Tout naturellement, Java avait donc décidé d'emprunter une petite route menant directement à la chaumière des Anggun. Elle n'avait pas spécialement envie de soumettre Faolan à la dizaine de saluts de politesse qu'elle devait faire à chaque fois qu'elle rentrait, et de toute façon, les premières personnes à saluer, sous risque de catastrophe diplomatique d'ampleur continentale, restaient avant tout ses parents.
Alors qu'ils approchent des buissons de jasmin caractéristiques de son jardin, Java jette un œil à son Tempus. Normalement, à cette heure-ci, sa petite sœur devait être en train d'aider le vieux Badak dans son champ, et son frère était probablement en train d'effeuiller la coriandre pour le repas du midi avec sa mère... Et son père serait soit en train de désherber le potager, soit en train de faire le ménage. Un bon moment pour débarquer, en somme : la langue de vipère n'était pas là, l'enthousiasme de Nyoman compenserait les questions éternelles de Sarnai senior, et son père ne serait pas loin en cas de besoin d'intervention miracle. Java jette un regard à Faolan, puis s'engage entre deux buissons touffus (ceux qui avaient servi à toute la fratrie pour faire le mur au moins une fois, pour l'anecdote) avant de hurler à pleins poumons :
▬ JE SUIS RENTRÉE !!
Elle entend d'ici son frère hurler que c'est trop bien, que Java est là, qu'elle doit avoir plein de trucs à raconter, et qu'en plus elle est rentrée pour le Festival du Maïs, et que c'est trop bien, parce qu'elle est là, et elle a peut-être encore ramené le valeureux Capitaine de la Garde Royale, et qu'il aimait bien les wargs, et... un bruit qui ressemble à une casserole qui s'abat sur un crâne vide, et un petit silence. Java se retourne vers son ami.
▬ Bon, je t'ai déjà parlé d'eux, mais au cas où, je te refais le topo. Y a mon p'tit frère, le tout bruyant qui s'excite et qui vient de se faire calmer sec. Ma sœur est pas là mais c'est probablement pas plus mal, elle est... un peu trop curieuse sur beaucoup trop de sujets. Ma mère est plutôt stricte, mais elle t'aimera bien j'pense, donc te laisse pas avoir par ses regards en biais. Et mon père est doux comme un agneau, vous devriez bien vous entendre aussi normalement !
Peu importe à quel point elle répétait ses mises en gardes, elle avait toujours l'impression que ce n'était pas assez, mais bon... Il fallait les voir pour la croire, probablement. Elle a à peine le temps de se retourner, que Nyoman et Sarnai sont plantés devant eux, avec un grand sourire. Le sourire pour les invités. La recruteuse se dit qu'elle a bien fait de ne pas insister sur leurs défauts, vu qu'ils ont probablement tout entendu.
▬ Bonjour, jeune homme. Je suis Sarnai Anggun, la mère de Java. C'est donc vous qu'elle m'a recommandé pour nourrir le village pendant le festival ?
▬ TROP BIEN, Y A UN P'TIT !! IL EST TROP MIGNON, JE L'AIME DÉJÀ !!
▬ Ne crie pas, Nyoman, tu vas lui faire peur.
▬ T'inquiète maman, il est costaud le p'tit Melta !
Sarnai toise sa fille un petit moment, et Java détourne le regard d'un coup, comme si cet échange silencieux avait suffi à raconter toute une anecdote. Son attention revient au petit blond, ainsi qu'à son fils.
▬ Vous déjeunerez bien avec nous ? Et ne vous en faites pas pour votre... fils, nous nous relayerons pour veiller à son bien-être.
Une pause qui en dit long sur ses pensées, mais un sourire malgré tout amical. Java se dit qu'ils avaient vraiment bien fait d'arriver maintenant – en effet, même si elle était la commanditaire principale pour le petit cuisinier, elle savait bien qu'elle ne serait que celle qui le paierait... La véritable juge de ses talents semblait au moins bien disposée à l'accueillir en bonne et due forme. Pour l'instant.
Festival du maïs
Quoi qu’il en soit il avait horriblement hâte de tester tous ses nouveaux ustensiles de cuisine. Une certaine fierté même de les avoir pour le coup. Pouvoir proposer une gamme supplémentaire de produits grâce à cela est des plus gratifiant. Son amour propre et son honneur étaient en jeu avec ce festival, puis Java lui faisant assez confiance pour le présenté personnellement pour honorer ce travail, il se devait de ne pas faire de faux pas.
Java lui avait fait effectivement le topo, mais en gros le seul truc que Faolan avait retenu était quelque chose d’horriblement simple. Soit comme chez tes parents et ne cherche pas faire bonne figure inutilement, tu es ici pour bosser, pas épouser leur fille. Ça ne semblait pas bien compliquer dit ainsi. Pas compliquer, mais entrée en la matière fut fracassante. Melta c’était caché derrière ses jambes dès l’instant où Nyoman avait ouvert la bouche, jouant les timides pour gagner des points sympathie comme il avait appris tout seul comme un grand que ça fonctionnant avec beaucoup d’adultes. Un vrai comédien comme sa génitrice ce petit.
Allez, il va falloir se jeter à l’eau, comme la douce pluie qui les accompagne. La bonne humeur est présente, mais si le ciel est parfaitement dégagé de son anticipation face à cette rencontre. La mère de Java est impressionnante dans sa façon d’être, comme tout chef de famille à sa façon, puis Java semble tenir d’elle. Il lui rend son sourire et se dit qu’avoir un sourire de base c’est un plutôt bon accueil, encore plus d’être invité pour manger, ça commence bien.
— Bonjour, enchanté de vous rencontrer. Je suis Faolan Sealtar, et voici mon fils Melta. Mon riboux, arrête de jouer les timides et sois poli, s’il te plait. C’est la famille de Java.
Les yeux de Melta se mettent presque à briller d’un intérêt nouveau à cette parole et bien rapidement il sort des jambes de son père pour se mettre devant et dire bonjour et ses salutations pleines de vie.
— Bonjour famille Java ! Java trop forte battue rat grand grand et boom boom poisson avec moi ! Puis manger brioche grande comme ça !
Le petit écarta les bras autant qu’il le pouvait pour illustrer les tailles qu’il avait en tête. Tout comme il tentait de donner des coups de point dans le vide pour encore mieux expliquer, comme si c’était ce qu’on lui avait demandé là tout de suite. Visiblement Nyoman semblait à fond dans le discours du petit, presque si ce n’était pas sa meilleure écoute dans la pièce. C’est sûr que Faolan avait un visage légèrement blasé de l’entendre, encore une fois, raconter encore et encore les mêmes bout d’histoire, même si pour le coup le poisson était ressent dans le récit. Un soupire aux lèvres il continua comme si son fils ne s’excitait pas pour rien face à lui.
— Je suis actuellement cuisinier itinérant, mais j’ai été formé et travailler dans les cuisines de nobles des plaines avant de partir pour apprendre plus de recettes dans le pays et les grandes quantités à cuisiner ne me font pas peur.
Il avait précisé des plaines pour deux raisons, la première, plutôt simple, était pour précisé qu’ils n’étaient pas de si loin mine de rien, qu’il n’avait pas les habitudes alimentaires de la capitale et autre et qu’il savait cuisinier local. La seconde, plus vicieuse, était de mettre un peu en avant le fait qu’il avait pu faire de la cuisine fine en grande quantité et qu’il avait un panel large de qualité qu’on pouvait lui demander sans que ça ne lui pose souci.
— Merci pour l’invitation à manger. Est-ce que je peux aider en quoi que se soit ? J’avoue avoir plusieurs objets magiques que je souhaiterais pouvoir tester chez vous.
Tout en disant cela, il sortira de son sac à dos son Recolte Sanmort et son pot magique. Le grille gourmand il le ferait une fois devant le stand mis en place si la mère de Sarnai semblait intéresser par de la viande cuite de cette façon pour accompagné les autres plats.
— Cette pince permet d’avoir une récolte de matière première d’un animal ou d’une plante du moment qu’on pense à la matière première en l’utilisant l’animal. Ça fatigue la cible, mais ne tue personne et même si c’est un peu lent et qu’il faut le nettoyer bien correctement entre deux utilisations, cela a le mérite de permettre de prendre jusqu’à un litre de chaque élément en une heure. Si vous avez une personne qui veut bien se coller à son utilisation, ça pourra permettre d’avoir de la viande, du lait, des fruits et ainsi de suite gratuits en supplément.
Expliquer cela lui permettait de mettre en avant qu’il ne voulait pas être ici que pour l’argent, qu’il pensait aussi de comment réduire les couts tout en fabriquant plus. Enfin, dans son esprit en tout cas cela tournait ainsi.
— Pour l’autre, on m’a dit que vous aviez des fruits ultras bons et comme on est encore en saison chaude, une bonne glace à vendre en dessert n’en sera que plus douce pour mettre en plus en avant les cultures du coin. Cela transforme n’importe quel liquide en glace ou sorbet, on peut même faire des digestifs rafraichissants.
L’excitation était plus que présente dans sa voix et cela se voyais qu’il voulait tester tout cela. Puis il était beaucoup plus simple de s’exciter sur de la cuisine que de relevés le blanc face aux mots fils dans sa phrase. Mille fois plus simple et dans ses cordes surtout. Le déni est la meilleure des défenses pour beaucoup de sujets.
▬ Très bien. Suivez-moi, nous allons continuer cette conversation pendant que je prépare le déjeuner. Vous devez être fatigués et avoir faim, après toute cette route, non ? Java, range tes affaires et va chercher ta sœur.
La garde a envie de protester, mais se ravise. Loi universelle : les mamans ont toujours raison. Elle s'en va donc déposer son sac dans son ancienne chambre, en profite pour saluer son père et discuter brièvement avec lui, puis part faire sa tournée des bonjours dans le village.
Pendant que sa fille lui obéit avec sagesse, Sarnai se dirige vers la cuisine de leur maison, non sans avoir ordonné à son fils de s'occuper « de l'adorable petit Melta ». Les deux gamins s'affairent donc à se chatouiller l'un l'autre dans le salon, chacun riant le plus fort possible pour amuser un peu plus l'autre. Et c'est avec en bruit de fond la voix aiguë du petit roux et la grosse voix du grand brun qu'apparaît le père de cette famille animée, pour se présenter à son tour.
▬ Je vois que vous êtes bien arrivés ! Enchanté Faolan, je suis le père de Java, mais tu peux m'appeler Hasan. Je peux faire quelque chose pour aider ?
▬ Épluche les patates douces, je m'occupe du reste. Quand on se mettra au travail, notre ami cuisinier aura une tâche pour toi. Il a un objet magique que tu vas bien aimer, je pense.
