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Ivara
Ce jour-là et à quatorze heure, la boutique de Ivara était bondée. Après de nombreux jours d’absences, elle avait tout misé sur la communication d’une prestation incroyable pour ramener le plus de monde possible. On ne voyait même plus le tapis rouge qui s’étirait de l’entrée de la boutique jusqu’à la petite estrade où elle faisait ses spectacles. La petite foule attendait patiemment que Ivara se mette à l’oeuvre. Elle réalisait la commande d’un noble, ce qui allait grandement l’aider à étendre sa notoriété. Le commanditaire était assis sur le seul fauteuil central et un peu sur-élevé, face à l’estrade. Il inspirait la sympathie derrière sa grande moustache blanche. Mais où était donc la sculptrice ? Dans l’arrière-boutique, préparant une grande jarre de sable qu’elle allait porter jusqu’à l’estrade. Parmi les curieux, certains vinrent l’aider à déplacer son ustensile de travail puis retournèrent à leur place. Tous les regards étaient rivés sur elle. Elle était sobrement vêtue d’une longue robe blanche et ses longs cheveux blonds formaient une cascade jusqu’en bas de son dos. Avant d’être exposée au grand jour, Ivara avait pris soin de prendre plusieurs grandes inspirations pour se détendre et retrouver l’assurance dont elle faisait preuve uniquement pendant qu’elle menait affaire. Elle se sentait désormais prête.
Le pire ennemi d’un artiste, ou d’un scientifique, n’est autre que lui-même lorsque survient le terrible syndrome de la page blanche. Quand ce dernier survient, il ne sert souvent qu’à peu de chose de lutter contre. Il est là, tapis en vous, un sourire sinistre aux lèvres alors que vos mains n’arrivent plus à écrire, que vos lèvres restent muette et que votre esprit ne veut plus formuler de penser cohérente liée à votre art. Aussi, et alors, la meilleure chose à faire est peut-être de ne rien faire de cohérant avec ce que vous étiez en train de faire jusqu’à lors. Lire, sortir, s’aérer deviennent alors autant d’option à évaluer pour retrouver l’inspiration.
Et c’était justement là le plan de Mai en cette triste journée de page blanche. Déambuler en ville et dans le quartier marchand à la recherche de ce « je ne sais quoi » qui arriverait à lui donner une idée, un « quelque chose » à faire. Ce n’était pas vraiment l’idée du siècle, ni même de la décennie ou du mois d’ailleurs. Mais une idée restait une idée, et la voilà donc en train de regarder les étals. Elle connaissait relativement bien l’endroit, elle y allait régulièrement pour se procurer en ingrédient de premier choix pour les préparations alchimiques qu’elle utilisait régulièrement. On n’est jamais mieux servit que par soi-même dit-on.
Toujours est-il que, allant d’étal en étal, de déception en déception, elle finit par tomber sur un spectacle qui attisa quelque peu sa curiosité. Nombre de personnes étaient en train de sortir d’une boutique, dont après un temps ce vieux grigou de Delaunay. De mémoire, il y avait là un sculpteur de verre talentueux. Et la réputation n’avait pas l’air usurpée aux vues du portrait de verre qui avait été fait de la jeune femme à ses côtés… Assez gros pour que ses serviteurs aient du mal à le transporter. Intéressant à vrai dire, elle n’avait jamais put saquer cet imbécile en peinture. Sentiment que l’individu partageait d’ailleurs, étant une vieille ‘connaissance’ de sa famille. Il l’avait méprisée quand elle était plus jeune, elle pouvait bien lui rendre la faveur une fois de temps en temps.
« Albus ! Mon cher Albus ! Comment allez-vous ?
L’individu se retourna lentement. De toute évidence, l’alcool ne l’avait pas suffisamment amoché pour qu’il ne reconnaisse plus cette voix. Parfait.
- Toi…
- Oui, moi ! Je ne vous connaissez pas cette charmante enfant ? Pourquoi ne me l’aviez-vous pas présenté cette fille des vôtres avant ? J’aurais été ravie de faire sa connaissance !
