Nemue feuilletait les nombreuses prescriptions qui étaient plus ou moins pêle-mêle sur son bureau dans son manoir à l’ouest de la capitale. Sa demeure semblait si calme depuis le départ de son dernier patient alité en ce lieu. De plus, ses employés étaient tous occupés entre le nettoyage de la demeure et l’entretien de la serre. Les récoltes étaient bonnes, mais certains de ses ingrédients ne poussaient pas dans ce genre de climat. Elle avait donc fait dépêcher une demande à la capitale et toutes les grandes villes ou village voisin afin qu’on aille lui quérir un grandablue. La saison était parfaite et celui-ci pourra servir en grande quantité.

Elle poussa un long soupir observant le fouillis qu’elle avait causé. *Je devrais peut-être remettre de l’ordre. Si je venais à oublier une seule ordonnance, ça en serait fichu de ma réputation.* Déposant les fiches qu’elle tenait en main, elle se leva de sa fameuse chaise bien trop grande pour son corps et remit un peu d’ordre, les classant par date et heureusement qu’elle le fit, car elle remarqua là la présence d’un renouvellement qui était bientôt du. Il s’agissait d’un homme vivant au village perché. Cela faisait bien longtemps d’ailleurs qu’elle avait repris son cas prenant même un arrangement pour les paiements avec sa seule enfant. C’était leur petit secret et elle avait juré de ne jamais en parler avec le malade. *Bon, Lith n’est pas ici et je ne peux pas attendre son retour!* pensa-t-elle avant de prendre en main la prescription et de se diriger vers l’escalier qui menait au sous-sol dont elle seule avait l’accès.

Au croisement d’un couloir, elle croisa l’une de ses servantes qui s’arrêta pour la saluer. Sans s’arrêter, Nemue lui fit un rapide signe de la maison.

- Préparez mon cheval ainsi que des provisions. Je dois me rendre au village-perché!
- Mais madame, vous ne voulez pas attendre le retour du jeune maître Lith?
- Nous n’avons pas le temps pour cela. Préparez-moi aussi une tenue convenable, Béatrice. La route ne sera pas de tout repos.
- Très bien, ma dame.

Elle termine sa course jusqu’à cette fameuse porte qu’elle déverrouilla, récupérant le remède dont elle avait besoin en quantité suffisante et remonta aussitôt jusqu’à sa chambre où on l’aida à se changer. Un pantalon en cuir sombre, une robe dont la jupe était ouverte à l’avant, des bottes de cuir et pour terminer une longue cape.

Quand elle sortit, son cheval l’attendait déjà avec ses nombreuses sacoches et voilà qu’elle entreprit son visage vers le village. Heureusement, tout se passa bien. Elle dormit brièvement, mais elle avait l’habitude de fréquenter ce chemin. Bien que noble, elle n’avait pas peur de se salir les mains s’il s’agissait de récupérer les meilleurs ingrédients.

Son arrivée au village fut comme à l’habitude. Elle dut déclarer sa présence ainsi que la raison de sa venue aux hommes qui faisait le guet. Bien sûr, elle n’avait pas pour habitude de se présenter comme « la sorcière » titre qu’elle avait adopté avec le temps au vu de ce qu’elle pouvait offrir, mais elle se présenta comme Nemue Lynella, une simple apothicaire et dès que cela fut fait, elle remit son capuchon sur sa tête et se dépêcha de rejoindre le quartier résidentiel.  Comme elle ne savait pas si on l’avait reconnu, elle préféra prendre des petits raccourcis piquant au travers de petite ruelle. Elle n’aimait pas être arrêtée lorsqu’elle avait une chose bien précise en tête et elle avait bien conscience que son comportement pouvait paraître louche, mais si c’était ce qu’il fallait pour arriver à son point d’arriver sans encombre, c’est ce qu’elle ferait.

Seulement, pourra-t-elle accomplir son objectif et repartir aussi rapidement qu’elle était arrivée?

