Un contrat bleu

Inaros

La rumeur court qu'Andra Milan prendrait régulièrement du bon temps dans les auberges de la capitale en compagnie d'hommes au physique avantageux. Sa dernière victime serait un aventurier aux cheveux bleus !

Dans ce monde, les rumeurs se promenaient sournoisement, de bouche à oreille, sans faire réfléchir les gens, agissant tel un virus pour abattre leur victime. Andra Milan, une jeune noble, en avait fait les frais il y a quelques temps. Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, Inaros avait su flairer les bonnes affaires et empocher le bon contrat au bon moment. Sa mission avait été simple, découvrir l’identité de l’homme aux cheveux bleus et, si possible, trouver des preuves sur l’origine de la rumeur. Sa première entrevue avec la noble Andra avait été de courte durée, quelques minutes avaient été suffisantes pour le mettre au courant des éléments essentiels à l’enquête. Il avait pour mot d’ordre de ne tuer ou blesser personne, ce qui pouvait entrer dans les compétences du mercenaire. Ce dernier reprenait doucement goût aux activités illicites, alors même qu’il était coincé dans le corps d’une femme justement parce qu’il pensait se ranger et exercer une activité lucrative plus banale et moins périlleuse. Les divinités, si elles existaient, n’avaient pas été très miséricordieuses avec lui et pouvaient même probablement jubiler et rire de sa condition.

La demoiselle Milan n’avait pu apercevoir de Inaros que le regard, aussi acéré que les lames de verre qu’il créait. Le reste était toujours entièrement dissimulé sous plusieurs tissus, légers, qui remontait jusqu’au bas de son visage et d’une capuche, qui se chargeait de dissimuler le reste. Les longs cheveux blonds de Ivara, qu’il avait encore un peu de mal à accepter comme étant les siens étaient soigneusement entortillés et tressés. Sa poitrine était comprimée par des bandages qui permettaient à sa silhouette de conserver une allure androgyne. Peu importait son interlocuteur, si quelqu’un conversait avec lui, il était libre de s’imaginer ce qu’il voulait sur l’apparence probable de Inaros. Une femme aux allures masculines, un homme eunuque, un jeune adolescent… Peu importait la façon dont il était perçu par les autres, il ne manquait jamais de rappeler à son audience qui il était et ce dont il était capable. Assassiner quelqu’un de sang-froid était le cadet de ses soucis et il laissait constamment planer cette menace pour être pris au sérieux par quiconque l’engagé pour ses services. Il ne comptait pas se faire rouler dans la farine par qui que ce soit. Il espérait ne pas avoir à le faire pour cette rencontre-ci. Les péripéties aux sources chaudes avaient permis à Inaros de récupérer quelques informations qu’il vendait à prix d’or à la dernière né du clan des Milan. Sa destination, alors que la lune embellissait le ciel noir du royaume, était un appartement au sein même de la Capitale.

Le chemin pour s’y rendre ne fut pas très long pour Inaros, qui réussissait presque toujours à se faufiler où il le désirait, surtout lorsque la nuit était à ses côtés. Il avait récupéré quelques facultés d’agilité et de force dans le corps de Ivara et s’était même découvert une nouvelle souplesse qui l’aidait beaucoup dans ses déplacements. Silencieux, il atteignit à pas feutrés la porte d’entrée de la résidence. Il reconnaissait l’endroit pour y être déjà entré une fois et avait même convenu d’un code avec la propriétaire des lieux pour faire savoir que c’était lui qui venait faire son compte-rendu. Après avoir enjambé le dernier obstacle sur sa route, Inaros leva les yeux pour contempler durant un court instant l’endroit où il se trouvait. Le nom de cette famille était familier pour tous ceux qui s’intéressaient à ce qui se tramait sur Aryon, mais le mercenaire ignorait tout des caractères des principaux protagonistes de cette lignée. Il n’avait jamais traité avec eux et ignorait même comment Andra avait réussi à le contacter. Son nom ne faisait surface que progressivement dans le monde du mercenariat, mais il était intérieurement ravi de reprendre du service et que cela fonctionne aussi bien. Quant à ce qu’allait en penser Ivara… Bah! Elle lui avait déjà fait quelques réflexions là-dessus et n’exigeait que la sûreté de son commerce, de sa propre personne et la discrétion absolue de Inaros pour ne pas faire révéler qu’il était Ivara. Enfin, qu’il était aussi lui dans le corps de Ivara. Un bordel sans nom qui donnait mal au crâne s’y on essayait d’y réfléchir un peu trop longtemps.

