Elle entendit alors un crissement, des bruits de pas dans la neige. Proche d'elle. Ses doigts gantés se refermèrent plus fermement sur son arme et ses pupilles cherchèrent la créature tandis que ses jambes continuaient inlassablement de la porter vers ce qu'elle savait être la frontière. Le brouillard mêlé à la neige était trop épais, elle ne parvenait pas à repérer la créature qu'elle entendu dans le silence glacial. Comprenant que le combat n'allait pas être aisé, ne pouvant s'aider que du son, elle tira des signaux d'alerte colorés en priant d'être assez proche pour être repérée. Puis vint le premier coup. Un coup violent prit de plein fouet qui fit valser son plastron en morceaux qui s'étalèrent dans la neige. L'armure avait au moins permis à Lilith de ne pas avoir le souffle trop coupé par l'impact. Elle en profita alors pour contre-attaquer sans attendre. Ses deux mains serrées autour du manche de sa hache, elle prit fermement appui sur ses pieds et envoya un coup d'une violence inouïe à la créature qui venait de la frapper. La créature s'effondra au sol et Lilith avec. Par une chance incroyable, elle n'était qu'à deux pas de la frontière et les fumigènes de couleurs qu'elle avait lancé avaient été repérés. Alors qu'elle tombait dans l'inconscience, cette fois définitivement à bout de force, elle crut entendre des hommes arriver. De ses yeux mi-clos elle vit se pencher sur son corps plusieurs silhouettes en armures. Ses lèvres dessinèrent un timide sourire et ses paupières se fermèrent. Impressionnant entendit-elle juste avant de fermer les yeux. Elle ne savait si le garde qui avait prononcé ces mots parlait du coup qu'elle asséné à son assaillant, du nombre de blessures sur son corps ou d'autre chose encore mais ce fut les derniers mots qu'elle entendit avant de s'endormir.
Son corps parcouru par la douleur, Lilith ouvrit enfin les yeux. Directement elle regarda autour d’elle, cherchant à savoir où elle était. Elle ne vit à sa grande joie ni neige, ni sang, ni monstre. Seulement des murs de pierre et une femme surprise à côté d’elle.
- Tu te réveilles déjà ? T’es du genre coriace toi, on t’a récupérée dans un sale état il y a peine quelques heures. D’après ta plaque tu t’appelles Lilith c’est bien ça ? J’ai eu le temps de faire les premiers soins, histoire de stopper les saignements mais il va te falloir voir un vrai médecin si tu veux guérir correctement. La femme médecin Weiss est à la forteresse en ce moment à ce qu’on dit. Il paraît qu’elle est formidable, on va t’emmener la voir.
Lilith tenta de bouger son corps pour avoir une idée de son état. Elle avait mal de partout mais elle pouvait bouger, c’était rassurant. Elle se redressa et s’assit sur le lit dans lequel elle avait été étendue.
- Merci. Allons voir cette fameuse Weiss dans ce cas.
- On va t’y emmener mais pour le moment il te faut une tenue. Ton armure était en morceaux quand on t’a récupéré alors j’ai pris quelques vêtements à moi. Choisis-toi une tenue qui te vas parmi ces trois-là et rejoins-moi en bas. Je vais préparer ton carrosse princesse. Ne t’inquiète pas pour la tenue, tu pourras la garder. Avec tes ailes elle sera inutilisable pour moi après que tu l’ai portée de toute façon.
Sur ces mots, Lilith s’excusa et l’autre jeune femme quitta la chambre laissant l’aventurière seule avec son choix de tenue. Elle choisie une robe noire dans laquelle elle du faire deux trous pour ses ailes, s’habilla ainsi puis sortit à son tour de la chambre après s’être rafraichi le visage avec un peu d’eau fraiche laissée dans une bassine. Elle prit les escaliers et croisa sur son chemin plusieurs gardes visiblement bien contents de voir qu’elle allait bien. La brune les remercia tous chaleureusement pour leur attention et leur aide puis elle rejoint la flemme qui lui avait octroyée les premiers soins. Une charrette tirée par deux chevaux était prête à partir et Lilith vu invitée à y monter.
- Direction la forteresse princesse.
Plusieurs gardes étaient du voyage, après tout les montagnes étaient un lieu dangereux. Moins que par-delà la frontière mais bel et bien dangereuses malgré tout. Et Lilith n’était pas vraiment en étant de se défendre elle-même actuellement. Elle tâcha de se reposer le temps du voyage jusqu’à être réveillée lorsqu’ils arrivèrent devant le cabinet où opérait temporairement la fameuse Luz Weiss de ce qu’on lui avait dit. La jeune garde aux soins de Lilith conduisit cette dernière au médecin Weiss avant de repartir.
- Bonne chance pour la suite. Évite de trop abîmer ce corps, ce serait dommage.
La brune lui sourit et toqua à la porte derrière laquelle devait se trouver sa doctoresse.
Les mains gantées jusqu’au coude, Luz étouffa un grognement fort peu féminin. La salle qui lui avait été affectée manquait terriblement de lumière malgré ses nombreuses remontées sur le sujet auprès de la hiérarchie. Contentez-vous de cela, qu’on lui avait répondu, car la Garde était débordée ces temps derniers : la mort récente du Capitaine von Andrasil, Elina de son prénom, avait lentement mais sûrement conduit la Forteresse à sombrer dans un chaos somme toute artistique. Ce n’était pas l’effet d’un problème spécifique ni d’une cause identifiable, rien d’autre que la désorganisation naturelle et spontanée d’une hiérarchie lorsque sa tête était coupée. Et puisque la frontière ne pouvait décemment se permettre le luxe d’une logistique secouée, la Capitale s’en était mêlée, entrainant une succession réjouissante de démarches administratives à accomplir… Et très loin de résoudre le cœur du problème. Bien entendu, la Capitaine serait remplacée, si ce n’était pas déjà fait. Son remplaçant provisoire ou définitif aurait en revanche une sacrée montagne de tâches à finaliser pour rétablir un semblant de cohérence dans ce foutoir… Présentement, l’aile médicale de la Garde était débordée. Un collègue avait enchainé deux mois de travail à plus de 72 heures avant de prendre la décision de s’offrir deux semaines de vacances.
