« Toute avancée, tout progrès, n'est pas forcément bon. »
Nombreuses seraient les personnes qui trouveraient à redire à une telle affirmation. Après tout, il faut bien reconnaître que, par définition, une avancée, un progrès, est justement quelque chose voué à faire changer les choses vers un état meilleur. Que ce soit parce qu'on gagne en courage ou en maturité, parce qu'on décore correctement notre maison ou qu'on accepte finalement de pardonner une personne qui nous a fait du tort... Une avancée est toujours bonne.
Mais il existe effectivement certains cas où la discussion est ouverte sur le bien fondé d'un progrès. Des cas où l'on se demande à raison : « Mais, est-ce que c'est un progrès, ça ? » Des cas où les motivations derrière un progrès, et les résultats de ce progrès, nous font réaliser que, finalement, nous avons peut-être fait un pas en arrière sur le chemin de l'innovation. Notre sens moral en émoi nous hurle intimement que nous faisons fausse route, que tout ceci n'était qu'une erreur. Ce matin-là, c'était justement face à un cas de ce genre que le capitaine Nottsen faisait face.
Après plusieurs semaines d'investigation, ses hommes avaient réussi à localiser le repaire d'un groupe de gens peu recommandables qui menaient des expériences sur des animaux, non loin du Village Perché, au Sud. D'après les informations recueillies, les expériences consistaient à tenter de faire muter des animaux en les exposant régulièrement à des sources magiques – que ce fussent des pouvoirs, des potions, des runes, ou tout autre source de magie.
Ce matin-là, donc, l'assaut avait été lancé pour interpeller les suspects et les traduire devant la justice. La Garde n'eut aucun mal à capturer les quelques savants fous présents sur les lieux, et aucune scène sanguinolente ne fut à déplorer. Cependant, la vision de ce que les pauvres bêtes avaient subi choqua le capitaine. Il était loin d'être né de la dernière pluie, et avait déjà vu toutes sortes d'horreurs dans le monde. Mais là, c'en était trop. Il supporta les Chantelunes de la taille d'un tonneau qui chantaient de l'opéra tel des barytons ; les Kiripiks qui brillaient d'une couleur différente chaque secondes, comme s'ils étaient devenus des éclairages d'une soirée festive ; les Kuri-Kuris capables de parler qui insultaient violemment toute personne qui s'approchait ; mais il craqua en voyant les Bouctons qui lévitaient à près de deux mètres du sol, dans une pièce séparée, et qui faisaient des bulles lorsqu'ils respiraient.
Sortant précipitamment, Magnus s'appuya sur un mur, et retint tant bien que mal les nausées dont il était pris. Après quelques minutes de lutte avec son propre corps, il parvint à se redresser, et ordonna à ses gars de s'occuper de récupérer autant de preuves que possibles, et de récupérer les pauvres bêtes pour les apporter à la caserne : ils trouveraient bien un endroit où les mettre en attendant de pouvoir les aider à aller mieux. Et d'ailleurs, il savait exactement où aller pour que ces animaux trouvent refuge.
Direction chez Pipoune ! Enfin... Chez Chrystielle !
La vétérinaire était sûrement la personne la plus à même de l'aider dans un cas de ce genre. Peut-être n'aurait-elle pas la solution miracle pour faire redevenir normaux tous ces animaux, mais au moins elle pourrait en prendre soin en attendant que le capitaine fasse dépêcher un mage de la Capitale pour faire corriger toutes ces « avancées ». Il savait qu'il pouvait compter sur elle. Depuis le temps qu'il la connaissait, il l'avait vue grandir et devenir une femme forte, bien que toujours un peu catastrophique par moments... Il était fier d'elle comme si elle était sa propre petite fille, et jamais il n'aurait douté qu'elle puisse être la bonne personne pour une telle situation.
Une fois arrivé au Village Perché, il se mit directement en route pour la maison de sa Pipoune, tout en saluant brièvement toute personne qui lui disait Bonjour, sans pour autant tarder. Encore une fois, il pirouettait socialement en affirmant avoir une affaire urgente à régler, bien qu'il aurait aimé discuter un peu avec chacune de ces personnes tant il était rare qu'il ait du temps « libre » sur sa matinée, à faire autre chose que de la paperasse administrative barbante.
Il tourna à gauche, puis sur la première ruelle à droite, tout droit, à gauche après la boulangerie de Silvio et enfin à droite... Pour finalement arriver à bon port. Il reprit un instant son souffle en raison de sa marche rapide, puis s'approcha de la porte et toqua aussi normalement que le lui permettait son poing de la taille d'une pastèque. Les murs tremblèrent, puis plus rien. Il patienta quelques secondes, puis retenta sa chance : toujours rien.
Bizarre. Il aurait cru qu'elle était du genre à laisser un petit mot sur la porte pour dire qu'elle était sortie... Ou peut-être l'avait-elle fait et le vent l'avait fait s'envoler ? « Nom d'une racine, » jura-t-il mentalement. Il se retourna et arrêta le premier passant :
« Dites, vous n'auriez pas vu Chrystielle ? Enfin, le docteur Keyser ? J'aurais besoin d'elle et elle n'a pas l'air d'être chez elle... »
Réponse négative. Il essaya une fois, deux fois, trois fois... Chaque fois en vain. Personne ne l'avait vu, chose on ne peut plus normale étant donné son don. Prenant sur lui, il décida d'avancer en plein milieu de la rue, respira à pleins poumons, puis hurla aussi fort qu'il le put, en direction du ciel :
« CHRYSTIEEEEEEEEEELLE !! OU EST-CE QUE T'ES MA PIPOUNE ?! »
C'est grave docteur ?
Aujourd'hui, c'est jour de détente ! Enfin un jour où je ne suis pas obligée de sortir du lit, de m'habiller, de sortir dehors. Je vais pouvoir rester tranquillement dans ma chambre à lire des romans animaliers. Aaaaaah, qu'est-ce que ça fait du bien de se réveiller avec le chant des oiseaux, la douce brise caressant sa joue, la chaleur des rayons du sol...
- Chrystielle ! Tu peux aller faire les courses ? Ton frigo et le notre sont vide et ton père est malade !
ET voilà comment une journée solitaire se transforme en journée de calvaire. Je descend les marches pour aller dans ma cuisine, où je retrouve ma mère faisant cuire le petit déjeuner.
- Maman, si je t'ai passé une clé, c'est pour venir en cas d'urgence uniquement !
- Mais c'est une urgence ! Regarde moi ça, je ne peux même pas te faire un petit déjeuner convenable.
Elle continue encore un peu à remuer sa préparation, mais je la pousse délicatement vers la sortie. Même si elle ne m'a pas vu arriver, elle est habituée à ce genre de chose. Et avec son pouvoir de super ouïe, il est assez difficile de lui faire peur.
- Maintenant dehors maman ! Il va falloir que tu apprennes à ne plus venir ici tous les jours.
- Mais je ne t'ai pas vu hier...tu sais que tu me manques beaucoup beaucoup beaucoup...
