Le passage à peine ouvert, vous voyez une vive lueur qui émane du passage derrière les résidents ainsi qu'un souffle d'air frais. Et alors que vous vous engagez dedans, vous pouvez voir une plaine enneigée, le froid saisissant instantanément vos membres
Ou êtes vous arrivées ? Difficile à dire. La seule chose qui pourrait vous donner un indice est un immense gouffre à quelques lieues d'ici
Gouffre surmonté d'un mur ou claque quelques bannières flottant au vent.
Tout le petit groupe avec vous se met à hurler en pointant quelque chose au loin. Il est difficile de voir quoique ce soit car le blizzard avance avec ce que craignent les résidents, mieux vaudrait éviter de la rencontrer dans tout les cas
Par chance, la voie menant à la salle renfermant les résidents du temple s'était ouverte devant Dahlia, après que le tire-laine se fut dérobé. Il fallait croire que celui-ci était doté d'une conscience et d'une considération pour la vie humaine, par-delà son avidité pour le clinquant et l'onéreux. Après avoir prévenue Aelith, et que cette dernière l'ait rejoint, les deux jeunes femmes étaient donc allées à la rencontre du groupe de frères et sœurs, et s'étaient enquis de leur état. Mais tout le monde semblait bien aller, n'ayant été cloisonnés que quelques heures – le temps pour le goujat de réaliser son forfait. Dahlia leur demanda alors :
« Savez-vous ce qu'est ce labyrinthe, au juste ? Et où se trouvent les autres frères et soeurs... ? » En effet, les résidents étaient tout juste au nombre de dix personnes, bien en-deçà de l'effectif total du Grand temple. L'un des frères lui répondit alors :
« Il s'agit d'une épreuve, que doivent compléter les initiés dans le cadre de leur formation. Il s'active sur demande, et de façon temporaire. Nous étions en charge de le superviser, mais ce voleur a réussi à nous piéger dedans, par sa connaissance affûtée de celui-ci. Il ne concerne qu'une portion du Grand temple, les autres résidents ne sont donc pas affectés. »
« Je vois... Savez-vous comment l'on pourrait le désactiver et en sortir, à présent ? »
« Non, hélas, le voleur a changé les réglages... Mais le dédale de Lucy possède un mécanisme de sécurité, qui lui permet de se résorber automatiquement au bout de quelques heures. Il n'y a donc qu'à attendre... »
Dans un timing digne des meilleures œuvres de fiction... un vrombissement sourd interrompit soudainement les explications du frère, et le mur derrière la poignée de résidents s'ébranla, pour dévoiler un nouveau passage, étonnamment lumineux, et qui laissa s'engouffrer une brise glaciale.
« Ah, parfait ! La fonction labyrinthe vient d'expirer, il semblerait... »
Non sans soulagement, le groupe se précipita vers le passage qui venait de s'ouvrir. Mais, en débouchant à sa sortie, le spectacle fut pour le moins inattendu. Un paysage d'hiver s'offrit à eux, les plaines étant envahies d'une blancheur immaculée. Après la pénombre tamisée du labyrinthe, le scintillement cruel de la poudreuse assaillit les yeux de Dahlia, qu'elle dut plisser. Puis, ce fut un froid cru qui vint lui picorer les membres. Elle s'adressa à Aelith à ses côtés :
« Nom d'un fenrir... On est pas tirées d'affaire, je crois. »
En apercevant les résidents, Aelith avait été envahie par une vague de soulagement. Celle-ci fut d'une courte durée : alors que les croyants venaient à peine de finir leurs explications, un passage enneigé s'était ouvert face à eux.