Luz songeait à tout cela, tandis qu’elle étudiait les côtes fracassées de son patient du jour. Un cadavre. Au moins ne geignait-il pas lorsqu'elle ne prenait pas le temps de faire preuve de douceur et de délicatesse. Le silence des morts était malheureusement bien plus agréable que la compagnie des vivants. Il n’était pas rare qu’elle s’absente de la Capitale pour participer à diverses expéditions ou remplacer des collègues sur des missions importantes. Ce dépaysement programmé était bénéfique pour elle et lui permettait de conserver des compétences parées à toute éventualité. Elle avait donc volontiers accepté la proposition de remplacement de son ami, préparée à deux semaines de service intensif à la Forteresse. Après tout, sa dernière visite s’était considérablement bien terminée… Le souvenir de la peau nue de la Première ministre dans les thermes acheva d’ailleurs de lui tirer un sourire.
Luz jeta un dernier coup d’œil à son autopsie en cours. Elle déposa son scalpel sur le coin de la table et recula d’un pas.
Son secrétaire s’inclina et tourna les talons pour mander des domestiques. Tandis qu’ils s’affairaient dans la pièce, Luz ôta ses gants avec un soupir soulagé et passa avec délice ses mains sous l’eau fraiche. C’est avec une tasse de thé fumante qu’elle se réinstalla derrière son bureau quelques 20 minutes plus tard, achevant de ranger ses dossiers en cours.
Elle leva les yeux pour apercevoir une jeune femme pénétrer à petits pas dans la pièce. Immédiatement, Luz sut que le travail à faire serait conséquent. Sa démarche se voulait assurée, mais claudiquante. Elle la sentait dure, habituée à pire, et pourtant démunie devant la souffrance évidente qui devait émaner de l’ensemble de son corps. Oui, la nouvelle venue avait la tête et le corps de quelqu’un qui venait de se faire mâcher et recracher par un foutu fenrir. Luz se leva presque brusquement de son bureau et s’avança vers elle pour l’aider à prendre place sur sa chaise de consultation. Elle nota les longues ailes noires qui dotaient son dos d’une parure splendide et les cornes gracieuses qui s’élevaient de son front. L’inconnue présentait un joli minois, pour l’heure couturé de blessures à l’image de son corps.
Elle attrapa d’une main déliée le dossier rédigé à la va vite que son secrétaire avait laissé sur son bureau. Une Aventurière vétéran de la Guilde, réputée pour ses nombreuses missions réussies et dont les états de service étaient aussi parfaits qu’on pouvait l’espérer. Disparue depuis plusieurs mois. Depuis la Cité Enfouie. Ce nom glaça la praticienne qui ferma doucement le clapet du dossier, reconcentrant son attention sur sa patiente. Nulle trace de ses coéquipiers. Luz ne se faisait pas beaucoup d’illusions sur leur état si la jeune femme avait été retrouvée par-delà la frontière… Elle vint s’installer contre le rebord de son bureau, son fessier en équilibre contre le bois fin de celui-ci. Elle se para d’un sourire encourageant, consciente que sa patiente détenait le mystère de ces derniers mois, peut-être accompagné d’un traumatisme conséquent.
Elle reposa le dossier sur son bureau et se leva d’une souple détente.
Bien entendu, la Garde et la Guilde des Aventuriers ne manqueraient pas de l’interroger à leur tour lorsqu’ils seraient certains de la stabilité de son état de santé. Ses coéquipiers étaient toujours portés disparus, après tout.
Outre les plaies plus ou moins profondes que sa magie guérirait sans trouble, Luz s’inquiétait davantage des traumatismes crâniens ou de poumons abîmés qui pourraient se révéler fatals.
- J’ai connue pire… Et puis je suis en vie, c’est déjà pas mal.
Lilith s’assit silencieusement sur la chaise, attendit que la doctoresse lise le dossier qu’elle avait en main et écouta attentivement ce qu’elle avait à dire.
- Pour tout dire, je ne me sentirai pas totalement en sécurité tant qu’on aura pas tuée cette foutue Umb…. Lilith ravala ses paroles, se rappelant qu’elle n’était pas censé parler de l’Umbra pour éviter d’affoler les habitants du royaume. Néanmoins, son visage se renfrogna et ses traits se durcirent en pensant à cette créature qu’elle et des collègues aventuriers avaient poursuivis. Elle repensa aux pertes, aux blessés dont elle faisait partie et elle se demanda combien comme elle avait pu survivre et regagner le royaume. Lilith fut tirée de ses pensées par Luz qui lui demanda de se déshabiller et posa de nouvelles questions. Elle se leva alors de sa chaise et ôta tranquillement sa robe qu’elle posa dans un coin avant de s’asseoir, dévoilant de nombreuses plaies et hématomes sur son corps maintenant quasi nu.
- Ça ira comme ça ? Au fait, oubliez ce que j’ai dit plus tôt. Je n’aime pas faire de la rétention d’informations et si ça ne tenait qu’à moi les unités médicales seraient tout autant informées de ce qu’on affronte que les premières lignes mais il faut croire que la royauté préfère garder certaines informations secrètes pour le moment. Pour ce qui est de vous dire ce qui s’est passé… je vais devoir être abstraite sur certains points mais ce sera suffisant pour vous.
