Remonter la source du sel
Avoir une missive des espions pour te demander d’introduire Sbire à cette soirée surprise, si on pouvais appeler encore surprise une soirée où le plus grand jeu avait été de dire à tout le monde qu’elle aurait lieu et que les invités seraient trier sur le volet, ce qui était faux et pour provoquer l’envie de venir, mais c’est un détail actuellement. Bref, tout cela pour dire que recevoir cette missive avait été un certain soulagement de savoir que tu n’aurais pas affronté cela seule.
Même s’il y a une certaine frustration de ne pas te laisser gérer cela seul. Une frustration assez enfantine pour le coup. Accentuer par le fait de ne pas te souvenir exactement de qui est Sbire. Les note dans ton carnet sont là et indique une personne de confiance et que le rose ne lui va pas, donc c’est sûrement que tu lui as déjà fait un coup dans le dos et qu’il a été bien lors qu’une mission. Quand pour les deux, aucune idée, pratiques-en temps qu’espion ce genre de pouvoir, le pourquoi le faire en continu t’échappe pourtant.
Tu auras le temps d’y penser plus tard. Là tu l’attends devant le portail de téléportation du grand port. Ta mère voulait te mettre un cavalier imposer pour la soirée, possiblement un potentiel fiancé, lui coupé sous le pied en disant que tu avais déjà en stock ce qu’il fallait avait été un plaisir sans fin. Même si sa tête de constipé une fois appris avait été des plus épique. Le portail laisse sortir ton visiteur visiblement. Il ressemble à la description que tu as notée et définitivement s’il devait porter du rose cela ne lui irait pas du tout au teint.
Sans aucune hésitation tu t’approches de lui, un grand sourire aux lèvres, comme lorsqu’on attend une visite des plus heureuse, un peu comme un chiot attendant au pied de son maître pour une caresse aussi. C’est parfaitement ridicule, mais il faut bien jouer le jeu pour si les rumeurs doivent courir. Pour faire accepter un cavalier sans rang social important, c’est très important que la curiosité soit de mise.
— Ho ! Vrenn, ça fait plaisir de te revoir, j’espère que tu as fait bon voyage. Mère a hâte de te rencontrer.
Dans ta missive on t’a dit que tu pouvais utiliser son nom sans problème, alors tu ne t’en prives pas. Quelques regards curieux se posent sur vous avant que chacun reprenne le cours de leur vie sans plus s’en soucier. T’accrochant à son bras comme toute gourde noble amoureuse, tu commences a te mettre en route pour l’embarcation qui vous mènera à bon port, chez ta famille, d’ici trois bonnes heures. Enfin, dans cette position pour parler sans être écouter est plus simple et moins étrange.
— Pour savoir, il te faut un topo à quel point de la situation des gens qui seront sur place et comment agir face à eux ? On est supposé chercher quoi exactement ?
Parce que c’est bien beau, mais n’as aucune idée à quel point il est prêt à cela et tu as un fort doute que le fait de savoir parler comme les bouseux en campagne soit une des raisons de pourquoi il est présent à cette soirée. Puis la missive n’indiquait pas clairement l’objectif de la mission non plus. Si c’était quelque chose que tu ne dois pas savoir tu feras avec, mais si tu pouvais gratter pour l’avoir ce n’était pas forcément un mal non plus.
Trop de boulot.
Trop de boulot, et pas assez de gens fiables pour le faire.
Résultat, j’me retrouve envoyé assister à des soirées mondaines avec de la noblesse qui utilise quatorze fourchettes différentes, parle avec le nez tellement en l’air qu’ils doivent pas voir en-dessous de leur taille, et ont des sapes tellement chargées qu’on pourrait les poser dans l’eau qu’ils marcheraient au fond. Enfin, j’dis ça, mais j’ai jamais vraiment essayé, au final, alors ça s’trouve, j’me goure et ils sont adorables. Y’a sûrement des gens décents parmi eux, après tout.
Peut-être.
Reste que j’suis pas envoyé tout seul, heureusement : y’a Anguille sur place, qu’est une locale, et qui pourra servir à m’introduire dans ce sympathique petit cercle. J’ai demandé à Zahria pourquoi elle avait pas choisi de lui demander d’enquêter directement. La réponse, c’est qu’elle est pas totalement sûre, j’crois, vu qu’elle a pas voulu me dire. Ce qu’elle a dit, par contre, la patronne, c’est que ça me ferait pas de mal d’essayer d’être poli et bien élevé. J’peux pas lui donner tort sur ce point.
Quand j’sors du portail de téléportation, la jeune femme m’attend déjà. Elle doit pas se rappeler grand-chose de notre escapade précédente, et j’vais pas me donner la peine de lui en parler : c’était un ramassis de conneries. Dans tous les cas, j’espère qu’elle sera plus à l’aise au milieu des froufrous que quand il s’agissait de pelleter de la bouse et tondre des moutons. Sinon, on n’a pas les couilles sorties des ronces.
Elle prend mon bras et se blottit contre moi, pour qu’on puisse parler plus tranquillement. Vrai que c’était ça, l’alibi.
« Ouais… Oui, j’ai fait un excellent voyage, grâce aux portails de téléportation. J’ai moi aussi hâte de la rencontrer. Et toi, tout s’est bien passé ? Que j’réponds à voix haute. »
J’ai l’impression de parler à deux à l’heure pour m’exprimer correctement, c’est vachement désagréable.
« J’suis intéressé particulièrement par Ard Isensa, il devrait être invité. »
Merde. Heureusement que j’parlais plus doucement.
« C’est un négociant en artisanat local qui échange les perles de l’archipel contre des produits qui viennent plutôt des Conflans, à l’est. Y’a des peaux, des sculptures décoratives, un peu, mais surtout du pinard. Du vin. L’idée, ça serait d’une prise de contact, et de voir par où on peut aller ensuite. »
On a trouvé son blaze en examinant la liste des potes de la Cabale qu’on a récupéré dans le campement des chevaliers noirs, là où l’autre a canné. C’pour ça que Zah préfère que Xylia en sache pas trop sur ce qu’on cherche, pour s’éviter, justement, de semer trop de traces un peu partout. J’peux comprendre, mais on va commencer à être un peu juste pour tout investiguer correctement, j’suppose. Enfin, ils existent depuis un bail, donc on n’est pas à quelques semaines près.
« Y’a aussi la possibilité d’utiliser des méthodes moins recommandées si y’a besoin, comme on sait pas exactement si on peut trouver ce qu’on cherche, ben… Y’a pas vraiment d’intérêt pour l’instant, quoi. »
Parler correctement, parler correctement.
« Ah, et j’y pense. Tout ceci devrait être inoubliable sur l’instant. Mais les souvenirs, c’est comme tout, au bout d’un moment, avec le temps, tout s’en va. Tu vois ? »
J’dis ça en tapotant mon avant-bras. Mes menottes anti-magie sont fermement attachées à mon poignet gauche, et s’assurent que mon pouvoir fait pas des siennes. Ça me coupe toutes mes autres possibilités aussi, donc j’me sens assez nu, mais c’est jamais que comme à l’époque où j’avais rien que mon oubli et j’m’en sortais très bien. Ça évitera en tout cas que Belle-Maman se rappelle pas de moi entre le plat de résistance et le dessert, ce qui ferait assez mauvais genre, on va pas se mentir.
« Officiellement, je suis Bran Iryani, un noble désargenté qui travaille à la Guilde comme aventurier. Si des recherches sont faites, Ombre a mis quelques leurres pour donner une impression de réalité, ça tiendra les jours nécessaires à l’investigation. Et le statut d’aventurier fauché devrait permettre d’expliquer si j’fais quelques conneries en matière de protocole. »
Et ça, ça va pas louper. J’ai davantage peur d’une situation dont j’connais pas les codes que d’un gévaudan, après tout. J’aime pas jouer sans les règles en tête.
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Le seul moment notable de tremblement dans ton regard c’est quand il indique ses menottes antimagie. Donc son pouvoir est quelque chose de passif pour avoir besoin de cela pour que ça n’attaque pas la mémoire visiblement. Il y a une sorte de soulagement qui prend tout ton être à ce constat. Ce n’est pas une question de non-confiance en toi que les informations de sbire soient si minimes ou retirées, c’est quelque chose de naturel chez lui. C’est rassurant quelque part, même si tu n’arrives pas à imaginer ce que ça signifie pour une personne avec un pouvoir passif de ne plus l’avoir qui agit en continu. Quelque part, même si tu en comprends l’utilité, tu en saisis aussi les inconvénients pour lui.
— Tâchons de rendre utiles ses moments inoubliables, le temps qu’ils seront là. Nous avons une certaine chance que seul père et mère soient là pour nous accompagner à ce repas.
Un bout de rire, un peu jaune pour le coup, il a de quoi qu’il soit jaune. Déjà avoir tes parents avec vous sera bien assez, quelque part ta fratrie aurait fait une belle diversion, mais tous occuper. Personne, mis à part ta mère, n’aime les mondialités chez vous visiblement. Ton père subit plus qu’autre chose par amour. Quel homme stupide !
— Père, aime bien être appeler par son prénom par les invités, ça lui fait croire qu’ils sont amis directement, comme il n’aime pas l’appellation père et grimace à chaque fois devant. Il est assez expressif au niveau du visage, s’il pense du bien ou non d’une personne ça se verra directement sur son visage, mais n’en dira jamais rien. Il se croit discret parce que mère est la seule personne à ne pas comprendre cela.
Quelque part lui faire le topo sur tes parents était aussi pour qu’il sache d’avance dans quoi il allait tomber. Puis, mine de rien, comprendre de comment certaine personne ne réagisse à d’autre pouvait être utile.
— Mère… Grosso modo, il ne faut pas parler de son âge, de ses rides, de ses cheveux blancs ou de moi pour qu’une conversation se passe bien. Assez hautain, croyante en Lucy et une personne qui adore les ragots. Tu lui offres un demi-ragot sur n’importe quoi, même quelque chose de complètement faux, elle étale ce qu’elle peut savoir en ragot qui sera en rapport avec ce que tu as offert. Très utile, mais elle tourne tout très rapidement à elle… et si jamais elle commence à parler de Polycaon change simplement le sujet… Juste, change le sujet…
Parce que te mère est glauque et déprimante avec son déni du décès de ton frère et que Vrenn à autre chose à faire de cette soirée que de servir de psy pour une femme de la haute. Surtout il a mieux à faire que d’être le psy de ta mère tout simplement.