Elle fait un clin d’œil au cuisinier, tandis que son mari hausse un sourcil en se demandant ce qui peut bien l'attendre. Il faut dire que vu les amis ou les petits jeunes que sa fille avait tendance à ramener, il avait toutes les raisons du monde de s'inquiéter... Mais jouer aux devinettes dans sa tête tout en épluchant des patates, ça lui allait très bien, quelque part. Et pendant ce temps, Sarnai s'affairait à couper en morceaux des filets de poulor tout en chantonnant. A les voir, on pourrait croire qu'ils étaient en train de faire à manger pour dix personnes – mais il suffisait de connaître leur fille aînée pour comprendre la quantité de vivres à mettre en jeu dans un repas correct pour cette famille animée. La matriarche s'interrompt dans sa mélodie pour faire la conversation.
▬ Pour en revenir à ce que vous disiez, Faolan, je pense que proposer des sorbets en dessert serait une très bonne idée. Nos fruits sont excellents et la récolte de cet été est abondante – d'ailleurs, vous ramènerez bien un peu de confiture et de pêches au sirop ? Votre adorable fils a besoin de bons fruits pour bien grandir !
▬ Mon amour, tu sais, ça risque de peser un peu lourd pour lui, il doit déjà être bien chargé...
▬ Java portera ! Si vous avez une adresse, nous pourrions aussi vous en faire livrer de temps en temps. Un bon cuisinier mérite de bons ingrédients !
Hasan hoche sagement la tête et jette un petit regard désolé au jeune homme. Effectivement, c'était un de leur plus grands plaisirs de faire voyager les fruits de leur labeur, mais il ne pouvait pas s'empêcher de se sentir un peu gêné en imaginant le petit papa sur la route avec douze bocaux de fruits. Il retourne à ses patates, et Sarnai continue de chantonner, tout en faisant chauffer de l'huile. Patates douces sautées, poulor frit, légumes de saison : quelque part, ce déjeuner était autant sa façon de montrer à Faolan qu'il était le bienvenu parmi eux, que de lui montrer que ses propres compétences culinaires n'étaient pas en reste.
Une quinzaine de minutes plus tard, alors que Hasan est en plein monologue sur l'éducation des enfants et le nomadisme – il avait déjà travaillé le sujet avec sa fille, et les perspectives que leur invité abordait le fascinaient – deux voix aigües qui se disputent se font entendre derrière la porte d'entrée, étouffée si ce n'est pour les mots les plus accentués.
▬ (…) leur dire (…)
▬ (…) mon choix !
▬ (…) capitaine...
Et.. pas le temps de gratter plus d'indices sur cette conversation qui semble plus qu'intéressante, Nyoman a déjà couru pour ouvrir la porte, avec bien sûr, le petit Melta sur ses épaules.
▬ VOUS PARLEZ DE QUOI ?
▬ Laisse tomber. Il est mignon ce petit ! C'est ton nouvel ami ?
▬ OUI, JE L'ADORE ET IL S'APPELLE MELTA !!!
Kusuma et Java dévisagent leur frère, puis le gamin qui semble bien s'amuser comme un petit fou malgré les décibels qu'il se prend dans les oreilles. Bon, s'ils s'entendaient bien, c'était le principal, quelque part... La plus jeune lève la main pour caresser tendrement la joue du petit roux, tandis que la plus âgée se dirige vers la cuisine pour prendre une bonne inspiration de l'odeur du repas à venir, et mettre la table.
▬ Faudra que je ramène des graines pour les piafs d'Anka, elle va bientôt partir à Manillam pour les vendre. Ah et Azad m'a passé un bouquin pour toi Papa, il a dit que tu avais déjà lu le premier et le deuxième tome ?
Hasan hoche la tête avec enthousiasme, et en moins de temps qu'il n'en faut pour lister les membres de la famille Anggun, voilà que la table est mise et que tout le monde est assis. Nyoman, malgré son côté grande brute, avait pris soin de s'asseoir à droite de Faolan avec son fils sur ses genoux, au cas où il préférait le récupérer pour le repas. Java s'étais mise à gauche, et face à eux se trouvaient le père, la mère et la fille, déjà en train de remplir les assiettes. Enfin, assiettes pour tout le monde, saladier pour Java. Cette dernière se penche vers son ami pour lui demander si tout se passe bien, mais la voix chantante et le sourire mielleux de sa petite sœur l'interrompent.
▬ C'est donc toi, le fameux Faolan ? Je t'imaginais plus grand. Ton... fils, c'est ça ? Est adorable.
Festival du maïs
Dans tout les c’était rassurant et il suivit la matriarche de la famille sans faire la moindre vague, bien docilement. On se plis au chef de famille, là c’est clairement la mère de Java qui a les rênes de toute cette histoire. Il l’écouta avec grande attention, se voir offrir des fruits était toujours un pur plaisir. Même cette histoire de poids qui semblait lui poser soucis fut très rapidement balayer de l’esprit de Faolan qui fut plus qu’heureux d’avoir pensé à acheter un petit sac sans fond.
— Oh ! On n’a fait que me vanter la qualité des fruits d’ici. J’ai vraiment hâte de pouvoir les préparer, alors en avoir en plus ne sera qu’un immense plaisir. Pour la croissance de Melta, c’est certain que c’est important, merci beaucoup. Pour tout vous dire, je voulais vous proposer quelque chose un peu plus tard pendant mon séjour, mais comme vous mettez le sujet sur la table autant en parler maintenant.
Tout en disant cela, il chercha doucement dans son petit sac sans fond où il avait pu mettre le contrat qu’il avait fait préparer spécialement pour l’occasion. Il voulait faire les choses dans les règles et que tout se passe pour le mieux, même si l’établissement de ce document officiel lui avait coûté quelques cristaux. Il y eut un éclair de rappelle et fouilla son sac à dos, sortant du sac l’un des deux œufs de familier qu’il avait, celui qu’il avait pris aux enchères pour le coup et juste en dessous se trouvait le document qu’il cherchait pour le coup.
— Voilà ! Désolé pour l’attente. Donc, comme je suis cuisinier itinérant, je voulais mettre en place un contrat pour travailler avec les producteurs du coin pour les fruits et légumes du village. Prendre ses marchandises au marché c’est bien beau, mais travailler directement avec les producteurs est mieux, puis la fraicheur et qualité des produits est garantie en prime. Bien entendu, il faudra discuter pour les prix et le faire chaque année suivant les récoltes, la qualité et quantité produit pour que ça reste équitable tout du long, mais… enfin… Si jamais ça vous intéresse, j’avais fait faire un contrat, je vais vous le laisser là.
Tout en disant cela il le posa sur un des meubles de la cuisine bien évidence, dans un coin qui ne dérangeait pas pour faire les préparations. Sur le papier il y avait aussi son adresse au capital, son seul pied-à-terre stable pour le moment. Il faudra qu’il prévienne tout de même Fey de ce qui allait arriver pour lui sur place.
— Et sinon pour les pots, j’ai un petit sac sans fond, cela prendra un peu de temps à le remplir, mais c’est pratique pour réduire le poids de ce qu’on transporte.
Il n’était pas contre le fait que son amie lui apporte les pots que ses parents voulaient lui offrir, mais il se sentirait tout de même un peu mal de lui faire avoir ce genre de détour pour simplement avoir oublier de préciser qu’il avait un sac sans fond dans l’histoire. Surtout que c’était bien pratique comme type d’objet. Indispensable même quand on était itinérant, il faudra qu’il investisse pour la version plus grande du sac tout de même.
Le reste du temps en cuisine fut entrecoupé de discutions avec Hasan sur l’explication de comment son objet de pouvoir fonctionnait, la vie nomade et l’importance de la famille. Le tout en suivant avec attention les gestes et manière de faire de Sarnai, tout en aidant de son mieux de son côté. C’était agréable comme façon de faire, cela lui rappelait un peu chez lui, avant que toute l’histoire avec Asha ne se complique, quand tout était plus simple. Se laissant bercer par cette bonne ambiance il entendit plus qu’il ne vus sa pluie de bonne humeur redoubler sur le toit de l’habitation.
Son attention redouble quand Java parla de piaf d’Anka. Elle lui avait dit que la jeune femme vendait des faucons, pour transmettre le courrier ou même pour la chasse en avoir un entraîner serait vraiment une bonne chose. En acheter un avant son départ pour Manilam était important. Il laissa ses affaires et son œuf de familier dans la cuisine sans même se poser de question, une confiance totale dans cette famille était présente en lui. Melta était dans son élément et visiblement la petite sœur de Java avait des attentes en taille le concernant.
— Ah ! Euh… Désolé de décevoir, je ne pense pas être fameux, mais c’est un plaisir de vous rencontrer. Au fait, je voulais savoir, est-ce que ça dérange si je vous tutoie ? Vous pouvez aussi le faire, c’est juste que je me dis que si je suis là pour un moment et que je vais travailler ici, ça sera plus… hum… convivial ? Enfin, voilà. En tout cas, Kusuma tu as une voix beaucoup plus douce que ce que j’imaginais.
Sérieusement, il avait eu une voix plus forte comme Java ou qui hurle comme Nyoman. C’était une voix qui était beaucoup plus proche des chansons qu’il avait pu entendre dans la cuisine quelque part et c’était agréable à entendre.
— Melta, vont te laver les mains, j’ai vu que tu ne l’avais pas fait. On n’est pas chez les sauvages, comporte-toi bien.
— Oui papa.
Et docilement son fils vient se laver les mains, retirant un peu de terre et poussière qu’il avait dessus. Non, se balader en pleine nature ne laisse pas les mains propres. Son fils avait un sourire des plus grand et à peine les mains laver que le voilà retourner directement à côté de Nyoman pour babiller avec lui sur une histoire de bouton. Le blond ne chercha pas à en savoir beaucoup plus et s’installa et commença le plat.
— Ultra bon votre poulor. Au fait, j’ai récupéré en chemin des racines de plante pour faire aussi des bonbons à base des fruits du coin. J’ai vraiment ultra hâte de pouvoir les travailler. Au fait, Java vous a expliqué pour la météo ?
Parce que mine de rien, il n’y avait eu aucune demande là-dessus, donc peut-être qu’elle avait déjà fait le topo et vu pour une solution. Si ce n’était pas le cas il allait falloir voir l’organisation avant de vouloir faire quoi que soit d’autre.
Un bruit évident de coup de pied sous la table, et Kusuma se contente d'un sourire mielleux. Est-ce qu'elle parle du fils ou du père ? Seuls les autres Anggun la connaissaient assez pour le savoir. Enfin... Nyoman était actuellement trop occupé à écouter les péripéties grandioses du petit Melta et à lui montrer qu'il mâchait bien sa nourriture comme un grand garçon, comme Java avait fait pour lui à son âge. Java qui elle, était entrée en symbiose avec le contenu de son assiette, bien heureuse de remanger de la nourriture cuisinée par sa maman, et d'avoir la bouche trop pleine pour leur annoncer une certaine nouvelle. Quant aux parents, ils préféraient ignorer l'insolence de leur fille – non seulement ils avaient abandonné tout espoir de rectifier ce vilain défaut, mais en plus ce dernier leur avait sauvé la mise plus d'une fois, au cours de nombreuses histoires que nous garderons pour endormir Melta ce soir.