La brune marqua une pause, rassemblant les informations dans sa tête et tentant de tout mettre au clair pour donner les informations les plus utiles et précises à son médecin.
- Je ne sais pas quelles informations vous avez dans votre dossiers alors je vais vous faire un résumé. Je fais partie des aventuriers lancés à la poursuite de la créature sortie de la Cité Enfouie qui a fui vers le nord. C’est sur cette créature que je ne peux pas vous donner d’informations. En tout cas, je reviens de là-bas et je n’ai pas la moindre idée de si d’autres aventuriers ont pu survivre. Là-bas on s’est confronté à la faune locale et… à cette foutue créature mortelle pendant un court instant. Autant vous dire qu’on s’est fait balayer… J’ai alors tâché de fuir pour regagner le royaume, en chemin j’ai me battre encore plusieurs fois avec la faune du Nord.
Lilith parlait lentement, ayant un peu de mal à respirer et se sentant tant fatiguée physiquement que mentalement par ses blessures et par les souvenirs de ses collègues -proches pour certains- décimés comme des insectes.
- Bien, venons-en à la partie qui vous concerne vraiment. Raven m’a expliquée qu’on m’a retrouvé inconsciente, à deux pas de la frontière après avoir vu mes signaux d’alarmes. J’étais en sang et les premiers soins ont consistés à stopper l’hémorragie ainsi que panser les plaies les plus importantes. Au-delà des blessures apparentes que vous voyez bien par vous-même, mon bras gauche me fait souffrir atrocement et j’évite donc de le bouger. A mon avis, un coup à dû m’en casser l’os mais vous me confirmerez ça. Du mal à respirer ? Un peu je dois l’admettre mais je mets plus ça sur le compte de la fatigue et de mon état général qu’un problème plus sérieux. Et non, pas de migraine. Je crois que je m’en sors plutôt bien, heureusement lorsqu’on a affronté cette foutue créature mes capacités défensives et régénératives étaient encore aux plus haut. Mais mes objets magiques ont brisé ou perdu dans la bataille. Au final la plupart des blessures ont été causés pendant ma fuite, par des créatures moins dangereuses.
Tout en l’écoutant parler, Luz posa avec délicatesse la paume de sa main contre le front de sa patiente. Elle avait pris soin de la frotter au préalable contre ses propres vêtements afin de réchauffer sa dextre à température ambiante. Elle eut immédiatement un claquement de langue appréciateur. L’aventurière n’était pas bouillante, juste un peu chaude. Elle avait après tout perdu pas mal de sang si elle devait en croire son récit, et la malnutrition mêlée de la nécessité de survivre avait quelque peu empiété sur sa bonne santé. Rien d’autre en somme que le témoignage des rudesses qu’elle venait de vivre dans le grand nord.
Luz était rassurée d’apprendre qu’elle ne souffrait pas de céphalées. Une migraine pouvait être le signe de fièvre, d’hémorragie et plus dérangeant encore de lésions cérébrales quasiment irrécupérables. Pour autant… La jeune femme tenait un discours parfaitement lucide et éclairé. Les mots étaient articulés de manière audible et compréhensible, elle ne buttait pas sur ses phrases et se repérait parfaitement dans la temporalité de son récit. Un signe indéniable que tout allait au mieux de ce côté-là – son esprit était aussi vif que l’on pouvait l’espérer pour un individu de son âge.
Tandis qu’elle continuait à raconter les prolongations de son cauchemar, les mains de Luz longèrent sa mâchoire, soulignèrent son cou et s’appliquèrent sur ses épaules en légère pression délicate des phalanges. Concentrée sur ce que ces doigts décelaient, la praticienne s’assurait en effet que tout était bien en place selon la bonne vieille stratégie de la verticalité : commencer par le sommet du crâne et descendre progressivement pour identifier et traiter une blessure après l’autre. Lilith n’était de toute évidence pas en danger de mort grâce à l’efficacité du poste frontière, Luz pouvait donc se permettre de procéder directement au traitement de fond de ses blessures. Elle se plaça sur son côté gauche et tandis qu’une main se posait sur son épaule, l’autre vint manipuler avec moult précautions le bras concerné.
Elle délaissa pour l’heure le membre abîmé pour s’intéresser aux multiples contusions qui marbraient la peau de Lilith d’un maillage mi violacé mi sanglant. Beaucoup de contusions de surface, nota-t-elle, et peut-être une côte fêlée. Il n’était pas rare qu’un patient ne ressente pas la douleur d’une blessure bénigne lorsqu’une fracture accaparait déjà son esprit.
Luz se fendit d’un sourire chaleureux, tâchant d’accaparer la concentration de la jolie aventurière sur son récit et non sur ses douleurs présentes. Ses hanches fonctionnaient visiblement très bien et ses jambes n’avaient souffert que de plaies plus ou moins partielles – la plus importante avait déjà été traité et l’artère avait été refermée. Outre les conséquences du froid qui avaient écaillé ses lèvres et attaqué ses mains et ses pieds, Lilith s’en sortirait sans autre séquelle qu’un fort traumatisme psychologique et la perte de son équipement.
Elle hésita un court instant, et ajouta finalement :
Les Wardäns, ces sales pestes. Luz regrettait presque de ne plus pouvoir y retourner à présent qu’elle était équipée et entraînée jusqu’au bout des ongles.
Elle laissa filer un rapide soupir et recula. Elle vint poser ses mains sur ses hanches et ses lèvres s’ourlèrent d’un plus grand sourire encourageant.
