coups d’œil vers le futur conseiller, si j’ai mon mot à dire. Au pire, j’pourrais toujours essayer de permuter le contenu de la boîte de votes ou un truc du genre… ça serait juste beaucoup plus velu, quoi. Alors, autant gagner à la régulière des suffrages. Pas du reste, c’est trop sensible comme sujet pour qu’on laisse le premier branle-couille devenir conseiller.

« Le Beau Jack, ça irait ? »

Silence.

« C’est pas que c’est faux, c’est même plutôt correct, comme assertion, mais ça sonne pas un peu arrogant ? Du coup, pas dit que les aventuriers veuillent voter pour ça…
- Oui, pas faux. Dommage, ça sonnait bien.
- Ouais, j’suis d’accord, ça me rappelait quelqu’un, en plus…
- Ah ! Ca me revient. C’était un chic type, mais il a sacrément mal tourné.
- Huh. Raison de plus pour pas le prendre, alors. »

On cogite en regardant le matériel de l’imprimerie, mais y’a rien de particulier qui nous vient, et j’ai les narines qui me piquent à cause de l’odeur de l’autre, là. J’lui proposerais bien d’aller bosser dans la pièce d’à côté, mais ça risquerait de le braquer, après tout. Nan, il faut un truc qui fasse Jack, sans faire Elina, pasque sinon il va tirer la tronche à chaque fois qu’il verra ses propres affiches, et nous faire une dépression nerveuse. Déjà qu’il a une p’tite mine…

Puis j’ai une idée qui m’vient enfin.

« Pourquoi on le mettrait pas dans ses conditions normales d’examinateur, c’est-à-dire à son bureau ?
- Ca manque pas un peu de dynamisme ?
- Mais nan. Assis à son bureau, ça fait parfait pour devenir conseiller ensuite. Puis c’est Jack. Il inspirera la confiance et la sympathie.
- Mouais… »

L’imprimeur a pas l’air hyper convaincu.

« Mais si, regardez. Va t’asseoir derrière le bureau, là. »

Jack fait comme j’propose.
« Voilà, attrape une plume pour écrire, un parchemin, tout ça… Regarde vers nous… Fais un p’tit sourire ?
- Un sourire comment ?
- J’sais pas, comme quand tu vois des amis ou des gens dont tu veux t’assurer qu’ils soient bien traités ?
- Hm. »

Il fait quelques essais, se fige dans différentes positions, et on immortalise tout ça avec le cadre magique, puis on compare les impressions, les visages, ce qu’on en ressent.

« C’est pas mal, nan ?
- Oui, mais il faudrait le faire à mon propre bureau.
- Oui, oui, bien sûr, c’est les essais, là.
- Et il faudrait un slogan.
- Héhé. »

Jack lève un sourcil en me regardant.

« J’ai exactement ce qu’il faut. Vous savez ce qu’on reproche aux conseillers ?
- D’être des vieux cons complètement détachés des réalités du terrain et de ce que subissent les petits aventuriers ?
- Exactement ! Donc le slogan parfait, c’est… »

C’est un début, mais j’ai le sentiment qu’il manque quelque chose. A côté ça, des milliers d’idées fourmillent dans ma tête. L’affiche : est-ce que ça sera vraiment bien ? Est-ce que les gens vont avoir l’envie d’être de mon côté ? Peut-être faire quelque chose de plus conviviale, au comptoir d’un bar, un verre à la main. Les aventuriers ne sont-ils pas des bons buveurs ? Mais ça va peut-être braquer les moins enclin à vider un demi. Ceux qui cherchent un représentant sérieux. C’est compliqué. Et autant Carci et Truelle sont de bons conseils, autant ils ne s’accordent pas sur quelque chose. Si tout le monde est d’accord, ça serait mieux, non ?

-T’en penses quoi, toi, de ce slogan ?
-Plus près de toi ?
-Oui.
-Plus près de toi quoi ?
-Hein ?
-Bah oui, c’est bien beau d’être plus près, mais c’est pour une bonne raison.
-C’est… pour être plus proche des aventuriers. Etre leur représentant.
-Ah bah il faut le dire. Parce que plus prêt de toi pour draguer les filles, ça le fait pas trop.
-C’est vrai… Plus près d’El…
-Non mais il y a une bonne base, c’est vrai. Mais Carci a raison, il faut peut-être préciser de quoi on parle.
-Tu vois que t’es d’accord avec mes idées.
-Fallait bien qu’il y’en ait une de bien.
-Du coup, tu penses à quoi ?

Je pensais à un truc, mais la conversation sauté, je sais plus. Enfin. Bref. Plus près de toi, c’est pour être le représentant de tous. Et je pense que la notion d’être en commun est importante. Ce n’est pas que portée les aspirations d’une personne, c’est la somme de tous les désirs des membres de la guilde, sans distinction.

-Plus près de toi, parce que c’est notre projet ?
-Et c’est quoi, ton projet ?
-Bah, écouter les gens. Faire les bonnes choses. Défendre les intérêts de chacun.
-C’est vague.
-Je sais pas trop en fait, Carci.
-Ah bah c’est malin.
-Sur un malentendu, ça peut passer, mais c’est peut-être mieux de ne pas tout miser sur un coup de poker.
-T’as raison, Querel.

