Depuis notre rêve partagé, tout semble aller pour le mieux entre Aslander et moi. Plus de quiproquo, nos sentiments ont été clarifiés et il ne devrait plus y avoir de glissade dans notre parcours. Aslander a été soigné et moi j’ai fait le point sur ce que je voulais bien que je ne pense pas cela possible. Enfin, je ne vais pas m’attarder sur le passé, n’est-ce pas? L’important c’est que tout va bien. Je vais arrêter de me répéter, je crois que vous avez compris le principe.  

Aslander et moi-même étions sur une mission où garde et aventurier avaient été quémandés. Une histoire de protection et d’élimination de créatures qui harcelaient les fermiers et leurs bêtes dans un visage avoisinant le grand-port. Du coup, ne connaissant pas réellement d’autre aventurier qui se situait dans le même périmètre que moi, je suis allée quérir l’aide de la seule personne que je connaissais, Aslander! On a prouvé que nous savions travailler en équipe alors pourquoi ne pas recommencer aujourd’hui.

Cela avait pris environ une demi-journée à pied pour nous y rendre, puisque j’avais laissé Arlequin à l’écurie du bastion. Après tout, s’il y avait des créatures capables de tuer des animaux d’élevage alors je ne prendrais pas de risque pour ce dernier. Bref, on se retrouve sur les lieux, on discute avec le responsable de la demande, on fait le tour du propriétaire et le temps de faire tout ça, il fait déjà soir. On nous offre le gîte ainsi qu’à manger et bien sûr, nous dormons dans des chambres séparées.

Le lendemain matin, lorsque j’ouvre les yeux, j’entends des bruits suspects. Pour comparer, on dirait des petits animaux qui tentent de marcher subtilement pour ne pas être repéré, sauf que lorsque je me redresse ce n’est pas un animal qui me regarde aux pieds de mon lit, mais bien une paire d’yeux qui me surveille de là. Je me redresse, sans porter attention à ce qu’il se trouve à mes côtés et je pousse un léger grognement. Ils n’ont pas dit à leur gosse que ce n’était pas poli d’entrer dans la chambre d’un invité? Sauf que j’ignore pourquoi, l’enfant qui se trouve à mes pieds se redresse tout souriant en me regardant et sans me demander la permission saute dans le lit.

« - Maman!
- …, je garde le silence. »

Et dès que celui-ci finit de parler, j’entends des pas de course arriver jusqu’à moi. Une jeune fille d’environ sept ans, suivi d’un garçon de cinq ans rentre en trombe et saute dans le lit en criant de nouveau maman, mais sans oublier cette fois-ci le papa. Je sursaute d’un coup et regarde sur le côté observant Aslander coucher à mes côtés avec quelques rides en plus… Mon cœur s’affole un instant. J’attrape le plus jeune qui se trouve à moitié sur moi et me lève d’un bon pour chercher un miroir. Je dépose ma main gauche contre celui-ci remarquant l’anneau qui se trouvait sur mon annulaire et observe mon visage qui a quelque peu changé…

«  Qu’est-ce qui se passe… »

L’enfant dans mes bras ne semble pas trop comprendre mon désarroi et met une main sur mon visage me regardant avec ses yeux remplis d’innocence.

« Maman mal? »

Par le miroir j’observe le reflet d’Aslander. J’imagine que lui non plus ne comprend pas du tout ce qui se passe.

Est-ce un rêve, est-ce une mauvaise blague? Alors que tout ça s’était derrière nous? Est-ce qu’on nous avait de nouveau piégés ou drogués d’une quelconque façon. Pourtant je ne me souviens pas avoir pris de pastille de rêve avec ce dernier. Le voir se pincer comme ça afin de constater s’il s’agit d’un rêve me fait comprendre que lui aussi cherche à comprendre ce qu’il se passe. Il s’était levé entre temps pour observer par la fenêtre et constater je ne sais quoi après tout, je ne peux pas le savoir puisque je n’ai pas jeté le moindre coup d’œil. Tout ce que je sais c’est que la chambre où nous nous trouvons est bien différente d’où je m’étais couchée le soir avant et surtout, je n’étais surtout pas dans la trentaine.