C’est un visage teinté d’une surprise non dissimulée que dessinèrent les traits de Lilith lorsque la rousse évoqué la Cité Enfouie. - Je ne savais pas qu’on envoyait les médecins risquer leurs peaux maintenant. Mais si vous êtes entrée et sortie de là-bas en vie c’est que vous devez cacher quelques prédispositions pour le combat derrière ce métier de médecin. Une ex-garde ou aventurière peut-être ? En tout cas vous devez faire un atout redoutable si vous êtes aussi habile à l’épée qu’au scalpel. Lilith qui aimait elle-même être polyvalente et avait toujours mit un point d’honneur à pouvoir aussi bien défaire ses adversaires que soigner ses blessures ne pouvait que saluer une femme capable de se battre et de soigner ses compagnons. - Je crois malheureusement que la plupart des informations resteront secrètes tant qu’il y persistera des zones d’ombres. Sûrement pour éviter un sentiment de panique au sein du peuple. En tout cas j’aimerai bien en savoir plus moi aussi ; même nous aventuriers on ne sait pas tout.
Le sujet de la conversation revint alors à la raison de la présence de Lilith dans ce cabinet. A savoir son état et les soins dont elle allait avoir besoin. Lilith profita que la praticienne fasse son bilan pour sa rasseoir sur le siège derrière elle, écoutant attentivement les conclusions de la praticienne. Les lèvres de l’aventurière dessinèrent un sourire mêlant satisfaction et détermination -appuyé par un regard confiant- sur son visage.
- Vous m’en voyez rassurée. Comme je vous le disais plus tôt, personne ne m’attend vraiment donc prenez le temps qu’il vous faut. Je ne suis pas pressée. Pour ce qui est des douleurs, je serrerai les dents. Se faire soigner ne peut pas être pire que se faire blesser j’imagine. En revanche qu’est-ce que vous entendez par "douleurs fantômes" ? Il lui semblait avoir déjà entendu parler d’un terme similaire mais c’était dans le cas un collègue qui avait perdu son bras. Même si le nom était assez évocateur elle préférait donc poser la question. - Pour les rendez-vous médicaux, je me plierai à votre emploi du temps. A part un rapport à faire pour la Guilde, ma priorité du moment est de retrouver le plein usage de mon corps. Ensuite il faudra que je me rééquipe et que je m’améliore suffisamment pour pouvoir retour au Nord. J’ai des comptes à régler avec de foutu monstre…
N’avait-elle donc aucune famille ? Pas de parents ? Pas d’amis proches ? La Guilde des Aventuriers était décidemment un monde à part… Elle vous volait votre vie bien mieux qu’une existence de service militaire. Cette Lilith avait également tout l’air d’une personne qui ne vivait qu’au travers de son métier. A peine remise d’une mort proche qu’elle désirait déjà replonger dans les flammes ! Sa dévotion était admirable et forçait inévitablement le respect, bien que Luz ressentit une fine pointe de compassion – ne se sentait-elle pas seule parfois ?
La praticienne était partisante d’une politesse consommée et jugeait toujours préférable de prévenir ses patients avant de faire rentrer une tierce personne dans le cabinet. Personne n’aimait se retrouver par surprise à demi nu devant un illustre inconnu ! En l’occurrence, Lilith avait conservé ses sous-vêtements. Avec quelques explications supplémentaires, il était évident que cette présence était nécessaire à sa santé :
Au signe d’assentiment que lui retourna l’Aventurière, Luz haussa la voix pour interpeller le concerné. Celui-ci était payé pour ce rôle entre autres menus services qu’il lui rendait, et cela se voyait immédiatement. D’une carrure de bucheron nordique, ses larges épaules prenaient aisément la place d’une armoire complète, pour un visage étonnement glabre. Il n’avait en tous cas aucune difficulté à transporter des cadavres et sa faculté à préparer du très bon thé était une valeur ajoutée encore plus savoureuse. Oui, Luz allait regretter de devoir le laisser à la Forteresse lors de son retour à la Capitale… Elle le fit pour l’heure se positionner à côté d’elle, assis afin qu’aucun vertige ne le saisisse, et vint poser la paume de sa main bien à plat sur son sternum. Elle fit de même avec Lilith. Elle avait également pris soin d’installer un maintien sur son bras cassé de sorte à éviter tout potentiel accident.
La paume de ses mains devint chaude et une douce lueur ambrée les gagna bientôt, flamboyante et vivace grâce à l’énergie dégagée par l’homme paisiblement assis à leur côté. Habitué à ce cirque, il fixait un point du carrelage les yeux dans le vague, peu désireux d’interférer dans la conversation.
Elle rit et reprit :
Les prunelles de Luz remontèrent alors sur les amples ailes noires qu’arborait sa patiente. Ses cornes n’était pas en reste et lui donnait un air de majesté inimitable. Luz, qui était naturellement curieuse et qui aimait volontiers distraire ses patients pendant les soins, se permit de poser une question supplémentaire :
- Pas de problème pour moi, faites le entrer.
Dit-elle tandis que son esprit se concentra instinctivement sur un autre sujet : le pouvoir de soin que possédait la rousse. Habituée à analyser les facultés de ses adversaires, au fil des quêtes effectuées pour la Guilde cette habitude était devenue un véritable réflexe chez la brune. Avec le temps elle s’était même mise à analyser les humains plutôt que les créatures, se fascinant pour la diversité des pouvoirs trouvables chez les habitants du royaume. C’est donc tout naturellement qu’elle songea à celui que venait de lui décrire Luz. Pouvait-elle se soigner elle-même avec sa magie ou, à l’inverse, pouvait-elle utiliser sa propre énergie pour soigner autrui ? Pouvait-elle dépouiller un être vivant de son énergie contre son gré et pouvait-elle aller jusqu’à le tuer dans le processus ? Les questions fusèrent dans son esprit avant d’être attirée par un autre détail. La jeune femme avait bien parler d’objet de pouvoir, cela signifiait donc que ce n’était pas son don naturel. Ce dernier pourrait bien être à l’origine des capacités martiales que Lilith supposait se trouver chez la rousse.
