Ce qui ne l'empêcherait pas de savourer ce répit temporaire, cette pause oisive plus que méritée qui l'appelait depuis quelques temps déjà. Elle comptait changer d'air et se rendre aux côtes, pour profiter pleinement de celle-ci. Toutefois, Dahlia n'avait pas envie de se prélasser sur la plage, en enchaînant les cocktails, toute seule : ces jours de vacances étaient également l'opportunité de revoir des personnes chères à ses yeux. Elle avait ainsi proposé à Astrid de passer avec elle un après-midi au bord de la mer, chérissant toujours autant la compagnie de la citoyenne à l'humour ravageur. Avec les portails de téléportation, elles avaient pu rallier Grand-Port en moins de deux, accompagnées de leurs familiers.
« On va éviter les plages trop emplies de monde, si ça ne te dérange pas... »
Dahlia avait en effet un problème de taille : elle avait honte de ses orteils, et souhaitait donc éviter d'avoir à les exposer dans des lieux trop fréquentés. Certes, les badauds venus lézarder au soleil n'y auraient certainement prêté aucune attention, bien trop absorbés par leur farniente, mais complexée comme elle l'était, elle n'avait pas la lucidité suffisante pour le réaliser.
« J'ai entendu parler d'une petite crique, où l'on sera tranquilles ! »
Celle-ci exigeait en revanche un peu plus d'efforts, pour être atteinte : il fallait emprunter un sentier littoral rocailleux, qui sinuait sur un escarpement abrupt. Lors de leur cheminement à flanc de falaise, les deux jeunes femmes durent prendre garde à ne pas déraper dans le vide, au risque de finir sur les anses hérissées de brisants, en contrebas. Guidées par murmure lointain du ressac, elles finirent par tomber sur le raidillon pentu qui plongeait vers la petite crique étranglée en question, et la rejoignirent.
Sitôt sur la grève, la brise marine, iodée à souhait, vint piquer les narines de Dahlia et cingler son visage, en faisant virevolter ses cheveux. La plage, déserte, butait au pied de la falaise qu'elles avaient parcourue. Son versant surplombait l'océan de son altitude vertigineuse, et leur offrait une ombre profitable.
« Nous y voici ! » lança-t-elle joyeusement en posant ses affaires sur le sable tandis que son Canitribus gambadait allègrement en avant sur la grève, en s'approchant des vagues. Puis, après une légère pause marquée d'appréhension, elle ajouta : « Attention, tu vas avoir l'honneur de voir mes orteils... » En un claquement de doigt, Dahlia fut en maillot deux pièces, ses vêtements ayant magiquement disparu. « Essaye de ne pas trop rire, s'il te plaît. »
Cela lui en coûtait de devoir les révéler, mais cela lui devenait impossible de les dissimuler plus longtemps, si elle voulait profiter de cette trêve estivale dignement.
Donc nous disons, les vacances ! Ce mot qu'elle chérissait et adorait n'avait pas grand sens pour la femme à tout faire qui pouvait prendre des vacances quand elle le voulait, mais c'était essentiellement une période de repos pour les autres qui avaient un travail plus stable que celle de la citoyenne. C'était donc parfait pour se voir et pour surtout boire en toute tranquillité avec des gens qu'elle n'avait pas revu depuis un certain temps.
Quelle ne fut pas sa surprise lorsque Dahlia la contacta pour passer une après-midi à la plage ! Elle accepta sur le coup, mais encore une fois, elle avait été partagée entre la joie de passer un moment avec une amie qu'elle appréciait et l'angoisse de savoir que cette tendre amie était également la petite-fille de sa vie précédente. Quelle était la bonne chose à faire ? Lui avouer ? Lui cacher ? Faire comme si de rien n'était ? Astrid en était encore incertaine, ce qui était pourtant si rare chez elle. Son inconfort avait été si pesant que la veille du jour tant attendu, elle n'était pas allée boire (un cas d’extrême urgence et totalement exceptionnel) pour préparer son sac et réfléchir au comportement à adopter quand elle serait en face de Dahlia. « Ok… » avait-elle soupiré après de longues heures, plongée dans le noir entourée de ses familiers qui dormaient déjà pour la journée qui viendrait. « Allez Astrid…Tu peux le faire. ».
-Heeeeey Dahlia ! Comment va ?! On espère que cette fois il n'y aura pas d’événement bizarre cette fois ! Heh !
Oui. La citoyenne avait pour l'instant décidé d'agir comme elle en avait l'habitude. Profiter de ce jour de repos à la plage avec ses familiers et sa camarade était une priorité, et elle n'allait pas plomber l'ambiance tout de suite avec ses problèmes.
-Une petite crique c'est parfait pour le petit cirque qu'on a, héhé. Blague t-elle en montrant du pouce tous les familiers qu'elles avaient avec elles.
Ouragan l'Ouranbos qui portait sur son dos les autres familiers eut un air dépité et secoua la tête de droite à gauche, visiblement exaspéré par les blagues de sa maîtresse. Sur son dos, il portait Glou le glooby et Kyut la Kit-sune tant que Ribou le Ribec et Drake le Drarbuste volaient juste au dessus d'eux. 5 familiers en tout, 6 avec celui de Dahlia, et 8 si le Canitribus se séparait. Un vrai zoo !
En arrivant, Astrid poussa un sifflement, impressionnée par la vue qu'offrait ce lieu. Une plage au sable fin rien que pour eux et leurs familiers, l'océan clair à perte de vue, elle n'aurait pas rêvé mieux comme endroit.
-Sympa comme endroit ! Bien contente d'avoir libéré une plage horaire pour venir ici, pfffhéh…
Mais ce rire à cette blague naze fut de courte durée lorsque Dahlia mentionna ses orteils. Ah oui, il était vrai qu'elle complexait énormément sur ce point, jusqu'au point de garder ses chaussettes pendant….Oops non, ce n'était pas le moment d'y repenser Astrid. Trop loin, trop loin. Et alors qu'elle réussit à éloigner tout ça de son esprit en secouant la tête, la garde usa d'un maillot magique pour se changer. Ah, elle en avait donc un aussi !
Armée de son sourire taquin, la femme à tout faire regarda la source du complexe de Dahlia et haussa les épaules :
-À t'entendre dire, je m'étais attendue à quelque chose de bien pire, genre des orteils supplémentaires ou déformés à force de se cogner contre le coin d'un meuble, heh. Son regard remonta peu à peu, ralenti à certains endroits, et s'arrêta finalement au niveau des yeux de son amie. Avec un clin d’œil, elle rajouta : T'as tellement d'atouts que je me demande qui a le temps de regarder tes pieds, haha.
C'était désormais à son tour de se changer ! La jeune femme aux cheveux blancs prit une grande inspiration avant de s'exclamer :
-Traaaaansformation !
Elle tourna sur elle-même à la vitesse du son, et lorsqu'elle s'arrêta, ce fut dans son bikini magique, tout en faisant une pose sans grand sens, une main grande ouverte devant le visage et les jambes écartées.
Une petite mise en scène rocambolesque, signée Astrid, qui tituba ensuite légèrement à cause du tournis que ce tour avait provoqué. Impatiente, bien trop impatiente même, la ribec blanc se posa sur la tête de la citoyenne et se mit à piailler. Comprenant le message, la citoyenne pointa alors du doigts l'océan et donna le signal tant attendu par les familiers :
-Allez-y ! À l'attaque !
Et les voilà qui se précipitèrent pour rejoindre le Canitribus, laissant derrière eux les deux jeunes femmes.
-C'est la première fois qu'ils voient l'océan. Dit-elle à Dahlia en sortant de son sac des serviettes qu'elle déposa sur le sable. J'ai ramené pleeeinnnn de truc, on aura de quoi s'occuper, et surtout boire héhé. Mais peut-être que tu préfères faire une baignade avant ? Continuant à fouiller dans son sac, elle sortit deux ballons qu'elle lança aux familiers puis se retourna ensuite vers la garde avec un grand sourire qui signifiait qu'elle préparait un sale coup: Attrape !
C'est alors qu'une bouée Glooby vola droit vers sa camarade, se gonflant magiquement en quittant ses mains pour soudainement atteindre 2 mètres.
Elle retint sa respiration, tout en déportant ses prunelles chargées d'appréhension un peu plus loin, vers le large, pour tenter de noyer sa gêne dans l'immensité ardoise des flots, lorsque ses pieds furent dévoilés à la vue d'Astrid. Dahlia n'avait pas pour coutume de les révéler, si bien que seuls des membres de sa famille, et quelques rares autres élus, étaient déjà parvenus à les entrevoir, jusqu'alors. La citoyenne venait donc d'intégrer un cercle particulièrement restreint, témoignant de la confiance et de l'amitié que la garde lui portait.
Plus qu'une brochette de chaires disgracieusement drôles, les orteils de Dahlia incarnaient surtout l'une de ses principales vulnérabilités, et il était toujours particulièrement ardu de mettre à nu ses faiblesses, quelles qu'elles soient. Finalement, la citoyenne ne fut ni choquée, ni même hilare en les considérant, ce qui soulagea la garde de la lourdeur qui lui lestait la poitrine depuis le début de la journée.
« Merci, Astrid. Je crois qu'en fait, je t'y avais bien préparée, en laissant œuvrer ton imagination... La réalité doit rarement parvenir à la surpasser, haha. »
Puis, dans un tourbillon étourdissant de vitesse, qui se conclut sur une posture qui ne manqua de faire rire la garde, Astrid fut également en maillot, d'une facture magique comme celui de Dahlia. Ses familiers ne tardèrent pas à se précipiter sur la grève, ravis de pouvoir goûter aux joies iodées de l'océan, et alors qu'elle commençait à sortir ses affaires et à les déposer sur le sable, Dahlia l'imita, tout en lui répondant :
« Faudrait peut-être d'abord vérifier la température de l'ea... »
Lâchant aussitôt l'imposante pastèque qu'elle était entrain d'extirper de son grand sac sans fond, Dahlia tendit immédiatement les mains pour tenter d'attraper l'immense bouée Glooby, à l'effigie de Glou, qui fondait sur elle, projetée par Astrid à brûle-pourpoint. L'envergure de celle-ci était telle qu'elle ne put la saisir que par ses globules enflés, dans une prise malaisée.
« Heureusement que Glou n'a pas cette taille ! »
Dahlia la posa délicatement sur le sable, à une certaine distance des vagues pour éviter qu'elle ne se fasse malencontreusement emporter par leur reflux. Puis elle poursuivit le déballage de ses affaires, et étendit une serviette sur la grève. Le cri des mouettes emplissait les lieux, et des crabes y évoluaient, çà et là, dans une démarche obliquement enjouée. Keru était justement entrain de pourchasser l'un d'entre eux, tandis que Bero jouait au ballon avec Kyut, et que Su reniflait Glou, fort intrigué par ce dernier, qui tentait de le gratifier d'un câlin gluant en retour.
« On peut peut-être essayer la bouée, ou alors commencer par manger un bout, si t'as faim ? J'ai hâte d'étrenner mon grille-gourmand ! »
Dahlia venait justement de terminer de l'installer, et avait apporté avec elle de la viande de différentes créatures d'Aryon dans son sac, spéciale grillades, achetée à un boucher de Grand-Port juste avant qu'elles rallient la crique.
« Et, heu, pourrais-tu m'aider à mettre de la crème solaire ? Pour éviter les coups de soleil... Je peux t'en appliquer aussi, si tu veux ! »
Car, hormis son visage hâlé, Dahlia était aussi blanche que de la craie, se baladant habituellement intégralement en uniforme de la Garde. Et elle avait bien du mal à s'en appliquer dans le dos...
Sans surprise, la farceuse ne rata aucune occasion pour se fendre la poire avec ses petites farces débiles. Toutefois, bien que la blague était impressionnante avec l'apparition de ce soudain glooby géant et blanc, ce fut sans aucun danger. La bouée n'avait pas coûté très cher, mais Astrid l'avait quand même acheté avec les coqui...cristaux durement gagnés à la sueur de son front, et elle avait même déboursé un supplément pour que ça ressemble à son glooby blanc.