— Le repas va se passer chez le Duc Bantrique, un noble en lien avec la douane maritime. Il a un certain attrait pour les bons jeunes hommes, tu es un peu trop vieux pour ses goûts… Mais il apprécie particulièrement parler monstre marin et se vanter d’en avoir tué, alors qu’il n’a jamais pris la mer. Même lui parler d’un bête requin soûlard le rend euphorique. Tente de commencer par discuter avec lui et il va te présenter à tout le monde de lui-même, beaucoup trop heureux d’avoir trouvé un nouveau pigeon à bassiné avec ses histoires tirées par les cheveux et faire le fier qu’une personne au moins l’écoute.
Il était des plus lourd, mais au moins il n’était absolument pas difficile à contenter. Il était même certain que tu avais un crush interdit sur lui, que tu n’osais exprimer à cause de votre différence d’âge et de ton genre. Un peu perturbant pour discuter, assez mythomane, mais quand très bon pour tisser des liens avec beaucoup de monde de tout genre. L’embarcation pour rejoindre l’île où se trouve ton chez-toi familial et ainsi que la résidence du duc Bantrique est prête à partir dès que vous avez mis un pied dessus. Il y a même un certain empressement qui te ferait presque râler si tu ne savais pas pertinemment que ta mère avait donné ce genre de consigne pour montrer d’une certaine façon que c’était toujours elle qui avait ta vie en main.
Il y a d’ailleurs l’un des domestiques de ta mère qui vous fixe longuement, comme pour juger si oui ou non il allait pouvoir faire un bon rapport à ta génitrice. C’est gênant, même pour toi, tellement qu’il faut que tu tousses légèrement pour qu’il se décale et vaque à d’autres occupations pendant que tu guides Vrenn, enfin Bran, jusqu’à une cabine.
— Votre mère a demandé que la porte reste ouverte, mademoiselle.
— Ancel… Nous n’allons rien faire dans cette cabine…
— Votre mère a demandé d’être tout de même avec la porte ouverte.
— Même si j’ai besoin d’un peu d’intimité dans mon couple ?
— Surtout si vous avez besoin d’intimité.
Mauvais choix de mots, effectivement.
— Toujours un plaisir de te voir aussi loyal à notre famille.
— Il serait bien qu’il en soit de même pour vous mademoiselle.
— Vraiment un immense plaisir…
Le soupir de lassitude sort sans même y réfléchir. C’est toujours la même avec les domestiques à long terme de ta mère, les payer gracieusement aide pas mal visiblement. Tu t’installes sur un empilement de coussins dans la cabine à même le sol et fixes le plafond, alors que le balancement doux de l’eau indique clairement que le trajet se déroule. Chuchotant pour qu’il soit le seul à entendre même avec cette foutue porte ouverte.
— Si tu veux bien t’entendre avec tout le monde, montre que tu as le pouvoir de me faire plier. Je ne t’obéirais qu’à toi seul pour le coup, ça fera les pieds à ma mère et j’ai suffisamment mauvaise réputation pour que ça passe pour un exploit… Oh, ne force pas niveau langage, reste toi-même tout du long, si tu fais un peu pouilleux ils auront la curiosité du riche à ton égard… Tu vas être leurs nouveaux jouets durant cette soirée, bon courage.
Vraiment bon courage, être la bête de foire d’une soirée mondaine était tout sauf agréable, même si cela permet d’avoir les oreilles sur plein de choses.
Moments inoubliables, on s’comprend parfaitement. Ils m’oublieront pas pendant la durée de ma présence sur place, à moins que j’sois forcé de disparaître plusieurs heures, genre si j’merde salement avec ma cible. Et encore, normalement, elle devrait m’effacer bien avant les darons, surtout si on a passé plusieurs jours ensemble au préalable. Ça leur fera juste des trous un peu étranges dans leurs mémoires, ils se diront qu’ils perdent un peu la boule ou quoi, rien de bien méchant, au final…
Enfin, j’avais connu un type que ça a rendu quasiment fou, cela dit. Mais, hé, si ç’avait pas été ça, ç’aurait été autre chose, on va pas se leurrer. J’me racle doucement la gorge.
« Dois-je en déduire que tes frères et sœurs seront absents ? J’espère avoir tout de même l’occasion de faire leur rencontre incessamment sous peu. »
Non, pas du tout.
« Cela dit, je comprendrais bien entendu s’ils s’avéraient être très occupés ailleurs. »
Pas dans mes pattes, loin de moi.
On attire naturellement quelques regards. J’sais pas si c’est pasqu’Anguille est connue dans le coin, et que les gens notent automatiquement les individus avec lesquels elle traîne, surtout de manière aussi… amoureuse ? En tout cas, proche, c’est sûr. L’autre possibilité, c’est que ce soit le couple lui-même qui provoque la curiosité des gens. Pas qu’on soit totalement atypique, on a quand même l’air de faire partie du même milieu –je suis bien sapé, plutôt même mieux que d’habitude-, mais aussi la différence d’âge, j’suppose.
J’pensais pas que j’faisais si vieux, ha.
Enfin, les motivations des connards lambdas resteront encore et toujours insondables, et à la limite, si on attire l’attention ici, ça servira d’autant plus à ma couverture, pour notre mission, surtout si ça parvient aux oreilles des bonnes personnes, comme ça arrive généralement dès lors qu’un modicum de pouvoir s’exerce.
« C’est noté, pour ton père. »
Des comme lui, je vois exactement le genre, ça devrait pas poser de problèmes pour l’amadouer. J’ai quelques cadeaux de circonstance, dans mon sac sans fond, de quoi témoigner et prouver que j’suis des mêmes cercles qu’eux. Une partie, c’est plus ou moins bidon, mais, autant en faux-semblants que le reste, ça devrait tenir au moins les quelques jours de ma présence ici.
« Polycaon ? Qui est-ce, par le plus grand des hasards ? Afin d’être certain de ne pas tomber dans ce sujet par mégarde. Pour le reste, je devrais pouvoir m’en sortir. »
La description sonne assez superficielle. Le genre à avoir été un peu potable dans sa jeunesse et à pas être capable d’assumer que le temps ait passé. P’tet pas assez riche, ou vaine, ou trop religieuse pour aller faire améliorer son apparence. Par contre, le zèle fanatique, clairement, ça va être pète-burnes à supporter… Surtout s’il faut parler mariage, enfants, et toutes les saloperies qui viennent avec. Enfin, tant qu’il s’agit que de faire semblant quelques jours, tout est supportable, j’ai bien bouffé de l’humain, après tout, et personne n’en est mort… Pas nous, en tout cas.
Puis j’mémorise d’un signe de tête ce qu’elle raconte sur le duc. S’il est aussi chiant qu’elle le prétend, à sa place, j’aurais tout fait pour me barrer d’ici au plus vite, donc elle doit respirer le bonheur d’être revenue. J’l’écrirai p’tet dans le rapport pour la patronne, ça. En tout cas, s’il faut juste avoir l’air intéressé et hocher la tête pendant qu’un vieux con parle, c’est parfaitement dans mes cordes, et encore davantage quand il s’agira de le relancer, voire de compléter avec quelques histoires de mon cru…
J’ai pas souvent pris la mer, et c’pas elle qui m’a pris non plus, mais des rapports d’aventuriers qui l’ont fait et qui se sont battus sur frêle esquif, quand j’étais examinateur, j’en ai un paquet entre les pattes, donc j’suis capable de broder de manière superficielle et qui trompera aucunement les professionnels, sur le sujet. Ça devrait visiblement marcher pour Bantrique. C’que j’retiens aussi, c’est que si j’dois lui filer sous le nez, faudra que j’trouve une bonne astuce, mais l’occasion fera le larron.
La traversée est un peu morne. On a du mal à parler, avec le larbin qui nous observe, essaye de lire sur nos lèvres, et tend l’oreille, mais j’pense qu’entre le vent et le bruit des vagues, il est pas prêt d’entendre quoi que ce soit. En tout cas, s’ils s’inquiètent pour la pureté virginale de l’enfant prodigue, ils doivent pas bien se rendre compte que tout le temps où elle était pas chez eux, elle pouvait bien faire ce qu’elle voulait… Nan ?
Enfin, j’suppose que les parents sont toujours un peu aveugles, mais volontairement. J’saurais pas dire, j’ai pas vraiment eu une enfance traditionnelle, hé.
J’chuchote dans ma barbe.
« Donc tu vas filer droit et j’t’envoie chercher les boissons, c’est ça ? »
J’ai un p’tit rire bref. Y’aura p’tet moyen de s’amuser un peu, cette soirée, tiens. Et il va être temps de rentrer un peu dans mon rôle, aussi, j’suppose, et créer du contact et de la bonne volonté avec le petit personnel de la belle-famille. J’me tourne visiblement vers le serviteur, et j’l’interpelle.
« Angel, n’est-ce pas ?
- Ancel, monsieur.
- Ouais, Ancel, pardon. »
Le bon vieux truc d’écorcher le nom des gens qui te sont inférieurs, ça marche toujours.
« Encore combien de temps avant d’arriver ?
- Une bonne demi-heure, je dirais.
- Même avec le bon vent que nous avons ?
- C’est que l’embarcation n’est pas propice à un rythme trop rapide. Le mât a déjà été abîmé récemment par les intempéries, et si j’la pousse trop fort, j’ai peur que la pauvre me casse entre les pattes.
- Hm, je comprends. Beaucoup d’intempéries, en ce moment, sur l’île ?
- C’est la saison, comme Mademoiselle a dû vous le raconter. »
Ahah, ça sonde, évidemment.
« Oui, elle m’a déjà raconté pleins de choses sur sa jeunesse, et sur les gens. J’ai hâte de les rencontrer.
- Eux de même, soyez-en certain.