Inaros prit une profonde inspiration avant de toquer deux petits coups à la porte, suivi de quatre coups plus fermes, espacés chacun de deux secondes. En attendant que son hôte ne vienne lui ouvrir, le mercenaire glissa sa main dans la poche de son pantalon et vérifia que le papier confié par l’escorte nommée Ruby était bel et bien là. Il y avait là toutes les informations qu’il devait livrer à Andra. Muet comme une tombe, il attendit que la demoiselle daigne venir lui ouvrir, après des minutes bien trop longues à son goût, avant d’entrer dans l’appartement qu’elle lui désignait et de lui laisser tout le loisir de refermer la porte derrière eux. Il consentit alors à prendre la parole pour briser la glace. L’un des principaux défauts de Inaros était son langage très charretier, qui contrastait avec la douceur de son physique. N’ayant pas eu la chance de grandir entouré de bouquins, il parlait comme il l’avait toujours entendu dans la rue. Il avait beau faire des efforts, certaines habitudes étaient dures à perdre malgré l’intelligence dont il faisait constamment preuve.

” -B’soir. J’viens vous livrer c’qu’je sais. Sachez d’jà qu’ça m’a coûté un trajet pas prévu dans l’accord d’base.”

Un contrat bleu

Inaros

Andra était aussi sobrement vêtue que la première fois où il l’avait vu. Malgré l’heure tardive, elle semblait toujours en forme et aussi peu loquace que dans ses souvenirs. Son attitude lui rappelait sa défunte mère, noble de son état, avec qui il n’avait jamais su s’entendre. C’était par la faute de cette femme s’il était parti, âgé d’une dizaine d’années, pour rejoindre les rues de la Capitale et la voie du mercenariat. La mâchoire déjà légèrement crispée par cette constatation, Inaros la suivit tout de même jusqu’à son appartement. Il referma avec précaution la porte derrière lui puis la suivit à l’intérieur de la grande pièce. Le grand canapé central était très attrayant, mais Inaros attendit que la noble lui indique où s’asseoir avant de se déplacer. L’expérience qu’il avait eu avec sa mère lui permettait de savoir se tenir à sa place quand il le fallait. Il ne comptait pas se laisser marcher sur les pieds avec sa commanditaire, mais il ne fallait pas la braquer. Il avait l’impression de marcher sur deux douzaines d’oeufs alors que l’entretien allait débuter. Il avait déjà fait entendre une de ses revendications, il savait très bien qu’il reviendrait à l’assaut dans peu de temps.

Ce fut finalement le fauteuil qu’elle lui désigna. Le pas léger et feutré, il y fut en deux foulées. Son postérieur s’enfonça avec plaisir dans le coussin moelleux, et il posa ses bras sur l’accoudoir, veillant à conserver le dos droit pour lui donner tout autant de prestance. Il connaissait les us et les coutumes de ce monde, son précepteur l’avait suffisamment emmerdé avec ça des années auparavant. Il ne les appliquait que lorsque la situation l’exigeait. En l’occurrence, son instinct lui indiquait que c’était nécessaire.

La première pique fut alors lancée par Andra. La mâchoire un peu plus crispée, il se retint de lui balancer une réplique bien placée et préféra la jouer plus finement. Il allait lui faire cracher plus de cristaux que prévu, le prix des informations venaient de grimper en flèche. Inaros leva la main à hauteur de son visage, abaissant le bas de son tissu pour révéler ses lèvres pleines et rosées. Il était persuadé que Andra ne s’abaisserait jamais à se rendre à la boutique de Ivara. Il n’avait donc aucune crainte d’en révéler un peu trop. De toute façon, même si la noble voyait son visage, elle ne voyait pas le reste, ni même sa chevelure. Impossible qu’elle reconnaisse Ivara sur cette base-là, si jamais elles se croisaient un jour dans le Royaume - mais il était si vaste !.