Lorsque Faolan soulève la question de son pouvoir, Hasan sourit tendrement alors que sa femme éclate de rire. Quelque part, leur fille n'a vraiment pas tort : c'est qu'il est vraiment mignon, ce petit papa ! Au sens le plus touchant du terme. C'est la matriarche qui prendra la parole tout en remplissant les verres d'eau.
▬ Oui, Java nous a parlé de ton pouvoir. On dirait que j'ai bien fait de ne pas arroser mes fleurs ce matin, d'ailleurs !
Elle lui fait un clin d’œil, et pendant qu'elle commence à manger à son tour, la garde prend le relai.
▬ Ouais, j'ai-
▬ Essuie-toi la bouche avant de parler.
▬ Ah, euh, oui. (...) Donc ouais, j'leur ai dit pour ton pouvoir, histoire qu'on puisse s'organiser pour monter un stand couvert. Et on a même un petit chandail pour Melta si ta météo s'emballe un peu trop !
Kusuma mime une petite révérence pour signaler son œuvre, même si en réalité, elle n'a fait que rattraper un pull qui a rétréci. Là encore, action typique de la vipère familiale, que plus personne ne relève. Au fur et à mesure du repas, la conversation continue autour du pouvoir de Faolan, de devinettes sur le possible pouvoir de Melta, et de toutes sortes d'autres sujets. Pendant que Java et son père débarrassent la table, la cadette décide de mettre la tablée au fait des dernières rumeurs arrivées jusqu'à elles. Histoires d'amour impossibles, nouveau culte dans la forêt, et...
▬ Au fait, Faolan, tu sais que tu as un rival ?
Sarnai, qui contemplait avec attention le document qu'il avait sorti de son sac un peu plus tôt, lève rapidement les yeux vers sa fille. Pas Kusuma, l'autre. Comment ça, un rival ? Est-ce qu'elle avait étudié les différences de prix, avant de pistonner son ami, au moins ? Java regarde sa sœur, puis sa mère, puis retourne à la vaisselle.
▬ Biantka m'a raconté qu'il y a un cuisinier à l'Archipel qui offre ses plats gratuitement ! Ail-aux-ânes. Lui aussi il a un fils, qui s'appelle Melba d'ailleurs. Par contre, il est marié, celui là. Un ancien collègue, peut-être ?
Java glisse un regard vers son ami, intriguée. Il lui semble qu'ils avaient parlé d'un de ses voyages dans le Sud du royaume, mais cela n'avait probablement rien à voir. Après tout, qui fait de la nourriture gratuitement ? Il faut bien payer les ingrédients. La mère, piquée dans sa fierté, se sent obligée de le rappeler.
▬ S'il offre ses services gratuitement, il n'est probablement pas aussi doué que notre cher ami ici présent. En tout cas, moi, je n'y mangerais pas !
La famille s'échange des petits sourires convenus : c'est officiel, Faolan est unanimement approuvé. Le soleil brille haut dans le ciel, et il est l'heure de se répartir les tâches. Java invoque deux clones qui partent avec Kusuma pour commencer à installer le stand, Nyoman se dévoue de bon cœur pour tenir compagnie à Melta les premières heures, il faut expliquer à Hasan encore deux ou trois fois comment on active l'objet magique de Faolan (ce dont Java s'occupera non sans mal), et nos deux chefs doivent sélectionner leurs ingrédients face aux réserves gargantuesques faites pour l'événement.
L'après-midi s'annonçait déjà plus que mouvementée, et pourtant, elle leur réservait encore son lot de surprises...
Après, il aurais aussi pu tout simplement demander à Java de lui passer des menottes anti-magie pour ne pas être gêné, mais ne plus avoir l’influence sur la météo, rien que l’idée de couper avec sa magie, cela le mettait plus que mal à l’aise. C’était comme lui demander consciemment d’arrête de respirer tout cours, tout en lui assurant qu’il allait continuer de vivre tout de même. Désagréable au possible.
Toute son attention fut attirée par la déclaration de Kusuma sur un certain rival. Mince, il avait raté un autre cuisinier faisant des distributions de nourritures gratuites dans les Archipels ? Mince ! En plus son enfant se nommait Melba ? Totalement injuste.
— Je voulais appeler mon fils Melba, ma mère n’a pas voulu et dit que ce n’était pas un prénom pour un enfant, bha, visiblement, si ! Franchement, ça lui fera les pieds dans ma prochaine lettre…
Il y a un certain dépit dans sa voix. Parce que le sujet du prénom de Melta avait été en quelque sorte le défouloir de ses parents pour oublier l’incident. Enfin, jouer à l’autruche avec le sujet principal de la discorde suite à l’annonce de la grossesse surprise d’Asha, mais ça sera le sujet d’un autre moment, revenons au moment présent.
— Peut-être qu’il était aussi en mission pour un noble. J’ai fait de la distribution de nourriture pour l’un d’entre eux, avec une capitaine de navire marchand. Tout avait été payé par la famille qui nous avait commissionnés, mais la distribution était gratuite… Ils voulaient avoir des avis sur la couronne et tout le baratin dans les Archipels… Comme si le fait de vivre là-bas ça changeait quelque chose sur les idées sur les nobles… enfin bons…
Il ne s’étendrait pas sur le sujet. Il n’avait pas demandé à son amie les idéaux politiques de sa famille et n’avais aucune envie de se faire jeter dehors s’il était chez des adorateurs profonds de la couronne qui n’acceptait pas qu’on dise le moindre mal des nobles locaux ou non. Même si pour le coup il en avait trop dit certainement.
Puis cela lui avait fait chaud au cœur tout de même de voir la mère de Java prendre sa défense, même s’il avait du mal d’entendre du mal d’un confrère. Il y avait une certaine solidarité avec tous les cuisiniers du pays selon lui et ne voulais pas leur tirer dans les pâtes sans raison. Surtout si c’était une petite famille tranquille qui faisait de leur mieux. C’est compliquer ce genre de situation mine de rien.
Il aida à débarrasser la table et faire la vaisselle une fois le repas fini. Dès que cela fut fait il sortir et mis de côté ce qu’il avait prévu pour le début des préparations. En premier, la douceur aux fruits. On lui avait apporté de beaux citrons, de sublime pomme, des poires parfaitement mures, des ananas sentant le sucre, des cerises bien rouges ainsi que des melons dont le parfum seul donnait l’eau à la bouche. Vraiment cet assortiment de produite pour en faire autant de sucreries que de sorbet serait une pure partie de plaisir.
Se lavant les mains correctement et commençais à sortir aussi ses outils de travail et les racines de guimauves qu’il avait pris en grande quantité pour ses préparations. Avec une certaine passion, il expliqua étape par étape la fabrication de la sucrerie à Sarnai. Il voulait qu’elle puisse autant aider, que pouvoir le refaire si l’envie lui en venait. Il était en pleine explication quand il donna un coup de coude dans le meuble derrière lui, celui sur lequel son œuf se trouvait. Le pauvre allait finir en omelette au sol si Faolan n’avait pas eu le réflexe de l’attraper en finissant, tout cela en finissant le mot qu’il disait à ce moment-là.
— Guimauve.
C’était tout bête comme mouvement. Comme mot aussi, mais la coquille se mis à se fendre doucement pour laisser sortir une toute petite créature que Faolan regarda un moment sans un mot. Donc il venait de nommer son glooby Guimauve, bien… Dire qu’il voulait laisser la tâche de le nommer à Melta, c’était perdu pour le coup. La petite créature gigotait doucement et sembla chercher quelque chose. Une fois les idées en place le jeune homme attrapa un bout de melon qui avait été coupé un peu plus tôt pour le donner à la petite créature qui le mangea sans aucun souci, avant de s’attaquer à changer les restes de coquille de son œuf avec un certain plaisir visiblement.
— Ha, je suis désolé, je n’avais pas prévu que cela se passe ainsi… Je vais le… heu..
Il regarda autour de lui et ne vit aucun endroit où il pourrait poser le petit familier sans qu’il ne pose soucis, surtout alors qu’il était aussi petit. Petit être qui venait d’ailleurs de finir les restes de son œuf. Il aura pu le donner directement à Melta, mais il avait lu qu’il devait se lier un peu plus à son familier avant de le laisser tout seul. Encore plus avec un jeune enfant aussi énergique. En désespoir de cause il finit par le placer sur le haut de son crâne et visiblement cela plaisait bien à la créature qui se nicha dans ses cheveux et observer le monde de son perchoir.
— Voilà.
Suite à cela il repartit se laver les mains et reprit son explication sur la guimauve, ainsi que le sirop à sorbet qu’il faudrait mettre à la dernière minute dans le pot magique pour en faire un sorbet bien frais à servir directement. Une fois fait la préparation des marinades pour les viandes de boutons, une au miel, une au piment et une à la moutarde. Le maïs à préparer pour être grillé ou servir en potage avec quelque poisson local. Il y avait une grande julienne de julienne de légume légèrement poêlé qui fut coupé de manière intensive. Le plus gros du travail revient enfin à la préparation de plein de tarte, autant sucrée que salée, avec les productions locales.
Au fur et à mesure qu’il avançait pour les différents plats avec la matriarche Anggun un respect certain pour cette femme se faisait. Comme si faire la cuisine pour autant de monde ne semblait pas plus a perturber que cela, juste qu’avoir de l’aide en plus n’était pas un mal. Au loin il entendit le rire de Melta et ça le fit rire un peu alors qu’il plaçait de nouveaux fruits sur une tarte à mettre au four dans la prochaine tournée.
— Je n’aurais pas pensé qu’il y ait autant de passage pour ce festival, c’est vraiment bien pour les plaines que la capitale ne prenne pas toute l’attractivité des activités. C’est assez compliqué ainsi de vivre ici…
Il y avait une certaine nostalgie dans sa voix. Il avait presque l’impression d’être de retour chez ses parents après tout, il manquait juste sa famille, enfin ses parents. Un peu de neige de songerie se mêla à sa pluie et il continua son travail avant d’attraper une guimauve à la pomme et de la lancer directement vers le visage de Java en la voyant passer le pas de la cuisine.
— Attrape.
Les préparations se passent sans brouille. La matriarche se surprend même à s'attacher de plus en plus au jeune homme, au fur et à mesure que l'un complète la phrase de l'autre et que leurs recettes s'harmonisent entre elles. Une question lui brûle les lèvres : comment ou pourquoi Faolan peut-il bien être célibataire ? Mais elle se retient de la poser – elle ne voudrait pas le perturber pendant qu'il travaille, ni faire l'erreur de mal choisir son moment. A la place, elle se concentre sur la cuisson des tartes, et les conversations avec les gourmands et les vieux amis qui venaient à leur stand.
