Lentement, je levais la bouteille d’alcool fort vers le ciel, regardant les étoiles, posée sur un rocher en bord de ville. Regardant la mer, je levais ma bouteille à la santé de Riley. Comme tous les soirs. Riley, une amie proche, morte il y a peu. Et je n’arrivais pas à passer au-dessus de sa disparition. C’était moi qui lui avais accordé son congé. Pour une fois qu’elle en demander un. J’aurais dû l’accompagner. L’aider à régler ce qu’elle devait faire de façon si urgente. Mais non. J’étais resté à mon poste. Sans rien faire, et elle n’était jamais revenue. Lentement, la bouteille redescendit vers le sol et je l’ouvris. Bientôt minuit, il était l’heure de commencer à boire en mémoire de mon amie. Une chose que je n’aurais sans doute jamais faite auparavant, mais, je ne travaillais plus.

Vacance forcée comme disait le commandant. De quoi me reposer un peu, reprendre mes esprits et me reconcentrer. Mais, je m’ennuyais. Ma vie n’était constituée que de mon travail. Et soudainement, je me retrouvais sans rien. Solveig avait bien essayée de m’emmener boire, sortir, rencontrer des gens. Mais, je n’arrivais pas à me détendre. Chaque visage souriant n’était qu’un poignard supplémentaire dans mon cœur. Le visage de Riley apparaissant régulièrement devant mes yeux. Et malgré les nombreux efforts de ma sœur pour m’emmener partout. Me traînant contre mon grès dans les lieux les plus obscurs des soirées, cette image ne disparaissait pas. Heureusement pour moi, elle continuait de travailler me laissant un peu de temps seule. Un sourire apparut sur mon visage. Heureusement qu’elle était là.

Oui, j’aurais pu rentrer chez mes parents. Passer un peu de temps en campagne pour me ressourcer. Mais ma vie était ici, au grand port. Et au final, Solveig s’était occupée de moi. J’avais de la chance d’avoir une sœur pareille. Ne cherchant qu’une chose, que j’aille mieux. Pour le coup, cela n’avait pas encore marché, loin de là. La blessure dans mon cœur continué de saignée, même après l’enterrement de Riley. Sans corps, juste ses armes. Je secouais la tête, mon sourire disparaissant de mon visage et ouvris la bouteille avant d’avaler une longue gorgée. L’alcool descendit rapidement le long de ma gorge et je fermais les yeux.

Rien de tel que l’alcool pour faire disparaître le goût salé des larmes qui voulaient régulièrement sur mes joues. Des larmes que je faisais en sorte de cacher aux autres. Seule Solveig les avait vues. Mais je lui faisais confiance pour ne pas le crier partout. Je ne savais pas si j’avais honte de laisser mes larmes couler mais ce qui était certain, c’est que je n’aimais pas montrer cette facette de moi. Une facette que je ne connaissais pas vraiment, que je n’avais pas l’habitude d’affronter. Surtout en ces circonstances. Perdre une camarade de combat était normal. C’était quelque chose qui arrivez et à la garde nous savions qu’un jour ou l’autre, notre vie pouvait se finir brutalement. Sans prévenir. Mais cette fois-ci, je ne l’avais pas supporté. Posant ma tête contre la pierre froide, je rouvris les yeux pour regarder les étoiles.

Un long soupir s’échappa de ma bouche. Il fallait que je me reprenne, que je parvienne à me concentrer sur ma vie, sur ce que je voulais faire. Mais qu’est-ce que je voulais faire ? C’était la question que je me posais depuis plusieurs jours. Depuis la mort de Riley. Moi qui voulais protéger les gens. Protéger ceux qui m’étaient chers, je l’avais laissé mourir. Et désormais, j’étais inutile. D’un geste de la main, je fis apparaître un petit bouclier au-dessus de moi. Fissuré en plusieurs endroits, il se brisa en morceau quelques secondes après tombant doucement sur ma tête avant de disparaître. Un autre soupir m’échappa. J’ignorais pourquoi, mais mon pouvoir ne fonctionnait plus. Certes, je ne devais pas dépendre de mon pouvoir dans l’exercice de mes fonctions. Mais j’avais l’impression d’avoir perdu une autre partie de moi. Une partie importante de mes capacités défensive. Malgré tous ce que le capitaine pouvait dire au sujet de l’utilisation des pouvoirs que nous devions être capable de nous débrouiller sans. Je ne pouvais qu’avouer que je tenais beaucoup au mien.