” - Vouz’y trompez pas. J’suis grand am’teur d’cette boisson. Un peu d’lait, si vouz’avez. Et pas d’sucre. Pour qui m’prenez-vous ?”

Esquissant un faux sourire, Inaros attendit patiemment qu’elle prépare sa tasse. Il se saisit ensuite de la anse et porta à ses lèvres le breuvage chaud en le buvant bien convenablement par rapport à son langage. Le bougre était loin d’être idiot et Andra allait devoir changer sa façon de lui parler si elle voulait toutes les informations. Il repose la tasse sur la table basse et croisa ses jambes l’une sur l’autre. Il attendit quelques secondes, prenant la parole.

” - Après deux s’maines à préparer tout c’qu’il faut, et avoir délié quelques langues. Surtout c’bon tavernier... ”

Inaros rêvassa quelques secondes en se remémorant les moyens qu’il avait utilisé pour faire parler l’homme un peu trop curieux. Il ne lui avait fallu que quelques minutes pour obtenir toutes les informations, nom de la demoiselle à l’origine de la rumeur compris. Les prénoms, Inaros les gardait soigneusement dans un coin de sa tête pour négocier les informations comme il le préférait. Il poursuivit donc son récit en expliquant qu’il s’était préparé pour aller retrouver un homme aux cheveux bleus, aventurier. A ce moment-là, il savait déjà son prénom mais il ne révéla rien à Andra. Il prit soin de lui expliquer son voyage jusqu’à la Forteresse. Là, il était rentré en contact avec le fameux aventurier et lui avait arraché toutes les informations grâce à la boisson. Il préféra évincer l’épisode des bains et sa propre gueule de bois. Ce n’était pas obligatoire, toutes les informations allaient être livrées.

” - V’là donc qu’ce charmant jeune homme m’raconte tout. Rond comm’ une queue d’pelle ! Vouz’avez pas à vous en fair’, c’tait pas un laid’ron.”

Inaros retint un rire et reprit quelques gorgées de thé. Il faisait poireauter la demoiselle, testant chacune de ses limites. Au vu du récit livré, il n’y avait aucun doute que c’était bien le fameux aventurier dont elle cherchait impatiemment l’identité, mais Inaros n’avait toujours donné aucun nom. Avec un sourire, il ajouta.

”-C’tait donc pas prévu c’trajet. Vas falloir avancer un peu plus si vous voulez qu’j’continue et qu’je vous dise son nom.”

Un contrat bleu

Inaros

Inaros avait bien évidemment fait exprès de tourner autour du pot. Les manières de Andra lui rappelaient, par trop de détails, celles de sa mère. Là une mimique, là une réflexion. Sort bienheureux pour la Milan, Inaros ne comptait pas lui trancher aussi la gorge. C’était bien le seul crime qu’il avait commis sans rien demander en retour, geste salvateur qui l’avait libéré d’une lourde partie de son passé… Pour le plonger dans une situation qui, malgré les apparences, était bien plus enviable que les huit premières années de sa vie. Partager le corps de Ivara était bien plus plaisant que vivre sous les réprimandes constantes d’une figure maternelle qui vous hait. C’était là son ressenti après quatre lunes. Rédemption. Le mot d’ordre qui aurait pu l’aider, mais l’esprit de Inaros était encore trop indécis et de nombreux mystères n’avaient de cesse de ressurgir dans sa vie, délivrant une cadence contre laquelle il s’interdisait de courber l’échine. Misère pour la pauvre Ivara, forcée de s’y plier !

Nouveau rictus sur ses chairs rosées. Il leva la tasse jusqu’à ces dernières, le breuvage chaud s’écoulant dans sa gorge lui offrant un plaisir inestimable. Cela faisait bien longtemps qu’il n’avait pas bu le thé dans ces conditions. Chez eux, le thé était toujours bon marché. Loin de ce goût paradisiaque qu’il analysait savamment pendant que la jeune femme blonde face à lui commençait à s’énerver. C’était subtil. Elle ne haussait pas le ton de sa voix, ni ne l’injuriait. C’était son regard qui transmettait son impatience et Inaros avait un peu tiré sur la corde. La petite pique avait fait son effet, mais le mercenaire ne comptait pas en ajouter plus. Il était professionnel et, si jamais la jeune Milan venait à l’engager de nouveau, il fallait tous les deux qu’ils fassent connaître leurs limites à l’autre.

