Astrid, allongé dans l'herbe au milieu des plaines. Elle se lève et regarde autour d'elle, l'air un peu perdue. Le vent soulevant ses cheveux et faisant tournoyer sa robe. Sa robe ? Oui oui, la voilà habillée d'une luxueuse robe de soirée dorée, digne des plus beaux bals royaux.
A côté d'elle, Dahlia, vêtu d'une tenue argenté assortie à sa compagne, tout aussi perdue qu'elle. Avec en prime, un joli diadème qui semble valoir une petite fortune dans les cheveux.
Vous vous réveillez au milieu de nul part : autour de vous, que des plaines à pertes de vue et pas l'ombre d'une maisonnette ou d'un chemin. Vous ne savez absolument pas comme vous êtes arrivés ici. Et vous n'avez sur vous aucune affaires personnelles. Seulement cette robe sortie je-ne-sais-d'où...
Il va falloir lever le voile sur ce mystère et retracer les événements qui ont précédés votre réveil.
Mais, la question se posait dans la tête de la citoyenne qui reprenait peu à peu conscience…
Elle avait pic-niqué, pour dormir sur l'herbe comme ça ? Bizarrement, elle ne se souvenait pas s'être décidée à faire une sieste sous le soleil, bien que cela lui arrivait. Qu'est-ce qu'elle avait fait hier… ?
Beaucoup de questions. Beaucoup trop de questions.
D'un coup d'un seul, Astrid se redressa et regarda autour d'elle, plissant les yeux à cause du soleil qui brillait haut dans le ciel.
-….
Des plaines. Aucune maison, aucun marchand, aucun animal, aucune route. Pas la moindre trace de civilisation. Mais ça ce n'était pas le pire. Le pire c'était….
-POURQUOI JE PORTE UNE PUTAIN DE ROBE ?! hurla-t-elle en se relevant et en palpant son habit comme si c'était une illusion.
Porter ce genre de chose n'était clairement pas son genre ! Ce n'était pas agréable à porter, et ça lui donnait un air trop féminin ! Où était sa chemise, sa veste, sa jupe et ses bottes ?! Sans gêne, elle leva sa robe pour vérifier si elle portait toujours les mêmes sous-vêtements et soupira légèrement soulagée lorsque ce fut le cas. C'était déjà ça.
Par contre ce n'était pas n’importe quelle robe, mais une robe qui devait coûter la peau des fesses ! Oh Lucy, faite qu'elle ne l'avait pas achetée, sinon elle n'aurait pas les moyens de payer les prochains loyers ni les prochaines bières et devrait se contenter de pâtes et de pain rassis !
Ce ne fut que quelques secondes plus tard qu'elle se rendit compte qu'elle n'était pas la seule, et que Dahlia était à côté d'elle avec une robe aussi, et un diadème.
-Hé bien, ça te va magnifiquement bien Dahlia. Commenta la citoyenne en la reluquant avec un sourire niais. Yep, les robes ça va mieux aux autres que sur moi, j'ai l'air un peu en-robé, hahaha, haha, ha…. Le sourire d'Astrid disparut aussi vite qu'il était venu, pour être remplacée par un air perplexe.
Attendez, pourquoi Dahlia était-là aussi ? Pourquoi elles étaient dans des plaines, habillées comme ça sans aucune raison apparente ? La femme à tout faire tenta de se souvenir de ce qu'il s'était passé la veille, mais rien ne lui vint. Et elle n'avait pas la gueule de bois qui accompagnait en général ses réveils. C'était donc...bizarre. De se réveiller l'esprit clair.
-Eeeeh, par tout hasard, tu saurais pas pourquoi on est ici comme ça ?
Avec de la chance, elle avait des réponses. Est-ce qu'elles étaient encore allées picoler hier et est-ce que ça avait fini au lit ? Dur à dire.
-Ah, et pince moi les joues, ça se trouve je rêve, heh.