Je roulais des yeux. J'aime beaucoup ma mère, mais parfois...à 25 ans, il est plus que temps de couper le cordon, non ? Sur le pas de la porte, je lui laisse un délicat baiser sur la joue, et lui souris.
- On se verra demain, d'accord ? Aujourd'hui c'est le premier jour de puis longtemps où je peux faire ce que je veux. La clinique n'a pas encore totalement finie d'être rénovée. Promis, demain, pour la réouverture, on passera toute la journée ensemble, d'accord ?
- Promis...?
- Oui maman. Au revoir maman. Bonne journée maman. Je t'aime maman.
Debout en pyjama dans mon salon, je me posais une question : si je reste ici, tout le monde va me déranger. Il fallait mieux que j'aille autre part, mais où ? Un endroit que personne ne connait, où qui est difficile d'accès. Difficile d'accès...mais oui ! Il n'y a pas besoin d'aller loin, le toit de la maison suffit ! Uniquement accessible par le grenier, toute personne sonnant à la porte n'aura pas l'idée de venir me chercher là-bas. Bon préparons-nous pour l'escalade.
Il faut déjà s'habiller. Puis manger le petit déjeuner que maman à préparé. Hmm...c'est vrai qu'il est moins copieux que d'habitude, il faut que j'aille faire les courses. Bon ensuite, prévoir de quoi manger une fois installer là-haut. De l'eau, des fruits. Puis de quoi lire ! "La faune marine de l'Archipel et de la ville aquatique", "Le danger animale des terres glacées" et...ah oui ! L'Aryonpédia ! Quoi de mieux que ce livre pour tout connaître sur les animaux du monde ?
Je prend toutes les affaires nécessaire et essaye, déjà, de monter au grenier. Il fallait jouer l’équilibriste ! Pour le toit, je ferai plusieurs aller-retour, hein...je ne voudrais pas me retrouver au sol avec une jambe au dessus de l'oreille.
L'ascension fut longue, mais me voilà ! Quelle magnifique vue, en plus ! Le soleil commence à être bien haut, et la protection des feuilles environnantes fait plus que du bien. Et ce calme...on n'entend pratiquement que les gazouillis des oiseaux et le bruit de la forêt. Vivre comme ça, au milieu de la nature, il n'y avait rien de plus beau. Je ne comprendrai jamais ces personnes qui préfèrent les grandes villes. Qu'est-ce qu'elles ont de plus, à part la pollution sonore, les ivrognes à chaque coin de rue et les vols ?
Je m'installe confortablement. heureusement que j'ai pensé à prendre un coussin pour m'assoir dessus. La toiture était dur, et je n'aurai pas pu totalement me relaxer. La journée allait être magnifique, il n'y a aucun doute.
Et puis on toque à la porte. Pas le toc-toc de maman, doux et énergique en même temps. Non là, il n'y avait que de l'énergique. A tel point que les murs de la maison tremblaient doucement. Mais...je reconnais ce toc-toc, là ? Il ne peut pas en avoir deux pareille !
Je pose "Le danger animale des terres glacées" pour me pencher un peu. En contre bas, la rue, et un homme. Une armoire à glace. Mais une armoire gentil, que je reconnaîtrais même de dos et un oeil en moins.
- Papy Mag ?...PAPY MAAAAAAG !! JE SUIS LAAA !
L'homme leva les yeux vers le toit de la maison. Je lui souris de toutes mes dents et lui fait un signe de main.
- Viens ! Monte !
Je lui propose de monter sur la toiture mais...est-ce que ça va tenir ? Papy n'est pas lourd, hein ! Papy est juste un peu...fort ?
En soi, Magnus n’était pas contre l’idée de la rejoindre. Mais il doutait que la frêle bicoque soit capable de supporter son poids, que ce soit lors de l’ascension ou bien pendant la discussion qu’ils auraient alors une fois là-haut. Soucieux de ne pas se ridiculiser en public et surtout de ne pas casser la demeure de sa protégée, il se gratta la tête un instant, évaluant le risque. Non, c’était vraiment trop. La façade et les tuiles cèderaient sans aucun doute sous son emprise : c’était du suicide. Il s’approcha de l’entrée, prit délicatement la poignée dans sa main et la tourna aussi doucement que possible, pour éviter d’arracher à ses gonds la porte. Une fois ouverte, il tenta de se baisser pour passer par l’ouverture, mais il réalisa bien vite que ça lui était impossible. Eut-il eu encore la trentaine, il n’aurait eu aucun souci à se contorsionner un tantinet plus pour se faufiler par l’embrasure de cette porte légèrement trop étroite pour lui. Mais du haut de ses 54 ans, ce n’était plus possible de faire cela. Le simple fait de plier les genoux et de se pencher pour arriver à faire en sorte que sa tête soit au même niveau que le montant de la porte lui demanda un effort assez douloureux, et fit craquer ses genoux d’une manière si singulière qu’il se demanda si les gens autour ne l’avait pas entendu… Ce n’était plus un jeunot, et cette bête porte était devenue soudainement un adversaire de taille. Mais il n’était pas prêt à se laisser remettre en question dans sa légitimité et sa force par une foutue porte, nom d’un godet !
Après un instant de réflexion qui lui apporta la réponse sage et secrète qu’il attendait tant, il finit par se redresser, ferma la porte et recula de nouveau dans la rue pour avoir une meilleure vue d’ensemble. Du regard, il cherchait tout autour un éventuel moyen d’accéder au sommet de la masure, lorsqu’il fut tiré de ses pensées par quelqu’un qui le bousculait légèrement, en butant contre lui.
Il ne trébucha pas, bien entendu. Il était trop massif pour cela, à moins qu’il fut bousculé par un bœuf. Mais cela fut suffisant pour détourner son attention de sa Pipoune, et regarder derrière lui pour s’excuser auprès du passant d’avoir été dans son passage. Le type, bien que grognon, affirma qu’il n’y avait pas de mal – peut-être parce qu’impressionné par la carrure de son interlocuteur – et s’en fut sans demander son reste. Le capitaine, quant à lui, s’écarta et prit la décision de se déporter plus sur le côté de la rue, sous la mansarde de la maison en face de celle de Chrystielle.
Ce fut lorsqu’il releva les yeux vers les cieux, et donc vers là où il aurait dû trouver la vétérinaire, qu’il réalisa son erreur. Ces quelques instants passés à tenter de la rejoindre par tel ou tel moyen furent suffisant pour que le don de la jeune femme se déclenche : il ne la voyait plus. Elle s’était évanouie aussi vite qu’elle était apparue, et le problème dans tout ça, c’était qu’il ne savait absolument pas si elle avait bougé en réalisant elle-même qu’il n’avait pas moyen de monter, ou si elle était toujours là-haut, à le regarder tenter de trouver une solution. Devait-il bouger et tenter de monter, au risque de la louper et qu’elle parte ensuite à sa recherche dans les rues adjacentes ? Ou valait-il mieux qu’il resta là, immobile, à attendre un nouveau signe ?
La question ne se posa pas bien longtemps pour ce grand fou furieux de Magnus. Il porta ses mains en porte-voix autour de sa bouche, inspira profondément, et déchaina une nouvelle tempête vocale dans la tranquillité relative de la rue.
