Sommeil de therme

- "Deux ragoûts et pommes de terre !"

- "Je vous fais ça de suite !"

Au sein d'une cuisine, assisté par un chef et un serveur alternant entre la salle et les plats froids, Nora avait trouvé de l'emploi pour la soirée. Loin d'être assigné à quoi que ce soit au nom de la Guilde, le jeune homme se trouvait principalement ici pour payer à moindre frais sa chambre à coucher pour la nuit. Revenu d'une petite quête lambda dans laquelle il devait escorter un couple marchand de la Capitale jusqu'à leurs village, l'aventurier avait décidé de faire escale dans cette petite bourgade à proximité des plaines pour s'offrir une bonne nuit de sommeil après plusieurs jours de marche – la charrette ayant été tiré par une seule bourrique, capricieuse qui plus est – pour une expédition qui ne lui aurait couté qu'un jour et demi à pied tout seul, au grand maximum.

- "Eos, cesse de rêvasser, où est la foutue sauce d'agneau ?!"

Prit d'une légère panique, le jeune homme chercha entre les différentes casseroles du regard pour trouver ce qu'il cherchait. Et finalement, son regard se posa sur un récipient contenant la sauce brune pour napper une viande ... cette dernière qui elle aussi, avait l'air d'avoir un problème.

- "Cette viande est crue !"

- "E-Excusez-moi monsieur Gormon Radsay !"

Posant la sauce sur le plan de travail et se saisissant de la pièce de viande avec des pinces en bois, il jeta cette dernière dans son restant de jus pour la faire revenir à nouveau. Le client avait spécifié sa cuisson bleue, mais comme tout le monde le sait, il fallait lui faire saignante si on voulait éviter le cauchemar en cuisine.

Le coup de feu fut mouvementé, mais une fois terminé, la chasseur put finalement souffler un coup et jeta un coup d'œil vers le chef. Assit à une table avec un sandwich entre les mains, l'air plutôt idiot d'ailleurs.

- "Enfin de la foutue bonne nourriture."

Décidant d'ignorer ce stéréotype de cuisinier autoritaire, le jeune homme fit déglacer avec un peu de vin une poêle où la viande avait cuit. Et à l'aide du restant de chaleur présent dans la fonte, fit porter à légère ébullition le liquide perdant de son alcool et s'enrichissant en saveur. S'étant réservé deux pommes de terre à l'eau et donnant de la consistance à sa sauce avec de la farine, il put s'offrir un repas disons plus luxueux qu'à son habitude, bien que ce n'était pas du grand art mais ça, il n'en avait pas grand-chose à faire tant qu'il pouvait manger avant de dormir.

Prenant sa pause en dégustant son plat, tranquillement dans son coin, le service en cuisine avait prit fin et le bar prenait le relais, à cette heure-ci peu de consommation étaient autre que de l'alcool, ce qui permit au jeune homme de pleinement savourer son repas. Du moins il aurait voulu, car le serveur, l'air dubitatif avec son éternel ton indolent entra dans la pièce réservée aux cuisiniers pour annoncer à haute voix.

- "Ah, t'es là toi. Il me faudra un thé, après tu pourras terminer ton service."

Et il partit aussi vite qu'il était arrivé en pestant de manière inaudible. Un thé ? Pourquoi pas, il pourrait même en faire un peu plus pour lui, puisque après-tout, pourquoi pas ne profiter d'une boisson non-alcoolisée avant de se préparer à dormir ? Se levant de table en savourant une dernière bouchée de son assiette, le jeune homme s'avança en direction de l'étagère à épice et put trouver quelques grains de café entiers et un bocal sur lequel était écrit "Thé Spécial" à la main. Le pot en lui-même semblait plutôt couteux et, mis à part celui-ci, il n'y avait que des thés bas-de-gamme donnant l'impression de boire de l'eau chaude, sans odeur, en somme, rien de bien folichon. Ce serait le jour de chance du client qui à prix d'une consommation peu couteuse se verrait servit ce qui est probablement un thé de luxe.

