Trouver une solution à un problème est une chose aisée quand on arrive à s’entourer des bonnes personnes, en l'occurrence une jeune femme herboriste de son métier et particulièrement douée. Mais une solution trouvée n’est pas une fin… Il faut encore convaincre que l’appliquer est la meilleure chose à faire. Et cela n’est guère aisé. Les fermiers de l’Île Centrale n’ont pas été compliqués à convaincre, ils étaient au coeur même du projet dès le début. Maintenant, il est important de convaincre les autres îles de l’Archipel elles aussi touchées par la maladie du blé.

Ordonnatrice du projet depuis le début, je me suis vue refuser l’aide de Mère pour convaincre les nobles et agriculteurs des autres îles. “Ce projet, tu dois le mener à bout. C’est ainsi que tu deviendras une parfaite héritière de notre famille. Je t’ai appris tout ce qui te sera nécessaire pour convaincre ces gens que ta solution est bonne pour nos îles. Ceci est ta première grande réussite d’une très longue liste ma fille.” qu’elle m’a dit. Sa confiance est plaisante mais cela sera mon premier discours face à une assemblée qui, on peut le dire, n’est pas déjà acquise à ma cause… Cela fait des jours que je me triture la tête pour préparer un joli discours et à le tester sur March ou Frederica. Mon sommeil est loin d’être réparateur malgré les tisanes que Frederica me prépare tous les soirs… J’aurai préférée que l’on commence par l’Île Est, terre natale de mon fiancé, où je connais déjà une partie des habitants mais March lui-même s’est opposé à cette proposition. Cela ne serait pas un signal d’union que je renverrai en allant d’abord sur son île mais plutôt un message de favoritisme. Alors, j’ai choisi une autre destination… Une destination nettement plus ardue, l’île Ouest où les Maple n’ont aucun ancrage commercial tout au plus quelques “amis” nobles.

Mais ce n’est parce que Mère ne compte pas participer personnellement à cette entreprise que mes parents n’ont pas décidé de mettre leur grain de sel à l’intérieur de mes préparatifs… Non seulement, Frederica m’accompagne mais aussi une des domestiques “protectrices”. Non pas que la dénommée Raina soit désagréable en temps normal… Il s’agit juste du fait qu’elle assurera le rôle de protectrice tout au long du voyage en plus mon chaperon habituel. Mais bon, il faut savoir faire avec le protocole de ma noblesse. Tout comme la robe spécialement achetée par Père pour “faire bonne impression”... Une robe que je trouve un peu trop “habillée” pour un discours puis une discussion publique avec l’ensemble de la société insulaire. Mais tout le monde dit qu’elle me va parfaitement et sera parfaite pour l’occasion. Frederica a pris soin de préparer elle-même mes malles et d’organiser le voyage à bord de la “Vague Insulaire”, un des fleurons de la flotte de la famille.

Le matin du départ, ma préparation reste assez sommaire. J’aurai largement le temps de me préparer une fois arrivée à l’auberge du Port. Je rencontrerai les nobles locaux à l’occasion d’une réception organisée spécialement par la famille la plus influente, qui se trouve être des “amis” de notre famille. Le discours tant redouté se tiendra demain. Il ne me faut pas très longtemps pour être prête à partir, j’excecre un voyage en navire dans une jolie robe de toute façon. Un simple chemisier et une longue jupe sont largement assez confortable pour cela. Descendant vers l’entrée de la maison, je constate que mes malles sont déjà là, à attendre notre calèche ainsi que ma “protectrice”. Bien que je ne soit guère heureuse de me voir tant entouré, d’autant plus que l’équipage entier de la Vague Insulaire restera à quai tout au long de ma présence sur l’Île Ouest, je souris lorsqu’elle me salue.

Bonjour Miss Silandin. Nous nous rendons sur l’Île Ouest pour quelques jours. Savez-vous si Samuel aura bientôt fini de préparer la calèche ?

Avisant les malles, je reconnais les trois malles préparées par Frederica pour moi ainsi que la sienne, beaucoup plus petite, mais rien qui puisse correspondre à la jeune femme.

Miss Silandin, n’emportez-vous aucune affaire ? Frederica doit vous avoir informer que vous devrez être à présente lors de la réception de ce soir, non ?

Même si elle ne sera pas“ à mes côtés comme l’est Frederica, elle occupera sa fonction de servante en veillant à ce que je ne manque de rien et, à ce titre, devra être parfaite sous tout rapport. Et cela vaut pour cette hache fort disgracieuse…

Est-il vraiment nécessaire d’emporter cette arme ? Nous ne partons pas chasser le Coeurl que je sache.

