Après avoir effectué son entraînement obligatoire à la caserne – entraînement qu’il effectua avec zèle pour la première fois depuis de longues semaines –, Marc-Antoine partit visiter Noximilien. C’était là la première étape de ce plan fomenté de longue date. L’ingénieur était doué de multiples talents, sa volonté à créer de nouveaux items était sans égale, de même que sa curiosité. Le jeune garde tenait entre ses mains un paquet sur lequel était apposé le sceau des de l’Épée. Il salua son frère avant de lui céder ledit objet.
▬ Ceci vient de Perceval et Adeline. C’est pour … Mh. C’est pour tu sais quoi.
Celui que beaucoup surnommaient le clown de la famille de l’Épée prenait très à cœur son rôle de messager. Aussi, il prit une mine sérieuse qui ne manqua pas de décontenancer Noximilien. Malgré sa propension à fanfaronner en toutes circonstances, le visage de l’ingénieur se referma à son tour. Il avait bien sûr des doutes sur le contenu de ce paquet néanmoins, au fond de lui, il savait de quoi il en retournait. Alors qu’il s’apprêtait à l’ouvrir, il fut arrêté par l’épéiste.
▬ Pas encore. Dans une heure. Il faut encore qu’Adeline s’occupe d’un détail.
Adeline, précisément, effectuait une ronde en ce moment-même. Marc-Antoine prit congé de son aîné et partit à la recherche de celle qui était désormais garante de la pérennité de la famille. Le timing avait son importance et il devait s’assurer que tout soit en ordre. C’était là sa seule préoccupation. Il devait la prévenir que son travail avait été effectué pour que le plan passe dans sa seconde phase. Une fois ses dispositions prises vis à vis d'Adeline, Marc-Antoine se dirigea vers la pâtisserie ouverte par son aîné.
La discussion battait son plein, un désaccord sur des travaux. Dorian avait déjà eu accès à la plupart des notes et des papiers - directement ou par intermédiaire : l’esprit des gens était un terreau si fertile pour qui savait le lire. Les verres pour restaurer ces nobles sires en plein débat étaient à sa charge et le plateau encore chargé, il s’assura que personne n’avait d’yeux sur lui.
Discrètement, trahissant un entraînement rigoureux pour ce genre de pratique, Shir glissa le contenu d’une fine fiole dans le premier verre à portée. Il fit ensuite le tour de la table, ciblant méthodiquement son commanditaire lors du partage des boissons. Le concerné le remercia avant de le gratifier d’un sourire - l’Espion le sentait sincèrement reconnaissant, il ne put s’empêcher de lui rendre la pareille, son visage se déformant d’un sourire mesuré en retour.
Son forfait accompli il quitta la pièce, disparaissant derrière la porte de service.
- Et de un...
Récupérant son petit carnet personnel, il barra à l’aide d’un fusain le premier nom de sa longue liste. Diantre, il allait devoir se presser…
Il somma le serviteur le plus proche :
- Je suis attendu ailleurs, je te laisse la suite. Assure toi que ces messieurs ne manquent de rien.
Le ventre noué, la vue trouble, mes mains tentent désespéramment de soulever mon corps avachi contre le sol. Que s'est-il passé ? Pourquoi ai-je si mal ? Je ne comprends plus rien. Mes doigts trempent par inadvertance dans un liquide disposé là, non loin d'une coupe de bronze elle aussi renversée. AH ! JE ME SOUVIENS !
Malgré la terrible nausée et les vertiges qui me prennent, je tâte les environs afin de récupérer mon épée. Le temps presse, si je veux arriver à temps pour empêcher le pire de se produire, il va falloir que je passe outre mon état déplorable. La voila. Allons-y.
Avec l'annonce démesurée de Perceval, il m'était impossible de rester les bras croisés. J'ai mené ma propre enquête, et il s'avère que mes trouvailles sont bien plus inquiétantes que je ne l'aurai jamais pensé. Les ombres de la nation se soulèvent pour un obscur dessein, celui de la Chute de l’Épée.
— "RrrrrraaaaAAAARGH !"
Avec toute la puissance dont je peux faire preuve, avec toute la volonté qui coule dans mes veines, je me relève à bout de souffle. Le sol craquelle sous mes pas, il faut que j'arrive à me concentrer davantage. C'est parti. Je parcours les ruelles à grandes enjambées, mon corps vacillant au point de me jeter contre quelques murs en passant.
