De lapin à Pilori

Inaros

Il y a quelques temps, Inaros avait été contacté par une autre mercenaire, une certaine Irina. La mission était simple : récupérer, par n’importe quel moyen, une potion que seuls certains alchimistes étaient capables de réaliser sans se tromper. La préparation était si difficile que la moindre erreur pouvait transformer la potion en poison. Leur cible était Nema Thomme, alchimiste royale et dont l’atelier d’alchimie se trouvait au Palais. Bien entendu, il était impossible pour les deux comparses du jour de s’y introduire pour effectuer ce larcin. Ils allaient devoir piéger Nema Thomme d’une autre façon. Inaros et Irina s’étaient donc rencontrés une seconde fois pour établir leur plan. C’était Inaros qui avait récolté les informations essentielles à la réussite de ce travail, d’un commun accord avec l’autre hors-la-loi. Inaros ignorait tout des suites du plan de Irina et peu lui importait : que la potion soit pour elle ou pour une autre personne n’impliquait pas Inaros, qui se contentait d’empocher les nombreux cristaux à la clé de ce vol. Il avait également tout planifié pour que tout concorde avec Ivara, la donzelle dont il occupait le corps un jour sur deux. Par mesure de sécurité, il ne lui avait pas glissé le moindre mot sur cette affaire. Elle commençait tout juste à lui pardonner le fâcheux événement qui les avaient blessé tous les deux, il ne voulait pas réduire tous ses efforts à néant. Il comptait aussi lui faire comprendre petit à petit qu’il reprenait sérieusement le mercenariat. Inaros et Irina s’étaient donc retrouvés quelques jours plus tôt pour mettre au point leur stratégie. Un point en particulier du plan de Irina déplaisait à Inaros. Il avait fait part de son mécontentement, avait maugréé longuement en négociant avec la mercenaire puis s’était résigné. Après mûres réflexions, il était impossible d’agir autrement. Il avait donc travaillé pendant des jours sur son attitude, son langage et son apparence. L’aventure qui l’attendait allait leur en faire voir de toutes les couleurs.


Toutes ses affaires soigneusement rangées dans son sac, il se dirigea vers le lieu dit. Il n’était pas encore très tard et les rues étaient encore éclairées par les rayons chauds du soleil de début de soirée. Pour l’occasion, il était vêtu d’un pantalon large et d’une tunique blanche, ce qui était bien différent de son habituel camouflage. Il avait une impression bizarre en marchant dans la rue, sentant sa poitrine balloter dans tous les sens. Il n’avait jamais songé demander à Ivara comment elle faisait pour se mouvoir avec des engins pareils. Dans son ancien corps, il avait toujours été sec et légèrement musclé. Il n’avait jamais eu de gras bougeant au moindre de ses mouvements ! Il pensa alors aux sous-vêtements qu’il avait déjà aperçu à plusieurs reprises dans l’armoire de la blonde. L’idée d’en mettre sous sa tunique ne lui était pas venu à l’esprit. Il commençait à le regretter, les passants lorgnaient rapidement la transparence de son tissu et il sentit ses joues s’empourprer lorsqu’un individu lui lança un compliment. Il ne pouvait pas se permettre de le frapper et se contint de toutes ses forces en faisant craquer ses phalanges. Il devait s’y habituer. Ce soir, il se prendrait d’autres remarques plus salaces les unes que les autres. Sur son visage, un seul détail trahissait sa destination : le masque de loup qui recouvrait l’intégralité de son visage et qui empêchait quiconque de deviner que c’était la gérante de la boutique de verre qui déambulait dans les rues de la Capitale.


Il était arrivé un peu avant l’heure et avait été reçu par le tavernier lui-même, un dénommé Victor. C’était un grand homme et dont les yeux dorés savaient capter la lumière pour fasciner son interlocuteur. Avec ses penchants, Inaros fut insensible à ce charme et se présenta, ne forçant pas sur sa voix afin de parler d’une voix pleinement féminine. Il avait fait tellement d’efforts que son langage habituellement très charretier ne se percevait que très peu. Ivara s’était interrogée sur les nombreux livres manquants dans sa bibliothèque, qui se trouvait en réalité dans la pièce de Inaros.

” -Enchantée, je suis la nouvelle serveuse Soralyn.