Toujours en quête de la demeure de son cher patient, elle se hâtait de le retrouver afin de causer avec celui-ci. La dernière rencontre datait d’il y a quelques mois et elle espérait que la médication qu’il prenait aidait sa condition. De plus, c’était un homme des plus charmants qui avait réussi à élever son enfant seul et qui, malgré la douleur de perdre un être cher, n’avait jamais baissé les bras. Elle s’était moquée de lui à quelques reprises en lui promettant qu’elle reviendrait lui présenter certaines de ses connaissances, mais il avait toujours décliné poliment. *Enfin, qui suis-je pour juger de ses besoins sentimentaux? Je ne suis pas mieux placée.* La voilà, en train de penser à elle maintenant qui, malgré ses 32 années, ne semblait pas trouver chaussure à son pied se contentant de quelques frivolités par-ci par-là, mais en aucun cas l’amour s’était arrêté à sa porte. *Bon aller, cesse de penser à ces choses, qui voudrait bien d’une sorcière telle que toi comme femme de toute façon?* Un petit sourire en coin se dessine sur ses douces lèvres.

Elle n’est peut-être pas de ces gens discrets ni même une femme de terrain, mais elle sait reconnaître la démarche d’un homme qui s’approche d’elle à grands pas. Et que dire du cliquetis de l’armure qui ne cesse de le suivre. *C’est bien ma veine*  se dit-elle alors qu’elle se savait maintenant suivie. Bien sûr, lorsqu’elle fut interpellée par l’homme, Nemue s’arrêta brusquement. Échapper à cette personne ne lui servait à rien, parce qu’il devait connaître les chemins bien mieux qu’elle et elle n’avaient aucune raison de se montrer hostiles envers celui-ci qui ne lui avait rien fait.

Nemue se retourne alors d’un pas lent observant l’individu d’un œil alerte. Armure sombre, visage camouflé, impossible d’y voir quoi que ce soit ou d’identifier cet homme hormis sa voix. Ses yeux d’émeraude glissèrent doucement sur son poitrail y voyant ainsi son insigne de garde et elle fit quelques pas en sa direction afin d’y voir d’un peu plus près. *Un officier supérieur, qui plus est. Je ne vais pas jouer les têtes fortes.* Ses longs doigts fins se glissèrent sur le tissu qu’elle rabattit contre ses épaules avant de lever sa tête et de révéler une frimousse sans âge. Un sourire sur les lèvres, Nemue ancra son regard sur l’emplacement de ses yeux.

- Je pourrais me vexer que vous m’aillez appeler madame, mais je suis d’humeur à pardonner, monsieur l’officier.  

Avoir ce dernier à ses côtés ne ferait qu’attirer l’attention sur elle, mais avait-elle réellement le choix? *Autant profiter de sa présence pour me mener à bon port. Qui plus est, son petit côté mystique m’intrigue tout de même.* Que peut-il bien cacher sous ce masque?

- Vous pouvez m’appeler Nemue, mon cher ami, mais si cela vous enchante, vous pouvez m’accompagner jusqu’à la demeure de mon ami, si vous avez peur que je m’y perde. Puis mon petit doigt me dit que je pourrais apprécier votre compagnie.

Nemue n’était pas la sorcière pour rien, mais savait-il vraiment à qui il parlait? Avait-il reconnu la femme qui pouvait communiquer avec les morts ou n’avait-il jamais entendu parler d’elle. Après tout, Nemue c’était un prénom bien banal à moins de ne connaître le véritable nom de ladite sorcière.

Nemue ne perdit pas un seul instant de l’acte de l’homme lorsqu’il présenta ses excuses. Malgré sa tenue sombre et son visage masqué qui lui donnait un air qui pouvait en effrayer plus d’un, il n’avait pas perdu son sens de l’humour. Elle avait même cru discerner un petit rire derrière ce masque. Elle retrousse légèrement le nez, levant légèrement le menton.

- Excuses acceptées!

Un petit air joueur illumina les prunelles de la dame et lorsque l’officier se présenta à son tour dans une pose digne de la haute société, Nemua glissa sa dextre dans cette grande main gantée qu’il lui tendait afin de quitter les ténèbres pour rejoindre la lumière. Bien qu’intimidant, l’attitude de l’homme amusait Nemue. Elle ne se moquait pas de lui, mais elle se complaisait de ses petites mimiques.

- Enchanté, officier de Brumerive, tout le plaisir est pour moi. D’ailleurs, ne perdons pas de temps!