Enfin, je me retourne faisant face au spectacle devant nous. Je garde l’enfant dans mes bras comme si mon corps était habitué à ce genre d’activité. Je regarde sa petite bouille un instant alors qu’il se met les doigts en bouche et je me surprends à sourire. Pendant ce temps, Aslander est attaqué par l’aîné du trio qui lui demandait de l’aide pour la maîtrise de son pouvoir alors qu’il me regarde aussi perdu que moi. Je hausse les épaules du mieux que je peux et quand je me tourne vers le deuxième qui saute sur le lit, je fronce les sourcils en lui faisant signe de descendre.

«  Lorenzo descend de ce lit immédiatement. Tu te souviens de la dernière fois ce qu’il s’est passé lorsque tu es tombé?! Tu as eu mal pendant des jours et tu n’as pas pu jouer avec ta sœur! »

Mais que quoi?! Comment est-ce que je connais leur prénom? Pourquoi est-ce que ce genre de commentaire m’est venu à la tête. Je regarde Aslander aussi perdu que possible et le petit semble descendre du lit immédiatement en s’excusant.

« Bon et si nous allions préparer le petit déjeuner? Nous avons une grande journée devant nous. Il faut aller nourrir les bouctons et les sortir dans l’enclos… mais merde! Que je finis par dire.
- Papa! Maman elle dit des gros mots! »

J’ai l’impression d’avoir l’habitude de ce genre de chose alors que non! Mon corps répond de par lui-même tout comme cette foutue bouche qui s’ouvre d’elle-même.

«  Je te laisse t’occuper de changer les petits, je vais aller préparer à manger, Maximilien doit avoir faim… » Je ferme les yeux un instant, je me concentre en essayant de penser sur le moment présent, ce que nous étions venus faire de base et surtout à ce qui se passait réellement. « On doit trouver une solution et vite, Aslander… »

Je n’avais pas réellement prévu de fonder une famille aussi rapidement et je ne m’étais jamais imaginée avec Aslander de cette façon, mais je ne peux pas nier que le portrait est tout de même mignon, mais ce n’est pas la réalité et ce n’est pas ce qui nous attend. Tout ceci est faux, même si mon corps semble dire le contraire.

Je quitte alors la chambre, toujours avec le plus jeune dans les bras et je me découvre des muscles que je ne connaissais pas. À vrai dire ce n’est pas tout léger un gamin, ma parole. La maison semble être faite sur deux étages et quand je regarde dans le couloir, il y a quelques photos de famille, de nous deux ou des enfants seuls. C’en est presque malaisant au final. Ça me semble si réel.

Nous descendons les marches et nous dirigeons vers la cuisine sans que j’aie besoin de me chercher et une fois à la table, je tire la chaise haute du petit que j’assois à l’intérieur. Je lui donne un jouet pour le tenir occupé et me dirige vers la cuisine qui me donne vu sur l’ensemble de l’étage du bas… Je me penche finalement sur le comptoir et m’appuie sur ce dernier en y collant mon front.

« Je vais me réveiller, c’est un mauvais rêve. Ceci n’est pas réel… J’ai 24 ans et je suis toujours garde. Aslander est mon ami… »

Je me relève d’un coup et je croise alors un portrait peint que je n’avais pas encore vu jusque-là qui trône au-dessus du buffet. Oh merde… il s’agissait de nous deux, lui paré de ses plus beaux atouts et moi l’accompagnant de ma robe blanche.

Aslander était arrivé peu de temps après nous à l’étage principal de la maison accompagné de Angie et Lorenzo. Il m’avait rejointe à la cuisine alors que les petits s’installaient à leur place. Pour ma part, j’observais toujours ce cadre qui nous avait été par un ami de la famille et qui nous avait peint tous les deux ensembles. En y pensant bien, cela datait de mes vingt-quatre ans, la même année où nous nous étions rencontrés et où nous avions passé des moments rocambolesque et haut en couleur. D’ailleurs c’est à ce moment où nous avions failli ne jamais être ensemble. Nous éprouvions quelques problèmes de communication à ce moment et j’avais décidé d’aller lui parler dans cette fameuse chambre portant le numéro quarante-quatre. Il était par terre, en se tenant la tête et souffrant. Nous devions parler, mais j’étais trop bornée de mon côté pour comprendre que ce que j’éprouvais pour lui n’était pas qu’une simple amitié… Alors plutôt que de le repousser comme je souhaitais le faire et je l’avais observé un long moment avant de le serrer contre moi et de lui avouer finalement mes véritables sentiments pour lui… C’est d’ailleurs à ce moment-là que nous avions conçu Angie.