« Je crois bien aussi, répondit-elle à Dahlia. Nous qui voulions nous sortir de ce dédale étroit, nous voilà ironiquement face à une étendue démesurée. »
Aussi soulagés qu'émerveillés, trois résidents s'engouffrèrent sur le chemin glacé, suivis de près par le reste du groupe. Dès qu'ils esquissèrent un pas sur le parterre poudreux, un claquement retentit derrière eux. La voie s'était refermée : faire machine arrière était désormais impossible. Une brume gelée fit frémir Aelith. Elle détailla rapidement les membres du groupe du regard. Vêtus d'habits légers, la plupart grelottaient et leurs lèvres bleuissaient à vue d’œil. Ils ne pouvaient pas rester ainsi.
« Avançons, nous devons trouver un abris au plus vite, déclara-t-elle. »
La plupart des résidents opinèrent. Plissant ses yeux, l'aventurière tenta de discerner un bâtiment au loin, en vain. L'horizon était voilé par un brouillard opaque, et le vent s’intensifiait autour d'eux, faisant virevolter des flocons épais qui masquaient leur vue. Sans alternative, ils s'engagèrent dans une direction aléatoire en espérant qu'un chemin finiraient par se dévoiler. Les minutes s'écoulèrent, glaçant un peu plus chacun de leurs membres. Remarquant que Dahlia peinait à transporter le butin, Aelith lui proposa de la relayer.
« Donne moi ça histoire de souffler un peu, on doit économiser notre énergie. »
Abandonner le fardeau était une perspective alléchante, mais la jeune femme se sentait coupable à l'idée de se délester de présents destinés aux dieux. Les offrandes représentaient parfois des sommes importantes pour les fidèles, ou étaient émotionnellement reliés eux, si bien qu'il ne lui semblait pas envisageable de les laisser ainsi tomber dans l'oubli.
Un gémissement sorti l'aventurière de ses pensées. Une sœur, frigorifiée, s'était laissée tomber au sol. Passant un bras autour de ses épaules, Aelith tenta de la relever.
« Je sais que c'est difficile, mais il faut continuer ! Nous allons vous sortir de là, je vous le promets.
-Je ne peux plus... Mes jambes... sont fragilisées par mon rhumatisme, et avec ce froid... Oh non, je ne peux plus, je ne peux plus! »
Des larmes perlèrent aux coins de ses yeux, insufflant un sentiment de désespoir dans le groupe. Un flux de lamentations s'en suivit, mêlant cris de détresse et supplications à Lucy.
« S'il vous plaît, restez calmes, nous devons avancer ! »
Ses paroles furent ignorées. Les résidents s'agitaient, s'interrogeant sur la possibilité d'une punition divine et les avis fusaient. Aelith activa sa transformation, stoppant les débats pendant une poignée de seconde.
« Sous cette forme, je devrais pouvoir porter les deux plus faibles d'entre vous. Maintenant allons y ! »
L'utilisation de son pouvoir n'était pas de tout repos : la course poursuite précédente l'avait épuisée, et il s'agissait de sa dernière métamorphose journalière possible. Elle n'était pas certaine de réussir à supporter le poids de deux personne bien longtemps. Toutefois, cela lui semblait être la seule option.
« Pourquoi avancer ? Cette plaine enneigée est sans fin !
-Oui, nous n'allons nulle part !
-Peut-être devrions nous plutôt rester ici et prier notre sainte déesse. Elle saura être miséricordieuse... »
L'aventurière jeta un regard désespéré à Dahlia, espérant qu'elle parviendrait à raisonner le groupe.
Ce qui l'inquiétait particulièrement, dans le débâcle actuel, c'était qu'elles étaient plus que deux à devoir affronter ce coup du sort : l'aventurière et la garde étaient en effet flanquées d'un collectif entier de croyants, dont elles devaient garantir la protection, et le salut. Et cela constituait une toute nouvelle gageure... Sauraient-elles la relever, sans essuyer de pertes ? Dahlia le souhaitait en tout cas de tout son cœur.
Elle opina du chef lorsqu'Aelith proposa de rechercher un abri. Il leur fallait en effet en trouver rapidement un, ainsi que de quoi faire un feu, sans quoi leur groupe allait finir ankylosé par le froid, aucun des membres n'étant équipé pour endurer ce climat glacial. Ils prirent une direction au hasard, la brume épaisse ne les aidant pas à s'orienter vers un chemin préférentiellement à un autre, et la garde pria Lucy qu'ils aient fait le bon choix.