-Ah, enfin te voilà ! Je vois que tu te prêtes déjà au jeu, avec ton masque de loup ! Moi, c’est Victor, le patron. C’est une très grosse animation ce soir. Il va y avoir du monde partout, je suis bien content d’avoir pu engager des paires de bras supplémentaires. Tu as une jolie voix en plus, je suis persuadé que tu vas nous attirer encore plus de clients ! Tu as bien pris ton costume de scène ? La maison fournit les oreilles, tu les trouveras dans la salle réservée à toi et les autres. Je vais te montrer où c’est. Suis-moi.

-Merci.”

Ce furent les seuls mots de Inaros, qui faisait preuve d’un self-control hors du commun pour ne pas répliquer avec véhémence. Lui qui était d’un naturel si calme, il avait beaucoup de mal à accepter sa condition féminine, qui allait pourtant s’avérer très utile. Victor prit les devants en menant Inaros jusqu’à une salle, bien à l’arrière dans la taverne, où se trouvait d’autres filles qui se changeaient. Le tavernier donna quelques coups contre la porte et lança aux filles présentes.

” -C’est la petite nouvelle, Soralyn. Juste à côté, c’est la salle des garçons. On est très diversifiés ici, pour correspondre aux goûts de tout le monde. Je vais retourner au bar, c’est là que je serais toute la soirée. Si tu as la moindre question, viens me voir. Tiens, quelqu’un vient d’arriver ! Bon, je repars. Oubliez pas, on ouvre dans cinq minutes !”

Inaros se demandait si c’était Irina qui venait d’arriver. Il n’avait pas très bien compris cette partie du plan. Avait-elle utilisé son pouvoir pour se faire passer pour une serveuse régulière qui l’avait introduit ici ? Ou bien était-elle toute aussi nouvelle que lui en ces lieux ? De toute façon, les faits étaient là : Inaros était engagé pour être serveuse pendant toute la soirée aux côtés de Irina. C’était tout ce qui comptait et peu importait les moyens employés. Aux côtés des autres filles, Inaros enfila son costume de scène. Il fut légèrement déconcentré par les nombreuses femmes dénudées qui l’entouraient. Il se consolait lui-même un peu de cette humiliation en se disant qu’il pouvait au moins voir de bonnes choses dans cette pièce ! Il avait bien honte de son accoutrement et se sentait étrangement nu. Il essaya tant bien que mal de remonter son bustier qui laissait apercevoir une poitrine si comprimée qu’elle ne semblait que demander à sortir. Il pesta un peu et enfila les oreilles de lapine qui complétait sa tenue. Il avait vraiment très honte. Il aperçut enfin Irina qui était déjà prête. Son naturel reprit un peu le dessus et il ne put s’empêcher de lorgner le corps de la belle. Elle aussi était très nue et laissait apercevoir ses atouts charmes. Par respect, Inaros ne fit aucun commentaire sur le physique de la mercenaire et vérifia dans le miroir que son masque dissimulait toujours ses traits. Ses longs cheveux blonds avaient été soigneusement coiffés pour l’occasion, descendant en une cascade de boucles le long de son dos, ses mèches étant retenues par les oreilles de lapin.

” -Bon. On n’traîne pas. On la r’père et on l’emmène. J’veux pas r’ster des heures dans c’tte t’nue.”

Après avoir entendu la réponse de l’autre mercenaire, il sortit de la salle et se dirigea là où il était attendu.


Inaros n’avait pas le choix et était pleinement dans son rôle de serveuse. Quelques mains se perdaient sur lui, mais son regard froid empêchait quiconque d’aller plus loin ou de lui faire la moindre réflexion. Cela faisait plusieurs minutes que le duo de mercenaires avait remarqué l’entrée en scène de l’actrice principale de cet épisode. L’alchimiste royale, très joliment vêtue, était accoudée au bar et parlait avec Victor depuis quelques temps déjà. Elle avait enquillé les verres d’alcool assez vite et son attention se portait maintenant sur l’ensemble de la salle. Le regard de Inaros croisa celui de sa comparse d'un soir, l’invitant à mettre le plan à exécution.