-Si Glou était aussi grand, j'aurais absolument pas les sous pour le nourrir, ni la place dans ma petite maison, et j'aurais sans doute été écrasée par ses câlins haha !
Mais ce rire fut de courte durée et très vite remplacé par un visage dépité et un profond soupir lorsqu'elle se rappela des dépenses engendrées par ses 5 familiers. Ce n'était pas facile tous les mois….Toutefois elle retrouva bien vite sa bonne humeur en les voyant s'amuser ainsi. Ouragan n'avait pas attendu pour se baigner alors que Ribou et Drake eux s'amusèrent à voler au dessus de l'océan en compagnie des mouettes. Oui, elle était bien contente de les avoir emmenés ici pour passer du temps avec eux en compagnie de son amie.
-Alors Ouragan ?! Elle est bonne l'eau ?!
La monture se tourna lentement vers Astrid avant de hocher la tête avec un air ravis.
-Oh ? T'as un grille-gourmand ? S'étonna t-elle, excitée et bavant d'avance à l'idée d'un barbecue sous le soleil. T'as pensé à tout pour la bouffe dis donc….Et de mon côté….Toute souriante, elle sortit de son sac deux verres et montra des bouteilles d'alcool en les levant triomphalement vers le ciel avant de les remettre dans le sac pour les protéger de la chaleur. Qu'est-ce que je vous sers, madame ? J'ai ramené pas mal d'ingrédient pour faire des cocktails...menthe, sucre, noix de coco, ananas…
Sans s'étonner, où Astrid allait, l'alcool la suivait. Ça aurait été dommage de ne pas en profiter pour siroter un verre tout en bronzant. Par contre, est-ce qu'il était conseillé de boire et de manger avant ou après la baignade… ? Eeeeeh, bah, ce n'était pas très important, si ?
Jusqu'à là, tout se passait relativement bien. La citoyenne se conduisait normalement avec Dahlia, oubliant presque leur lien (d'une certaine façon) de parenté. Elle était prête à boire, manger, se baigner, vomir, et rentrer à la maison totalement épuisée mais comblée par la journée.
Mais….la garde lui porta alors un coup fatal auquel la femme à tout faire ne s'était pas attendu. Ce fut même un coup critique qui la déstabilisa assez pour qu'elle reste bouche bée, incapable de répondre.
-P...pardon ?
Elle….voulait qu'elle lui mette de la crème solaire ? Les méninges de la réincarnée se mirent à marcher à pleine vitesse. Depuis qu'elle avait appris la vérité sur l'identité de la garde, elle n'osait plus vraiment faire des blagues beaufs comme elle en avait l'habitude ni même la toucher trop familièrement par peur que cela lui rappelle la fâcheuse nuit qu'elles avaient passé ensemble, se maudissant de tout son cœur pour ne pas avoir vérifié son nom de famille avant. Aussi, elle aurait pu refuser mais...ça aurait parut louche de sa part, non ? Aussi, sourire crispé, le visage un peu rouge d'embarras et mal à l'aise, elle répondit :
-O...ouaaauiiiis bien sûr….Et oui, tu pourras m'en appliquer aussi après. Puis on commencera à manger, j'ai un peu faim haha….
Elle attendit donc que sa sa petite-fi….non non non, que son amie se couche sur la serviette avant de lui appliquer de la crème solaire sur le dos. Allez du calme Astrid. Ce n'était que de la crème sur le dos d'une amie, rien de plus. Mais que Lucy et les coïncidences soient maudits ! Si Dahlia n'avait pas été une Delancy, tout aurait été si simple ! La citoyenne en aurait profité pour la taquiner et lui pincer les fesses, mais au lieu de ça, il n'y avait qu'un silence pesant…Il fallait lancer une discussion pour évacuer la gêne qu'elle ressentait…..Hmmm….
-Alors euh….ça se passe comment avec ta famille ces derniers temps, et ta mère surtout ?
IIIIIIIIIIIIIIDIOTE ! À peine avait-elle posé la question qu'elle se frappa la tête avec la paume de sa main. Débile ! Abrutie ! Sale conne ! Ce n'était pas le moment pour parler de sujet sensible comme celui-là !
Vite, change de sujet ! Change de sujet !
-Euh….euh…
Et, comme elle ne trouva rien, quoi de mieux pour changer de sujet que de faire une attaque surprise et de chatouiller sa camarade ! En espérant que celle-ci y était sensible sinon la femme à tout faire aurait juste l'air bête...Mais ce ne serait pas la première fois, heh.
En apercevant la sortie fugace des bouteilles d'alcool du sac d'Astrid, et en l'entendant énumérer les ingrédients à cocktails qu'elle avait judicieusement apporté avec elle, la garde sourit largement, réalisant qu'elles étaient définitivement parées pour passer un très bon après-midi. Les deux jeunes femmes devraient juste veiller à ne pas s’enivrer trop rapidement, ou alors après leur immersion, pour que leur capacité à nager ne soit pas compromise par l'inéluctable dépossession de leurs moyens qui arriverait avec l'ébriété. Dahlia en fit part à son amie :
« À nous les mojitos et les piña coladas ! Mais après avoir fait trempette, de préférence, car je ne suis pas sûre d'être encore en état de nager après ça, haha. »
Suite à sa demande d'aide pour l'application de crème solaire, la garde crut déceler la gêne qui s'empara brièvement d'Astrid. La citoyenne était en effet demeurée coite momentanément, et ses joues s'étaient même légèrement colorées, si elle ne se fourvoyait pas ? Une réaction qui pouvait paraître étonnante, de la part d'Astrid. D'autant plus quand on savait l'intimité qu'elles avaient déjà toutes deux partagée... une seule fois, saoules, et il y a deçà quelques temps déjà, mais peut-être que cette proposition impliquant un contact tactile venait de faire ressurgir ce souvenir, et d'embarrasser la citoyenne ? Mais, tout de même, celle-ci était peu encline à s'effaroucher pour si peu, d'ordinaire...
Avant que Dahlia n'ait le temps de réfléchir davantage, Astrid finit par accepter sa requête, et la garde s'allongea pour lui offrir son dos. Tout en l'oignant d'onguent solaire, la citoyenne l'interrogea alors sur... ses relations présentes avec sa famille. Mais alors que Dahlia s'apprêtait à lui répondre, ses côtes subirent soudain un assaut plus qu'inattendu, et elle se tortilla dans un éclat de rire irrépressible, totalement à la merci d'Astrid. Une fois délivrée du joug de cette douce torture, Dahlia se redressa aussitôt, un amusement outré allumant ses prunelles.
« Alors là... Tu vas le regretter ! »
La citoyenne allait apprendre, à ses dépends, que lorsqu'on s'attaquait à Dahlia, celle-ci était plus que prompte à riposter. Sans attendre, la garde plongea sur son amie, la faisant basculer, puis elle vint la chatouiller à son tour, sans cérémonie. Lorsqu'elle jugea que sa vengeance avait été dignement accomplie, elle daigna alors la libérer.
« Je te mets de la crème ? »
Tout en tapissant le dos de son amie de la mixture protectrice, le regard de Dahlia se fit soudain plus sérieux, et le sourire accroché à ses lèvres depuis leur incartade s'estompa quelque peu.
« À propos de ta question posée précédemment, eh bien... On peut dire que ça se passe plutôt pas trop mal. Ma mère est ravie de mes récents progrès au sein de la Garde, et de mon côté, j'ai... commencé à reconsidérer un peu mes griefs à son encontre. » Depuis qu'elle avait cru toucher à l'extrémité de sa vie, en tombant dans ce gouffre par mégarde, le regard de Dahlia sur certains aspects de sa vie avait en effet quelque peu mué. « Et de ton côté, tout va bien ? Pas de soucis familiaux ? » demanda-t-elle à son tour, car, malheureusement, il n'était pas rare que famille rime avec soucis.
….
Quoiqu'en y réfléchissant bien, elle devrait peut-être se contrôler pour éviter un autre accident qu'elle regretterait par la suite et qui causerait ce malaise qu'elle ressentait en pensant à son amie.
Toutefois, entendre le rire de la garde et la voir se tortiller ainsi sous les assauts incessants lui fit oublier un instant ce lourd sentiment et Astrid y trouva même de la joie et s'en amusa allégrement, lui rappelant son enfance avec ses frères et sœurs.
-Héhé ! J'te savais pas si faible aux chatouilles ! Une bonne information pour la pro….attends attends attends !
Mais trop tard, œil pour œil, dent pour dent, Dahlia se jeta sur elle pour se venger, provoquant alors un fou rire qui était autant causé par les chatouilles de sa camarade que par la situation dans laquelle elle se trouvait. Son rire résonna si fort sur la plage que les familiers s'étaient retournés vers elles pour voir ce qu'il se passait et certains accoururent même pour assister à ce spectacle qui ne se présentait que rarement : Leur maîtresse à la merci totale d'une autre personne. La jeune Kyut, encore ignorante, tenta tant bien que mal de venir en aide à Astrid mais fut arrêtée par Ouragan qui eut un air satisfait en voyant la jeune femme à tout faire
recevoir sa juste punition.
Ce fut totalement essoufflée, des larmes aux yeux et avec des douleurs à l'abdomen qu'elle fut enfin libérée de l’emprise de son amie avec la sensation d'avoir perdu un duel.
-Huph, huph, huph….souffla-t-elle toujours pliée en deux sur le sable. A...aucun...regret….mais je garderai à l'esprit….de...te fuir...dès que possible la prochaine fois...T'es...presque...plus agile avec tes doigts que moi, eh…..Et oui, merci...
Soit elle était elle-même très fragile à ce genre de chose (plus qu'elle ne l'aurait pensé), soit son amie était avait un certain talent pour. Mais ce n'était pas pour autant qu'elle s'avouerait vaincu !
Avec un râle d'agonie, elle se mit sur le dos et se laissa mettre de la crème sur le dos sans rechigner, profitant de la douce chaleur du soleil qui caressait sa peau. Un moment si parfait et si paisible, seulement troublé par le bruit des vagues, des mouettes, des familiers s'amusant, et par la vérité et la question qu'avait malencontreusement posé la citoyenne qui avait espéré que Dahlia ignorerait mais….ce ne fut pas le cas, et le sourire d'Astrid se dissipa bien vite.
La réponse était étonnamment plus positive que prévu et cela soulagea grandement la citoyenne qui se sentait responsable de la situation dans laquelle était la mère et la fille. Edmond était mort avec d'innombrables regrets, et désormais ces regrets la rattrapait.
-Eh, c'est bon à entendre. J'espère profondément que votre relation s'améliorera encore plus…Et ne lui en veut pas trop non plus, le seul responsable dans tout ça...c'est ton grand-père.
« Donc moi ». Mais elle n'en dit pas plus, se mordant l'intérieur de la joue. Si Edmond s'était mieux occupé de ses enfants, peut-être que Dahlia n'aurait pas été dans sa situation si particulière. La garde la maudissait, et Astrid se maudissait également.
Parfois, elle aimerait oublier qu'elle avait eu une autre vie avant celle-là. Elle aurait aussi aimer grandir sans souvenir d'Edmond. Qu'est-ce que serait devenu une telle Astrid alors ? Aurait-on pu toujours la considérer comme Edmond ? Une question qui resterait à jamais sans réponse, mais qui la rendait fort curieuse et qui serrait son cœur à chaque fois qu'elle y pensait.
Puis, la question sur sa propre famille tomba. Sans sourire, fixant les grains de sable infinis, elle répondit :
-Ma famille ? Hmm….c'est loin d'être parfait, mais ça se passe bien. Je m'entends toujours bien avec mes frères et sœurs, ainsi que mes parents. Ils s'inquiètent un peu pour moi mais heh, ils savent que je suis le genre de personne à pouvoir m'en sortir dans la vie. Ils me laissent libre et me font confiance. Je sais que j'ai...beaucoup de chance. Beaucoup beaucoup beaucoup de chance de ce côté là.