Et ce pouvoir tant utile ne servait désormais plus à rien. Un simple coup de poing suffisait à briser le bouclier qui tenait à peine quelques secondes. Une longue gorgée traversa à nouveau ma gorge alors que mon regard se portait sur les vagues. Le clair de lune était parfait, se reflétant doucement sur la surface. Profitant du spectacle, je continuais de réfléchir. Mon pouvoir était dans cet état depuis la mort de Riley. Sans doute depuis le moment où la nouvelle m’avait été annoncée. Je me souvenais encore du moment où l’arme avait été posée sur mon bureau. Du sang se retirant de mon visage. Du moment où je demandais à être seule. Ce moment où j’avais senti qu’une part de moi disparaissait.

Lentement la nuit passée, et rapidement, la bouteille se vida, ne laissant plus que quelques gouttes disponibles pour libérer mon esprit. Faire en sorte de penser à autre chose. Même si cela ne marchait pas. Ma tête tournait, en aucun cas je ne pouvais rentrer à la caserne dans cet état. Mais cela n’avait pas d’importance. J’avais fui la caserne. Depuis plusieurs jours déjà, utilisant mes économies pour prendre une chambre dans une auberge. Et même s’il n’était pas rare que je croise des collègues, je me contentais de plaquer un faux sourire sur mon visage et de m’éclipser le plus rapidement possible. Beaucoup était au courant de la situation, heureusement aucun n’avait les détails, mais c’était déjà bien trop pour moi. Une rumeur circule rapidement, je venais de l’apprendre à mes dépens, sur un sujet bien trop douloureux à mon goût.

Lentement, j’attendis que le temps passe. L’esprit embrumé par l’alcool, je laissais mes pensées s’éparpiller. J’avais assez réfléchi pour le moment et n’avais qu’une envie. Me reposer. Ne penser à rien et que rien ne vienne me déranger. Mais mon cerveau ne semblait pas être d’accord avec ça, me poussant à ressasser le passé. À revoir d’ancien moment plus ou moins agréable. Et lentement, alors que mon esprit divagué, perdant peu à peu els effet de l’alcool, le jour se leva. La lumière apparaissant et se diffusant doucement dans le ciel. Un sourire apparu doucement sur mon visage alors que le soleil se levait m’inondant de sa douce lumière. Il était l’heure de rentrer.






Je plongeais ma tête dans l’eau froide. Je ne savais même pas quelle heure il était. Bien trop tard. Ou tôt même puisque les gens commençaient à aller travailler. La nuit que je venais de passer était floue. Solveig était venue me voir, un jour de congé comme un autre. Tout ça pour m’emmener faire la fête. Et je l’avais suivi. Je me souvenais que Sammael nous attendait sur place. Elle qui m’avait envoyé une lettre de soutien.

Sortant la tête de l’eau, je la secouais pour me dégager le visage et failli tomber en arrière. La suite était plus floue dans mon esprit. Je me souvenais de plusieurs tournées payées par Sammael. D’un certain nombre de verres enquillé les uns après les autres. Par contre après, c’était troue noir avec un fond de rire. Ceux des autres. Pourtant, de ce dont je parvenais à me souvenir, la soirée était bien, mais je n’avais pas réussi à m’amuser. Lentement, je m’appuyais contre le tonneau rempli d’eau, penchant la tête au-dessus. Mon visage se reflétait doucement sur la surface. Pâle, très pâle. Je soupirais en me redressant. Non loin de là, Solveig me regardait, surveillant mon état. Plaquant un sourire sur mon visage, je me dirigeais vers elle. Elle n’était pas dupe, loin de là, elle savait que ce sourire était faux. Mais, je me disais au fond de moi que si je souriais, je finirais par sortir de mes emmerdes.