En quelques minutes à peine, l'eau atteignait la température idéale et l'aventurier la retira du feu pour faire infuser les herbes directement dans celle-ci, libérant ainsi leur plein potentiel puis, retirant les herbes séchées en filtrant la boisson au travers d'un tissu fin, il s'égaya de l'odeur plutôt agréable, dans deux tasses dont une qu'il garda pour lui.

Débarrassant sa place et attrapant la clé de sa chambre au passage, l'aventurier glissa cette dernière dans la serrure et découvrit – sans trop de surprise – une piaule un peu miteuse, poussiéreuse et peu accueillante. M'enfin, au moins il y avait un lit. Ouvrant la seule fenêtre donnant sur la route empruntée par des carrioles et autres voitures en journée, Nora secoua un coup ses draps dans le vide pour éviter de s'étouffer avec ce qu'il y avait de poussière. Une fois n'étant pas coutume, autant profiter d'un lit plus ou moins confortable, déjà mieux qu'un hamac mal stabilisé ou le sol lui-même.

Rouvrant les yeux en sentant une brise fraîche, le jeune homme pensa avoir oublié d'avoir fermé sa fenêtre avant de dormir, ce qu'il vit lui laissa une toute autre impression en tête. Le sol, d'herbes et de dalles, s'estompait à quelques mètres à peine du jeune homme, comme au rebord d'une falaise au-dessus de laquelle on ne voulait définitivement pas se pencher, laissant l'horizon se teinter d'une épaisse couche de brume dont la noirceur n'avait d'égal que l'étendu céleste par nuit d'orage. Bien loin de ce schéma-là, les astres étaient parfaitement visibles, eux, si bien que par curiosité le jeune homme tenta de trouver une ligne distincte délimitant le néant des étoiles, à l'horizon. De part et d'autre, des colonnes – semblablement de marbre – s'élevaient du sol comme si par le passé, elles avaient été érigées pour maintenir un atrium de forme ovale, encerclant un grand bassin dont le reflet bleuté laissait rêveur. La fine couche de brume était d'autant plus attrayante en dénotant par sa simple présence les propriétés relaxantes qu'auraient un bain dans cette eau limpide, au fond de laquelle scintillait des galets ? Non, bien plus noble que ça, leurs transparences et leurs éclats rappelaient plutôt des pierres précieuses, saphir, citrine, diamant, tous en prenant des formes sphériques aux bords lisses. L'eau à cet endroit semblait également un peu plus profonde, ce qui causa au jeune homme de devoir trouver un endroit dont l'entrée se ferait plus en douceur, car, il était bien évident qu'il allait profiter de sa baignade sans se soucier de savoir comment il était arrivé ici, puis ce ne serait pas sa première expérience étrange depuis un moment, alors autant apprendre immédiatement à profiter des petits cadeaux de la vie.

Longeant la rive, le regard perdu au fond de l'eau, le garçon ne remarqua la présence d'une autre personne que quand elle haussa la voix d'un ton entre l'interrogation et la méfiance. Son timbre était plutôt grave, la voix d'un homme donc, qui brisa le silence presque religieux de l'endroit. Ce n'est pas pour autant que le jeune homme se braqua, même plutôt rassuré de voir quelqu'un d'autre, dans un sens.

- "Excusez-moi, je ne vous avais pas remarqué. Je suis Nora Eos, aventurier."