Oui, elle en avait bien de la chance, de pouvoir faire ce qu'elle souhaitait dans cette nouvelle vie. Elle aurait pu retomber dans une famille voulant choisir son destin, mais se serait probablement battue corps et âme contre. Lucy lui avait donné une deuxième opportunité de profiter de la vie, et elle l'en remerciait. Et peut-être que si Lucy avait fait en sorte que Dahlia croise sa route, c'était pour une bonne raison également.
Une fois que son dos fut entièrement protégé du soleil, la citoyenne se releva et leva ses bras vers le soleil pour s'étirer, son sourire étant revenu à la normale. Avec énergie, elle se tapa l'estomac avec la main et annonça :
-Bon, c'est pas tout, mais rigoler m'a bien donné faim ! Tu me montres ton talent au barbecue ? T'es sûuuuuuure que tu peux cuisiner hein ? J'avoue être un peu sur le gril, heh. Et faudrait aussi qu'on mange avant que tu te mettes à table, parce que eeeeeh…hésitation, embarras, un regard qui dévia des yeux de Dahlia : J'ai entendu dire que t'étais une De...De….Delancy…balbutia-t-elle. T'sais, la dernière dois qu'on était dans la caserne. Donc ton grand-père….C'est Edmond Delancy hein ? Tu le...euh...détestes tant que ça ?
….Vraiment ? ….Elle s'était traitée d'idiote pour avoir commencé la discussion sur la famille qui plombait définitivement l'ambiance de cette journée de vacance à la plage, et la voilà en train de poser une question sur elle-même juste pour savoir ce que pensait la petite fille d'Edmond ?! La réponse était en plus évidente ! Sa curiosité allait la perdre, mais elle ne pouvait s'en empêcher !
« Me fuir ? Tu sais, j'ai un lasso pour attraper les éventuels fuyards... Pas sûre que tu puisses m'échapper, haha. » plaisanta-t-elle quand Astrid évoqua la perspective de se dérober à ses assauts, à l'avenir.
Cet objet, Dahlia avait d'ailleurs oublié de l'amener avec elle... En effet, son esprit avait été pleinement accaparé par la liste des affaires à réunir pour la plage, si bien qu'elle en avait oublié ses équipements essentiels. Mais, au demeurant, la garde ne devrait pas en avoir besoin, l'heure étant à l'indolence, et non à la poursuite de marauds en cavale. Et elle ne comptait bien évidemment pas s'en servir à l'encontre d'Astrid, n'ayant fait que rigoler à ce sujet.
Suite à la réponse d'Astrid, qui se réjouissait de l'embellie de sa relation avec sa mère, Dahlia devint pensive. Son grand-père... était-il l'unique responsable de la pression qu'elle avait subie, dans sa jeunesse ? D'une certaine façon, oui, car tout cela découlait de son renom... Mais sa mère avait tout de même cette inflexibilité qui lui était propre - et que Dahlia abhorrait tant, chez elle - sans doute exacerbée par son sentiment d'échec personnel. En effet, sa génitrice avait été blessée, au cours de sa carrière militaire, et contrainte de devenir instructrice, ce qui avait abruptement interrompu sa brillante progression dans la Garde.
Vivre au travers de son enfant, en reportant ses ambitions sur lui, faisait partie des plus fatales erreurs que pouvaient faire certains parents... Mais heureusement, les géniteurs d'Astrid ne semblaient pas être tombés dans ce genre d'écueil. La citoyenne s'estimait chanceuse, et Dahlia ne pouvait qu'abonder dans son sens, en constatant la liberté dont elle jouissait. Toutefois, elle percevait une certaine morosité dans la voix de son amie, qui s'était effeuillée de sa jovialité ordinaire, et la garde parvenait – encore une fois - difficilement à s'expliquer celle-ci, comme si certaines informations lui demeuraient voilées. Mais Astrid était libre de lui dévoiler ce qu'elle souhaitait, et de taire le reste.
« Tes parents devraient donner des cours aux miens... Enfin, surtout à ma mère. »
En effet, le père de Dahlia avait toujours été bien plus indulgent et compréhensif, tel un contrepoids salvateur. Toutefois, il n'était pas parvenu à soustraire Dahlia au marché que sa mère lui avait imposé, et qu'elle se devait encore d'honorer. Elle devait devenir Capitaine, avant de pouvoir choisir définitivement sa voie... autant dire qu'elle en était encore très loin. Lorsqu'Astrid se releva, le dos parfaitement enduit, Dahlia constata qu'elle avait recouvré son entrain.
« Hey, comment ça, douterais-tu de mes compétences de cuisinière... ? » commença-t-elle, avec un air faussement outré, avant de poursuivre : « Tu as bien raison, haha. Je passe plus de temps en patrouille qu'aux fourneaux, à vrai dire. Mais ne t'en fais pas, j'en maîtrise les rudiments, tout de même. »
Sur ces paroles, la garde activa le cristal de feu du grille-gourmand qu'elle avait déjà préalablement installé sur la grève. Elle venait d'y disposer des brochettes de rapidodo et des saucisses de boucton, lorsqu'une étrange question lui vint d'Astrid, toujours liée à sa famille.
« Ah... lui. » lui répondit-elle dans un soupir maussade. Son grand-père, on l'avait déjà tant bassinée au sujet de ses hauts faits, que Dahlia ne supportait plus d'entendre la simple évocation de son nom. Mais Astrid, étrangement, n'était encore jamais revenue sur son patronyme, malgré la notoriété de celui-ci – jusqu'à ce jour, en tout cas. Une délicatesse dont Dahlia lui avait été reconnaissante, jusqu'alors, mais il fallait croire que la curiosité de la citoyenne avait fini par primer. Elle consentit à lui répondre, d'une voix ternie par les sentiments négatifs que son aïeul lui inspirait : « Avoir cet ancêtre, c'est la pire chose qui me soit arrivée. Je le maudis d'avoir été un héros et d'avoir tué ce fenrir, et je regrette profondément d'être de sa lignée. Je crois qu'il n'y a rien de plus à dire, à son sujet... »
Après un regard sur la grille, sa mine s'illumina à nouveau : « Ça va être prêt ! C'est l'heure de vérité, pour juger de mes grillades. Mais prends garde, ou ça pourrait être toi que je vais finir par rôtir, haha. »
Oui. Son père et sa mère actuels lui avaient déjà donnée de sacrées leçons sur l'art d'être parent, sur l'amour familial et qu'est-ce qu'elle aurait donné pour qu'Edmond ait eu ces cours avant d'être lui même parent car alors, potentiellement, il aurait aimé et éduqué ses enfants de la même manière, aurait laissé ses enfants poursuivre leurs rêves loin de la garde, ne les aurait pas enchaîné à la renommé de la famille, et aujourd'hui, Dahlia aurait été libre.
Mais elle ne pouvait que se perdre en conjectures, imaginer, rêver, car le passé était déjà écrit et elle ne pouvait pas le changer. Tout ce qui lui restait, c'était les regrets, des « si » d'une autre vie.
Mais que les pensées déprimantes s'arrêtent là, Astrid ! Car les deux jeunes femmes étaient là pour s'amuser, et il fallait qu'elle se le rappelle ! Ce n'était pas tous les jours qu'elle faisait un barbecue, aussi il fallait en profiter un maximum. D'ailleurs, la vue de la viande et le bruit si particulier lorsqu'elle se mit à griller furent bien suffisant pour que son ventre se mette à gronder. Elle en avait déjà l'eau à la bouche et il en était de même de certains familiers qui tournèrent autour de Dahlia et du grille-gourmand pour avoir leur part.
Avec de la chance, rien n'allait gâcher tout ça…. ! Ce serait bête après tout que la nourriture ait un arrière goût am….
Ah, oui, la question sur le grand-père.
La citoyenne aurait juste dû la fermer et réprimer sa curiosité si mal placée alors même qu'elle connaissait déjà plus ou moins la réponse : Sans aucun doute, la garde détestait son grand-père et l'avait clairement fait comprendre lors de leur première soirée. Mais, au fond, elle espérait quand même...quoi ? Que la petite-fille pardonne son grand-père ?
À voir le soupir maussade de l'autre jeune femme, c'était très mal parti pour. À vrai dire, ça présageait même le pire, et Astrid regretta instantanément sa question…
Des épines, non, des coups d'épées la traversant de toute part, des pieds à la tête. Son cœur ? Se serrant si fort qu'elle eut l'impression qu'une main immatérielle était rentrée dans sa poitrine pour l'écraser sans pitié.
Le monde s'écroula autour d'elle, et, prise de vertige, ses jambes la lâchèrent et elle tomba sous le poids du ressentiment de Dahlia. À genoux, abattue, Astrid eut l'impression de se faire tuer de nouveau par ce maudit Fenrir qui la tourmentait encore parfois lors de ses nuits.
Sentiment d'impuissance, de désespoir, tourment, détresse, accablement, désolation….
Voilà le pouvoir des paroles d'une petite-fille sur son grand-père. Un grand-père qui, auparavant, aurait été mis K-O sous le choc. Mais Astrid elle, était encore consciente (plus ou moins), s'étant (plus ou moins) attendue à la haine de Dahlia.
Mais bordel, qu'est-ce que ça faisait mal quand même...qui l'aurait cru ?
Lorsque Dahlia annonça que la nourriture était enfin prête, ce fut une Astrid couchée sur le sable, recroquevillée sur elle même et ruminant de sombres pensées qu'elle retrouva.
-Aie aie aie, j'suis déjà rôtie et bien grillée comme il faut. Répondit la citoyenne sans sa joie de vivre habituelle. En fait non, j'dirais plutôt que je suis brûlée. Bien brûlée. T'as bien réussi ton coup, hahaha.
La jeune garde avait, sans le savoir et sans le vouloir, porté un coup critique sur son amie qui avait perdu toute énergie et bonne humeur. Malgré tout, elle se releva quand même, lentement et difficilement, et se dirigea, échine courbée, vers la viande.
Ce fut sans grande conviction qu'elle prit une bouchée de l'une des brochettes de rapidodo, pensant que vu l'état dans lequel elle était, ça n'aurait probablement aucun goût. Mais grossière erreur ! Ses yeux mornes s'illuminèrent un peu plus, et elle fut vite prise par le goût, tant que son humeur s'améliora. Avec un peu plus d'entrain, elle complimenta la cuisinière :
-C'est...vachement bon et juteux.
Il était juste bien dommage de ne pas pouvoir accompagner tout ça d'une bonne bière….ce qui l'aiderait bien à oublier quelque peu ce que venait de dire Dahlia…
….
Mais était-ce là une sage décision avant de se baigner ? Non, mais la femme aux cheveux blancs n'était pas connue pour prendre de sages décisions. Au diable la sécurité donc ! Elle avait besoin de se remonter le moral !
En une seconde, Astrid disparut puis revint, sa choppe de bière magique à la main qu'elle avait rempli avec l'eau de l'océan.
-On ne peut décidément pas avoir de barbecue sans un peu d'alcool ! Ce serait comme manger des frites sans ketchup, ou se battre contre un Béhémoth sans arme, ou euh….euh….Tu saisis l'idée !
Et sur ces paroles, elle dévora avec appétit sa brochette et une saucisse en accompagnant le tout de sa boisson, ce qui lui permis de se changer les idées. Ce n'était peut-être pas le meilleure alcool du monde ni le plus fort, mais ça ferait amplement l'affaire pour ne pas trop perdre ses moyens non plus. Les cocktails, plus délicieux et plus forts ? Elle les garderait pour plus tard, sauf si Dahlia cédait, heh.
-T'es sûre que tu veux pas boire un tooooooooooout petit peu ? Demanda Astrid en tendant à son amie sa choppe à moitié remplie, avec un sourire en coin encore teinté d'un léger malaise. Ou tu préfères un cocktail peut-être ?
Tentatrice !