On réfléchit.

-Parce que oui, on peut !
-On peut quoi ?
-Bah... on peut faire ce qu’il faut faire.
-On en revient au même problème.
-Peut-être bien.

Puis c’est à Carci de proposer.

-Debout la guilde !
-Ah j’aime bien ça !
-Debout derrière Jack ?
-Ouai ! Pas mal non ?
-Mouai. Sauf que c’est décousu entre les deux. C’est un coup à être debout tout seul, ça.
-Puis, j’y pense. Faudrait que ça rime. Histoire d’avoir une sorte de musicalité dans le slogan.
-Qu’est ce qui rime avec toi ?
-Fois !
-Plus près de toi, on risque la crise de foie ?
-Pas celui-là de fois !
-Il y a contrepoids.
-Plus près de toi, pour faire contrepoids ?
-Contrepoids contre qui ?
-Oui… même problème.
-Voilà.

Puis c’est Carci qui trouve. Enfin, c’est K’awill, ce qui donne après traduction.

-Plus près de toi, Whiskeyjack sera notre voix ?
-ça rime.
-Rime riche.
-On parle de moi.
-Ce qui est bien.
-Il y a une idée de groupe.
-Indispensable pour gagner.
-Et foncièrement, je porte la voix de tout le monde au conseil.
-Allez, banco. Faites nous en quelques centaines.
-Hein ?

L’imprimeur était partie s’installer sur une chaise en attendant qu’on en ait fini et la demande de Kruen l’a un peu surpris.

-Oui. On a choisi. On va aller faire une prise à mon bureau pour que ce soit plus vrai que nature, préparez déjà le slogan avec un cadre simple et efficace.
-D’accord. D’accord. Mais c’est pas gratuit, hein.
-C’est la guilde qui paie.
-Comment ça, Jack ?
-On a une enveloppe pour la campagne, Vrill, pour financer ce genre de matériels.
-Je me serai présenté, si j’avais su…
-Tu as des affiches à imprimer. Du genre à « annoncer » un grand « évènement » ? Hein ?
-Non. Pas du tout.
-Ah.

Il est timide. J’irais tirer les vers de Zahria une autre fois sur la question. C’est compliqué d’avoir des nouvelles d’eux. Je veux pas m’immiscer trop dans son couple. C’est comme avec Carci, je pose pas trop de question. C’est une question de respect et de vie privé. On en finit avec l’imprimeur, pour l’instant et on retourne à la guilde. En chemin, il me vient une idée qui me tarauder depuis un moment.

-C’est vrai que j’ai une belle moustache ?
-Euh…
-Bah oui, quand même !
-Je pensais, si on faisait des sortes de fausses moustaches comme la mienne et que les gens pouvaient la mettre sous leur nez, ça ferait un signe distinctif qui rappellerait ma candidature et ça serait les gens qui me soutiennent qui la porte, comme ça, les gens voient souvent cette moustache, pense à ma candidature et pensent qu’on est nombreux à être de mon côté ?

Instant de silence. Brisé par K’awill.

-Avoir moustache !
-C’est vrai que K’awill aura un certain charme avec une moustache. Toi aussi Carci.
-Et Frenn aussi.
-Ouai. Non. En fait non. Mais ouai. L’idée.
-Faut que je voie si je peux faire ça, plutôt que de porter un pins, portons une moustache !

On arrive à la guilde et alors qu’on se dirige vers l’escalier menant du côté des bureaux des examinateurs, on tombe sur un gros attroupement, bloquant le passage. On attend. Quelques secondes, juste assez pour que Jrenn s’impatiente. Je remarque les insignes que portent les gens. A propos de pins, voilà ceux d’Arno Rak, le candidat aux nombreux soutiens. Ça m’interroge grandement

-Qu’est ce qui se passe ?
-Oh ? Rien.
-Bah, faites place alors.
-Pourquoi ?
-Parce qu’il faut laisser la place, on veut passer.
-Ah. C’est dommage.

Et l’individu se met à regarder ailleurs comme s’il se fichait de nous.

-Je crois qu’ils nous bloquent l’accès exprès.
-Mais pourquoi ils feraient ça ?
-Ca tombe, Arno Rak fait sa promo du côté des examinateurs. Il veut peut-être mettre Trovnik dans sa poche. Ou pire.
-Vous pouvez vous pousser ? S’il vous plait ?

Pas de réponse. Je suis bien embêté. Je vais pas me mettre à pousser les gens devant moi. Des membres de la guilde. C’est pas très conseiller de faire ça.

On est là, les types nous bloquent assez massivement le chemin, et moi qui pensais que j’serais un des pires en terme de coups de putes, j’me rends compte qu’on commence à peine à jouer, et que la partie promet d’être marrante. J’espère qu’ils seront au niveau, pasque si j’pense pas qu’ils vont trouver des trucs sérieux sur Jack, j’attends de voir ce qu’ils vont sortir en terme d’affabulations. A moins que son statut de lanterne rouge donne l’impression qu’il n’est pas un danger ? Auquel cas ils vont vite être déçus.