La poudreuse crissait sous leur pas. Le groupe foulait un manteau neigeux lourd et épais, leurs pieds s'enfonçant dans les couches craquantes de neige vierge, qui ralentissaient leur progression. Le sac d'offrandes toujours juché sur l'une de ses épaules, Dahlia avançait le dos légèrement courbé, son souffle court formant des volutes vaporeuses dans l'air glacé. L'aventurière se proposa alors de la relayer pour porter le chargement, et la garde la remercia.
« On devrait peut-être abandonner ce sac d'offrandes et se concentrer sur la protection des résidents, mais il est dur de s'y résoudre... »
Puis, inéluctablement, le groupe commença à faiblir. Aelith tenta de les rassurer, et Dahlia fut admirative de la détermination avec laquelle celle-ci parvint à haranguer leur moral. L'aventurière revêtit même sa forme équine, en se proposant de soutenir les deux plus faibles d'entre eux. Dahlia aida ces derniers à se hisser sur la centaure, mais d'autres vinrent rapidement opposer leur lassitude, s'interrogeant sur la vacuité de leur cheminement. Devant le regard désemparé de son amie, elle tenta de les remotiver à son tour :
« Nous devons absolument continuer à progresser, pour ne pas finir transis de froid. Par ailleurs, gardons espoir, les plaines sont riches en activités agricoles, nous ne devrions ainsi plus tarder à tomber sur une bergerie, une grange, ou un autre... »
« Là-bas, regardez ! Vous avez vu cette forme ? De quoi peut-il s'agir ?! »
L'un des résidents du temple venait d'interrompre la garde, en pointant une forme masquée par les buées transies et virevoltantes du brouillard, un peu plus loin devant eux. Celle-ci était à peine discernable, dans cette clarté blanchâtre gagnée par le blizzard, mais Dahlia fut sûre d'une chose : il ne s'agissait pas d'un bâtiment. Et les autres membres du groupe partagèrent cette déduction, car ils se fendirent de cris horrifiés, à la suite, qui glacèrent la garde plus durement que le froid cru imprégnant l'air.
« Je n'en sais rien, mais aucun d'entre nous n'a envie de faire sa connaissance, n'est-ce pas ? Dépêchons nous d'avancer, avant qu'elle ne nous rattrape, tout comme cette tempête. »
L'avantage, c'est que cela redonna un sacré regain de force au groupe, qui consentit à continuer à progresser sans tergiverser davantage. Dahlia reprit le sac d'offrandes, afin qu'Aelith puisse consacrer son énergie à porter les deux croyants les plus affaiblis. Ils évoluèrent encore un moment dans les solitudes plates et glacées des plaines, et la garde ne put s'empêcher de jeter des œillades inquiètes en arrière, durant leur trajet, inquiétée par cette menace tapie dans le blizzard. Par chance, ils finirent par apercevoir les contours d'une grange, se dessinant non loin dans les vapeurs frissonnantes.
Le calme olympien avec lequel Dahlia prit la situation en main épata Aelith. Submergée par les lamentations qui fusaient, l'aventurière n'aurait pas tardé à perdre patience si son amie n'avait pas agi. Elle était bien heureuse de ne pas être seule dans ce périple : elle n'avait jamais fait une bonne médiatrice ou une bonne dirigeante.
La garde fût stoppée dans son discours par l'exclamation d'un frère, qui avait aperçu une forme inconnue au loin. A peine apparente derrière le voile glacé, celle-ci semblait se mouvoir. Voilà qui n'augurait rien de bon. Le groupe finit par se résoudre à suivre les directives de Dahlia, et chacun se mit à marcher d'un bon pas.