Une des Java dispersées dans le village s'approche de la scène en voyant le changement de météo, intriguée par ce qui pourrait bien faire tomber les flocons de son ami. Pas le temps de demander – la voilà qui se retrouve instinctivement à sauter pour attraper une guimauve avec sa bouche, sous les yeux ébahis de son petit frère et de son nouvel ami, qu'elle rejoint dans leur danse de la joie. C'était super bon, et super classe ! Sarnai regarde ses enfants d'un air circonspect, et suit du regard Nyoman qui part en courant pendant que Java fait des grimaces à Melta. Il passe rapidement devant sa mère et lui annonce avec un grand sourire qu'il va leur ramener ce que Hasan a récolté jusque là. Elle soupire, puis reprend ses tâches... et profite d'un petit temps mort pour reprendre une des remarques de son employé d'un jour.
▬ Tout se joue au bouche-à-oreilles. Bien sûr, nous travaillons tous très dur pour entretenir nos récoltes, mais le gros du monde que tu vois passer aujourd'hui vient parce qu'un cousin, une tante, un aventurier, lui a parlé de notre petit festival. Il y en a peut-être quelques uns qui espèrent croiser le capitaine de la Garde Royale, aussi, mais ça c'est encore une autre histoire...
Elle s'arrête le temps de servir un nouveau client avec un sourire radieux, puis son visage redevient sérieux alors qu'elle se tourne vers Faolan.
▬ Bref, la plupart de ces gens ne viennent pas de très loin. Ça a son lot d'avantages, quelque part : en leur servant des bons plats, on renforce notre bonne réputation locale. C'est un bon moyen d'être sûr de garder chacun nos clients réguliers, d'en avoir peut-être un ou deux nouveaux par lune, et de savoir sur qui on peut compter.
Sarnai revêt de nouveau son faux sourire pour une petite fille qui vient poliment demander une boule de sorbet à la poire, et elle s'affaire à la servir avec tendresse. Son ton reste tranchant lorsqu'elle reprend sa tirade, en revanche.
▬ Enfin, j'imagine que je ne t'apprends rien. Et si tu es nomade comme ma fille, tu t'es probablement fait ton avis sur ce genre de fonctionnement, toi aussi. Ah, les jeunes... Ce serait pourtant bien plus facile d'élever ton fils à un endroit fixe, non ? Et de le protéger, surtout - j'imagine que ma Java n'est pas toujours là pour ça. Enfin, ça, encore, ça doit pouvoir s'arranger.
Bien sûr. Si Java était douée pour recueillir des informations à sa façon, si Nyoman avait un talent certain pour charmer avec ses airs d'ahuri, et si Kusuma était aussi piquante dans ses remarques, ce n'était que parce que Sarnai senior n'était elle-même pas en reste sur ce terrain là. Elle avait parfaitement calculé son coup, et la transition de l'économie locale jusqu'à la situation du petit blond s'était faite aussi fluidement que possible. Comme pour mieux argumenter ses propos, elle pointe du regard sa fille aînée qui raconte une histoire visiblement fascinante à Melta, puisque l'un comme l'autre semblent complètement absorbés par les effets spéciaux qu'elle mime du mieux qu'elle peut.
La mère retourne quelques morceaux de viandes qui grésillent joyeusement d'une main, et enfourne une nouvelle tarte de l'autre. C'était peut-être le côté le plus vicieux de cette famille, la raison principale du départ de Java : n'importe lequel était capable de retourner vos propres mots contre vous, avec toute la politesse du monde, le sourire semi-chaleureux qui va avec, et sans perdre la moindre once de concentration.
L’avantage dans tout cela c’est que la mère de Java parle. Oui c’est un avantage sans nom, parce que cela permet de se concentrer sur autre chose que la petite bestiole qui lui bave dans les cheveux en se formant visiblement un nid. Au moins il n’est pas en train de les lui manger, c’est déjà cela. Un bien pour un mal. Ou un truc comme cela.
— Le bouche à oreilles est la meilleure de publicité, mais aussi le pire des ennemies si on fait la moindre erreur. Dans mon village natal, la taverne a été désertée pendant un mois entier suite à une histoire de rat qui courait dans toute les chambres. C’était un mensonge créer par la femme de l’aubergiste pour moins voir son mari draguer toutes les femmes qui passait par là-bas quand il allait voir son ami tavernier… seulement après pour refaire venir les gens ça a été compliqué, quand elle a avoué ce qu’elle avait fait ça a été suite au fait que son mari l’ait quitter pour ledit tavernier… c’était un peu pathétique comme histoire… Ils sont tous partis du village suite à cela et quelqu’un a repris les deux établissements. Vraiment ça avait été très rapide pour voir les effets de la rumeur.
C’était un événement qui avait eu lieu à ses huit ans, un parmi tant d’autres qui lui avait fait se poser certaine question sur les relations romantiques ou sociales entre diverses personnes. Seulement ce n’est pas la question pour le moment. Pour le coup, même si c’était un fourbe de sa part c’était aussi pour tâter le terrain pour savoir comment la famille de Java voyait ce genre de relation pour voir ce qu’il allait pouvoir dire ou non face à eux. Il avait vécu un accident gênant à cause de cela avec sa famille, pas besoin d’en ajouter d’autre, surtout dans un travail payer chez une amie.
— J’avoue sinon que tu as raison, même en étant nomade c’est la réputation qui joue beaucoup pour que le commerce joue, mais souvent ce soit simple de l’oublier, un peu naïf aussi.
Horriblement naïf de croire que d’aller de lieu en lieu sans apporter aucune rumeur sur soit est possible. Comme si on pouvait changer de vie juste en changeant le décor autour. Pourtant c’est ce qu’il avait plus ou moins fait en quittant son village natal. Oui, c’est certain, mais cela laisse ces traces, quoi qu’il en pense ou crois sur le fait qu’il soit au-dessus de cela. Rien que de comment son cerveau vient d’être dans le déni total du moindre sous-entendu romantique est une marque qu’il a été clairement marqué par cela et que ses actions s’en ressentiront. Est-ce que cette suite d’idée était logique ? Possible, en tout cas, sûrement.
— Pour la protection de ma famille, j’ai pour objectif d’un jour trouvé une personne voulant bien faire route avec nous en associé. Me poser serait certes mieux pour Melta, je le sais bien, mais j’aurais l’impression d’être une plante sans eau si je ne peux pas continuer ma quête de nouvelle saveur. En plus mon fils est si ouvert et heureux quand on avance ensemble. S’il me demandait d’arrêter ou si ça devenait trop risqué pour lui, là oui, j’abandonnerais mes rêves, seulement… hum…
Il cherche de comment le formuler correctement. Sans vouloir être blessant ou avoir l’air amer en le disant. Est-ce qu’il y a un moment de ne pas être amer quand on parle de chose qui nous a touchés beaucoup trop fort ? Surement pas, alors il démoule une tarte aux poires avant de la couper et reprendre enfin ce qu’il voulait dire.
— Mes parents n’ont pas réalisé leur rêve avant de se marier et de m’avoir. Ils ont une belle vie et sont heureux de leur chance, mais… hum… Parfois ce n’est pas le cas. Il y a les regrets de ne pas avoir fait telle ou telle chose qui remonte et c’est moche à voir. Je n’ai aucune envie que Melta voie ça en moi ou qu’il puisse se dire que c’est sa faute si je n’ai pas continué ce que je voulais.
Parce que c’est horrible de se l’entendre de dire par un parent un peu trop alcooliser ou lors d’une dispute quand on est supposer dormir. Même avec toutes les précautions du monde cela ne suffit pas forcément.
— En tout cas, Java est une personne vraiment inspirante et qui se donne à fond dans ce qu’elle fait, si elle devenait une simple garde du corps pour mon commerce cela serait triste… Elle vaut beaucoup mieux que cela. Vous avez une fille avec un sacré estomac et caractère sur qui on peut compter.
Parce qu’il ne voit pas Java comme une femme qui finira a la maison, pas comme une mère de famille qui se tourne les pouces. Il sait que ce n’est pas se tourner les pouces, mais son amie n’est pas faite pour une vie aussi tranquille que la sienne. Il allait rajouter quelque chose quand il sentit son familier sur sa tête basculer dans le vide. Il eut tout juste le réflexe de le rattraper pour le retrouver sur sa main.
Guimauve le regarda longuement après cela et semblait assez fière d’elle. Et remonta elle-même sur le crâne du cuisinier en laissant une très longue et gluant traîner de bave tout le long de son parcours sous les yeux effarés de Faolan qui la regardait faire sans savoir quoi dire. Est-ce qu’il fallait disputer un familier aussi jeune ? Sûrement pas, vraiment il ne savait absolument pas quoi faire. Tout ce qu’il fut capable d’avoir comme réaction fut de lui donner une cerise une fois installée à nouveau sur sa tête comme si de rien n’était.
— Non, mais vraiment… J’aimerais un manuel pour les personnes venant de naître…
Il marmonna cela avant de partir se laver à nouveau les mains et une partie de son bras et cou. Il lui faudrait vraiment se laver entièrement une fois tout cela fini. Nyoman arriva avec Melta, son enthousiasme débordant, de la viande et… des poils ? Comment cela ?
— Vous faites une spécialité avec du poil de boucton ? Attendez, ça se cuisine et je n’étais pas au courant ?
▬ Effectivement, le bouche-à-oreilles demande un certain savoir-faire pour obtenir un bon résultat. Un minimum de savoir-être également, comme tu as dû l'apprendre dans ton village. Cette pauvre idiote aurait dû saisir l'opportunité d'un partenariat commercial.
Elle se penche vers l'oreille de Faolan et chuchote d'un ton joueur :
▬ J'en profite parce que Hasan n'est pas là, mais si tu veux mon avis, elle aurait même mieux fait de se mettre « l'ami » de son mari dans sa poche... plus on est de fous, plus on rit, non ?
Sarnai n'en rajoutera pas plus. Elle ignorera le fait que le petit papa semblait avoir la même mentalité que sa fille, et plus ironiquement encore, les mêmes arguments que le sire Hekmatyar. Elle se contentera de garnir généreusement les assiettes – maïs bouilli, légumes, viande grillée à point. Deux parts de tarte pour le guérisseur du coin. Une boule de sorbet aux pommes pour la fille de la cousine de la voisine du frère d'un vieil ami. Et cætera. Il faut bien que quelqu'un reste concentré pendant que Faolan se fait baver dessus par son bébé glooby.
Par contre, quand elle voit ce que Nyoman leur ramène, elle est bien obligée de lâcher les fourneaux pour intervenir. Décidément, dans cette famille, il n'y en avait pas un pour rattraper l'autre... Elle soupire et récupère uniquement la viande, qu'elle s'affaire à nettoyer tout en parlant.