Sa main abandonnée pour un pommeau d’épée, la sorcière glissa son bras sous le coude de ce dernier afin de marcher à ses côtés. Ils avaient dès lors repris une route moins discrète où citadin et marchand observaient le binôme atypique. C’est ce que la demoiselle avait voulu éviter. Les regards pesants remplis de préjugé et qui ne pouvaient se mêler de leur propre nombril! *En voilà une belle bande de commères* Un soupir s’échappe bien malgré elle et tenta d’ignorer toute l’attention qu’on leur portait. Elle lève le regard vers son interlocuteur lorsqu’il l’a questionna. Elle savait bien que les doutes de l’homme sur ses véritables intentions ne s’étaient pas dissipés malgré le fait qu’elle lui avait demandé de l’accompagner. Après tout, elle n’avait qu’à lui demandé d’attendre au pan de la porte alors qu’elle refilait à son patient tout ce dont il avait besoin, puis elle n’avait qu’à quitter la demeure de ce dernier aussitôt rapidement sans prendre le temps de prendre un petit verre en bonne compagnie. Il tenta une petite flatterie à son égard, bien qu’il doit confondre la nature de sa relation avec monsieur Delarosa.

- Et bien, je pourrais répondre à votre question, monsieur de Brumerive, mais ne serait-ce pas injuste pour moi? Après tout, vous semblez avoir bien de secret vous aussi, non?

Son visage vers l’avant, elle ne regarde que la route qui se dessine à ses yeux. Son faciès ne semble trahir aucune émotion qui pourrait jouer contre elle. Une mine fermée, mais à la fois souriante.

- Mais je peux vous assurer que la nature de notre relation est purement professionnelle. Je tiens simplement à conserver la raison de ma visite secrète et de protéger l’anonymat de mon ami.

En effet, il ne serait pas professionnel de sa part de révéler la raison de sa présence. Après tout, avouer qu’elle doit remettre un remède à un homme fier et qui tente de garder sa maladie secrète ne ferait qu’attiser sa colère.

- Je compte sur votre discrétion par la suite, mon cher ami. Bien qu’une fois ma visite terminée, nous pourrions prendre une tasse de thé ou vous laisseriez-vous tenter par un petit verre?

Ses attentes étaient peut-être trop élevées, après tout, l’homme devait être de garde et il ne dérogera certainement pas de sa mission pour causer avec l’apothicaire autour d’un verre. *Qui ne tente rien n’a rien. N’est-ce pas?*

Ils étaient d’ailleurs bientôt à leurs destinations. Plus que quelques minutes de marche.

Nemue attendait patiemment une réponse de l’officier bien qu’elle se doutait que ce dernier puisse accepter. Impossible d’y lire quoi que ce soit sur son visage, elle se contenta d’avancer sans démontrer la fébrilité qui naissait en elle. Elle profiterait de ce moment pour essayer de soutirer des informations à ce dernier. Rien ne concernant la garde, seulement qu’elle se doutait que si ce dernier cachait sa personne de cette façon sous cette armure, c’est qu’il devait y avoir une raison. Mais jamais au grand jamais, elle ne l’obligerait à parler s’il ne le désirait pas.

Quand ce dernier pris parole, elle prit le temps de le regarder. La voix de ce dernier le trahissait légèrement comme s’il ne s’attendait pas à une telle invitation de la femme. Une légère moue, déçue, s’était dessinée sur son visage lorsqu’il refusa un verre bien qu’il fut vite remplacé par un sourire.

- Allons, ne me dites pas qu’un grand gaillard comme vous ne savez pas tenir quelques gouttes d’alcool!

Un petit rire s’échappa alors que sa main libre vint tapoter délicatement son bras. Bien sûr, tout cela avait été dit sous le ton de l’humour. En aucun cas elle ne forcerait ce dernier à consommer quelque chose qu’il ne voulait pas.

- Très bien, nous nous contenterons d’un thé alors! Le verre sera pour une prochaine fois.

Ils arrivèrent finalement devant la maison et Nemue dut abandonner le bras de l’officier pour aller frapper à la porte. Le propriétaire était toujours très prudent et n’ouvrit la porte que pour vérifier la présence à cette dernière. Quand il reconnut la demoiselle, celle-ci si glissa rapidement et disparue.

- Bonjour, Darius. J’espère que vous vous portez bien?
- Toujours mademoiselle, Lynella. Qu’est-ce que j’peux faire pour vous?
- À vrai dire, je ne vais pas m’attarder, je suis accompagnée aujourd’hui, mais je vais faire cela rapidement.
- Accompagné? Il regarde discrètement par l’un des volets de sa demeure. Oh, ça s’rait pas le grand gaillard avec son armure, là? Un officier qui plus est!
- Un peu de discrétion mon ami! Je vous apporte tout simplement votre remède pour le prochain mois. Des changements?
- Non, m’dame.
- Des douleurs que vous n’aviez pas?
- Non m’dame.
- Vous suivez toujours la posologie?
- Oui, m’dame!
- Très bien, rester sage, je vous souhaite une excellente soirée.