Le programme était pourtant simple, nous devions partir pour au moins deux jours incluant une réception… Chercher à qui la faute n’est pas utile ni productif, je n’en ai que faire à vrai dire. Elle a encore le temps de remédier au problème. Le pire, à mes yeux, étant certainement cette hache qui me donne l’impression d’être sous cloche et trop fragile pour pouvoir endurer ce voyage sans une garde armée. Je ne doute pas des capacités de Raina, elle a été formée pour être une parfaite domestique et une gardienne mais j’aimerai plus de discrétion, une main de fer dans un gant de velour, la parfaite définition d’une femme en somme. Lorsqu’elle décide de prendre congé pour aller régler les problèmes que je viens de soulever, je l’autorise et l’incite à faire vite.

Allez-y Mademoiselle, et dépêchez-vous, le vent n’est déjà pas favorable à notre voyage.

Tous les drapeaux étaient clairs ce matin, le vent va vers l’est, l’exact opposé de notre direction. Le voyage en bateau sera donc assez long ce qui va réduire considérablement le temps à terre avant la réception. Une fois Raina disparue dans l’escalier, je me dirige vers l’extérieur pour attendre dans la fraîcheur matinale.  Frederica ne tarde pas à sortir à son tour après avoir vérifier les malles.

Avez-vous vu Raina mademoiselle ?

Je l’ai vue Frederica. Je l’ai renvoyée déposé sa hache et se préparer une malle qu’elle avait oubliée de préparer. Rien de problématique, ne vous inquiétez pas.

Frederica profite du calme pour commencer à passer en revue le programme de la journée et surtout me rappeler la liste des personnes qui seront présentent à la réception. La calèche, conduite par Samuel arrive alors que ma chaperonne allait se lancer dans une interrogation orale portant sur les titres de chaque nobles présents ce soir. Je patiente tranquillement le temps que Samuel charge les malles à l’arrière de la calèche attendant patiemment le retour de Raina. Frederica également… J’espère qu’elle ne mettra pas notre voyage en retard, la colère de la petite Frederica serait terrible. Heureusement, elle arrive peu de temps après que Samuel ait fini avec les malles déjà présentes. Je soupire en la voyant porter sa malle comme une bûcheronne… Clairement, le principe de Gardienne est intégrée, celui de passer inaperçue, c’est une autre paire de manche. M’invitant à monter dans la calèche, Samuel m’ouvre la petite porte tel le cocher parfait.

Merci Samuel. Raina, installez-vous ici.

Je pointe la place qui me fait face. Une discussion s’impose, je le pense, pour remettre un peu les choses à leurs places entre ce que Mère ou Père attend d’elle ces prochains jours et ce que j’accepterai. Lorsque la calèche se met en mouvement, je fais un rapide signe à Mère, sortit un instant pour nous regarder partir.

Bien, Raina, ce soir, nous participerons à une réception donnée pour fêter notre présence sur l’Île Ouest. A ce titre, vous m'accompagnez en tant que servante, officiellement.

Vous aurez également la mission de protéger mademoiselle Onélie tout au long de la soirée.

Je soupire, pourquoi pense-t-on toujours que j’ai besoin de protection…

Discrétement… J’y tiens, vous vous rappelez votre rôle en réception officielle ?

De mémoire, c’est la première fois qu’elle participe à une réception en dehors de notre demeure, je veux veiller à ce qu’elle se sente prête pour un tel rôle. Nous avons tout le voyage pour qu’elle se sente prête donc autant commencer dès maintenant si cela s’avère nécessaire.

Pourquoi tout le monde considère que je ne suis pas capable de prendre soin de moi seule ? Je suis peut-être faible et malade, j’ai mon pouvoir qui m’assure une bonne protection. Petite, alors que je ne maîtrisait pas ce pouvoir, je peux comprendre mais maintenant, j’ai plein contrôle de mes capacités et je ne risque pas grand chose dans une réception de nobles… Au moins, Raina est consciente que ce ne sera pas sa seule occupation de la soirée.

Il ne devrait pas y avoir de problème ce soir, la réception ne regroupera que des nobles locaux. Votre rôle devrait se limiter à veiller à ce que l’on n’essaye pas de remplir mon verre en permanence.

Pour le reste, on ne la remarquera certainement guère comme tout domestique, bien que de mémoir, elle soit d’ascendance noble. Puisque tout semble en ordre, autant discuter un peu plus sereinement.