Un rêve lucide, ce ne serait pas la première fois tiens.
...
En espérant que cela en soit un, parce qui si ça n'en était pas un...
La garde, initialement allongée, se redressa sur les coudes, et embrassa le décor bucolique qui l'entourait. Des étendues vertes d'herbe grasse, diaprées sous les rayons lumineux, qui semblaient étrangement infinies, aucun chemin ne venant les border... Et debout, non loin, entrain de regarder sous les amples jupons de la magnifique robe d'or qui l'emmaillotait... Astrid ?
Dahlia avait du mal à la reconnaître, dans cette dégaine luxueuse, mais cela semblait bien être elle... Sa chevelure givrée, ses yeux bleus, dont l'un d'eux était menacé par une balafre, et son intarissable humour. Oui, ça ne pouvait être qu'elle.
Gratifiée d'un compliment de sa part, la garde baissa les yeux sur sa propre tenue, tout aussi ostentatoire mais d'une nuance argent. Elle préférait cette teinte, à dire vrai, celle-ci lui rappelait son armure... Pourquoi n'était-elle pas dans son haubert, d'ailleurs ?
« Merci, Astrid... je préfère tout de même les plates. Toi, tu ressembles à un cadeau fort bien empaqueté, en tout cas. »
La citoyenne l'interrogea alors sur la raison de leur présence en ces lieux.
« Heu, alors là... non, aucune idée. » avoua-t'elle d'un air désolé.
N'était-elle pas entrain de rêver ? Qui sait, tout cela n'était peut-être que l'expression d'un fantasme, pour le moins étrange, engendré par son subconscient ? Hm, il fallait effectivement vérifier cela...
« Viens voir... »
Dahlia s'approcha d'Astrid et saisit ses joues entre ses doigts, qu'elle détendit alors à outrance pour éprouver autant leur réalité que leur élasticité. La citoyenne lui sembla étrangement réelle, ce qui laissa Dahlia quelque peu désemparée. Puis, haussant les épaules, elle finit par se rallonger dans l'herbe, et lâcher :
« Rêve ou non... j'en profiterai bien un peu, pas toi ? »
C'est vrai, après tout. Ces dernières semaines à la Capitale n'avaient pas été de tout repos, pour la garde. Entre le démantèlement d'un trafic de gloobys dissimulé dans les tréfonds d'un hangar, ou la course-poursuite avec un Kerberus Alpha... Elle avait vécu des épreuves assez éprouvantes. Alors le fait de se retrouver perdue dans un écrin de verdure, en agréable compagnie, et bien fringuée de surcroît, c'était plutôt... attrayant.
Pourquoi ne pas s'accorder un peu de décompression, dans cet espace dénué de repères, comme suspendu dans le temps... La présence d'Astrid réveillait en elle une envie bien particulière... Dahlia attrapa un brin de graminée flottant au vent dans le parterre vert.
« Poule ou coq ? » Elle esquissa alors un sourire roué « Si tu échoues, je peux te poser une nouvelle question. »
Car elle ne perdait jamais de vue ses objectifs.
En se massant les joues devenus désormais un peu rouge, la citoyenne en conclut que ce n'était pas un rêve. Ou peut-être que c'était un rêve, mais un rêve très réaliste. Et si c'était un rêve, peut-être qu'elle pourrait en profiter...heh.
En tout cas, sa camarade semblait très relaxe malgré la situation un peu incongrue dans laquelle elles étaient toutes les deux. La garde pouvait donc garder un calme olympien en toute circonstance huh. C'était un point commun qu'elles partageaient, et la citoyenne eut un sourire amusé avant de se rallonger par terre à côté de Dahlia. D'autres personnes se seraient rongées les ongles en pensant ne plus jamais retrouver un quelconque signe de civilisation en se demandant ce qu'elles avaient bien pu faire pour en arriver là, mais pas les deux jeunes femmes de toute évidence. Elles avaient probablement vécu bien pire et bizarre.