Spoiler:

De lapin à Pilori

Inaros

La mercenaire avec qui il travaillait attisait sa curiosité. Elle se déplaçait avec sensualité entre chaque table, adressant ici un sourire mielleux, là une parole envoûtante. Son ton voluptueux aurait certainement pu faire craquer Inaros s’il n’avait pas été en mission. Ce qu’elle lui proposait n’était tout de même pas à son goût. Ce qu’il voulait, c’était quitter cet accoutrement dans lequel il n’était pas très à l’aise. L’appellation “mignon” lui fit savoir que Irina le considérait être un homme, malgré ses attributs féminins. Elle devait certainement être suffisamment ouverte d’esprit pour concevoir qu’il puisse se considérer d’un autre genre que ce que son physique indiquait. Après tout, il n’avait pas l’habitude d’avoir un comportement très féminin puisqu’il ne s’identifiait pas en tant que tel. C’était une réflexion intéressante qu’il n’avait pourtant pas le temps de pousser en cette soirée. D’autres choses étaient plus urgentes à réaliser. En l’occurrence, l’enlèvement de la belle alchimiste qui était au bar.
Sitôt le regard de Irina croisé, il devina qu’elle l’avait également en pleine ligne de mire et qu’elle allait amorcer la première approche. Sans rien laisser présager d’étranges sur ses intentions, Inaros se dirigea vers le bar et se plaça juste à côté pour déposer son plateau rempli de verres sales. Il attendit que le tavernier les récupère pour les mettre à la plonge, puis récupéra d’autres verres pour les apporter à la table d’un groupe de joyeux lurons qui avaient déjà beaucoup bu. Leurs mains essayèrent de se balader sur Inaros qui les évita. Il en était un peu las, alors qu’il n’était dans un rôle féminin que depuis quelques heures. L’ouïe affutée, il avait capté quelques mots dans la conversation des deux femmes. Comme prévu, celle-ci était sensible aux atouts de celle que Inaros connaissait sous le prénom de Irina.
C’est en revenant, quelques instants plus tard, que la dénommée Nema attrapa son bras.

”- Excuse moi ma jolie, tu peux m’apporter un jus d’orange ou de pomme, je vais noyer mon Gin.”

”- Bien sûr, j’arrive tout de suite. Permettez-moi de récupérer votre verre pour noyer l’alcool à votre convenance.”

Et, derrière son masque, Nema put apercevoir les lèvres charnues de Inaros s’étirer en un charmant sourire. Il devait l’avouer, il avait un peu appris en observant Irina faire au fil de la soirée. Elle avait raison, c’était comme cela qu’il fallait s’y prendre. Inaros fit demi-tour, sans se douter que le regard de l’alchimiste venait se poser sur son postérieur affublé d’une petite queue de lapin et également bien trop peu couvert à son goût.
Le verre de Nema en main, Inaros fit le tour du bar et y versa un peu de jus de pomme. Dos aux autres protagonistes, il jeta rapidement un coup d'œil autour de lui pour s’assurer que personne ne le regardait. Cela ne semblait pas être le cas. Il extirpa de son oreille de lapine un petit cacheton qui se dissolva en quelques secondes dans la boisson. Il était censé être intraçable dans la boisson, n’apportant aucun goût particulier à la mixture. C’est alors qu’il sentit une présence derrière lui. C’était un autre serveur qui lui fit un grand sourire. Inaros se demanda pendant quelques secondes s’il avait été repéré. Si ce fut le cas, l’autre serveur ne fit rien savoir.

”-Le groupe de joyeux lurons, là-bas, ils veulent que tu continues de les servir. S’ils deviennent trop collants, appelle Victor. C’est lui qui gère ce genre de problème.”

Inaros acquiesça, soupirant intérieurement. Il allait devoir gérer cette bande de gamins pendant que Irina menait la discussion. Bordel ! Heureusement, la table en question était juste à côté de la mercenaire et de sa cible. Ils pourraient aisément entrer en contact si le besoin s’en faisait sentir. Revenant près de Nema, Inaros déposa le verre drogué face à elle. Si elle le buvait, elle allait ressentir une énorme fatigue qui serait favorable à la poursuite du plan des deux mercenaires.

”- Un verre de gin coupé au jus de pomme pour la plus belle femme de cette soirée. Profitez-en bien.”

Inaros lui fit un clin d’oeil, avant de s’éloigner pour laisser Irina poursuivre le plan.