Vous êtes bien d’ascendance noble non ? Comment en êtes vous arrivé au service de ma famille Raina ?

Je n’ai pas pris le temps de m’intéresser à chacun des employés de la famille, j’ai quelques informations éparses sur la plupart mais ne connaît vraiment que les “maîtres d’oeuvre” en charge de la gestion plus trivial. Mais Raina est à peine plus âgée que moi, aucun doute que si tout se passe bien et qu’elle le veut, elle restera au service des Maple presque durant toute ma vie. Cela est sûrement mieux de la connaître véritablement, je manque de servante sur qui je peux me reposer en toute confiance autre que Frederica qui exerce plus le rôle de préceptrice et gouvernante.

Cette histoire ne m’est pas inconnue, même si elle est un peu avare de détails, j’ai la nette impression d’avoir déjà rencontrée cette histoire… Je fouille dans ma mémoire à la recherche du souvenir associé, certainement une lecture des événements commerciaux survenus avant que je sois apte à m’y intéressé. Aussi ennuyant soit-il de lire ce genre de récit, on en apprend beaucoup, en particulier les erreurs à ne pas faire. Comme par exemple, ne pas mettre toute sa fortune en jeu dans un trajet de navire…

J’ai entendu parler de ce tragique événement, je dois avouer que la chance n’a pas été du côté de votre famille ce jour… Vous me voyez quand même heureuse que l’on ait pu vous trouver un juste travail après la trahison de votre famille.

Mère et Père ont toujours été généreux et ils n’ont pas fait exception pour elle. Même si je me doute que cela n’a pas dû être simple pour elle de passer de jeune noble à servante. Elle a l’air de bien s’y être accommodé quand même.

J’espère que vous avez bien été accueillis par l’ensemble de la famille ? Vous avez des nouvelles d votre famille partie sur le continent de temps en temps ?

Elle garde peut-être une animosité envers eux, ils l’ont laissée seule derrière et abandonnée à son sort. Nul doute que je serais en colère si cela arrivait… Je pense qu’il pourrait être intéressant de faire évoluer un peu ses attributions, Frederica est seule pour s’occuper de tout ce qui m’entoure, un peu d’aide ne lui ferait certainement pas de mal. Et avoir un peu moins Frederica pour me surveiller n’est pas quelque chose pour me déplaire non-plus. Elle connait les prérogatives de la noblesse et, avec son âge proche du mien, elle me semble particulièrement adapter pour être une dame de compagnie acceptable. Enfin, si on excepte cette tendance à la surenchère en termes de sécurité acquise au fil des années sous les ordres des gouvernantes de la famille…

Frederica ? Que diriez-vous d’un peu d’aide à l’avenir, vous êtes toujours avec moi et ne prenez jamais de temps pour vous. Je ne vous vois jamais flirter avec la gente masculine ni même prendre un peu de repos, ce n’est pas bon pour votre santé. Vous pourriez former Mademoiselle Silandin pour qu’elle vous assiste, qu’en pensez-vous ?

Mademoiselle, votre sollicitude me touche mais ce n’est point à vous de prendre ce type de décision. Raina est un peu jeune et manque d’expérience pour occuper ce genre de responsabilité.

Je plisse les yeux en fixant la minuscule chaperonne.

Je pense avoir tout à fait le droit d’émettre des demandes quant à celles et ceux qui m’entoure, Frederica. Raina est justement parfaite pour ce rôle, connaissant les normes de la noblesse et son âge, elle pourra se fondre dans la masse en tant que Demoiselle de Compagnie lorsque cela sera nécessaire. J’en discuterai avec Mère et Père, si cela vous convient bien entendu Mademoiselle Silandin ?

Cela lui demanderait plus de subtilité mais je ne doute pas qu’une jeune noble devenue servante en est capable.

Cela m’attriste un peu que Raina n’ait plus aucun contact avec sa famille proche depuis qu’ils l’ont laissé sur l’Archipel. Assurément, je peux comprendre qu’elle n’ait guère l’envie d’avoir un quelconque lien avec eux. Au moins, la vengeance ne semble pas faire partie de ses projets. Choisissant de changer de sujet pour ne pas raviver de mauvais souvenirs à la servante si dédiée à sa tâche, je propose à Frederica de la prendre sous son aile pour qu’elle puisse m’accompagner de façon plus agréable lorsque la situation y est propice. Il va sans dire que la présence de Frederica, sans être une gêne, est pesante. Même si elle sait se montrer discrète, il est impossible de rater le fait que Frederica est un chaperon et non une demoiselle de compagnie.