J’jette un coup d’œil au futur conseiller. Il a l’air très gêné par la situation, pris entre le besoin de discuter pour passer aimablement, forcer le passage vu qu’il est dans son bon droit et plutôt dégourdi des poings, et la posture officielle que la charge à laquelle il prétend le force à prendre. C’est sûr que ça ferait désordre, le conseiller qui casse gratuitement des bouches dans les couloirs de la Guilde, surtout celles de la concurrence. Nan, il faut un autre angle d’attaque.

J’avance à nouveau.

« Au nom d’Arno Rak, le bureau des examinateurs est actuellement occupé.
- Qu’est-ce qui vous permet d’envahir son bureau ? Que j’demande.
- Les lois de notre Guilde.
- La Guilde, c’est nous ! Que j’dis suffisamment fort pour attirer l’attention. »

Maintenant, faut réussir à transformer ça de façon positive. J’suis sûr que Jack s’occupera des détails, surtout assisté de la dernière Saphir en date. En bonus de popularité, ça se pose là, ça.

Le type me jauge de haut en bas, puis de bas en haut.

« Pas encore. »

Il avance d’un pas, quasiment au point que nos nez se touchent. J’me leurre pas, dans un véritable affrontement, il me faudrait pas plus de dix secondes pour l’envoyer au tapis, et moins si c’est définitif. Mais c’est pas le jeu auquel on joue. Je hausse un sourcil plein de mépris, et j’lui adresse un sourire en coin.

« Touchez-moi pour voir. »

L’affrontement de nos deux volontés est intense, au point que les gens autour ne semblent presque plus présents. C’est le duel des deux volontés qui déterminera la couleur des rumeurs et des ragots qui vont sortir de cette affaire.

« Vous allez commencer par baisser d’un ton, qu’il fait.
- Non mais oh ! On touche pas aux camarades ! Intervient Jack. »

Voilà, le bon et le mauvais garde, un grand classique. Puis je disparaîtrai tranquillement dans le lointain pendant qu’il sera auréolé de la gloire.

La confrontation s’enlise, on s’observe, jusqu’à ce que je souffle à Jack :

« Exécutons l’ordre 66 ! »

On avait des codes, chez les examinateurs. Ça nous permettait de nous y retrouver dans tous les ordres de Trovnik, et certains des mots d’ordres permettaient justement la survie dans un milieu que l’examinateur en chef rendait diablement hostile. L’ordre 66, c’était une de nos dernières options, la lutte pour la vie, l’extermination de l’adversité. C’était le dernier recours.

L’autre en face me mate d’un air interdit. Je lui tousse brusquement au visage et j’m’appuie sur lui, plié par une quinte de toux. Avec le poids de mon corps, l’air de rien, je le décale légèrement, et Jack s’engouffre dans la brèche.

« En marche ! »

Il dit ça d’un ton impérieux, et personne ne parvient à s’empêcher de lui emboîter le pas. Le larbin me bouscule, et j’me laisse tomber contre le coin du mur. J’sens déjà une éraflure que j’ai soigneusement aidée, avec un peu de sang qui perle, et il me regarde, comme horrifié par sa propre Force. Et ouais, mon gars, j’suis gravement blessé.

On fait irruption dans la zone commune des examinateurs, et Arno Rak semble tout à fait surpris de voir son discours, assez convenu au demeurant, interrompu. J’m’avance à côté du futur conseiller, et j’montre fièrement ma blessure de guerre.

« Cette attaque sur ma personne sacrée a laissé de profondes cicatrices. J’annonce la fin de ce blocus voyou…
- Et la reprise des élections ! Achève Jack. »

Là, dans les dents, Arno Rak.

J’ai toujours pensé que Carciphona était une fille plutôt spontanée et enjouée, mais surement pas quelqu’un d’impulsive et de potentiellement violente. Je reste donc interdit par la surprise quand elle saute sur l’hôtesse avant de se faire ceinturer par Alexandra venant en aide à sa camarade. Il ne faut pas bien longtemps pour que le trio féminin s’effondre au sol dans un combat sans pitié à base de tirage de cheveux, de pincement de joues, de tirage de vêtements et de claques habituellement réservés aux malotrus. Et des insultes à foisons. J’ai rarement entendu un vocabulaire si fleuri à un débit aussi rapide, preuve que les mots d’une suffisent à inspirer les autres. Je ne sais pas trop quoi faire. La situation dépasse mon champ de compétence et je me tourne vers la seule personne présente capable de me donner un avis éclairé de de vrai ami.

-On devrait pas intervenir, Brenn ?
-Laisse. Elle se débrouille très bien toute seule. Admire.

Je ne sais pas trop si je dois admirer le style efficace de Carciphona ou les conséquences de cette lutte passionnée au sol dévoilant les formes avantageuses des hôtesses. Truelle reste plutôt stoïque, preuve que sa passion avec Zahria ne saurait être perturbée par une tiers tentation. Ça c’est bien mon Grenn.

-tête d’œuf, intervenir ?
-Frenn dit que non. Mais toi, tu peux, non ?
-Ouai, vas-y. ça va être drôle.