« PIPOUUUUUUUNE !! JE PEUX PAS MONTER, ET JE TE VOIS PLUS !! FAUT QUE TU DESCENDES ME VOIR !! »
Bien évidemment, des regards furieux se tournèrent vers lui. La noirceur de ces pupilles était telle que le capitaine se sentit contraint de s'incliner en présentant des excuses maladroites à ces pauvres gens qu'il venait de gêner pour des broutilles – enfin, pour eux, c'étaient des broutilles.
C'est grave docteur ?
Proposer à une armoire à glace de monter sur un fébrile toit n'était pas forcément une de mes idées les plus brillantes, loin de là. Je voyais bien que papy Mag essayait de trouver une possibilité pour monter. Mais ça allait être à moi de descendre. Je le voyais disparaître vers la porte d'entrée, donc je me précipite par la fenêtre pour l'entendre rentrer chez moi. Mais à part le bruit de la poignet qu'on tourne et celui d'un corps rentrant en contact avec le mur, rien d'autre. bon et bien très bien, hein. A noter : rendre les portes plus grandes pour que papy puisse passer
J'allais commencer à descendre du toit, quand je l'entendais crier dans la rue. Au lieu de le faire poiroter pendant dix minutes le temps que je descende, il y avait un moyen beaucoup plus simple pour le rejoindre. J'enroulais toutes les affaires dans la couverture, que je nouais contre mon dos. Je fais deux nœuds, histoire que tout ne tombe pas pendant le saut. Le saut ? J'ai parlé de saut ?
- Papy ! Tiens toi prêt !
Je me colle contre l'arbre qui sert de renfort à ma demeure, et me met à courir vers la fin du toit. Il faut bien calculer son coup. Pas assez d'élan, et je me prend l'auvent. Trop d'élan, et c'est la falaise de l'autre côté de la route, que je me prend. Et la couverture ne me servira pas de parachute, malheureusement.
- J'ARRIIIIIIIVE !!
J'espère que j'ai crié assez tard pour qu'il puisse me voir sauté, sinon je tomberai sur lui tel un gros animal sans vie... Mais je le vois me regarder, la bouche grande ouverte. Ah bah oui ! Mon saut est ma-gni-fi-que ! Telle une étoile de mer volante, je tombe dans sa direction.
Allez papy ! Attrape-moi ! ATTRAPE-MWA !!
Il eut une autre idée en tête, une idée folle. Et si elle sautait ? Et si, elle lui disait de se tenir prêt pour la rattraper ? Non… Non, elle ne serait pas dingue à ce point… N’est-ce pas ?
C’était de la folie si elle tentait de sauter. Il lui faudrait crier au dernier moment, ce qui ne laisserait pas le temps au soldat de se changer au moins partiellement pour amortir sa chute – si tant était qu’il puisse se positionner correctement. Si elle se jetait dans le vide avec l’espoir de finir dans les bras de son Papy Magnus, lui n’aurait qu’une fraction de seconde pour évaluer le saut et se mettre au point de chute. Il devrait aussi trouver un moyen de la rattraper sans la blesser elle, et sans se blesser lui : comme le lui avaient fait comprendre ses genoux lorsqu’il avait tenté de passer par la porte, il n’était plus tout jeune. Même si Chrystielle n’était pas bien lourde, il n’empêchait qu’elle restait une charge importante à recevoir – enfin ça, c’était si elle sautait.
Il l’entendit, et toutes ses craintes se réalisèrent. Un long « J’arrive », poussé alors même qu’elle faisait son premier pas dans le vide, et tout se passa en un éclair. Heureusement pour Magnus, elle avait visé correctement et arrivait droit sur lui ; il jura « Par la peau d’mes roustons !! » ; fléchit les genoux malgré le crissement que ses os émirent ; serra les dents ; sauta en l’air, les bras tendus vers le corps frêle de la jeune femme ; l’agrippa lorsqu’elle lui arriva dessus ; retomba lourdement et perdit l’équilibre du fait de l’impact qui l’avait dévié dans sa trajectoire de saut ; finit les fesses par terre, et sa Pipoune dans les bras.
L’espace d’un instant, les regards furent tous tournés vers eux. Le capitaine, le corps endolori, émit un grognement puis se redressa vivement, et regarda Chrystielle d’un air inquiet :
« Est-ce que ça va ?! Tu t’es pas fait mal ma Pipoune ? Tu n’as rien ?! »
Il inspecta successivement ses bras et jambes, son visage et lui palpa rapidement le dos pour s’assurer que tout allait bien. Une fois fini son examen de fortune, il se releva, épousseta rapidement sa tenue sans quitter Chrystielle des yeux, et prit un air sévère, le doigt tendu sous le nez de la friponne. Faisant fi des passants, le sermon commença :
« Tu te rends compte de ce que tu viens de faire, jeune fille ?! Tu serais pas un brin maboule des fois ? Sauter comme ça dans le vide sans savoir si j’allais pouvoir te rattraper ? T’y as pensé à ça ? Grâce à Lucy tu m’es tombée pile dans les bras, mais qui sait ce qui serait arrivé si Elle n’avait pas posé ses yeux sur nous au bon moment ?! »
C'est grave docteur ?
Qu'est-ce qu'il était fort, mon papy ! Sans aucune hésitation, il sauta à ma rencontre dans les airs pour amortir du mieux possible la chute. Mais le toit était haut, et en rajoutant mon magistral saut en hauteur, la descente avait accélérer à la fois mon poids et ma vitesse. C'est pour cela que nous avons fini par terre, lui sur les fesses et moi à genoux dans ses bras.
Quand il commença à regarder si je m'étais fait mal, je n'ai pas pu me retenir de rire.
- Ahaha papy arrête ! Tu me chatouilles !
La situation était des plus comiques, mais qu'importe! J'ai toujours rêver de sauter d'un toit, et je n'avais pas encore trouver de partenaire susceptible de me rattraper de la sorte. Mais tout bon moment avait une fin. En se relevant, papy Mag ne pu s'empêcher de me faire la morale. Mais je ne l'écoutais que d'une seule oreille. Il m'avait tellement manqué ! Ça faisait depuis combien de temps que je ne l'avais pas vu ? Deux - Trois semaines ? De toute façon, une journée entière sans voir mon papy était déjà trop.
Je n'ai pas pu m'arrêter de rire, même pas son sermon. A la fin de celui-ci, je fais les grosses joues et le prend dans mes bras. Son corps était tellement musclé et grand que mes pauvres bras n'arrivaient pas à en faire le tour.
- Tu m'as tellement manqué papy Mag !!
J'étais tellement heureuse de pouvoir le revoir. Et j'avais tellement de question a lui poser ! Qu'est ce qu'il a fait, pendant ces semaines d'absence ? Il est allé où ? Dans des lieux inexplorés ? Il a pu voir quand ? De nouvelles plantes ? De nouveaux animaux ! HO SAINTE LUCY DES NOUVELLES ESPÈCES !! Il faut vite que je le questionne !