- Ah mais j’en doute pas une seule seconde. »
Je lui adresse un sourire plein de bonhomie avant de continuer à échanger des conneries sur le climat, les cultures et la pêche, autant de sujets qui me bassinent royalement. Ça me permet d’entrer dans le personnage à peu de frais. Et même si j’me le mets à dos, il se passera rien : ça reste qu’un larbin, qu’a écopé en prime du rôle d’aller chercher la gamine mal vue de la famille. Autant dire que personne viendra me chier dans les bottes si j’chie dans les siennes.
— C’était un de mes frères, elle a du mal à faire son deuil et est certaine qu’il est encore en vie… Même si ça fait un moment elle glisse sur le sujet facilement, malheureusement pour tout le monde.
Pour le coup tu aimerais vraiment l’empêcher d’avoir un laïus infini sur un mort qui ne lui apportera rien de plus. Peut-être des anecdotes sur ton enfance, mais dans le cadre d’une mission tout le monde s’en tamponne de ce genre de chose. Puis, même, qui aime parler de gens morts qu’ils ne connaissent même pas ? Pas beaucoup de monde.
Le laissant ensuite taper la conversation avec Ancel, tu en profites pour te permettre une petite sieste. Ça peut sembler bête, mais la suite des événements risque d’être assez longue et ennuyante pour préférer avoir bien dormi avant et ne pas piquer du nez pendant l’événement en lui-même. Ça ferait un peu tache, surtout pour une mission.
L’arrivée à bonne destination se fait sans embrouille et visiblement Ancel est ravi une personne qui a pris le temps de parler avec lui, même, surtout, pour des sujets bateau et chiant. Tant mieux pour lui. Sans grande surprise c’est ton père qui t’attend à l’entrée petits manoirs familiaux. Oui, petit parce qu’il y a beaucoup plus grand de partout et que ça indique bien aussi le niveau de vie pour des nobles qu’à ta famille, plutôt moyenne. Vraiment pas une famille en haut de la chaîne alimentaire politique.
— Vous êtes enfin là !
— Papa, laisse-moi te présenter Bran Iryani et…
— Vous devriez nommer votre père correctement.
— Oui, mère, bien entendue…
— Ma chérie, je sais que tu es pressée d’y aller, mais laisse là nous présenter notre invité du jour.
— Je n’ai jamais demandé à ce qu’il soit invité.
Vraiment, ta mère, toujours un plaisir de discuter avec elle quand elle est de mauvaise humeur. Visiblement elle grimace à voir la différence d’âge entre Vrenn et toi, les tissus pas assez riches à son gout ou encore le fait qu’il n’ait pas été directement à lui lécher les pieds sans raison. Une enfant.
— Je disais donc, je vous présente Bran Iryani, un noble que j’ai rencontrée et me suis liée pendant mon service et qui travaille à la guilde des aventuriers. Bran, je te présente mes parents Homère et Cybill Mavrocordato.
— Enchanter mon grand, soit la bienvenue chez nous.
— Voilà ! Par Lucy, après certain cette demande de comment notre fille peut-être aussi laxiste, mais tu as vue de comment tu te comportes face à un invité ?
— Mère, vous n’êtes pas un exemple non plus pour le coup.
Ta mère à la décence de rougir avant de visiblement se reprendre et afficher un sourire parfaitement factice et gripper.
— Excusez-moi, je me demande simplement de combien de temps les caprices de ma fille dureront cette fois.
— C’est la première fois que je ramène quelqu’un.
— Oui, je sais bien et visiblement ce n’est tout à fait dans mes attentes.
— C’est certain, qu’est-ce que tu souhaites que je te ramène le prince en même temps, c’est ridicule.
Un soupir las de tes deux parents raisonne parfaitement dans l’air. Vraiment, il avait beau dire que tu avais les yeux plus gros que le ventre à vouloir rentrée dans la garde royale, vouloir la pousser à faire un mariage princier qui n’apporterait rien à la couronne ou la faire devenir médecin de la cour sans aucune formation préalable était bien pire comme envie.
— Enfin… Mère, je suppose qu’on a une tenue à mettre avant d’y aller.
— Oui, parfaitement.
Et sur ses mots ta mère te prend presque d’autorité la main pour t’entraîner à la suite. Après un rapide signe de la main à Vrenn, tu le laisses entre les bonnes mains de ton paternel. Normalement tout devrait bien se passer maintenant.
— Excuse ma femme, elle a un peu de mal à voir nos enfants grandir. Au fait, que fais-tu à la guilde des aventuriers ?
L’homme entama ensuite une discussion assez simple sur les activités de tous les jours, tutoyant son interlocuteur sans aucune honte ou souci. Il lui fit aussi un rapide tour des lieux pour attendre que tu es mit une simple robe dans les tons oranger assez ample. Toujours aussi sec, ta mère vous ramena dans le salon et pressa le pas pour faire route jusqu’au lieu de la soirée. Elle fut un peu plus douce et attentive aux conversations parlant de sujet anodin lors du trajet. Tout du long tu t’accrochas au bras de Vrenn comme pour apprendre à bien savoir le faire correctement et déjà faire bonne figure tout du long. Ce cinéma allait pouvoir servir à quelque chose bientôt.
Les présentations sont folkloriques. Entre la mère qui m’a déjà dans le nez, malgré mon plus charmant sourire, et le père qui donne l’impression de se revoir plus jeune, alors que j’suis considérablement plus beau qu’il l’a probablement jamais été, et j’le suis pas particulièrement, la soirée va s’avérer tout à fait cocasse. Mais c’est aussi pour ça que j’suis là, pour briller, et j’suis jeté dans le petit bassin de la noblesse avec la présence de l’Anguille pour me faire un entraînement de tous les diables, dans une situation finalement pas si pire. En tout cas pour moi, pasque sa famille, on va pas se mentir, j’m’en brosse. P’tet qu’elle aussi, autant, au demeurant, pasque ça respire pas l’amour fou.
Débarassé de la partie féminine du duo, j’me tourne vers beau-papa. J’voudrais bien qu’il arrête de m’appeler mon grand, ça m’rappelle des mauvais souvenirs du mien, de géniteur, en tout cas à l’époque où il se souvenait encore bien de moi, c’qui doit remonter à ma prime jeunesse, avant que mon pouvoir parte plein pot.
« Oui, bien sûr, la Guilde. Ah, je suis plutôt actif dans l’est, et un peu dans la Capitale. Je viens rarement par ici, donc je découvre des paysages. C’est tout à fait somptueux.
- Ah ça ! Le Royaume nous envie le décor dans lequel nous vivons, ça ne fait aucun doute. »
Ah bon ? Je vois juste les vagues, une plage un peu triste, et des barraques un peu moches. Un peu de tout, beaucoup de rien.
« La majesté de l’océan est impressionnante, c’est un peu comme les montagnes, ou l’Arbre Sacré, cette impression d’être minuscule, de n’être rien à côté.
- L’océan est infini, alors qu’on peut venir à bout des montagnes ou de l’Arbre, cela dit.
- Oui, oui, tout à fait. La mer à perte de vue… »
Bon, on va arrêter le concours de bite sur les plus beaux paysages, c’est une perte de temps.
« A la Guilde, je fais un peu de tout. Des missions d’escorte, pour des cargaisons rares, ou précieuses, par exemple. Egalement de la chasse aux monstres, quand ils sont dangereux, et s’en prennent aux habitants, ou aux cultures.
- Ah, vraiment, des monstres, même ?
- Tout à fait.
- Mais tu as déjà dû être blessé, ou en danger de mort ? Demande-t-il en fronçant les sourcils. »
Si ç’avait été la mère, j’aurais suspecté qu’elle regrette que j’sois pas canné, mais le père doit vouloir une belle histoire.
« Ah ça, j’en ai réchappé tout juste plus d’une fois. Par exemple, à un moment, un gévaudan… »
Brave type, que j’songe avec Xyllia collée à mon bras. Pas comme sa connasse de femme, à peu près aussi fardée qu’une pute pour essayer de maintenir un semblant de contrôle sur son apparence, mais qui donne jamais qu’une impression insatiable de vanité déçue par le passage du temps. Heureusement que j’étais à peu près bien sapé de base, pasque l’Anguille a mis une robe assez simple, mais qui aurait donné l’impression que mes fringues habituelles appartiennent à un clochard. J’crois que le plus bizarre, mais personne en parle, c’est que mon âge doit être plus proche du sien que de celui de ma collègue. Qu’importe.
La fête a lieu dans un manoir qui, de l’extérieur en tout cas, a l’air un peu plus classe que lui de la famille Mavro-machin. La grande allée qui y mène, après les portes grillagées, est faite de graviers soigneusement ratissés, et des lampes magiques sont posées à intervalles réguliers pour illuminer un peu tout ça. La pierre des murs a cet air très propre qu’un nettoyage récent doit octroyer, en prévision d’une sauterie importante. Ou alors tout est neuf, j’sais pas trop.
On a parlé de tout et de rien, dans la calèche qui nous a amenés sur les lieux du crime, et j’ai essayé d’amadouer la mère. Pas moyen, elle a décidé de bouder. J’sens que si on reste plusieurs jours comme ça, on risque de vite s’emmerder. En plus, c’est quasiment davantage gênant de voir que le père essaie, lui, de faire bonne figure pour deux, de tourner toutes les phrases acerbes en commentaires sympathiques ou en histoire cocasses. Il ressemble à quelqu’un en train de se noyer, mais qui trouve pas la corde qui lui permettra de remonter sur le bateau.
C’est le Duc Bantrique en personne qui nous accueille. Il a beau porter des vêtements faits sur-mesure, chargés de décorations et de médailles –gagnées où ?-, j’ai surtout l’impression qu’un coup de vent suffirait à le faire tomber par-dessus le bastinguage. Il nous adresse un large sourire, mais ses yeux sont pas touchés, alors qu’il nous évalue. Il attendait trois personnes, et la façon dont la fille est blottie contre mon bras laisse peu de doutes sur notre relation. Il m’évalue avec l’air appréciateur du maquignon, puis passe à autre chose, à savoir un charmant jeune homme qui doit avoir l’âge de l’Anguille, pour lui souffler quelque chose à l’oreille.
Il rougit. Une cochonnerie, donc.