K’awill se jette dans la mêlée ce qui devrait déséquilibrer l’affrontement en faveur de Carci, puisqu’elle avait plutôt tendance à faire jeu égal avec les la paire d’hôtesse. Sauf que K’awill semble plus intéressé par le fait de jouer simplement et devient plus un handicap pour sa maitresse à vouloir se frotter à elle, la privant de prise efficace sur ses adversaires. Sur ses péripéties, Camomille vient se placer à mes côtés, me jetant un regard de pas le bas espiègle. J’évite avec un grand soin de sombrer dans les profondeurs d’un décolleté très très mal dissimulé et je lui réponds par un sourire poli teinté par une pointe d’interrogation.

-Jack. Ça faisait longtemps.
-Salut Camomille. Ça se passe la campagne ?
-Plutôt bien. Rak est un candidat avec beaucoup de ressources. Il faut parfois se serrer les coudes avec ces petites machinations.
-Oui, on lui a bien damné le pion. Il est passé où au fait ?
-Je l’ai croisé en arrivant. Il fulminait.
-Tu n’interviens pas ?
-J’ai peur d’abimer ma tenue. Au fait, tu me trouves comment ?

Elle fait un tour sur elle-même. J’ai bien du mal à choisir mes mots.

-Euh… C’est plutôt joli.
-On a pas souvent pris le temps de discuter Jack. Ça te dirait d’aller boire un verre, un soir ? On pourrait… faire connaissance… Genre… ce soir ?
-Euh…

J’ai un peu chaud.


-C’est joli, presque au niveau d’El…
-Désolé Camomille, mais Jack a du boulot.
-Ah bon ?
-Faut prendre ta tête à ton bureau, t’as oublié ?
-Ah oui ! On revient.

Vairenn me tire carrément par l’épaule pour qu’on s’éclipse vers nos bureaux. Il semble hésité un instant ; c’est qu’il n’est plus examinateur, il n’a plus l’habitude. On le trouve. Je me mets en place. Il prépare son cadre magique.

-Tu devrais faire gaffe à Camomille. Elle essaie de t’amadouer.
-Tu crois ? Je trouvais que c’était plutôt innocent.
-Tu t’habilles pas comme ça quand tu as pas une raison particulière derrière la tête. Vigilance constante, Jack. Elle veut gagner, n’oublie pas.
-Elle a l’air beaucoup trop gentille pour avoir de mauvaises idées derrière la tête.
-C’est dans les plus belles roses qu’on trouve les plus grandes épines.
-Zahria a des grosses épines ?

Que je dis que le don de la boutade. Il a un instant le regard fixe dans le vague, puis se reprend.

-Comme toutal’. Une plume. Un papier dans l’autre main. Et tu souris.
-J’ai que des rapports vides là, ça va pas trop le faire ?
-Mais si. T’inquiètes. Voilà. Souris. Parfait. C’est dans la poche. Retournons voir comment Carci se débrouille.

On fait le chemin inverse et on prend connaissance de ce qui s’est passé. Carci a repris du poil de la bête, faisant comprendre à K’awill que ces deux assaillantes voulaient des tas de câlins et que par conséquent, il valait mieux leur en donner. La loutre, gentille comme toute, s’est empressé de leur en donner, les gênants dans leur action.

-Ce truel est animé, non ?
-Hein ?
-De quoi Grenn ?
-… Oublie.
-Qu’est ce qui se passe ici ?

Tout le monde s’arrête. Le ton n’est pas plus autoritaire que ça, mais la voix est connue de tous. Le maitre des lieux. Le roi des formulaires. Le participant à toutes les commissions divers et variés que peut faire exister l’administration en mille-feuille de la guilde des aventuriers, c’est bien sûr le candidat Lou Trovnik, contemplant la mini-scène de chaos de son regard plein d’ennuis. Il dévisage un à un les participants, tiquant un instant sur Jrenn, puis il arrive sur moi.

-Callahan, j’aurais dû me doute que ça avait quelque chose à avoir avec vous. Pouvez-vous m’expliquer ce qui se passe ici.
-On se bat. C’est pas évident ? C’est interdit de se battre ?

Lou fixe Carci de son regard et on sent une intense réflexion dans son crâne jusqu’à ce qu’il rapplique de son ton monocorde.

-En effet. D’après la fiche d’amendement numéro trente-deux au règlement interne de la guilde, il n’est pas interdit de procéder à des actes violents dans les bureaux des examinateurs.

Ça me parle cette histoire. C’est la rumeur d’un ancien examinateur en chef qui avait passé cette modification du règlement pour frapper sur les doigts avec une règle en métal les examinateurs en retard dans leur travail. Deux semaines après son départ, il a été fait passé en commission que l’examinateur en chef ne pouvait frapper ses subordonnées, pour éviter à nouveau ce genre de tracas. Mais d’après le règlement que personne ne connait dans les détails, sauf Lou, la violence est autorisée. Etonnement.