Je sens sa présence qui se glisse derrière et qui m’emprisonne dans ses bras avant de ne m’offrir un baiser sur la joue. Je souris doucement en fermant les yeux, mais ce dernier se retire d’un coup me sortant ainsi de mon souvenir qui semblait implanté dans mes souvenirs le plus naturellement. Frottant mes tempes de mon pouce et mon majeur je pousse un soupir qui en dit  long sur mon état actuel.

« Il se passe, qu’on s’est marié un peu avant la naissance d’Angie, et qu’Angie a été conçu dans la chambre 44… Je crois que c’est la vie que nous aurions eue si je n’avais pas choisi de…, j’hésite à le dire, t’éloigner de moi. »

Je secoue la tête chassant cette pensée de ma tête. Ça n’aurait pas été si terrible?! Ça ne veut absolument rien dire. Cela n’aurait peut-être pas fini ainsi! D’ailleurs, on cogne à la porte et cela me donne le prétexte de sortir de la cuisine. Quand j’ouvre, un homme de petite taille se tient devant moi et me demande si j’ai des patates. Malheureusement nous n’en avons pas, enfin pas assez pour lui en donner après tout, nous élevons des bouctons! Nous ne sommes pas agriculteurs. Alors le p’tit homme éclate de colère criant des âneries dont je ne comprends pas le sens. D’ailleurs, message à moi-même, ne jamais engager qui que ce soit pour s’occuper de ma future famille et de quoi que ce soit qui concerne ma demeure.

Dans tous les cas, je lui claque la porte au nez et lorsqu’il termine de parler, j’ai l’impression d’entendre un claquement de doigts. Une odeur de fumée commence à se faire présente après peu de temps et la température ne tarde pas grimper en flèche. Je souhaite ouvrir la porte, mais celle-ci refuse de m’obéir et j’utilise même mon épaule pour pousser dedans, mais rien à faire. D’ailleurs, cette dernière est terriblement chaude et je n’ai d’autre choix que de la lâcher.

«  Aslander! Vérifie les fenêtres, mais ce malade a mis le feu à la maison et je n’arrive pas à ouvrir cette foutue porte! »

Quand je reviens dans la cuisine, les enfants semblent en état de panique. La fumée est déjà bien présente au plafond et les fenêtres ne semblent pas ouvrir non plus. Je tente alors avec mon pouvoir et soulève l’une des chaises de bois et le propulse de toutes mes forces vers la fenêtre qui se situait dans le salon, mais rien, celle-ci s’écrase au sol comme si les sorties possibles étaient sellées.

J’attrape Maximilien et le garde contre moi et je regroupe les deux autres autour de moi en regardant Aslander. Ce ne sont peut-être pas réellement nos enfants, mais je ne peux pas les abandonner dans les flemmes pour sauver ma peau. Enfin, peut-être que c'était se qu’il faut faire pour retourner dans nos vrais corps sept années en arrière, mais si on est coincé ici, serais-je prête à vivre avec cela sur la conscience actuellement pas!

«  Tu te souviens de quelque chose d’utile sur la maison! Après tout, c’est toi qui l’as bâtie avec l’aide de nos amis! T’as pas créé une trappe secrète? »

Ça devient un gros bordel et que je le veuille ou non, bien que mes années de service dans la garde mon bien aide par le passer, je ne suis pas prête à réagir pour ce genre de situation surtout lorsque ma propre famille est en danger. Bon, famille fictive pour le moment, mais les sentiments que j’éprouve pour eux sont bel et bien réel à l’instant même. Enfin, ce n’est pas le moment de penser à ça, il nous faut fuir. Alors avec le petit dans les bras, je demande à Aslander s’il a fait construire une sortie dont je ne connais pas l’existence et qu’il pourrait m’avoir cachée, celui-ci se met à réfléchir un instant et parle finalement de la fenêtre du grenier qui ne se ferme pas.