« Mes amis, bienvenue. »
Ils ont tous le droit à une accolade et même une embrassade pour le père, puis il s’incline cérémonieusement devant Xylia pour lui souhaiter la bienvenue en son humble demeure. Ça fait longtemps, blablabla, tu nous as manqués, tralala tsoin tsoin. J’écoute d’une oreille distraite, en regardant tout à la fois le gigolo, l’intérieur, et les réactions des parents. Ils sont ravis. Puis c’est mon tour.
« Bran Iryani, enchangé, Duc Bantrique.
- Oh, appelez-moi Bantri, comme tout le monde. »
Créer de la fausse familiarité.
« Uniquement si vous m’appelez Bran, dans ce cas.
- Mais avec plaisir. Vous êtes, si je puis me permettre ?
- Le fiancé de Xylia.
- Ah, mais je ne savais pas ! Elle est comme de famille, et donc vous aussi, partant de là !
- C’est un brillant aventurier, en plus de son ascendance noble, interjecte le père. »
Je l’embrasserais, si je pouvais. S’il continuait à faire mon travail à ma place, j’pourrais me gaver de petits fours et de cocktails tranquillement.
« Fascinant, il faut vraiment que vous m’en parliez davantage ! Je suis moi-même une forme d’aventurier, je prends souvent la mer. »
La mère ? Non, pas dans ses goûts, apparemment.
« Mais les prochains invités sont déjà là. Nous nous recroiserons sans aucun doute pendant la soirée. »
J’en doute pas une seconde.
Pendant un temps, tu t’inquiètes un peu de comment Sbire vas réagir à tout cela, mais il semble bien le prendre. Il donne vraiment l’impression de ton point de vue d’être imperturbable quelque soit l’interlocuteur et parfaitement à l’aise. Même si c’est con tu ne peux pas t’empêcher d’être envieuse de cela. Avec le temps tu aimerais arriver à être ainsi aussi. C’est peut-être ses expériences, quel qu’elle soit qui lui ont offert cette maîtrise. Peut-être demandé à Ombre un jour.
Pendant le trajet participe autant que possible à la conversation sur des banalités, devenir silencieuse à cause de réflexion stupide sur le monde ne ferait que mettre la puce à l’oreille que quelque chose te tracasse. L’arrivée sur place et revoir le Duc Bantrique est tout sauf agréable. De toute façon tu n’as jamais apprécié les soirées mondaines, pourtant tu souris comme si tu étais heureuse d’être là. Faire bonne figure.
Tout le blabla habituel de l’arrivée est barbant, le seul point qui attire ton attention est le nouveau compagnon, si on peut dire ça, du Duc. Il a l’air plus jeune que le dernier en date, plus fin aussi. Peut-être qu’il veut se faire croire avec une stature imposante et plus il les prend frêle, plus ça semble être lui la personne forte dans la relation. Ou alors, comme l’autre, il est aussi là pour plaire aux femmes ou compagne des personnes qu’il souhaite approcher pour finir sa nuit. Possible.
Il y a un soufflement de nez de ta mère quand ton père présente la fonction d’aventurier et noble de ton fiancé du moment. Il a su accrocher correctement ton père visiblement, bonne chose à savoir pour quand tu auras vraiment une personne à leur présente, mais ce n’est pas le sujet du jour. Ta mère se penche à ton oreille et te souffle pour que toi seul puisses entendre.
— Il n’est pas si mal… Tente simplement qu’il ne se fasse pas dévorer par le Duc, il est plus intéressant que toi sur beaucoup de points. Donc, pour le prochain à te présenter je sais que nous pouvons choisir dans les grabataires, ça laisse plus de choix.
Une pique gratuite, bien entendue.
— Merci, amusez-vous bien mère, vous aussi.
— J’y compte bien. Homère, laissons-les s’amuser.
— Tu es certaine ?
— Mais oui, mais oui… ça ne tiendra pas de toute façon.
— Cybill…
— C’est mon prénom, maintenant j’aimerais bien à boire. Pas toi ?
— Si ma chérie.
Et les voilà reparties dans une de leur miellerie étrange de couple, vous laissant sans chaperon pour le reste de la soirée. Visiblement ta mère compte sur le Duc pour avoir ce rôle plus tard ou tout simplement tout curieux du coin. Il n’y a pas mal de regard curieux sur vous deux, enfin, plus sur Vreen pour le coup. Une nouvelle attraction pour la soirée.
Te collant un peu plus à ton partenaire tu soupires et tournes le regard vers lui. D’un point de vue extérieur vraiment tout donne l’air d’une midinette soulager que ses parents la laissent avec son prétendant.
— Est-ce que je suis supposé m’approcher de quelqu’un en particulier ou je dois te laisser faire en récoltant les rumeurs comme d’habitude ?
Parce que, même si tu sers de couverture, ça reste avant tout une mission pour Sbire. C’est lui qui a tous les noms, toutes les directives et donc il te semble logique qu’il donne les instructions sur quoi faire. Même si c’est frustrant pour ton amour propre qui voudrait prouver sa valeur. Mais bon, tu as appris à bouffer ta frustration à toutes les sauces, donc c’est pas trop le souci pour le moment. En parlant de sauce, tu le mènes jusqu’au buffet et lui donnes une assiette que tu as prés remplis de divers produit. Elle est correctement garnie, mais sans excès.
— Tiens, c’est le minimum poli à prendre au repas pour ne pas insulter la cuisine ici. C’est aussi la quantité maximum à mettre en une fois dans une assiette pour ne pas passer pour un pique-assiette venu simplement pour manger… Même si c’est le cas de la moitié de la salle, enfin.
Et sur ses mots tu te servis toi-même le même type d’assiette et pris un verre de jus de pomme sur la table.
Voilà qu’on est enfin débarrassé des vieux de l’Anguille. Pas qu’ils sont pas sympathiques, enfin, pour le père, la mère est imbitable après tout, mais ils sont pas vraiment intéressants, quoi. J’peux comprendre que Xylia ait pété un câble et décidé de fuir dans les bras accueillants et plein d’amour de la Garde, loin de la perspective de se faire marier en échange d’un troupeau de moutons, d’un bâteau tout neuf, et la promesse de pondre neuf chiards à la chaîne avant d’avoir trente piges et l’air d’en avoir soixante. C’était pourtant un beau destin. Nan ? Nan.
En tout cas, la petite soirée avec tous les gens importants de l’île bat son plein. Ça discute, parfois avec animation, parfois avec secret, avec des regards autour de soi pour être certain que personne vienne espionner les conversations secrètes, p’tet des cancans ou des négociations commerciales, et quelques éventails sont même ouverts à la mode de la Capitale pour cacher les bouches, des fois que certains sachent lire sur les lèvres.
Ça fait vraiment petit monde des soirées mondaines, un peu comme quand j’étais forcé de faire le grouillot aux grands événements de la Guilde, genre amener du monde et servir de p’tite main si nécessaire. D’ailleurs, c’était plus souvent être un larbin que discuter autour du buffer, maintenant que j’y repense. Faut que je me surveille, un peu plus et j’vais ramasser un plateau pour aider les collègues.
Y’a évidemment pleins de regards sur nous, et j’suppose qu’on est la cause de pas mal des discussions chuchotées qui se calment mystérieusement dès qu’on passe à proximité, avant de reprendre dès qu’on s’éloigne de quelques pas. Pour peu qu’elle soit excentrique, j’suppose que ça doit faire leurs gorges chaudes qu’elle ait ramené quelqu’un, et ils doivent se demander ce que j’ai, moi, pour lui avoir tapé dans l’œil, au-delà d’être bien plus vieux. Enfin, bien plus vieux… ça va, j’suis pas grabataire non plus, merde.
« Nan, pour le moment, on va rester ensemble. Ça serait bizarre, qu’on se sépare aussi vite, alors que j’connais personne. Probablement plus tard dans la soirée, j’dirais. T’as moyen de nous rapprocher du cercle de connaissances d’Isensa ? Pas lui directement, encore que si l’occasion s’présente, j’serais pas contre le jauger, mais… »
J’adresse un large sourire à deux inconnus qui nous matent alors qu’on se chuchote à l’oreille. Hé, ça va, soyez pas jaloux.
« … Puis ça permettrait de dessiner un peu ce qu’il fout, et de faciliter la conversation qu’on aura ensuite, j’pense. »
J’la laisse se servir une assiette, pas trop, mais de quoi donner l’impression qu’on touche à tout. J’suis surpris quand elle me la tend, puis j’me rappelle qu’elle est censée être ma bonniche pour montrer que j’la tiens d’une poigne de fer, ce qui fera immensément plaisir à ses vieux, qui ont eux jamais réussi. P’tet que s’ils lui avaient parlé normalement, ça se serait mieux passé, j’sais pas, hein ? Plutôt que, justement, comme au petit personnel. P’tet même moins bien qu’à eux, au demeurant.
« Merci, mon chou »
J’dis ça un peu plus fort que le reste de nos paroles, histoire qu’une partie de nos voisins au moins entendent. Puis j’reprends à voix basse.
« Si c’est bon, j’peux me resservir, ou ça se fait pas trop ? Genre qu’une fois, ou plusieurs, discrètement ? »
C’est que ça a l’air appétissant. Y’a des p’tits toasts à la mousse de poisson, des blinis aux œufs de poiscaille, une verrine avec de la crevette et de l’avocat, bref, pleins de bouchées. Pour une fois que j’infiltre la haute, j’compte certainement pas repartir le ventre vide. Et si Anguille prend un jus de pomme, j’me prive pas de prendre un verre de champagne. Il sera toujours temps de taper dans les alcools forts plus tard, genre le rhum qui est parsemé élégamment un peu partout, ou autre chose, si on en arrive là, ce qui me déplairait pas forcément. Ça serait p’tet juste un peu gênant pour le boulot, quoi.
« Bonsoir, Xylia. Et ton ami ?
- Fiancé. Bran Iryani, enchanté. A qui ai-je l’honneur ?
- Pardon, j’en oublie la plus élémentaire des politesses. Je suis Mattéo Alighieri, je travaille dans le commerce de spiritueux… »
La picole.