”-J’voulais m’assurer qu’vous aviez bien l’cristaux. Pas b’soin d’monter sur vos grand ch’vaux. J’vous offre une bien savoureuse histoire avant d’vous endormir.”

A partir de ce moment-là, Inaros avait un autre plan en tête. Celui-ci consistait à dissimuler la vérité pour un certain temps. Oh, la vérité serait rétablie sitôt que les cristaux seraient dans sa poche. Inaros était très professionnel et avait des principes. Même si les deux termes pouvaient sembler trop éloigner pour s’appliquer à sa profession, il restait un homme d’honneur. Inaros se pencha, reposant sa tasse presque vide sur la table basse.

”-Ah ! Une merveille pour m’papilles. J’dois vous l’dire ! Trop longtemps qu’j’avais pas eu l’occasion d’boire un tel breuvage. L’est très frais. Un ingrédient d’votre s’cret ?”

C’était une véritable question pour Inaros qui comptait bien utiliser cette recette pour s’abreuver lui-même de cette boisson pendant ses moments de répit. Entre deux missions, rien ne valait une pause thé. Toutefois, il ne se replongea pas dans le fauteuil. Il resta au plus près de Andra Milan, détaillant les traits de son visage avec son regard froid.

”-Kefrith.”

Un mot. Un mensonge inavoué. Il avait été prononcé sans sourciller, le regard planté dans celui de son employeuse. Il se savait bon parleur mais il ne comptait pas repartir d’ici sans lui avoir dit la vérité. En réalité, il ne considérait même pas qu’il mentait puisqu’il allait donner le véritable prénom par la suite. Ce qu’il cherchait était quelque chose de bien plus impactant sur le long terme, pouvoir être engagé plusieurs fois par la jeune noble si elle était satisfaite de son travail. Il croisa ensuite ses bras, attendant la réaction de la blondinette. Cependant, il avait d’autres choses à demander. Là, il entrait dans un sujet encore plus sérieux.

”-’coutez… Vous avez d’gens qui vous en veulent ? D’la famille même ? J’ai peut-être bien une autr’ piste pour vous aider à savoir qui a balancé c’truc. Mais j’ai b’soin d’en savoir plus sur votr’ entourage avant d’vous livrer l’info. Elle est trop bancale.”

Inaros se leva et commença à faire les cent pas. Il poursuivit.

”-J’aurais pu l’faire moi-même, é‘vid’mment. Mais j’voulais votr’ avis là-d’ssus avant de vous dire quoiqu’ce soit. Aussi pour vous prouver qu’j’suis l’un des meilleurs. Vous avez pas engagé n’importe qui. Seulement… J’vais avoir b’soin qu’vous m’décriviez toutes les jeunes femmes d’votre entourag’.”

Un contrat bleu

Inaros

Pour ce qui était du thé, Inaros aurait bien été intéressé par l’adresse et les cristaux n’auraient pas été un problème. C’était son petit péché mignon, un ravissement pour ses papilles qui avaient eu la chance de connaître mille délices au début de sa vie avant de devoir se contenter de choses bien moins délectables. Il se contenta donc de sourire à la demoiselle Milan, ne répondant pas à cette question indirecte et indiscrète.

Désormais debout, il continuait de faire les cent pas en réfléchissant activement à la situation. Il avait attendu plusieurs jours de pouvoir rejoindre son employeuse pour essayer d’éclaircir quelques questions. Il n’avait pas eu la possibilité de pouvoir mener l’enquête sur les membres de sa famille, ni sur ses autres relations qu’elles soient amicales ou acrimonieuses. Il avait donc décidé de jouer cartes sur table avec la blonde, afin d’avoir connaissance de son ressenti sur la situation. Sans grand étonnement, plusieurs personnes pouvaient en vouloir à Andra à cause de son nom de famille. Coinçant son menton entre la deuxième phalange de son index et le bout de son pouce, lnaros plissa ses paupières et ses yeux se posèrent sur un vase posé à proximité, sur un guéridon. Le regard fixe, il réfléchissait à toute vitesse. Qui cela pouvait-il bien être ? Ce n’était pas Andra Milan. Non, jamais elle ne l’aurait engagé si la rumeur était vraie. Elle voulait la démonter, prouver qu’elle était fausse, qui en était l’auteur et l’autre principal protagoniste. Un aventurier aux cheveux bleus, monnaie courante dans ce bas-monde. Il avança d’un pas supplémentaire, puis recula comme incertain de ce qu’il allait faire. Sa bouche s’entrouvrit à plusieurs reprises à mesure qu’il écoutait les révélations de la blondinette.