▬ Non Faolan, ça ne se cuisine pas. Mon mari a visiblement été distrait. Nyoman ? Ramène les poils à la maison, et mets les de côté pour que je puisse en faire de la laine plus tard. Ce serait bête de gâcher tout ça, quand même. Oh, et dis à Java d'envoyer un de ses doubles vérifier ce que fait votre père avec ces bouctons.
Nyoman hoche la tête vigoureusement, puis se baisse un peu pour prendre la petite main de Melta dans la sienne et ils s'en vont tous les deux voir Java. Entre les babillements du petit ribou et les hurlements de son frère, elle a un peu de mal à comprendre ce qui se passe, du coup... Elle arrive jusqu'au stand. Sarnai secoue la tête en la voyant approcher.
▬ J'ai rien compris, tu veux que Papa se rase ?
▬ Va le voir. Il a utilisé la pince de Faolan pour récupérer des poils en plus de la viande qu'on lui a demandé.
▬ Aaah ! Je file. Au fait, en parlant de viande...
▬ Compris. J'en mets de côté pour l'originale.
Et Java s'en va. Si Faolan aura probablement compris le sous-entendu (pour avoir déjà eu le même type de conversation avec un de ses clones pendant leurs péripéties communes), la matriarche ne voit même plus ça comme une fantaisie de sa fille. Juste une partie d'elle. En l'occurrence, la partie qui avait besoin de manger pour un régiment, afin d'alimenter, justement, son propre petit régiment. Chaque membre de la famille s'était accommodé aux pouvoirs les uns des autres, depuis le temps, et elle savait exactement quoi faire lorsqu'un clone lui signalait que sa fille n'allait pas tarder à avoir faim. Elle attrape un grand bol et y fourre un peu de tout ce qu'ils ont cuisiné de salé, et le met de côté en attendant sa Java.
Cette dernière ne tarde pas à pointer le bout de son nez, et bien que sa fatigue commence déjà à se voir, elle maintient une façade enjouée devant les deux clients qu'elle amène avec elle.
▬ Regarde qui j'ai ramené !
Sa mère fait mine de s'émerveiller : sa fille a réussi à convaincre deux messieurs réputés pour leur dégoût des événements sociaux à venir, et même s'ils ne semblent pas très à l'aise, nul doute qu'un bon petit plat leur rendra le sourire ! Elle pose sa main sur l'épaule de Faolan et le présente chaleureusement aux deux ermites, tout en annonçant que c'est lui qui les servira. Et pendant ce temps, elle en profite pour donner son ravitaillement à sa fille, qui s'en va grimper dans un arbre pour dévorer le contenu de son bol avec sa grâce habituelle. Pas la peine de préciser qu'elle n'avait emporté aucun couvert.
Les heures passent. Une Java revient, cette fois avec de la viande d'oie et quelques égratignures, Kusuma est déléguée à la vaisselle, Nyoman prend le relai de Hasan qui emmène Melta pour lui raconter des histoires, une autre Java revient avec d'autres clients, encore une autre avec de nouveaux des poils de boucton, ce qui fait qu'on renvoie Nyoman s'occuper du petit roux... Et avec tout ça, le soleil commence à se faire timide. Sarnai voit la fin de leur journée arriver, et décide de prendre les choses en main.
▬ Faolan ? Je vais m'occuper du reste, va te laver à la rivière avec les garçons. Si vous trouvez la vraie Java, emmenez-la avec vous, elle peut te présenter quelqu'un qui t'aidera à mieux apprivoiser ta nouvelle amie gluante.
Elle ne lui laisse pas le temps de protester, et le pousse doucement en prenant sa place. Ses mouvements s'accélèrent, et elle n'a aucun mal à gérer leurs deux postes, comme par... magie ? Ou peut-être que c'est juste son talent naturel qui parle. Les Sarnai ont leurs mystères, et celui-ci n'est pas le thème du jour. Même si elle avait l'air de l'envoyer dans les roses, au fond, elle était plus qu'heureuse d'avoir bénéficié de l'aide, des recettes et des astuces du jeune cuisinier. Même s'ils ne resteraient qu'amis, Java l'avait définitivement bien choisi.
En voilà un qui avait bien mérité sa paie.
Tout cela ne lui donne que plus d’ardeur à l’ouvrage, même sans des recettes miraculeuses à base de poil de boucton. Les boulettes au miel avec du sésame griller et des épis de maïs poivre et sel avec du beurre frais, ont leur succès. C’était partir sur un coup de tête à la base, une envie de contenter un l’estomac de son amie garde qui avait fini par remplir bien d’autre estomac en échange de cristaux dans tous les sens. Vraiment ce fut une journée productif et plein de beaucoup de bases de la part du glooby qui regardait toujours son monde là-haut, sur la tête de Faolan.
Melta l’avait vu et avait voulu y toucher, mais son père lui avait empêché de faire cela. Pas qu’il est une peur que le glooby puisse faire du mal à son fils, mais plus le fait qu’il n’était pas certain que le lien magie avec la créature soit complet et il voulait être certain que ça soit le cas avant de lui faire avoir d’autre contact, surtout avec un enfant hyperactif de moins de cinq ans.
— Papa, Nyo, il pouf pouf et après on a vroum et BAM !
— Ha ? Vraiment ?
— Boucton court trop vite ! Puis sauter haut !
— Hum.
— Grippe toit ! Voler ! PAF !
— Wahou.
Voilà, ceci est un bout de la conversation très intellectuelle entre Faolan et son fils alors qu’ils allaient à la rivière avec Nyoman. Il y avait aussi les commentaires pleins de joie et de décibels de ce dernier qui allait avec la suite du récit alors que le cuisinier tentait de comprendre un truc de cohérent à ce résumé de journée. Enfin, si, il avait retenu que son fils et le frère de Java c’était bien amuser ensemble et qu’avec de la chance les deux s’endormiraient assez rapidement le soir venu.
En parlant de la garde la voilà un peu plus loin sur le chemin. Ne suivant de toute façon plus rien à la suite des dialogues de Melta bien trop enthousiasme de toute cette journée, il alla à sa rencontre et lui tendis une part de tarte qu’il avait prise pour elle un peu plus tôt dans la cuisine en sortant. Ce n’était pas un vol, on lui avait qu’il pouvait prendre, puis un vol à une mère pour nourrir sa fille il y a pire comme crime tout de même.
— Java ! Tiens. On va à la rivière, ta mère nous a dit que ça nous ferait du bien. Tu viens aussi ? Je t’avoue que cette journée je ne m’attendais pas qu’elle soit autant mouvementer. Melta ne sera pas long à dormir ce soir, je m’inquiète plus pour Guimauve…
Il désigna la créature sur sa tête qui semblait faire une sorte de danse de la limace sur sa tête après avoir entendu son nom être prononcé, bon, au moins la petite créature semblait comprendre qu’on parlait d’elle. Il y avait un bon début. Enfin, il lui semblait.
— C’était une surprise sa naissance, je ne m’attendais pas à ce que ça arrive comme ça et ainsi. Genre, dans les histoires de familier ça arrive de manière épique et tout, pas en tentant d’empêcher un œuf de finir en omelette sur le sol.
La pluie est présente pendant tout ce moment, tout heureuse de lui dans sa fatigue. Pluie qui semble particulièrement plaire à l’animal qui continue sa danse de la joie avec enthousiasme.
— Au fait, ta mère a parlé que tu aurais une connaissance qui pourrait m’aider pour mes premier pas avec mon familier, c’est celle qui vend les faucons c’est ça ou encore une autre personne ? Tu as déjà pensé à avoir des animaux de compagnie d’ailleurs ? Enfin, ça ne doit pas être pratique avec la vie de garde et d’itinérant, mais je me demandais tout de même.
Il y avait un bout de curiosité assez enfantine dans cette question-là. Rien de bien fort, mais tout de même présent. Comme sa question suivant d’ailleurs.
— On est d’accord aussi que ta mère tente de te caser à tout prix, n’est-ce pas ?
Non, parce que même s’il a joué au stupide plutôt, sa propre mère lui fait des allusions dans le genre de celle de Java régulièrement dans ses courriers. Puis surtout, il avait besoin de savoir si c’était seulement lui qui se faisait des films ou si c’était une réalité avec laquelle il allait devoir jongler.
Elle regarde le glooby à peine né tout en écoutant Faolan lui raconter sa naissance. Ouais, une histoire pas bien glorieuse pour un machin pas bien glorieux, rien d'inhabituel à ses yeux. Y a qu'une seule personne dans ce village qui pourrait voir ce nouveau compagnon comme une aubaine, et... tiens, Maman lui en a parlé ? Java acquiesce tout en se léchant les doigts.
▬ Yep, c'est elle. Anka. Elle adore les bestioles, donc c'est pas une mauvaise idée. Elle pourra probablement s'arranger pour te trouver un faucon qui voudra pas béqueter ta Guimauve, d'ailleurs. Enfin si y a bien une personne qui peut y arriver, c'est elle...
Elle abaisse une branche pour laisser passer son ami, et fait un signe de la tête à Nyoman pour qu'il y fasse attention aussi. Ca met un peu d'espace entre eux, et ça évite que ce qu'elle a à dire ensuite passe par les oreilles de son frère, le mégaphone humain.
▬ T'as tout pigé, même si j'en voulais ce serait un peu compliqué de m'occuper d'animaux là maintenant. Surtout avec les gosses. Enfin, peut-être que ça va bientôt changer... J'vais probablement bientôt monter en grade. J'ai pas encore prévenu les autres, donc garde ça pour toi !
Bon, techniquement, elle avait prévenu Kusuma. Mais ça ne compte pas : Kusuma sait toujours tout sur tout le monde. Java pousse un soupir lourd de sens en imaginant sa mère essayer de pousser Faolan vers elle. Décidément, elle ne changeait pas...
▬ Et... ouais. En gros, elle rêve de voir sa fille aînée se caser. J'peux comprendre, les vieilles filles c'est mal vu par chez nous, mais bon...
Elle passe devant lui pour descendre un petit chemin de pierres avec l'agilité des habitués. Accessoirement, c'était pour tester les pierres stables avant son invité – et lui éviter une malencontreuse glissade. Arrivée jusqu'à leur petit coin de choix dans la rivière, elle retire sa veste et défait son chignon, et attache ses rubans libérés à son poignet.
▬ Tu devrais poser le glooby sur tes vêtements pendant que tu te laves. Pas sûre que l'eau de la rivière lui fasse du bien.
Elle passe ses doigts dans ses cheveux et en retire quelques feuilles et une coccinelle, puis se retourne vers son frère. Si elle ne se rasait pas une partie du crâne, et s'il ne se laissait pas pousser la barbe, on pourrait presque croire qu'ils étaient jumeaux. Nyoman, le clone perdu ? Ca ferait un bouquin sympa, tiens. Il guide gentiment Melta jusqu'à son père, et commence à se déshabiller.