« … et de bijoux locaux, également. »
C’est pas exactement le périmètre d’Isensa, ça ? C’est p’tet un partenaire commercial, ou un rival. Dans tous les cas, il y a quelque chose à en tirer, j’en suis sûr. J’entame donc gentiment la conversation, les présentations, dans quoi il trempe, qui il connaît bien de la soirée, bref, toutes les conneries de rencontre habituelles…
Quoi qu’il en soit, ton rire fait croire aux gens autour à une certaine complicité entre vous deux, même si c’était faux. Enfin, est-ce que c’est si faux que cela que le courant passe bien ? Enfin, il te semble. Peut-être. Il y a de forte chance aussi que Sbire te voit simplement comme un bon outil de boulot et si c’est ça il est important de ne pas le décevoir là-dessus. Le décevoir ça serait décevoir Ombre aussi, n’est-ce pas ? Tu te prends trop la tête, fais simplement ton boulot.
— Sert toi autant et quand tu le souhaites, juste vraiment, pas plus que ce que je viens de te mettre dans l’assiette là. Tu es un homme, tes services aux buffets sont moins réglementés que les miens, profite autant que possible. Comme pour les boissons, le seul truc à faire attention est de ne prendre qu’un verre à la fois, sauf si on te voit bien donner le deuxième verre à une autre personne, mais bon, ça semble assez basique ça.
Basique, mais tu le redis tout de même parce que mine de rien certain noble avait pu oublier ce genre de chose et s’enfiler beaucoup trop de verre, à vouloir en prendre quatre pour plus tard, pour eux. Comme s’il n’y avait pas un service à volonté, pathétique, mais ce n’est pas le sujet.
Ton regard se fait d’ailleurs sur sa boisson et quelque part il y a une part d’admiration à le voir prendre de l’alcool directement. Il te manque clairement pas mal d’expérience avec les spiritueux pour te permettre d’en prendre en mission et de sûr de tes capacités. Trop jeune encore. Plus tard tu pourras faire comme lui sûrement. En tout cas tu le souhaites, ça serait assez triste sinon, parce que boire à certaines missions serait obligatoire pour garder sa couverture.
Tu l’écoutes religieusement t’expliquer ce qu’il souhaite que tu fasses, un sourire aux lèvres, vraiment, de l’extérieur tu as l’air de la première niaise du panier qui glousse pour son compagnon à la moindre phrase pas drôle juste pour flatter son ego. On vient à votre rencontre et visiblement les Astres sont avec vous, directement une personne en lien avec la personne que vous souhaitez approcher.
Nous allons vous épargner la discussion remplie d’histoire de spiritueux avec le bon goût et de bijoux joliment portés sans vêtement. Quelque rougeur de gêne sur tes joues à cette histoire, encore trop de pudeur de ta part par rapport à cela, encore quelque chose qu’il faudra que tu travailles aussi. Sbire semble bien plus à l’aise que toi dans la discussion et cela te fait un peu gonflé les joues de frustration de ne pas être ainsi aussi. C’est bien, on dirait une enfant qui boude parce qu’elle gêné par rapport à des blagues de cul un peu trop osé pour elle. Ça fait le taf.
— Et donc, vraiment, l’argent à même la peau avec quelque saphir bien taillé vous irait à merveille. Est-ce qu’on a vraiment besoin d’autre chose pour faire plaisir à son partenaire ?
Est-ce qu’on a vraiment besoin de glisser sur ce sujet ? Vraiment ? Il te semble que cela amuse Sbire, toi tu as juste envie de faire avaler ses pierres précieuses à ce Mattéo.
— Oh, je n’en doute pas.
— Tu avais toujours eu l’air si coincé sur le sujet, ça fait plaisir de te voir grandir.
— Merci. Mais plus que des saphirs, je serais plus sur des perles pour allier avec mon teint de peau.
Il y a une pause dans les mouvements de Mattéo, un regard un peu plus insistant sur toi comme pour évaluer ce que ça donnerait ou autre chose. Il boit une gorgée de son alcool et hoche la tête avec approbation.
— Oui, effectivement, ça passerait mieux. J’étais parti sur le bleu avec les couleurs de ta famille, mais une touche de nacre ressortira bien mieux, peut-être même avec de l’or du coup. Il faudrait voir directement voir avec un expert de cela.
— Dommage qu’on n’est pas cela sous la main du coup.
— Mais si ! On a ! Tu n’as jamais rencontré Isensa ?
— Non, pas encore eu cette chance, mais ça sera un plaisir pour nous de le rencontrer du coup.
— Suivez-moi du coup. Ça fait vraiment plaisir de te voir plus docile.
Ronge ton frein, souris plus fort comme si tout allait bien, contente-toi d’avancer en te collant à Sbire comme une nunuche. Ce mec est un con, mais il t’offre ce dont vous avez besoin. Tu tournes d’ailleurs la tête vers ton faux fiancer et forces un peu plus le sourire.
— J’espère que tu apprécieras autant qu’il semble le dire ce genre de bijoux sur moi.
Continuer de jouer la cruche. C’est bien. Ronge cette fierté qui te fait trop souvent faire des erreurs, tu auras le temps de t’énerver comme une enfant plus tard.
Chaque strate de la société a ses règles. Si les nobles font précieux et ont des codes aussi élaborés que la parade nuptiale de je sais pas quel piaf des archipels, ils ont en tout cas élevé tout ça au rang d’art. Evidemment, c’est juste pour se différencier des roturiers, pouvoir dire qu’ils sont distingués, raffinés, supérieurs. Mais au final, si les nanas ont pas le droit de bouffer pour garder une taille de guêpe dans leurs corsages horriblement serrés –pas que la vue me déplaise, évidemment-, et pas donner l’impression que leur mari oublie de les nourrir vu qu’il est au bistrot, bon, ça reste grosso merdo les mêmes règles que chez les pauvres : nous non plus, on est pas censé se jeter sur la bouffe comme la misère sur le pauvre monde, et donner l’impression que c’est délicieux tout en en laissant derrière.
Et, bien sûr, on va pas se cuiter chez les inconnus. Enfin, ça, ça dépend vachement des ambiances.
En tout cas, ça doit pas être bien marrant de se retrouver chez ces gens. Sous leurs dehors de nobles, ils sont finalement assez vulgaires, genre celui avec ses pierres précieuses, là. J’sais pas trop, p’tet qu’il voulait la sauter, étant plus jeune, mais qu’il a pris un râteau. J’prends l’air intéressé et un sourire charmant, alors qu’intérieurement, j’me dis qu’une seule chose : c’est un gros beauf, putain.
Enfin, j’me dis aussi que ça doit salement le démanger là-dessous, et que p’tet que la madame que papa et maman lui ont choisi fait pas bien son travail. Si elle fait un mètre douze pour cent vingt kilos, remarque, on peut difficilement lui en vouloir.
Passer à l’idée des perles plutôt que les saphirs, par contre, c’était vraiment bon plan. Dans mon rôle, j’la mate de haut en bas et de bas en haut en envisageant la perlouze. Ouais, vraiment, ça devrait rendre pas mal, le contraste. Et, surtout, ça donne une ouverture pour se rapprocher d’Isensa. D’ailleurs, Brutus s’empresse de rebondir, pour aller nous présenter. Sourire satisfait.
« Oui, je suis sûr que des perles rendront parfaitement. Pour peu qu’il n’y ait pas grand-chose autour. »
J’me fonds dans l’ambiance, vulgaire comme les copains. Merde, si j’avais su que c’était ça, la noblesse, j’aurais moins appréhendé de me planquer parmi eux. C’est quasiment pire qu’au bordel, après tout. Au moins, là-bas, on se la raconte pas, les choses sont comme elles sont, et c’est pas plus mal. Enfin, j’suppose que c’est la condition humaine, et qu’il faut bien que le vice sorte par quelque part. J’demanderai, quand même, à l’occaz, s’ils sont aussi dégénérés à la Capitale, là où ça brasse du monde, ou si c’est spécifique des bleds du fin fond du Royaume, genre l’Archipel, des coins paumés dans les Conflans ou les montagnes, enfin, ce genre là, quoi…
Mais v’là qu’on arrive devant Isensa. Il est pas bien large, un peu plus grand que moi, mais ça se voit pas des masses, vu qu’il se tient un peu voûté. La paire de lunettes sur son nez a tendance à un peu cacher ses yeux, quand les reflets s’y foutent, et j’aime pas trop ça. Gros pif, d’ailleurs, un vrai bec d’aigle. Cela dit, il a un sourire sympathique et accueillant, et m’tend la main avec bonne humeur.
« Enchangé, Sieur Iryani. Mattéo m’a dit que vous cherchiez des perles ?
- Oui, cela pourrait faire un cadeau… savoureux pour Xylia. »
Ses yeux s’étrécissent et il jette un regard à son pote. Tiens, on serait sur quelque chose d’un peu plus distingué que l’autre ?
« Du coup, j’aurais des questions sur leur provenance. Je viens des Conflans, et nous en avons aussi un petit peu, sur la côte est, vous comprenez.
- Hm, oui, je comprends. Voyez-vous, les courants plus froids à l’est… »
Je hoche la tête, j’interjecte quelques éléments. Faut dire, comme j’y connais que dalle, j’prends vite le rôle de l’élève, alors qu’il explique que les mollusques font des trucs et des bidules, et que globalement, l’Archipel, c’est vachement mieux : plus rond, plus brillant, plus gros… plus cher. Mais attention, il y a un réel savoir-faire, derrière tout ça !
« Enfin, vous comprendrez donc que le prix, surtout pour ce que vous semblez envisager, ne sera pas anodin. Je ne sais pas si vous pourrez… ? »
Ah, le pognon. C’est qu’il va pas se fouler pour un sale pauvre, hein ?
« Oui, pardon, je ne me suis pas présenté, nous avons tout de suite démarré sur les perles. Bran Iryani, donc. Vous pouvez m’appeler Bran, bien sûr. Je suis issu d’un famille noble des Conflans, donc. Nous avons un manoir à côté de Vladitorok. Et, ma foi, quand je n’aide pas mon père à gérer les relations commerciales, je m’aventure du côté de la Guilde des Aventuriers.
- La Guilde ? »
J’vois plus ses yeux, ça m’gonfle.
« Oui. Certaines missions sont très profitables et hors de portée du commun des aventuriers. Il faut alors un noble pour ouvrir les bonnes portes, ou un combattant aguerri pour les abattre.