- Dis dis, tu viens prendre un truc à boire à la maison ?
En lui prenant la main pour le conduire jusqu'à ma demeure, mes yeux faisaient des aller-retour entre les dimensions de la porte et ses dimensions à lui. Ah bah oui, je comprend. Il manquait plus centimètres de largeur et de hauteur pour qu'il puisse passer. Je rie encore de plus belle, me disant que ce n'était pas seulement ma porte qui devait lui poser problème.
- Je vais chercher tout ce qu'il faut et on prend un verre au centre de soin ?
Même si la clinique n'est pas encore ouverte à cause des travaux, les salles d'accueil, d'examen et d'opération sont finies depuis longtemps. Même, avec le temps qu'il fait, on peut aller au centre d'adoption et manger et boire tranquillement entourés d'animaux !! Ha mais pourquoi j'y avais pas pensé avant !!
« Toi aussi tu m’as manqué ma Pipoune… »
D’une main, il lui caressa la tête. Ces dernières semaines avaient été mouvementées pour lui, entre le tour des avant-postes et la chasse aux scientifiques fous, il n’avait eu que très peu de temps pour souffler un peu. Être soldat n’était déjà pas de tout repos, mais être capitaine, c’était encore pire. Heureusement, des gens comme Chrystielle existaient, et rendaient le quotidien beaucoup plus agréable de par la simple pensée qu’on allait les revoir. Il n’avait pas voulu se l’avouer jusqu’à maintenant, mais il avait été presque content de réaliser que les horreurs vues au travail lui permettraient de revoir la jeune femme plus tôt que prévu.
« Soit, va pour un verre au centre de soin ! J’ai à te parler de toute manière, alors autant en profiter pour le faire de manière détendue, ça me changera de ces derniers temps ! » dit-il en s’étirant, ce qui eut pour effet de lui faire prendre conscience que le rattrapage en vol de Chrystielle avait peut-être été plus rude que ce qu’il avait cru de prime abord.
Lorsqu’elle disparut dans la maison pour y rassembler le nécessaire pour leur petit moment de détente, Magnus préféra ne pas présenter d’excuses aux badauds qui le regardaient d’un air mauvais. Certes, ce genre de coups d’éclat n’était pas vraiment digne d’un capitaine, mais il n’en avait que faire. Il avait déjà frisé l’insubordination par le passé, alors ce n’était pas un peu de grabuge sans réels dégâts et sans blessés qui allait lui causer du tort. Au lieu de s’excuser, il resta les yeux rivés sur Chrystielle. Plus encore, il s’approcha de la maison et ne la lâcha pas du regard, même par la fenêtre, histoire de ne pas se faire avoir une fois encore avec son pouvoir.
Une fois sortie, il lui prit la main, pour éviter de la perdre tout en marchant, et il lui emboita le pas : direction le centre de soin !
En chemin, il la questionna sur divers sujets plutôt légers. Il n’avait pas envie directement à ce qui l’avait amené, aussi bien parce que c’était une discussion plutôt sombre que parce qu’il voulait éviter que la foule autour n’entende ce qu’il avait vu. Ce n’était certes pas une menace titanesque pour le monde, mais ça ne signifiait pas pour autant que c’était sujet léger. Si la nouvelle que des scientifiques s’étaient amusés à jouer avec les gênes de pauvres animaux, une vague de panique serait sûrement à prévoir. Le contrecoup pourrait même aller jusqu’à toucher les alchimistes et autres fabricants de potions, chercheurs et mages, qui n’ont rien demandé et rien fait de mal, mais qui auraient le malheur d’être membres de la même confrérie que ces fous furieux. Le peuple, lui, ne tarderait pas à faire l’amalgame et certains iraient même jusqu’à avoir des comportements violents envers ces pauvres gens. C’était un sujet délicat, aussi valait-il mieux le garder pour un endroit plus discret.
Il ne s’arrêtait de poser des questions que pour la laisser répondre.
« Comment ça va toi en ce moment ? »
« Et le centre, ça se passe ? »
« C’est déjà ouvert ? J’ai oublié… »
« Et pour les adoptions, tu t’en sors ? T’as du monde qui s’en vient te voir ? »
« Ton père va bien ? Et ta mère, toujours aussi mère-poule ? »
« Toujours pas de coup de foudre en vue ? »
« Tu es sûre de suffisamment manger ? Tu m’as l’air bien maigrichonne ! »
Son enthousiasme fit s’abattre un raz-de-marée de questions sur la pauvre Chrystielle, qu’il tenait toujours fermement par la main, comme un papa terrifié à l’idée de perdre sa fille chérie dans une foule immense.
C'est grave docteur ?
Aaaaah....papy Mag et ses questions. Je vous promets, on s'habitue vite à ce genre d'interrogatoire. Faut juste par perdre le fils et répondre à côté. Un soir, il m'avait demandé ce que je voulais manger, et j'ai répondu que maman serait une bonne idée. Alors je me concentrais, et réussis à le stopper à chacune de ces questions, pour me laisse le temps de bien y répondre.
"Ça va ! Il y a beaucoup de travail en ce moment, donc je n'ai pas trop le temps de me reposer."
"On essaye de tout mettre en ordre pour la réouverture demain ! On espère qu'il y aura de nouveau du monde."
"Rhoo mais oui papy ! Je te l'avais dit. Les centres de soin et d'adoption sont en rénovation depuis une lune maintenant."
"Je n'ai eu le droit qu'à une seule adoption...un kit-sune adulte qui était là depuis longtemps...c'est une lieutenant, la maîtresse. Peut-être es-tu au courant ?"
"Ah bah tu sais comment ils sont, hein...Papa l'invisible et maman le garde du corps ! Je serais même pas surprise si elle vient nous rendre visite tout à l'heure."
"PAPY !!"
"Rhaaa c'est bon, ne t'inquiète pas ! Je mange bien tous mes légumes !"
On l'aime bien, mon petit papy Mag. C'est grâce à lui, à ces voyages, que j'apprends plein de chose sur la vie en dehors du Village Perché. Même si, oui, j'ai Ymlish et d'autres amis / connaissances qui habitent là-bas, ses expéditions à lui sont toujours magnifiques. Les paysages qu'il peut croiser, les personnes, les animaux...
- Tu me racontes ta dernière mission alors ?
J'étais impatiente qu'il me raconte tout ! Je le tirai presque pour qu'il avance plus vite. Mais à la vue de sa mine renfermée qu'il venait de prendre, tout ne s'est pas passé comme prévus, on dirait. Je nous arrêtais en plein milieu de la route, avant de nous pousser dans l'ombre dans grand chêne. Nous n'étions qu'à quelques mètres du centre de soin.
- Ca va papy ? On dirait qu'il s'est passé quelque chose de pas jolie là-bas...
Ce genre de chose arrive en mission, hélas. Je pouvais aisément me mettre à la place de la personne, quand on lui annonce que son être cher ne rentrera pas à la maison. Et dans mon cas...je préférerai que quelqu'un vienne pour me dire que ma soeur n'est plus de ce monde, au lieu de me laisser espérer quoique ce soit. Mais soit ! Papy m'assura que ce n'était pas ça, donc nous repartons vers le centre, mon petit panier à provision sous le bras.