- Comment oses…
De toute évidence, il commençait déjà à s’emporter. Et l’alcool l’empêchait à la fois de garder son calme comme de répondre correctement. Bien sur que ce n’était pas une de ses filles, elle le savait parfaitement. Néanmoins, peu de gens appréciaient de se voir balancer à la gueule le fait qu’ils étaient marié avec une personne suffisamment jeune pour être leur enfant. Non pas que ce fut interdit, passé un certain âge, mais a ce stade on restait quand même étonnamment proches de certains crimes inavouables. Bah, les nobles de l’Empire étaient loin d’être des saints, et cela allait parfois bien au-delà de leurs simples manigances politiques pour leurs quêtes éternelles d’un peu plus de pouvoir à grappiller.
- Oh ! Et comment va votre fils ? A-t-il enfin réussit à atteindre le poste de lieutenant qu’il convoite tant ? Les yeux de M. Delaunay s’élargirent…
- C’est à cause de toi qu’il n’a pas…
- Allons, qu’alliez-vous insinuez là, Albus, je ne fait pas parti de la garde et ne suis pas un ministre. Comment aurais-je un tel pouvoir ? Votre fils est le seul responsable de son grade actuel, n’allez pas me mettre sur le dos le résultat de son incompétence, ce serait fort bas de votre part. Je pense que l’alcool vous est monté au nez, vous devriez rentrer vous reposer, avant que la moutarde ne l’y rejoigne. Après tout, vous ne voudriez pas que la garde vienne vous raccompagner…
Oh oui, le voilà qu’il fulminait, excellent ! Et pendant se temps là, sa femme était restée interdite, ne sachant comment réagir à ce qu’il se passait. Une roturière ? Probablement. Mai n’avait rien contre elle, ni contre ses semblables. Elle s’était juste retrouver avec la mauvaise personne au mauvais moment. C’était aussi simple que cela. Au moins avait-elle la présence d’esprit de ne pas essayer de participer sans savoir qui elle avait en face, c’était là un trait d’intelligence. D’un certains point de vue, Mai lui donnait déjà plus de crédit pour cela qu’à Messire Delaunay, même si elle pouvait sans doute lui reprocher ses choix de vies et esthétiques.
- Partons, Minerva…
- Bonne journée, madame Delaunay.
- Vous saviez ?
- MINERVA !
- Vous feriez mieux de le suivre, je pense…
Elle poussa un soupir en les voyant s’éloigner avec leurs aides à travers la foule. Un vieux pervers et une chercheuse d’or. On n’allait malheureusement pas prétendre que c’était là une vue rare dans les hautes sphères de la société. L’une ne voulait qu’une meilleure vie et avait été gâtée par la nature, au moins sur le plan physique, l’autre voulait juste, et bien, se donner une « seconde jeunesse » en prétendant être toujours quelqu’un d’attirant. Triste réalité que l’enveloppe est parfois plus attrayante que l’homme. Au moins n’en était-elle pas réduite à cela. Pas encore. Et l’espérait-elle, jamais. Elle avait encore un semblant de dignité, quoi qu’en disent ses comparses de la ô si importante noblesse impériale.
Se tournant elle se décida à entrer dans le magasin. Ce petit échange avait largement contribué à améliorer son humeur. Le son cristallin d’une cloche accompagna son entrée dans l’échoppe, suivie de près par les salutations d’une jeune femme. Se tournant vers cette dernière, elle ne put que constater que la blancheur de sa robe était en contraste parfait avec la noirceur de la sienne. S’inclinant poliment devant cette dernière d’une manière un peu trop formelle pour qu’on ne puisse douter de ses origines nobles, Mai lui posa la question qui l’intéressait actuellement.
« Pardonnez ma question mademoiselle, mais serait-il possible de rencontrer la personne qui a réaliser cette magnifique sculpture de verre de… Elle ne put réprimer un léger rire fluet aux propos qu’elle allait tenir tellement cela en était ridicule de son point de vue… Pardonnez-moi, je disais, me présenter celui qui a réaliser cette sculpture de Madame Delaunay ?