Elle s’apprête à quitter la maison et avant d’ouvrir la porte, elle se tourne légèrement en sa direction et son visage n’a plus rien de stoïque, non il est moqueur.

- Votre demeure aurait bien besoin d’une femme.
- Nemue…dépêche-toi de sortir avant que je te mette sur un buché!
- Oui, m’sieur!

La porte s’ouvrit sur la demoiselle qui se retient pour ne pas éclater de rire et ses pas l’amènent alors jusqu’à l’officier qui attendait patiemment son retour.

- J’espère ne pas vous avoir fait trop attendre, monsieur de Brumerive. D’ailleurs, ne tardons pas plus longtemps. Maintenant que mes pensées sont libérées de ma tâche, je suis maintenant toute à vous!

Bras dessus, bras dessous les deux reprirent leur route vers un petit bistro dont elle avait souvenir. Elle appréciait la variété qu’on pouvait y trouver et s’était donné comme mission d’en goûter un différent à chaque fois qu’elle s’y présentait. Une fois sur place, elle choisit une place qui se situait en terrasse. *Autant profité du temps, tant qu’il est bon.*  Mais avant de prendre place, la demoiselle défi la boucle qui retenait sa cape fermée sur ses épaules et la laissa glisser dévoilant ainsi sa tenue à la fois chic, mais qui passait partout ainsi que ses formes mis en évidence par le corset de cuir aussi sombre que sa robe qu’elle portait sur cette dernière. Elle déposa sa cape sur la chaise avant d’y prendre place.

Un jeune homme s’avança aussitôt vers eux afin de leur proposer de ses services, mais Nemue se contenta de commander deux thés noirs. C’était simple, revigorant pour l’homme qui devait travailler au courant de la journée et comme elle n’était pas seule, elle ne voulait pas perdre son temps à choisir une variété.

- J’imagine que ma demande vous à troublé n’est-ce pas? Nous nous connaissons à peine et je vous offre à boire. J’espère que vous ne vous sentez pas obligé d’être en ma compagnie.

Nemue aimait la compagnie qui savait faire preuve d’humour et heureusement, bien que masqué et des plus mystérieux, il avait une très bonne répartie lorsqu’elle l’avait taquiné au sujet du verre. D’ailleurs, parler de son métier comme un mode de vie fit sourire la demoiselle.

- Ma foi, moi qui croyais que surveiller des portes n’était que pour la garde royale. Si cela vous dit, j’ai justement besoin d’un garde pour surveiller la mienne.

Elle lui jette un regard en coin, bien qu’elle ne put pas voir sa réaction, mais elle resserra son emprise contre son bras se rapprochant légèrement de ce dernier.

- Je plaisante bien évidemment. La garde du village perché a très certainement besoin d’un homme tel que vous bien plus que j’en ai besoin. Ce serait gâcher votre potentiel.

L’officier fait preuve d’une galanterie hors pair aidant la demoiselle à s’installer confortablement sur sa chaise. Elle ne glisse pas totalement ses jambes sous la table et comme à son habitude, après avoir commandé leur boisson, Nemue croise ses longues jambes l’une par-dessus l’autre laissant dans le vide son pied chaussé d’une botte en cuir sombre et lassé sur son tibia. Elle ne put s’empêcher de le questionner sur sa présence ici, mais ce dernier s’empressa de rassurer la dame. Elle glissa l’une de ses mèches d’un doigté délicat derrière son oreille. *Quel flatteur* pensa-t-elle.

- Mériter? Je ne vois pas en quoi suis-je supérieure à vous pour que vous deviez mériter ma présence. Nous sommes deux adultes courtois et fort charmant. Malgré mes agissements qui ont pu vous faire douter de mes intentions, vous vous êtes montré d’une galanterie exemplaire.

Nemue l’observa calmement alors que ce dernier porta finalement sa sénestre aux attaches qui retenaient son masque de fer qui empêchait la demoiselle de voir le visage de l’homme. Son geste était plutôt lent, comme s’il était effrayé d’arriver jusqu’au bout de son geste. *Que craint-il?* Une question simple qui passa à l’esprit de la femme, mais qui ne broncha pas à la vue de son véritable visage. Elle comprit dès lors pourquoi ce dernier se cachait ainsi bien qu’elle ne l’encourageait pas en son for intérieur. Peut-être s’attendait-il à une réaction de dégoût en provenance de la noble, peut-être avait-il été habitué, déçue par ce genre de réaction, mais la noble avait vu bien des choses et s’il y avait bien quelqu’un pour comprendre qu’on ne choisissait pas nécessairement son pouvoir c’était elle. Côtoyer la mort avait quelque chose de profondément sinistre.