-C'est pas tous les jours que je me retrouve au beau milieu de la nature avec un temps parfait pour une sieste, en robe et surtout en si charmante compagnie.
Passer la majorité de son temps dans la capitale c'était bien, mais il fallait parfois profiter de ce que Aryon pouvait offrir pour se détendre, même si ce n'était qu'un potentiel rêve et même si elle ne faisait que ça dans sa vie, se détendre.
Cela dit, au cas où ce ne serait pas un rêve, il allait bien falloir se bouger un moment ou un autre, parce que mine de rien, sans objets et sans nourriture, il y avait de quoi s'inquiéter. Mais pas pour l'instant. En espérant qu'il ne se mette pas à pleuvoir soudainement, ce serait assez cocasse….
-Pff….Pfhahahahahahahahaha !
Astrid éclata de rire lorsque Dahlia lui proposa un petit jeu avec comme prix une question.
-Tu perds pas le nord toi ! Ça nous sera utile pour nous orienter quand on devra rentrer à la capitale ! Haha ! Parlant de nord et d'orientation, une fois que la nuit tombera, elles pourraient se repérer avec les étoiles dans le pire des cas. Yep, la situation n'était pas aussi désespérée qu'elle semblait l'être. Et ça se trouve, elles n'étaient pas si loin de la capitale huh.
Jusqu'à ce jour, la femme à tout faire avait réussi à éviter les questions les plus compromettantes et à gagner plus qu'elle ne perdait, mais à ce rythme, et fatalement, sa partenaire risquait de tout apprendre, jusqu'au moindre détail allant jusqu'au nombre de ride qu'elle avait eu et la taille de son p.…
-Pourquoi j'ai l'impression que la question que tu vas me poser va me donner la chair de Poule si je perds ?
La citoyenne s'accouda face à Dahlia, avec son éternel sourire narquois, attendant le résultat avec impatience.
Profiter en premier lieu, s'inquiéter en second. Ce leitmotiv, qui animait Dahlia et auquel elle venait de rallier Astrid, les deux jeunes femmes allaient peut-être finir par le regretter... Mais pas pour le moment. Pour l'heure, rien ne venait entacher le tableau idyllique de cette bulle de quiétude champêtre dans laquelle elles flottaient, parées de leurs plus beaux atours.
Enfin, en toute honnêteté, le trou béant lézardant l'esprit de Dahlia l'inquiétait tout de même un peu, en toile de fond... Car la garde avait beau tenter de se remémorer les derniers évènements ayant précédé son réveil en ces lieux, aucun souvenir ne daignait affleurer dans sa mémoire... Une magie l'aurait-elle effacée ? Cela n'était pas à omettre... Et de même pour celle d'Astrid, qui semblait défaillir également.
Mais pour le moment, la garde voulait plutôt continuer à effeuiller les mystères de la vie antérieure d'Astrid, plutôt que ceux enveloppant leur situation incongrue. Le sens des priorités n'était pas vraiment une qualité dont Dahlia pouvait s'enorgueillir.
La citoyenne était encline à jouer, ce qui ne put qu'élargir son sourire. Dahlia remonta ses doigts le long de la tige de la graminée, de façon à pousser vers le haut les épillets. Ces derniers se ramassèrent alors en un amas, d'où subsista un joli épi fièrement dressé.
« Dommage pour toi, c'est un coq, au vu de sa magnifique queue, héhé ! »
Et une nouvelle question de gagnée ! Hmmm, sur quoi allait-elle l'interroger... ? Sachant que Dahlia savait déjà qu'Astrid avait été un homme, antérieurement, ayant vécu une soixantaine d'années. Elle pouvait lui demander le métier qu'il avait exercé ? Non, à vrai dire, Dahlia n'aimait pas cette question, car elle venait toujours dans les premières posées, de coutume, lorsque l'on faisait la rencontre d'une nouvelle personne... Comme si notre métier nous caractérisait. Mais ce n'était pas l'avis de Dahlia...
