Java fait un sourire gêné. Le pêcheur qui lui avait confié sa fille il y a quelques jours n'était pas moins gêné. Il faut dire que la situation était assez cocasse : la jeune fille avait tricoté un pull atrocement laid pour son père, et absolument insisté pour que Java le lui remette en mains propres. Et que pouvait-elle faire face à son sourire angélique ? Impossible de résister, ou même de se défiler de sa mission. Non, la voilà qui se retrouvait de nouveau aux alentours du lac, à donner un pull avec une manche plus longue que l'autre à un père qui semblait bien triste depuis qu'il était tout seul. Au moins, cette horreur laineuse semblait le rassurer. Java refusa poliment sa proposition de l'inviter à pêcher avec lui, et lui rappela qu'il pouvait envoyer autant de lettre qu'il voudrait à l'académie pour sa petite poupée.

Une fois débarrassée de cette tâche, certes touchante, mais légèrement ingrate, la recruteuse se remit en route. Elle préférait faire un petit détour pour éviter de croiser des pèlerins – pas besoin d'un sermon religieux par-dessus tout ça. De plus, il n'y avait jamais grand chose à recruter parmi les initiés, et elle était toujours un peu vexée de sa dernière tentative d'invoquer Lucy. D'un pas tranquille, elle arpente les bords de ce lac emblématique des plaines, perdue dans ses pensées. Est-ce que la déesse lui en voulait de l'avoir abandonnée ? Une question bien stupide, puisqu'elle avait décidé de nier son existence...

Une voix féminine la sort de ses réflexions. Quelqu'un était en train de se noyer ! Sans même prendre le temps de se déshabiller, Java jette ses affaires sur le rivage avant de plonger dans l'eau, tête la première. Tout en nageant vers la jeune fille pour la sauver, elle remarque que quelqu'un d'autre a plongé avec. Un chic type qui lui dit quelque chose... Probablement quelqu'un avec qui elle aura fait un bout de chemin, ou qui lui aura payé un bon repas. Dans tous les cas, Java est bien heureuse de retrouver ce brave homme, surtout pour l'aider à sauver la vie d'une innocente civile.

Une fois qu'elle est en sécurité, elle les remercie tendrement, et Java fait un sourire un peu niais. Jusqu'à ce que la fille disparaisse. Ben alors ? Elle regarde en haut, à gauche, à droite, derrière elle : plus personne, à part le bonhomme qui avait plongé avec elle. Une irritation désagréable lui prend la joue... Bêtement, elle se gratte, puis grince les dents en se rendant compte que ça fait encore plus mal que la fois où elle s'était faite piétiner par des rats géants.

Un léger sentiment de nausée commence à l'envahir, accompagné d'un début de migraine. Peut-être que c'était une bestiole bizarre dans le lac qui l'avait mordue ? La garde se tourne vers son camarade pour lui faire part de son inconfort, puis se rend compte qu'il commence à devenir... violet ?

▬ TA JOUE ! C'est quoi ce truc ?!

Sans vraiment savoir pourquoi, elle s'inquiète vraiment pour ce type. Il avait été tellement sympa avec elle ! Prenant sur elle pour ignorer son propre malaise, elle s'approche de lui pour lui attraper la mâchoire avec toute la délicatesse dont elle était capable, et la regarder de plus près.

▬ Ça va mon vieux ? T'as bu une potion bizarre ? Tu veux de l'eau ?

Java était bien heureuse d'avoir emmené sa gourde fontaine pour le trajet, même si elle n'était pas sûre qu'elle soit bien utile. Sa propre couleur de peau la surprend, et elle sursaute lorsqu'elle se rend compte qu'elle prend aussi une teinte violette. Une erreur. Maintenant, elle se sent vraiment patraque. Elle recule un petit peu, étouffant un haut-le-cœur, et finit par tomber sur les fesses à côté de son sac.

▬ Euh... je crois que je vais boire un peu d'eau aussi...

Qu'est-ce qui avait bien pu leur arriver, enfin ? Faiblement, elle fouille dans sa sacoche, ne se gênant pas pour éparpiller son contenu jusqu'à trouver la fameuse gourde fontaine, qu'elle tend d'abord à son camarade, puisant dans toutes ses forces pour ce geste amical. C'était peut-être mieux de le laisser boire en premier, surtout si elle décidait de vider sa gourde par la suite.

Java se concentre pour essayer de tenir au moins assise, même si elle pense perdre la tête un bref instant. Est-ce qu'elle entend quelqu'un chuchoter ? Probablement de l'eau dans les oreilles, ou un effet secondaire de sa morsure à la joue. C'était bien sa veine, de tomber sur un animal venimeux comme ça alors qu'elle avait voulu jouer les héroïnes !  Elle regarde sa main, et se rend compte qu'elle aussi est devenue violette. Ou alors, peut-être qu'elle voit plus bien, et que tout a l'air d'être devenu violet ? Elle regarde ses vêtements trempés. Non, ils sont toujours bleus, eux.

Grâce à un réflexe miraculeux, elle attrape à deux mains la gourde que son camarade de sauvetage lui relance. Et lorsqu'elle lève la tête pour lui dire de pas faire ça quand elle a envie de vomir, il la... menace ? Et l'accuse ?