Nemue décroise ses jambes et se redresse légèrement prenant appui sur la table qui les séparait et sans se soucier de l’étiquette de conduite qu’elle tenait à suivre, elle se pencha vers lui. Peut-être bien que cela allait attirer les regards, mais Nemue ne s’en souciait guère. Sa main s’étire et approche dangereusement de son visage alors que d’une délicatesse hors pair, elle souleva le menton de ce dernier pour plonger son regard dans le sien.

- Vous êtes parfait comme vous êtes, Alvar. Ne laissez jamais personne vous dire le contraire. Nous sommes tous différents et spéciaux à notre façon et on sait reconnaître nos véritables amis par le fait qu’ils nous acceptent tels que nous sommes.

Son fessier retrouva le siège de sa chaise et elle toussota légèrement plaçant son poing devant ses lèvres. Elle ne savait pas quelle mouche l’avait piqué, mais elle avait très certainement dépassé les limites par son geste. *Je dois l’avoir surpris, voir choquer. Dans tous les cas il ne s’attendait certainement pas à ce que je réagisse de la sorte*

- Hum, je suis désolée, je me suis peut-être montrée un peu trop expressive, mais je suis heureuse que vous…

Coupé par l’arrivée du jeune homme avec les tasses de thé, celui-ci s’empressa d’en déposer une devant chacun d’eux. – Merci.  Dit-elle en hochant la tête avant de se retourner vers Alvar.

- Comme je disais, je vous remercie de vous être ouvert à moi sans que je n’aille à vous soutirez les informations. En retour, je vais répondre à la question de votre choix en étant le plus honnête possible et peut importe ce que vous me demandez.

Nemue attrape la petite assiette dans laquelle avait été mise la tasse de thé et glissa l’index de sa dextre dans l’anse afin d’y porter cette dernière à ses lèvres sans quitter de ses yeux les sombres pupilles de l’officier.

Bien des émotions s’étaient présentées au visage du garde ; stupéfaction, surprise, joie peut-être même de la gêne. Celui-ci restait sans voix face a la sorcière qui avait très certainement pénétré sa zone de confort tel un cheval en pleine course. La dame se connaissait et se savait parfois très directe. Ce dernier manquait cruellement de confiance en lui-même et Nemue avait souhaité lui montrer qu’il ne devait pas avoir peur. D’ailleurs en retour de son honnêteté, elle lui avait promis de répondre à n’importe laquelle de ses questions le plus honnêtement possible. Il y avait tant de possibilités tant de choix. Il aurait pu la questionner sur son métier, son pouvoir, la raison de son comportement dès plus étrange, mais elle ignore s’il avait fait exprès de choisir cette question, mais c’était tout de même bien demandé. *Qui suis-je réellement… tant de chose à dire…Il est malin.*

Elle déposa alors sa tasse de thé sur la table devant elle et reprit sa position initiale; jambe croisée et déposa ses mains contre ses cuisses. C’était une position confortable et où elle avait le dos droit. Idéale pour lorsqu’elle devait rester assise pendant un certain temps.

- Je suis Nemue Lynella. Certains me connaissent sous le nom de La sorcière. Je suis membre de la noblesse et possède ma propre boutique; l’Apothicarium qui se situe à Manillam.

Elle marque une pause intentionnelle observant le visage de ce dernier. Peut-être qu’évoquer son surnom avait réussi à lui mettre la puce à l’oreille. Elle avait déjà aidé la garde par le passé, alors peut-être en avait-il entendu parler?

-  Je suis apothicaire et reçois parfois des malades dans ma demeure pour les soigner puisqu’il faut avoir une certaine connaissance appropriée. On me qualifie parfois d’escroc ou de charlatan puisqu’il est parfois difficile de croire en ce qu’on ne peut pas voir. Je aussi médium,  mais cela grâce à mon pouvoir qui me permet de communiquer avec les défunts.