Magnus, aussi fier et content de cette relation fut-il, finit par être ramené à la réalité du monde bien vite, lorsque son amie lui demanda de lui raconter sa dernière mission. Sa mine s'assombrit brusquement, bien qu'un sourire qui sonnait faux restait étendu sur son visage. Elle comprit immédiatement que quelque chose n'allait pas, et s'enquit plus avant des détails alors qu'ils arrivaient justement au centre de soin. D'un hochement de tête négatif, il lui indiqua que ce n'était pas le bon moment, et fit ensuite un signe vers le centre. Ils entrèrent, et, pendant qu'ils se préparaient à boire leur verre, il commença, l'air sombre :
« Justement, c'est aussi à cause de ma dernière mission que je viens te voir, Chrystielle. »
Le fait qu'il l'appelle par son prénom n'était pas chose anodine. Il ne faisait ça que dans les cas où les choses n'allaient vraiment pas, preuve indéniable de son sérieux dans ces moments. Pour le coup, il surréagissait peut-être un peu, c'était peut-être un peu exagéré... Mais il préférait prendre le sujet très au sérieux. C'était son travail, en tant que capitaine, que de prendre au sérieux de potentielles menaces pour l'ordre et la paix dans le royaume.
« On a trouvé un repaire de sales bonshommes, des types qu'on traque depuis quelques semaines. Ils s'étaient fait repérés parce qu'ils vendaient au marché noir des gloobies qui nettoyaient la vaisselle d'eux-mêmes. En remontant, on a fini par les coincer dans leur repaire, et... Par Lucy, quelle horreur. »
Il marqua une pause. Il avait des flashbacks des horreurs qu'il avait vu le matin même, et ces visions insoutenables venaient secouer son estomac et tordre ses entrailles d'un stress qu'il n'aurait pas pensé ressentir après tout ce qu'il avait déjà pu voir par le passé.
« Chrystielle, il y avait... des Chantelunes de la taille d'une barrique de bière, et qui chantaient avec une voix aussi grave que la mienne... Des Kuri-Kuris qui insultaient tout ce qui bouge... Des... Des... »
À mesure qu'il tentait d'énumérer les choses qu'il avait vu, il sentait les sanglots monter et les torrents de larmes se préparer sous ses yeux. Finalement, il réussit à articuler, après moult efforts :
« Des Bouctons qui lévitent et qui font des bulles, Chrystielle !! Des Bouctons, tu te rends compte ?! Ces monstres ont fait... Ah, par Lucy !! »
Il craqua. Les pleurs finirent par sortir et secouèrent son grand corps quelques secondes. C'était l'une des rares fois qu'il craquait comme ça devant elle. Il n'était pas homme à avoir honte de sa tristesse ou de ses traumatismes, mais plutôt du genre à garder tout pour lui jusqu'à ce que ça explose. Et le mal fait aux Bouctons, c'était vraiment de trop. Quel esprit tordu et sadique pouvait avoir eu l'idée de faire du mal à ces pauvres petites bêtes ?!
C'est grave docteur ?
J'écoutais papy Mag...et...et plus il parlait, plus je me sentais mal. Des gloobies faisant la vaisselle, des chantelunes énormes, des kuri-kuris insultants...et des bouctons qui lévitent en faisant des bulles...
Depuis que je suis petite, j'ai supporté bien des douleurs. J'ai souvent pleuré, verser des larmes auprès d'animaux dans la souffrance. J'ai appris à devenir courageuse, à lutter contre ce sentiment qui remplissait tout mon corps.
Voir Magnus craquait ainsi réveille en moi tout cette douleur et tristesse que j'accumule depuis des années. Le poids dans ma poitrine devient de plus en plus gros, me coupant presque la respiration. Une boule dans ma gorge se forme quand j'essaye de retenir mes larmes.
Je prend mon ami capitaine dans mes bras, et pose ma tête dans le creux de son cou. J'essaye de le réconforter du mieux que je puisse faire. En lui tapotant légèrement dans le dos, je me concentre pour ne pas bafouiller.
- Je suis désolée Magnus...je sais que c'est compliqué de voir ce genre de chose...
J'essaye d'être convaincante, mais j'ai vraiment du mal...Je voudrais m'enfermer dans ma chambre et pleurer jusqu'à ne plus avoir une seule goutte d'eau dans mon corps.
Je ne sais pas exactement ce qu'il veut que je fasse. Son équipe et lui ont-ils réussi à retrouver tous les animaux ? Sont-ils tous en forme ? ... ah bah je pense que c'est pour ça qu'il est venu me voir...
- Que veux-tu que je fasse, exactement ?
« J’aurais besoin d’un endroit où placer ces pauvres bêtes, et de quelqu’un pour en prendre soin pendant quelques jours. »
Là, une pause. L’information de base était déjà difficile à digérer, sans compter qu’il avait aussi lui-même du mal à retenir les sanglots qui montaient à nouveau dans sa gorge. Il tint bon, coûte que coûte. Ce n’était pas de la tristesse qui aurait raison du grand capitaine Nottsen, ça non !
« J’ai déjà fait envoyer une missive à la Capitale, pour demander qu’on dépêche ici des mages qui pourraient inverser les mutations affreuses que ces pauvres bêtes ont subi… Mais même en supposant que tout soit accepté et préparé rapidement, ils ne seront là qu’après-demain, au mieux. Et je n’ai pas d’endroit où placer ces bestioles en attendant… Le seul hangar de disponible est rempli d’armement magique : une seule erreur et une partie du Village disparait. Je préférerais éviter ça, tu t’en doutes. »
À nouveau, il marqua une pause, et respira profondément. Son amie devait se demander comment elle pourrait gérer des animaux. Le problème en soi était vraiment simplement de savoir où loger les animaux. Pour ce qui était d’en prendre soin, de les nourrir, ça, c’était plus simple.
« Bien sûr, si tu as un endroit où on pourrait les placer pendant quelques jours, je détacherais quelques hommes pour te prêter main forte. Ceux de la division Faucon, vu qu’ils sont déjà souvent en contact avec des bêtes. Ils pourront les nourrir, les soigner aussi, si besoin. Tu ne seras évidemment pas seule, et tu auras même une récompense officielle pour service rendu à la nation. »
Il se pencha en avant, esquissa un sourire en coin, et ajouta :
« Et, officieusement, ton papy Mag aussi saura te remercier pour ton aide. Je sais que tu n'es pas du genre à poursuivre les récompenses, mais j'insiste ! Tout ce que tu voudras, ma Pipoune ! »
C'est grave docteur ?
Papy Mag a besoin de mon aide…. Il ne faut pas que je le déçoit ! Je suis contente et triste à la fois...je ne sais pas si j’aurai assez de place dans le centre d’adoption pour tous les animaux qu’il va me ramener. Et surtout, je ne sais pas si je pourrait tous les soigner.