Le retour fut rapide. Il était tard, de mon point de vue, Solveig devait aller se coucher pour éviter d’être complètement morte en retournant au travail. Mais elle ne semblait pas être de cet avis, m’accompagnant jusqu’à ma chambre où je fus accueilli par Hyl. Mon dragon miniature. Calme et silencieux habituellement, il avait pris l’habitude de se poser sur moi depuis la mort de Riley. Comme pour me réconforter. La discussion qui suivit fut assez rapide. Simple même, Solveig se contentant de vérifier mon état, si j’allais bien ou non et surtout, si je ne déprimais pas. Enfin pas trop. Mais son regard un peu triste lorsqu’elle partit ne m’échappa pas. Je faisais peine à voir, j’en étais certaine. Soupirant, je me couchais lentement, Hyl se blottissant dans mon dos. Je m’endormis sur une pensée. Je devais me reprendre, cela devenait urgent.




Encore une fois, je plongeais ma tête dans l’eau. Je venais de courir une heure, essayant de reprendre la forme. Et j’avais l’impression d’être au bout de ma vie. J’avais repris la veille, reprenant le même rythme qu’auparavant, comme si rien n’avait changé. Mais tout avait changé, je n’avais pas couru depuis plusieurs semaines, j’avais bu régulièrement pendant un moment. Beaucoup trop. Et d’un seul coup, je reprenais l’entraînement. Et mon corps me faisait comprendre que mes choix n’avaient pas été les bons. Ressortant la tête de l’eau, laissant couler le liquide le long de mon corps pour me rafraichir, je commençais à m’étirer.

J’avais pris la décision de me reprendre la veille. Après avoir réfléchi, prise d’insomnie. Entre les souvenirs de Riley et la tête de Solveig lorsqu’elle me regardait en partant. Je n’avais pas le choix, pour elles, je devais me reprendre et vivre. Même si c’était difficile, même si j’avais l’impression que mon cœur se déchirer à chaque pas, chaque enjambée que je faisais sans ma meilleure amie. Et la seule véritable que j’avais. Celle qui savait tout de moi n’était plus, mes peurs, mes joies, elle avait tout emmené dans sa tombe, en silence, sans prévenir. Mais j’étais certaine que me voir dans cet état ne lui plairait pas.

Et c’est avec cette idée que je m’étais levée, pour la deuxième fois, pour faire du sport et essayer de retrouver un rythme de vie acceptable. Essayer de me préparer pour retourner travailler. Je n’avais plus mon grade de lieutenant certes, le capitaine m’avait laissé un temps indéfini pour aller mieux. Mais je ne voulais pas abuser. Tout cela avait duré bien trop longtemps et même si je ne comptais pas retourner à la garde aujourd’hui, cela n’allait pas tarder. Ma vie était las bas, et même si désormais je voulais faire autre chose en dehors, je voulais repartir du bon pied en changeant ma façon de faire.

Heureusement pour moi, mon corps n’avait pas tout perdu. Je n’étais pas restée inactive suffisamment longtemps pour devenir totalement inapte, et inconsciemment, je repris mes entraînements de combat, bougeant les jambes, frappant devant moi dans le vide. Mais je fatiguais vite. À tel point que je me faisais pitié. Pitié, une chose que l’on m’avait dite la veille, une femme aux cheveux blanc, assez jeune qui avait bu bien plus que nécessaire. Mon poing frappa le mur à côté de moi, violemment, laissant une tâche de sang et je grimaçais. Ce souvenir m’énervait. Cette fille d’Ak’ab qui ne savait même pas de quoi elle parlait. Le pire, c’est qu’elle n’avait pas tort. J’en avais conscience, et cela m’énervait encore plus.

Regardant ma main ensanglantée je soupirais. Solveig allait m’engueuler pour ça, j’en étais certaine. Elle était pire que maman pour ce genre de chose. Encore plus depuis que j’étais en congé indéterminé. Lentement, je repris le chemin de l’auberge afin d’aller me soigner. Au moins un minimum.

Jour 13

Solveig était repartie avec un sourire. Inquiète, mais légèrement rassurée que je me reprenne en main, que je recommence à m’entraîner et a essayer de tenir la route. Inquiète, parce que je lui avais montré l’état de mon pouvoir. Inutilisable. Cela n’avait pas changé depuis un moment, mais enfin, je l’avais avoué à quelqu’un. Un petit pas en avant. Je ne comprenais pas pourquoi mon pouvoir continuait à faire des siennes, j’avais même abandonné la recherche. Me concentrant sur mon rétablissement, cachant ce que je ressentais, me forçant à rire et à vivre. Vivre, un mot si simple, si petit, et pourtant si compliqué à respecter.