Supporter le poids des deux sœurs qui reposaient sur son dos était des plus éprouvant pour Aelith, et elle ne tarda pas à se retrouver en fin de file. Néanmoins, sous cette forme et ainsi chargée, le froid lui était beaucoup plus supportable. Ses deux cavalières murmurèrent des prières sur l'essentiel du trajet, se stoppant par moments pour partager leurs doutes.
« Tu crois que c'était quoi la forme, toute à l'heure ? J'ai entendu dire que d'immenses créatures habitent le blizzard... Pour vivre dans ces conditions atroces, ce soit sûrement être des animaux féroces.
-Tu ne peux pas te fier à des contes et légendes... Garde foi en notre déesse Lucy : ses desseins sont obscurs mais elle saura toujours nous guider vers la sérénité. »
L'aventurière aurait aimé pouvoir partager leur ferveur. Elle ne savait pas ce qu'était la silhouette aperçue au delà de la brume, mais une chose était sûre : ils n'étaient pas en mesure de l'affronter. Pas avec deux combattantes épuisées et une dizaine de civils qui pouvaient constituer des cibles potentielles.
A son grand soulagement, les bordures d'une grange se profilèrent à l'horizon. La vue de l'abri lui donna un regain d'énergie, et elle accéléra le pas pour dépasser toute la file et être aux premières loges pour découvrir le bâtiment. En se rapprochant, elle put constater que la grange était certainement abandonnée depuis plusieurs décennies. Une épaisse couche de neige recouvrait le toit, semblant l'affaisser. Des amas de flocons se faufilaient entre les planches de bois, qui avaient perdu leur éclat d'antan. Le verrou était gelé, rouillé et en piteux état. En forçant un peu, un frère parvint sans mal à le faire céder.
Le groupe se précipita à l'intérieur, dans des soupirs de soulagement. A première vue, la bâtisse était vide, à l'exception d'un vieux ballot de paille. Les croyants se laissèrent choir sur le sol, s'appuyant contre les imposants piliers de bois qui soutenaient la grange. Allégée du poids des deux sœurs, Aelith s'étira avec délectation. Une fois chacun installé, elle reprit la parole.
« L'essentiel est maintenant de nous réchauffer. La paille nous servira de bon combustible pour démarrer un feu, mais nous aurons aussi besoin de bois. Nous devrions nous répartir en petits groupes pour faire le tour de la grange. Avec un peu chance, nous pourrions trouver du bois sec. L'un d'entre vous aurait-il une pierre de feu à tout hasard ? »
La réponse fut unanimement négative. Ainsi, ils allaient devoir utiliser une méthode primitive. Décidant de remettre ce problème à plus tard, l'aventurière se lança dans l'exploration de la grange. Alors qu'elle venait de dénicher une vieille brouette, une plainte retentit. Elle aperçut un frère à quelques mètres, aux côtés de Dahlia.
« Vous avez entendu vous aussi ? demanda-t-il à la garde, d'une voix tremblotante. Ce bruit étrange, venant de l'extérieur... Oh et si c'était la chose de toute à l'heure ? … Chut, silence, écoutez tous !»
Les frères et sœurs, épouvantés, obéirent et s'enfermèrent dans le mutisme. Un silence glacé s'imposa.
Le vent souffle et son sifflement vous parvient au travers des vitres en piteux état. C'est une chance d'avoir trouvé un abri et vous sautez sur l'occasion pour prendre un peu de repos. Il ne manquerait qu'un plat chaud, des couches pour tout le monde et l'ambiance plus joviale pour transformer la scène en un camping improvisé ou en pèlerinage dans les plaines bordant la côte au nord d'Aryon. Enfin, ceci aurait été seulement si une créature imposante ne s'approchait pas dangereusement de vous.
Des sabots faisant trembler le sol à mesure qu'elle approche, un souffle audible et puissant, sa tête est surmontée par des cornes impressionnantes, quant à sa démarche, elle ne trompe en rien sur la réelle nature de cette bête. Un minotaure, colosse de presque quatre mètres de haut sur ses pattes arrières, rodant autour de la grange comme s'il attendait que vous en sortiez. Les croyants s'enfermèrent dans la prière, mains jointes, dans un silence religieux témoignant de leur foi envers la Déesse. Une Déesse qui ne resta pas muette face à cet exemple de ferveur.