Ce genre de chose...je ne sais pas du tout de quelle maladie il s’agit. Surtout s’il s’agit d’une vrai maladie ! En attendant, là n’est pas la question. Il faut que je vérifie si tout est bon, que j’ai assez de place pour tous les animaux, et aussi assez de nourriture.
- Il n’y a aucun problème papy Mag ! Je prendrais en charge tous les animaux que tu m’apporteras.
J’essaye de sourire du mieux que je pouvais, même si j’ai du mal à calmer mes émotions. Quand il parle de récompense, mon coeur fait un bon.
- Ah non non ! Je ne veux pas de récompense ! Je m’occupe des animaux en détresse avec grand plaisir. Je ne veux pas être payer pour faire quelque chose que j’aime
Je le regarde et lui demande de sourire. La situation allait devenir meilleure, il suffisait d’attendre,
- Bon ! Où sont ces animaux alors ?
D’un revers de la main, il essuya les résidus de larmes qui étaient encore collés à ses yeux, se mit à genoux et prit les deux mains de la doctoresse.
« Merci, mille merci ma Pipoune !! »
La scène avait ce quelque chose qui était à la fois attendrissant et ridicule.
« Par-delà les cieux et la terre, par-delà le temps et l’espace,
Toi, Lucy, déesse des déesses, du soleil et de la lune ;
Accorde à ton serviteur le bonheur de ta grâce,
Moi qui te rend honneur, baigne-moi de bonne fortune. »
Avant de se relever, Magnus venait de faire, à sa manière, une bien piètre prière à Lucy, en inventant lui-même quelques vers qui rimaient mal et qui n’étaient pas si recherchés que ça. Il rouvrit soudainement les yeux et sortit un petit carnet ainsi qu’un fusain de sa sacoche :
« Oh c’est bon ça, très bonne prière ça, Magnus. Faut que je la note absolument, Lucy sera ravie que je la prie comme ça… » marmonna-t-il tout en écrivant fiévreusement son quatrain.
Une fois qu’il eut fini, il se releva et revint les pieds sur terre, l’esprit focalisé sur le sujet qui l’avait mené jusqu’ici.
« Pour le moment ils sont encore dans le laboratoire où on les a trouvés. C’est à deux bonnes heures de cheval d’ici. Vu que je ne savais pas encore où les placer, ni comment les déplacer de manière discrète, je ne voulais pas débarquer en pleine ville avec tout ce bazar et risquer la panique, tu comprends ? »
Il soupira. Il espérait que l’inventaire des bêtes avançait bien et que ses gars n’avaient pas trop de mal avec elles. Après tout, ils ne savaient pas si certaines avaient été modifiés ou non pour devenir agressives.
« Tu voudrais qu’on y aille directement ? Comme ça tu pourras toi-même me dire ce dont tu aurais besoin comme main d’œuvre supplémentaires, peut-être comme style d’habitat, comme nourriture… C’est toi l’experte, je te fournirais tout ce qui est nécessaire. »
C'est grave docteur ?
Papy faisait sa prière, et j'essayais de le suivre. Mais ces vers inventés ne m'aidaient vraiment pas !
« Par-delà les feux et la mer, par-delà l'étang et l’espèce,
Toi, Lucy, déesse des DS, du soleil et de la lune ;
Accorde à ton serviteur la bonne heure de ta grasse,
Moi qui te rend honneur, baigne-moi de bonne torture. »
Bon, je ne pense vraiment pas que cela soit les bonnes paroles. Mais au moins, j'ai prié Lucy ! Je lui ai demandé de nous aider à soigner tous ces pauvres animaux qui n'ont rien demandé à personne. Ces êtres qui sont torturés soir et matin, par des bourreaux qui ne se demande même pas s'ils ont des sentiments. Et bien moi je peux le dire : Ils ont des sentiments. OUI ! Ils ressentent la peur et la joie, tout comme nous ! Ils sont effrayés par des bruits bizarres, tout comme nous ! Ils sont heureux quand ils revoient un membre de leur famille, tout comme nous ! ILS SONT COMME NOUS ! Alors pourquoi les maltraiter, les violenter, les brutaliser, les faire mourir de faim et de soif ? Tout cela est tellement atroce...
Êtes-vous prêt, vous, à faire subir ce sort affreux à quelqu'un de la même espèce que vous ? Et bien non. Car je connais votre réponse ! "Ah mais ce sont des animaux, c'est leur vie." ET BIEN NON ! Il n'y a pas de bonne ou de mauvaise vie ! Moi, je dis merci à la vie, je lui dis merci, je chante la vie, je danse la vie… je ne suis qu’amour ! Et finalement, quand beaucoup de gens aujourd’hui me disent « Mais comment fais-tu pour avoir cette humanité ? », et bien je leur réponds très simplement, je leur dis que c’est ce goût de l’amour ce goût donc qui m’a poussé aujourd’hui à entreprendre de sauver tous les animaux, mais demain qui sait ? Peut-être simplement à me mettre au service de la communauté, à faire le don, le don de soi…
Je sortais de ma rêverie. Je ne peux décidément pas comprendre ces personnes...
- Mais je te suivrais partout papy Mag ! Jusqu'au bout du monde, s'il le fallait !
Je me levais de mon siège. J'étais prête pour l'aventure ! Voir de nouveau paysage, de nouveaux animaux. Ho ! Je vais pouvoir rencontrer de nouvelles personnes ! Ah oui...de nouveau personne...Mais non ! Restons positive !
Des nouveaux paysages ? Ouais !
De nouveaux animaux ?? Ouais !!
De nouvelles personnes ?? OOOUUAAIISS !!!
- Bon, bah tu fais quoi, là ? Allez debout papy ! On y va, on y va !!
Le suivre jusqu’au bout du bout monde ? Il était touché, très touché. Avec elle à ses côtés, lui aussi irait au bout du monde. Il irait au bout de ses rêves. Tout au bout de ses rêves. Il irait au bout de ses rêves, là où la raison s’achève, tout au bout de ses rêves. Il irait là où le monde se termine avec elle ! Quoique, c’était peut-être un peu risqué, tout compte fait. Entre la fin littérale du monde et le manque de considération du danger dont Chrystielle faisait preuve, ce serait même de la folie que d’aller jusqu’au bout du monde avec elle. Non, vraiment, jusqu’au bout de ses rêves, c’était déjà pas mal !
Mais pour le moment, ils étaient sur le point de partir pour le repaire des malfrats, ce qui était moins reluisant que le bout des rêves mais bon, quand il faut, il faut. Se secouant soudainement, le grand gaillard se leva d’un bond et manqua de peu de se cogner le crâne contre le plafond, et balbutia quelques mots.
« Ah euh oui euh… oui ! Alors… Euh ! ALLONS-Y ! »
Il conclut ses baragouinements par une exclamation motivée et déterminée, accompagnée d’un sourire qui ne cachait en rien comme il était content d’avoir avec lui cette gamine. Il lui attrapa le bras et l’entraîna avec lui au-dehors, à l’air libre, pour finalement la soulever et la mettre sur ses épaules avec une aisance qui laissait se demander si Chrystielle était une femme ou un petit sac de farine.