Une fois le plateau chargé des différents mets, Dahlia se retourna vers Astrid, un sourire triomphateur ornant son visage, traduisant sa joie d'être parvenue à remplir cette mission avec succès. À ses pieds, Keru, Bero et Su sautillaient allègrement, ainsi impatients qu'elle de pouvoir goûter à ces fameuses grillades préparées avec amour. Toutefois, le sourire de la garde s'éteignit rapidement, pour se teinter immédiatement d'inquiétude, lorsqu'elle vit Astrid allongée sur la grève, ramassée sur elle-même dans une position qui semblait figurer une certaine douleur. S'était-elle fait mal ? Dahlia connaissait en effet la propension de la citoyenne à tomber et à heurter tout et n'importe quoi, bien malgré elle... Or elle ne constatait pas présentement d'éléments qu'elle aurait pu percuter, aux alentours.
« Brûlée ? Tu ne peux pas avoir déjà attrapé de coups de soleil, surtout avec la couche de crème que je viens de t'appliquer... Laisse-moi regarder ça de plus près. »
Effectivement, après une rapide œillade d'inspection, Dahlia put observer que la citoyenne ne présentait pas de rougeurs corporelles, qui auraient pu présager de brûlures de son épiderme par l'astre solaire. La garde apposa tout de même sa main sur le front de son amie, pour vérifier qu'elle n'était pas victime d'une insolation. Ce dernier ne lui sembla pas particulièrement fiévreux, et Astrid se dirigea finalement – tant bien que mal – vers les brochettes de rapidodo, auprès desquelles elle trouva un certain réconfort, ce qui rassura Dahlia sur le fait qu'elle ne devait pas couver une maladie trop sévère. Sa remarque d'appréciation la fit esquisser un sourire de satisfaction.
La garde passa elle-même à table, goûtant une brochette de rapidodo après en avoir préalablement donné une à Keruberosu, resté à ses côtés, qui la savoura avec une appétence vorace. Elle servit également à Kyut une saucisse de boucton, tandis qu'Astrid s'éclipsait pour aller chercher... une chope, qu'elle remplit d'eau de mer, ce qui fit hausser un sourcil d'incompréhension à Dahlia. Le soleil avait peut-être, en effet, un peu trop tapé sur la tête de son amie, tout compte fait... Mais en jetant un œil dans le godet qui lui était soudainement tendu par celle-ci, et en sondant son contenu, elle put déceler qu'il était en réalité empli de bière. La garde en fut bien soulagée, rassurée quant à la santé mentale d'Astrid, et entreprit même d'en boire une lampée pour juger de la qualité du breuvage.
« Pratique, ta sainte chope qui transforme l'eau en bière... Mais je crois que je préfèrerai tout de même un cocktail. »
Un, ou deux, ou plus encore... Hélas, Dahlia eut bien du mal à se contenir sur le nombre de ces derniers, face à l'éventail des possibilités qu'offraient les ingrédients amenés par Astrid. Elle en but donc quelques uns, misant sur le fait que les brochettes de rapidodo et les saucisses de boucton qu'elle avait goulûment dévoré, en parallèle, viendraient quelque peu éponger ces plaisirs éthyliques. Cela ne fut toutefois pas réellement le cas, et ce fut avec un léger vertige, et un timbre de voix quelque peu défait par l'alcool, qu'elle finit par oser lui demander :
« Dis, Astrid... Tu me sembles un peu... différente, aujourd'hui. Moins... enjouée. Tu peux tout me dire, tu sais. » Après tout, elles étaient devenues des amies suffisamment proches pour partager des confidences. « Ce serait pas à cause d'une peine de cœur, quand même ? Ou alors... aurais-tu des soucis au travail ? Sache que je suis là, dans tous les cas, si tu as besoin de parler. »
Armée de sa curiosité débridée par l'alcool, et aussi du souhait d'aider son amie, Dahlia espérait découvrir ce qui semblait rendre Astrid aussi morose, en toile de fond de cette pourtant si belle journée ensoleillée, bercée par le clapot des vagues et le cri des mouettes.
Toutefois, il y avait une bonne solution pour noyer tout sentiment négatif, une solution que cette dernière connaissait très bien, et même un peu trop bien depuis ses 16 ans : l'alcool. Aussi, ce fut avec soulagement qu'elle vit Dahlia prendre la chope pour ensuite annoncer qu'elle préférerait des cocktails. Il fallait avouer que bien que la chope magique était pratique, elle n'offrait pas la meilleure bière d'Aryon…
-Héhé, j'étais sûre que tu ne résisterais pas longtemps. Ricana la citoyenne en adoptant un sourire espiègle, retrouvant une meilleure humeur et un cœur plus léger à l'idée de pouvoir boire. Qu'est-ce que je vous sers, mademoiselle ? Et pas d'inquiétude sur la qualité des cocktails, parce que j'ai déjà travaillé en tant que barman, heh !
Travailler un peu partout avait ses avantages, surtout celui d'apprendre de nouvelles choses chaque jour. Après, il ne fallait pas se voiler la face : l'art de faire des cocktails, elle l'avait appris assez tôt pour….en profiter elle-même. Et aujourd'hui, elle en faisait également profiter Dahlia. Piña Colada, caipirinha, margarita, la citoyenne démontra qu'elle ne plaisantait absolument pas avec ces boissons alcoolisées et rafraîchissantes qui se mariaient si bien avec la viande qu'elle avalait à grande bouchée. Hmm, ces saucissons de boucton étaient pas mal, et ses familiers semblaient tout à fait d'accord avec elle tant ils dévoraient avec appétit leur part, ce qui eut pour effet d'alléger le cœur si lourd de la femme à tout faire….qui était en réalité déjà bien plus léger grâce aux verres ingurgités et à son ventre bien rempli.
Bien qu'elle n'avait pas totalement oublié le malaise et la gêne qu'elle ressentait, l'alcool avait quand même bien réussi son coup, comme prévu. Tout en prenant une nouvelle gorgée d'un énième cocktail, elle se sentait presque capable d'agir normalement à nouveau…jusqu’à ce que Dahlia fasse la remarque que la citoyenne semblait différente et moins enjouée.
…
Nul besoin de dire qu'Astrid recracha une partie du liquide qu'elle avait dans la bouche et manqua de s'étouffer, se mettant à tousser comme jamais pour dégager ses poumons, agissant de nouveau d'une manière exagérée à une question pourtant si prévisible.
Enfin, prévisible pour n'importe qui sauf elle, car la femme aux cheveux blancs, dans son esprit qui commençait à ne plus être très clair, se demanda s'il avait été si évident que ça qu'elle n'était pas normale?
-C-c-c-c-comment ça je suis différente ? Bégaya t-elle, confuse, avant de gesticuler dans tous les sens. Mais non j'suis la même ! Ou sinon on peut aussi dire que je suis pas dans mon assiette parce qu'on en a pas justement, d’assiettes ! Sur cette blague vaseuse, elle leva triomphalement sa brochette avant de planter ses dents dans la viande et se mit ensuite à ricaner la bouche pleine. Mais son rire s'éteignit petit à petit lorsqu'elle remarqua que la garde ne semblait absolument pas la croire.
Comment est-ce qu'elle avait deviné ?
….
En y réfléchissant bien, se rouler en boule sur le sable de façon si dramatique avait peut-être en effet donné un indice assez conséquent sur son état mental….Quelle idiote !
Mais toute idiote qu'elle était, elle réalisa tout de même une chose primordiale : Dahlia était une excellente et véritable amie qui s'inquiétait pour elle, ce qui serra d'autant plus le cœur de la citoyenne de devoir lui cacher des choses. Était-ce le moment de lui dire la vérité ? De se mettre à nu ? Au risque de briser leur lien et leur amitié ? Car après tout, la petite-fille détestait Edmond, et ce dernier n'avait pas le droit de réapparaître dans sa vie comme ça, si ?
Cette situation lui rappelait tristement le jour où sa mère lui avait posé une question similaire : «Tu me caches quelque chose, Astrid ? Je suis ta mère, je serai toujours là pour toi tu sais...»
Sans surprise, elle n'avait jamais eu le courage de lui dire quoi que ce soit, et sa mère n'avait pas besoin de savoir que sa fille était la réincarnation d'une personne.
Mais la situation actuelle était…différente.
Embarrassée de s'être fait prendre, d'avoir une amie s'inquiétant pour elle alors qu'elle ne le méritait pas, son visage déjà légèrement rouge à cause de l'alcool rosit davantage. La main posée sur sa poitrine au niveau de son cœur qui lui était ô si douloureux, elle regarda Dahlia droit dans les yeux en silence, le doute et l'incertitude se lisant partout sur son visage et enfin, elle finit par ouvrir la bouche :
-Dahlia je dois t'avouer quelque chose….Je…Je….
Elle s'arrêta dans son élan, incapable de continuer, baissant soudainement le regard pour éviter celui de son amie.
« Je suis la réincarnation de ton grand-père ». Cette phrase ne passa pas ses lèvres.
Encore une fois, Astrid venait de décider de fuir, manquant de courage pour affronter le problème en face même si cela la déchirait de l'intérieur. Elle avait été un commandant respecté ne reculant devant rien ? Quelle vaste blague.
Avec un profond soupir, exaspéré par sa propre bêtise et lâcheté, la jeune vieille femme se réveilla à coup de claques et s'exclama avec une fausse énergie, comme si de rien n'était :
-Je, je...Jeu ! J'ai ramené une bonne pastèque comme dessert et pour faire un jeu !
Usant à nouveau de son pouvoir, elle revint devant la garde avec une grosse pastèque ronde et bien mûre, un bâton en bois, et un tissu pour se bander les yeux.
Avec un sourire farceur forcé, elle continua en faisant apparaître deux dés dans la paume de sa main :
-Celui qui fait le plus haut chiffre aura l'honneur d’exploser la pastèque sous la direction de l'autre, ça te dit ? Heh. Ça va être marrant, vu qu'on a un peu bu en plus, huéhué.
Ah, le retour des dés ! Toujours signe de fun et d'amusement ! Même si cela était un peu gâché par l'attitude si étrange d'Astrid qui aurait aimé n'avoir jamais découvert le nom de famille de Dahlia. Elles auraient pu ainsi passer une vraie après-midi en toute légèreté, sans aucun souci, à rire de bon cœur….mais malheureusement, même si aucun nuage n'était en vu dans ce ciel azuré et sous ce soleil si agréable et paisible, un orage se préparait bel et bien.
Dans l'expectative de sa réponse, Dahlia tenta de sonder Astrid, afin de mesurer à sa réaction l'étendue de ses hypothétiques problèmes. Cette tentative fut toutefois rendue quelque peu compliquée par ses yeux qui louchaient, sous les affres de l'alcool. Elle n'aurait peut-être pas dû boire autant de ces cocktails si expertement confectionnés par son amie, tout bien reconsidéré... La garde ne manqua toutefois de voir Astrid entrain de s'étrangler avec une gorgée de son dernier verre, l'expectorant par le biais d'une violente toux. Astrid était-elle déjà ivre au point de ne plus réussir à boire convenablement, ou avait-elle été troublée par la question de la garde ? Cela demeurait encore un mystère.
La citoyenne commença sa réponse par un confus balbutiement - peut-être parce que sa trachée était entrain de se remettre de sa récente déconvenue ? -, puis démentit fermement être différente. Sa blague aurait pu être propice à faire rire Dahlia, de par sa justesse, mais il n'en fut rien : cette dernière continua de détailler son amie avec circonspection, les sourcils froncés par les préoccupations qu'elle nourrissait à son encontre. Astrid reprit alors une posture plus calme, cessant de gesticuler et de plaisanter à tout va, à tel point que cela vint... nouer la gorge de Dahlia.
Car, en effet, l'attitude de la citoyenne était devenue subitement particulièrement grave et affectée. Celle-ci avait apposé une main sur son cœur, et soutenait le regard de la garde de façon troublante. Que s'apprêtait-elle à lui annoncer, au juste ? Un mauvais pressentiment vint immédiatement serrer le cœur de Dahlia. Car, à en juger par l'expression incertaine qui flottait sur le visage d'Astrid, la teneur de son aveu devait être d'une certaine importance...