Plus loin, perçant le blizzard à une cinquantaine de mètres de la grange rayonne une lumière et un portail s'ouvre. Depuis votre position, vous reconnaissez le même phénomène qui vous a amené ici, c'est la sortie vous ayant perdu dans ce glacier !
Vous avez affronté le Labyrinthe, rencontré le Minotaure, voici votre fil d'Ariane, garant de votre survie, à condition bien sûr d'atteindre le portail avant que le gardien des lieux ne vous dévore.
La garde tenta toutefois d'ignorer les aiguillons que commençait à planter fatalement la peur en elle, pour se recentrer sur les paroles d'Aelith. L'aventurière, armée d'un pragmatisme vif et déterminé, égrena les propositions qui leur permettraient, avec un peu de chance, de pouvoir faire naître un foyer à la chaleur bienfaitrice dans la grange, ce qui était leur priorité première depuis leur arrivée dans la bâtisse.
Dahlia voulut rejoindre l'escalier qui menait aux étages, désirant aller vérifier si des réserves de bois anciennement constituées n'y demeuraient pas stockées, à tout hasard, lorsque l'un des frères les alerta concernant un bruit suspect provenant de l'extérieur. Tout le groupe se tut, et tendit l'oreille. La garde ne perçut, tout d'abord, que la complainte sifflante du vent qui se déchaînait au dehors en tourbillonnant. Puis, rapidement, elle entendit également le craquement de sabots s'enfonçant lourdement dans la neige, ainsi qu'un souffle puissant et guttural.
Cela n'était assurément pas humain, et Dahlia se précipita vers l'une des fenêtres, pour tenter de distinguer la créature qui était manifestement entrain de faire le tour de la grange. Elle plaqua son dos contre un mur, et frôla le chambranle tout en jetant un coup d'œil en biais vers la vitre, pour éviter d'être aperçue. Dahlia vit alors une paire majestueuse de cornes, surmontant le corps massif d'un minotaure. Elle en avertit le groupe, dans un murmure.
Les croyants écarquillèrent les yeux d'effroi, puis se mirent à prier Lucy avec ferveur. Et coïncidence ou non, lorsque Dahlia jeta à nouveau une œillade par la fenêtre, elle aperçut un jaillissement de lumière, puis une arche émergeant du sol gelé, qui n'était pas sans rappeler l'architecture du Grand temple.
« Lucy soit louée, un portail vient de s'ouvrir, à une cinquantaine de mètres. Nous avons une porte de sortie. »
Mais comment allaient-ils pouvoir l'emprunter, avec ce gardien rôdant aux alentours de la bâtisse ? La garde se mordit les lèvres. Tout cela lui rappelait son affrontement avec un Kerberus Alpha, plusieurs semaines auparavant. Étrangement, cette péripétie avait été la première manifestation de sa longue série de déboires. La boucle était peut-être entrain de se boucler ?
« Ael', je vais tenter d'éloigner la créature, et de retenir son attention suffisamment longtemps pour que tu aies le temps de conduire le groupe vers l'arche. » Elle marqua une pause, et tenta de rassurer son amie qui s'apprêtait déjà à protester : « Je trouverai le moyen de vous rejoindre, promis. »
Dahlia regarda à nouveau par l'un des carreaux de la grange, et jaugea le circuit de la bête. Quand cette dernière se retrouva à l'opposé de la porte d'entrée de la mansarde, la garde décida d'en sortir discrètement, et commença à prendre de la distance. Tous les mètres qui l'éloigneraient du minotaure lui garantiraient de ne pas être rattrapée par celui-ci trop rapidement. Puis, quand la créature arriva à l'angle de la bâtisse et l'aperçut, elle la héla :
« Hé, le taureau ! T'aimes les chamois et les chèvres, mais t'as déjà goûté à un béli... »
Il n'en fallut pas plus pour que la bête monstrueuse la remarque, et Dahlia pivota derechef, avant de courir dans la direction vers laquelle elle comptait l'amener... loin du portail, et près... du gouffre. Ce vaste précipice, surmonté d'un mur où des bannières claquaient au vent, près duquel leur périple les avait conduit. En l'attirant au pied de ce dernier, la garde avait une idée en tête : y faire tomber le minotaure.