Une blonde...

Une sœur...

Une sœur ?!

Inaros fit volte-face vers Andra et revint vers le canapé où elle avait pris place. Une lueur nouvelle dans le regard, ses mains suivirent le moindre de ses gestes au fur et à mesure qu’il s’exprimait.

”-Vot’ sœur, Queen, sûre qu’elle p’rrait assez vous en v’loir pour fair’ ça ? C’t’une grave accusation. Bien qu’vos querelles m’concernent pas… Elles paraissent d’venir ma priorité quand j’entends c’que vous racontez. Ainsi, v’lui avez rendu une p’tite visite qu’elle aurait pas apprécié ? Quel genre de visite ? L’genre à propager d’rumeurs sur vous ?”

Inaros se tut pendant quelques instants. L’accusation semblait simple. Cela aurait-il pu vraiment être juste ça ? Par ailleurs, il ne connaissait pas la relation entre les deux sœurs. Elle devait probablement être très houleuse, peut-être suffisamment pour qu’elles cessent de se considérer comme faisant parties de la même fratrie.

Un nom pour seul point commun.

Et une apparence physique.

Inaros tapa du poing dans sa propre paume avant d’extirper un petit morceau de papier de sa poche. Plusieurs phrases étaient gribouillées dessus, mais il n’en avait besoin que d’une seule. Il se souvenait parfaitement des propos de l’aventurier, lorsqu’ils avaient bu ensemble À la belle blonde. Il essaya de se concentrer pour ressortir les mots exacts. Il n’en avait que des brides sur le bout de papier :

« Une description ? Comment dire… Sincèrement une créature de rêve, une peau de porcelaine, de longs cheveux blonds, de grands yeux à tomber par terre. Sincèrement j'ai rarement vu de plus jolie femme. Le seul problème, c'est que c'est une langue de vipère… Elle n'a pas arrêté une seconde ! D'ailleurs, elle était douée avec sa langue autant dans les mots que.. Enfin je vais pas te faire un tableau et je peux te dire qu'elle a été intraitable ! »

Le regard de Inaros fixa celui de Andra et il reprit la parole.

”-Blonde, peau d’porcelaine, d’longs cheveux blonds, d’grands yeux à tomber par terre. C’pourrait être elle ? C’la description qu’l’aventurier m’a fourni d’elle.”

Patiemment, il attendit la réaction de Andra. Peut-être avaient-ils tous les deux une piste très sérieuse.

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Inaros

Inaros ne révélait jamais entièrement l’intégralité des informations qu’il possédait. Après tout, il ne connaissait pas assez son employeur pour lui accorder sa confiance intégrale. Cette Milan avait beau lui avoir assuré qu’il serait payé, voire même davantage que prévu, il préférait toujours avoir un coup d’avance en préparant le terrain.

Préparer le terrain, c’est bien ce qu’il avait fait avant de se rendre ici. Un minimum, pas assez à son goût. Le dernier point de son enquête se trouvait désormais face à lui. Par son expérience personnelle, il se méfiait des familles nobles. Là, il avait carrément envie de les éviter comme la peste. Des deux sœurs, il n’y en avait visiblement pas une pour rattraper l’autre. Inaros pouvait s’en rendre compte grâce aux précisions apportées par la cadette. Elle l’avait transformée en lumios… Et en gamine de six ans… Quelle idée ! Elle était même rentrée chez son aînée sans lui demander son avis. L’ambiance était décidément explosive entre les deux.

Parfait, cela permettait aux hypothèses de Inaros d’être infirmées ou confirmées au fur et à mesure.

Il était temps d’avancer et de montrer qu’il n’était pas qu’un bête mercenaire.