Durant les multiples « je » suspendus qu'égrena Astrid, et qui ne trouvèrent de suite immédiate, l'intuition de Dahlia ne fit que s'accentuer en elle, se transformant presque en certitude. Celle de l'arrivée d'une information inéluctable, et irréparable. Est-ce que tout ce qui formait cette magnifique après-midi, était sur le point de crouler ? Est-ce que ce qu'Astrid allait lui révéler allait briser l'harmonie de cette paisible crique, et y faire déferler un raz de marée de désolation ?
Un doute vif plana un instant en Dahlia, qui restait muette, suspendue aux lèvres de son amie, qui... détourna finalement l'azur de son regard du sien. Et lorsqu'elle reprit la parole, ce fut pour finalement proposer... un jeu. Dahlia, quelque peu ébranlée par cet instant de suspens intenable qui avait mis à mal son imagination, finit par acquiescer, et répondre avec une voix à l'engouement un peu moins saillant, mais toujours présent :
« Très originale, cette façon d'amener le dessert... Lançons les dés de ce pas ! »
Son esprit joueur avait été immédiatement éveillé, et ses inquiétudes, provisoirement mises de côté. Les deux jeunes femmes firent rouler à tour de rôle leurs dés, et ce furent ceux de Dahlia qui révélèrent le plus haut résultat, lui donnant l'honneur d'étrenner le jeu. Après avoir couvert ses yeux avec le tissu prévu à cet effet, elle s'empara du bâton apporté par son amie, puis le planta dans le sable, et fit plusieurs tours autour de ce dernier. Totalement désorientée, elle fut prise d'un important tournis, qui venait exacerber celui que lui octroyait déjà son état d'ébriété.
D'une démarche chancelante et hésitante, Dahlia essaya alors de rallier la pastèque trônant à quelques mètres de là, aiguillée par les indications de son amie. Au bout de quelques instants, elle crut l'avoir trouvée, et abattit alors énergétiquement le bâton, telle une implacable massue, vers celle-ci, pour la fendre d'un coup... Toutefois, le bruit et l'impact du choc éprouvé ne furent pas ceux escomptés.
Abaissant le bandeau qui lui ceignait les yeux, Dahlia constata, fort penaude, qu'elle avait échoué, ayant porté son coup dans le sable, à côté du fruit qui demeurait intact. Soupirant de déception, son faciès reprit rapidement un air plus guilleret, tandis qu'elle coulait un regard joueur vers son amie :
« Tu veux essayer à ton tour ? Tu ne devrais pas avoir de mal à faire mieux que moi, haha. »
Sans même attendre l'accord d'Astrid, Dahlia se précipita vers elle, et masqua ses yeux à l'aide du foulard. Elle lui attribua ensuite le bâton, puis la fit tournoyer à plusieurs reprises, sans guère de cérémonie.
« C'est parti ! Tu peux commencer par aller... heu, à droite. Enfin, ma droite, donc ta gauche. »
Ses indications allaient-elles être plus faciles à suivre que celles de la citoyenne ? Rien n'était moins sûr, surtout avec son regard troublé par ses récents excès éthyliques... mais cela ne rendait l'exercice que plus drôle.
-Je t'aurais bien apporté et amené le dessert sur un plateau d'argent, mais comme j'ai dit tout à l'heure, déjà qu'on a pas d'assiette, haha….
Est-ce que ses blagues étaient encore plus nazes que d'habitude à cause du poids de la vérité qui lui pesait, à cause de l'alcool qui lui était déjà un peu monté à la tête, ou est-ce qu'elles avaient toujours été aussi nulles ? Dur de le dire. Probablement le dernier cas, ou un mélange des trois possibilités, cela restait un mystère avec elle.
Comme pour démontrer à Astrid que le destin était contre elle et qu'elle n'aurait aucune chance en cette chaude journée, elle perdit lamentablement aux dés, laissant ainsi à Dahlia l'opportunité de se lancer et de s'amuser en première. Hmmm, en y réfléchissant, elle aurait dû ramener une deuxième pastèque pour qu'elles aient toutes les deux la possibilité d'en exploser une. Mais donner des indications était amusant aussi et la joueuse eut un grand sourire jusqu'aux oreilles, oubliant momentanément ses soucis pour se concentrer sur la pastèque et son amie qui malgré les informations approximatives apportées réussit à faire face à la cible et….la rata de peu. Mélange de déception et de soulagement de la citoyenne qui fit la moue avant de ricaner à la proposition de la garde. Bien sûr qu'elle était partante ! Et cette fois, ce serait elle qui ferait exploser le fruit !
-Heh, tu te doutes bien que….
Pas le temps de finir, elle avait déjà les yeux bandés et après quelques tours sur elle-même qui lui retourna un peu l'estomac, la faisant regretter l'espace d'une seconde d'avoir tant mangé et bu avant ce jeu, elle se mit en marche guidée par Dahlia qui commençait avec des indications déjà confuses, surtout pour l'esprit d'une Astrid avec plusieurs cocktails à son compteur qui fit un pas devant l'autre avec hésitation et un équilibre pour le moins précaire.
Où était sa droite et sa gauche déjà ? Ah oui….
Faisant entièrement confiance à sa camarade – pas comme si elle avait vraiment le choix -, elle avança donc vers ce qu'elle espérait être la pastèque qui serait normalement sucrée et juteuse si le marchand ne lui avait pas menti. Entièrement privée de sa vue, seulement aidée de son ouïe et de son touché qui exacerba la sensation du sable sous son pieds, elle sentit une boule de poils se faufiler sous ses jambes à toute vitesse.
-...HEIN ?!
Surprise et par peur de marcher sur cette chose inconnue, probablement un familier, elle trébucha et tomba en avant, tête la première. Son visage rencontra alors le sol de plein fouet, et sur le coup, elle remercia Dahlia d'avoir décidé de passer une après-midi sur la plage plutôt que dans la capitale ou tout endroit avec un sol dur et froid car le sable amorti quelque peu sa chute.
Toujours la tête dans le sol, elle leva un pouce pour montrer qu'elle allait bien :
-Rien de cassé. Annonça-t-elle. J'aime bien le sol. J'y suis attirée, par la gravité ! Autant la gravité terrestre que la gravité de la situation, heh !
Avec un sourire légèrement tordu par la douleur, elle se releva, reconnaissant les couinements de Kyut qui lécha les pieds de la citoyenne comme une forme d'excuse. La femme à tout faire devina sans mal qu'elle ne l'avait pas fait exprès et que le familier s'amusait avec les autres.
-T'inquiète pas Kyut, retourne jouer, heh.
Et cela dit, Astrid retourna aussi à son jeu. Pensant arriver devant la pastèque, elle frappa de toute ses forces mais….le bruit et la sensation n'étaient pas ceux attendus. Ses épaules s'affaissèrent, et en relevant son bandeau, elle constata que sa cible était encore intacte. Elle avait également frappé juste à côté. Peut-être que si elle n'était pas tombée tout à l'heure….RAAAAAAAAH !
Indignée, elle se frappa le front avec la paume de sa main et se tourna vers Dahlia en tirant la langue :
-Bon beh raté aussi….C'plus difficile que je l'aurais pensé, ce jeu de la pastèque heh. Tiens t'as pas pensé à ramener de steak de Porc-becue par hasard? Non? Donc du coup, j'ai pas de pot et j'ai pas de steak hein ? Hahaha !
Forcément, elle était fière de sa blague et en rit pleinement, si bien qu'on en aurait presque oublié ses agissements si étranges plus tôt. Et toujours en ricanant, elle passa le bandeau autour des yeux de son amie à la vitesse du son et lui donna le bâton avant de la faire tourner sur elle-même une nouvelle fois. Avec ensuite un petit coup dans le dos, elle s'exclama:
-Allez, la 3ème c'est la bonne ! Avance tout droit ! Tourne à gauche ! Maintenant à droite ! Fais trois pas en arrière, un saut périlleux et maintenant fait le poirier ! Heh ! Ah ! Attention tu vas percuter Kyut, saute !
Bien sûr que la farceuse n'allait pas rendre la tâche facile à sa camarade, mélangeant information utile à information farfelue!
« Vas-y, continue tout droit ! T'es sur la bonne v... »
Alors que Dahlia aiguillonnait son amie, une boule de poils à neuf queues dénommée Kyut vint subitement perturber le cours des évènements, par son fugace passage dans les jambes d'Astrid, qui ne tinrent alors plus debout très longtemps. En effet, dans sa tentative d'esquiver le familier, afin de ne pas le heurter par inadvertance, la citoyenne vacilla et finit promptement, tête la première, dans le sable, avant même que Dahlia n'ait eu le temps d'esquisser le moindre geste.
La garde voulut instinctivement accourir vers la citoyenne pour s'enquérir de son état mais le pouce de cette dernière émergea rapidement du sable, tandis que ses paroles venaient confirmer que tout allait bien pour elle.
« Tu devrais vraiment investir dans une tenue magique absorbe-chocs, ou alors dans un talisman anti-gravité, haha. »
Partagée entre une incontrôlable envie de rire et un réel élan de compassion, ce fut irrémédiablement le premier qui l'emporta, face à ce comique de répétition d'une Astrid finissant toujours par embrasser le sol. Heureusement, celle-ci ne tombait jamais de bien haut, ses chutes demeurant généralement bégnines. Ce petit contretemps l'avait en revanche fait dévier de sa trajectoire, si bien qu'elle manqua aussi sa cible. La pastèque, demeurée intouchée, continuait de les narguer, brillant avec une insolence appétissante sous les rayons dorés du soleil.
Ce fut donc à Dahlia de réitérer le défi de l'abattre, et après un nouveau tournoiement effréné, elle fut parée pour s'y vouer à nouveau.
« Ce jeu va finir par me faire vomir, haha. La faute aux cocktails, tout ça, et à ton don pour les confectionner... »
Astrid, plus exaltée que jamais, commença alors à l'inonder de consignes toutes plus farfelues les unes que les autres. Celles-ci manquèrent rapidement de perdre de Dahlia... qui finit par avoir une idée. Cette dernière pouvait être apparentée à de la triche, mais fallait-il en faire grand cas ? En matière de jeu, la garde s'autorisait toutes les filouteries.
Elle décida donc... de recourir à l'un des pouvoirs de Keruberosu : le partage de sens. Celui-ci lui permettait de voir au travers des yeux de son familier, au détriment de sa propre vue, de toute façon occultée. La difficulté était cependant que ce dernier se trouvait actuellement scindé en trois. Dahlia commença par investir la vue de Keru, mais ce dernier était entrain de finir de déguster sa pitance. Elle opta alors pour celle de Bero, et fit face à ce crabe qu'il pourchassait depuis leur arrivée dans la crique. Ce fut finalement au travers des yeux de Su, qui était en l'occurrence entrain de la regarder, qu'elle put appréhender là où elle se situait, ainsi que le chemin jusqu'à la pastèque, qui se trouvait fort heureusement aussi dans le champ visuel du familier.
Un sourire madré aux lèvres, elle entreprit alors de rejoindre le fruit... en respectant les dernières directives improbables indiquées par Astrid. Forte de son avantage secret, elle ne risquait aucun impair, et finit par arriver triomphalement devant sa cible, qu'elle éclata d'un ferme coup de bâton, dans une éclaboussure fruitée. Retirant son bandeau, elle s'adressa alors à Astrid avec un sourire rayonnant :
« Gagné ! On va pouvoir goûter à cette délicieuse pastèque. Je vais la redécouper en tranches plus fines, pour qu'on puisse mieux la savourer. »
Une fois ceci fait, il fut temps de vérifier si le fruit était aussi bon qu'il en avait l'air. Et ce fut bienheureusement le cas. Lorsque Dahlia fut repue, tout comme Astrid, elle porta son regard vers l'horizon marin, laissant son esprit voguer quelques instants au gré de la houle, bercée par l'apaisant clapotis des flots... Et ce fut à ce moment que ses inquiétudes se mirent à resurgir, comme si elles avaient été ramenées par le ressac.