Arrivée à ma destination, le doux fumet de denrée chaude vient m'aider à déglutir. D'un seul regard, je peux décrire l'horreur qui se dessine devant mes yeux. Le corps inerte de mon grand-frère gît face contre terre au milieu de la bâtisse, baignant dans son propre sang. L'auteur de cette infamie est toujours présent, couteau à la main, prêt à finir son abominable travail. Sans avoir le temps de réfléchir, j'attrape l'entrée du bâtiment et y arrache un morceau conséquent de béton, que je jette avec légèreté mais également beaucoup d'effort contre l'agresseur, ce qui le fit valser au fond de la pièce.
Seule la rage se dessine sur mon visage, haletant et transpirant comme il n'est pas permis. A petits pas, je me rapproche de mon frère pour vérifier s'il est toujours en vie. Ses signes vitaux semblent encore présents, mais si je tarde trop il risquerait d'y passer pour de bon.
— "Aah... Rgh !... Sale ordure, ne crois pas... ahh... que tu vas t'en sortir vivant... !!!"
De nouveau sur mes deux jambes, ma lame dégainée, la silhouette tremblante, je me tiens devant cet assassin qui va regretter d'avoir levé la main sur un membre de ma précieuse famille.
Marc-Antoine se dirigeait d’un pas décidé vers la boulangerie de l’Épée. Cet établissement inspirait honte et dégoût au jeune interne. Qu’un membre de sa famille – qui plus est Perceval – daigne renier ses talents et ouvre pareil commerce ne faisait aucun sens aux yeux de Marc-Antoine. Fort heureusement le cadet de la famille allait restaurer l’honneur de sa maison, à sa manière et en prenant les rênes de celles-ci.
Pour mettre son plan à exécution, l’épéiste se devait en premier lieu d’écarter Adeline, ce qu’il fit avec quelques difficultés. Sa grande sœur n’était pas née de la dernière pluie et Marc-Antoine eut la plus grande peine à la droguer. De son côté Shir devait être en réunion, à jouer les anges gardiens pour allez savoir quel balourd de la cour. Le télépathe avait cette fâcheuse habitude de toujours vouloir régler les soucis d’autrui. Il perdait ainsi son temps à déposer dans les verres des puissants de ce monde diverses substances récoltées ci et là dont les vertus thérapeutiques allaient leur permettre de jouir d’une vie plus longue, en meilleure santé.
Marc-Antoine pénétra dans la boulangerie. Au même moment, à quelques lieues d’ici, une explosion retentit dans l’atelier de Noximilien. Le maître de la lumière avait ouvert son paquet et avait trouvé la mort de la façon la plus absurde qui soit.
Perceval fit volte-face, alerté par le bruit de la sonnette indiquant l’arrivée d’un nouveau client. Bien qu’armé d’un unique rouleau à pâtisserie, l’aîné de la famille représentait un danger pour Marc-Antoine qui s’empressa de planter un couteau dans la poitrine de son frère. Il ne comptait laisser aucune chance à l’homme qu’il haïssait le plus au monde. Pour cause, il savait qu’en combat régulier, ses chances de l’emporter étaient nulles. Alors qu’il s’efforça de planter sa lame au plus profond, le tablier de Perceval prit une teinte rougeâtre. Puis ce qui devait arriver arriva, l’homme s’écroula sous le regard noir de son disciple.
▬ …
Marc-Antoine n’en croyait pas ses yeux. Il avait réussi. Ce petit bout d’homme était parvenu à tuer deux de ses frères aînés dont Perceval. Il était encore trop tôt pour jubiler mais le bretteur ne put s’empêcher de s’esclaffer. L’interne devait encore procéder à l’exécution de Shir et Adeline pour enfin accéder au pouvoir. Adeline, justement, entra à son tour dans la boulangerie. Elle avait vu clair dans le jeu du grand blond et ne comptait pas laisser ce dernier décimer sa famille.
Bien que Marc-Antoine l’eût drogué, la jeune femme, de par sa robustesse naturelle et sa forte consistance, avait su tromper les calculs de son frère. Surpris, le jeune homme fit quelques pas vers l’arrière avant de recevoir un projectile qui l’envoya quelques mètres plus loin. Même diminuée, la force de sa sœur dépassait de loin la sienne. Pour l’interne, il n’était cependant plus question de reculer. Marc-Antoine avait beau ne pas maîtriser pleinement son pouvoir, il sentait l’adrénaline monter. Dans ces conditions et au vu du piteux état dans lequel se trouvait sa sœur, il avait ses chances.
Adeline allait mourir ici et maintenant, tout comme Perceval.