L’arrivée du grand gaillard servant d’assistant à la praticienne sortit Lilith de ses pensées. Un petit air amusé s’empara alors de son visage en voyant le voyant entrer dans la sale. Avec quelqu’un comme ça elle doit pouvoir enchainer les séances de soin sans qu’il ne bronche une seconde s’amusa-t-elle à penser face à la carrure d’armoire à glace qu’il présentait. Ce qui suivit fut une sensation assez paradoxale pour l’aventurière. La main appuyée contre son sternum se para d’une douce lumière et dégageait une chaleur réconfortante qui envahit peu à peu son propre corps. Mais, dans le même temps, elle pouvait sentir les fameux picotements évoqués par la praticienne envahir eux aussi son corps. Et, bien qu’elle eût été prévenue de ce qui allait se passer, Lilith ne put s’empêcher d’être surprise par cette sensation mêlant douleur naissante et chaleur réconfortante.
- Et bien dans ce cas j’espère que mon cerveau arrivera à suivre la cadence de vos soins, je m’épargnerai volontiers ces douleurs fantômes. Ça m’a l’air plutôt handicapant, particulièrement lorsqu’on mène une vie rythmée par l’aventure.
A la remarque de Luz les longues ailes noires de Lilith se déplièrent rapidement, s’allongeant en se courbant pour ne pas heurter les murs avant de reprendre leur position d’origine tout aussi rapidement. Malgré les quelques moqueries sur le sujet auxquelles elle avait pu faire face étant plus jeune, elle avait toujours apprécié ses ailes couvertes de plume ébène et les arborait fièrement.
- Mes ailes me permettent en effet de voler, et mes cornes… a pas grand-chose honnêtement. A part gêner mes partenaires pendant les moment intimes. Elle rit franchement, repensant à cette fameuse fois où un homme qu’elle avait emmené dans son lit avait bien faillit s’ouvrir le crâne en voulant l’embrasser. En y repensant, ils avaient tous deux un peu trop abusé de la boisson ce soir là mais l’anecdote était restée dans la mémoire de la jeune femme qui s’en amusait toujours en y repensant. - Plus sérieusement, ça va vous paraître un peu étrange mais je dirai que ma spécialité est -ou plutôt était- la polyvalence. En réalité j’ai la capacité de m’octroyer les facultés des créatures que je tue. En perdant mon équipement j’ai également perdu toutes ces facultés que j’avais acquise, à l’exception bien sûr de mes ailes et de mes cornes qui furent les premières obtenues. En tout cas, avec le temps, ce pouvoir m’avait offert tout un panel de possibilité différente ce qui me rendait asse polyvalente. Même si j’ai toujours été plus axée sur le combat qu’autre chose. Pour vous donner un exemple j’avais appris à changer mon corps en brume après avoir tué un Mist en quête. Enfin, aujourd’hui il ne me reste que le vol et les coups de boules dévastateurs et il va me falloir un certain temps avant de revenir à mon ancien niveau. Son sourire se crispa et elle se mordit la lèvre inférieure avant de reprendre. - Non, à un meilleur niveau que celui que j’avais...
Une douleur plus vive que les simples picotements présents jusque-là envahit soudainement son bras. Ou bien venait-elle simplement d’y prêter attention car elle avait fini de parler ? En tout cas elle prit une profonde inspiration et serra les dents pour surmonter la douleur, tâchant de garder un visage neutre pour ne pas inquiéter celle qui la soignait. Elle avait connu pire et pouvais bien supporter ça.
Les prunelles de Luz s’étaient agrandies à la manière de deux perles curieuses. Elle fixait sur sa patiente un regard d’une profonde attention, cherchant à appréhender les nuées de possibilités que pouvaient créer un tel pouvoir. Nul doute qu’il devait avoir été d’une utilité saisissante pour propulser Lilith parmi les rangs des meilleurs Aventuriers avant que son accident ne survienne ! La jeune femme pouvait se transformer en un tour de main en un splendide multi-couteau à taille humaine. L’évocation de ses folles parties de jambes en l’air lui arracha un rire et c’est plus détendue qu’elle réécouta les quelques explications fournies par sa patiente : elle avait notamment recommencé à respirer et l’observait moins à la manière d’un chat se pourléchant les babines devant quelques belles cuisses de poulet. Ses mains, elles, n’avaient pas négligé leur tâche et continuaient à opérer un lent et profond transfert d’énergie.
Luz aurait donné cher pour la voir combattre à son plein potentiel. Il existait une nuée de bestioles aux compétences toutes plus étranges les unes que les autres, mais d’une efficacité redoutable en combat si Lilith parvenait à les faire siennes. Voilà qui mériterait une certaine réflexion à l’avenir, car la praticienne songeait déjà à ses futures expéditions : cela vaudrait peut-être le coup d’investir dans un objet de pouvoir capable d’imiter la compétence naturelle de Lilith. Elle retint une grimace spontanée, le prix astronomique d’un tel objet lui ayant brièvement franchi l’esprit.
Luz aurait volontiers levé son verre pour souligner d’autant son propos – mais ses mains étaient présentement occupées par une mission moins plaisante que la boisson. Cela n’empêcha pas un sourire mutin de la gagner tandis qu’elle ajoutait :
De son côté, son secrétaire et assistant eut un grognement traduisant bien ce qu’il pensait de toutes ces messes-basses féminines et salaces. Ce faisant, elle sentit sa magie décliner, signe que les soins avaient progressé vite et bien. Vol vie ne trouvait plus qu’une poignée de coupures à colmater et une dizaine de bleus à reléguer au temps de l’oubli.