Par réflexe, il voulut sortir sa plaque pour la montrer en guise de preuve, mais sans s'être soucié de son apparence, il remarqua son accoutrement disons ... singulier. Une robe, comme celle que l'on porte en chambre, avec de jolies finitions et fermée par une ceinture large, faite du même tissus, lacée à l'arrière pour maintenir le tout en place. Comment se faisait-il qu'il n'avait pas fait attention à ce détail avant ? Lui qui était aussi pointilleux en général sur ce genre d'indice, il avait navigué au sein d'un monde nouveau sans la moindre inquiétude ni-même remarquer qu'il n'avait ni ses armes, ni ses habits de la veille, ni sa plaque. Autant pour la présentation traditionnelle, aussi, il aurait aimé s'approcher un peu plus pour mieux détailler l'autre personne présente, lui-même ne devant pas être très visible derrière le rideau de vapeur floutant les traits du visage de chacun. C'est donc en tentant d'en apprendre plus sur l'endroit qu'il fit quelques pas vers l'origine de la voix, gardant ses mains bien en évidence le long du corps, un réflexe acquis lors de ses différentes négociations afin de rassurer une personne éventuellement trop tendue.

- "Connaissez-vous cet endroit ? Je ne l'ai jamais vu et pourtant ... j'ai l'impression de toujours l'avoir connu, c'est une sensation étrange."

Sommeil de therme

La confusion se dispersait naturellement en même temps que le nuage de vapeur, à mesure que l'aventurier approchait. Le teint de peau de son ami était sombre, tirant légèrement au rouge, dessinant à chaque pas dans sa direction un nouveau trait atypique qui intrigua le jeune homme, comme un enfant découvrant un nouveau mot et cherchera à le décortiquer. Une mâchoire plus ferme mais aussi munie de dents plus puissantes, des traits tirés et des prunelles aussi noires que le néant qui les entourait. C'est en tentant de cacher sa curiosité et sa fascination – par politesse – que le jeune homme lui souriait de nouveau, une fois à une dizaine de mètres à peine, là où les traits étaient presque clairement lisibles. Cet homme s'était présenté comme un certain Alvar de Brumerive, un nom bien singulier, mais qui restait en tête pour des raisons que le garçon ignorait, ressentant également une aura propre aux gradés militaires autour de l'homme à la carrure plantée.

- "Je ne saurais trop l'expliquer, honnêtement ... C'est comme si ... cet endroit était important, d'une manière que j'ignore ..."

L'air un peu pensif, il s'était tourné vers l'étendue d'eau et une fois de plus, les pierres au fond de l'eau happaient son esprit, comme si elles l'invitaient à nager et s'étendre au fond du bassin, tête sous l'eau. Une mauvaise idée en somme, car avec cette chaleur qui émanait du bain, il n'aurait pas longtemps résisté et perdre conscience ici ne résultera probablement en rien de bon.

L'homme à la voix rauque repassa ses souvenirs de la veille à voix haute, ayant prit un thé dans une taverne, trouvé le sommeil et réveillé par la brise. Cette dernière étape semblait similaire à la sienne, les autres ... Un instant, les autres ? Grattant son menton d'un air pensif et inquiet, le jeune homme avec ayant gardé plus de ce second sentiment que du premier retrouva l'ébène du regard d'Alvar.

- "Je ... c'est vraiment étrange, je ne sais plus ce que j'ai fais hier ... Cette histoire, d'être réveillé par le vent, oui, je me demandais si je n'avais pas oublié de fermer une fenêtre même mais ..."

Tant de questions à la fois, mais il avait déjà une piste. Une fenêtre, car le jeune homme ne dormait que rarement dans une auberge, ainsi il avait déjà un semblant plus de contexte. Mais pour le reste, il était dans le vague.

- "Même mon don ne pourra pas m'aider, c'est une plaie ... Je crois vous sentir légèrement mal à l'aise ici, malheureusement je ne saurais trop comment vous aider, qui sait, après, si la solution n'est pas de se vider la tête. Ainsi j'arriverais peut-être à refaire de l'ordre dans la mienne."

Jetant un nouveau regard vers l'eau, l'aventurier, pieds nus, leva sa robe jusqu'au-dessus des genoux pour barboter en réfléchissant à sa situation. Qu'avait-il fait hier ? Ses souvenirs étaient altérés et il n'avait pour lui que l'état de son corps à analyser, sans garantie qu'il n'ait pas lui aussi été changé par son "voyage" jusqu'à ce drôle d'endroit. La vapeur d'eau rendait l'air un peu plus dense, cette difficulté à respirer évoqua des fragrances végétales qu'il avait faillit oublier, malgré quoi là était le premier indice.