De lapin à Pilori

Inaros

Inaros ne s’occupa pas de tout ce qui s’ensuivit. Irina allait bien réussir à tenir son rôle, le mercenaire n’avait aucun doute sur ce point. Il restait à savoir comment elle allait faire mais, au vu du charme qu’elle maniait d’une main de maître, il n’était pas compliqué pour Inaros de déterminer comment elle allait s’y prendre.  Il jetait simplement de rapides coups d'œil par moment, guettant le moindre signe annonciateur d’un événement fâcheux dans leur plan. Nema Thomme pouvait être attirée par les jolies femmes, Inaros l’avait appris lorsqu’il avait cherché le meilleur moyen de rentrer en contact avec l’alchimiste royale pour réaliser leur méfait. Il n’était donc pas étonné qu’elle craque sur l’apparence de lapine de Irina ni sur les légères caresses de sa main. Par contre, il n’entendait rien. Le bruit de la conversation entre sa comparse et la noble était couvert par la musique et le brouhaha ambiant. Il fallait aussi qu’il se débrouille avec les hommes qui avaient réclamé qu’il soit leur serveuse. Il esquivait comme il le pouvait les mains baladeuses d’hommes saouls. De ce fait, il loupa la partie principale de l’action, celle qui allait déterminer toute la suite de leur plan : la descente du verre de l’alchimiste dans le fond de son gosier.
Lorsqu’il put enfin retourner au bar, au plus près de Irina, Nema Thomme se levait et reposait un verre vide sur le comptoir. Professionnel, il évita de lancer un regard victorieux dans la direction de Irina. A la place, il bougea avec agilité son annuaire et son index à plusieurs reprises sur la table, petit code pour lui faire comprendre qu’il passait à la suite du plan. La substance mettrait quelques minutes à véritablement agir, ce qui était suffisant pour la laisser prendre la sortie. Il ne restait maintenant plus qu’à aller cueillir la fleur.
Sans attendre, Inaros se dirigea vers les vestiaires et se changea rapidement. Quel plaisir de quitter cet accoutrement ridicule pour sa tenue habituelle. Des heures dans sa tenue de lapin, quelle horreur ! Sa combinaison à lui était suffisamment fluide pour le laisser libre de tous mouvements en épousant parfaitement les courbes de son corps. Il n’avait pas le temps de mettre des bandages autour de sa poitrine pour la dissimuler. Le temps était compté. Il enfila sa capuche, remonta son tissu pour recouvrir le bas de son visage et s’échappa par une fenêtre ouverte qui donnait accès à l’extérieur du bâtiment. Son petit sac sur les épaules, il regarda les environs pour être certain d’être seul, avant de contourner le bâtiment pour retrouver la trace de l’alchimiste. Elle était juste là, au bout de la rue. Elle avait réussi à avancer de quelques mètres mais elle commençait déjà à tituber. Elle allait s’endormir dans très peu de temps. Ravi que tout se déroule, pour le moment, comme ils l’avaient prévu, Inaros se faufila jusqu’à la jeune femme et se dissimula derrière elle. Il la suivit encore quelques mètres, plissant les yeux pour la voir dans l’obscurité. Le fait qu’elle soit à l’extérieur et non pas dans la taverne permettait d’éviter la partie, un peu plus complexe, du plan où Inaros et Irina auraient dû convaincre Victor de ne pas appeler les secours et de les laisser gérer ce genre d’incident.
Il attendit quelques instants avant de lui sembler apercevoir toute la masse corporelle de sa victime se diriger vers le sol. Il se glissa prestement jusqu’à elle et la rattrapa avant que sa tête ne percute le sol. Il n’avait pas pour but d’abîmer l’alchimiste. Pas maintenant.

Il attrapa ses bras, puis glissa sa main libre autour de sa taille afin de la jeter sur son épaule. Heureusement qu’il avait musclé le corps de Ivara. Il était désormais capable de soulever une autre femme sans trop de difficulté. Son fardeau sur l’épaule, il prit la direction de l’endroit convenu avec Irina. Ils avaient réussi à se procurer les éléments nécessaires à la confection d’un atelier d’alchimie. Il espérait que Irina serait au rendez-vous. Sans trop de manières pour la pauvre Nema, il la ballota jusqu’à ce lieu.

”- V’là l’colis.”