« Astrid... Tu sais, à propos de tout à l'heure... » commença-t-elle, ne pouvant s'empêcher de repenser à cet instant si troublant. « J'ai cru que... »
Ses mots avaient du mal à former des phrases, tant sa gêne prenait le dessus. Mais Dahlia avait besoin de savoir, et, prenant son courage à deux mains, elle se planta devant son amie, tout en la regardant droit dans les yeux à son tour, avec intensité.
« Tu es sûre que tu n'as rien à me dire ? »
Hmm, peut-être qu'il n'était pas nécessaire d'acheter un objet pour ça alors si ça faisait rire, heh.
-Tu sais ce qu'on dit, vomir c'est repartir ! Y'a plein d'autres cocktails qui t'attendent, heh ! Oh, fais une roulade sur la gauche pour éviter un crabe !
Pourquoi faciliter les choses quand on pouvait les rendre plus drôles, plus difficiles et plus divertissantes ? Si elles avaient eu le temps, la farceuse aurait même crée tout un parcours avec des obstacles et des pièges, mais sans, elle se contenta de s'amuser sans le moindre scrupule à raconter des conneries les unes après les autres pour déstabiliser la garde le plus possible. Toutefois, étrangement, son plan qui était de voir son amie partir dans tous les sens ne fonctionna pas comme prévu. Malgré les informations totalement foireuses apportées, la garde avança sans mal ni hésitation vers l'endroit où se trouvait la pastèque à abattre. Comment ? Par quelle magie et stratagème ? Était-ce de la chance ? Une coïncidence ? Ce fut la bouche bée et dans l'incompréhension la plus totale qu'Astrid vit le fruit se faire fracasser par un grand coup de bâton bien placé alors que la dernière directive était de faire 6 pas sur le côté avant de faire une danse du ventre.
Lorsque Dahlia se retourna avec son sourire triomphant, la surprise laissa place à l'amusement et la citoyenne pouffa. Elle ne savait pas comment elle avait fait, mais ce n'était pas important et surtout, ça avait été drôle de la voir réussir malgré les vaines tentatives de lui mettre des bâtons dans les roues.
-Pffffhaha, bien jouée ! Je savais que mon aide te serait précieuse ! Elle dit cette dernière phrase la tête haute, faisant mine d'être fière d'elle-même alors qu'elle n'avait clairement pas de quoi. Puis, relâchant cet acte, elle alla chercher avec le sourire de quoi découper le fruit.
La première bouchée fut, sans surprise aucune, bien plus que suffisante pour satisfaire le palais de la gourmande qui hocha la tête, tout à fait satisfaite du goût sucré de cette pastèque juteuse et rafraîchissante remplissant toutes ses promesses et bien plus encore.
-Buuurp ! Lâcha la jeune femme sans honte après sa dernière bouchée de pastèque, un bruit annonçant qu'elle avait bien mangé.
Une après-midi si paisible, si amusante, entourée de ses familiers et d'une amie qu'elle appréciait à la plage, un lieu qu'elle ne fréquentait qu'en de trop rares occasions. Tout ça aurait été parfait, si ça n'avait pas été gâché par les agissements de la citoyenne et la pesante vérité qui était encore pour l'instant cachée. Mais pour combien de temps…
Ce fut en sursautant qu'Astrid réagit à Dahlia qui remit sur le tapis l'attitude étrange de la femme à tout faire qui ouvrit grand les yeux en remarquant ceux de la garde plantés dans les siens. Prise au dépourvu, elle fit un pas en arrière et commença même à dévorer la peau de pastèque qu'elle avait encore dans sa main sous la panique.
-EehehHhehhE ? Tout à l'heure ? De quoi tu parles ? Qu'est-ce que t'as cru ? Hahahaha...ha..ha…Pfffff, qu'est-ce que...?! Elle recracha soudainement la peau de pastèque sur le sable et ressentit des sueurs froides lui couler le long de son dos.
Merde, elle qui avait cru que Dahlia avait oublié, ce n'était de toute évidence pas le cas…
Très vite, Astrid ne put soutenir le regard de sa camarade et fixa le sol, se roulant les pouces. Elle ouvrit la bouche plusieurs fois, combattant intérieurement pour laisser sortir un quelconque son : « J'étais Edmond Delancy ». Ce n'était pourtant pas une phrase si compliquée à prononcer, mais quelque chose l'en empêchait. Cette phrase, ces mots, chacune des lettres semblaient si lourdes à sortir.
Après plusieurs secondes de silence qu'elle subit comme une torture, elle finit par prendre une grande inspiration et osa de nouveau regarder la garde dans les yeux. Il n'y avait qu'une seule chose à faire.
-J'ai en effet quelque chose à te dire. Mais ça...risque de changer notre relation, et tu me détesteras probablement…Je…
Soudain, un cri de détresse attira l'attention des deux jeunes femmes: celui d'un familier qui voulait attirer l'attention de leurs maîtresses. Ce son aigu venait de Ribou le ribec qui volait juste au dessus de….
-MA BOUÉE ! Hurla Astrid en pointant du doigt cet objet si chèrement payé fait sur mesure à l'image de son glooby qui se faisait emporter par les vagues sous le regard médusé de la femme aux cheveux blancs.
Un moment idéal pour esquiver une nouvelle fois la question ! Lucy était donc de son côté ! Comment ça la phrase « il n'y avait qu'une seule chose à faire » avait indiqué qu'elle avait été prête à dire la vérité ? Peut-être bien, mais désormais, la situation était tout autre.
Malheureusement, mélange d'alcool et parce qu'elle était encore déstabilisée par la question de son amie, son équilibre fut des plus précaires et, encore une fois guidée par cet être cosmique qui ne lui voulait que du mal, elle glissa sur le morceau de peau de pastèque à moitié mâché pour se retrouver une nouvelle fois la tête enfoncée dans le sable.
Encore… ?!
-Putain de merde, j'aurais vraiment dû m'acheter un objet magique contre les chutes... Marmonna-t-elle, le son à moitié étouffé par son coussin salvateur avant de se lamenter. Ma boouuuuéééééeeeeee…..
Dahlia vit son amie esquisser un mouvement de recul, et ses yeux s'arrondir sous la surprise, face à sa demande inquisitrice. À nouveau, Astrid se mit à bafouiller, tenta de chercher refuge dans le déni, et alla jusqu'à mâchonner l'écorce de son morceau de pastèque, qui fut aussi mis à mal qu'elle semblait l'être elle-même. Mais outre ces témoignages, les émotions et pensées intérieures de la citoyenne, dont le trouble ne faisait plus de doute, lui demeuraient malheureusement distantes, cruellement hors de portée, comme si un gouffre abyssal les séparait. Cela brouillait les propres sentiments de Dahlia, qui ne comprenait pourquoi son amie était si réticente à lui répondre.
Ne lui faisait-elle pas entièrement confiance ? Craignait-elle sa réaction ? La garde était - ou pensait être, du moins - pourtant prête à tout entendre... Et ce malgré ce pressentiment, prégnant en elle, dont elle ne pouvait se départir, sur les signes avant-coureurs d'une tourmente. Elles pourraient l'affronter à deux, si tel était le cas. Dahlia voulait aider son amie à porter, voire alléger, ce fardeau mystérieux qui semblait la lester. Finalement, après maintes interminables secondes, Astrid se décida à affronter son regard, et commença à lui parler avec une voix empreinte de résolution.
Ses mots étaient entrain de préfigurer la révélation tant attendue, faisant battre le cœur de Dahlia à tout rompre, lorsque... Un cri d'alerte, venant de Ribou, interrompit brutalement sa tirade, dérobant à jamais ses dernières paroles. Levant les yeux, Dahlia put constater l'envol de la bouée Glooby en forme de Glou, qui avait été emportée par une cinglante brise de mer, et que les flots commençaient à charrier loin vers le large.
Astrid fut la plus prompte à réagir, mais dans sa précipitation, et à cause de sa peau de pastèque précédemment mordillée sans ménagement – qui était peut-être entrain de se venger – elle connut une nouvelle chute, atterrissant mollement dans le sable. Dahlia, quant à elle, parvint à se redresser sans encombre, et décida de prendre les devants.
« T'en fais pas, je me charge d'aller la chercher ! »
Son regard se porta sur l'océan, et en raison de sa vue brouillée par l'alcool, ses yeux durent papilloter un instant pour faire le point sur la localisation précise de la bouée. Celle-ci demeurait encore en vue, et pouvait être atteinte à la nage. Dahlia regretta de ne pas avoir son lasso avec elle, qui lui aurait permis de l'attraper bien plus facilement et avec une économie d'efforts, mais elle l'avait oublié alors soit, elle devrait faire sans. L'heure de la baignade venait finalement d'advenir.
Après une course éclair de quelques mètres, Dahlia atteignit le rivage perlé de vagues, et s'enfonça dans l'étendue marine jusqu'à être totalement immergée. La garde était, à vrai dire, loin d'être une experte en natation, n'ayant pu que succinctement s'y exercer durant ses virées sporadiques sur la côte, par le passé. Elle restait toutefois en capacité de nager, et ce même émoussée par l'alcool, et démarra un crawl rapide jusqu'à la bouée égarée.
Toutefois, Lucy n'était pas de son côté, ce jour-là, car une douleur vint inopinément lui vriller le mollet, en un élancement brutal. Une crampe avait décidé de contracter violemment son muscle, à brûle-pourpoint. Cette contracture non désirée la privait provisoirement d'une jambe, et Dahlia but la tasse, luttant contre la houle ardoise qui la ballotait. À sa douleur succéda rapidement la panique. La garde battit l'onde de façon confuse de ses bras, peinant de plus en plus à maintenir son visage hors de l'eau, aspirant de fines goulées d'air dès qu'elle le pouvait encore, quand les vagues ne lui obstruaient pas le nez ou la bouche. Mais ses efforts ne firent que l'épuiser, et son corps éreinté finit par lui faire défaut. Après de derniers mouvements désordonnés, mus par le désespoir, Dahlia sombra sous les flots convulsés.
Elle aurait pu tout simplement se relever pour récupérer son bien en une seconde mais n'eut même pas la force de ne serait-ce relever la tête, n'osant décemment pas croiser le regard de Dahlia qui devait sans doute toujours attendre sa réponse. Elle avait le droit de le savoir, et cette fois, la citoyenne n'y échapperait pas et était prête à en subir les conséquences. Mais en même temps, l'envie de creuser un trou et de s'y cacher éternellement lui était presque une idée alléchante, tant elle était gênée, embarrassée et honteuse de la situation dans laquelle les deux jeunes femmes se trouvaient.
Ce ne fut qu'avec l'intervention de la garde que la femme à tout faire daigna enfin relever la tête. Elle allait la chercher ? Quoi ? La bouée ? Vainement, Astrid tendit le bras et s'exclama :
-Attends, pas bes…..
Mais trop tard, son amie était déjà loin, rejoignant l'océan pour récupérer le glooby géant qui s'éloignait peu à peu pour, qui sait, rejoindre des terres inconnues. L'inquiétude traversa la citoyenne qui se releva immédiatement et qui se demanda si Dahlia se débrouillerait en nage après tous les cocktails qu'elles avaient bu. Ce fut donc en retenant son souffle qu'elle observa sa camarade dont seule la tête dépassait de l'immense étendue bleue. Les familiers quant à eux s'étaient aussi arrêtés pour regarder ce qu'il se passait.
Et là, son cœur rata un bond. Est-ce qu'elle rêvait ou la garde avait un problème ? Elle battait des bras de manière désordonnée et n'avançait plus...Nul doute, son amie était en danger.
Au premier signe de difficulté, Astrid courut à la vitesse du son vers son sac sans fond pour y sortir ce qui semblait être un flotteur rouge dont la couleur allait de concert avec son propre maillot de bain de la même teinte Elle en profita également pour enfiler sa boucle d'oreille de télékinésie ainsi qu'un anneau de métal qui lui permit d'utiliser son pouvoir de guérison pour se dessouler instantanément, éclaircissant ainsi son esprit et ses sens. Elle réalisa alors pleinement que la vie de son amie était en danger et lorsqu'elle se retourna pour la rejoindre, elle remarqua avec horreur que la tête de Dahlia avait disparu de la surface de l'eau. Un moment d'hésitation ? De la panique ? Non, rien de tout ça. Protéger et sauver des vies, elle n'y était pas étrangère et l'ex-commandante qu'elle avait été savait garder son sang froid dans les situations les plus critiques. Après tout, elle avait bien combattu un Fenrir, non ?