- Je comprends. Et au niveau du commerce… ? »
Ouais, c’est clairement ça qui l’intéresse. Heureusement qu’on avait bossé la couverture, tiens. Donc j’repars tranquillement sur le pinard, les contacts de la Capitale, les gros négociants avec lesquels on commerce. Tout ça, évidemment, c’est des cracks, mais le temps qu’il s’en rende compte, il m’aura oublié. On s’découvre même quelques connaissances communes, c’est fou, hahaha.
Bien sûr.
Puis la conversation commence à tourner en rond, et on trouve tous subtilement une affaire pressante qui nous attend. Anguille au bras, j’me tourne vers le buffet. C’est que c’était bon, et que j’ai pas fini de bouffer, moi…
« T’en as pensé quoi ? Que j’demande. Comme tu parlais pas, t’as dû pouvoir observer pas mal. »
Toujours bon à prendre, le point de vue de quelqu’un d’autre. Pour moi, Isensa est clairement pas dans un milieu qu’il apprécie, mais ça fait partie de toute la base de sa vie : les gens qu’il connaît, dont il tire sa fortune, mais il les regarde mal. Faut dire, vu les bestiaux…
Tout cela pour dire en résumé que tu te fais cruellement chier à côté de ton faux fiancé. Pas sa faute, même pas la faute au sujet, juste faire plante verte c’est un rôle assez chiant à bien y réfléchir. Même si cela donne plus la place pour l’observation et l’écoute, ça ne rend pas la chose passionnante pour autant. Au moins là tu es avec un collègue, pas comme au dernier Solstice d’hiver où tu as dû subir ce genre de moment avec uniquement ta famille. Après, tu le savais d’avance que l’espionnage ce n’est pas non plus la branche le plus combat de la garde, normalement. Au moins ça donne un but à tes soirées mondaines.
— Ce que j’en pense ? Tu ne lui as pas tapé dans l’œil pour finir dans son lit, mais il avait l’air assez chaud sur la fin pour faire affaire avec toi, mais plus tard, une fois qu’il sera sûr que tu auras de l’argent.
Ce qui aura été parfait si cela avait été votre but en soi.
— Il a été tendu sur le début de la conversation, ce n’était pas beaucoup, mais tu sens qu’il se tient près pour quelque chose et voix tout le monde comme quelque chose qui peut potentiellement lui sauter au visage. Il avait beaucoup de regards qui se perdaient dans le fond de la salle, comme s’il cherchait quelqu’un ou quelque chose du regard pour se rassurer parfois.
Tu aurais bien voulu te retourner pour regarder ce que c’était, le souci c’est que ça aura été tout sauf discret. Même avec un éternuement poli ça serait mal passer et tu aurais simplement attiré l’attention sur toi, tes gestes et même ton regard. Il y a encore une hésitation due à ton manque d’expérience qui se fait ressentir.
— D’ailleurs, sur la fin, quand il a commencé à parler plus vite et qu’il a eu un client important qu’il devait saluer, son regard s’est un peu affolé comme si ce qu’il cherchait n’était plus en vue. Il y a peut-être un plus gros poisson que lui ici. Ou un appât qui le tente bien.
Que cela soit l’un ou l’autre, il semblait avoir tout de même assez de retenue ou l’habitude pour ne pas se cramer directement par ses mots et n’avoir que ton regard et la tension du corps qui parlait vraiment pour lui. Et encore, même cela pouvait facilement être vu comme des moments de penser dans son récit pour appuyer ou se souvenir de certains détails. Du coin de l’œil, par contre, tu vois parfaitement ce cher Isensa partir en direction des toilettes en compagnie d’une personne, mais impossible de vraiment en dire le genre à cette distance.
— Tu n’as pas une envie pressante par le plus grand des hasards là tout de suite, n’est-ce pas ?
Tout en disant cela, tu le fais dériver toi aussi vers la direction des toilettes. Tu vois parfaitement le visage choqué de ta mère en arrière-plan dans ton esprit si jamais elle vous voit aller ensemble dans cette direction. Comme si elle n’en avait pas de même avec ton père dans ces jeunes années. C’est fou comme ça devient prude les parents en devenant eux-mêmes parent.
— J’ai des envies de folie ce soir chéri.
Un gloussement sur votre droite et visiblement il y a un groupe de pintade qui a de quoi se mettre sous la dent pour les vingt prochaines minutes au moins en ragot sur tout ce qui sera possible dans les toilettes. C’est le chemin vers la débauche visiblement. Qu’est-ce qu’il ne fallait pas entendre tout de même ? C’est beau comme les fantasmes font oublier l’odeur.
Son analyse est pas déconnante, j’l’ai senti distrait aussi. J’me demandais si son patron traînait quelque part derrière, ou son plan cul, enfin bref, quelqu’un de plus intéressant qu’un connard lambda tout juste débarqué du continent et qui essaie de tisser des liens avec un peu tout ce qui bouge après avoir choppé la nana d’un local. Le plus dur, dans tout ça, c’était de continuer à avoir l’air intéressé et de poser des questions obliques pour tenter d’avoir des informations supplémentaires.
Mais si y’a bien un truc pour lequel les nobliaux et les marchands, ce qui est plus ou moins la même chose, sont vraiment forts, c’est bien de causer pour ne rien dire. Donc à part des réponses un peu vagues, j’sais pas grand-chose. Faut dire, j’ai répondu de la même manière à chaque fois aussi, ce qui fait qu’à défaut d’en savoir davantage l’un sur l’autre, on s’est tous les deux marqués comme des gens méfiants, intéressés par l’argent, et donc de confiance, tant qu’on garde l’avidité comme principe fondateur.
Enfin, j’crois. J’demanderai son avis à l’Anguille à la fin, vu qu’elle maîtrise bien mieux que moi cet environnement. Moi, si j’suis un peu brut, ça ira avec ma couverture de noble aventurier, après tout. Le côté rugueux, tout ça.
Au bout d’un moment, Isensa se fait la malle, et Xylia propose de le suivre aux chiottes. Bon, j’avoue, c’est un peu limite, surtout d’y aller à deux. Mais, d’un autre côté, ça devrait ouvrir d’autres possibilités, et les gloussements qui s’élèvent derrière nous après son commentaire sont assez sans équivoque.
En tout cas, y’a une forte odeur de parfum quand on entre aux commodités. Probablement pour masquer les effluves indésirables et éviter de donner l’impression que, contrairement à la croyance populaire, les nobles chient comme les prolos. Dès qu’on passe la porte, j’note quelques diamants de poudre blanche à côté du lavabo, et le bruit de l’eau qui coule. Bon, j’suppose que ça a vocation à cacher d’autres bruits.
On avise une cabine vide, et on s’y engouffre avant que quelqu’un débarque et nous voit collés l’un à l’autre. J’pense qu’on aura pas bien longtemps avant que la maréchaussée débarque, de toute façon, histoire qu’on n’abîme pas la marchandise avant de l’avoir achetée au meilleur prix. Y’a rien de plus énervant, après tout, que se faire péter ce qu’on essaie de vendre, et que le type s’en aille l’air de rien, les mains dans les poches.
On a oublié de verrouiller la porte, pour se ménager une sortie plus rapide, alors quand elle commence à s’entrouvrir, j’plaque ma main sur le haut de la cuisse de ma collègue, sous la robe, et j’repousse brusquement le battant avec un juron. Voilà qui devrait occuper les commères quelques temps, vu comme ils auront probablement tout vu. Je hausse un sourcil et les épaules en direction de l’Anguille, avant de passer à autre chose.
D’une cabine proche, on entend deux voix rauques qui chuchotent. Isensa ? P’tet. J’arrive pas à entendre exactement ce qu’ils disent, en plus, avec les angles. J’pose un doigt devant ma bouche, et j’deviens invisible, après avoir sorti mon dumctopus de bain. Puis j’tends la main par-dessus la séparation, et j’prends aussi une image avec mon cadre magique, pour faire bonne mesure. J’espère qu’il entend mieux, en tout cas. Puis, au pire, ça fera toujours de quoi le faire chanter, ou le mettre sous pression, pasque c’est pas trop bonne-ambiance-les-valeurs-de-l’accueil, d’aller se faire défoncer sur la cuvette d’un chiotte.
Au bout de deux minutes, j’me dis qu’on retirera plus rien d’intéressant, et que ça commence à craindre. J’redeviens visible, et Xylia m’adresse un regard d’avertissement. L’a raison. Sans ouvrir la porte, j’me téléporte de l’autre côté, au niveau des lavabos, et j’m’allume une clope que j’avais roulée au préalable. Cinq secondes plus tard, la porte s’ouvre brusquement sur belle-maman et beau-papa, et la vieille a l’air prête à en découdre. Elle est interdite de m’voir là, en train d’attendre.
« Où est ma fille ? Qu’elle demande, impérieuse.
- Dans la cabine. Elle ne se sentait pas bien. »
Après un bruit de chasse d’eau, l’Anguille sort en essuyant une saleté imaginaire au coin de sa bouche, et en remettant sa robe d’aplomb. Derrière, le père me regarde d’un air surpris, baisse les yeux, puis fronce les sourcils. Inconsciemment, j’vérifie que ma ceinture est bien boutonnée. Ouais. Hé, il se serait quand même pas dit que… ? Probablement que si.
« Nous rentrons, fait sèchement belle-maman. »
En bon ordre, on se dirige vers la sortie, en adressant de simples hochements de tête à tout le monde. J’peux pas empêcher un léger sourire en coin, un brin goguenard, d’apparaître sur mon visage, c’est vraiment la touche finale nécessaire pour convaincre tous les connards de la soirée. Avec Xylia à mon bras, j’en profite pour lui souffler :
« C’est bien qu’on rentre tôt. J’voulais qu’on aille fouiller chez Isensa, voir s’il y a des trucs intéressants. »
C’est qu’on va pas se limite à faire du social, hein ? Faut bien que j’justifie ma paie.
Par contre, tu te serais bien passé de l’intervention de ta mère pour savoir où tu étais. C’est fou comme elle semble oublier que tu es adulte et que tu peux faire des choses par toi-même. C’est encore plus fou de se dire qu’à ton âge elle défrayait bien plus la chronique que toi en ce moment avec ces propres frasques. Le mariage et la maternité avaient, semblerait-il, effacer tout cela. Le deuil aussi, encore plus que ce n’était avant. Enfin, ce n’est pas le sujet. Si cela arrange Sbire, cela t’arrange aussi du coup de rentrer plus tôt.