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Ivara
De là où elle se trouvait, Ivara avait tout le loisir d’analyser l’apparence de la femme. Elles étaient très différentes. La noirceur de sa robe se mélangeait harmonieusement à la couleur anormale de sa chevelure. Ses traits, fins et délicats, trahissaient une origine plus noble que celle de Ivara. Cette personne devait avoir eu le luxe de prendre soin d’elle depuis sa plus tendre enfance. C’était en tout cas les hypothèses de la sculptrice suite à ce premier coup d’oeil. Un petit détail retint son attention, une petite boursouflure sur son front. Résidu d’une bosse ou manifestation de son pouvoir ? Du moment qu’elle ne l’attaquait pas, ce n’était pas le problème de Ivara qui, pour ne pas être impolie, avait fini par sortir ses mains de l’eau et les séchait dans une serviette blanche. Elle reposa cette dernière sur le comptoir et s’approcha de la femme aux cheveux verts. Il n’y avait personne d’autre dans l’atelier, la réponse à cette question semblait donc évidente mais Ivara prit tout son temps pour se présenter à l’inconnue.
« Oh !...
Fut la première réaction de Mai à la révélation de la jeune femme concernant le fait qu’elle était la sculptrice. Ses mains baignaient dans un bac d’eau jusqu’à son arrivée. Etait-ce là un quelconque rituel lié à sa magie propre ? Ou bien quelques talents de sculpteurs de verres dont Mai n’avait jamais entendu parler ? Elle avait beau ne pas s’être renseignée plus avant, elle savait que faire de telles sculptures était un procédé long et complexe et nécessitait généralement de hautes températures. Autant vous dire que ce simple détails l’intriguait bien plus qu’il ne devrait et que son regard se perdit plus sur l’eau que sur les mains de la jeune femme, lui faisant manquer l’essentiel.
Présentant quelques unes de ses œuvres restantes suites à un accident (du moins c’est là ce que supposait mademoiselle Never), la jeune femme finit par mentionner à nouveau les Delaunay. Cela la fit sourire de nouveau. Ce n’était pas là un rictus mauvais, mais plus le visage de quelqu’un qui s’amusait visiblement de quelque chose qui se passait dans sa tête. Etait-elle folle ? Peut-être, mais après tout, tout danseur semblait fou pour ceux qui ne pouvaient entendre la musique. Elle écarta cependant l’idée d’avoir un immense buste à la « Miss Delaunay » à son effigie d’un geste de la main lorsque la jeune femme le lui proposa.
- Allons, allons, je ne suis pas un de ces paons délavés et narcissiques qui se sentent obligés d’exposer la beauté de leur nouvelle femme-objet en version grand format dans leur hall d’entré. Mais pour répondre à votre question première, oui, je connais Monsieur Delaunay, à son grand désarroi. Je n’ai cependant rien contre sa nouvelle épouse, la pauvre.
- Je dois aussi m’excuser envers vous, vu votre jeune âge apparent, je vous aie prise pour une apprentie. C’est un talent rare que d’arriver à faire des œuvres à un âge aussi jeune, et cela mérite d’être dit.
Disant cela, la cliente potentielle examinait Ivara d’un regard étrange, à la fois critique et bienveillant. Peut-être avait-elle l’impression d’avoir trouver une sorte de diamant brut qui ne demandait qu’à voir ses capacités encore poussés vers l’avant ? Seul l’avenir le dirait, mais si il était une chose qu’elle avait laissait entendre qui était parfaitement vrai, c’est qu’elle était admirative devant la qualité du travail fourni par un être aussi jeune. Elle se doutait que de la magie devait être liée à tout cela, mais elle ne savait pas encore comment, et cela l’intriguait. Aussi, la suite de ses actions était déjà entièrement déterminée : collecte d’informations, analyse et compréhension.