Je comprends tout à fait la nécessité d’assurer en permanence la présence d’une personne de confiance et apte à mes côtés connaissant mon statut dans la famille et ma santé fragile. Mais, la présence de Frederica est un peu de trop maintenant que j’approche du statut de femme mariée. J’aspire à une présence moins « maternelle » maintenant. Frederica semble plutôt opposée à cette idée mais je préfère me montrer intraitable, il est largement temps que l’on me laisse commencer à prendre des décisions concernant ma propre vie au même titre qu’on m’a donné la latitude pour intervenir dans la vie locale de l’Archipel. Frederica peut se montrer buter par moment mais je la connais, elle ne prendra pas le risque de me pousser trop loin. La décision étant prise de mon côté, j’accorde mon attention exclusivement à Raina et à sa réponse. Je suis rassurée de l’entendre heureuse d’une telle proposition et prête à se plier à un nouvel apprentissage pour remplir les fonctions qui lui incomberaient.

Parfait, vous m’en voyez ravie. Il y a certainement beaucoup de choses que vous devrez apprendre auprès de Frederica mais je suis certaine que vous serez parfaite en demoiselle de compagnie.

Souriante, je remercie la demoiselle d’accepter une telle charge. Charge qu’elle n’imagine peut-être pas pour le moment… Comme pour ne pas froisser Frederica, elle change rapidement de sujet, revenant sur ma sécurité en m’interrogeant sur mes capacités propres. Avant même que je puisse entamer la moindre réponse, Frederica se lance dans un sermon digne de n’importe quel garde royal de la Capitale.

Cela n’est nullement nécessaire à l’exécution de votre mission Miss Silandin. Pouvoir ou non, vous n’êtes ici que pour garantir que rien ni personne n’aura l’occasion de poser le moindre doigt sur mademoiselle.

Je soupire laissant Frederica continuer sa tirade alors que notre calèche arrive sur le port. Rapidement, elle s’avance sur le pont allant vers le Vague Insulaire qui patiente mât dressé vers le ciel. Profitant que l’on doit changer de mode de transport, je descends rapidement allant saluer le capitaine. Fleuron de la flotte Maple, il est le navire que nous empruntons presque systématiquement pour les déplacements officiel. Il en impose après tout. Les matelots ne tardent pas à entrer en action pour emporter nos malles sur le navire, directement dans les quartiers qui nous sont prévus. Préférant profiter de l’air marin plutôt que de m’enfermer dans une cabine étroite, je me dirige vers la proue où ma présence ne gênera pas les matelots dans leur manœuvre pour quitter le port. D’un signe, j’invite la jeune servante à m’accompagner laissant Frederica assurer la gestion de l’embarquement des malles. Je m’accoude à la rambarde regardant le port et son activité.

C’est beau n’est-ce pas ? Toute cette vie et cette énergie au service de toute la population de l’île… Notre peuple est vaillant et composé de travailleurs acharnés. Les tempêtes ne parviendront jamais à briser cette vigueur et leur volonté mais le Continent et son fonctionnement sapent cette volonté bien trop vite… J’aimerai faire plus pour les aider. Ces nouvelles céréales peuvent nous apporter une indépendance vis-à-vis du continent, on n’entendra plus les fermiers se plaindre de la qualité de ce que le Continent nous vend comme semence ou même comme céréales à consommer…

Je me retourne pour regarder la jeune femme en soupirant.

J’espère un jour réussir à rendre sa joie de vivre à notre peuple… Vous m’avez demandé à connaître mes capacités personnelles, contrairement à Frederica, je pense que cela est une chose utile et intéressante. C’est assez simple à vrai dire, j’absorbe les chocs réduisant leur effet à néant. J’ai une limite comme tout le monde bien entendu, relativement dangereuse car l’outrepassé libère l’énergie totale en un seul choc.

Je passe sous silence mon objet magique récemment acquis qui m’offre une nouvelle barrière de protection en renvoyant l’énergie vers l’assaillant. Un achat couteux mais qui m’a semblé une précaution justifiable pour ma propre sécurité. A la place, je renvoie sa question à la jeune femme même si j’ai pu avoir un aperçu de ce dont elle est capable plus tôt. Elle occupe un rôle avec une responsabilité assez importante et que les Maple n’octroie généralement qu’à des possesseurs de magies offensives et destructrices. La discussion se veut cordiale durant le trajet en navire, après tout, nous ne courrons aucun risque sur ce navire.