Mon humeur changeait constamment et, régulièrement, je me retrouvais seule dans un coin à ruminer mes pensées. Quelques jours auparavant, j’aurais ouvert une bouteille d’alcool fort pour faire passer le moment plus rapidement, mais désormais, je sortais courir. Quel que soit l’heure ou le temps, j’allais me dépenser. Frappant dans le vide, utilisant mes muscles comme je pouvais jusqu’à m’effondrer de fatigue. Souvent loin de l’auberge, loin d’un endroit confortable. Hyl me suivait parfois, me suivant de loin, et se lovant contre moi lorsque je m’immobilisais. Il était un soutient important, toujours là, dans un coin, cherchant à m’aider. Moi qui l’avais négligé si longtemps, je comprenais désormais l’importance d’une existence pareille. Nous étions liées par magie et il serait avec moi jusqu’à la fin.

Mais je n’avais pas vu Solveig pour rien cette fois, non, ce n’était pas pour sortir, pour boire et oublier tout ce qu’il y avait autour de moi. Je lui avais fait part de mon retour. Oui, dans trois jours, j’allais retourner à la caserne. Reprendre le travail, reprendre une vie normale. Enfin, une vie que je qualifiais de normale. Même si j’ignorais totalement ce qui m’attendait je devais avancer.

Jour 16

Assise sur mon lit, à l’aube, je serrais les poings, la tête baissée, les yeux fermés. J’étais stressée. Aujourd’hui, j’allais revenir à la caserne. Sans doute que je ne reprendrais pas le travail directement. Mais je tenais à être là au plus tôt. Et cela me stressait. Bien plus que je ne l’aurais imaginé. J’avais l’impression de retourner à la ville souterraine. Au milieu des monstres. Sauf que j’étais censée retourner chez moi. Un lieu que j’avais quitté pour aller mieux, un lieu où il y avait tant de souvenirs concernant Riley.

Lentement, j’attrapais mes affaires, rangeant l’arme de ma meilleure amie dedans. Deux sacs, je ne possédais presque rien et cela me suffisait parfaitement. Le reste était à la caserne. Mes armes, mon armure, des choses dont je ne m’étais pas occupé depuis un moment, que j’avais laissé de côté. Prenant une grande inspiration, je sortis de ma chambre pour aller rendre les clés.

C’est presque une heure plus tard que je me retrouvais devant la caserne, ayant pris le temps de manger un peu sur la route j’étais fin prête pour ce qui m’attendait. Ou presque. Lentement, lourdement, je poussais la porte d’entrée. Une porte que j’avais passée de nombreuses fois avec Riley. Le sourire que j’avais accroché sur mon visage disparut instantanément et je m’immobilisais. Prenant une grande inspiration, je relevais la tête et repris mon chemin. Signalant mon retour à l’accueil je fus envoyée voir le capitaine.

En soi je m’y attendais. Je savais aussi qu’il ne m’en voulait pas, mais cela ne me plaisait pas plus que cela. Heureusement pour moi, il n’était pas encore là lorsque je frappais à sa porte. En soi je m’y attendais un peu aussi. Fermant les yeux, m’appuyant contre le mur, je pris le temps de me calmer. Tout allait bien ce passé. J’en étais certaine. Mes yeux se rouvrirent lorsque j’entendis des bruits de pas. Tournant la tête, je vis le capitaine et le saluais en suivant le protocole.

Et comme attendu, le rendez-vous se passa tranquillement, c’était un rendez-vous de forme histoire de repartir du bon pied. Un rendez-vous pendant lequel je fus rassuré. Des choses allaient changer oui, mais la vie continuait. Il faudrait juste que je m’habitue aux changements et que je fasse avec. Cela ne dura pas bien longtemps, mais à mes yeux, cela parut une éternité. Je ressortis du bureau d’un pas tranquille, saluant le capitaine et refermais la porte derrière moi. Un soupire de soulagement m’échappa alors que je prenais la direction des chambres. La mienne avait changé, mes affaires avaient été déménagées, je n’avais qu’à installer le peu que j’avais sur moi avant de prendre mes nouvelles fonctions.