- Pour l’instant, je suis plus curieuse de savoir comment vous fabriquez ces sculptures et autres bijoux, si cela ne vous dérange pas. Je vois là une petite vasque dans laquelle vous trempiez vos mains précédemment et je ne peux que supposer que vous utilisez votre pouvoir d’une manière ou d’une autre pour cela. Peut-être que vos autres clients sont plus au fait de ces choses que moi, si c’est le cas je m’en excuse, mais j’aimerais vraiment en apprendre d’avantage concernant vos méthodes, si ce n’est pas indiscret et si vous en avez le temps, bien sur…
Il n’y avait pas grand monde dans la boutique maintenant que la démonstration –inconnue de Mai– était passée, aussi elle se doutait que au moins sur ce point sa demande n’était pas exagérée. Certains pourraient d’ailleurs se demander si c’était cette même absence de personne qui l’avait amener à parler de manière aussi véhémente de certains noble, aussi mettons les choses au point : elle aurait été capable de répéter cela mot pour mot à la cours de la Reine. Etrangement, il n’y a désormais pas que sa famille et les Delaunay qui préfèrent éviter sa présence, faute de pouvoir la diffamer en public. Un problème de statuts, ce genre de choses si insignifiantes à ces yeux. Un instant cependant elle semble s’arrêter dans son élucubration, avant de revenir à la réalité et d’adresser un nouveau sourire à la jeune femme.
- Mais avec toutes ces curiosités j’en oublie mes manières. On m’appelle Mai… Mai Never. Mais vous pouvez m’appeler juste ‘Mai’.
Disant cela, elle s’inclina poliment et avec les formes devant la jeune femme en face d’elle. Il n’y avait que peu de doutes à avoir sur le fait qu’elle l’aurait sans doute fait de la même manière en se présentant devant un de ses semblables nobles… si tant est qu’elle l’ait reconnu pour sa valeur et non rejeté pour ses défauts. Après tout, il y avait toujours quelque chose au fond de son regard, cette impression de jugement dérangeante, comme si elle vous analysait en permanence, scrutant, analysant, compilant le moindre de vos gestes et de vos actes sans simplement vouloir s’arrêter aux préjugés comme le feraient la majorité en voyant simplement votre minois.
- Ravie de faire votre connaissance, mademoiselle Ivara Streÿk… Maintenant que je le dit, votre nom me rappelle quelque chose, mais je n’arrive pas à mettre le doigt sur quoi… ou qui…
Machinalement un de ses doigts avait pris une de ses longue mèches de cheveux verts, la tournant une fois… deux fois… trois fois… sans doute autant de temps que la question resta en suspend dans sa tête avant de s’arrêter. D’un haussement de sourcil, elle semblait dire que ça ne devait pas être trop important au final, du moins pour l’instant…
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Ivara
Il était difficile de déterminer avec précision à quel point Ivara connaissait ou non la noblesse. Cependant, une chose était certaine : elle savait recevoir et promouvoir ses ventes. Néanmoins, faire payer pour voir une démonstration de son talent était quelque peu… et bien disons que Mai soupçonnait désormais que les finances de la jeune femme n’allaient pas au mieux. Ce n’était certes pas quelque chose sur lequel elle allait s’arrêter, surtout qu’elle avait l’impression d’avoir trouvé quelque chose d’intéressant. En ce moment tout sa curiosité, cet espèce de monstre dont l’appétit grandissait à mesure qu’on le nourrissait. Peut-être même qu’elle trouverait ici un nouveau souffle… Une nouvelle inspiration !
Aussi, lorsqu’on le lui proposa, Mai s’assit de bon grès, se prenant au jeu dans un sourire avenant.
« Pourquoi pas, je voudrai bien un chocolat chaud, tant que vous m’accompagnez. Et ne vous en faites pas, les cristaux ne seront probablement pas un problème, à moins que vos prestations ne soient plus chères que le Cirque du Soleil n’est impressionnant. Du coup, autant remettre ces frivolités à plus tard, n’est-ce pas ?