Nemue était restée en surface, mais avait globalement fait le tour. C’était une façon rapide de se décrire. Elle aidait les autres dans le besoin. Elle n’avait jamais abusé de son titre bien qu’elle faisait souvent appel aux citoyens d’Aryon pour l’aider dans sa quête aux ingrédients. Ils étaient toujours récompensés pour leur dur travail! Elle connaissait ses limites et n’était pas une combattante. Elle pouvait se défendre rapidement par la surprise, frapper là où ça faisait mal, mais elle ne pourra pas s’éterniser. Elle n’avait pas plus appris le maniement des armes. Même sa dague était un élément de surprise. Ses parents seraient dans tous leurs états s’ils apprenaient que leur fille n’avait pas pris de garde du corps à ses côtés afin d’assurer sa sécurité. Nemue n’était pas dame qui profitait des autres, puis cela brimerait en partie sa liberté tel un oiseau en cage qui ne pourrait plus voyager où bon lui semble.

La dame sirota de nouveau son thé, observant le garde un certain temps. Bien sûr elle lui avait mentionné une seule question, mais dans l’optique d’apprendre à se connaître, elle lui permettrait de le questionner comme bon lui semblait. Seulement, elle déciderait de ce qu’elle répondrait à ce moment-là.

- J’espère que vous avez trouvé réponse à vos questions et que j’ai pu satisfaire en quelque sorte votre curiosité. Si vous désirez en connaître davantage, il faudra spécifier votre question bien que certaines devront être répondues autour d’un verre.

Un petit sourire enjôleur pour lui montrer que bien malgré la révélation de son apparence, Nemue ne retirait pas son offre pour une prochaine fois.

Ses perles verdoyantes fixées sur son visage cherchaient le moindre signe qui pourrait aviser la demoiselle que ce dernier paraissait horrifié par la femme. Après tout, ce n’était pas tout le monde qui appréciait la présence de Nemue. On l’avait longtemps évitée petite puisqu’elle n’hésitait pas à dire à tout un chacun quelle était la nature de son pouvoir. Ses parents, avec le temps, lui avaient intimé de taire celui-ci et de ne plus jamais en parler, mais il était trop tard. Le bouche à oreille avait déjà fait son bout de chemin et la demoiselle avait fini par vieillir devenant ainsi une magnifique jeune femme qui ne demandait qu’à gagner son indépendance. Aider de ses parents, ils firent construire sa demeure puis l’aidèrent à acheter l’emplacement de sa boutique.  Elle avait eu de nombreux prétendants, mais aucun n’avait eu la force de rester auprès de la femme, qui avec le temps, avait refermé son cœur à toute nouvelle rencontre. Elle avait décidé de consacrer sa vie à aider les citoyens dans le besoin, écrivant ses mémoires, ses recettes ou bien ses observations qu’elle gardait précieusement dans les bibliothèques de son bureau. Nemue était une femme innovante et ne se contentait pas de reproduire les recettes qui existaient déjà. *À quoi suis-je en train de penser. Je suis en train de perdre le fil*

Elle réitère son invitation à boire un verre précisant à ce dernier que certaines questions ne pourraient être répondues qu’à ce moment ce qui sembla attiré sa curiosité. En effet, quel genre de questions méritait d’être abordé dans cette situation. Des questions plus personnelles touchant le pouvoir de la femme, ou bien sur ses goûts personnels ou sur son passé. La sorcière ne s’imaginait pas dès la première sortie lui raconter comment elle avait découvert son pouvoir. C’était un sujet assez sensible qu’elle n’aimait pas aborder. L’expérience avait été traumatisante et surtout le contexte qui avait mené à cela. *Bon ça suffit, Nemue, ne pensons plus à cela et concentrons-nous sur notre ami*

Elle baissa doucement la tête détournant son visage un bref instant observant l’horizon et quand elle revint à lui, ses longs cils battirent rapidement suivit d’un sourire.

- Vous savez, vous n’étiez pas obligé de vous cacher derrière ces quelques pintes pour trouver un prétexte pour passer du temps avec moi de nouveau. Il suffisait de le demander.

Sirotant calmement le peu de thé qui lui restait, Nemue se retint pour ne pas rire. Après tout, s’il y a bien quelqu’un qui avait sous-entendu une nouvelle rencontre c’était bien elle. La sorcière était ainsi. Elle aimait taquiner innocemment les personnes qu’elle côtoyait, et ce en gardant toujours son impassible visage. La seule chose qui aurait pu la trahir en cet instant est l’étincelle qui brillait dans ses prunelles.

