C’était vraiment une journée de merde. Sillonnant les rues de la Capitale, je lâchai un râle animal. Je m’efforçais à calmer mon angoisse rampante et ma tension électrique. Accélérant encore le pas, je fonçais dans une petite ruelle, marmonnant ma peine. Mon examen final consistait en la formation d’une nouvelle recrue, c’était bien ma veine ! Mais plus encore, il fallait retrouver un repaire de bandit. J’étais pas superstitieuse pour un sou, mais je le sentais mal cet exam’. La petite allait finir ensanglantée, brûler, noyer voire pire… cafter ! J’inspectai ma sacoche en cuir. Fuli roupillait innocemment dans ma besace. Je ne pouvais tout simplement pas la laisser une semaine d’elle-même, elle mourrait de faim. Ça c’était le meilleur des cas. Dans le pire des cas, le volatile trouverait le moyen de sortir, se ferait choper et servirait de plat de résistance à un supérieur. Quel goût aurait-il ? Oh… Je serrai un peu plus la lanière de ma besace en me l’imaginant.

Après avoir pris un tournant, je m’accolai au dernier rempart de la Capitale, le point de rendez-vous. Mon dos gratta les pierres et ma tunique brune se décora d’un trait opalin. Je posai mon sac-à-dos qui s’écrasa dans un nuage poussiéreux et sonore. Craignant des oublies de la part de ma partenaire temporaire, je m’étais surchargée, me trimballant avec un attirail encombrant. Soupir. Personne. La rencontre était fixée à l’aube. Évidemment, j’étais arrivée trop tôt. Le Soleil ronflait encore et un orchestre l’accompagnait d’ailleurs… Deux gardes somnolant, les paupières en croissant lunaire. Négligence. J’astiquai ma plaque déjà impeccable et les réveillai en prenant soin de condamner leur comportement irresponsable et honteux. Crachant son reste de soûl avec la délicatesse qui sied aux hommes, un des deux se redressa et fit enfin honneur à son rang.

De nouveau ennuyée, je labourais le sol de mes vas-et-viens, les pupilles agitées. Je laissais Fuli se dégourdir les papattes. Bon bah plus qu’à patienter et attendre cette fille. Le professeur nous avait vaguement présentées, plusieurs jours auparavant. Prise au dépourvue, ma réaction n’avait pas dû paraître des plus chaleureuse. Qu’en avait donc pensé… No… Norris ? Oui, Norris. Donc, quelles conclusions avait tiré la jeune recrue Norris de mon sourire à demi-étranglé et ma main horriblement moite. Oh, et puis, tant pis ! Je n’avais pas eu l’impression que l’engouement étouffait ma coéquipière à ce moment-là non plus.

Voyant l’aube bien avancée, je hélai Fuli. Une caresse. Un câlin. Puis, l’animal, d’une patte élégante s’avança vers ma besace tapissée de paille, l’air de rentrer dans son château doré. Cette poule… Lorsque je relevai le menton, je pus déceler un point rougeoyant flottant dans les ruelles. Ma recrue était arrivée. Par un mécanisme étrange et inexplicable, mes traits se figèrent avant de se friper. Je fis un salut militaire avant de lancer, cinglante :

— Tu es en retard, recrue Norris. J’espère que tu as tout le nécessaire. Allons-y.

Ainsi, je démarrai le trajet jusque-là lisière de la forêt sans plus de cérémonie. Je n'avais rien à ajouter après tout. Mon visage, stoïque, froid, ne transparaissait que l’ennui et l’agacement. Aurais-je dû la vouvoyer ? Vaut sûrement mieux la vouvoyer. J’aurais dû vérifier son sac aussi… Est-ce que je ne devrais pas désamorcer ce malaise ? Comment allais-je faire mes « leçons » ? Ne pouvait-on pas rentrer et annuler le tout ? La chaleur nous embaumait et l’herbe crissait sous nos pas. Le ciel se pavanait avec son manteau blanc et donnait envie de s’allonger et observer le défilé. Le printemps se fondait en été doux. Pourtant, je me sentais impuissante face à cette ambiance sinistre qui entrelaçait le voyage. La lisière montra le bout de son museau, un bâton avec un tissu au bout. Je me tournai face à la rouquine, au garde-à-vous.

— Bien, je pense que vous êtes au courant, notre objectif de cette semaine va être de retrouver un brigand qui a été aperçu, aux dernières nouvelles, dans ce périmètre, afin de donner sa position à la base. Évidemment, c’est un exercice et la personne sur les lieux sera un formateur, présent pour nous évaluer, qui a normalement quitté cet endroit précis à l’aube. Vous comprendrez que votre retard nous a, dès le départ, handicapé.