-Mais c’est pas du jeu ! Elle a une loutre !
-Effectivement. Les animaux ne peuvent pas se battre dans l’enceinte de la guilde. C’est contraire à la charte contre les violences animales de l’an 987.
-Mais elle est pas violente ! Elle fait des câlins !
-Veuillez cesser ou je vais faire appel au service de sécurité des examinateurs, comme le stipule l’article sept de cette charte.
-On un service de sécurité ?
-Il a été supprimé lors de la commission sur les dépenses inutiles de l’an 989.
-Il y a pas un vice ici ?
-En effet. Je vais proposer un correctif pour la prochaine commission. La justesse de votre propos, Callahan, ne vous dispensent pas de rendre votre travail à l’heure, ne l’oubliez pas.
-Bien sûr, monsieur Trovnik.
-Par contre, madame, cette légère tenue est contraire au guide comportemental dans les bureaux des examinateurs.
-Pourquoi donc ?
-Il perturbe le travail des examinateurs. Ce qui est tout bonnement inacceptable.
-Ah bon ? Voilà une pensée bien rétrograde. Mais je me plie aux règles des examinateurs. Venez, les filles. On a mieux à faire.

Les deux lieutenantes se relèvent dans un état pitoyable, leur vêtements déchirés trempés dans la bave de K’awill, les cheveux ébouriffés et parfois arrachés par mèche. Elles dardent un regard haineux vers Carci avant de s’en aller derrière Camomille. J’aide Carci à se relever qui ne souffre de pas grand-chose en la félicitant pour son efficacité dans la lutte.

-Vous comptez rester ici aussi ?
-Non, monsieur Travnik. On a à faire.
-Alors, faites.

On sort. C’est qu’on a une campagne à mener, des affiches à faire, à distribuer et des complots à déjouer.

J’vois Jack monter sur l’estrade pour faire son discours, sous le regard un peu méprisant de Camomille, mais c’est un mépris mêlé d’une légère inquiétude. C’est que l’examinateur a la côte, tout le monde l’adore, et même si l’hôtesse joue de ses charmes et de son intelligence sociale avec un talent certain, j’suis pas sûr que ça vaille le charisme brut de mon copain. Elle reste que les premières secondes, quand il commence à parler, hésite visiblement à lancer un débat improvisé, mais après ce qui vient de se passer dans les bureaux avec Trovnik, elle décide visiblement d’aller s’occuper ailleurs.

Ça tombe bien, moi aussi, j’ai à faire ailleurs.

Après tout, Zahria m’a pas demandé d’aider Jack juste pasque c’est notre petit pote, encore que ça a dû jouer un peu, j’suppose. Nan, c’est aussi qu’il fournira un excellent point de contact pour les espions au sein de la Guilde, et du Conseil, en plus de nous permettre d’influer, p’tet, sur les politiques entreprises. Enfin, nous… les politicards, quoi, ceux pour lesquels j’taffe.

J’suis pas là non plus pour écrire des slogans, ou constituer des affiches, ni pour l’empêcher de penser au Glaçon du Nord. A priori, mes attributions dans ce dossier relèvent d’une activité plus proche du boulot habituel d’espion, à savoir m’assurer que personne le pourrit outre-mesure par des moyens moyennement légaux –peu probable au vu de son classement actuel dans les intentions de vote-, et surtout pourrir les autres pour les empêcher de gagner.

Autant Trovnik, même s’il va avoir toutes les signatures des examinateurs terrifiés, pourra se présenter, autant il a peu de chances de remporter le suffrage final : il est pas très connu, tous ceux qui ont eu l’heur de le côtoyer doivent encore en pleurer, et pour être tout à fait clair, personne peut le blairer. Ça voudrait dire se le cogner tous les jours au Conseil, et ça, ils le voudront jamais, les vieux pontes.

Par contre, Camomille, elle mérite qu’on garde l’œil dessus, et pas que pour son physique agréable. J’serais prêt à parier qu’elle a quelques squelettes dans le placard, après tout : à force de jouer de ses charmes pour se construire un p’tit royaume, y’a forcément des saloperies qui traînent. Donc, tout en discrétion, j’laisse Jack à sa parlotte devant les aventuriers de la buvette de la Guilde, et j’la suis tranquillement.

Elle serait foutue de m’avoir déjà oublié, après tout, mais c’est pas une raison pour être remarquable.

Accompagnée de sa garde rapprochée, elle se pose dans une taverne bien fréquentée, mais où c’est trop bruyant pour que j’puisse entendre quoi que ce soit. A voir les grands gestes qu’elle fait, elle est visiblement assez irritée pour que ses larbins osent pas piper mot, se contentant de rentrer la tête dans les épaules en attendant que l’orage passe. Elle doit pester sur ce qui vient de se passer, j’suppose.

Puis, comme il se fait tard, chacun rentre chez soi avec le sentiment du devoir accompli. Mais comme on sait, y’a pas de repos pour les braves. Camomille se met rapidement à s’apprêter avec une efficacité née de l’habitude, vire sa tenue classe et neutre d’hôtesse, et enfile plutôt une robe de soirée qui laisse place à l’imagination tout là où il faut, tout en en dévoilant assez pour attiser la curiosité. De là où j’suis, personnellement, j’ai tout vu, et c’est sympa sans avoir de quoi s’emballer, mais faut bien avouer que le résultat final a un cachet certain.