«  Quoi? Tu ne l’as pas encore réparé?! Enfin, je ne vais pas m’en plaindre aujourd’hui si cela permet de nous en sortir vivant! »

Du coup, nous montons tous  les cinq à l’étage le plus rapidement possible bien qu’une partie du toit tombe devant nous. Heureusement, personne n’a été touché par les débris, mais si cela continue nous allons manquer d’oxygène dans peu de temps. Il est prouvé que la chaleur ainsi que la fumée restent en hauteur et c’est pourquoi il est conseillé de ramper dans ce genre de condition. Une sortie souterraine par la cave aurait été moins dangereuse que maintenant, mais puisqu’il s’agissait de notre seule solution.

Je prends Lorenzo par la main afin de l’éloigner et je laisse Aslander aider notre fille à gérer la situation. Son pouvoir se montre bien utile dans la situation actuelle et je suis heureuse de voir que même dans ce genre de situation on se serre les coudes en famille. Aslander nous créer un toboggan grâce à sa glace et je suis la première à passer en mettant Max’ sur mes cuisses. Nous glissons et ce dernier trouve le moyen de s’amuser malgré la situation en levant ses bras tout en rigolant. Même au sol il me regarde en se donnant des petits élans avec ses fesses pour recommencer.

Je le dépose au sol et je m’assure de rattraper à la fin Lorenzo et Angie avant que leur père ne passe à son tour. Quand nous sommes tous ensemble, je m’assure qu’on s’éloigne tous de la maison.

« Les enfants prenez la main de votre père et courez le plus vite possible! »

J’entends des craquements, le toit qui s’effondre ainsi que les planchers qui séparaient les étages. La chaleur semble augmenter tout autour de la maison, mais nous courrons. Notre demeure, celle qui avait été construite à la sueur de nos fronts, celle que nous possédions depuis maintenant sept s’étaient effondrées derrière-nous. Je ne peux m’empêcher de verser une larme alors qu’il y avait tant de souvenirs dans cette dernière, mais au moins, notre famille était toujours là.

Je m’arrête plus loin et tombe à genoux devant les gamins que je sers contre moi. J’éprouve tant d’amour pour eux, mais vous savez ce qui est le pire, c’est que ces enfants n’existeront jamais. Il n’y aura pas de Angie ou de Lorenzo ni même de Maximilien. Il n’y aura pas de nous et je me mets à pleurer. Les sentiments qui ne sont pas réellement les miens se mélangent à ceux de mon présent et c’est pourtant si étrange.

Angie attrape par la main Aslander et nous fit nous regrouper tous ensemble. Lorenzo me demande de me lever et de me mettre à côté d’Aslander et même Maximilien cherche à descendre de mes bras alors je le dépose entre les deux aînés qui nous regarde tout à tour de rôle. La situation est bien étrange, mais leur visage d’ange nous sourit.

« - Maman, papa, enfin, on le sait que vous n’être pas réellement nos parents puisque vous avez décidé de suivre un chemin différent que celui-ci. Bien que même en sachant cela, vous ne nous avez pas abandonné dans les flammes aujourd’hui. Alors merci, d’avoir été nos parents pour le peu de temps que nous avions…
- Promettez-nous seulement de rester de bons amis malgré tout et de vous aider en cas de besoin.
- Oui, ami! Aider! »

Je n’ai pas le temps de parler, j’ai l’impression qu’on m’arrache une partie de moi-même alors que les enfants semblent disparaître sous forme de poussière argentée comme tout ce qui se trouve autour de nous. Même la maison en ruine n’y est plus. Il n’a qu’une terre normale et quand je me retourne vers Aslander le visage toujours baigné de larmes celui-ci semble avoir retrouvé son état normal.

«  O…on est revenu?! »

Je passe alors mon avant-bras pour essuyer les larmes et je renifle un bon coup. On est peut-être revenu, mais on est au milieu de nulle part. À vrai dire, je ne comprendrai jamais ce qu’il s’est passé. Quelqu’un essaie de nous faire prendre des remords parce qu’on a choisi une autre ligne de notre vie? Si ça se trouve, ces trois enfants je les aurai avec quelqu’un d’autre et Aslander sera le parrain de l’un d’eux. Bon, ma tête me fait mal, parce que j’ai des souvenirs qui ne sont pas réellement les miens, mais j’imagine qu’avec le temps, tout cela devrait s’être effacé ou du moins stabilisé.

« Quand on finit cette mission, je te jure que je bois jusqu’à en oublier mon nom! »