Sa course effrénée et éperdue la mena aux abords de l'abîme, talonnée d'assez près par le minotaure qui grignotait peu à peu l'écart de distance les séparant, mais Dahlia jaugea mal le terrain : elle comptait bifurquer à la dernière minute, avant d'atteindre le bord de la cavité, sauf qu'elle n'avait que peu l'habitude de courir sur la neige. Une plaque de verglas la surprit, la faisant glisser, et tomber au sol. Son corps fut entraîné dans son élan et continua sa glissade, jusqu'à la bordure du gouffre. Dahlia tenta de se retenir à la paroi, mais celle-ci était trop lisse, dépourvue de toute aspérité, et ses doigts n'eurent aucune prise. Elle tomba dans le vide.
En se concentrant pour faire abstraction du souffle bruyant du blizzard, Aelith parvint à distinguer la rumeur d’un claquement de sabot. Les pas étaient lourds, la laissant présager que la créature qui s’approchait était lente et imposante. Une respiration puissante se fit entendre. Dahlia fut la plus prompte à réagir : elle s’approcha de la fenêtre pour distinguer le rôdeur. Un frémissement parcourut l’échine de l’aventurière lorsque, dans un murmure, son amie les informa qu’il s’agissait d’un minotaure.
Néanmoins, tout espoir n’était pas perdu. Un portail s’était ouvert, non loin. S’ils étaient suffisamment rapides, ils pouvaient échapper à la bête sanguinaire. La garde se proposa pour faire diversion. Aelith allait protester, mais Dahlia la rassura sur le fait qu’elle les rejoindrait.
« J’aimerais t’accompagner, mais les deux sœurs éreintées auront besoin de moi pour les porter jusqu’au portail… Sois prudente, puisse la lueur des étoiles transpercer le blizzard et guider tes pas. »
Sous le regard angoissés des fidèles de Lucy, Dahlia guetta les mouvements du minotaure, puis sortit attirer son attention. Chuchotant, l’aventurière donna quelques directives au reste du groupe.
« A mon signal, courrez en direction du portail. Je fermerai la marche, restez groupés et ne regardez pas en arrière. L’attention de la créature doit être focalisée sur Dahlia, donc prenez garde à faire le moins de bruit possible. »
Lorsque Dahlia apostropha le minotaure, le groupe se précipita à l’extérieur. Harassés et gelés, les croyants puisaient dans leurs dernières forces pour filer jusqu’au portail. Le souffle court et les membres douloureux, Aelith supportait tant bien que mal le poids des deux sœurs qui s’agrippaient à son dos. Elle jeta un coup d’œil à la silhouette de son amie qui s’éloignait. Visiblement, elle menait le minotaure droit au gouffre. L’idée était audacieuse mais pouvait s’avérer très efficace. Néanmoins, un mauvais pressentiment la taraudait.
Lorsqu’elle estima que la bête cornue était suffisamment éloignée, l’aventurière confia les deux sœurs à un des frères pour parcourir la vingtaine de mètres restant jusqu’au portail. Changeant de cap, elle fonça dans la direction empruntée par la garde et la créature féroce. Au galop, elle parvint peu à peu à réduire la distance qui les séparait alors qu’ils s’approchaient dangereusement du bord du gouffre. Dans un sursaut d’angoisse, elle aperçut la garde glisser maladroitement et tenter de se retenir à la paroi. Le minotaure, emporté par sa vitesse, ne tarda pas à subir le même sort. Alors que la prise de Dahlia cédait, il se fit happer par l’abîme dans un mugissement guttural. Dans un élan de désespoir, Aelith lança une extrémité de la corde qui ceignait sa ceinture en direction du gouffre, espérant que son amie puisse encore la rattraper. En vain.