Elle courut alors à toute vitesse, son flotteur sous le bras. Les cheveux au vent, le chant des mouettes, le bruit des vagues, un regard déterminé dirigé vers l'endroit où elle avait vu la garde pour la dernière fois, elle eut presque l'impression de courir au ralenti avec une musique de fond. « Alerte aux côtes », aurait pu être un très bon titre pour décrire la situation présente.
Tout comme la course, la nage fut tout aussi rapide et heureusement pour la citoyenne, toute crampe aurait été guérie par son amélioration de pouvoir. Le manque de chance pouvait parfois être contré, avec de la magie.
Prenant une grande bouffée d'air, elle n'attendit pas longtemps pour plonger dans l'océan et revint tout aussi vite à la surface avec son amie qui ne fit pas le moindre mouvement. Lucy soit louée de l'avoir bénie avec ce pouvoir de vitesse et de lui avoir donné un objet de télékinésie qui permit également de faire revenir sa bouée glooby !
Ne voulant pas malmener la garde, la femme à tout faire la ramena sur la plage à vitesse normale, s’essoufflant à chaque seconde qui passait et réfléchissant à la marche à suivre.
-Dahlia ? Dahlia ?! S'exclama-t-elle en lui tapotant la joue une fois sur la terre ferme.
Aucune réaction, perte de connaissance. Elle vérifia alors la respiration de sa camarade mais….rien non plus.
L'inquiétude monta de plus en plus auprès de la citoyenne et des familiers, notamment du Canitribus de la garde, et une réelle peur s'empara d'Astrid qui commença à redouter le pire. Elle n'était pas le genre de personne à prendre les choses au sérieux, mais quand un proche était en danger, c'était une toute autre histoire.
Toutefois, malgré la peur, celle de se dire qu'elle allait peut-être perdre un être cher par sa faute, elle ne perdit pas le nord et prodigua les gestes de premiers secours. Personne ne mourrait en sa présence.
Elle bascula d'abord la tête de Dahlia en arrière et lui fit du bouche-à-bouche sans hésitation avant d’enchaîner avec un massage cardiaque.
-Dahlia ! Hey, Dahlia ! Continua-t-elle sans l'ombre d'un sourire, l'angoisse se lisant sur ses traits. Réveille-toi ! T'es trop jeune pour mourir ! T'as encore une longue vie devant toi, t'as pas le droit de clamser ! Je te l'interdis !
Surtout pas comme ça, et surtout pas avant d'avoir appris la vérité...
Alternant ensuite de nouveau avec le bouche-à-bouche, Astrid pria intérieurement Lucy pour que la garde revienne à elle. « Par pitié…. ».
Elle essaya tout d'abord de crier, dans un réflexe instinctif qui fut, en plus d'être inutile, le catalyseur de conséquences encore plus funestes. Car cela la priva en effet du dernier reliquat d'oxygène contenu dans ses poumons suffoqués d'eau. De précieuses bulles d'air quittèrent ses lèvres pour remonter à la surface, leur bouillonnement dans l'onde signant la fin de Dahlia. Elle laboura l'eau au-dessus d'elle une dernière fois, impuissante, puis, dans un spasme ultime, ses paumes s'ouvrirent et elle cessa de se débattre.
Le corps de la garde se relâcha alors, devant aussi inerte que celui d'une poupée de chiffons, mollement charrié par les courants marins. Après quelques circonlocutions, ces derniers finiraient certainement par la redéposer sur la plage qu'elle avait tant cherché à regagner...
C'était donc la fin, sa fin ? Après tous les dangers que Dahlia avait vaillamment affronté, elle allait mourir noyée, en raison d'une déplorable crampe survenue au mauvais moment ? Malheureusement, l'existence était aussi éphémère que fragile. Celle-ci ne tenait qu'à un fil ténu, qui pouvait être rompu à tout moment... au bon vouloir de Lucy, qui tenait les ciseaux du destin, et pouvait en user avec une étonnante facilité.
Mais heureusement, la conclusion de Dahlia n'était pas encore arrivée. De fermes et déterminées impulsions sur sa cage thoracique, ainsi de l'air insufflé entre ses lèvres bleuies, vinrent en effet subitement effacer le point final qui avait commencé à s'esquisser dans l'ouvrage de son histoire. Celle-ci n'avait pas, encore, atteint sa dernière page.
Dahlia rouvrit les yeux sur un vertige d'azur, et son corps fut secoué d'un soubresaut. Penchée sur le côté, elle se mit alors à désemplir ses poumons de toute l'eau salée qu'ils contenaient. Après avoir toussé à maintes reprises, elle put à nouveau inspirer cet air salvateur qui retrouva sa place dans ses bronches délivrées. Frissonnante et pantelante, elle ne tarda à remarquer la présence d'Astrid, agenouillée non loin d'elle, la mine chargée d'inquiétude. Dahlia comprit alors qu'elle lui devait la vie.
« Astrid... » parvint-elle à coasser dans un souffle rauque, la respiration encore hachée de frémissements. « Merci. »
Dans un élan spontané, ses bras vinrent alors entourer son amie. Dahlia n'avait que peu coutume de s'adonner à des effusions tactiles de tendresse, mais cette étreinte exprimait sa profonde gratitude envers la citoyenne. L'embrassade fut quelque peu humide, car elle était ruisselante tout comme Astrid, mais Dahlia était trop hagarde pour s'encombrer de ces considérations. Keruberosu, heureux de retrouver sa maîtresse indemne, vint rapidement se joindre aux retrouvailles, et fut également gratifié d'un câlin.
« La bouée... » réalisa alors Dahlia, qui venait de se remémorer la raison qui avait provoqué son départ, et ce malheureux évènement. Libérant Astrid, elle prit alors un air confus, déplorant d'avoir failli à sa mission. « Désolée, je n'ai pas pu l'atteindre... J'ai eu une crampe et... »
Mais son regard encore brouillé se précisa et elle finit par discerner l'imposante masse blanche dessinée par cette dernière, un peu plus loin sur la grève, ce qui l'emplit de soulagement.
« Lucy soit louée, tu as réussi à la ramener aussi. Tu ne cesseras jamais de m'étonner. »
Nul doute qu'Astrid avait dû déployer nombre de capacités, pour réussir à les retrouver et à les ramener toutes les deux sur la plage. Dahlia pouvait en tout cas s'estimer chanceuse de l'avoir eu à ses côtés pour veiller sur elle.
Mais malgré tout cela, une lueur de détermination brillait dans ses yeux, celle de ne pas laisser Dahlia mourir. Si tout cela ne suffisait pas, elle utiliserait toutes les potions de soin en sa possession s'il le fallait, et si cela ne suffisait pas non plus elle…..
C'est alors que son amie ouvrit les yeux.
-Dahlia ! S'exclama la femme à tout faire.
Les yeux grands ouverts, elle regarda la garde tousser pour libérer ses poumons, libérant par la même occasion la citoyenne de toute angoisse. Le pire était passé, elle était vivante.
Se répétant cette phrase plusieurs fois mentalement, elle sentit toute tension la quitter en un instant pour laisser place à la fatigue mais surtout, au soulagement. Tout irait bien à partir de maintenant. Toutefois, Astrid resta inquiète et s'apprêta à poser plusieurs questions pour vérifier si son amie était dans un état de confusion quelconque mais fut coupée de court par son étreinte. Si Dahlia ne l'avait pas fait, ça aurait Astrid qui se serait jetée dans ses bras. Elle était glacée et tremblait encore, mais elle respirait.
-Tu sais pas à quel point je me suis inquiétée pour toi….
Sans un mot supplémentaire ni blague, ce qui était assez rare chez la citoyenne pour le souligner, elle ferma les yeux pour profiter de cet instant de paix auquel se joignit également ses propres familiers.
Ce ne fut qu'après quelques secondes que les deux jeunes femmes se séparèrent et Astrid eut l'espace d'un instant un air outré en entendant son amie s'excuser pour la bouée alors qu'elle avait failli mourir à cause de ça. Avec un simple soupir et en reprenant un semblant de sourire, elle dit alors :
- « Dahlia Delancy s'est noyée à cause d'une crampe dans sa sainte quête de ramener une bouée Glooby de deux mètres », pfff, ça aurait fait la une des journaux, haha. Ou on aurait encore cru à l'une de mes blagues sans queue ni tête. Mais dans tous les cas, on pourra dire que t'as eu du cran-pe, haha !
Aaaaaaah ! Revoilà donc Astrid Dalgaard dans toute sa splendeur, avec ses jeux de mots moisis ! Son rire était bien moins enjoué que d'habitude, mais qui pouvait lui en vouloir après cet incident ?
-Bah, quand ça arrivera de nouveau, échauffe-toi au moins…Puis c'était vraiment pas la peine d'aller la cherch…
Elle s'arrêta en se rendant compte qu'elle aurait sûrement, sans l'ombre d'un doute, fait la même chose et qu'elle aurait pu être celle se noyant si elle n'était pas tombée un peu plus tôt. Mais venant d'elle, est-ce que ça aurait été étonnant de la voir se noyer à cause de ses propres conneries ? Pas vraiment.
-La prochaine fois, fais plus attention s'il te plaît….ajouta-t-elle d'une voix basse, presque suppliante avant de reprendre avec un peu plus d'énergie et d'entrain : Après tout, la personne insouciante se mettant dans la merde, c'est mon rôle normalement, haha.
Un rôle qui ne lui était pas exclusif, mais elle préférait celui-là à celui de la personne qui sauvait la mise. Mais maintenant qu'elle l'avait endossé, autant le faire jusqu'au bout. Aussi, Astrid se leva pour aller chercher des serviettes et reprit sa place pour en tendre une à Dahlia :
-Tiens, t'avais peut-être pas froid aux yeux pour nager après plusieurs cocktails, mais tu dois maintenant être gelée, heh. Et si tu te sens mal, j'ai des potions de soin aussi.
Comprenant là les paroles de leur maîtresse, les plus poilus de ses familiers, c'est-à-dire Ribou et Kyut s'installèrent près de Dahlia pour la tenir au chaud. Décidément, elle qui s'était attendue à une après-midi sans incident, voilà que l'une d'elles avait failli se noyer, sans oublier la garde qui avait remarqué que quelque chose n'allait pas chez la citoyenne. Maintenant qu'elle était sobre, cette dernière se remémora les questions de son amie et de l'hésitation qu'elle avait eu face la lourde décision de lui dire la vérité ou non. Clairement, Astrid ne pensait pas mériter une telle amitié ni une telle inquiétude, elle qui cachait la vérité. Elle ne lui avait jamais menti, mais c'était tout comme et elle avait la désagréable sensation de tromper la garde qui avait pourtant bien failli mourir sans jamais rien savoir et pensant s'être liée d'amitié avec une personne en qui elle pouvait faire confiance.
….
Non. Elle ne pouvait plus le supporter. Ce secret lui pesait trop, et bien qu'elle maudissait parfois le fait de s'être réincarnée, aurait-elle réussi à sauver Dahlia sans l'expérience et les souvenirs de cette ancienne vie ? Aurait-elle pu éviter la panique qui aurait mené à la mort de son amie sans tout cela ?
Probablement pas. Aussi, au plus profond d'elle, elle remercia Lucy pour cette bénédiction.
Même si elle risquait de briser le lien qu'elles avaient toutes les deux, au moins, ce serait un secret bien gardé, et la garde méritait de savoir la vérité.
Après une grande inspiration, ignorant ses cheveux encore ruisselants, elle planta ses yeux une nouvelle fois dans ceux de sa camarade.