Après un infime silence traduisant l’once d’une hésitation, elle précisa, non sans un regard plus sérieux ancré aux prunelles de sa patiente :
Le halo ambré qui environnait ses mains faibli et s’arrêta tout à fait. Elle se redressa, déclarant tacitement par ce geste que les soins étaient achevés.
Bien entendu, elles ne se connaissaient pas. Mais les multiples rendez-vous de suivi médical qui les attendaient leur donneraient bien assez d’opportunités d’échanger et de discuter. Pour l’heure, Luz était de toute façon dépassée par ses propres projets personnels, incapable de s’éloigner trop longtemps de la Capitale sous peine de rater une étape irremplaçable de ceux-ci.
« Je vous prépare du thé, annonça-t-il en s’éloignant pesamment. »
Elle se tourna vers Lilith, son immanquable sourire jovial toujours plaqué sur les lèvres :
Lilith commençait à bien apprécier la praticienne avec qui le courant passait bien. Alors qu’elle était là pour se faire soigner et qu’on lui avait annoncé que les soins eux-mêmes engendreraient certaines douleurs elle se sentait plutôt détendue en cette compagnie, malgré des douleurs pourtant bien réelles. La rousse entretenait la discussion ce qui permettait à Lilith de penser à aux autres choses qu’aux blessures de son corps et c’était là sans conteste une grande qualité. En revanche la brune plaignait un peu l’assistant forcé de rester là à se faire vider de son énergie en écoutant la discussion et les messe-basses des deux femmes. Son rôle ne devait pas être facile tous les jours.
- J’espère que ça n’arrivera pas non plus, les cornes et les ailes sont déjà assez gênantes comme ça au lit. Je m’épargnerai bien de nouveaux inconvénients.
Peu à peu Lilith se sentait aller mieux, vit ses blessures externes se refermer et sentit un affaiblissement progressif dans la magie de Luz. La chaleur et la lumière émanant de ses mains diminua progressivement jusqu’à arrêt total, signe que la séance de soins du jour était finie. Mais Luz ne tarda pas à rappeler qu’il allait falloir d’autres rendez-vous, pour assurer un suivi. Et pas que. Lilith fut surprise, certes, mais agréablement surprise.
- Vous me voyez flattée de susciter un tel intérêt. D’autant que je doute être la seule aventurière à être passée entre vos mains. En tout cas ce serai un plaisir de vous avoir mes côtés en expédition. Surtout si je peux profiter de vos soins quand je serai blessée. Et… je ne pourrai jamais refuser une aussi charmante compagnie de toute façon.
En tant normal Lilith aurait assurément refusé d’être accompagné par quelqu’un qu’elle ne connaissait qu’à peine, d’autant que cette personne n’était pas aventurière. Mais en l’occurrence, à défaut d’être aventurière ou même garde, la femme qu’elle avait en face d’elle venait de démontrer une utilité certaines de par les soins qu’elle pouvait prodiguer. Et elle avait dit avoir fait partie d’une des escouades ayant parcouru la cité enfouie. Lilith avait pour habitude de se frotter aux missions dangereuses mais elle sentait bien qu’elle n’avait pas affaire à quelqu’un de fragile ou d’inutile. A vrai dire, dans son état actuel, c’était plutôt de ses propres capacités qu’elle devait s’inquiéter. Elle n’avait donc pas la moindre appréhension à l’idée d’être accompagnée par Luz en mission.
- Pour ce qui est de l’adresse j’ai plutôt tendance à aller d’une auberge à l’autre pour tout vous dire. Je n’ai pas de logement a moi. Je communique la nouvelle adresse à la Guilde à chaque changement, vous pourrez leur demander ou je peux vous prévenir directement si vous préférez. A vous de voir.
Lilith se leva enfin, un instant après l’assistant qui s’éclipsa rapidement, et s’approcha de la robe qu’elle avait laissé sur le côté et se rhabilla tout en douceur, évitant de trop forcer sur son corps alors qu’elle venait tout juste d’être soignée.
- Je dois admettre que ça fait longtemps que je n’ai pas eu l’occasion de profiter des plaisirs de la vie avec cette histoire de cité enfouie. SI je peux abuser de votre assistant et avoir une tasse thé également j’en serai ravie. Et je mangerai quelque chose avec plaisir mais vous n’avez pas d’autres patients en attente ?
Elle glissa à Lilith un charmant clin d’œil amusé, la fine lisière entre patient et praticien s’étiolant à présent que la phase délicate était passée. Le naturel revenait alors au galop, d’autant plus appuyé que Lilith avait elle-même démontré une certaine… Spontanéité dans les blagues salaces. Il n’en fallait pas plus pour encourager Luz à revenir avec ses gros sabots et ses phrases de drague tout à fait conditionnées. A la question suivante de son interlocutrice, Luz balaya l’argument d’un rapide mouvement négligeant du poignet et un énorme soupir théâtral s'ensuivit :
Elle coula un rapide coup d’œil au tempus qui trônait sur un buffet le long de la pièce, gracieusement mis à sa disposition par la Garde de la Forteresse.
Elle se dirigea vers l’entrée de son cabinet et s’engouffra au travers de la porte laissée ouverte par son assistant. Ils échangèrent quelques mots rapides puis il partit après une courte révérence. Elle le regardait s’engager dans un couloir tiers en direction de la cuisine lorsqu’un infime mouvement à la périphérie de ses prunelles attira son attention. Sa moue curieuse tomba sur les grands yeux apeurés d’une enfant. Un homme adulte se tenait derrière elle –vraisemblablement son père-, ses grandes mains calleuses posées bien à plat sur ses épaules en signe de soutien. Bien moins tiraillé par la timidité que sa fille, il l’encouragea à avancer d’une secousse et hocha la tête à l’intention de la praticienne. Sa fille lorgnait pour sa part d’ores et déjà à travers la porte ouverte avec une expression à présent entièrement absorbée.