« Est-ce que... tu t'étais marié, dans ta vie antérieure ? »
Astrid lui avait dit ne pas vouloir se marier, dans cette existence, mais avait-elle déjà réalisé cet engagement auparavant, lors de sa première vie ? Peut-être que oui, et que c'était justement pour cela qu'elle ne souhaitait pas réitérer l'expérience ? Dahlia était curieuse d'en apprendre plus à ce sujet...
Une journée ensoleillée, parfaite pour une bonne sieste dans une plaine toute tranquille...
Mais vous vous doutez bien que cela ne va pas durer...
Alors que vous papotez en vous reposant, vous commencez à entendre des bruits de pas lourd, venant vers vous. Mais ils ne semblent pas affolés, ils marchent tranquillement. Voulez vous jouer à ce que c'est ? Et bien en levant les yeux, vous vous retrouvez soudainement entouré par un troupeau de Dinarmure... Ils broutent autour de vous et vous ne semblez pas les intéresser. Fort heureusement. Mais n'allez pas les embêter non plus, ces grosses bestioles sont assez susceptibles...
-RAAAAAAAAAAAAAAAAAH !
Astrid roula de droite à gauche tout en criant, frustrée par son manque de chance qui la frappait de plein fouet au milieu des plaines. Réaction exagérée pour une petite défaite avec seulement une question à répondre, mais elle aimait bien faire ça, et ça permettait aussi de briser le silence de l'endroit où elles étaient.
La citoyenne ne tenta même pas de cacher la petite grimace lorsque Dahlia lui demanda si elle avait été mariée. Elle savait poser les questions qui faisaient mal et qui rouvraient d'anciennes plaies.
-Oui, j'étais mariée. Finit-elle par dire en se calmant et avec un petit soupir. Avec une magnifique personne, autant physiquement que moralement.
Dommage qu'Edmond ne se soit pas montré à la hauteur de sa femme qui l'avait supporté jusqu'au bout. L'un de ses plus grand regret. Et aussi, l'une des raisons pour laquelle Astrid ne se voyait pas partager sa deuxième vie avec une autre personne. En l'honneur de son ancienne femme, par manque de confiance, et parce qu'elle n'était tout simplement plus faite pour être avec quelqu'un d'autre, alcoolique et fouteuse de merde qu'elle était. Batifoler par contre, c'était une autre histoire, heh.
Elle rajouta en fermant les yeux, revoyant mentalement l'image d'Haydée.
-Mais comme tu peux le deviner, elle est morte maintenant.
Enfin, morte, façon de parler.
La première chose qu'Astrid sentit fut d'abord des tremblements. Puis, vint les bruits de pas lourd et lent. Comme par magie, soudainement, sans explication aucune, les deux jeunes femmes se retrouvèrent entourées d'un troupeau de Dinarmure. Ils avaient peut-être été attirés par les cris de la citoyenne ?
-Eeeeeeeh….
Légèrement mal à l'aise, Astrid se releva doucement. Elle n'était pas aventurière, mais s'était quand même renseignée sur la faune et la flore du royaume à l'époque où elle était encore Edmond. C'était des animaux paisibles, jusqu'à ce qu'on les embête.
En temps normal, farceuse et débile qu'elle était, la citoyenne les aurait embêtés, mais avec une robe et sans moyen de défense, elle n'allait pas s'y risquer.
Et puis, c'était un dur rappel que les deux jeunes femmes étaient sans défense au milieu de nul part. Même pas l'ombre d'un cure-dent pour se protéger, mis à part leur pouvoir. Qu'est-ce qu'elles auraient fait si c'était un autre animal….
-Booooooooooooooooooooon, je te propose qu'on se casse d'ici tout dooouuuuuucement, et qu'on aille euh...chercher une route, ou quelque chose comme ça, t'en dis quoi Dahlia ?