La gorge nouée, l’aventurière s’approcha du bord du précipice dans l’espoir d’apercevoir Dahlia agrippée à une paroi. Malheureusement, seul le vide s’ouvrait à elle. Alors que les larmes lui montaient aux yeux, un détail étrange la fit tiquer. Sa corde, qui plongeait dans le gouffre, était comme « coupée » à la moitié de sa longueur. Une auréole diaphane extrêmement lumineuse entourait son extrémité. Elle bougea la corde de droite à gauche, et remarqua que la lueur suivait son mouvement. C’était comme si la corde plongeait à travers... un portail.
L’espoir renaquit en elle. Et si Dahlia avait chuté dans un portail dissimulé derrière la brume ? Pour en avoir le cœur net, Aelith lança un vieux baluchon contenant un morceau de pain rassi dans l’abîme. Arrivé au niveau de l’extrémité de la corde, il disparut dans un éclat lumineux. Ses hypothèses se confirmaient.
Inspirant longuement, l’aventurière étudia les options qui s’ouvraient à elle. Le portail pouvait déboucher n’importe où, mais si le minotaure l’avait également traversé, la garde aurait besoin d’aide… urgemment. Il n’était pas dans ses habitudes de laisser une amie seule face à un péril. Le portail pouvait la mener face à un colosse invincible, mais elle ne pouvait se permettre d’abandonner Dahlia. Le cœur tambourinant, Aelith ferma les yeux pour réfréner sa peur et se jeta dans le vide.
Son corps plana un moment, lâché à la dérive dans l'ivresse du vide. Quelques secondes à peine plus tard, son dos vint heurter avec rudesse un dallage de pierre. Dahlia rouvrit les yeux, avec étonnement, sur le plafond voussé qui la surplombait, dans une pièce enténébrée chichement éclairée. Elle n'avait chu que de quelques mètres, tout au plus.
Encore sous le choc, elle demeura ainsi un instant étendue au sol, le cœur encore emballé de palpitations frénétiques, lorsque les contours luisants d'un portail se dévoilèrent, juste au dessus d'elle. La garde finit alors par se ressaisir, et roula de côté, juste à temps pour éviter la croupe volumineuse Aelith, qui la rejoignait à son tour dans la salle.
« Ael' ! Tout va bien ? Tu ne t'es pas reçue trop rudement ? » Après avoir vérifié que tout allait bien pour son amie, elle ajouta, pensive : « Ce gouffre recelait donc un portail... »
Un soulagement immense irradia soudain Dahlia, à retardement, et, alors qu'elle n'était pourtant pas très tactile, d'ordinaire, elle fondit sur Aelith pour l'éteindre : « T'as vu, je n'ai pas failli à ma promesse... Mais, hé, comment tu t'y es retrouvée, dans cet abîme, toi ? »
Les deux jeunes femmes étaient entrain de se remettre de leurs émotions, lorsque l'un des frères du Grand temple – où elles avaient atterri, visiblement – vint à leur rencontre, flanqué du reste groupe de croyants sur lesquels elles avaient veillé, un peu plus tôt dans les plaines glacées.
« La déesse Lucy vous félicite, vous venez de surmonter l'ultime épreuve du labyrinthe. »
« Que voulez-vous dire ? Nous n'en étions pas déjà sorties, de ce fichu dédale ? » demanda Dahlia, un sourcil arqué d'incrédulité.
