Spore en plein air



L'ennemi se cambra et laissa partir un râle sourd, rauque. Ain avait touché et sans l'ombre d'un doute, occasionné de lourds dégâts. Le brun tira alors de toute ses forces sur son bras gauche pour garder la crête en prise stable et sortit sa lame brisée de l'œil transpercé, puis la planta sous la mâchoire avec la rage de vaincre. Il était bien plus lucide, après avoir rencontré son père dans l'illusion, aussi si la rage n'était pas aveuglante, elle lui procura bien plus de force de par l'adrénaline affluant dans ses veines. Pour retrouver un membre de sa famille et protéger son amie, il ne lésinerait pas sur les moyens. Ainsi avec la roche dressée sur le crâne et la lame formant un axe vertical, il agrippa au mieux l'animal en affrontant son regard, œil dans l'œil. Deux prédateurs aux prises l'un de l'autre et s'il avait gagné la première bataille en laissant presque le duo s'entretuer, il était hors de question qu'ils perdent cet affrontement-là. L'aventurière s'occupa alors de lui massacrer le flanc et le brun tint la créature avec ses prises fermes, ressentant à un moment les effets atténués de la bague de foudre traversant son corps sous forme de démangeaison interne. Il tint bon et bientôt rompu par la boucherie, l'ennemi tomba sur le côté après l'assaut implacable du binôme. Nora lâcha ses prises, le laissant partir et tomba sur son postérieur, essoufflé.

Alors que la rage du combat l'avait tiré momentanément de l'hallucination, la spore hypnotique de ce redoutable adversaire, secoué durant le combat, eut un contrecoup sur la perception de l'éphèbe qui vit sa vision se flouter et au loin, entendit une voix familière l'appeler. Il lutta pour ne pas céder, concentrant sa volonté toute entière à résister au phénomène et chassa les illusions cherchant à prendre place tout autour de lui. Ce fut un échec, mais pas un malheureux, car ce fut la silhouette de son père qui réapparut face à lui et approchant, il pu distinguer son sourire de nouveau.

- "Tu t'en es bien sorti. Bien mieux que je l'aurais pensé, Nora."

Un sourire ému aux lèvres, l'enfant d'antan avait gardé toute sa fierté dans son expression, son corps ne pouvait en dire autant, lui étant meurtrit par les éclats de sa propre lame fichés dans son bras et son épaule gauche.

- "C'était toi, hein ... qui a écrit ce livre ..."
- "Celui du Saphir et du Fenrir ? Ahah, qui sait ?"
- "Je l'ai cherché, aucune bibliothèque ne connaît cet ouvrage ..."
- "Rien ne t'échappes, hein ? Ce mouvement qui a brisé ta lame, voici la limite à laquelle je me suis moi-même confronté, avant de prendre ma retraite."
- "Je le savais ... t'étais pas juste un marin, finalement ..."
- "L'art du combat coule dans nos veines, Nora. Cet enchaînement qui transforme la vélocité en puissance ... je l'appelle la Danse Eos."

Un drôle de nom pour une attaque au combat et pourtant, en phase avec cette sensation de légèreté qu'il avait ressenti. Probablement que guidé par l'illusion, il avait réussi à en assimiler provisoirement le geste et avait déchaîné la puissance propre à ce mouvement côtoyant les limites humaines et pour cause, mal exécuté avait brisé son arme malgré un entretien régulier. La Danse Eos comme lien avec son père et, peut-être même son propre père avant lui était inné. Aussi naturel pour un membre de sa famille qu'il l'était pour un enfant de parler la langue de son parent. Le brun offrit un dernier sourire à la silhouette avant de chasser son image, un adieu éphémère aussi, car il ne se contenterait pas d'une image, issue d'un souvenir pour reprendre sa place de géniteur. Sans un mot, père et fils se quittèrent sur un commun accord, laissant le brun lentement revirer vers la réalité. Ainsi il tendit la main vers elle, de qui les traits changeaient de ceux d'un homme quarantenaire pour redevenir plus doux, androgyne et dont le regard semblait plus expressif que jamais. Assez proche d'Ain, Nora glissa se dextre jusqu'à la sienne pour sentir sa chaleur et à son contact, lâcha un soupire rompu, appréciant la douceur au toucher pour se redonner la force de poursuivre.

- "Bon boulot, Ain. On a réussi, ensemble."