« Tiens toi bien ma Pipoune, j’t’emmène aux écuries à dos de Magnus, ça va secouer ! »
Et sans une autre seconde d’attente, il attrapa solidement les jambes de la doctoresse, puis il démarra sa course folle en trombe. On aurait pu croire qu’un capharnaüm incroyable surviendrait suite à ce départ, mais pas tant que ça. Il était si imposant et si bruyant que les gens le remarquaient de loin et s’écartaient bien avant qu’il ne put leur rentrer dedans. Les seuls moments dangereux furent les virages, qu’il prenait de plus en plus serrés. Finalement, le tout dernier avant les écuries, il dut arrêter de courir et se laisser déraper sur ses pieds pour éviter de finir dans le décor. Il ne sut pas bien d’où lui venait l’idée, mais il lâcha, en plein pendant cette manœuvre, une sorte de cri guerrier, comme s’il nommait sa technique de dérapage étrange :
« Kanseeeeeei DORIFTOOOOOO !!! »
Il s’arrêta, et repartit aussitôt dans le bon sens pour la dernière ligne droite.
À son arrivée, il entra triomphalement dans les écuries avec Chrystielle toujours sur ses épaules, comme s’il venait de gagner une épreuve sportive importante. Il la posa à terre, reprit son souffle quelques secondes – ou peut-être quelques minutes, mais il ne voulait pas se l’avouer – et finit par reprendre la parole, tout essoufflé.
« Alors… Ma… Pipoune… On rigole bien… Avec… Papy Mag… Hein ? »
C'est grave docteur ?
Quand papy se prend le toit du centre, je ne peux pas m'empêcher de rire. Mais quand on sort et qu'il me prend sur ses épaules, mon sourire part.
- Magnus ? Ma-mais qu'est-ce que tu fais ?
Je n'ai pas le temps d'essayer de riposter, à coup de pieds et de main ou par des phrases du type "J'ai plus douze ans", que le capitaine était déjà parti aux pas de courses. Au début, oui, j'avoue, j'ai eu peur de prendre des branches d'arbre. Je ne suis tellement pas habituée à être aussi haut ! J'en ai presque le vertige.
Mais après un certain temps d'adaptation, je me sentais plus que bien. J'avais l'impression de voler, d'être un oiseau haut dans le ciel. J'écarte les bras et me penche en arrière. A cause des mouvements de courses de Magnus, je me balance de droite à gauche, en harmonie avec ses foulées.
- Je suis super cape ! La super cape de super capitaine du super Papy !!
Oui, il était clair que tous les passants nous regardaient de travers. Mais qu'importe à la fin ! Les plus fidèles des habitants nous connaissent tous les deux, et savent comment nous fonctionnons.
Je m'amusais tellement que les écuries étaient déjà en vue. Ne se situent-elles pas à eu moins un kilomètre de chez moi ? Habituellement, je mets bien une heure pour m'y rendre. Bon, c'est vrai qu'en même temps, je m'arrête toutes les deux minutes pour soit admirer la vue, reprendre mon souffle, ou caresser un petit animal de passage.
Magnus me repose gentiment au sol. Moi qui espérait pouvoir garder une tenue et une coiffure normales toute la journée, c'est plus que pas faisable. Ma natte est complètement défaite, des petits bouts d'ondulation sortent ici et là.
- Je me doute que tu nous as amené ici pour qu'on prenne des chevaux, c'est ça ?
« Bien sûr qu’on est venus prendre des chevaux, ma Pipoune ! On en a pour à peu près une heure à cheval, et plus du double si on y va à pied. »
Il marqua une pause, jaugeant le soleil qui brillait dans le ciel, par-delà de timides nuages qui osaient se montrer par ce temps pourtant clair et chaud. Il devait être près de midi, ou peut-être un peu moins, car le soleil n’était pas encore tout à fait au sommet de sa course. Il fallait qu’ils aillent plus vite, pour ne pas louper la soupe une fois arrivés là-bas. Sinon… Il leur faudrait attendre plus tard dans l’après-midi, et il n’était pas sûr qu’ils puissent tous deux tenir le coup.
D’une main, il se frotta le menton et regarda Chrystielle de haut en bas. Hmmm… ça pouvait le faire.
« Après… On peut prendre un peu moins de temps, si ça ne te gêne pas d’être bien ballotée pendant le voyage. Ce sera pas vraiment confortable mais au moins on y sera vite. »
Il l’emmena jusqu’au fond de l’écurie et y fit ouvrir la partie réservée aux montures « spéciales ». Et le mot était bien choisi. Là, dans les différents box, on pouvait trouver toutes sortes d’étrangetés de la nature qui avaient été dressées et servaient de monture. Des autruches, un grognours apprivoisé, deux bouctons de belle taille, et surtout : un Tsi’Ly bien plus grand que la normale, à tel point qu’on aurait pu le qualifier de géant. Il était plus grand que Magnus d’une tête et demi, et sa musculature laissait deviner qu’il devait facilement faire 200 kilos. Son corps était d’un noir relatif, pour la simple raison que, sous son pelage noir qui faisait la première couche, se trouvait une deuxième couche de poils marrons brillants, qui donnaient une couleur ocre sombre splendide à la bête.
Le capitaine s’approcha de la bête et tendit une main vers ses naseaux, puis, quelques secondes après avoir laissé la bête renifler son odeur, il vint lui flatter le flanc vigoureusement.
« Je te présente Paulo, c’est le seul Tsi’Ly qu’on a dans notre beau régiment. Ou plutôt le dernier… Les autres ont été récupérés par la Capitale, je crois bien. Enfin ! Avec lui, on sera sur place en une demi-heure à tout casser. Il est beau hein ?! »
C'est grave docteur ?
Mes yeux brillent. Littéralement. Hoooooooooooooooooooooooo !!!! Quel magnifique bête !
Elle est tellement grande ! Tellement que j’arrive à passer sous elle sans toucher son ventre. Même les bras levés, je n’arrive pas à atteindre son garrot. No non non, vraiment, c’est un des plus beaux Tsi’Ly qu’il m’a été donné de voir.
- Papy...Mais pourquoi tu ne me l’a pas montré plus tôt ???
Je tend ma main vers la tête de Paulo pour qu’il puisse renifler mon odeur. Ses puissants nasaux souffle de l’air qui vient atterrir directement dans mes cheveux, les faisant légèrement s’envoler.
- Salut Paulo...que tu as une belle robe...que tu as de grandes pattes...que tu as de forts muscles !
Je suis en totale admiration devant cette créature. Mais voilà qu’un problème se pose. Même sur la pointes des pieds, je n’arriverai vraiment pas à le monter toute seule. Papy Mag allait devoir me soulever pour que je puisse monter dessus.
- Je...veux...le...monter !
- Patience, il faut déjà le seller.
Papy Mag part chercher la selle de Paulo, tandis que moi, je vais chercher son harnais. Qu’est-ce que c’est lourd ! Tellement que je suis obligée de « l’enfiler » pour pouvoir le transporter.
- Tiens ! Dépêche toi s’il te plait c’est hyper lourd ce truc !