« Nous le pensions, mais il s'agissait en fait d'un leurre. Son concepteur était particulièrement ingénieux, voyez-vous... » Dahlia aurait bien touché deux mots, à ce satané créateur, sur la beauté cruelle de son œuvre, mais il n'était sûrement déjà plus de ce monde, hélas. « Nous avons pu emprunter, grâce au concours de votre amie, un portail de secours. En revanche, vous avez toutes deux trouvé la véritable issue. Il fallait, pour cela, parvenir à surpasser sa peur, incarnée par l'abîme »
Dahlia n'avait résolu aucune épreuve, n'ayant de fait que bêtement dérapé dans ce vaste précipice, mais elle ne revint pas sur ce faux-pas, bien trop honteuse de sa maladresse pour l'évoquer devant cette assemblée gonflée de fierté. Heureusement, toutes les erreurs n'étaient pas fatales. Et les labyrinthes avaient toujours une issue de secours. Voilà deux précieux enseignements qu'elle ne manquerait de retenir, pour l'avenir.
Un puissant vent glacial enveloppait Aelith, s’intensifiant de secondes en secondes. Les yeux clos, elle ne pouvait admirer la beauté du ciel cotonneux qui s’éloignait peu à peu. La chute la terrifiait, mais la sensation du souffle gelé sur son corps lui apportait un étrange sentiment de plénitude. Ce dernier ne dura pas. Brutalement, l’aventurière s’écrasa sur un dallage de marbre. Papillonnant des paupières, elle frotta ses membres endoloris pour se remettre du choc. Alors qu’elle reprenait ses esprits, la voix de Dahlia lui parvint.
« Oh Dahlia ! Tu m’as fichue une belle frayeur... »
Elle détailla brièvement son amie du regard : bien qu’un peu secouée, elle n’avait pas l’air blessée.
« Mon atterrissage n’était pas optimal, mais je vais bien. »
Un sourire aux lèvres, Aelith accueillit le câlin de Dahlia. Une telle marque d’affection de sa part l’étonnait, mais après toutes ces émotions elles en avaient toutes deux bien besoin.
« En effet, je dois reconnaître que tu as tenu cette promesse avec brio ! s’exclama-t-elle dans un éclat de rire. Je te savais courageuse, mais de là à tenter le grand saut… A croire que tu as le sang d’une aventurière ! Si la vie de garde t’ennuie un jour, tu sais quoi faire. »
Frottant l’arrière de son crâne, elle afficha un air gêné lorsque la jeune femme s’enquit de la manière dont elle avait traversé le portail.
« Je t’ai vu chuter avec le minotaure, et en lançant ma corde dans le gouffre j’ai pu constater qu’un portail se trouvait en dessous. »
En réalité, la brume qui masquait les arches lui avait empêché d’en être totalement certaine, mais elle passa ce détail sous silence.
« Et je me suis dit que t’aurais besoin d’aide pour rosser la bestiole cornue… Hum, pas que j’ai quelque chose contre les cornes, hein. Les tiennes sont splendides, se rattrapa-t-elle maladroitement. »
Alors qu’elle allait s’interroger sur l’absence de la dite « bestiole cornue », un résident du Temple pénétra dans la pièce. Il leur expliqua alors que le labyrinthe et le minotaure constituaient une épreuve, qu’elles avaient brillamment réussi. La jeune femme questionna le fidèle sur le créateur du dédale, mais il ne put l’éclairer : son nom et ses objectifs restaient mystérieux. Le frère les convia à le suivre dans le réfectoire, où elles pourraient se sustenter et se remettre de leurs émotions.
Dès qu’elle pénétra dans la salle, Aelith se précipita vers les bougies pour réchauffer avec délectation ses membres engourdis. Le climat plus doux, mêlant averses et brises fraîches, du Village Perché lui manquait soudainement. Quelques frères ne tardèrent pas à leurs apporter deux bols fumants de soupe. La soirée se finit calmement, autour d’un repas modeste et nourrissant.
Au petit matin, l’aventurière reprit la route en compagnie de Dahlia. Ce séjour au Temple avait été déroutant, frustrant, effrayant. Mais malgré tout, elle était convaincue que les épreuves qu’elle y avait subi lui avaient apporté la hardiesse et la force qu’elle était venue y trouver.