J'appuyais la dernière phrase et plus particulièrement le mort "retard". Comme c’était un exercice, je supposais que la traque serait simple. Quelques traces de pas, des branches pliées ici et là, un feu fraîchement éteint… J’étais déjà venu en repérage aux côtés du formateur, j’évaluais le rayon à ne pas dépasser, les yeux clos. Bon. Après un léger « En avant. » et un signe de tête, je l’invitais à me suivre. Fuli s’agita quelques secondes à l’intérieur, mais finit par se calmer. Je ne me sentais pas encore d’expliquer à la nouvelle recrue la situation délicate dans laquelle j’étais. Écartant une branche pour laisser passer la recrue, je repris.

— Pour commencer, il faut ratisser les alentours pour trouver les premiers signes de passage, traces de pas, vêtements déchirés, restes de nourritures... Ne touchez pas les plantes trop vives et ouvrez l’œil. Les victimes n’ont pas rapporté un témoignage très poussé, ça arrive, on est à la recherche d’un homme, grand, à la peau légèrement mate.

Feignant d'être concentré sur ma tâche, je scrutais ses moindres faits et gestes, prête à la reprendre au moindre problème.

Mais qu’est-ce que je me tape, au juste ? J’observais Norris déambuler dans mon ombre. J’imaginais les petites proies s’enfuir à 10km. Lamentable ? Pathétique ? Candide ? Difficile de faire un choix. La mine déconfite, j’abandonnais cette mission temporaire. Je ne pouvais pas négliger ma tâche, même si la recrue avait clairement été choisi pour m’handicaper. Déjà qu’elle trouvait des mensonges pas terribles. Des bouchons, vraiment ? Elle n’était pas foutue non plus de faire un effort en forêt. Je balançai mes locks sur mon épaule, un réflexe persistant, et voulus la conseiller.  

— Attachez vos cheveux et…

— Hé !! là regarde, regarde ! Une trace !

Coupe-moi mieux la parole la prochaine fois. Je claquai ma langue. Son tutoiement me déstabilisait aussi. Je n’avais pas de titre officiel, c’est vrai, mais tout de même, il fallait qu’elle apprenne le respect pour ses supérieurs. Ça lui serait utile. Madame Glide ? Non… Garde ? Pas encore… Bon, recrue suffirait amplement. Passant ma main dans mes cheveux, je pris une grande inspiration et déviai mon regard. Pas la peine de s’agacer longuement. Elle venait de trouver un bout de tissu. Je restai perplexe face à son sourire… victorieux ?

— Oui, génial. Mais le plus intéressant ce serait de regarder autour ce qui est couplé à cette découverte, qui, je vous le rappelle, seule ne servira pas à grand-chose.

Je balayais du regard la zone sur un mètre. Outre, le bazar énorme qu’elle avait mis par le simple fait… d’exister, je décelai quelques choses.

— Regardez… sur les branches à côté de la où vous avez trouvé le tissu, on peut voir que plusieurs ont été cassé. En scrutant un petit peu plus, on devrait trouver…

Je pointai du doigt mes observations et m’avançai.

— Des traces de pas. Plutôt énorme… Très mal effacé, regardez. On remarque les coups de bâtons. Mieux vaut être léger sur son geste ou rajouter des feuilles, branches.

Les traces étaient bien enfoncées, négligemment effacées, loin d’être fraîches, la personne devait être pataude et pressé. Cette description ne collait pas tout à fait au professeur. Un petit type autoritaire qui levait la tête pour hurler, droit comme un piquet pour gagner le maximum de centimètre. La plupart des recrues détestait ou craignait. Un certain Raoku, pas sûr. Je ne l’avais jamais eu, mais le court échange que nous avions échangé, suffit à m’en dégoûter. Je comptais bien lui plier son exam, vite fait, bien fait. À cette pensée, je balayai mes craintes et passai sous silence ce détail.

Je comptais demander à la jeune recrue d’ouvrir la voie et de nous mener, afin qu’elle s’améliore, mais je sentis des coups de becs. Fuli s’impatientait, soit elle voulait se dégourdir les pattes, soit grignoter autre chose que du blé. Je passais discrètement ma main dans ma sacoche et la caressait, priant qu’elle ne me pique pas. Prière effective. Je me retournais face à la jeune recrue. Je notai d’arrêter de lui tourner le dos.

— Bon, avant de continuer, trouvons un endroit un peu plus dégagé et mangeons. J’en profiterais pour vous parler de la faune et la flore. J’espère que vous avez de quoi noter ou allez bien retenir. Ah, aussi, appelez-moi recrue Glide. C’est important de respecter ses supérieurs.

Ce n’était pas présomptueux ni hautain, c’était juste vraiment une chose importante à faire. Même si à la manière dont j'avais jeté mes cheveux en arrière, certains auraient juré le contraire.