▬ Ben mon vieux ? Qu'est-ce que tu dis ?

Avec un air tout désolé, elle le regarde. Enfin, elle essaie, parce qu'il est un peu flou, ce brave... rah, c'était quoi son nom déjà ? Pas grave, dans tous les cas, elle voyait bien qu'il y avait méprise. Elle fouille dans sa sacoche pour en sortir sa médaille, dans l'espoir de laver son nom.

▬ Regarde, tu vois, c'est pas une fausse, c'est bien moi ! J'ai pas de complice et j'ai pas d'antidote, enfin tu me connais, j'ai toujours préféré me balader en solo...

Sa voix devient de plus en plus faible, au fur et à mesure que l'impression que sa tête va exploser s'intensifie. Ce brave moustachu était peut-être complètement à côté de la plaque, mais il tenait une piste avec l'idée du poison. Mais quand est-ce qu'on aurait pu les empoisonner ? Au moment où la fille qu'ils avaient sauvé les avaient embrassés ? Mais non enfin, les jolies filles, ça empoisonne pas les gens comme ça !

▬ Range ton machin, tu vas faire peur aux gens.

Java prend appui sur le sol pour essayer de se redresser, mais autant vous dire que ce n'est pas vraiment une réussite. Cependant, après deux chutes peu glorieuses, elle réussit à tenir à peu près debout, avec l'aide de son fidèle bâton. Elle a la tête qui tourne dans tous les sens, et a du mal à savoir si son interlocuteur est toujours à fleur de peau, mais elle tente quand même de caser sa petite hypothèse.

▬ T'es sûr que c'est du poison et pas un truc dans le lac ? Parce que si c'est une bébête bizarre qui nous a mordu, j'peux rien te dire, mais si c'est un truc qui vient de quelqu'un- Chhhhht, il va vous entendre !

Est-ce qu'elle parle à un buisson de roseaux ? Peut-être. Visiblement, ils avaient été particulièrement malpolis, puisqu'elle les gronde comme des enfants pendant bien une minute ou deux. Probablement son cerveau qui commençait à devenir violet aussi, ma foi. Son attention revient à... qui déjà ? Ah oui, lui.

▬ Désolée, des fois les gamins s'emballent, tu sais c'que c'est. Je disais quoi ? Ah oui ! Si c'est un poison qu'on nous a refilé, j'avais entendu parler d'un truc un peu comme ça dans une taverne sur le chemin.

Elle marque une pause dramatique. Ou peut-être qu'elle attend une réponse ? Impossible de savoir, vu son état. Elle tourne la tête vers les roseaux à nouveau, et continue de parler, cette fois en incluant les plantes dans la conversation.

▬ Vous vous rappelez ? C'est le vieux qui servait la soupe qu'a tout raconté. Oui, avec le chapeau ! L'histoire du poison qui se guérit avec de la liqueur d'Ambriosa. En plus ça tombe bien, c'est de saison !

Et puis elle se retourne à nouveau vers le moustachu violet.

▬ Y a des bandits sur les routes qui utilisent un poison pour dépouiller les pélerins... Pis comme l'antidote c'est de boire comme un trou, bah même quand les gens sont guéris, ils peuvent les voler plus facilement ! Tu peux demander aux p'tits, j'invente rien. Normalement, tant qu'on boit, on sera bons ! Il me reste un peu d'eau de vie du daron, si t'en veux.

Effectivement, elle n'inventait rien. Mais est-ce qu'il lui ferait confiance, alors qu'elle semblait clairement confondre les roseaux avec des enfants ? Et même s'il lui faisait confiance : est-ce qu'ils arriveraient à supporter les effets du poison ET ceux d'une bonne grosse cuite assez longtemps pour trouver une bouteille du remède ? Est-ce qu'elle avait seulement raison, ou était-ce juste une bête rumeur de taverne ? Seule Lucy savait.

Java fait de son mieux pour essayer de garder son sérieux, mais c'est difficile quand ses cinq sens commencent à jouer les uns avec les autres. Les roseaux s'étaient calmés, mais elle sentait toujours leurs petits yeux vicieux pointés sur elle alors qu'elle tentait de suivre ce que lui disait ce cher moustachu. Ou plutôt... ce que disait sa moustache. Marrant, ça. Une moustache magique, sûrement ! La moustache fait un peu la difficile au début, puis semble se raviser. Bon, peut-être qu'après quelques verres, elle finirait par donner sa chance à l'ambriosa. C'est vrai que c'était un peu sucré, mais justement, Java ne voyait pas vraiment le problème : du dessert liquide, c'est encore plus rapide à avaler.

Elle s'apprête à avancer dans une direction, n'importe laquelle tant que ce n'est pas vers l'eau, et... Voilà, la moustache aussi a du mal à tenir debout, et alors qu'elle tombe, elle sent déjà le sable dans sa bouche. Sauf qu'il la rattrape juste à temps ! Un peu brutalement d'ailleurs, et elle retient un haut-le-cœur tout en bégayant qu'il n'a pas à s'excuser. Puis elle s'éclaircit la gorge, attrape son sac et essaie comme elle peut de retrouver son équilibre alors que son camarade violet s'appuie sur elle. Pas facile, l'exercice.