Quoique, c'était quand même vraiment tentant, d’embêter ces bestioles. Au pire du pire, elle pourrait fuir avec Dahlia en utilisant son pouvoir…non? Peut-être?
En plissant les yeux et en se grattant le menton, l'air d'être en profonde réflexion, Astrid pesa le pour et le contre. Puis elle eut un sourire malicieux et une étincelle dans le regard dont on pouvait facilement connaitre la signification lorsqu'on la connaissait un peu : « Si personne ne l'arrête, elle va faire de la merde ».
La citoyenne lui avoua avoir été en effet mariée, et lui livra une courte mais touchante description de sa compagne. Dahlia put en déduire qu'elle avait dû connaître un mariage heureux, qui n'avait pas dû prendre l'eau, contrairement à la grande majorité des alliances... et des couples tout court. La fin du récit restait amère, car Astrid devait continuer à vivre tandis que sa femme n'était plus. Survivre endeuillée, ce n'était pas du tout enviable.
« Toutes mes condolé... »
De soudains tremblements ébranlant le sol interrompirent Dahlia, accompagnés d'un lourd martèlement... Et les deux jeunes femmes se retrouvèrent alors subitement entourées par un troupeau d'énormes bêtes bardées de métal. Les écailles d'acier de leurs cuirasses miroitaient sous les doux rayons du soleil, si bien que la garde en plissa les yeux. Peu coutumière du bestiaire d'Ayron, Dahlia ne connaissait pas ces créatures, mais elle fut vite en pâmoison devant leur armure naturelle.
Astrid se releva prudemment, et ce comportement, plus timoré que ce qu'elle avait l'habitude d'entrevoir chez la citoyenne interpella Dahlia. Sans doute était-elle au courant de davantage éléments qu'elle, sur ces herbivores cornus ? Pour l'heure, Dahlia ne les craignait pas trop, car ils ne faisaient que paître tranquillement... mais il fallait avouer qu'ils étaient tout de même nombreux, et s'amassaient dangereusement autour d'elles... Astrid avait raison, il valait mieux ne pas s'attarder davantage ici.
Lorsqu'elle fut sur pieds, Dahlia aperçut alors cet éclat un peu trop malicieux dans les prunelles de la citoyenne, et tenta de la tempérer :
« Oui, on va y aller... Il vaudrait mieux ne pas les déranger pendant qu'elles brout... Ohhhhhh ! Ya un p'tit ! »
C'était foutu : Dahlia venait de remarquer un bébé Dinarmure, non loin d'elles, et elle ne put s'empêcher de s'en approcher, investie d'une irrésistible envie de le câliner... Les petits, c'était toujours trop mignon. Mais à peine tendait-elle la main vers lui, qu'elle aperçut ce qui devait être sa mère, restée à proximité, l'air fort peu amène... et prête à charger.
« ON Y VA ! »
Prise de la peur cataclysmique de finir embrochée – ce qui lui rappelait étrangement une autre histoire, mais au moins ces bêtes-là ne crachaient pas du feu, aux dernières nouvelles tout du moins – elle courut vers Astrid, lui saisit le poignet d'une main, releva sa robe de l'autre, et elles décampèrent de ce pourtant jusqu'alors fort plaisant coin d'herbe.
Dahlia ne sut pas combien de temps elles courent, puis marchèrent, lorsque la menace se fut éloignée, mais les deux jeunes femmes finirent par apercevoir le liseré d'un chemin gravillonneux sillonnant cette immensité de plaines... Il fallait remercier Lucy. En revanche, celle-ci aurait pu prévoir des panneaux...
Ce serait dangereux, bien sûr. Aussi, on pouvait décemment espérer que Dahlia l'en empèc…
-Hein ? Kwa ? S'exclama la farceuse lorsqu'on lui tira le bras pour courir.