J’me demande bien qui elle va voir. Probablement pas son anniversaire de mariage, étant donné qu’elle joue éhontément de son statut de célibataire.

Le restaurant est carrément huppé, et quand j’rentre quelques minutes après elle, j’la vois assise avec un quarantenaire que j’remets pas. Bon, c’est p’tet juste personne, hein, mais elle a quand même vachement tendance à se pencher en avant en collant ses bras à ses nibards, histoire de bien montrer qu’il y a du monde au balcon, et si au début il réagit pas des masses, les bouteilles de vin s’assurent de faire sauter les inhibitions, et ses yeux deviennent baladeurs à défaut des mains.

Faut dire qu’on est dans un endroit classe, il va pas se jeter dessus comme la misère sur le pauvre monde non plus, hé.

J’ai quelques images dans mon cadre magique, où elle minaude et on voit bien leurs tronches. Aucune idée de qui c’est, mais quelqu’un saura p’tet, tiens. Puis j’ai autre chose à faire, tant qu’elle est ici. J’règle l’addition de mon plat unique accompagné d’une carafe d’eau, pasqu’on peut pas abuser avec les cristaux de la Couronne, et j’retourne chez elle histoire de fouiller un peu. Peu de chances qu’elle le ramène ici, vu le bordel, mais elle pourrait parfaitement rentrer seule.

Les images, c’est toujours un peu léger : elle a bien le droit de se faire remplir par qui elle veut, après tout. Puis les bonnes mœurs, à part si c’est son frère, elles en auront autant à gratter que moi. Par contre, ça lui offrirait la possibilité de jouer la martyre, et ça, c’est jamais bon comme cadeau. Nan, ce qu’il faut, c’est des preuves vraiment incriminantes et, à défaut d’en trouver, j’peux bien les poser moi-même. Donc j’laisse quelques saloperies traîner, planquées dans des coin, et j’vais m’attacher à découvrir qui est ce gars demain.

Après tout, personne a jamais demandé que ce soit vrai.

-Merci… Carci. Je ne sais pas… si c’est le bon moment. La chose à faire… tout ça.
-Mais si ! Il faut avoir de la visibilité pour gagner. Et il faut affronter les dangers pour arriver au sommet ! Comme moi.
-Si tu le dis.
-Allez, je te laisse. Il y a trop de fumée ici.

Je le sens pas très bien. Je suis même carrément inquiet. Ça m’allait plutôt bien de faire la campagne au plus proche des gens, de serrer des mains, de convaincre les indécis et de récupérer un maximum de signatures. Pas de me mettre sur une estrade devant une foule d’aventuriers et de parler seul face à tout ce beau monde pour essayer de me faire entendre dans le tumulte de la campagne. C’est peut-être un truc de conseiller de savoir parler au plus grand monde, mais j’ai jamais fait ça, personnellement. Une salle de bar, à tout cassé. Pas plus. Et puis, c’est pas pareil, c’est pour boire un coup et passer un bon moment. Là, une grande partie des aventuriers ont choisi leur camp et il y a probablement des concurrents qui se cachent derrière ce rideau de fumée. Et je suis seul. Pas de Carci et de Zrenn à mes côtés alors que dans ce nuage, il y a peut-être une Camomille ou un Arno Rak. Pas le genre à me faire des cadeaux.

-Hum…
-ON ENTEND RIEN !
-Mais laissez le parler !
-Il dit rien de toute façon !

En même temps, c’est compliqué de dire des trucs. Je vais faire quoi ? « Salut c’est Jack, je me présente, signez ma pétition. Kiss ? ». Ça parait tout à fait hors de propos. J’ai la caboche qui tourne à cent à l’heure tandis qu’à travers le rideau de fumée, la rumeur du mécontentement enfle. Toute l’entrée est désorganisée et certains tentent de se barrer, mais ils percutent d’autres aventuriers dans le nuage qui fait qu’on ne voit pas à un mètre. Ça se bat un peu, mais sans rien voir, ça doit ressembler à un combat d’alcoolique. Rien de bien très dangereux. Alors, les autres, ils doivent attendre que ça se dissipe. Et limite, ma fenêtre de discours, c’est avant que ça se dissipe. Les gens retourneront à leurs affaires. Pour que le geste du Carci serve à quelque chose, il faut que je trouve les mots justes. Les mots qui feront qu’ils se souviendront de moi, pour ce que je suis et pour ce que je peux apporter à la guilde.

-Mes chers collègues…
-J’suis pas ton collègue ! Je bosse en solo !
-Mais pignouf ! Il dit ça parce que t’es aventurier, comme lui !
-C’est un examinateur, c’pas pareil !
-Mais si c’est pareil !
-Il a raison !

Ma voix fait terre un peu le chahut. On s’étonne dans les premiers rangs.

-Il a raison. Nous ne sommes pas pareils. Nous ne sommes pas tous pareils. Il y a des aventuriers. Des hôtes et hôtesses et des examinateurs. Mais même au sein des aventuriers, vous êtes différents. Les nouveaux, les saphirs, les anciens, les jeunes, les habitués à un type particulier. Et même à ce niveau-là, vous êtes encore différents. Chacun a son histoire. Mais ce qui nous unit dans notre diversité, c’est la guilde.
-Et les loches de Camomille !