Il se tut et regarda patiemment sa fille. Celle-ci crut comprendre que l’on attendait qu'elle réagisse après un interminable instant et un frisson la saisit – elle se tassa un peu plus sur elle-même et tritura ses mains malhabiles, un air penaud sur le visage. Quel âge avait-elle, sept, huit ans peut-être ?
« Elle collectionne les portraits d’Aventuriers connus. Montre-lui ma chérie. »
La gamine se trémoussa pour extraire d’une sacoche deux fois plus grande qu’elle à sa hanche un épais volume élimé aux entournures. Avec la grâce et le sérieux sacré d’un commissaire-priseur présentant la dernière relique millénaire aux Rois d’Aryon, elle en ouvrit une page et Luz put y voir peint de petits portraits, chaque fois accompagnés de paragraphes explicatifs et d’anecdotes.
Hé bien, la Guilde des Aventuriers ne lésinait pas sur les moyens pour obtenir davantage de fonds chaque année. La publicité et les faveurs du peuple devaient être deux notions primordiales pour cet ordre. Il n’était pas non plus étonnant qu’une petite fille née à la Frontière, vivant quotidiennement à quelques kilomètres seulement de monstres effroyables, voit les Aventuriers comme des héros légendaires. Cela devait être rassurant au quotidien, de savoir qu’un guerrier armé jusqu’aux dents était capable de repousser des titans à proximité de chez soi.
La praticienne s’attendrit un tantinet et un sourire revint flotter sur ses lèvres. De toute façon, Lilith avait a priori déjà tout entendu. Aussi se tourna-t-elle vers l’intérieur du cabinet pour annoncer avec la jovialité d’un simple intermédiaire :
Pour sa part, Luz attrapa la bouteille de vieux rhum qu’elle cachait dans un coin, la plaça sur le plateau du service à thé et emporta le tout dans son cabinet.
- Je vois, vous avez donc encore un peu de temps devant vous. Et bien ce n’est pas pour me déplaire, je dois l’admettre.
L’aventurière se réinstalla tranquillement sur l’une des chaises du cabinet tandis que Luz était occupée avec son assistant. De sa position, elle ne put s’empêcher d’entendre d’autres voix dans le couloir discuter avec la rousse. Elle n’y preta d’abord pas attention jusqu’à finalement entendre son nom. Curieuse, elle tendit l’oreille et écouta la conversation ayant lieu pour découvrir pourquoi on parlait d’elle. Et elle fut bien surprise par ce qu’elle entendit. Une collection de portait d’aventuriers ? Lilith ne savait même pas que leurs portait étaient connu en dehors de la Guilde et elle était donc loin de s’imaginer que certains citoyens en faisaient la collection. Il était logique de penser que certains vouaient une admiration aux aventuriers comme elle avait été elle-même admirative du métier étant jeune et il était logique de penser que les visages des plus grands noms de la Guilde étaient connus et respectés, surtout dans une région pareille. Mais elle ne s’attendait pas à ce que son propre nom soit connu. Puisqu’elle avait suivi la fin de la conversation, elle se releva et se dirigea vers l’entrée du cabinet pour donner son approbation au moment même ou Luz allait faire rentrer le père et sa fille. Elle n’avait jamais eu affaire à une enfant fascinée par les aventuriers auparavant et ne savait donc pas trop comment réagir. Un peu gênée, elle se para tout de même de son plus grand sourire, cherchant à faire bonne impression devant la petite fille qui avait des étoiles pleins les yeux en la voyant.
- Ça ira, j’ai connu plus épuisant qu’une enfant je pense. lâcha-t-elle sur le ton de la rigolade pour détendre l’atmosphère et se détendre elle-même. Voyant que la petite ne savait pas trop quoi dire elle non plus, Lilith passa affectueusement une main dans ses cheveux avant de la poser sur son épaule. Elle se mit à ses côtés et se baissa à sa hauteur. - Je ne savais pas que nos portraits circulaient comme ça. Je peux jeter un œil à ta collection ?
- B-Bien sûr dame Craban…
- Lilith. Appelle moi Lilith. Les aventuriers sont des gens comme les autres tu sais, on ne mérite pas tant d’honneurs.
La petite commença à tourner les pages de son livre que Lilith scrutait avec attention, cherchant les aventuriers qu’elle connaissait. Son visage crispa à la vue de certains d’entre eux, des compagnons qui était avec elle dans sa traque au grand Nord. Des compagnons que Lilith supposait morts à l’heure qu’il était. Mais la brune garda ça pour elle, elle ne pouvait pas se résoudre à briser l’innocence et la joie de cet enfant avec de telles histoires.
- Sacré collection que tu as là ! Je m’attendais pas à voir autant de membre de la Guilde répertoriés ainsi. Dis-moi petite, pourquoi tu t’intéresses autant aux aventuriers ?
- Parce que c’est vous qui nous protégez des monstres ! Plus tard je veux devenir une aventurière forte comme vous !
L’aventurière endurcie qu’était la brune ne pouvait que s’attendrir face à une telle candeur. D’autant qu’elle se reconnaissait en cette petite. Elle aussi était fascinée par le monde des aventuriers étant plus jeune et elle avait finie par devenir membre de la Guilde, non sans de grosses disputes familiales cependant. Et non sans apprendre après coup, au péril de sa vie, que le métier d’aventurier était bien moins idyllique qu’on ne peut se l’imaginer étant enfant. Instinctivement, Lilith porta son regard un instant vers le père de la jeune fille, elle voulait observer sa réaction. Assez logiquement elle pouvait sentir de l’inquiétude dans son regard mais il ne semblait pas totalement réfractaire à l’idée pour autant. Lilith était rassurée de voir ça et se décida enfin à signer le livre de la jeune fille, juste à côté de son portait.