Petit à petit, papy Mag selle Paulo. Le tapis, le double tapis, la selle, et le harnais. Tout est bon pour pouvoir partir à l’aventure !
Il faut déjà que papy monte en premier. Une fois fait, je lève les bras et saute sur place comme une enfant.
- A moi a moi a moi !
Et une fois que tout est bon, que tout le monde est bien accroché là où il peut, c’est partit pour le voyage !
Son sourire ne s'effaça pas tout du long du voyage, malgré la difficulté qu'il eut par moments à contenir le fou furieux qu'était Paulo. À gauche, et soudain à droite, entre deux arbres serrés, au dessus d'un petit ravin, à toute allure dans un dénivelé... Le Tsi'Ly s'en donnait à cœur joie, lui qui avait du attendre plusieurs semaines avant d'à nouveau pouvoir courir de la sorte.
Ce voyage cauchemardesque pour le vieux squelette de Magnus dura un peu plus de 30 minutes. Une petite demi-heure qui allait rester gravée dans son corps pour au moins la semaine à venir... Il en regrettait presque son choix. Cependant, la vue du périmètre de sécurité déployé par ses hommes, lorsqu'ils arrivèrent enfin, et la pensée du bon repas qui les attendait malgré la difficulté du travail qui suivrait ce même repas, arrivèrent à lui redonner une bonne dose de courage pour affronter la journée.
Il tira sur les rennes et fit s'arrêter tranquillement Paulo, à quelques dizaines de mètres de la cabane qui ne payait pas de mine d'un point de vue extérieur, mais qui semblait assez grande en terme de superficie. Un type à la coupe en brosse et à la mâchoire aussi finement dessinée que son nez les salua poliment avant de se charger de tenir la bête. Le capitaine aida Chrystielle à descendre puis sauta lui-même à terre, tandis que le type lui faisait un rapport :
« On a trouvé un sous-sol caché avec d'autres bêtes, chef. On a dressé une liste des différents bestiaux avec leurs particularités, et on les a marqué avec un peu de couleur pour les différencier, histoire de potentiellement les séparer lorsqu'on les déplacera. Y'avait pas d'autres malfrats, mais Yalmas a trouvé de la paperasse qui pourrait être intéressante, il t'attend dans le sous-sol. »
Magnus écouta attentivement le rapport du type et se contenta d'acquiescer silencieusement. Sa main en visière, il leva les yeux vers le ciel pour estimer l'heure... L'heure de la soupe, ou presque.
« Merci Darius, je te laisse t'occuper de Paulo. Il aime bien la laitue et les pousses de bambou, ce gourmand. Quand tu l'auras attaché, préviens les autres de préparer la soupe. Je vais voir Yalmas et ensuite on mangera avant de s'occuper en détails de tout ce bazar. »
Il se tourna vers Chrystielle pour lui dire de le suivre, afin qu'elle voit de ses yeux les ravages de la folie magico-scientifique.
« Oh ! Et, j'te présente Chrystielle Keyser, c'est la vétérinaire du Village. Elle va nous donner un coup de main pour nous occuper des animaux avant que les types de la Capitale arrivent. »
Le garde bomba le torse et porta son poing à son cœur, dans un salut bien cérémonieux qui n'échappa pas à l’œil attentif du Capitaine. Jamais Darius n'avait été si grandiloquent, et ses pommettes légèrement rougie trahissaient la raison de ce comportement.
« Darius Bildorion, membre de la division des Tsi'Lys, engagé dans la Garde depuis 11 ans ! Enchanté de faire votre connaissance, ma Dame ! C'est un honneur de pouvoir compter sur pareille assistance dans notre mission ! »
3ème lune de la saison douce de l'an 1000
C'est grave docteur ?
Quand nous arrivons au campement du régiment de papy Mag, je me colle un peu plus à lui. Tant de personne inconnu, tant de regard dans notre direction…je sais qu’il ne me regarde pas moi, puisque je suis encore invisible pour eux. Mais la gêne qui me procure est tout de même présente.
Quand Paulo stop enfin sa course, c’est devant une petite cabane. Elle est tellement charmante ! Un soldat se tient devant nous et commence à faire son rapport à son capitaine.
- Mag…t-tu peux m’aider à des-descendre ?
Ma nervosité et ma timidité sont revenue au triple galop. Le soldat, qui devait avoir dans la trentaine basse, me voit enfin, non sans avoir un mouvement de recul. Ce qui devient de plus en plus habituel. Magnus met ses bras autours de mes épaules, me soulève brièvement du Tsi’Ly et me pose doucement à terre.
Je me retrouve nez-à-nez avec le soldat. Il ne me quitte pas du regard. Aaaaah ma douce lucy, fait apparaître un endroit pour me cacher. Comme répondant à ma prière, elle envoya le corps de Magnus, et je me cachais derrière, quelques millisecondes après qu’il ait posé pied à terre.
L’homme se présenta comme étant Darius Bildorion, soldat de la division des Tsi’Lys. Il doit bien savoir monter à cheval, alors ! J’aimerai lui poser tellement de question. Comment ont-ils réussis à dompter ses fabuleuses créatures ? Quelle est leur endurance ? Quels soins leur apportent-ils ? Mais un simple….
- Bo-bonjour…
…ne put sortir de ma bouche. Chrystielle, il faut VRAIMENT que tu fasses des efforts par rapport à cette stupide timidité !
Je suis Magnus qui s’enfonce dans une grotte, et me demande de le suivre. Les endroits sombres, c’est bien un des seules choses dont je n’ai pas peur. L’obscurité, l’invisibilité, un endroit où personne ne peut se voir et où mon pouvoir n’est plus un handicap.
Nous continuons toujours à descendre, jusqu’à atterrir dans une grande salle circulaire, éclairé de dizaine de lampe magique. A peine rentré à l’intérieur que je m’arrête, prise de stupeur. Des centaines d’animaux en train d’aboyer, japper, blatérer, feuler, chuinter, huer, beugler, bêler… Tous ces bruits, dans ma tête… Et puis l’odeur ! Faut-il vraiment qu’on parle de l’odeur du lieu ? C’est vraiment horrible. Heureusement que Magnus et son équipe ont trouvé cet endroit rapidement.
Sans perdre une minute et ayant presque oublié ma timidité, je me lance vers un des soldats.
- Où sont les animaux les plus malades ?
- Pardon ?
Mince, je pensais avoir bien articulé, pourtant. Il doit être difficile de se faire entendre dans tout ce capharnaüm. Mettant mes mains devant ma bouche en position d’haut-parleur, j’essaye de parler plus fort que les familiers.
- Où sont les animaux les plus malades ??
- Mais qu’est-ce que fait une gamine ici ?
Une gamine, moi ?! Hé ho, mon bon monsieur, j’ai 25 ans s’il vous plait ! J’ai le droit de me défoncer dans une taverne à toute heure de la journée ! Sauf que je ne le fais pas. Parce que…parce que…bah parce que j’ai pas le temps !
Je me retourne, et cris. Et c’est à ce moment précis que tous les animaux du sous-sol ont décidé d’arrêter de crier.
- PAPYYYYYYY !!