Il planta ses prunelles grises dans celles bleues de son amie et lui offrit un sourire dérangé d'une pointe de douleur lorsqu'il tenta de joindre son autre main à l'étreinte. Les fragments d'acier brisés, dont la taille variait, entravaient encore ses mouvements et au vu de l'effort à tenir une bête de cette taille au plus immobile, il avait sans surprise élargit ses blessures. Son expression se voulait malgré tout rassurante et il lui offrit une mine affable tiraillée par la gêne nerveuse.

- "Hum ... tu voudrais m'aider à retirer les bouts d'acier ?"

Il récupéra sa main droite et décrocha le lacet serrant la cape autour de son col, libérant ainsi le champ d'action à son amie. Il n'avait donc qu'une chemise blanche tâchée de sang à plusieurs endroits, pourtant il n'y aurait aucune entaille assez profonde pour vraiment inquiéter le chasseur. Il entreprit aussi de déboutonner son haut pour libérer son bras et faciliter les soins mais n'y voyant que trop d'effort pour ce que valait cette dernière, il renonça et ajouta, l'air dépité.

- "Tu peux aussi déchirer ma chemise si elle te gêne, je trouverais bien de quoi me changer au village."

Ainsi il n'y aurait qu'à s'occuper des soins de première nécessité avant de retourner faire leur rapport. La menace endiguée, même si ce n'est que provisoirement, aura permit au duo de parvenir à quelques déductions. Aussi la tâche d'exterminer une espèce entière n'enchantait guère le brun qui préférait encore laisser le boulot à des éleveurs ou à un plus grand groupe de chasseur pour les relocaliser plus loin de la civilisation. Quoi qu'il en soit, leur mission ici était terminée, ou du moins le serait lorsque le doyen aura reçu son rapport final.

Spore en plein air



Ain lui adressa un sourire et le cœur du brun manqua un battement. Ce qu'il était précieux de voir un proche rassuré, si bien qu'il voulut se jurer de ne plus prendre de risque inconsidéré pour la préserver. La peau de la jeune femme, blanche comme neige et pourtant chaleureuse comme un souffle de saison chaude, eut raison de la frilosité du garçon lorsqu'elle l'aida à se dévêtir partiellement, ce malgré la fraîcheur ambiante. Il fit donc de son mieux pour ne pas bouger et contint tout signe de douleur pour rendre la tâche plus aisée à son amie, observant plutôt sa main gauche où le sang avait perlé jusque dans sa paume et sur le bout de ses doigts, dessinant dans les plis et crêtes de son épiderme la forme de flocons rouges foncés. Bientôt débarrassé de tout corps étranger, Nora offrit un sourire plein de gratitude à sa partenaire et celle-ci lui proposa une potion qu'il déclina poliment.

- "Ahah, ne t'inquiètes pas, ça va pa ..."

Sa voix s'étouffa avant de finir sa phrase face au regard insistant de la brune. Il esquissa un nouveau sourire un peu plus timide et termina finalement par accepter la potion, débouchant son embout en liège avec les dents pour éviter d'avoir à bouger son bras gauche. Une traite plus tard, la sensation de froid quitta son bras et il pu sentir les premiers effets de l'élixir agir. Il récupéra alors le bouchon avec la fiole et les garda de côté pour ne pas les abandonner en pleine nature, s'accordant ensuite quelques minutes de plus pour laisser à la mixture le temps d'agir.

- "Merci, Ain."

Puis, sans seconde pensée, le chasseur avança son buste pour retrouver le contact de la jeune femme, l'enlaçant brièvement de crainte qu'elle ne soit mise mal à l'aise par ce contact spontané. Malgré tout, sa reconnaissance n'était pas à remettre en question, encore moins lorsqu'elle plus que n'importe qui venait de partager un moment si riche en émotion et l'avait tant et si bien épaulé. Son regard admiratif et affectueux se posa sur la tignasse en bataille de sa partenaire et fendu d'une demi-lune taquine, il se fit la réflexion à lui-même qu'elle partageait au moins son goût du brushing.

Nocturne choisit alors le moment où son père se retira pour poser une patte sur l'épaule de Ain, l'autre sur le bras de l'éclaireur se retirant, l'air de demander des câlins et pour souligner le tout, elle laissa filer un miaulement suivi de ronrons. Charmé, Nora la gratifia de papouilles sous les vibrisses en riant gaiement, n'ayant plus aucune once d'intérêt pour la douleur engourdissant encore son bras gauche. Grâce à la potion, il ne saignait plus et n'aurait certainement rien à craindre d'une infection sur le long terme, mais ses muscles endommagés prendraient certainement quelques temps à pleinement cicatriser, ainsi il se fit à lui-même la réflexion de ne pas trop les solliciter. L'inquiétude de Ain eut également le don de toucher le grand brun qui, fier, lui offrit un large sourire en tirant son sac par la lanière de droite afin de délester son autre bras.