Suivant le pas plus qu’agacer de ta génitrice tu souris à Vrenn à l’écoute de ces mots. Cela te procure un frisson d’excitation. Le terrain est bien plus amusant que de faire la discussion avec des nobles pompeux ou pervers, voir les deux en même temps. Si ça ne tenait qu’à toi, tu l’aurais embarqué directement pour faire cela sans passé par la case diner mondain, mais ce n’est pas ce qui est demandé, bien entendu, sinon ce n’est absolument pas amusant.
– Évite de prendre une tasse de tisane, sinon ça sera plus au lit que balade en plein air pour ce soir.
C’est pas obligatoire, mais connaissant ta mère et pour être certain d’avoir la paix pour la nuit, drogué un peu l’infusion familiale avant de les envoyer dormir pour ne pas qu’ils puissent avoir l’envie en pleine de nuits de vérifié que chacun dort bien dans sa chambre ne serait pas plus mal. Autant tu peux facilement faire taire le personnel mine de rien, autant si ta mère agis par elle-même là c’est plus compliqué.
Ça ne manque pas, ta mère veut, effectivement, vous mettre à la tisane et au lit comme des enfants. Une manière à elle d’asseoir une autorité qu’elle n’a pas sur ton fiancé fictif. Ton père soupire, mais se plis au désir de sa femme, ce n’est qu’une infusion. Que tu corses un peu en te proposant pour aider à le faire. Te montrer comme une demoiselle docile fait grogner ta mère un peu plus, mais soyons clair, elle ne sera jamais contente ce soir de toute manière, pas à cause de toi en tout cas.
Les tasses sont rapidement terminées et on donne un valet la mission de montrer sa chambre à Vrenn, visiblement ta mère souhaite que vous soyez dans les chambres les plus éloignées possible. Ça frôle le ridicule à ce point là, mais tu laisses faire, d’ici une demi-heure ça ne sera plus un souci. Tu profites de ce temps-là pour enlever cette robe bien trop contraignante et troque pour une tenue plus confortable, pratique et discrète. Une fois des couvertures installées pour donner l’illusion d’un corps dans le lit, par précaution, tu finis par éteindre la lumière dans ta chambre et sort de celle-ci sans un bruit.
Sans rencontrer personne, tu vas jusqu’à la chambre de Vrenn ou tu rentres sans même te donner la peine de frapper, la courtoisie là tout de suite tu te doutes bien qu’il s’en branle certainement pas mal. Au moins, l’avantage, c’est que sa chambre à la fenêtre où il est le plus simple de sortir pour aller aux écuries. Emprunter un cheval pour faire l’aller-retour ne sera pas un mal, pour ce qui est du palefrenier tu sais de source sur qu’il joue aux cartes dans la cuisine, comme tous les soirs avec une soirée mondaine et où tes parents y vont, en fait.
– Je te montre le chemin pour m’amuser un peu.
Parce que tu n’es pas idiote, ça se remarque qu’il se fait chier. Et sans un mot de plus tu vas vers la fenêtre et utilise les grosses branches de l’arbre juste en dessous pour descendre. Vraiment le lieu parfait pour fuir. Ta mère le sait et espérait certainement qu’il prenne la clef des champs de lui-même à un moment ou un autre. Une fois en bas il ne faut plus que faire une marche en ligne droite pour arriver à l’écurie. Sans demander beaucoup plus tu commences à préparé un seul cheval, pas besoin de plus pour la discrétion et lui donne les reines une fois l’animal prêt.
– C’est quand tu le souhaites notre lune de miel.
La blague est nulle, mais elle t’amuse.
Bordel, la tisane, c’était pas une blague. J’sais pas ce qui a été dosé dedans, mais j’me sens même un peu assoupi. C’est p’tet aussi la conversation que les parents essaient de maintenir péniblement, dans un silence glacial pour belle-maman et des regards gênés pour beau-papa. Y’a pas à dire, même moi j’aurais préféré rejoindre la Garde que continuer à zoner ici, du coup je comprends vachement Xylia. Toujours est-il qu’au bout d’un moment, on remballe, et que j’me demande même si j’ai été empoisonné, pour avoir l’impression d’être aussi lourd.
Puis y’a pas de mesquinerie : le plumard est tout à fait confortable, encore que la chambre est vachement isolée. Bah, j’me secoue : la nuit, c’est censé être mon domaine, mes horaires. Un peu d’air frais, les embruns dans la gueule, ça devrait me réveiller.
L’Anguille vient m’chercher, et nous guide jusqu’à l’étable, où un canasson nous attend. Putain, encore une de ces saloperies de tape-cul, là… J’regarde les rênes qu’elle m’a tendu, et j’ai un toussotement gêné et gênant.
« Hm. C’est loin ? On peut pas y aller à pinces ? »
Quand elle me fait comprendre que non, va falloir prendre la vieille carne, j’lui rends les rênes.
« C’est mieux si c’est toi qui pilotes. Moi, les animaux… c’est compli… »
Comme pour ponctuer mon assertion, le cheval se décale et tente de m’foutre un coup de dents. Mais j’l’avais vu venir, avec son regard vicelard, là. Il cherchait le moment où j’serai déconcentré pour essayer de me la mettre à l’envers. J’ai côtoyé assez de ces bestioles pour le savoir, et deviner quand ils vont passer à l’attaque, un peu comme les humains, quoi.
« Ah, j’le savais. Tu vas finir à l’équarisseur, mon gros. »
Oui, bon, c’est pas le mien, donc j’ai aucun contrôle là-dessus, mais ça m’fait du bien de prétendre le contraire.
Une minute plus tard, on est tous les deux en selle, Xylia devant, prête à piloter cette créature de merde, et moi derrière. Un peu étroit, l’assise, et j’suis accroché au pommeau de la selle, donc mes bras l’encerclent pendant que j’essaie surtout de pas me casser la tronche. On s’met en route au trot, et au bout de trois minutes, j’ai déjà mal à la colonne vertébrale, mais j’encaisse, et j’essaie d’épouser ses mouvements. Vrai qu’on est bien collé, et j’dis pas que c’est désagréable : l’est jeune et bien portante, après tout. Hé, j’ai jamais prétendu être un chic type, j’vais pas me priver, surtout si c’est pour le travail, hein ?
Quand on arrive enfin au manoir de l’autre, force est de constater qu’il fait un peu moins pedzouille que ses petits camarades. C’est plus grand, plus neuf, et ça rappelle un peu le style des barraques de la Capitale. J’suppose qu’il a fait des travaux pour essayer de conjuguer les deux ambiances et se donner un air de sophistication un peu artificiel, pour se démarquer des sales pauvres qui bouffent du poisson toute l’année. Puis aussi, faire moins bouseux quand les invités du continent se radinent pour discuter contrats, j’présume.
On descend, et elle attache le canasson à une haie, hors de vue des fenêtres de la maison. Si quelqu’un tombe dessus, aussi improbable que ce soit, ça serait vraiment pas d’bol.
« Allez, viens, on ira plus vite à deux. J’suppose que tu sais comment faire ? »
En tout cas, Damoiseau et Blood y arrivaient bien, et Zah évidemment, donc ça doit faire partie de leur formation de base, d’être des voleurs. Vu l’heure tardive, toutes les fenêtres sont obscures, sauf une au niveau du rez-de-chaussée, dans un coin. Probablement la cuisine, avec le cuistot qui s’affaire à fabriquer le pain, déjà. L’heure doit coller à peu près, après tout. Ou alors c’est juste la lueur du four, ou des gens qui finissent de ranger.
On s’en fout : c’est pas là qu’on trouvera ce qui nous intéresse.
J’examine les fenêtres de la bâtisse, et j’me dis qu’on devrait faire le tour. Peu probable que les bureaux soient sur la façade de l’entrée. Y’a pas beaucoup de sécurité, en tout cas, ou pas de ronde à l’extérieur. Le gars s’est p’tet endormi dans un placard, vu que les patrons étaient partis faire la fête. Finalement, faut en choisir une, alors c’est ce que je fais.
Il fait trop sombre pour se téléporter directement de l’autre côté du verre, alors j’sors les crochets foreurs et j’entame l’ascension, suivi par l’Anguille. Suspendu à quatre mètres de hauteur, j’examine la fenêtre, et son absence totale de sécurité. Après une poussée au bon endroit, elle coulisse et nous laisse entrer dans un genre de salon, ou de boudoir, j’sais pas trop.
J’me tourne vers Xylia.
« Tu dirais que le bureau est par où ? »
Elle doit mieux connaître les agencements dans ce genre de maisons, après tout.
Le laissant sans aucune honte te coller pour suivre les mouvements de l’animal, tu as cette fausse impression d’avoir un certain pouvoir ainsi. Comme si c’était toi qui avais les rênes de cette expédition alors qu’il n’en est rien. Qu’importe, cela t’amuse. Il y a aussi cette façon si adolescente de se croire adulte pour quelques gestes placés. Le trajet fut assez rapidement et le fait que Sbire te propose de la suivre te surprend un peu, mais tu veux jouer à celle qui a toujours su que cela arriverait. Vraiment, grandir ne te ferait pas de mal pour certaines choses.
— Oh ! Bien entendu que je viens. Je suis désolé, mais être espions seulement pour faire chauffeur et guet ce n’est pas ma tasse de thé. On a eu assez de tisane assommante pour ce soir.
Le tout est dit avec un petit rire. Comme si tout cela n’était qu’un jeu. C’était un peu trop ce à quoi tu avais l’impression qu’était la vie d’espion. Trop jeune pour avoir vue les mauvais côté de la profession, autre que la mort des plus brutale de Ruth, mais c’est encore une autre histoire. Pas tellement, mais le déni est plus simple pour géré certaine chose.
Tu le suis sans plus rien dire de plus. L’ascension de la façade te donne un frisson d’excitation et d’un coup, le séjour chez tes parents semble avoir une véritable raison d’être. Entrée dans la demeure par la façade est des plus amusants. La question sur le bureau ne te semble pas étrange et pour une fois que d’avoir vécus dans une famille noble aidera pas mal.