La relation était donc suffisamment mauvaise pour que la dénommée Queen puisse chercher à se venger d’Andra. Cependant, un rictus déforma le bas de son visage lorsque la blonde lui demanda de lui fournir d’autres informations sur l’aventurier. Est-ce qu’il aurait pu participer à la rumeur et en vouloir à Andra ? Inaros était à peu près certain que non. Il avait été persuadé, même très alcoolisé, d’avoir couché avec Andra. Il n’aurait eu aucune raison de faire ébruiter une telle rumeur. Il était tout aussi impliqué par sa dénomination, l’aventurier aux cheveux bleus.

Inaros réfléchissait à toute vitesse. Il savait désormais quelle réponse fournir à Andra.

Il reprit place sur le fauteuil, le regard vif.

“ - Bien. J’ai l’derniers éléments qu’il m’fallait. Merci d’votre coopération, très chère.”

Il avait fait quelques efforts sur sa prononciation, mais il était un peu moqueur. La blondasse n’apprécierait sûrement pas, mais Inaros savait qu’elle avait besoin de ses informations. Il extirpa donc le bout de papier qui contenait les propos que l’aventurier lui avait laissé.

”Extrait si nécessaire:

Il laissa à Andra le temps de lire avant de replier le morceau de papier et de le ranger dans sa poche.

“ - Langue d’vipère. C’son ses mots, à l’aventurier. Vous l’avez toutes l’deux. Aussi piquante et v’nimeuse dans v’mots et v’gestes. L’nom d’l’aventurier c’Red A. Shadowrunner. L’avait l’cheveux bleus et j’peux vous assurer qu’vu s’façon d’me r’luquer, il en a mis d’la donzelles dans son pieu. L’aurait eu aucun intérêt à balancer c’te rumeur. J’suis même pas sûr qu’il la connaisse. J’l’ai r’trouvé dans l’sources chaudes. Fait parti de la Guilde et n’a rien d’particulier… Juste un aventurier.”

Il haussa les épaules et reprit sa respiration avant de poursuivre.

“ - Il m’a confirmé avoir couché avec Andra Milan. L’en était persuadé. J’ai d’cidé d’aller à c’te taverne. Il avait loué une chambre l’temps de… J’en sais rien. L’chambre était louée et l’tavernier m’a indiqué c’tait quelle chambre. J’vais pas vous faire un dessin, l’murs sont fins, on entend tout. J’ai suffis’ment m’né l’enquête pour tomber sur l’erreur d’votre sœur.”

Il extirpa de sa poche autre chose. C’était un morceau de tissu, bien trop délicat pour lui appartenir. Un mouchoir, brodé aux armoiries des Milan.

“ - J’l’ai r’pris à l’femme d’ménage qui l’conservait dans l’espoir d’le vendre. Un mouchoir aux armoiries d’Milan. Pas d’prénom. Puisque vous, Andra Milan, n’pouviez pas avoir été là… Alors… ”

Il laissa Andra récupérer le mouchoir brodé pour qu’elle puisse l’observer dans tous les sens si elle en avait besoin.

“ - C’peut qu’être votre sœur, Queen. J’voulais pas m’fier à l’taille d’poitrine qu’le Red m’a donné quand il m’en a parlé mais… C’pouvait vraiment pas être vous, d’toute évidence.”

Inaros recula son dos jusqu’à ce que celui-ci épouse parfaitement la forme du siège. Poussant un soupir de satisfaction, il souriait pleinement tout en regardant son employeur.

“ - C’donc votr’ soeur qu’a cherché à s’venger d’vous, pour l’raisons qu’vous avez dû évoquer, en couchant avec c’t’aventurier et en s’faisant p’sser pour vous. Vu l’poste de la d’moiselle à la Cour, trésorière c’pas rien, et l’réputation qui l’précède… Elle s’y est bien prise pour pourrir votr’ nom ! Simple vengeance ou intention plus m’chiav’lique encore ? J’le sais pas. Mais vous avez votr’ coupable et moi j’attends mes cristaux.”

Il tendit la main pour accompagner ses paroles. Andra Milan avait désormais la majorité des cartes en main, si ce n’est toutes. Elle avait réussi à gagner la confiance du mercenaire, du moins pour ce contrat.