▬ Vous m'attendez ici et vous bougez pas !

Crie-t-elle aux roseaux tout en regardant ses pieds, qui semblent s'être dédoublés. Hm, ça faisait pas partie de son pouvoir, ça... si ? Non, ou en tout cas, pas qu'elle le sache. Le spectacle est perturbant. Elle tourne la tête vers monsieur double moustache pour lui demander son avis, et se rend compte que lui aussi, il a deux têtes. Et quatre moustaches ! Décidément, c'était la journée des records. Ou peut-être un effet un peu bateau d'un poison magique sur une personne dotée d'un pouvoir de dédoublement. Mais difficile d'en être complètement sûre, et de toute façon, elle n'en avait pas le temps : il fallait réussir à avancer !

Après avoir fait deux pas en avant, trois pas en arrière, comme la politique du gouvernement, elle réussit à trouver un semblant de balance entre son oreille interne qui lui jouait des tours et l'équipe des moustaches qu'elle tentait de maintenir debout du mieux qu'elle pouvait. Comme quoi, ça paie, les entraînements quotidiens pour travailler son équilibre et son endurance !

▬ Allez mon vieux, on va y arriver !

Et ce fut compliqué, long, parfois un peu ennuyant, mais ils réussirent à s'éloigner suffisamment du lac pour arriver à un petit village viticole – elle ne s'y était pas arrêtée à l'aller car elle n'en avait pas eu le temps, mais logiquement, s'ils avaient des vignes, ils avaient du vin, et s'ils avaient du vin, ils auraient peut-être d'autres alcools à base de cultures locales ! Ou en tout cas, c'est ce qu'elle avait essayé à cet attachant moustachu, ou plutôt, à une de ses têtes. Et à quelques buissons sur le chemin, aussi.

Sauf que voilà : alors que nos deux génies pénétraient la bourgade, peu importe leur capital sympathie... Ils étaient complètement violets. Et visiblement mal en point. Et à part quelques sourires moqueurs qui semblaient connaître la cause de leurs maux, la plupart pensaient à une nouvelle maladie, et claquaient les volets sur leur passage. Java, trop habituée aux petites campagnes pour ne pas remarquer que leur accueil risquait d'être plus tiède que prévu, jette un regard accusateur à son camarade.

▬ T'as lâché une caisse ou quoi ? On va pas y arriver si tu gazes tous les habitants avant qu'on arrive au marché !

Son intonation rieuse sous-entendait bien que ce n'était qu'une boutade, mais elle était quand même sérieusement inquiète. Est-ce que sa médaille suffirait à dissiper les doutes sur leur duo improbable, et les possibles gaz du moustachu ? Ils ont à peine le temps d'arriver jusqu'à la place du marché qu'un petit vieux se plante devant eux. Java tâte le dessus de son chapeau de paille pour vérifier que ce n'était pas des feuilles (ce qui, à ce stade, était un doute légitime) et il lui met une tape sur la main en grognant.

▬ Saletés de touristes ! Buvez ça, et vous avisez pas de vomir sur la place publique !

Il leur donne une bouteille chacun, puis s'en va en jurant dans sa barbe et en réajustant son chapeau. La garde regarde la bouteille dans sa main... impossible de savoir ce qu'il y avait dedans, tant les années avaient rendu le verre opaque. Du vin local ? Elle la débouche d'un coup de dents et crache le bouchon au sol, pour sentir le contenu. Bon, ça sentait beaucoup trop fort pour que ce soit du vin. Et il y avait une petite odeur fruitée, certes, mais impossible de savoir d'où elle venait. Et ce petit vieux qui avait déjà disparu dans la foule du marché... Sentant ses jambes faiblir, elle s'accroche à son camarade pour tenir debout. Pas le temps de réfléchir, il faut agir !

▬ J'ai pas confiance, mais je goûte en premier, et tu me dis si ça fait un truc bizarre ! Vaut mieux qu'ce soit moi qui prenne le risque.

Sans attendre sa réponse, elle boit au goulot même, laissant une petite goutte de liquide violet rouler sur son menton. Après quatre ou cinq gorgées, elle s'arrête pour marquer une pause... et faire une grimace dégoûtée.

▬ C'est IGNOBLE !

Tout son visage se fronce : les sourcils, le nez, bref. C'est le dégoût le plus total. Elle n'a aucune idée de ce qu'elle a pu boire, mais le goût avait presque réveillé sa nausée. Nausée qui... semblait aller mieux ? Quoique, pas sûr, son estomac avait tendance à montrer son mécontentement quand elle engloutissait des repas un peu limites. Alors forcément, la gnôle d'allez-savoir-quoi... risquait de remonter sous une autre forme à un moment ou à un autre. Mais au moins, on pourra peut-être savoir si le contenu de son estomac aussi est devenu violet, maintenant !

Java se tient la tête et respire bruyamment. Elle n'aurait pas dû boire si vite, encore moins après un effort, encore moins alors qu'elle était en état de fragilité, encore moins sans savoir ce qu'elle avait bu. Inévitablement, le contenu de son estomac finit par s'échapper, avec le petit arrière-goût de bile qui fait plaisir. Et bien sûr, quoi de mieux pour confirmer la suspicion de son « vieil ami » ? Elle l'entend s'énerver et ne peut pas s'empêcher de le comprendre, après tout, elle aurait sûrement fait pareil à sa place.