- Brève de plaisanterie. J’imagine que je peux communiquer avec vous en envoyant une missive à la caserne du village perché afin de vous inviter. J’ai une belle collection de vin et spiritueux puis je pourrai vous éviter la honte de ne pas tenir l’alcool face à une femme de ma trempe.

Bon, cette fois-ci l’espièglerie se lisait très certainement sur son visage parce qu’elle le montrait volontairement.

- Plus sérieusement, vous pourriez troquer votre armure pour une tenue plus confortable. Nous pourrions manger aussi! Enfin, je suis une piètre cuisinière bien que je me débrouille un peu en ce qui concerne les pâtisseries.

*Diantre! Je m’égare!* pensa-t-elle en glissant une main contre son front. Un petit sourire désolé et quelque peu gêné et elle se redresse.

- Pardon, je dois vous effrayer avec tout cela. Si je continue ainsi, vous ne lirez jamais la lettre de mon invitation. Sinon, mis à part la charmante personne qui se tient devant moi, que pouvez-vous me dire sur vous. Par exemple, sans être trop dans le personnel, qu’est-ce qui vous a mené vers cette carrière? Ce ne fut pas difficile d’en arriver jusqu’à votre titre? Je suis curieuse de savoir ce qui peut pousser les gens à prendre les armes pour aider son prochain. Attention, je ne juge pas, cela prend de tout pour faire un monde.

D’un simple hochement de tête, Alvar avait affirmé à la dame qu’elle pouvait le contacter en envoyant sa lettre vers la caserne. Bien sûr, elle n’avait qu’à mentionner qu’elle lui était adressée. Bien sûr, elle s’était perdue en chemin et l’avait réalisé bien assez tôt. Après tout, peut-être qu’elle intimidait ce dernier par sa franchise. Elle n’était pas considérée comme une pipelette, mais au moins il savait à quoi s’attendre avec cette dernière. Pas de  mauvaises surprises si on pouvait le dire ainsi.

D’ailleurs elle avait noté un léger changement chez son ami qui semblait manipuler bien trop cette pauvre cuillère et avait même quitté son regard. Enfin, elle n’était pas sotte et décida par la même occasion de changer de sujet. Elle avait bien parlé d’elle, mais ne connaissait ce dernier que de nom et de son physique. Du coup, elle questionne. Une question assez longue et qui donnait matière à réflexion au soldat. Ce n’était certainement pas la première fois qu’il devait répondre à cela, mais Nemue s’attendait à plus qu’une simple réponse. Avoir un avenir glorieux ou avoir des faits d’armes ne l’intéressait pas. Ce n’était pas une assez bonne réponse.

Des complications durant son enfance à cause de sa condition. Nombreux sont ceux ayant fourni les efforts pour le maintenir en vie. Alors afin de remercier tous ces gens qui l’ont aidé il a décidé de les protéger en retour. Nemue ne dit rien, mais prenons note qu’elle s’est figée un bref instant lorsque celui-ci à parler de sa condition comme étant un handicap. Et encore une fois il en reparle. Sa joue se creuse alors qu’elle meurt d’envie de lui dire, de l’attraper par les mains et lui faire comprendre qu’il ne doit pas voir cela comme un handicap! *Il devrait avoir bien plus de confiance en lui. Valoriser ce qu’il est et non l’inverse*

Enfin, elle le regarde curieusement relevant un sourcil et se pencha à son tour en sa direction afin d’entendre sa voix. S’il faisait dans la discrétion c’est que cela devait être grand secret au point même de vérifier si des oreilles indiscrètes écoutaient leur conversation.

En effet, elle était surprise par ce qu’il venait de dire, mais ça ne la choquait pas en vrai. Elle se souvient justement de la fille de son patient qui avait besoin de manger énormément de viande cuite ou crue pour regagner de son énergie et même qu’il lui arrivait de manger des insectes tant que ça lui donnait des protéines. Alors la demoiselle dépose la délicate tasse sur la table et étire son bras afin de déposer sa main contre la sienne.

- N’en soyez pas désolé. Comme je vous l’ai dit plus tôt, vous êtes parfait comme vous l’êtes. Alors s’il faut adapter le menu pour que vous puissiez manger en ma compagnie qu’il en soit ainsi. Et il ne faut pas avoir honte. Ce n’est pas votre décision, vous n’avez pas choisi ces conditions. Enfin, je ne vous forcerai jamais à faire quelque chose qui pourra vous rendre mal à l’aise, mais je vous le dis, avec moi, vous pouvez être vous-même.