Elle reporta son regard sur Dahlia pour la voir effrayée, voulant de toute évidence prendre la fuite. Puis elle aperçut l'un des Dinarmures les charger pour une raison qu'elle ignorait.
Dahlia avait donc fait une connerie avant Astrid ?! Comment ? C'était quoi ça ? Le monde à l'envers ?! Elle ressentit presque ça comme une trahison ! Mais son instinct de survie prit le dessus et elle se mit à courir derrière son amie à toute vitesse, se rappelant soudainement que courir avec une robe c'était vraiment de la merde.
-C'EST POUR CA QUE JE DÉTESTE LES ROBES ! Hurla-t-elle en la remontant au niveau des genoux pour faciliter sa course.
Après plusieurs minutes, ou dizaines de minutes, ou heures même – quand on fuyait du danger, on perdait souvent la notion du temps -, les deux jeunes femmes arrivèrent à ce qui semblait être un chemin traversant les plaines. Une route utilisée par l'homme !
-Lucy soit louée...soupira Astrid soulagée. Il nous suffit de suivre le chemin. Mais la grande question c'est...par la droite ou par la gauche… ?
Pas de panneaux, et elles n'avaient pas d'indication de où était le nord pour avoir un point de repère quelconque. Il aurait fallu attendre la nuit et les étoiles, mais Astrid ne se sentait pas d'attendre jusqu'à ce soir à rien faire. Et puis, elle avait commençait à avoir soif.
-Dans des situations comme celle-là, il suffit de compter sur mon intuition légendaire !
Elle leva son bras et pointa du doigt droit devant elle, puis se mit à tourner autour d'elle comme une ballerine, faisant tourbillonner sa robe par la même occasion. Une fois qu'elle se sentit assez mal, prête à vomir, elle s'arrêta :
-LaaAaaA gauche !
...et tomba sur les fesses, ayant perdu son équilibre.
Leur direction choisie, les deux jeunes femmes marchèrent, tout en se racontant des blagues et des histoires débiles pour faire passer le temps et oublier leur situation. Si on oubliait certains passages, comme Astrid s'arrêtant pour se cacher dans les herbes afin de faire ses petits besoins, on pouvait faire passer ça pour une petite fort agréable en pleine nature.
Et, peut-être que Lucy les aimait bien, elles virent un chariot tiré par deux chevaux. Le soulagement, l'espérance et la joie remplirent la femme à tout faire même en voyant ce chariot, délabré, semblait aussi vieux que le propriétaire au crane dégarni mais à la barbe fournie.
Sans honte, Astrid leva son pouce et l'interpella.
Oui.
Elle faisait du stop.
Alors qu'elle tentait de maintenir un élan de marche tout à fait honorable, au regard de l'état de ses arpions, l'espoir s'instilla soudain en Dahlia : un chariot venait à leur rencontre. Certes, il était un peu vétuste et branlant, mais au moins, il avait le mérite de se dessiner dans cette nature morte de plaines onduleuses.
Face au pouce levé d'Astrid, l'homme à l'avant fit faire une halte aux chevaux qui charriaient sa carriole emplie de paille.
« Ola, mes p'tites dames, v'là que vous êt' bien vêtues ! Z'allez où, dites moé ? »
Dahlia prit le temps de détailler l'homme : d'un certain âge, il possédait une trogne burinée, brûlée par un soleil qu'il devait beaucoup côtoyer, de par sa vie manifeste de paysan. Ses cheveux avaient totalement migré au niveau de ses joues.
« Salutations, mon cher monsieur. Nous aimerions rejoindre la Capitale. »
« Ah ? Parc'que c'est dans l'aut' direction, par cont'! Mais j'vais pas à la Capitale, moé. J'vis dans l'coin, m'voyez. J'transporte du foin pour mes bouctons. »
La garde soupira intérieurement. Bien sûr, qu'il n'allait pas à la Capitale... C'eût été trop beau. Risquaient-elles de rencontrer une autre carriole qui s'y rendait, en continuant leur chemin ? Rien n'était moins sûr, et il ne fallait donc pas laisser s'échapper cette opportunité déjà inespérée d'avoir trouvé celle-ci.