Et quand il clame fièrement son nom, son appartenance à la guilde, et annonce sa vengeance, ses sentiments sont mitigés. D'un côté, elle est persuadée de déjà le connaître, alors pourquoi a-t-elle l'impression de le découvrir en apprenant ces informations ? Ou en les ré-apprenant... Est-ce qu'elle avait vraiment une si mauvaise mémoire ? De l'autre côté, elle a un petit pincement au cœur en voyant ce moustachu violet qu'elle estime tant, bien qu'elle ne sache pas pourquoi, se retourner à nouveau contre elle. Java n'aime pas décevoir ses amis – même quand l'amitié en question est factice.

Elle s'essuie grossièrement la bouche, et essaie de bégayer quelques excuses, quand une espèce de bouffon public les interrompt. Ce n'est pas une insulte, voyons. Simplement la profession la plus à même d'excuser un tel accoutrement. Les couleurs lui redonnent la nausée, et elle déglutit bruyamment en voyant ce drôle de gus s'approcher vers eux en bondissant comme un cabri. Peut-être un acrobate itinérant ? Dans tous les cas, le spectacle faisait mal aux yeux.

Java aurait préféré l'ignorer, mais impossible : non seulement parce qu'il était beaucoup trop voyant pour ça, mais en plus, parce qu'il venait de mentionner une jeune fille. Une jeune fille à corriger, qui faisait fuir les gens ? Non... La gamine du lac ? Elle ne voulait pas y croire. Une si jolie jeune dame en détresse, qui mettrait en péril toute une communauté ? Et pourtant, il n'y avait pas mille conclusions à tirer de son intervention. Attristée par ce retournement de situation – qui n'en était pas vraiment un, mais laissons-lui ça – elle baisse la tête, et regarde les pommes que le gugusse tout plein de couleurs leur tend.

Puis son regard triste se retourne vers le moustachu, enfin, Whiskeyjack (comment avait-elle pu oublier un nom pareil ?). Et même si elle se rend compte qu'il n'a en fait qu'une seule tête et une seule moustache, ça ne suffit pas vraiment à la rassurer. Elle comprenait mieux pourquoi il l'avait menacée, maintenant. Et elle se serait bien passée de retrouver sa lucidité à un moment pareil – non seulement elle avait déçu un ami, mais en plus elle s'était laissée berner par une gamine. Deux situations qu'elle n'avait que trop connu. L'arrière-goût de la bile acide se transforme en amertume, et avec résignation, elle attrape une des pommes pour croquer dedans. A ce stade, de toute façon, qu'est-ce qui pouvait lui arriver de plus ?

Devenir deux fois plus musclée, par exemple.

Enfin, ce n'est pas vraiment un exemple, puisque c'est exactement ce qui était en train de lui arriver. Un jour, il faudra que quelqu'un lui dise d'arrêter de manger ou boire ce qu'on lui donne sans réfléchir, quand même. Java sent l'énergie de la pomme se répandre dans son corps, et les regards exaspérés des civils qui assistent à la scène. Un spectacle habituel pour eux, probablement : combien de téméraires avaient suivi la même voie, pour finalement ne jamais en revenir ? Elle regarde ses mains d'un air ahuri, constatant qu'elles sont toujours violettes, mais que chacun de ses muscles gonfle à vue d’œil. Ça va avoir de sacrés effets secondaires, tout ça.

Pas vraiment rassurée à l'idée de sentir son corps subir un nouveau changement, elle lève les yeux vers l'aventurier qui l'accompagne.

▬ J'le jure sur ma médaille, je savais pas que ça allait faire ça !

Très crédible, venant d'une Java qui ressemblait à un taureau de compétition.

▬ J'savais pas non plus que la p'tite allait nous empoisonner... J'y aurais passé les médailles directement sinon. Mais c'est mon erreur, et t'inquiète pas que je vais corriger ça bien comme il faut !

Elle fait craquer ses poings, et essaie de faire craquer sa nuque... Mais ses trapèzes énormes bloquent un peu le mouvement, et craignant une crampe, elle écarte le risque d'un faux mouvement. Elle avait l'habitude de son corps musclé, certes, mais pas à ce point, et déjà que son ventre était encore tout retourné, elle ne voulait pas vraiment découvrir tout de suite les limites et les contrecoups de cette augmentation soudaine de performance. La garde tend une main symbolique au moustachu, espérant qu'il verrait sa bonne foi plus que ses doigts devenus tout boudinés.

▬ Même comme ça, j'y arriverai pas seule. Tu m'aides ? Tu pourras me casser les dents après si tu veux... Si j'en ai encore.

Pas sûr que ça fonctionne, mais bon. Au moins, elle aurait essayé la manière douce.