Rire gras. Un groupe d’aventuriers dans un coin côté buvette. Le rire ne prend pas trop, mais à le don d’apporter de la cacophonie dans un pan de l’assemblée. Je sens que j’ai l’attention d’une grande partie encore, notamment parce qu’ils ont que ça à faire en attendant.

-La guilde, ce n’est pas que des gens qui font des boulots pour d’autres gens à l’extérieur de la guilde. La guilde, c’est une famille. Une très grande famille. Et si l’un de nous est attaqué, nous serons là pour le défendre. Certains sont un peu turbulents, d’autres un peu croulants, quelques-uns n’ont pas beaucoup de respect pour leur grande sœur qui travaille chaque jour pour leur faciliter la vie, mais nous formons une famille. Nous ne sommes pas que des employés d’une guilde offrant un service au pays.
-Pour ce que foutent les examinateurs !
-Ouai ! Et t’es pas mon père !
-Pourquoi je vous parle de ça ? Parce que je souhaite rentrer au conseil, pas pour me complaire dans le plaisir confortable de la situation, mais pour améliorer le sort de ma famille. Ensemble, nous sommes forts, nous pouvons organiser notre famille pour nous tirer tous vers le haut.
-C’est qui que tu veux tirer avec ça ?
-Voyez ça comme des cordées. Les conseillers sont ces premiers de cordées. Ils donnent l’impulsion pour rendre vos vies plus confortables. L’accès à la connaissance, à des divertissements, à la santé. A une sécurité dans ce que vous entreprenez. Tout ne se fait pas en un jour, mais si je peux avoir l’opportunité à mettre en place des projets pour rendre vos vies plus faciles, ça sera avec plaisir. Et pour cela, j’ai besoin de vous.
-Tu veux juste nos signatures !
-Non ! J’ai besoin d’entendre vos demandes. Etre conseiller sans avoir aucune idée de ce que vous voulez, ça n’a pas de sens. J’ai besoin de vous écouter. J’ai besoin que vous me parliez.
-J’suis pas ton psy !
-La guilde pourrait mettre en place une cellule psychologique pour répondre à tes problèmes, mon ami.

Ça rigole. Je crois que j’ai moucheté l’effronté personnage tout en illustrant ce que je dis. On ne fait pas avancer les choses en mettant en place des choses qui ne servent pas les membres de la guilde. Et si les gens se sentent écoutés, ils vous soutiennent. Et c’est le moment de caler le slogan.

-Plus près de vous, je serai votre voix.

Je dis ça et la fumée se dissipe, me laissant seul à la vue de tous, les paumes ouvertes vers l’assemblée dans une posture d’accueil. Quelle mise en scène. Discours inaugurale puis lancement de la campagne d’affiches. On dirait que tout est prévu. Je me suis surpris moi-même, c’est sorti tout seul et ça parait plutôt bien. Emballé, c’est pesé, comme on dit par chez nous. Je reçois quelques applaudissements polis et des grosses huées au fond de la pièce, là où j’aperçois Arno Rak. M’étonne pas. Pas de Tenen en vue. Ni de Camomille. Je cherche pas Lou, il va pas daigner descendre pour si peu. Pas de Carci. Enfin, si, je la vois sortir des toilettes pile à ce moment-là.

-Ah ! C’est fini ! J’ai raté quelque chose ?
-T’as pas entendu ?
-Oh, tu sais, il y a une bonne isolation ici. C’est pour pouvoir parler entre filles de sujets qui te concernent pas.
-Ah. T’as vu Krenn ?
-Non. Il est pas resté.
-‘sais pas. Bon. Il est grand. Il est surement entrain de travailler durement pour m’aider dans le respect de la loi et de la déontologie.
-Pourquoi tu dis ça ?
-De quoi ?
-Loi et déontruc.
-Oh. Je sais pas. Ça m’est passé par la tête, comme ça. Bon. Bah. On se voit demain, peut-être ? Les affiches seront prêtes d’ici là, je pense. Et on retrouvera Grenn. On verra surement les effets rapidement.

Et puis qu’on se repose, parce qu’on a bien bougé et cogité. C’est important d’être frais et dispo et de ne pas se laisser déborder la fatigue, c’est le meilleur moyen de foirer une campagne, assurément.

Chou blanc sur le gars qui traînait avec Camomille. Doit pas être si connu que ça, ce qui va casser un peu l’effet des images que j’ai prises sur le cadre magique. Remarque, si ç’avait été le fenrir en personne, ça aurait fait sacrément bizarre à tout le monde, on va pas se mentir. Bizarrement, c’est Carci qui fournit la solution, plus ou moins par hasard. Pasque moi aussi, j’ai le droit d’avoir du bol, parfois, merde. Enfin, du bol pour Jack, du coup, mais c’est quand même ma chance.