— Il y a deux possibilités classiques. Soit dans une pièce annexe de la bibliothèque et donc au rez-de-chaussée. Sinon, en annexe de la chambre du maître de maison et donc possiblement a cet étage. Se séparer ne sera pas le mieux.
Même si ça permettait de vérifier les deux endroits cela ferait aussi que tu trouves la pièce et commences à la fouiller ne pas voir les bons papiers que Sbire cherche. Vu le nombre peu important de sécurités sur les lieux faire les deux cheminements possibles ne sera pas forcément des plus compliqué. Surtout que vous êtes déjà à l’étage de l’un d’entre eux. Vu qu’on est, visiblement, un boudoir, la chambre de maître ne doit pas être des plus loin non plus.
Tu ouvres la marche sans un commentaire de plus. Il y a une porte qui est légèrement plus décorée que les autres, ce n’est pas grand-chose, mais assez pour attiré le regard et faire savoir que c’est une pièce importante. Tu pousses un peu la porte pour l’ouvrir, mais celle-ci est verrouillé, sans te poser plus de questions tu attrapes un nécessaire de crochetage et ouvres le loquet.
La pièce est effectivement une chambre des plus luxueuses. Aucun doute sur le fait que c’était celle du maître des lieux. Sur le fond à droite une petite porte était visible, discrète, sûrement la salle de bain. Une peu plus enfoncer et sur la gauche une autre porte est visible. Tentant ta chance de ce côté-là tu t’approches et tentes de l’ouvrir, mais c’est encore à crocheter. Sans demander ton reste tu refais la même opération qu’un peu plus tôt et fut bien heureuse que ce genre de formation a été donné à tout espion, sinon tu aurais été bien con sur le moment.
La porte s’ouvre sur un bureau éclairé par une petite lucarne, trop petit pour qu’un corps ne puisse rentrer. Tu tiens la porte à Sbire pour le laisser rentrer en premier dans les lieux. Ce n’est peut-être pas le bureau recherche, mais ça a au moins l’avantage d’y ressembler.
— Cadeau.
Au moins, Xylia est à l’aise. Elle connaît l’architecture et l’organisation des pièces, et arrive même à crocheter rapidement. J’me retiens de dire que j’aurais pu ouvrir instantanément avec le Rossignol Noir. J’répugne toujours à me reposer uniquement sur l’outillage magique, j’ai l’impression de perdre la main, après. Pour ça que j’me retrouve à m’entraîner comme un connard sur mon temps libre, avec mes crochets normaux, alors qu’en mission, j’vais systématiquement aller au plus simple.
Le p’tit bureau sert plus d’annexe à la chambre qu’autre chose, du coup j’ai peur de rien y trouver. D’un autre côté comme y’a pas grand-chose, ce sera p’tet les machins les plus importants. J’chausse mes lunettes de jour, pour éviter de devoir allumer un cristal de lumière ou une bougie, et j’commence à farfouiller dans les papiers. Dès que ça parle affaires, j’lis qu’en diagonale. Idéalement, faudrait chopper un papelard avec le symbole de la Cabale, le crâne et le bouquin.
« Tiens, regarde si tu trouves un symbole, crâne et livre, quelque part, steuplaît, que j’souffle à ma collègue. »
Elle doit pas savoir ce que c’est, j’pense qu’Ombre a pas fait le topo, sauf si elle a élargi le cercle d’investigation. Mais normalement, y’avait Damoiseau, Feuille, Blood et moi. Le dernier a disparu, mais Anguille semble trop fraîche pour avoir accès à tout ça. Après, ils m’ont bien informé, alors ça prouve bien que tout le monde pourrait être au courant, si ce n’est que c’était sûr que c’était pas moi pour la gamine en stage.
J’oublie toujours son blase, à croire qu’elle avait le même pouvoir que moi.
Y’a queutchi sur les parchemins qui sont sur le bureau, alors on commence à ouvrir les tiroirs, à vérifier les double-fonds et les mécanismes, magiques ou non, qui pourraient s’y trouver. On en dégote bien un, mais ça ressemble davantage à des communications amoureuses illicites qu’autre chose. J’prends tout en image, le chantage, ça peut toujours servir, des fois que, puis j’regarde les murs, les tableaux, la bibliothèque pourris et les bouquins qui y trônent.
Le plus chiant, les bouquins : faut les ouvrir et vérifier que c’est pas des genres de coffres cachés, avec les pages découpées. Mais il faut ce qu’il faut, alors on s’y attèle méthodiquement. Il pourrait avoir une alarme magique, aussi, mais y’a rien qui s’agite dans le manoir, pour l’instant, alors on va supposer que non.
« Bon, on laisse tomber ici, guide-nous à l’autre bureau, celui du rez-de-chaussée, s’il te plaît. »
J’espère qu’on y aura davantage de chance. Si on a rien, ça veut pas dire qu’il est pas coupable, juste qu’on n’a pas trouvé, après tout. Mais on n’a pas trop le temps non plus de rester là pendant des jours et des jours, j’ai un planning serré et d’autres connards à investiguer pour savoir si la liste est bidon ou non. Il peut aussi avoir des liens sans le savoir, après tout.
Alors qu’on descend l’escalier, on voit une lumière s’agiter en bas, genre au bout du couloir. J’lève une main, et on s’fige, pour regarder le sous-fifre qui passe en agitant sa lanterne, sans regarder pour un sou autour de lui. Il doit salement se faire chier, sans mentir, pour ça qu’il salope le boulot. Mais tant que y’a pas de vol avéré, il peut bien s’en foutre, j’suppose. Et son patron aussi.
On attend quelques dizaines de secondes après que la loupiotte est disparue pour se glisser en bas et aller vers le bureau, que j’ouvre cette fois au rossignol pour pas perdre de temps, des fois que le vigile se pointe. On referme derrière nous, et on fouille comme l’autre fois. Et, comme l’autre fois, on trouve rien de bien intéressant. Ah ça, des contrats et des papiers commerciaux, y’en a un paquet, et même planqués derrière des serrures merdiques et des double-fonds. Probablement des trucs précieux, pas finis de négocier, ou des accords secrets, en mode cartel illégal ou quoi. J’y connais que dalle, et c’est pas mon champ d’action, alors j’ignore confortablement le tout. En plus, c’est écrit tout petit, quoi, merde.
On s’arrête de bouger, voire de respirer, quand y’a des pas dehors, avec un sifflotement sans mélodie, puis une lueur sous la porte. Encore le gardien qui fait sa ronde, ça. Ça fait un temps qu’on est là, va être temps de se faire la malle. Un truc important de voleur, ça, c’est savoir repartir même si la pêche a pas été bonne. Les pêcheurs pourraient en dire deux mots aussi, mieux vaut garder sa vie et son bateau que prendre un grain ou une tempête. Ben là, c’est pareil. En plus, le jour se rapproche, faudrait qu’on soit rentré chez les beaux-parents.
J’fais signe qu’il va falloir bouger, et elle hoche la tête. En deux temps, trois mouvements, on est dehors, à côté du canasson. Cette saloperie me jette un regard mauvais, que j’lui rends bien.
« Bon, pas très fructueux, mais j’vais pas rester. On a quand même quelques bricoles, surtout les lettres d’amour, là. On verra si la patronne veut en faire quelque chose. J’peux repasser chez tes vieux pour ce matin, mais bouger ensuite, ou bouger directement. Ils devraient vite m’oublier. »
J’m’arrête quelques secondes.
« J’peux aussi faire oublier ta participation d’hier soir, si tu veux pas te coltiner les scandales de la soirée. Comme tu le sens. »
C’est à elle de gérer ses couvertures et identités, après tout, moi j’propose que l’option.
À un moment tu te prends le coin d’un meuble en plein dans le nez et celui prends une belle coloration rouge suite à cela. Ce n’est vraiment pas des plus pratique, mais tu fais ta tache en écoutant les bruits dans le couloir au cas où tu entends du grabuge indiquant qu’il est temps de partir avant l’heure. Il serait bête de se faire attraper maintenant. Même si tu aimerais comprendre ce que vous cherchez exactement, tu ne demandes rien non plus. Si on ne te dit rien, c’est que tu n’as pas à le savoir. Tout simplement.
La recherche n’est pas vraiment cela et passer au rez-de-chaussée te fait sentir un peu plus utile pour le coup. Se faire guider par Sbire est vraiment pratique et détends. Il n’y a pas de faux semblant chiant avec lui, pas de moment où il semble vouloir préserver quelque chose sur toi et juste et traitre comme n’importe qui qui serait à ton poste. C’est tout con, mais cela te fait plaisir. Après tout, il est un membre de ta famille que tu oublies, c’est plaisant de savoir qu’il est bien malgré ça. À ajouter aussi à ton carnet sur lui. On dirait presque une gamine amoureuse quand tu réfléchis ainsi, tu es trop niaise pour ce boulot Xylia.
Le rez-de-chaussée n’est guère avec plus de renseignements, mais au moins le travail a été fait à fond quand vous quitter les lieux, enfin, c’est comme ça que tu le ressens. Si on peut dire ça. Dehors, une fois loin, vous pouvez parler plus librement et tu écoutes avec attention ce que t’explique Sbire. Il y a la tentation de ne rien faire oublier, de garder ce scandale bien là, mais tu sais aussi qu’Ombre a besoin de toi sans ce scandale-là qui te fermera certaines portes à l’avenir. Même par jeu tu ne le feras point.
— Il sera mieux de faire oublier le scandale d’hier, même si c’était amusant. Pour ce que cela vaut, tu as été le plus chouette fiancé que j’ai pu avoir, merci pour ça. C’est un plaisir de travailler avec toi.
Oui, tu es vraiment trop niaise pour ce taf, mais tu as vraiment apprécié ce qui s’est passé. Cela a été un bol d’air frais dans ta famille et c’est un peu dommage que cela soit terminé, mais toutes les bonnes choses ont une fin et récupérant toute l’attention du cheval sur toi, tu nous fais rentrer chez tes parents.
— Si jamais tu veux manger gratuitement à une soirée mondaine, n’hésite pas à demander, je laisserais un carnet avec les dates et adresses d’où les prochaines se passent dans le QG pour toi.