Bon, cette pomme dans la figure vaut bien mille mots. Clairement, le moustachu préfère rester violet que de lui faire confiance... et Java se retrouve toute seule, avec sa pomme dans la main, à regarder le bouffon coloré qui semble particulièrement gêné par la tournure de la situation. En même temps, ce cher Whiskeyjack avait soulevé des points très pertinents, et vu les événements qui les avaient amené jusqu'ici, sa méfiance était toute légitime. La garde lance un regard noir au bonhomme chatoyant, qui fait un salto arrière et se retire de la situation, comprenant bien qu'une des deux pommes risquait de se trouver dans un de ses orifices s'il rajoutait le moindre mot. Faut dire qu'il avait pas trop aidé, lui, aussi.

Java finit sa pomme – quitte à en subir les effets, autant y aller jusqu'au bout, et éviter de littéralement se dégonfler comme un vieux ballon à un moment crucial. Quant à la deuxième pomme... Elle pose sa main au sol pour appeler du renfort. Une deuxième Java, tout aussi énorme et violette que la première, apparaît.

▬ … T'es sûre que ça en vaut le coup ? J'crois qu'il t'en veut vraiment.
▬ Un ami c'est un ami.
▬ Il se comporte pas vraiment comme un vrai pote, hein.
▬ Il m'en veut parce que je l'ai mis en danger ! C'est moi qui ait été une mauvaise amie. Donc tu fais ce que je te dis et tu veilles sur lui !

Comme à chaque fois qu'elle est un peu émotive, sa voix monte dans les aigus, et sa clone lève les mains en signe de paix. Après tout, peu importe les émotions mitigées qu'elle exprimait : on lui avait donné un rôle à jouer, et c'est ce qu'elle ferait. Ainsi, notre Java secondaire saisit la pomme du fou et la bouteille du vieux destinées au moustachu, et se dirige à sa suite. Elle passe la tête dans quelques établissements, et même la maison d'une mamie qui lui demande d'ouvrir un bocal de confiture de prunes, avant d'enfin trouver l'endroit où s'est réfugié son « frère de couleur ». La taverne. Et il semble avoir bien noyé ses problèmes dans l'alcool, vu son état.

Les locaux jettent un regard désintéressé à cette nouvelle arrivante violette – sa couleur ne les surprenait pas plus que celle de Jack, et sa musculature non plus, puisque les pommes de l'arlequin du coin avaient aussi fait leur lot de victimes. Elle s'approche de son ami, bien qu'un peu réticente, et le soulève pour l'asseoir sur ses genoux, alors qu'elle prend place à une table. C'est pas qu'il est petit ou léger, c'est qu'elle est tellement énorme que c'est pas bien dur de le porter. Elle pose la pomme et la bouteille sur la table à côté d'elle et fait un signe au tavernier, qui s'approche.

▬ Qu'est-ce qu'il a bu ?
▬ La même chose que nous.
▬ … T'as rien à base d'ambriosa dans la réserve ?
▬ Hmm, la mémoire me fait défaut...

Java frappe la table du poing, qui encaisse le choc comme elle peut. Ah, oui, les muscles, et la force qui vient avec. Peut-être qu'il valait mieux privilégier les mots aux muscles, pour cette situation là. Elle passe une main autour des épaules de l'aventurier inconscient pour éviter qu'il s'écroule contre le sol, et le blottit contre elle. Très bien, le tavernier veut jouer à ça ? Alors elle jouera. De toute façon, cette Java là n'avait pas vraiment le choix.

▬ Un cristal sombre, ça t'aiderait à te souvenir ?
▬ C'est que je vois tellement d'andouilles dans votre genre passer...
▬ Deux.
▬ Douze.
▬ Cinq.

Bon, laissons-les à leurs négociations. Notre Java principale, elle, s'était élancée à la poursuite de... Bah... Rien, en fait. Ben oui. C'est qu'elle n'avait aucune idée de comment débusquer « la petite démone locale », après tout. Après avoir fait un petit tour de la bourgade en courant, non sans faire trembler le sol (et quelques villageois) sur son passage, elle était revenue jusqu'au marché, bredouille. C'est bien beau de vouloir faire justice soi-même, mais quand on ne sait pas par où commencer, forcément, c'est plus compliqué...

Heureusement, elle reconnaît un visage familier. Le petit vieux qui les avait accueilli ! Qui la reconnaît aussi, et semble vouloir l'éviter, mais trop tard, l'énorme tas de muscles violet s'est posé devant lui.

▬ Eh, papi ! Merci pour la bouteille, mais tu peux-
▬ Ah non, laisse-moi tranquille ! J'en ai marre de voir des touristes violets tous les jours venir vomir partout comme des barbares !

Décidément, c'était la journée du rejet, apparemment. Sauf que ce vieux là, il n'avait pas de pouvoir pour lui faire croire que c'était un ami, et qu'il fallait qu'elle fasse attention à lui. Alors elle le soulève par les bretelles, elle plante ses yeux violets dans les siens, et elle lui postillonne dessus.

▬ Si t'as les bonnes bouteilles, c'est que t'en sais plus que ça, alors joue pas avec moi. Sinon je t'embarque à la capitale où tu seras jugé comme complice !