Ce n’est certainement pas la vue du sang qui l’horripile.

- Mais je vous accorde que votre cause est louable. Vouloir rendre aux autres ce qui nous a été offert par le passé fait de vous un grand homme et encore plus parce que votre désir est de protéger le peuple. Dans un certain sens je trouve qu’on se ressemble vous et moi.

Nemue termina son thé d’une dernière gorgé. Elle ne voyait pas réellement le temps passé en sa compagnie, mais elle trouvait cette rencontre des plus incongrus des plus agréables. Alvar était un homme charmant et fort courtois doté d’une galanterie exemplaire.

- Il y a des endroits que je devrais absolument voir ici? Une vue époustouflante, une boutique vendant des objets rocambolesques. Enfin, à moins que le temps nous soit maintenant compter.  

Ce dernier ne devait pas être habitué à discuter aussi ouvertement avec d’autres gens, enfin, c’est ce qu’elle en déduisait. Mais c’était déjà un très grand pas pour ce dernier, n’est-ce pas? Après tout, dès leur première rencontre, il avait révélé bien des aspects de ce qu’il gardait secret à la sorcière. Était-ce elle qui dégageait cette aura de confiance pour qu’il s’ouvre ainsi ou lui avait-elle jeté un sort?

Les compliments fusent de tous les côtés; Nemue valorisait ce dernier et Alvar mentionnait que la garde avait autant besoin d’apothicaire comme elle. Bien sûr, elle prenait le compliment, mais n’en rajouta pas se contentant de lui sourire. Si seulement il savait quel genre d’ingrédient elles pouvaient utiliser. Cette dernière n’était pas appelée la sorcière que pour son pouvoir, non. Elle avait des méthodes très atypiques pour quelqu’un travaillant dans le domaine de la médecine. Enfin, tant que cela fonctionnait, n’est-ce pas?

Malheureusement, le temps ne se fige pas même en présence de bonne compagnie et Nemue dut en faire évidemment la remarque, bien qu’elle cherche un moyen de rallonger cette rencontre encore un petit moment si celui-ci en avait le temps. Bien que tout récemment mutées dans le village perché, les patrouilles qu’il avait faites avaient pu lui permettre de découvrir quelques vues qui étaient plutôt sublimes. Malencontreusement, ce dernier devait bientôt retourner à la caserne, mais donnait tout de même la possibilité à Nemue de l’accompagner jusque-là, ce qui lui permettrait de lui faire découvrir ses trouvailles. Bien sûr, elle ne pourrait pas réellement profiter de la vue en sa compagnie, mais c’était déjà bien aimable de sa part.

- Et bien, je vais vous accompagner avec joie, mon cher ami.

Puisque tous deux avaient terminé, la sorcière s’apprêtait à sortir sa bourse afin de payer leur consommation, mais Alvar fut plus rapide. Nemue fronça les sourcils lui donnant un air quelque peu contrarier, mais se radoucit aussitôt en le voyant remercier le personnel.

- Vous n’auriez pas dû, c’est moi qui vous ai invité, mais merci tout de même.

Elle glissa sa délicate main dans la sienne qui était tendue en sa direction et elle se leva aider de ce dernier. Prenant sa cape qu’elle déposa sur ses épaules, elle fit un rapide mouvement afin d’y retirer les plies qui s’y étaient formés puis observa son compagnon qui avait opté pour garder son visage à découvert. La demoiselle lui transmit un sourire fier alors qu’elle déposa sa sénestre sur son bras malgré l’armure qu’il portait.

- Allons-y avant qu’il ne soit trop tard. D’ailleurs, maintenant j’y pense, je devrai me trouver un endroit où loger. Ça m’est complètement sorti de la tête et je ne reprendrai pas la route de ce pas. Ce serait bien dangereux de voyager de nuit, bien que ce ne soit pas la première fois.

La dame s’accrocha à son bras gardant toujours une distance respectable avec ce dernier. Elle ne cherchait pas à créer de quiproquo sur la nature de leur relation. Après tout, elle allait quitter ce lieu et elle ne voudrait pas que ce dernier se retrouve avec une rumeur collé sur le dos parce qu’elle se serait collée à ce dernier un peu trop comme une prétendante l’aurait fait. Non, il s’agissait là d’une relation amicale et respectueuse. Bien sûr que les regards se tournaient en leur direction, mais cela n’empêchait pas Nemue de sourire.