- "Un thé ..."

Agitant lentement ses jambes dans l'eau pour en savourer la chaleur réconfortante, il créa des remous et vit, comme si elles avaient été toujours là, des feuilles aromatiques séchées se déployer sur la surface du bassin. L'odeur qui s'en dégageait, accentuée par le brassement de ses jambes libérait de nouvelles odeurs et autres subtilités qu'on ne ressentait qu'avec le nez. Ce point-là, comme pointé à la lumière sur scène par les projecteurs de la vérité créa l'illumination dans le regard du chasseur étourdit.

- "Un thé ! Je me rappelle ! Comment était-ce déjà ... oui, il me semble avoir fait du thé, pourtant je n'en bois pas souvent, alors pourquoi ... Aaaah ..."

Soupirant, ce bref élan de lucidité n'avait fait qu'amener une autre question, le brouillard ne s'était pas arrêté au bout de son nez mais recouvrait bel et bien une mare de mystères qui ne demandait qu'à être brassée. Parlant de brasse, il eut sa première illumination en allant dans l'eau, pourquoi ne pas aller plus loin dans sa démarche ? C'est bien l'eau qui l'avait miraculeusement sauvé, lorsque Ain et lui s'étaient trouvés touchés par une malédiction calcinant leurs peaux au moindre contact avec les rayons du soleil. Alors pourquoi ne serait-ce pas l'eau qui, de nouveau, l'aiderait à trouver ses réponses et par extension, la sérénité d'esprit ? Retirant le haut de sa robe, il dévoila ses épaules, très certainement plus maigres que celles de l'officier, son tatouage au-dessus de l'omoplate droite et plusieurs cicatrices laissées par l'aventure devenue soudainement périlleuse au cours des deux derniers mois.

- "Je ressens cette chose, quand je suis dans l'eau, comme si elle m'aidait à m'éclaircir les idées. Vous devriez peut-être essayer d'y mettre au moins les jambes, qui sait ce que vous pourriez trouver comme souvenir ainsi."

Et ainsi il passa ses mains dans son dos pour tirer sur le nœud qui comme par magie, tomba à l'avant et libéra le jeune homme de sa tenue, maintenant portant un sous-vêtement qu'il comptait emporter avec lui dans sa baignade, car, peu pudique avec les membres du même genre, il tenait tout de même à ne pas se montrer trop intime avec n'importe qui. La robe laissée sur le côté du bassin, là où elle ne serait pas éclaboussée par un mouvement maladroit du chasseur, il avança de quelques mètres vers un rocher au milieu du bassin, l'eau lui arrivait encore à peine au-dessus des rotules, à cette distance, il put alors s'asseoir et la surface lui arrivait maintenant sous la clavicule. Un petit frisson parcouru son échine et la relaxation n'en fut que plus simple, fermant un instant les yeux en lâchant un nouveau soupire, de confort cette fois-ci.

Pourquoi étaient-ils là ? Pourquoi cet endroit lui semblait familier ? Pourquoi ne se rappelle-t-il pas de la veille, aussi ? Ces questions bousculées par un sentiment de plénitude séparèrent en deux la psyché du jeune homme. Une partie souhaitant élucider ce mystère, l'autre, profiter du bain et oublier ses soucis, aucune option ne semblait mauvaise, l'une sûrement plus productive que l'autre, quoique le repos est aussi important que l'effort pour un exercice quotidien sain. S'inquiétant de l'état d'Alvar, il ouvrit un œil, lui aussi devait être inquiet et bien qu'ils ne soient pas loin l'un de l'autre, il ne souhaitait pas lui donner l'impression de l'avoir abandonné. Ainsi il lui adressa de nouveau la parole et sur le ton de l'interrogation, demanda.