C'est marrant, quand on abuse de son grade, les choses viennent toujours plus facilement. Intérieurement, Java se déteste d'avoir utilisé un tel argument pour soutirer des informations à un civil inoffensif. Mais ce serait un regret à affronter et une erreur à réparer plus tard. Il fallait qu'elle mette à profit ses biscottos avant qu'elle perde le seul avantage qu'elle avait sur la situation ! Le petit vieux bafouille des explications, et lorsqu'elle est satisfaite, elle le repose au sol délicatement, le remercie copieusement et lui donne quelques cristaux pour le dédommager, ignorant ses insultes. Elle ne pourrait pas faire grand chose de plus tant qu'elle n'aurait pas accompli son objectif. Et justement, en parlant de Java mue par un objectif donné...

▬ HUIT !
▬ SEPT !
▬ SEPT CINQUANTE !
▬ SEPT VINGT-CINQ !

Bon, l'autre Java continuait de gueuler des chiffres avec le tavernier, qui s'amusait bien de la situation. Si elle savait que la moitié de l'antidote était juste sous ses yeux... Mais le clone ne s'amusait pas moins que lui. Effectivement, le tavernier ne savait pas que peu importe les sous qu'elle lui donnerait, ils disparaîtraient en même temps qu'elle. Bref. Laissons-les à leur pourparler.

Avec les informations du vieux et l'habitude de traquer des gamins cinglés, la Java originelle avait enfin réussi à retrouver la jeune fille du lac, qui n'en menait pas large. D'habitude, ses victimes avaient le temps de dégonfler, ou de vomir de la bile violette avant de l'atteindre, et étaient suffisamment fragiles pour qu'un deuxième bisou suffise à s'en débarrasser. Sauf que là, notre garde était certes fatiguée et mal en point, mais toujours aussi énorme et sèche, et surtout, motivée par une rancœur profonde – suffisamment motivée pour l'avoir acculée dans une petite ruelle. Gamine ou pas, c'était de sa faute si son ami lui en voulait ! Elle sort ses menottes anti-magie et se prépare à la saisir... jusqu'à ce qu'elle la voie tendre les mains.

▬ Tu peux m'embarquer. Tout le monde me déteste, ici. Je n'ai des amis que parce qu'ils ont peur de moi... Autant aller en prison, à ce stade.

Java plisse les yeux. Est-ce que c'est une technique pour la piéger ? C'est vrai qu'elle est absolument seule. Le vieux lui avait dit que c'était une orpheline, mais vu le nombre de victimes qu'elle avait fait, elle s'attendait au moins à tomber sur une bande de gamins, voire un petit groupe de bandits comme le disait la rumeur. Elle lui passe les menottes, et la regarde un moment.

▬ J'comprends pas ton délire. Pourquoi t'es restée là aussi longtemps ?

Après tout, elle-même n'avait pas demandé son reste pour fuir son village natal et intégrer la garde dès qu'elle en avait eu l'âge. Mais ce n'était pas le première fois qu'elle croisait un jeune qui n'avait pas eu l'opportunité ou la force de quitter son petit monde pour tenter sa chance dans la cour des grands. La petite ne répond pas, et baisse la tête. Java finit par s'approcher d'elle pour lui attraper le menton, et planter ses yeux dans les siens.

▬ Tu fais la malheureuse, mais va pas jouer les innocentes devant moi. Tu vas demander pardon aux habitants, même s'ils t'aiment pas. Faut savoir assumer ses bêtises. Et tu vas t'excuser à mon ami de l'avoir rendu tout violet aussi, pis quand t'auras fait tout ça, je te ramènerai à la capitale.

Elle n'avait pas besoin de le préciser, mais elle ne lui retirerait ses menottes sous aucun prétexte, bien sûr. Sur ces paroles, elle la fait avancer à ses côtés, et elles traversent le village. Au fur et à mesure qu'elles avancent, Java reprend sa corpulence normale, et sent toutes ses forces la quitter. Avant de perdre connaissance (et donc, sa capture ET sa paire de menottes anti-magie), elle décide d'entrer dans la taverne locale pour demander quelque chose à se mettre dans le ventre...

… Et tombe nez à nez avec son clone violet, toujours énorme, toujours en train de négocier. Le tavernier marque une pause en voyant la Java-source débarquer – même avec deux tailles de moins, impossible de ne pas se rendre compte que c'était une copie conforme de la Java qui l'embêtait depuis tout à l'heure. Et en plus, elle tenait l'empoisonneuse locale en menottes ?! Le temps qu'il la dévisage, son clone s'est évaporé pour laisser sa chaise à Jack. Abasourdi, il ouvre la bouche pour parler, mais Java l'interrompt.

▬ C'est combien pour un bol de soupe ?

Au début, la garde redoute un peu le fait d'être à nouveau directement en présence de l'aventurier, particulièrement alors qu'elle était aussi fatiguée. Mais celui-ci semble bien plus amical, et bien moins violet – il propose même de lui payer la soupe ! Java savait bien qu'un bol ne suffirait jamais à la contenter, mais il lui permettrait au moins de tenir jusqu'à la fin de la journée sans lâcher sa prise, à qui elle réservait une petite idée qui pourrait peut-être lui rendre un peu de foi en l'humanité.

Mais ça, c'était pour plus tard. Maintenant, elle avait simplement à enfin s'asseoir, se détendre un peu, et attendre patiemment son repas. Même la pire soupe faisable lui suffirait – tant qu'elle n'avait pas d'effets secondaires bizarres, bien sûr ! Un échange entre Jack et la « démone locale » attire son attention, et elle observe la scène sans rien dire, intriguée par cette réaction étrangement protectrice de la jeune fille.