- "Ca ira, encore merci pour les soins. Tu montes, Nocturne ?"

Nora fit signe au familier de grimper dans la capuche, comme elle avait tant l'habitude de faire pour les trajets et pourtant, malgré sa précédente demande de câlin, la petite resta aussi fière et digne que son père.

- Papa blessé ! Nocturne montrer la voie avec copain !
- Copain ?
- Copain Solnar !

Et pour illustrer le mouvement, elle parti renifler avec curiosité la truffe de Miel en lâchant de petits miaulements d'appréciation, s'en suivit alors une série de regard au sol puis vers l'horizon avant qu'elle ne miaule à nouveau pour donner la piste à suivre. Un regard amusé vers Ain et Nora lui offrit un traitement similaire de copinage en s'approchant un peu plus d'elle, posant sa main blessée sur son épaule et plantant ses iris dans les siennes, l'air paisible, joyeux.

- "Allons-y, donc."

Ainsi le brun fut le premier à partir, suivant au pas les deux prédateurs les guidant jusqu'au village. Les oiseaux chantaient de nouveau et au plus ils s'éloignaient de cette clairière, au mieux ils se porteraient. Ainsi Nora souffla un grand coup, expirant l'anxiété et le stress provoqué par un rude duel et inspirant cette nouvelle proximité qui l'avait rapproché un peu plus de Ain, à qui il jeta régulièrement des œillades curieuses accompagnées de sourires bienveillants.

Spore en plein air



Guidé par les deux familiers, le duo arriva bien plus rapidement qu'à l'aller sur les lieux du rendez-vous. Aussi, certainement plus tôt qu'escompté et malgré cela, la lumière chez le doyen était toujours allumée. Ain toqua et Nora lui en fut fort gré de lui épargner la peine, malgré quoi elle était aussi blessée et cela le préoccupait. Lors de ses coups d'œil furtifs, le long du trajet, s'il n'observait pas son expression, son regard avait tendance à tomber sur ses estafilades et s'en rendre coupable était un supplice. Sa précieuse amie, pour qui il n'éprouvait que des sentiments grandissants au fil des épreuves, avait été blessée par sa faute et même si dans la finalité, il était sous l'emprise d'une illusion, rien pour lui ne pouvait pardonner cette atteinte à un être cher.

Ce fut Myriam qui ouvrit la porte, femme du doyen et mère d'une des victimes, avec de grands yeux, elle invita le duo à entrer prestement pour fermer la porte derrière eux, ainsi conservant la chaleur à l'intérieur. Le crépitement des buches au foyer fila une vague de frisson le long de l'échine du brun, savourant cette vague de chaleur nouvelle et l'odeur de nourriture ayant mijoté, embaumé la pièce de son arôme champêtre. Une grande inspiration, une expiration toute aussi généreuse et plus aucun nuage de vapeur formé du choc thermique avec l'air frais de l'extérieur, simplement une sensation de bien-être qui rappela au chasseur ses jeunes années, lorsqu'il rentrait de son apprentissage des lettres avec le prêtre du village. La maîtresse de maison appela son mari et ce dernier s'empressa de descendre en entamant les questions avant même d'avoir terminé sa course. Visiblement enthousiaste, ou plutôt impatient, Nora fut sensible à cet élan émotionnel et lui offrit un demi-sourire concis.

- "On a trouvé quelque chose, oui."

Les traits tirés du bonhomme par l'inquiétude purent se relâcher et son expression fut celle du soulagement, tant et si bien que l'aventurier redouta que ses jambes ne cèdent et il s'avança d'un pas par réflexe, les deux mains en avant pour lui éviter la chute.

- "Allons, allons, on devrait peut-être s'asseoir, non ?"

Sa main intacte sur l'épaule du père de famille, le sourire bienveillant du jeune homme l'invita à prendre place à table et la gouvernante tira une chaise au duo, face à l'homme avide du rapport à venir. Elle lui envoya un regard tendre et proposa avant tout un repas aux deux aventuriers.

- "Vous devez être affamés, vous prendrez bien un peu de potage ? Il n'y a qu'à le faire chauffer dans la marmite ... Oh, on a aussi une chambre de libre, si vous souhaitez rester la nuit."