- "Vous avez parlé de thé, vous rappelez-vous de son goût ? Peut-être l'apprendre m'aidera à retrouver un peu plus de mes souvenirs."

Sommeil de therme

L'officier Alvar, de sa voix profonde qui allait si bien à son apparence physique rendit son verdict. Un thé noir, lui évoquant visiblement des souvenirs et son visage étira un sourire plutôt rassurant. Il est vrai que ses traits étaient uniques, il n'était pas le seul a subir les effets de sa magie, mais voir – ce que beaucoup auraient considérés comme une créature peu séduisante – arborer un tel sourire avait quelque chose d'apaisant. Comme il l'aurait dit à une âme en peine, peu sont plus humains que celui arrivant à ouvrir son cœur et, étrangement, cela créa une proximité inconsciente entre le garde et l'aventurier, aux yeux de ce dernier. L'eau se teintait lentement d'un brun progressif, comme celui de la boisson évoquée par le grand homme hors de l'eau plus tôt. Était-ce là une illusion, le fruit d'une auto-persuasion issue des propos d'Alvar ? Pourtant lui aussi semblait confirmer cette hypothèse, d'une certaine manière, en évoquant un songe lucide dans lequel ils se seraient retrouvés tout les deux.

- "Je n'ai pas souvent eu de songe lucide, alors je ne saurais pas vraiment m'avancer, mais ... la sensation de pouvoir toucher, la chaleur de l'eau, tout ne serait pas un peu trop ... réel ?"

Intrigué, le garçon recueillit un peu d'eau au creux de sa paume et la porta sous son nez. Tout ses sens étaient parfaitement fonctionnels, alors comment aurait-ce pu être un rêve ? Le liquide avait également récupéré une nouvelle fragrance, comme en constante évolution depuis que le duo portait une meilleure attention aux détails, une odeur légèrement boisée et corsée, du genre de celles qui – à trop forte dose – donne envie de tousser pour chasser la sensation d'aridité qui s'installait dans la gorge. Baissant sa main pour respirer de nouveau, il ne put chasser cette odeur de son nez, comme si elle était déjà présente dans l'air à tout instant depuis qu'il l'avait constaté.

- "C'est comme si ... aussitôt que notre esprit assimilait une idée de manière inconsciente, cette idée prenait vie dans la foulée, j'ai senti l'eau et elle a une odeur bien particulière, je ne saurais pas trop mettre de nom sur celle-ci, cependant ..."

Allant chercher de l'eau au plus loin de son corps pour faire une expérience disons peu ragoutante, il trempa de nouveau le bout de son index et de son majeur pour récolter un peu plus de ce liquide, venant le déposer au coin de ses lèvres pour le gouter discrètement. Il n'y avait rien de glamour à examiner les saveurs de l'eau de son bain, ni celle du bain des autres d'ailleurs, la vendre en prime serait le pire, mais personne n'oserait faire une chose pareille, si ?

Revenant sur le sujet important, Nora cru déceler des notes d'un alcool qu'il connaissait bien, aussi, maintenant l'idée assimilée, il confirma son hypothèse en déplorant un certain tournis et une sensation d'euphorie naissante. Il faudrait sûrement prévenir son ami de son état afin de lui épargner le désagrément. L'aventurier se redressa en lui faisant part de son impression.

- "J'ai l'impression d'avoir la tête qui tourne, ce n'est pas dû à la chaleur, mais à-AH"

Sur un mauvais appui, le jeune homme s'étala en avant, finissant presque la tête intégralement sous l'eau. En remontant, une sensation de chaleur monta dans ses joues et la mine plus rouge, il s'efforça de tousser dans son coude pour se libérer de la sensation désagréable de l'alcool brûlant l'œsophage.

- "Arf ... j'en ai dans le nez, c'est horrible comme sensation ..."

Soufflant en vain par les narines, puis les pinçant, il tenta de chasser l'ébriété naissante, en vain, car chacun de ses pas vers la rive était plus engourdi que le précédent.