Elle semblait réfléchir en même temps qu’elle parlait, comme fouillant des morceaux de sa mémoire défaillante, sans doute trop remplies d’informations qui n’avaient pas forcément d’intérêts à l’heure actuelle. Semblant finalement se rappeler l’information qui lui manquait, comme lorsqu’on retrouve la dernière pièce du puzzle, un sourire étira ses lèvres. S’enfonçant dans son fauteuil, elle regarda autour d’elle. Toutes les œuvres qu’elle voie sont ainsi faite de verre.
- Oh, je me souviens, tu serais donc la fille de Vestein Streÿk, c’est cela ? Au moins pour le verre, tu approches de son talent… Ses yeux se reposent sur Ivara, se penchant vers elle, un sourire en coin sur les lèvres. … Mais ce dernier travaillait plus qu’un seul matériau. Je me demande bien jusqu’où il aurait put aller si il s’était réellement spécialisée dans une base spécifique. Peut-être que tu pourras me montrer cela, Ivara, fille de Vestein.
Elle poussa un soupir, elle ne voulait pas lui mettre une pression inutile. Se remettant dans son siège, elle se pose plus calmement. Son regard se fait plus distant, comme plongée dans une réflexion intérieure. Son ton était un peu plus las, comme si elle se parlait autant à elle-même qu’à son hôte.
- Ne t’en fais au sujet de la renommée. Quand on a le talent, elle arrive souvent accompagnées de ses meilleures amies, la jalousie, l’envie et la diffamation. Enfin, je serais ravis d’en savoir plus concernant ton pouvoir pour l’instant, et je serais honorée de pouvoir assister à cette ‘démonstration’…
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Ivara
Elle ria un instant, avant de se placer sur l’estrade, à quelques mètres de Mai, pour prendre un peu de sable dans sa main. Elle joua avec, le faisant couler entre ses doigts pour permettre à la femme de l’admirer. Le sable était doux et lissait sa peau. Elle commença à forcer sur ses mains, un peu cloquées, pour le faire chauffer et permettre aux atomes de s’entrechoquer pour laisser la magie opérer. Tout en réalisant cela et pour oublier la douleur, elle commença à poser quelques questions à Mai.
Prenant le chocolat dans ses mains, Mai semblait pensive. Ce dernier était, effectivement, chaud et de la vapeur s’élevait dans les airs, faisant de légers tumultes de fumées devant le visage de la demoiselle aux cheveux verts. D’un certain point de vue, cela pouvait rappeler aux encens qu’elle pouvait utiliser dans son métier, même si leur rôle était tout autre. Cette sortie remplissait pour l’instant bien son office, changeant ses idées sans pour autant trop l’éloigner de ses objectifs. Faisant tourner la petite cuillère dans le récipient, elle réfléchissait déjà à ce qu’elle allait voir, avant même que ça n’ait commencé. Cependant, lorsqu’Ivara mentionna une possible connexion entre elle et Streÿk, elle hocha la tête négativement, joignant la parole à l’acte.
« Il y a erreur je le crains, je n’ai jamais connu votre père autrement que par sa réputation. A contrario, je pense de mon côté que, tant qu’on ne souffre pas d’un quelconque vice physique ou mental, tout peut se travailler avec suffisamment de volonté, même si j’admets volontiers que nous ne sommes pas tous égaux dans tous les domaines. Qui sait, peut-être qu’il y a des choses que votre père vous envie ou aimerait déjà pouvoir faire ou ressentir aussi bien que vous…
- Mais que vous ou moi ayons raison, cela mène toujours à la même conclusion : il faut donner le meilleur de soi quand on accorde de l’importance à ce que l’on fait. Que l’on soit né avec un don ou qu’on le développe, si on ne l’utilise pas derrière, jamais il ne servira. Et si vous doutez de vous, ayez confiance en ceux qui ont, eux, confiance en vous. Ils doivent bien avoir une raison…
Elle avait un sourire maussade à cette pensée. Jamais son père n’aurait envie de faire comme ‘elle’, pas plus qu’il n’avait jamais eu la moindre confiance en sa propre fille, en son propre sang. Au mieux lui enviait-il son succès désormais, si on peut qualifier cela comme étant un mieux. C’était en voyant des personnes comme Ivara que, parfois, Mai regrettait de ne pas vraiment avoir une famille qui l’aurait aimée. Elle ne s’en rendait peut-être pas compte, cette petite, mais à la manière dont elle parlait de Streÿk, il était évident qu’elle éprouvait de l’admiration pour lui, et sans doute, associé à cela, de l’attachement. Jamais Mai ne pourrait tenir de telles éloges de son propres père sans rajouter quelque part une pique assassine afin d’équilibrer la donne. Elle ne se voilait pas la face.