Détail trivial, mais ironique : le petit frère avait beaucoup plus de cicatrices que la grande sœur. Il faut dire que leur mère ne lui avait pas interdit de rejoindre la garde pour rien : non seulement il était beaucoup plus téméraire, mais en plus son style de combat ne laissait aucune place à l'esquive. Java se fait la remarque en gloussant doucement. Elle avait beau essayé de l'y entraîner, il n'avait jamais fait l'effort de comprendre l'intérêt d'éviter un coup. Alors elle lui avait appris à encaisser. Et visiblement, il n'avait pas chômé !
Après cela il y a eu un repas, tout ce qu’il y a de plus classique comme repas de famille à la campagne. Bonne franquette, quelque allusion par-ci par-là sur le mariage, qui sont ignorés avec superbe et même un rebondissement pour vanter des miracles de la cuisine de la cheffe de famille. Une dispute, si on peut appeler ça ainsi, avec la dit cheffe de famille sur la vaisselle à faire. Ce fut une victoire laborieuse pour Faolan et certaine encore plus de pot de fruit dans le sac pour plus tard, mais ce n’est toujours pas le sujet.
— Papa ! Histoire ! Histoire ! Histoire !
— Melta, finis de mettre ton pyjama avant…
— Veux histoire !
— Oui, bha je ne fais pas d’histoire pour les petits garçons tout nus.
— Si avait été fille aurait eu histoire ?
— Quoi ? Non, je ne fais pas non plus pour les petites filles toute nue.
— Pourquoi ?
— Parce que ça ne rend pas Lucy heureuse.
— Pourquoi ?
— Parce que cela n’est pas poli.
— Pourquoi ?
— Parce que… C’est comme ça.
— Pourquoi c’est comme ça ?
— Melta… met ton pyjama sinon tu n’as pas d’histoire j’ai dit.
— Pourquoi ne veut pas répondre ?
— Parce qu’il est tard et que papa voudrait aussi dormir après t’avoir raconté une histoire mon riboux…
— Papa veut dodo ?
— Oui.
— Qui va raconter histoire à papa ?
— Met ton pyjama et arrête tes questions, mauvaise graine !
Le petite ria et fini de mettre son pyjama sous le soupir fatigué de son père.
— VOILÀ ! À fait tout seul vite !
— Vite, c’est un bien grand mot petit canailles.
— Pas canailles ! Ni petit ! Melta grand et fort !
— Oui, oui… allez couche toi et je vais raconter l’histoire. Tu veux laquelle ?
— HÉROS LUMIÈRE !!!
Faolan sourit se mis en position pour raconter cette histoire-là à son fils. C’était un conte populaire assez sympathique. Même s’il savait parfaitement que Melta ne comprenait pas tout, il semblait bien l’aimer tout de même.
— À l’aube d’un temps désormais oublié, au cœur d’un Royaume encore sans nom, hommes et femmes vivaient en harmonie avec la nature qui les entourait.
La clémence du ciel dansait avec les humeurs variantes des nuages, les rivières enserraient de leurs longs bras les fortes montagnes qui se dressaient au milieu des champs aux herbes dansantes. La vie ainsi s’écoulait avec paix, faisant fleurir les bourgeons des créations humaines, fièrement accompagnés des animaux qui peuplaient sereinement ces terres sans fin.
Hélas, si les éléments étaient présents en la faveur de l’homme, c’est au sein de cette même humanité que les conflits commencèrent à naitre. « L’homme est un loup pour l’homme », ainsi parla un sage face à l’avidité de ses pairs aux mœurs plus obscurs. La nuit vint couvrir le soleil, l’astre se laissa courber par la face rieuse d’une lune qui semblait s’imposer comme éternelle, cernée de mille gardes brillants dans les confins de l’obscurité. La sérénité de l’éternelle douceur qui animait jusque lors le chant des humains se transforma en un râle aux échos perçants.
De la noirceur des forets, de hauts monts aux neiges invincibles, des flots tumultueux, une légion d’iris au rouge brillant vinrent sceller le bonheur qui habitait le cœur des anciennes terres. De sang et de cris, l’horizon fut nimbé d’une robe pourpre, ode à la tristesse d’un idéal désormais révolu. Le loup de l’homme vint planter ses crocs dans l’âme même des braves qui luttaient envers et contre tout contre ces ténèbres menaçantes.
Mais le ciel un jour décida d’ouvrir son manteau d’abysse pour laisser ses rayons prodiguer l’espoir à nouveau. Pourfendeur traçant un nouvel avenir dans ses sillons guerriers, le Héros porté par son épée de justice rallia le chant des hommes vers de meilleurs lendemains. Seule icône face à mille créatures, sa bravoure inspira les justes à marcher dans les traces de ses victoires. L’enfance put renaitre, la voix des femmes soutenait le bras de l’homme, le soleil à ses côtés irradia la lune moqueuse de sa puissance insondable.
Chassant l’obscurité, les lumières de l’humanité revinrent soutenir le cri de désespoir face aux anciens conquérants. Les vents soufflèrent en apportant la célérité, les montagnes grondèrent apportant la résistance, l’eau bouillonna apportant la fluidité, le feu brûla apportant la force.
Symbole de l’homme, le Héros prodigua ses bienfaits au monde qu’il chérissait tant. Hommes, femmes et enfants bénirent son nom dans une jouissance éternelle. Le temps reprit sa marche, silencieuse et inexorable, mais jamais n’oublia que la quiétude de son cours avait été sauvée par les fruits d’un homme. Le Héros des Lumières.
Une fois qu’il eut fini son histoire, alors qu’il tourna la tête vers son fils, il remarqua que ce dernier dormait à point fermé. Visiblement la journée avait été fatigante, sinon le petit aurait continué son jeu du pourquoi. À pas de loup l’adulte sortit de la chambre pour retrouver Java et discuter un peu avant d’aller lui-même aller dormir. Il la retrouva avec une chemise et du fil entre les mains, mais elle semblait galère un peu avec cela qu’elle faisait.
— Heu, Java, qu’est-ce aux tu fais ? Tu as besoin d’aide ? J’allais te proposer de descendre pour un chocolat chaud, mais… depuis quand tu as des chemises assez couteuses ?
Parce que ce genre de chemise c’est ce qu’on trouve plus facilement dans l’armoire d’un noble que dans celle de son amie pour le coup.
Pour Java, c'est le moment d'être efficace. Elle attrape Nyoman avant qu'il aille dormir, profitant qu'il soit trop fatigué pour être aussi bruyant que d'habitude, et lui chuchote la nouvelle. Il comprend à moitié et marmonne que c'est une bonne chose si elle va débroussailler les sapins de la forêt. Bon. Elle le considère tout de même comme informé : les autres s'occuperont de lui réexpliquer plus tard, ou ils verront ça un autre jour, dans le pire des cas.
Elle se faufile ensuite aux côtés de son père, plongé dans sa lecture. Il fait mine de ne pas décrocher de son paragraphe pour lui répondre, mais sa réponse est claire comme l'eau de la rivière. Elle devrait en parler avec sa mère demain, à tête reposée. Il prendra quand même le temps de féliciter sa fille, et de demander des nouvelles de son futur Capitaine avec gentillesse. Il n'était pas complètement contre l'idée d'imaginer sa fille aux côtés de ce bon Magnus, et il tenait à ce qu'elle le sache. Cela fait, il replonge dans sa lecture, et Java se dirige vers le porche après avoir récupéré quelques affaires.
▬ Ca veut dire que tu rentreras moins souvent ?
Kusuma, en train de se brosser les cheveux, lui fait un petit clin d'oeil. Java hausse les épaules.
▬ J'sais pas. Je serai plus facile à joindre, au moins.
▬ Tu devrais te mettre les gens du portail de téléportation dans la poche.
▬ Ouaip. Besoin d'aide ?
▬ Non merci. Tu t'es pas servie dans mes affaires pour rien, j'imagine. Jolie chemise, d'ailleurs.
Java ne répond pas et se contente de déplier le vêtement sur ses genoux. Ses oreilles chauffent alors qu'elle se remémore son propriétaire, et elle se contente de piocher une aiguille et du fil dans le nécessaire à couture de sa sœur sous son sourire taquin. Elle la connaissait assez bien pour remplir les blancs dans l'histoire toute seule : Java avait probablement encore détruit le vêtement de quelqu'un, et voulait le réparer avant de le lui rendre.
▬ Dis... C'est bizarre d'offrir en cadeau un truc qu'on t'a prêté ?
Kusuma lâche sa brosse. Qui prêterait une aussi belle chemise à sa brute de sœur ? Et est-ce qu'elle comptait vraiment « l'offrir » avec tous ces boutons différents et cousus n'importe comment ? Et pourquoi ce serait un cadeau si elle ne faisait que la rendre à sa propriétaire ? Elle n'a pas le temps de poser une seule de ses questions – le mignon petit cuisinier est de retour. Et il pose les bonnes questions.
▬ Heu... C'est pas la mienne en fait. Mais c'est un peu de ma faute si les boutons ont sauté, alors je veux en recoudre avant de la rendre...
Sa sœur détourne la tête pour s'empêcher d'éclater de rire. Ca ne l'empêche pas non plus de se mêler de la conversation.
▬ Je veux bien un chocolat chaud, moi. Du coup, Java, tu vas la rendre ou tu vas en faire un cadeau ?
▬ Ben, les deux ? Le type sait pas que je retape sa chemise. Du coup si je la lui rends toute belle, c'est un cadeau, nan ?
C'en est trop pour Kusuma, qui rit à gorge déployée. Cette belle chemise sombre et soyeuse, avec tous ces boutons désaccordés qui s'accrochaient par la seule force de leur volonté et du même fil bleu que Java utilisait pour raccommoder ses chaussettes ? Un cadeau ?
▬ Faolan, dis-lui quelque chose, c'est trop pour moi.
La garde regarde sa petite sœur hilare, puis lève les yeux naïvement vers son ami. Elle ne voyait absolument pas ce qui pouvait la faire rire comme ça. C'est normal, de vouloir réparer ses erreurs, surtout quand elles sont aussi triviales, non ? Bien sûr, Java était trop pudique pour détailler vraiment les événements – mais c'était sans compter sur la perspicacité des deux commères à ses côtés. Elle pique l'aiguille pour enfiler un bouton jaune canari en dessous des deux à motif pied-de-poule qu'elle avait déjà recousu. Il lui en restait trois pour finir son travail d'orfèvre ! Un jaune, un bleu, et un blanc.
Pauvre chemise.
— Non, mais là ce n’est pas un cadeau là. Enfin, je veux dire, si c’est un riche le propriétaire de la chemise une réparation comme cela ça ne va pas être vu comme un cadeau. Ce n’est pas le même monde que nous, tu t’en souviens. Ou alors il y a un truc entre toi et ton riche pour qu’il saute de joie face à cela. Je demanderais simplement d’être le traiteur de ton mariage à ce moment-là.
Même si connaissant les nobles cela serait plus la transformer en maîtresse qu’en épouse, mais s’il était assez amoureux, peut-être qu’il l’épouserait carrément. Il entra plus franchement dans la pièce et s’installe à côté de Java et lui indique les fils.