▬ T'inquiète Yvette, j'ai l'habitude, et j'm'en fous un peu de toute façon. Madame ou monsieur, ça change pas grand chose en vrai.
▬ Je m'appelle pas Yvette, je m'appelle Lilas ! Et ça change tout !

Ah, elle n'était pas particulièrement protectrice en fait, juste tatillonne. Java hausse les épaules puis tourne la tête vers l'ami à moustache. Quelque part, c'était assez touchant de le voir tout désolé pour son attitude d'avant – et surtout, assez rassurant.

▬ T'excuse pas mon vieux, j'suis juste contente de te retrouver tout entier. T'étais pas dans ton assiette, moi non plus, eh, ça arrive ! Après la soupe je vais faire un petit tour du village avec Lilas pour qu'elle s'excuse, et ensuite on se mettra en route vers la capitale. D'ailleurs...

La garde fait un signe à l'adolescente, pour lui faire comprendre que c'est le moment de demander pardon. Cette dernière lui tire la langue. Grave erreur : des sales gosses lui ont fait le coup bien trop de fois pour qu'elle ne sache pas gérer ça. Java lui met une pichenette dans les narines, et la rappelle à l'ordre.

▬ Toi par contre, t'es censée t'excuser, là.
▬ Tu m'as fait mal ! Et j'ai pas envie !
▬ Oh ça c'est rien, tu verras en prison, c'est pas des pichenettes qu'on te mettra, avec une grande gueule pareille.

La jeune fille s'énerve, mais n'a pas grand chose à lui répondre. Et bien sûr, tous les autres clients tendent l'oreille avec délice : comment ignorer la petite peste du coin, les mains liées, privée de son pouvoir vicieux, se faisant reprendre par une de ses victimes ! En sentant les regards sur elle, Java se sent un peu coupable. Quelque part, elle voyait un peu d'elle chez cette gamine, qui n'était devenue que ce qu'on attendait d'elle. Alors elle n'insiste pas, et quand les bols de soupe arrivent, elle se contente de boire goulûment le sien sans plus de commentaires.

Lilas, elle, ne touche pas le sien. Ce que Java aurait remarqué si elle n'était pas en train de se brûler la bouche et la gorge en avalant l'épaisse soupe aux ingrédients variés qu'elle ne prenait même pas le temps d'identifier, trop aspirée par la faim. La jeune fille, après avoir longuement regardé son bol, finit par lever les yeux vers Jack avec tristesse.

▬ Vous allez vraiment me payer à manger ? Après tout ce que je vous ai fait subir ?

Elle semblait presque avoir peur de toucher à sa soupe, comme si on allait lui arracher le bol des mains dès qu'elle l'aurait considéré comme acquis. Pendant ce temps, Java repose le sien pour faire une pause et roter bruyamment, avant de se rendre compte que la gamine avait l'air perturbée. Quoi, elle aimait pas la soupe ?

Java profite que ses deux compères soient pris dans leur échange pour glisser sournoisement sa main jusqu'à un bout de lard, qu'elle amène jusqu'à sa bouche avec un sourire gourmand. C'est qu'il est fin, le Jacky ! … Pourquoi ce surnom sonne aussi bizarre dans sa tête ? On aurait presque dit que c'était la première fois qu'elle l'utilisait. Peut-être une sensation de déjà-vu mal amenée ? Bon, oublions Jacky, c'est perturbant. Jack, donc.

Bien que la garde soit entièrement concentrée sur son repas – et accessoirement, sur quelques vols plus ou moins discrets de bouts de viande – elle suit la conversation d'une oreille attentive. Lilas a l'air un peu plus à l'aise avec l'aventurier, qui réussit même à la faire manger un peu. Quand il lui lance un regard, Java fait un petit sourire contenté avant de finir son bol de soupe. Alors qu'elle s'astique les dents avec le coin de l'ongle, le moustachu lui donne, sans le savoir, une transition toute faite jusqu'au prochain sujet qu'elle voulait aborder avec la gamine. Parfait.

▬ Si tu suis les conseils de ce bon Jack, rien que sur le trajet, peut-être que je pourrai te négocier une peine moins lourde pour tes crimes...

La petite empoisonneuse sort son nez de son bol de soupe, et la garde sent également d'autres regards lui piquer le dos. Elle ne se démonte pas – une fois que le poisson a mordu à l'hameçon, c'est là qu'il faut rester concentrée.

▬ Te monte pas trop la tête, je mens jamais sur mes rapports et je décrirai la situation telle quelle. Par contre, si tu creuses des latrines pour les bonnes personnes-
▬ Beurk !
▬ Laisse-moi finir ! Bref, si tu joues bien tes cartes, que tu me montres que tu veux vraiment changer de vie, j'peux t'aider à tenter l'académie.