Ce genre de penser fit glisser une ombre dans les yeux de Mai, qu’elle chassa d’un mouvement de tête. Soufflant sur le chocolat, elle le porta à sa bouche, en portant une gorger à la bouche pour le siroter. Il avait tout juste eut le temps de refroidir suffisamment pour que Mai ne se brûle pas et ne commette pas un impair, mais avec toutes ces pensées, elle n’avait pas vraiment réfléchit à ce qu’elle faisait. Ecoutant le questionnaire dont lui faisait part Ivara, elle s’adossa sur son fauteuil, son regard se faisant un peu plus lointain…
- Hmmm… Qui suis-je ?
Cela faisait combien de temps que personne ne s’était demander qui elle était après avoir entendu son nom ? N’avait pas présumé de sa personne et de son caractère en ne se fiant qu’aux rumeurs et ragots que certains se plaisaient à colporter à son sujet ? Des mois ? Plus peut-être même… Peut-être qu’Ivara ne faisait qu’être attentionnée envers elle, mais dans tout les cas, la sensation était agréable. Peut-être devrait elle passer plus de temps en compagnie des castes inférieures à la noblesse, elle ne pouvait sentir l’outrecuidance de nombre d’entre eux de toute façon, ces porcs qui s’enorgueillissent de leurs richesses et de leurs soit disant supériorité quand leur seul talent était bien celui d’exploiter celui des autres. Cependant après un temps de réflexion, son regard revint sur la jeune femme blonde en face d’elle, un intérêt renouvelé dans ses yeux alors qu’elle se demandait comment elle allait réagir à ses propos.
- Auparavant, j’étais une fille de la famille Schwarz que j’ai décidé de quitter en prenant mon poste et mon travail actuel, celui d’Enchanteur Royal. Je me passionne pour tout ce qui a trait à la recherche, l’étude et la découverte magique. J’apprécie également particulièrement le thé, la musique et le calme, quoiqu’on en dise. Je ne sais pas trop quoi dire de plus, mais en réalité, je suis plus intéresser par l’idée de vous voir pratiquer que par l’idée d’avoir un énième colifichet. Je ne cherche rien de particulier, donc, pourquoi ne pas laisser parler votre inspiration, et vous laisser fabriquer quelque chose que vous aimeriez vous-même porté ? Si le résultat est à la hauteur de mes espérances, peut-être en ferais-je même un artefact de pouvoir à l’avenir. J’aimerais également savoir, elle pointa du doigt le troisième œil, fermé, qu’elle avait sur le front, cela vous dérangerait-il si je vous observais travailler avec cet œil également ? Il me permet de voir les fluctuations et les mouvements de la magie.
Elle marqua une courte pause, avant d’ajouter, un léger sourire aux lèvres…
- Oh, et ne vous formalisez pas trop là-dessus, il n’est pas nécessaire de vous mettre la pression…
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Ivara
Ivara adressa un signe de tête presque amical à Mai lors de son monologue. Effectivement, peu importait les situations, si on n’utilisait pas un don - travaillé ou non - il n’avait aucune utilité. Chaque jour, Ivara essayait de maîtriser davantage le sien et de créer les sculptures les plus parfaites possibles. Elle était encore très insatisfaite de ses créations. Son verre n’était pas assez solide et elle n’avait pas encore les moyens de le colorer. Une multitude d’autres petits points ne lui venaient pas en tête actuellement mais auraient été tout aussi pratiques pour son commerce.