- Merci dame Cr… Lilith !
- De rien petite. Entraine-toi dur si tu veux vraiment devenir aventurière.
Elle se releva, sourit au père et sa fille une dernière fois avant de les laisser repartir puis rejoignit de nouveau Luz dans son cabinet.
- Et bien je vois que vous avez sorti la boisson. Vous buvez souvent pendant le service ? s’amusa-t-elle. - Mmh d’ailleurs en parlant de service, c’est fréquent dans votre profession de s’occuper aussi bien des vivants que des morts ? Vous n’avez pas chacun une spécialité ? Entre les blessés à rabibocher et les cadavres à autopsier il ne doit plus vous rester une minute à vous.
Luz, qui durant tout le temps de l’entrevue avait conservé le dos de sa main négligemment contre ses lèvres dans le but de masquer le semi-sourire facétieux qui s’était emparé d’elle, fut saisie d’un vrai rire à la première remarque de Lilith.
Elle se pencha vers elle à la manière d’une conspiratrice, un coup d’œil vif jeté en direction de la porte :
Ses prunelles pétillèrent. Elle appréciait de se dépeindre comme une vieille femme racornie – après tout à 26 ans comme à 76 ans, ne pouvait-on pas mourir tout à fait par hasard en ratant très simplement le contour d’un trottoir ? Elle revint alors à son hilarité précédente, passant du coq à l’âne avec l’évident naturel d’un tempérament heureux et sans contrainte :
Luz leva haut le verre qu’elle venait de se servir, secondé par son jumeau, poussé vers Lilith. La praticienne était d’une incompétence affligeante avec les enfants. Ces monstres, ces demi hommes, ces marmots colériques qui hurlaient à s’en fendre l’âme avaient le don de l’agacer prodigieusement. L’image lui évoqua d’ailleurs sa récente inspection auprès de l’orphelinat financé par la Reine. Les enfants étaient parvenus à lui extorquer sans peine l’ensemble de ses bonbons, et ce souvenir lui arracha immédiatement une grimace. Satanés nabots rabougris.
Fort heureusement, le retour de son assistant les bras chargés de victuailles vint distraire ses sombres pensées. Elles l’aidèrent à débarrasser les plateaux, une délicieuse odeur de sanglier rôti des montagnes s’insinuant dans l’espace du cabinet. La peau était délicieusement dorée et saupoudrée d’herbes et d’épices, et le tout était accompagné de quelques patates rissolées découpées en fins dés. Les cuisines s’étaient montrées généreuses, aujourd’hui. Peut-être une conséquence directe des baumes anti brûlure que Luz avait déposé devant la porte du Chef hier soir. Tandis que les portes se refermaient à nouveau sur son assistant et qu’elles s’installaient pour manger, la praticienne reprit le fil de leur conversation :
Elle savoura quelques instants la bouchée délicieuse qu’elle venait de déposer dans sa bouche et reprit :
Luz avait également croisé le chemin de personnes exceptionnelles qui avaient influencé sa vie. C’était de ce fait en partie grâce à Zahria qu’elle avait désormais l’heur de travailler avec la Garde sur des affaires sordides mais passionnantes.
Les deux femmes furent alors interrompues par le retour de l’assistant qui apportait le repas. Un repas copieux et cuisiné a la perfection comme l’aventurière n’en avait pas mangé depuis des mois, obligé de se nourrir du tout venant jusque là puisqu’elle était en mission. N’ayant pas vraiment le loisir d’avoir un cuisinier personnel en mission, elle devait se débrouiller comme elle pouvait. Malheureusement la cuisine n’avait jamais été son fort. Même en dehors des missions ses plats étaient bien souvent fades et sans originalités. L’espace dégagé pour le repas, Luz et Lilith s’installèrent, prête à manger. - Visiblement vous avez de talentueux cuisiniers par ici. commenta Lilith en prenant une première bouchée et en écoutant attentivement Luz.
- Je vois, vous n’avez pas vraiment d’autres choix que d’être touche-à-tout en dehors de la Capitale. Et puis la polyvalence a son lot d’avantages également. En ce qui me concerne j’aime à n’avoir à compter sur les autres que le moins possible en mission. Ça me permet de me sortir d’avoir une réponse à beaucoup d’éventualités, notamment si je dois me retrouver seule pour une quelconque raison..
Lilith jeta alors un regard intrigué à Luz à l’évocation de l’hôpital en construction.
- Mmmh ? Je ne savais pas qu’il y avait un projet d’hôpital là-bas, c’est récent ? Vous dites vouloir en faire en établissement incontournable, dois-je en conclure que vous faites partie des gens à l’origine de ce projet ? Si c’est le cas vous pouvez compter sur moi pour faire tourner le mot aux autres aventuriers. Vu la qualité et l’efficacité de vos soins je ne peux que leurs conseiller d’aller se faire soigner là-bas si vous me dites qu’il seront aussi bien traités que je l’ai été.
Lilith continua alors tranquillement son repas, discutant avec la praticienne mais évitant de trop trainer pour ne pas la retarder dans la suite de son travail. Le repas fini, Lilith aida à rassembler un peu la vaisselle qu’elles venaient d’utiliser puis se leva de sa chaise.
- Et bien je crois qu’il est temps pour moi de partir et de vous laisser travailler. On se reverra pour nos rendez-vous médicaux mais si prendre un verre en dehors de votre bureau vous tente quand vous aurez le temps, je suis partante. Encore merci pour les soins en tout cas.