“ -Sauf si vous avez t’jours b’soin d’mes services. C’la s’entend. Après tout, salir l’réputation d’Milan, c’n’est pas rien. Hein ? Qu’est-ce qui diraient l’parents s’ils apprenaient ça ?”

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Inaros

L’attitude de la noble rappelait à Inaros pourquoi il détestait autant cette caste. Andra Milan se comportait exactement comme sa mère, pour son plus grand déplaisir. Il avait eu une bonne raison de ne pas donner les bonnes informations en premier lieu, il ne faisait confiance à personne et il n’avait sûrement pas récolté tous ces renseignements pour les beaux yeux de la blonde. Plusieurs répliques cinglantes traversèrent son esprit à sa première réflexion, mais il tint bon et préféra la laisser continuer. Elle observait maintenant le mouchoir en tissu et en tira les mêmes conclusions que le mercenaire.
C’était bien sa sœur qui s’était jouée d’elle en usurpant son identité et en couchant avec un aventurier. Les nobles vivaient vraiment dans un autre monde pour être scandalisés par ce genre de rumeurs. Peut-être bien que leur quotidien n'était pas assez mouvementé et qu’ils appréciaient se mettre des bâtons dans les roues mutuellement. Et c’était toujours ces mêmes petits gens qu’ils méprisaient qu’ils appelaient à la rescousse pour retirer ces bâtons. Il devrait se reconvertir et devenir mercenaire royal. À tous les coups, la plus haute aristocratie nageait dans ce genre de problèmes.

Le ton sec de la demoiselle le sortit de ses rêveries. Avait-il dit un mot de travers en mentionnant ses parents ? Après tout, ce n’était pas ses affaires. Elle avait laissé sous-entendre qu’ils n’étaient plus de ce monde, mais Inaros n’était pas censé le savoir. Comme s’il allait se mettre à se renseigner sur la vie des nobles, si prétentieux.

“ - Vos histoires d’famille m’ont j’mais intéressé. V’m’avez payé pour qu’j’retrouv’ c’lui qui s’faisait p’sser pour vous, v’là chose faite.”

Avec un regard noir, la jeune femme s’éclipsa dans une autre pièce, sûrement pour aller chercher son dû. Il se leva, ne comptant pas abuser de l’hospitalité charmante et agréable de la jeune Milan.
La voilà qui revenait avec une bourse pleine. Inaros la laissa approcher et, tandis qu’elle lui tendait la pochette, la fit soudainement tomber et transforma sa propre main en sable puis en lame de verre.

Alors là. Inaros ne s’y était pas attendu. Il ne se changeait pas en sable, il le transformait en verre. Ils auraient pu se livrer à des expériences amusantes si le climat n’avait pas été si froid entre les deux. Il aurait très bien pu la transformer intégralement en verre et regarder si elle aurait pu de nouveau se transformer. Ah. Que de perspectives cocasses qui devaient s’arrêter là, car la main de sable venait de faire quelque chose qui déplaisait beaucoup à Inaros. Il était plutôt déconseillé de menacer ceux qui ont l’habitude de tuer de sang-froid. Qu’elle ne songe pas non plus à le surprendre, il était rodé depuis sa plus tendre enfance.
Esquissant un sourire pour toute réponse, il ne bougea pas d’un pouce. Il n’était pas intimidé par la lame et ne comptait pas lui donner la moindre satisfaction. Il ne se montra pas hostile, il avait bien conscience du caractère menaçant que certaines personnes aimaient afficher. Par précaution, il s’était simplement préparé à dégainer lui-même une arme tranchante “au cas où”.

Ce ne fut pas nécessaire. Elle le menaça juste avec des mots puis rengaina son arme, comme prévu. Il attendit qu’elle s’éloigne de lui pour ramasser ses cristaux. Il poussa un soupir, rangeant sa récompense.

“ - N’vous inquiétez pas, tout l’reste est vrai. J’aime simpl’ment prendr’ m’précautions. Une bonne soirée à vous, très chère Madame Milan.”

Sur ces mots, prononcés sans erreur de langage pour l’agacer davantage, il sortit de chez Andra. Sa mission était accomplie, il allait pouvoir rentrer chez lui et poursuivre ses activités comme il l’entendait.