— Les couleurs ne vont pas avec le reste de la chemise. C’est de beau fils, mais pas pour cette chemise… Désolé… Si tu veux lui faire un cadeau, va voir un couturier pour qu’il la reprise correctement ou je peux te le faire aussi. Je ne suis pas un as de l’aiguille, mais je sais faire cela.
Il tourna la tête vers la sœur de son amie et lui sourit, il y avait un petit point de détail qu’il voulait voir avec elle. C’était certainement une simple maladresse de sa part plutôt, mais dans le doute il préférait lisser les angles tout de suite avant la catastrophe et la prochaine crise de son fils. Maintenant que le petit était couché, il pouvait se permettre de faire ce genre de remarque.
— Au fait, est-ce que ça serait possible de ne pas faire d’allusion devant le petit sur le fait que je ne suis pas son père ? C’est une réalité, mais il est petit et il n’a pas besoin de savoir pour le moment qu’on n’a pas de lien de sang. J’aimerais autant gérer cela quand il sera en âge de comprendre. Tu peux le dire autant que tu veux à moi, mais juste fais attention à Melta s’il te plaît.
Il se leva ensuite de sa place avec un sourire et retourna à l’entrée de la pièce.
— Je vais nous faire une casserole de chocolat et de quoi le boire, je reviens.
Aussitôt dit, aussitôt fait, il quitta rapidement les lieux pour se rendre dans la cuisine et mettre au chauffé du lait pour ce qu’il avait prévu de faire. Pendant ce temps il trouva un plateau où il mit tasse, cuillère ainsi que des restes des desserts présents sur le stand plus tôt dans la journée. Une fois la gamelle de chocolat terminé avec tout les épices nécessaire pour le rendre le plus fleuri et goûteux possible, il mit ladite gamelle sur le plateau, ainsi qu’une louche dedans. Il ne lui resta plus qu’à monter le tout et cela se sentait qu’il avait tout de même une certaine habitude que du porter de plateau a un poids important et avec des liquides en prime. Une fois à nouveau dans la chambre il posa son chargement sur une petite table et servit les tasses qu’il avait préparées avant de prendre place lui-même pour discuter.
— Voilà. Donc, tu veux faire un cadeau du coup et il te faut des idées ? Elle est comment la personne à qui tu veux faire ce cadeau ?
Sa sœur, elle, garde un œil sur la chemise, tout en accordant son attention à Faolan. Elle est bien contente d'avoir un peu plus de détails sur le mystère du petit roux – même si pour une fois, elle décidera de les garder pour elle, ceux-là.
▬ Merci de m'en avoir parlé. Je ferai attention.
Répond elle simplement avec un sourire sincère. Elle n'a pas besoin d'en rajouter plus pour montrer patte blanche. Ce jeune cuisinier est bien assez perspicace pour savoir quand on la lui met à l'envers ou non.
▬ Prends les boutons transparents au fond de ma trousse, Java, et donne-moi les autres. Ca fera déjà moins tâche.
La garde la regarde un moment, puis son visage contrarié se fend d'un rictus satisfait. Avec tous leurs doigts de fée combinés, ils allaient bien réussir à en faire quelque chose, de cette chemise ! Après avoir retiré tous les boutons, elle pioche les morceaux de fil qui reste, et laisse échapper un « aah ! » de satisfaction en sentant le chocolat arriver. Voilà de quoi finir la journée en douceur. Les deux sœurs attendent poliment que leur invité s'installe avant de reprendre la discussion.
▬ C'est un chic type ! Il est bourré de thunes mais il se prend pas trop la tête. J'l'ai rencontré au Grand Port, et il m'a payé un bon p'tit repas, pis on a passé un chouette moment ensemble. J'veux juste lui montrer que je l'ai pas oublié, et j'me suis dit qu'en commençant par réparer ce que j'ai cassé, ce serait déjà pas mal. Je sais pas c'qu'on offre aux mecs comme ça... Et je compte pas non plus en faire des caisses. C'est l'intention qui compte, hein ?
Une façon bien pudique de résumer une rencontre plus que mouvementée – mais aussi d'appuyer sur le fait qu'il n'y avait pas de romance à l'horizon. Enfin, pas qu'elle sache ? Elle aimait bien Aslander, et il l'aimait bien aussi. C'est suffisant, non ? Pour Java, oui. Et c'est bien assez pour mériter de gentilles petites attentions.
▬ Mais Javaaaa... Tu nous dis pas le plus important !
▬ Ben si. Il est gentil.
▬ Mais est-ce qu'il est grand ? Est-ce qu'il y avait un beau torse musclé sous la chemise que tu lui as arraché ? Et ses yeux !
▬ Eh ! C'était moi qui portait la chemise !
▬ Oooh !
▬ Kusuma...
▬ Et le reste ?
▬ Oui, et marrons.
▬ T'es pas drôle !
▬ Et toi t'es chiante. D'ailleurs, Faolan... Tu veux bien m'aider ? Ou au moins me montrer quel fil est mieux et comment tu les couds. Je ferai le reste si t'es fatigué, t'as eu une grosse journée quand même.
Et en abordant ce sujet, Java décide de s'étirer pour la nuit avant de reprendre son ouvrage. Elle pose sa tasse vide dans un coin, et commence un enchaînement de yoga, simple mais efficace. D'abord la posture de l'étoile à cinq branches, en écartant les bras et les jambes de tout son long. Puis elle enchaîne sur une salutation à la lune lentement, sous le regard à la fois fasciné et agacé de sa sœur. Elle voulait clairement plus de détails sur l'homme à la chemise, mais elle avait toujours aimé la regarder pendant ses exercices. Et la garde ne se gênait pas pour en jouer. Après avoir fini, elle se ressert du chocolat chaud, et reprend sa place aux côtés de ses amis.
Il a presque un bout de rire en les écoutant et prends délicatement la chemise et commence à la recoudre par lui-même. Il n’a jamais été doué pour les explications et préfère montrer de A à Z quelque chose. Quelque bouton ne sont pas quelque chose de compliquer quand on a du repriser les vêtements d’un enfant ou même de sa propre famille avant cela. Il n’était pas forcément un bon pédagogue. Son truc c’était plus d’assimiler les informations quand un sujet le passionne. Ce qui est loin d’être la même chose.
— Laisse, je vais le faire. Explique-nous plus ton riche généreux à qui tu veux faire un cadeau. Parce que du coup tu ne vas pas pouvoir lui offrir juste un truc joli et beau. Enfin tu peux, mais cela finira ranger en tas dans un énième placard et il dira merci par politesse et rien d’autre. Enfin, s’il est poli. Certain, ils ont l’air sympas et tout et en fait c’est une façade pour juste se donner bonne conscience…
Il dit cela avec un soupir presque à fendre le cœur. Il avait pu en voir des nobles ou même des gens qui de manière générale semblent bien sous tout rapport, qui vraiment, quand tu en entends parler c’est un envoyer de Lucy elle-même, mais qui au final sont des pourritures ou juste des cons.
— Au Grand-Port je dois y aller pour revoir aventurier, enfin c’est un noble qui est devenu aventurier, il m’a dit qu’on irait en quête ensemble. On s’est rencontré alors qu’il y a une fille qui nous avait transformés en femme parce qu’elle voulait l’attention d’un gars dans la garde. Vraiment je n’ai rien compris au pourquoi du comment, mais ça m’a permis de faire une bonne rencontre. Vachement séduisant autant en homme qu’en femme… Il y a aussi une membre des Valkyries que je dois revoir, un hybride Chiraki avec un appétit semblable au tien Java. Trop tactile, mais sympa, juste vraiment trop tactile. Joli aussi… C’est peut-être un truc du Grand-Port… enfin non, parce qu’il aussi de belle personne ailleurs, comme dans les Archipels, il a une femme médecin qui est même capitaine de son propre équipage qui avait un certain charme, même si beaucoup semblait penser que c’était une gamine…
Il déballe ces dires en cousant sans même vraiment y faire attention. Il a fait tellement de nouvelles rencontres depuis son départ de chez lui qu’il a l’impression de découvrir quelque chose de différent à chaque coin de rue. Tout semble être un nouveau début d’aventure, même si certain son moins sympathique que d’autre.
— Après, j’ai aussi rencontré un aventurier qui était sympa, enfin, sauf le moment où il a tiré une flèche dans la direction de Melta parce qu’il y avait une vendeuse de fleurs qui en fait était un patin, c’est enfuis à dos de sanglier des montagnes plus gros que la moyenne, venue de nulle part en kidnappant mon fils… Je vous assure je pensais pas vivre autant de choses justes en quittant mon chez moi… en plus l’aventurier en question c’était une quête pour faire une récolte de plante à la base, mais bon, ça c’est bien fini à la base.
Il blablate parce que c’est plein de choses en réalité qu’il voudrait partager et qu’en cuisine il a l’habitude de discuter de tout et de rien alors qu’il s’occupe les mains à faire des plats. Là c’est une chemise et non un ragout, pas grave, du pareil eu même quelque part. Il regarde à nouveau Java et sa sœur et se dit que remettre le sujet sur les rails n’est pas plus mal.
— Donc, ton riche, il est comment ?
Un noble devenu aventurier ? Java se demande s'ils parlent du même homme et essaie d'imaginer à quoi ressemblerait Aslander s'il était une femme. Hm... Une vision plus qu'alléchante. Elle rêvasse discrètement, à la fois sur ce curieux bonhomme du Grand Port, tout comme sur la belle hybride qui serait capable de lui tenir dignement compagnie à table, ou la charmante médecin avec son propre bateau. Ah... Les douceurs de la mer...
Pendant ce temps, sa sœur enregistre chaque détail minutieusement dans sa mémoire, ne se gênant pas pour combler les trous du récit avec sa propre imagination. Dans sa tête, les robes étaient en velours, le garde était marié, les gens tactiles du Grand port voulaient tous faire des bébés, et cette capitaine était probablement aussi redoutable avec un scalpel qu'avec un sabre. Ah, et elle avait forcément un perroquet et une jambe de bois, bien sûr.
Les deux sœurs Anggun sont cependant sorties de leurs songeries par la même phrase : quelqu'un a tiré sur Melta ?
▬ Oh mon dieu, mais quelle horreur ! Faolan, tu dois tout me dire sur cet affreux gredin, pour que je puisse prévenir les enfants du village et leurs parents. Et leurs grand-parents, et leurs cousins.
▬ J'veux les détails aussi. Si j'le chope, c'est case prison.
▬ Il faut que l'on puisse se protéger de cet horrible pantin aussi !
▬ Lui aussi. Case prison.
Elles échangent un regard entendu et hochent chacune la tête. Java avait ignoré les détails, et Kusuma les avait enjolivé pour ses futures rumeurs, mais elles étaient quand même arrivées à la même conclusion : personne n'a le droit de faire du mal à l'adorable Melta, ni de le mettre en danger, que ce soit volontaire ou non. Pauvre enfant !