Sommeil de therme

Sentant la hâte de son compagnon et la bienveillance, l’aventurier se laissa conforter par les tapes amicales de son partenaire de bain à la boisson. D’une manière peu raffinée, il fit quelques bruits avec sa gorge, tentant le tout pour le tout afin de se libérer du profil épicé si atypique de la boisson de pirates, comme appelée par une majorité de la population vivant dans les plaines centrales. Bien assez tôt, Alvar invita le jeune homme à retourner sur la rive, une sage décision pour lui-même ayant visiblement du mal à aligner les syllabes. S’apprêtant à le railler en toute camaraderie, le cœur bon enfant, il se prit à lui aussi avoir plus de mal qu’escompté.

- "J’te l’fais pas bdire … quééééééé ? "

Visiblement trop alcoolisé pour son propre bien, la solution idéale serait de le suivre bien sagement sans faire d’histoire en tentant de préserver son équilibre cette fois-ci – il le fit plutôt bien, d’ailleurs, arrivant entier jusqu’au bord où Alvar sortait avec une difficulté visible, même éméché. Posant ses mains sur les deux bords, Nora se tracta mollement hors du bain d’alcool et, en manque d’allonge pour terminer de s’extirper intégralement, battit des jambes et du bassin comme un poisson hors de l’eau.

- "J’suis une carpe, magique qui plus est … une Magic-carpe ! Ahahah !"

Rigolant de sa propre vanne douteuse, il n’avait plus aucune barrière dans cet état peu glorieux, alors autant y aller avec les blagues moyennes.

- "A défaut d’pouvoir faire trempette, j’utiliserais bien mes talents de lutte contre l’alcool, mais c’est pas très efficace … Ahahah !"

Trop saoulé pour comprendre lui-même le sens de ses mots, il porta un peu plus attention à son partenaire qui semblait se prélasser sur les dalles fraiches, pas une mauvaise idée, mais il semblait déjà s’endormir.

- "Que-quoi ?! Non, si tu t’endors maintenant tu seras plus mon partenaire de bain ! Tu veux vraiment devenir mon ex-partenaire ? … MAIS C’EST QU’IL RONFLE EN PLUS, REVIENS LA, RONFLE-EX PARTENAIRE !"

Il posa une main face à lui pour s’approcher et réveiller son nouvel ami mais le contact avec sa paume bouillante et le sol lui donna une autre idée : il s’étala donc et profita sur son torse nu des bienfaits de la fraîcheur pour lui aussi s’assoupir en un rien de temps.

Rouvrant les yeux dans sa chambre, après un rêve disons … spécial, le chasseur observa sa tenue, la même que la veille, la fenêtre de la chambre était fermée et aucun homme ressemblant à Alvar à l’horizon. N’étant plus du tout sous les effets de l’alcool et laissant le crédit de ce songe à son imagination débordante, il se rhabilla aussitôt levé, passa un coup d’eau sur son visage et descendit au rez-de-chaussée, détaillant les quelques clients brièvement sans reconnaître un seul visage, sinon celui du tavernier en train de s’occuper du ménage. Posant sa clé de chambre sur le plan de travail, l’aventurier se dirigea vers la sortie, examinant une fois de plus les visages présents, plus ou moins inconsciemment.

Ce songe n’avait pas manqué de consistance, il avait même l’air tout à fait réel et ne disparaissait pas de sa mémoire comme tout les autres. Mettant ce phénomène de côté pour l’étudier une fois installé à son prochain campement, il se promit de garder en tête le visage presque trop réel d’Alvar, s’il le rencontrait prochainement, il aurait quelques questions à lui poser, alors il aurait fait pâle figure à oublier ses traits pourtant bien singuliers. Avec un peu de chance, il ne portera rien qui puisse dissimuler son identité, non, ce type là avait l’air d’un bon bougre, ça ne serait pas trop difficile – se dit naïvement l’aventurier, partit sur les chemins avec un objectif annexe en tête, qu’il accomplirait si Lucy lui en laisse la chance.