Cela viendrait, il lui suffisait d’être patiente.
Pour l’heure, elle devait se concentrer sur sa cliente. Bien installée au fond de son siège, celle-ci sirotait son chocolat chaud tout en réfléchissant à la réponse qu’elle donnerait à la manieuse de verre. Ce que demandait Ivara n’était pas aisée. Mai devait creuser un peu sous sa propre carapace - celle que chacun possédait naturellement face aux autres - pour en dévoiler un peu plus sur elle.
Ainsi, elle dévoila qu’elle était enchanteur royal. Pour une fois, ce n’était pas un vieux croûton qui occupait ce poste. Ce n’était donc pas n’importe qui qui se tenait dans sa boutique. Cette personne avait sûrement une petite influence dans le palais. Ivara se concentra davantage. Une meilleure réputation aiderait bien ses affaires. Elle ne roulait malheureusement pas sur l’or. Malgré les froufrous et l'apparat dont elle faisait preuve - aussi bien sur elle que dans ses spectacles - elle réussissait tout juste à remplir son assiette tous les jours sans s’octroyer le moindre loisir.
Pensive, elle réfléchissait à l’objet qu’elle allait créer lorsque Mai pointa son troisième œil. Elle était un peu surprise, car ce n’était pas commun et elle ne s’était pas attendue à cette révélation.
“ - Bien sûr. Je suis très curieuse de savoir comment vous allez percevoir les choses.”
Après tout, tous les habitants du Royaume possédaient leur propre sixième sens. Que pouvait donc bien voir Mai Never ? Maintenant qu’il était ouvert, elle pouvait l’admirer un peu plus à loisir, tout en veillant à rester polie.
“ - Il est fascinant. Comment faites-vous pour l’utiliser ? Je suppose qu’il ne vous permet pas de simplement “regarder” notre monde ?
Elle ponctua sa question d’un aimable sourire. Les propositions de Mai Never étaient intéressantes et elle les notait dans un coin de sa tête. Elle n’avait pas d’idées particulières et puis, peut-être que l’Enchanteur Royal n’était là que pour le spectacle et le processus créatif.
C’était l’heure du spectacle, une nouvelle fois. Le sable tourbillonna entre ses doigts et elle se concentra pour lui donner - progressivement - la forme qu’elle désirait. Le phénomène ne dura pas longtemps, une dizaine de minutes, mais amocha encore plus ses paumes. A la fin, le résultat était là. Ce n’était non pas un mais deux petits objets que Ivara avait créés. Il s’agissait d’un pendentif, très fin et qui reflétait habilement la lumière, représentant un livre ouvert. Le deuxième était la représentation de la jeune femme, assise sur son fauteuil. La sculpture était très réduite, quinze centimètres environ.
Elle les déposa sur le présentoir prévu à cet effet et laissa la cliente venir les admirer de plus près. Elle les achèterait si elle le désirait. Cela n’était pas forcé.
“ - Tenez. Je vous laisse regarder. C’était très intéressant de travailler face à vous. Je vous en remercie.
Ivara laissa le loisir à Mai de regarder les sculptures et en profita pour plonger ses propres mains dans de l’eau fraîche afin de les soulager.
Tandis que Mai répondait à ces quelques questions, elle décida finalement d'acheter l'objet que la sculptrice venait de réaliser. Ivara en tirait un bon prix et était satisfaite de ce revirement de situation. Après quelques autres échanges de politesse, la cliente prétexta avoir d'autres affaires qui l'attendaient. Qu'à cela ne tienne, Ivara avait eu ce qu'elle désirait, bien qu'elle aurait voulu en connaître plus sur la jeune femme avec l'étrange troisième œil. Ivara raccompagna Mai jusqu'à la sortie et la salua avec politesse et enthousiasme, lui indiquant que la porte de sa boutique resterait ouverte si elle désirait d'autres créations de sa main.