Le visage de Lilas passe par plusieurs expressions, toutes plus drôles les unes que les autres. Mais Java se retient bien de rire : elle avait vexé suffisamment d'adolescents par le passé pour savoir quand éviter les moqueries. Ce n'était ni une boutade, ni une fausse promesse. Au début, elle voulait lui en parler sur le trajet, mais puisque son cher ami Jack avait tendu une perche pareille, elle ne pouvait que la saisir ! Elle sent arriver les questions de la jeune fille comme elle a senti ses muscles se déformer un peu plus tôt, et reprend la parole pour lui répondre avant même qu'elle l'interroge.

▬ Ouais, c'est un peu bizarre, mais c'est ma spécialité. Tu peux demander à mon pote, t'es pas tombé sur n'importe qui ! Et ouais, Java la garde pourrait juste t'mettre au cachot avec les autres gredins... Mais Java la recruteuse peut pas laisser passer une occase comme ça !

Java l'abrutie devrait arrêter de parler d'elle à la troisième personne, surtout, oui. Lilas la regarde un moment, puis regarde la nourriture sur la table, puis Jack, puis à nouveau la garde.

▬ Mais... Pourquoi ?

Et là, le sourire de Java s'étire d'oreille en oreille. Elle n'était pas dupe, et savait bien qu'il lui faudrait un peu plus de beaux discours pour réussir à l'embrigader, mais l'académie avait la réputation d'au moins fournir un lit et des repas, et peu importe l'avis que la jeune fille avait sur la garde, elle n'était pas vraiment dans la situation pour ignorer ces informations.

▬ T'as la gnaque, t'es bien organisée, tu réfléchis un peu... C'est une voie comme une autre, après c'est à toi de voir si tu voudras intégrer un régiment ou pas. Si tu tiens les quatre ans. Si tu passes l'examen. Si tu te comportes bien jusqu'à ce qu'on arrive là-bas. Tu vois l'idée ?

L'adolescente hoche timidement la tête, puis recommence à manger. Java n'avait pas besoin de plus que ça. Qu'elle finisse par accepter ou refuser sa proposition, qu'elle la mérite ou non, elle savait qu'au moins, quelque part dans sa tête, l'idée infuserait lentement. Parfois, c'était aussi ça, l'art du recrutement. Elle fait un petit clin d’œil à son ami aventurier, sans qui le sujet aurait été beaucoup moins bien amené. Comme quoi, ça sert de faire équipe avec quelqu'un en qui on a confiance !

Même si ce n'est que d'un seul côté.

Notre cher Whiskeyjack y va aussi de sa petite tirade sur les aventuriers – Java sourit quand il décrit les avantages de rejoindre la guilde. Dans une autre vie, peut-être qu'elle s'y serait essayée, qui sait ? Après tout, la majorité des aventuriers qu'elle croisait étaient des gens tout à fait respectables, avec toutes sortes de talents uniques et fascinants. L'art du discours de Jack en faisait partie selon elle, et mine de rien, elle garda en tête qu'il était probablement une très bonne compagnie à avoir face à un gamin énervant... enfin, quand il était pas tout violet.

Java le salue amicalement lorsqu'il se retire de la scène, et lorsque Lilas est complètement repue, les choses sérieuses commencent. C'est l'heure de la tournée des excuses.

D'abord, il fallait s'excuser envers les différents clients de la taverne, qui en avaient vues des vertes et des pas mûres à cause de son pouvoir. Surtout qu'ils avaient pas trop l'air d'aimer ces deux touristes qui, après avoir remué leur petit village, offraient une rédemption à leur « démone locale ». Mais Java se dressait la tête haute derrière Lilas chaque fois qu'elle reconnaissait ses torts, et n'hésitait pas à reprendre tous ceux qui refuseraient les excuses de la gamine.

Ensuite, c'était la tournée sons et lumières pour passer par un peu tous les habitants, réorienter quelques victimes tardives vers la taverne dont elles venaient, aider à nouveau une petite vieille avec un autre bocal de fruit, bref. Rien de bien glorieux, mais il fallait savoir reconnaître ses torts avant de les dépasser. Et Lilas, bien motivée par le discours de Jack comme celui de Java, faisait de son mieux pour présenter des excuses les plus sincères possibles, même quand elle y allait un peu à reculons.

Sous la lumière du crépuscule, elle demande à Java si elles dormiront à l'auberge du village pour la nuit. La garde réfléchit un peu, puis se dit que finalement non, ce serait peut-être mieux si la petite profitait des étoiles et de la rosée du matin pour se changer définitivement les idées. Bon certes, y avait les moustiques et autres bestioles qui traînaient dans l'herbe à gérer aussi, mais ça, elle s'y habituerait sur le trajet.

Et si elle eu le droit à quelques jurons sur le fait que « c'est pas une vie », la gamine prit vite goût à la longue marche qui l'attendait. Effectivement, elle avait le sens de l'aventure... Java continuait de lui raconter des histoires de garde autour du feu pour attirer son intérêt, mais elle prit soin de ne pas oublier les plus grandes histoires d'aventurier qu'elle connaissait.

Peut-être que d'ici cinq ou dix ans, elle se recroiseraient en mission... Java n'était pas sûre de se rappeler d'elle à ce moment là, mais elle se fit la réflexion que c'était dans bien trop longtemps pour savoir vraiment ce qui les attendrait. En revanche, elle n'oublierait certainement pas que son « ami » moustachu lui avait promis un verre !