« Et si on vous paye ? »
« Ça dépend... Z'avez quoi à m'proposer ? » lui répondit-il, le regard s'allumant d'une lueur.
Dahlia réfléchit un instant. Elle et Astrid étaient bien démunies... uniquement vêtues de ces luxueux atours, et dépourvues de leurs affaires. Ah, mais il y avait bien ce diadème, qui lui ceignait le front ? La garde porta la main à celui-ci, et délogea l'une des pierres qui le sertissait.
« Ça fera l'affaire ? »
« Un peu qu'oui ! Allez, montez, j'vous y emmène, moé, à la Capitale, mes p'tites dames ! »
Elles étaient sauvées. Et les pieds de Dahlia également. Une fois hissées sur le chariot, celui-ci se mit en branle – heureusement qu'elles n'étaient pas très lourdes tout de même, car les essieux ne semblaient plus très solides. La garde s'allongea dans le foin entreposé à l'arrière, avec soulagement, et croisa les mains derrière la tête... Quand soudain, son diadème incomplet commença à luire d'un éclat étrange. Elle n'aurait peut-être pas dû y toucher, en fait...
Ou peut-être que c'était dans les plans de la Déesse depuis le début, qu'elles se foirent de destination pour tomber sur ce vieux monsieur….Ce vieux monsieur qui n'allait pas à la capitale.
Merde Lucy ! Qu'est-ce qu'elle voulait au final ?!
La citoyenne tourna la tête vers Dahlia lorsque celle-ci proposa de payer l'homme. Hein ? Avec quoi ? Astrid se creusa la tête...Elles pourraient le payer une fois arrivées à la capitale, mais pas sûr qu'il prenne le risque. Elle avait aussi entendu dire que parfois, d'immenses dégénérés étaient prêts à acheter des sous-vêtements utilisés. Ce n'était pas une idée très ragoutante mais...
-J'pourrais….
Dahlia offra l'une des pierres dans le diadème.
-Ahah, mais bien sûr. Marmonna la femme à tout faire en regardant ailleurs une nouvelle fois, embarrassée de ne pas y avoir pensé.
Cela dit, c'était cher payé pour un petit trajet à la capitale. L'homme venait de faire l'affaire de sa vie et Astrid espérait que la pierre n'était pas si coûteuse que ça. Parce que si jamais elles devaient le rembourser...Non, mieux valait ne pas y penser maintenant.
Une fois confortablement installée – autant qu'on le pouvait, dans ce chariot qui était prêt à se briser au moindre choc –, la citoyenne aperçut le diadème de la garde luire bizarrement.
-...Ok ? Tu devrais ptetre l'enlever au cas où ça explose…. ?
Mais avant de pouvoir faire un mouvement quelconque, un mal de tête aussi soudain qu'intense frappa Astrid qui grogna en se tenant la crane.
-Qu'est-ce que… ?
Et, comme au bord de la mort, elle vit sa vie défiler devant ses yeux…. Ou plus précisément, sa vie d'hier. Tout était le résultat de l'avarice d'Astrid, sans surprise. Elle avait visé gros, ou visait à être grosse: une année entière de fromage pour les gagnants. Une année de fromage gratos, vous vous en rendiez compte ??? Tout ce qu'il fallait faire, c'était gagner un concours de danse à deux. La seule personne qui était venue à son esprit était Dahlia et, en promettant la moitié du fromage et quelques verres, elle avait réussi à la convaincre de participer avec elle en portant des robes parce que c'était la règle. Robes que les gérants du concours avaient fourni.
Qu'est-ce qu'elles avaient dansé déjà… ? Danse de bal, salsa, Astrid s'était mise à faire du breakdance également…à partir d'un certain moment, elle ne s'était plus vraiment préoccupée de la victoire, s'amusant bien trop avec la garde.