-Dahlia. Annonça-t-elle la mine grave, sans l'ombre d'un quelconque sourire caractéristique de la farceuse. Était-ce là la bonne décision ? J'ai quelque chose à t'avouer. Comme je l'ai dit tout à l’heure, tu me détesteras probablement, sûrement même...Et ce serait compréhensible. À vrai dire, je doute qu'on reste copine après ça mais…Devait-elle s'arrêter… ? Choisir un meilleur moment… ? Le doute s'installa mais trop trad pour reculer. C'était maintenant ou jamais, avant qu'un autre incident ne survienne. Ce serait sans doute pour le meilleur, même si j'aimerais bien qu'on le reste. Elle fit une petite pause pour jauger la réaction de son amie, puis continua : J'ai appris ça y'a pas longtemps, à l'épisode de la salle d'interrogation, et depuis je n'ai jamais eu le courage de te dire la vérité...C'était sans doute une mauvaise idée. Dahlia. Dahlia Delancy. Une très mauvaise idée. Je suis la réincarnation d'Edmond Delancy, l'homme responsable de tous tes malheurs.
Et à ces mots qu'elle se força à dire, elle serra les dents. De frustration, mais aussi totalement prête à recevoir à tout moment un poing voler dans sa direction.
C'était la fin.
Un rire, à la tonalité quelque peu éraillée, franchit ses lèvres encore tremblantes lorsqu'Astrid récapitula la mort qu'elle avait manqué de connaître, en relevant son incongruité.
« Ça aurait fait une sacrée épitaphe, en effet, haha. Ma famille aurait certainement cherché à me renier, après ça... »
Avec un caractère si peu illustre, son trépas aurait en effet assurément jeté l'opprobre sur la renommée familiale, à tel point que son grand-père se serait certainement retourné dans sa tombe, se figura-t-elle. Mais fort heureusement, elle n'allait finalement pas éclipser le haut-fait héroïque de ce dernier en entachant de honte sa famille - du moins, pas encore.
« Heureusement, tu as autant de talent pour te fourrer dans des situations périlleuses, que pour en sortir. »
Lui répondit-elle, quand Astrid nota que finir en mauvaise posture était plutôt son apanage, d'ordinaire. Si la citoyenne n'avait pas été douée de tant de débrouillardise et de ressources insoupçonnées, sa seconde vie aurait certainement été fort courte. Avait-elle décidé de la vivre dans cette inconsidérée imprudence par amour inavoué pour le danger, ou par simple négligence ? Dahlia la trouvait en tout cas bien trop polyvalente pour être cantonnée à un seul rôle.
Se saisissant de la serviette que son amie lui tendait, elle en profita pour se sécher sommairement, puis l'enroula autour de ses épaules afin de calmer les frissons qui la traversaient. Les familiers d'Astrid ainsi que Keruberosu vinrent rapidement contribuer à la réchauffer, leur soyeuse chaleur lui apportant un doux réconfort. Des mèches trempées lui collaient toujours aux tempes, mais elle avait une mine bien plus rassurante et illuminée de vie, à présent.
« Merci, Astrid. Ça a l'air d'aller, je me sens déjà beaucoup mieux. Il ne devrait pas y avoir besoin d'employer de potion de soin. »
Et dire que Dahlia n'en avait même pas avec elle, en cas de besoin. Elle avait également sa part d'inconscience, et comptait un peu trop sur la bienveillance de Lucy. À tort, manifestement. Elle était en train de se fustiger intérieurement pour ce manque de prévenance, lorsque le regard d'Astrid revint s'ancrer dans le sien. Quelque peu déstabilisée, elle lui retourna des prunelles emplies d'interrogation silencieuse. Puis elle comprit.
Ce qu'elle avait cherché à savoir, avant cet épisode tourmenté, allait lui être révélé par la citoyenne. La garde pouvait aisément le deviner à la gravité dont s'était paré le faciès d'Astrid – ce dernier s’étant en effet dépouillé de son éternelle étincelle de malice, signe de l'importance de ce qu'elle s'apprêtait à lui annoncer.
Sans même s'en apercevoir, Dahlia retint son souffle, paralysée d'appréhension. À nouveau, Astrid lui signifia qu'elle allait certainement être amenée à la détester, suite à son aveu. Que leur amitié allait possiblement être rompue, bien qu'elle ne le souhaitait pas. Cette perspective rendait Dahlia plus que perplexe. Elle ne voyait pas quel impair, même le plus inexcusable, aurait pu lui faire nourrir du ressentiment envers la citoyenne. Elle lui vouait une affection bien trop conséquente pour concevoir que celle-ci puisse être mise à mal.
Restant silencieuse, elle continua d'écouter Astrid, craignant trop de perdre à jamais sa confidence si elle venait à l'interrompre pendant son discours, même à des fins de la rassurer. Après tout, elle aurait le loisir d'apaiser ses craintes infondées une fois qu'elle saurait sur quoi celles-ci portaient...
Enfin, c'est ce que Dahlia pensait. Jusqu'à ce que les derniers mots d'Astrid lui parviennent, lui faisant l'effet d'une déflagration. Même devant un Fenrir, dans ce réaliste cauchemar qu'elle avait éprouvé par le passé, elle n'avait pas été saisie d'autant d'effroi.
Comment ça, la réincarnation d'Edmond Delancy ?
« Tu me fais marcher... »
Face à cette vérité d'une brutalité aussi inouïe, son inconscient commença par lever le bouclier du déni. L'idée lui était trop inconcevable. Elle ne pouvait avoir entendu ce qu'elle venait d'ouïr.
« C'est impossible. Tu ne lui ressembles pas du tout... On me l'a décrit d'un sérieux immuable. Il était infiniment coincé, et ne blaguait jamais. Un caveau aurait été plus drôle que lui. » En effet, les caractères d'Astrid et d'Edmond différaient en tout point. Ils étaient, tout bonnement, aux extrêmes opposés. Comment pouvaient-ils être liés à la même âme ? « Il ne peut pas être toi... De plus, il ne s'est jamais réincarné… »
Un doute effleura alors son esprit : si cela avait été le cas, son grand-père l'aurait-il dévoilé ? Serait-il retourné auprès de son ancienne famille ? Rien n'était moins sûr. Il aurait pu vouloir faire table rase, pour cette deuxième chance que lui offrait la vie. Par ailleurs, Astrid lui avait indiqué que les souvenirs de son existence antérieure avaient émergé en elle tardivement.
Dahlia réalisa alors. Tout ce qui lui échappait, dans les comportements si abscons de la citoyenne, devint subitement limpide. Ses multiples hésitations, rougeurs, bafouillages et regards évités, se justifièrent aussitôt. Elle prit conscience qu'Astrid était effectivement Edmond. Cette révélation, crue et violente, s'imposa âprement à elle. Elle comprenait tout, et elle le comprenait trop tard.
Car, à la lisière de sa mémoire, des émotions et sensations déjà bien enfouies en elle refirent surface. Elle se remémora, de façon abrupte, ce qu'elles avaient fait, le soir de leur rencontre. Et ce fragment des réminiscences de leurs existences entremêlées en un nœud qui n'aurait, ô grand jamais, dû se former, l'emplit d'un sentiment de honte dépassant tout entendement.
« Tout mais pas ça. »
Dahlia crut se noyer une seconde fois. Comme si les flots tumultueux étaient revenus déferler sur elle, l'engloutissant dans leur onde rageuse. Simultanément, le sable de la plage se délita et se déroba sous ses pieds. Elle crut perdre son assise, chavirer et se disloquer dans un abîme béant, celui de la vérité. Intolérable et insoutenable, mais dont elle ne pouvait plus faire fi.
À son insondable désespoir succéda un renflement de colère, orienté envers elle-même. Comment avait-elle pu être aussi imprévoyante, et se lier à une personne dont elle ne connaissait pas toutes les identités ? Puisant dans cette indignation courroucée un sursaut d'énergie, elle se releva sur ses jambes, dans un équilibre flageolant, et commença à rassembler ses affaires.
Dahlia n'avait pas le courage d'adresser un mot de plus à Astrid. Elle voulait éluder son regard, ne plus penser à elle – ou à lui, en l'occurrence - comme si l'occulter, en ce moment présent, pourrait effacer tout le reste. Pourrait supprimer la plus grande erreur de sa vie. Finalement, quand tout fut, peu ou prou, dans son sac aussi sans fond que sa détresse, elle reprit la parole pour annoncer :
« Viens, Keruberosu, on s'en va. »
Sa voix, calme et sans appel, tonna faiblement, à peine plus qu'un murmure car présentement affaiblie par le nœud d'angoisse impuissante lui nouant la gorge. Son Canitribus lança un regard attristé à Astrid et lui fit un bref câlin de sa truffe humide, avant de suivre sa maîtresse qui déjà, abandonnait le rivage mousseux de vagues mourantes. De leurs instants de bonheur partagés, il ne restait plus qu'une écume se délayant à la surface de ses souvenirs.
Choc, puis un déni qui fit baisser de honte les yeux de la vieille-jeune femme tant Dahlia avait raison sur le fait que Astrid et Edmond ne se ressemblaient pas du tout. Sa description de l'ex-commandant de la garde royale était juste, si juste que cela fit de la peine à la citoyenne de se remémorer ce caractère qui avait crée bien des malheurs pour sa famille et la génération d'après dont faisait partie la garde. Si l'occasion lui était présentée de revenir dans le passé pour mettre une bonne rouste à ce vieux débris coincé du cul, elle n'aurait pas hésité un seul instant pour lui caler un peu de plomb dans le crane pour effacer les regrets de cette vie antérieure.
Mais bien sûr, cette révélation venait avec une autre vérité encore plus choquante, celle d'une relation et d'un acte qui n'aurait jamais dû avoir lieu et qui aujourd'hui encore rendait mal à l'aise la citoyenne remplie de honte. Le jour où elle s'était rendue compte de son erreur, sa première action fut de noyer son choc dans l'alcool comme elle le faisait d'habitude. Et en cet instant présent, cette volonté refit surface, en plus de vouloir creuser un trou dans le sable pour s'y cacher à tout jamais pour se faire oublier, et oublier.
Si seulement les vagues pouvaient emporter avec elles les souvenirs pour les enfouir au plus profond de l'océan, aucune des deux jeunes femmes n'aurait eu à souffrir et la vie aurait été bien plus simple.
Ni cris, ni claques, ni insultes, rien de tout cela alors qu'elle s'y était préparée.
Rien.
Au lieu d'une tempête ravageant tout sur son passage, il n'y avait qu'un lourd silence qui était encore plus insoutenable. Dahlia se releva alors malgré son état et l'inquiétude prit le pas sur la citoyenne qui tendit la main dans le but de l'aider :
-Dahlia atten…
Mais en voyant le visage de son amie, elle n'eut pas le courage de continuer et s'arrêta dans son élan, laissant retomber mollement son bras le long de son corps sans force. Affronter 5 Fenrir en même temps lui aurait été préférable.
Et, totalement impuissante, ne sachant pas quoi dire, quoi faire, quoi penser, Astrid resta sur la plage, regardant sans un mot la garde partir au loin, emportant avec elle tout espoir de réconciliation.
Colère, tristesse, désespoir, tant d'émotions qu'elle n'avait plus ressenti depuis des années, voire des siècles, se mélangèrent avec violence dans le corps de cette frêle jeune femme qu'elle était. Elle aurait aimé crier, frapper du poing le sable, s'arracher les cheveux, mais n'en eut pas la force et se contenta de se recroqueviller avant de regarder l'océan pour s' y perdre. Plusieurs minutes passèrent ainsi, plusieurs heures même, durant lesquelles les familiers tentèrent de réconforter la citoyenne en vain.
Ce ne fut que lorsque le soleil fut couché qu'elle se décida enfin à ranger ses affaires. Elle n'avait peut-être pas faim, mais il n'en était pas de même de ses familiers qui suivirent sans un bruit la femme à tout faire.
Les traces de pas laissées par Dahlia étaient encore visibles sur le sable mais finiraient par disparaître, et bientôt, ceux d'Astrid également. Comme si elles n'avaient jamais mis les pieds ici et comme s'il ne s'était jamais rien passé en ce lieu.
Un rappel que le temps finissait par guérir tous les maux.
Et si le temps n'y arrivait pas, l'alcool le ferait.