« Euh, j’vous rejoins pour les affiches, du coup, j’ai un truc urgent.
- Quoi, Frêne ? Mais on n’a même pas commencé.
- Vous inquiétez pas, j’en aurai pas pour longtemps. Promis.
- Et comment tu vas nous retrouver ? »

J’donne une pierre de lien à Jack. J’ai sa jumelle, donc j’saurai où il se trouve.

« Garde ça, ça m’pointera vers toi. Et vice-versa.
- Tu cherches pas juste à éviter le boulot, hein ? Demande Carci.
- Barbu paresseux !
- Ben nan, si j’avais pas voulu bosser, j’me serais pas levé tout court, t’sais…
- Oui, bon, j’avoue que ça se tient. »

J’pars au pas de course. Les affiches, c’est devenu vachement secondaire, pasque y’a une bonne matière, là. Suffit de parler aux bonnes personnes. Y’a des gens, ils sont tout bonnement incapables de garder un secret, même si leur vie en dépendait. L’ironie, en plus, c’est de leur dire et de voir progressivement la moitié de la Capitale mise au courant.

J’retrouve Pimprenelle à la cafétéria de la Guilde. J’ai la mine soigneusement défaite, des cernes maquillés sous les yeux. J’commande un whisky, alors qu’il est neuf heures du matin. J’suis le cliché parfait de l’épave, et comme le coin est vide, elle se pose en face de moi.

« Nuit difficile ?
- Ouais…
- Besoin de parler un peu ? »

J’avale mon godet cul sec, j’en recommande un autre. Putain, ça tape, alors que j’viens de finir mon café. Ce qu’on fait pas pour le turbin, quand même…

« Y’a cette nana, assez connue, magnifique… M’a fait plein de charme. On est même allé boire un verre ensemble.
- Ah, qu’elle fait avec un p’tit son de commisération.
- Elle devait partir voir sa famille pour le dîner, mais on s’est promis de se revoir après l’élection, vu qu’elle aura pas le temps avant, tu vois, Pimprenelle ? »

Petits bruits apitoyés.

« Mais elle avait oublié un truc au bar, alors j’l’ai suivie pour lui rendre, elle m’avait dit où elle allait bouffer. Et là, j’la vois à moitié nue sur les genoux d’un type dans le restau.
- Ah, il y a des femmes qui abusent, comme ça…
- Ouais, ça m’a fait un choc. Mais c’est quasiment pas ça le pire…
- Il y a pire ?
- Regarde. »

J’lui montre le cadre magique, elle fronce les sourcils. Elle a évidemment reconnu Camomille au premier coup d’œil. Difficile de faire autrement, même si sa poitrine occupe une part non-négligeable du cliché. Ou p’tet grâce à ça, va savoir.

« C’est le type, c’est ça ? Qu’elle demande. »

Ah ben voilà. J’aime quand les gens réagissent comme il faut.

« Ouais. J’ai mis du temps à le remettre aussi. »

J’raconte ce que Carci m’a dit plus tôt, avec un dépit non-dissimulé. D’ici quelques jours, tous les gens qui se seront arrêtés buvette seront au courant. Plus qu’à aller raconter la même p’tite histoire à quelques autres personnes clés… Genre le concierge, un aventurier bien célèbre, et ce bon vieux Gégé. Bon, Gégé, ce sera cette nuit, par contre, là il doit être en train de cuver chez lui. Mais l’important, c’est de planter la p’tite graine, comme on dit. J’hésite même à laisser l’Incandescent chez Camomille, vu la casserole qu’elle va avoir au fion.

Mais d’un autre côté, toujours plus, c’est pas un mal. J’vais aller en foutre aussi chez le gars, j’pense. Et envoyer une information anonyme à la Garde, ça occupera un peu tout ce beau monde. Même s’il s’avère que c’est faux, le temps que l’enquête soit faite, ce sera trop tard pour élucider le mystère de la présence de colis suspects chez une candidate au poste de conseiller. Ça devrait lui mettre un coup dans les sondages. Reste le cadre magique, après. P’tet faire appel à un de ces gars qui produisent les pamphlets, ça serait le top, j’pense, pour diffuser qu’elle collude avec les ennemis de la Guilde…

J’vais attendre quelques jours encore, par contre. Sinon la chronologie des événements va devenir trouble, ça risque de pas jouer en faveur de notre poulain.

C’est la fin de la matinée quand j’retrouve Jack et Carci, et que j’récupère ma pierre de lien. Trop utile, comme objet, décidément.

« Tu t’es bien amusé ?
- Ouais, on peut dire ça comme ça. »

Ils ont été rejoints par d’autres soutiens de Jack, nouvellement arrivés, et tout ça pose des affiches à la bonne franquette sur les zones prévues à cet effet. En présence de l’examinateur, l’ambiance est bonne et bon enfant, évidemment. On échange des blagues, des pots de colle et des affiches, et bientôt, la moitié du quartier porte le fier visage de mon ancien collègue. Et on décide de prendre un casse-dalle rapide, vu que quelqu’un a apporté des sandwichs, avant de reprendre le fil de nos collages.

Franchement, si avec tous les efforts que j’fais, il est pas élu, restera plus qu’à suriner la concurrence, hein. Pas sûr que la patronne soit séduite par cette idée, cela dit.