Un regard échangé entre les deux aventuriers et l'interrogation, reine de ce débat muet, l'emporta sur une décision immédiate.

- "Enfin, commencez d'abord par manger, le repas devrait être prêt sous peu."
- "Ahah ... merci."

Un rire gêné du jeune homme tira une mine amusée au couple qui finalement s'était légèrement détendu, ainsi le dialogue se ferait dans des conditions plus tranquilles. Il tenta dans un premier temps de se montrer rassurant.

- "Je pense que ce n'est pas une malédiction, premièrement."

Dès sa première phrase, les doyens furent captivés et laissèrent en suspens leur activités pour se prêter totalement au discours de l'aventurier.

- "Les hallucinations, elles, étaient bien réelles. Qui plus est, je n'ai pas vu les mêmes choses que Valemir, je pense que ce qu'on y voit est propre à qui vit l'illusion. Ensuite, il n'y a rien à craindre sur le long terme pour lui ... C'était l'œuvre d'une bête, une créature qui relâche comme un poison ... des spores plutôt ? Dans l'air, ainsi autour de son habitat, il est possible de déclencher les hallucinations sans se faire réellement attaquer. Ma supposition concernant votre fils est qu'il a inspiré trop de ces spores et a accumulé la fatigue au même moment. Autrement dit, il ne serait qu'une question de temps avant qu'il ne revienne à ses sens. Je pense."

Un soupire soulagé des hôtes permit à la matrone de reprendre sa préparation de la table et du plat. Aussi, Nora se rendit compte de la crédibilité de ses dires à une oreilles inconsciente des conséquences du démon qu'ils avaient affronté. Beaucoup n'y auraient vu que des salades et ce fut un soulagement de voir ses interlocuteurs aussi persistant à y trouver un sens. Finalement, le chasseur reprit la parole.

- "Nous avons réussi à en abattre un spécimen, mais je ne peux que soupçonner une migration de l'espèce pour des raisons inconnues, aussi son éradication ne sera peut-être pas la solution ... Mon amie et moi ne sommes ni aptes à l'instant, ni préparés à repousser une colonie de ces créatures vers leur territoire d'origine."

- "Vous avez déjà beaucoup fait en trouvant la source du mal, je ferais une nouvelle demande à la Guilde pour la suite des opérations. Le combat a dû être rude ..."

Il fit une allusion aux blessures partagées du duo et Nora se mordit discrètement la lèvre, le couteau comme remué dans la plaie déjà bien ouverte.

- "Oui. Ce fut un adversaire redoutable à ne surtout pas sous-estimer. Si par ailleurs, vous avez de quoi soigner mon amie ..."

Un regard vers l'intéressée et Nora lui offrit un regard mêlé d'un tas d'émotions différentes. Culpabilité, tendresse, tristesse, gratitude et sa main se déplaça sur la table en bois, à mi-chemin entre elle et lui. Il hésita à enlacer sa dextre, mais présentement en la présence de leurs employeurs, il se résigna et la recula de quelques centimètres en retraite. D'un œil avisé, Myriam hocha la tête, servit le repas et s'absenta le temps de trouver du matériel médical. Pendant ce temps-là, Nora observa le bol de potage servit face à lui, fumant, tout chaud sorti du chaudron et huma le fumet s'en échappant, l'air ravit. Il faut dire qu'une boisson chaude ne serait pas de trop et il se débarrassa de sa cape avant de manger.

- "Merci pour le repas !"
- "Hum ... jeune homme ... voudrais-tu que je te porte une chemise ? La tienne est complètement déchirée."
- "Mh, hmmm *gulp* oui, j'accepte volontiers, merci beaucoup." Annonça Nora après avoir avalé sa première gorgée de soupe.

Myriam revint à ce moment-là, munie de tout le nécessaire pour les premiers soins. Bandages, épingles ainsi qu'une solution à base d'eau et de vinaigre de cidre pour désinfecter les plaies. S'en suivit donc une séance de soins et lorsque vint le tour de Nora, au vu des multiples entailles présentes, il fut convenu de lui faire un bandage intégral pour éviter qu'il ne s'ouvre ou fasse un mouvement brusque dangereux pour son rétablissement. Après moult remerciements, le brun proposa à Ain d'occuper la chambre pour la nuit pendant qu'il emprunterait la banquette du salon, il valait mieux repartir en forme, d'autant plus après une journée pareille.