Cependant, Faolan semble vouloir détourner le sujet. Java agite doucement son index pour montrer son désaccord : non, c'est trop important, elles ne peuvent pas lâcher l'affaire. Et puis ça y est, elle a trouvé son idée de cadeau pour le bel aventurier, quelque chose de simple mais efficace, qu'il pourra utiliser ou laisser dans un coin selon ses désirs. Un cadeau signé Java, même si elle ne se gêne pas pour annoncer d'avance à ses compagnons du soir qu'elle aura besoin de leurs talents pour ne pas en faire n'importe quoi. Rien de bien méchant, et elle s'arrangerait pour le lui offrir avant le Solstice d'hiver, histoire que ça reste une petite attention amicale et rigolote.
▬ Non, sérieusement, faut qu'on en revienne au plus important. C'était un archer le mec ? Du genre hyper précis, entraîné depuis l'enfance à chasser des lièvres ? Parce que s'il avait vraiment confiance en sa flèche, ptet qu'il avait bien calculé son coup. Ca se fait pas quand même, mais ça rattrape un peu.
▬ Moi, je pense que c'était probablement lui qui dirigeait le pantin, et qu'il a voulu enlever Melta !
▬ … Tu crois ? Faolan, c'est vrai ? Il était louche le type ?
▬ Il devait forcément être louche, pour dégainer face à un bambin !
▬ C'est vrai !
Bon, le fait divers avait été plus que simplifié entre les trois commères, mais en soi, c'était justement l'essence de l'acte, le problème. Qui rencontre ce petit ribou adorable et se dit qu'il va pointer une arme dans sa direction ? Quelqu'un d'effrayé, quelqu'un qui serait dans une situation compliquée... Ou alors, l'espèce de croquemitaine qu'elles étaient en train de construire à deux. Ca se tient, leur truc.
Oui, effectivement, Melta était toujours en vie, mais du coup ce n’était pas l’excuse suffisante pour être d’accord avec ce qui était arrivé ? Est-ce qu’il devrait en parler à Jack la prochaine fois qu’il le voit ? Est-ce que c’était même le travail de l’homme de s’occuper de ce genre de chose ? Est-ce que du coup il avait bien fait d’en parler ?
C’est le doute immense en lui et les sœurs Anggun ne l’aident pas absolument pas à savoir de quoi en penser exactement. Parce qu’il voudrait en penser des choses bien, savoir quoi faire ou non, parce qu’il doit tout de même la vie de Melta à Nora, enfin, il lui semble. Peut-être. Il ne sait plus d’un seul coup et la confusion est bien présente dans la tête du père de famille, alors que neige et grêle tombent sur la maison familiale.
— Enfin… Oui, il a dit que ça faisait longtemps qu’il chassait avec son père et il a même offert un jouet à Melta sur le début du trajet… Il a même montré de comment faire un feu, même si c’est toujours compliqué avec ma pluie et que je ne sais pas trop quoi en faire du coup…
Et il ne sait vraiment pas trop parce que cela lui semble un peu fou. Parce qu’on est toujours un peu dans le déni de l’importance de quelque chose quand on le vit soit même et pas dans une histoire. Puis il y a les gens qui minimise cela et qui partent du principe que tout va bien. Est-ce que tout va vraiment bien du coup ? Non, parce que c’est ce qu’il lui avait semblé, puis Melta semblait heureux aussi quand il en parlait avec lui.
— Enfin, je ne pense pas qu’il soit le marionnettiste. Puis, j’ai fait une déposition à la garde, au village perché et tout, avec tout ce qui c’était passé et… personne n’a dit que c’était mal ce qu’il a fait ou qu’il y aurait de sanction, donc c’était normal en vrai. Ce n’est pas comme cela que ça fonctionne ? Enfin, il me semblait que si… après, je n’ai eu vent d’aucune rumeur parlant du fait qu’il y ai eu de l’avancer dans cette histoire, mais, enfin, la garde à plein de boulot à a faire et c’était… Ce n’était rien ? Non ?
Il y a une part de doute de plus en plus grande qui se fait en lui, parce qu’au final il a toujours été fort à cela. Être dans le déni pour surmonter ce qui lui arriver. Tout semble plus simple ainsi. Java et Kusuma sont juste en train de faire du foin pour rien. Oui, c’est surement cela. C’est la fatigue de la journée qui fait cela. Alors qu’il parle, il finit de coudre les boutons et rend la chemise à Java comme cela allait clore cette partie-là de la conversation.
— Il faudra la laver et la repasser, mais du coup, c’est réparé.
Comme si ça allait changer le sujet d’un coup. Sur un malentendu ça passe.
Java, elle, avait tendance à se faire un avis bien précis dès la première impression, et à ne revenir dessus que si on lui donnait des arguments (ou un repas) assez solides pour la faire flancher. A ses yeux, ce vil criminel qui avait essayé de faire du mal au petit avec sa marionnette, son sanglier ET ses flèches n'était probablement que du menu fretin. Il lui avait appris à faire un feu, et alors ? Faolan aurait très bien pu apprendre avec quelqu'un qui n'aurait pas menacé son fils. En plus, il ne lui avait même pas appris à faire un feu couvert, probablement parce que c'était un félon de la pire espèce ! Comment ça, elle ne lui avait pas appris non plus ? Ca compte pas, ça. C'est juste qu'elle préfère faire ses feux elle-même pour éviter les accidents, surtout quand il y a des enfants. En tout cas, elle allait devoir fouiller dans les rapports du Village Perché pour y trouver une piste. Quand elle aurait enfin le courage d'y retourner, bien sûr...
Pendant ce temps, Kusuma avait imaginé la plus belle des histoires. Un bel aventurier aux cheveux cuivrés et en bataille, écorché par la vie, avait croisé le chemin de son nouvel ami. Il voulait d'abord l'aider, mais c'était sans compter sur la terrible druidesse qui le poursuivait dans l'ombre, parce qu'il l'avait laissé seule après une nuit torride, et volé ses potions magiques ! Il ne se doutait pas qu'elle attendait la première opportunité pour le prendre en embuscade, et hélas pour lui, elle avait décidé de s'en prendre à l'enfant, en pensant que c'était le sien ! Paniqué à l'idée que son terrible secret puisse être révélé, il avait réagi avec impulsivité – mais il ne pourrait jamais expliquer pourquoi, sous peine d'être jugé pour le goujat qu'il était réellement. D'où le fait que Faolan ne sache pas trop quoi en penser.
Bref, dans les deux cas, elles étaient bien d'accord sur la conclusion : roux ou non, cet homme avait commis un acte répréhensible et devait être jugé en tant que tel ! Java sentait qu'il y avait de la matière pour enquêter dans tous les cas, et Kusuma, elle... eh bien, à défaut de pouvoir organiser un tribunal populaire, elle pouvait toujours faire voyager la rumeur, non ? Son regard amusé se détourne. Quel délicieux récit allait donc traverser le royaume, une fois qu'il serait encore plus déformé par le bouche-à-oreille ?
▬ C'est plus ton problème. Je m'arrangerai pour enquêter sur ça plus en profondeur quand je serai... hum... sur place. Merci pour la chemise...
Java semble clairement gênée par le sujet, mais elle prend sur elle et récupère délicatement la chemise, qu'elle plie soigneusement avant d'aller la ranger. Lorsqu'elle revient, les ronflements de sa mère secouent la maison.
▬ Eh bah. Ca fait un moment que j'l'ai pas entendue chanter comme ça. C'était une grosse journée, hein ? Hésite pas à rejoindre Melta si t'es fatigué.
Sa sœur se tresse les cheveux pour la nuit, mais ajoute avec un ton mielleux.
▬ Bien sûr, bien sûr, tu as beaucoup travaillé. N'hésite pas non plus si tu veux te détendre un peu plus longtemps avec nous. J'adore ta façon de raconter les histoires !
Après tout, ce n'est pas parce que l'aînée est habituée à commander que la cadette n'a pas le droit de faire des suggestions. Et puis, c'était aussi un peu sa façon à elle de montrer son amitié. Une façon tordue et intéressée, certes, mais plus qu'appropriée, vu sa personnalité.
— C’était surtout une journée amusante, en plus j’ai mon premier familier, même si j’avoue que je ne pensais pas le faire naître ainsi et peut-être commencer par l’autre œuf, même si je ne sais point ce qu’il y a en lui.
C’est plus un constat qu’autre chose. Il sait que Java ne le forcera en rien, qu’elle saura faire qu’il en soit de même pour sa sœur. Qu’il peut juste s’asseoir là et continuer à discuter tranquillement sans se prendre la tête. Laisser les mots sortir sans réfléchir aux conséquences, juste avoir son filtre encore plus absent que d’habitude sans Melta. Le petit dort profondément, le glooby aussi dans cette chambre qu’on leur prête pour la nuit. Il se met juste à côté de Kusuma et sourit de toutes ces dents.
— Est-ce que c’est le moment où l’on discute de toute les rumeurs qui courent en cuisine ? Vous savez, c’est un peu frustrant d’entendre autant de choses, mais ne pas vraiment les partager qu’avec des collègues de travail temporaire. Par exemple il y a eu, il parait, que le capitaine du grand-port aura été vu sortant de son bureau en sous-vêtement et qu’il y a plein de pistes sur ce qui a donné cela, dont, certaine, vous vous en doutez à base de bête a deux dos.
Les yeux de Kusuma eurent cet éclat si caractéristique de l’intérêt qui se met à briller de mille feux. Bien vite sa langue se mis en œuvre pour demander des détails que Faolan donnant sans aucune once d’hésitation. Passant de rumeur en rumeur, de théorie en théorie. L’histoire des flèches est bien loin et visiblement plus que les langues bien trop bien pendues des petites gens font leurs œuvres. Java ne fut pas en reste, son lot aussi de potin et anecdote. Cette soirée fut comme se retrouver à nouveau en famille avec ces frères et sœurs ou encore cousins. Quelque chose de frais qui donne mal aux joues à force de sourire et rire.
Il eut un moment où Faolan eut peur d’avoir ri trop fort et réveillé Melta, mais ce ne fut que Nyoman qui vient frapper à la porte pour savoir ce qu’ils faisaient. Ce dernier a fini par aller récupéré lui aussi une tasse et de quoi grignoter en cuisine avant de les rejoindre et avoir lui-même son lot d’histoire. Le réveil demain sera certainement un peu compliqué au vu de la courte nuit, mais ça en vaut la peine. Il faudra qu’il ait plus de soirées ainsi, ça lui fait du bien. C’est ce que pense Faolan le lendemain alors qu’il choisit son faucon, Tea, auprès de Anka une fois que la mère de Java l’a payé pour son travail de la veille. Tout comme il reviendra voir la famille Anggun plus tard, même si ça ne sera pas forcément uniquement pour leur fruit.