Toutefois, étonnamment, elles avaient gagné comme l'attestait le diadème de Dahlia. Ce diadème qui avait luit de la même manière lorsqu'elle fut posée sur sa tête.
…
Réalisation soudaine.
-CES ENCULES ! S'écria Astrid qui se releva soudainement en levant les bras au ciel. Elle bouillonnait de rage et était prête à tordre le cou du premier connard venu. C'était truqué ! Pas de fromage ! C'était un coup de pub ! Ils ont installé de la magie qui a effacé not' mémoire d'hier pour qu'on oublie notre victoire et le prix ! Puis ce putain de diadème nous a aussi téléporté au beau milieu de nul part ! J'jure que si je les attrape ils me le payeront ! J'vais les buter! Comment ont-ils osé !
Créer un concours pour ne rien donner à la fin, c'était de l'escroquerie , de la duperie, de l'arnaque !
-Eeeeh, tout va bien d'rière ?
Écran blanc.
C'est alors que des images de la soirée de la veille, jusqu'alors restée opaque, défilèrent dans son esprit...
Dahlia se revit, debout sur une scène encore plongée dans la pénombre, dans une tenue légère à paillettes. Puis les lumières de projecteurs magiques éclairèrent subitement le plateau de planches, révélant dans le fond du décor la pancarte « Danse avec les astres », avant que ne retentisse la voix vibrante d'un commentateur :
« Sur un cha-cha-cha... Astrid et sa partenaire, Dahlia ! »
La clameur du public envahissant les lieux, Astrid et elle s'engageant dans une danse enflammée... Tout cela revint à Dahlia avec une grande acuité. Tout comme les commentaires du jury, à la fin de leur prestation :
« Une remarquable performance, d'une intensité folle. C'était bon, c'était beau, c'était chaud... Et ça, j'achète ! » avait conclu l'un des membres de la tribune, son écriteau brandi arborant un généreux 10.
Après moult jeux de jambes, les deux jeunes femmes étaient parvenues jusqu'à la finale du concours, et l'avaient même gagnée... Mais les organisateurs les avaient flouées. Elles n'avaient pas remporté le prix fort alléchant qui leur était dû, et avaient finies amnésiques et téléportées dans les plaines, à la place. Quelle arnaque ! Tandis qu'Astrid donnait libre cours à sa frustration, Dahlia demeura quant à elle silencieuse pendant quelques instants... avant de finir par lâcher :
« Hé ben, tu fais même du breakdance... Ça te vient de ta première vie, ou de la seconde ? »
L'homme à l'avant, alerté par la complainte de la citoyenne, s'enquit alors de leur état.
« Oui... On est tombées des nues, mais pas du charriot. Sommes-nous loin de notre destination ? »
« Bah, ça d'vrait pô être très long, mais j'peux rien garantir... Quelques heures, à vue d'nez. »
Hm, il n'était donc peut-être pas pertinent d'avouer tout de suite à l'homme que la pierre qu'elle lui avait donné était probablement en toc... empreinte d'aucune valeur, seulement d'une magie d'oubli qui avait été brisée. Dahlia jugea préférable d'attendre avant de lui dire, car elle n'avait aucune envie de finir la route à pieds.
Le cortège atteignit la Capitale en fin de journée. Dahlia en profita alors pour fournir toutes les explications à l'homme, et le payer en cristaux, lui donnant de quoi s'acheter une nouvelle carriole, après lui avoir signifié que la première avait été amortie depuis un bout de temps, et qu'il devenait judicieux d'investir dans une nouvelle. Elle n'aurait pas voulu qu'elle lui lâche sur le retour.
En tout cas, elle garda la robe, en souvenir de cette histoire. C'était une moins bonne rétribution que le fromage, mais celle-ci était de bonne facture, et qui sait, elle pourrait peut-être la ressortir un jour.