Épée en main, le fratricide s’élança vers Adeline avec une force et une vitesse qui lui était d’accoutumée étrangère.
Le temps m'est compté.
Quelque soit ma condition physique, quelques soient mes doutes et mes regrets, je n'ai pas le loisir de faire durer cette situation plus longtemps. Marc-Antoine s'élance vers moi avec une détermination rare chez lui, ça m'en brise le cœur. Des larmes perlent sur mes joues, mais elles n'enlèvent en rien la douleur et la rage qui animent mes faits et gestes. Une courte inspiration suffit à me mettre en position. Si d'accoutumée ma posture impose une domination totale sur mes opposants, le choc de nos épées détruit l'once d'équilibre sur lequel je comptais.
Un genou à terre, je reprends mon souffle et me redresse aussitôt pour éviter de donner plus d'ouvertures qu'il n'en faut à mon traître de petit frère. Pourquoi ? POURQUOI ?! Pourquoi faire une chose pareille ? Qu'a t-on fait pour mériter ça ? Dites-moi qu'il se fait contrôler par un pouvoir obscur et malfaisant, dites-moi qu'il ne s'agit pas de mon petit frère qui se tient en face de moi.
— "ARCHIBALD !!! Dis-moi que ce n'est pas toi ! Dis-moi pourquoi tu as fait ça !!!"
Les dents serrées, j'arme mes bras vers le plafond, épée toujours en main, afin d'asséner un coup vertical sur l'arme de Marc-Antoine. Cette fois-ci, j'ai pu concentrer toute ma force dans cette attaque, son épée, son armure, voire même le sol ne pourrait pas supporter un tel fracas. Je n'ai pas le temps de calmer mes ardeurs, ni de chercher la vérité sous ces actes fratricides. Il faut que j'en finisse.
Un curieux mélange d’adrénaline, d’endorphines et de plusieurs autres hormones furent secrétées en une fraction de secondes. De la même façon, une foultitude de neurotransmetteurs activa les neurones – car oui il en avait – de Marc-Antoine de sorte à améliorer sa réactivité. Alors que tout autour de lui lui paraissait plus lent, ses mouvements gagnèrent en fluidité. Le bretteur vit la lame de sa sœur fendre l’air et parvint à éviter la frappe en effectuant une roulade sur la gauche.
Accroupi, la surprise gagnait Marc-Antoine. L’interne observa ses propres dextres ainsi que sa lame puis tenta d’asséner une frappe latérale à sa sœur. Le tout ponctué d’un formidable :
▬ Crève !
La lame de Marc-Antoine se dirigea vers le flanc droit de sa sœur et des gouttes de sang finirent par couler. Un sourire démoniaque se dessina sur les lèvres du jeune homme qui pensait être parvenu à ses fins. En vérité il n’en était rien. Par réflexe, Adeline avait lâché son épée et la main de son aînée avait paré le coup. Alors qu’il tentait de retirer la lame, Marc-Antoine fut retenu par sa sœur. Le creux de sa main avait beau être meurtri, Adeline agrippait l'épée du fratricide de telle sorte à ce que ce dernier soit dans l’obligation de lâcher son arme. Bien conscient qu’il était condamné s’il se délestait de son épée, Marc-Antoine n’en fit rien. Peu importe sa vitesse et ses réflexes, l’interne était cloué sur place.
Elle le tenait et ne comptait pas le lâcher. Faisant usage de sa main valide, elle frappa son cadet à l'abdomen. Un filet de bave et de sang quitta les lèvres de ce dernier qui lâcha son arme et fut projeté plus loin. L'armure de Marc-Antoine n'avait pas résisté à cette seule attaque. Malgré tout, l'objet métallique avait rempli son office. Sans l'item en question, le jeune homme serait sûrement mort. En l'occurrence, il s'en était tiré. En très mauvais état, incapable de poursuivre le combat mais il s'en était tiré tout de même. Adeline avait utilisé ses dernières forces dans cette attaque et ne put profiter de la condition désastreuse de Marc-Antoine. La potion paralysante avait finalement fini par faire effet. Alertés par le bruit et le fracas, les autorités dévalaient la rue adjacente à celle où se trouvait la boutique. Bien qu'Adeline fut vulnérable, le fratricide profita de ses dernières forces pour quitter les lieux avant d'être arrêté. Le jeune homme se délesta de son armure fracassé, de son épée et de tous ses signes d'appartenance à la garde. Il éprouvait toutes les peines du monde à marcher néanmoins il le devait. Son plan avait échoué.