Tels furent ses mots lorsqu’il arriva devant Irina, dans la pièce prévue pour l’occasion. Il posa l’alchimiste, toujours endormie, sur une chaise.

De lapin à Pilori

Inaros

Le colis déposé à l’emplacement prévu, Inaros recula de quelques pas et laissa sa coéquipière s’occuper du reste. Pendant que l’alchimiste se faisait solidement attachée à la chaise, le mercenaire enfila le masque de lion qu’Irina lui avait tendu. Il n’avait pas pour habitude d’une telle mise en scène, mais le contrat émanait de Irina… Il allait donc suivre ses préceptes à la lettre, autant que possible. La crinière dissimulait davantage son faciès, il était totalement méconnaissable. Lorsque Nema Thomme se réveillerait, elle n’aurait pas la possibilité de mettre des mots sur ce qu’elle aurait vu. Qui étaient ses ravisseurs ? Le mystère demeurerait entier. Pour se dissimuler, Inaros était doué.

Toujours en retrait, il observa la scène qui se déroulait sous ses yeux. Irina jouait son rôle à la perfection. Etais-ce un rôle ? Inaros commençait à en douter. Il avait sous les yeux quelqu’un qui faisait preuve d’un sang-froid absolu pour commettre le pire. Il se reconnaissait bien là. Irina et Inaros n’étaient pas étranger au meurtre et à la torture. Il avait bel et bien affaire avec une professionnelle de son rang. Il n’en avait pas douté mais cette femme était entourée de son aura de mystère. Cela l’attirait, irrémédiablement. C’était une attirance basée sur la violence et le plaisir de pouvoir partager avec quelqu’un des vices aussi sombres. Quiconque avait déjà tué ne pouvait être que doté de vices.

Nema Thomme finit par se réveiller et, comme prévu, commença à demander où elle était et qui ils étaient. “Détachez-moi”. “Je n’ai rien fait". “Je vous paierai le triple”. Des mots entendus des dizaines de fois par le mercenaire homme. Cette voix emplit de peur avait au moins eu le mérite de faire oublier le tintement incessant des gouttes d’eau qui s’écrasait sur le sol. L’endroit était macabre.

Pour ne pas interférer dans la discussion d’Irina, Inaros se plaça juste derrière Nema et resserra les liens qu’elle essayait de retirer. Il dissimulait un sourire narquois sous ses tissus. Il faisait cela pour gagner des cristaux, il ne voyait que cette récompense au bout de la mission.

“ - Allons, n’bouge pas. R’ponds à c’qui t’es d’mandé. C’tout.”

Son langage charretier, comme toujours. Il sortit une petite pochette de sa poche et en extirpa du sable. Après l’avoir déposé dans sa main, il profita du futur monologue d’Irina pour transformer ce sable en lame de verre. Assez affûtée pour être terrifiante et deviner qu’elle pouvait faire du dommage dans la chair, il fit bien attention de la montrer à Nema. Cela appuierait les propos d’Irina.

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Inaros

Le lion n’allait pas user de violence immédiatement. Il sentait bien que la victime commune des deux malfrats était impuissante. Prise au piège, son rythme cardiaque s’accélérait et ses lèvres tremblaient. Nema Thomme essayait d’être courageuse dans ses réponses mais la peur se lisait aussi dans le fond de ses yeux. Le traquenard était trop bien ficelé pour qu’elle puisse se libérer, de toute façon. Inaros resserra les liens, mais il veillait à ce que le sang puisse toujours couler dans le bras comprimé. Oui, c’était assez grisant de dominer la situation. Ses expressions étaient dissimulées par son masque, personne ne pouvait admirer le large sourire qui étirait ses chairs rosées.

Irina savait y faire. Ils ne maîtrisaient pas les mêmes domaines de compétence. Inaros aurait certainement eu tendance à être plus brutal et à faire moins de froufrous mais, puisqu’elle était son employeuse - en quelque sorte -, il se pliait à ses désirs.

Inaros était toujours dans l’ombre et laissait Irina parler et “expliquer” la situation à l’alchimiste royale. Il roula des yeux lorsque cette dernière prit la parole. Elle l’ouvrait beaucoup trop. Il approcha la pointe de sa lame en verre du poignet de la belle et, lentement, commença à trancher la chair.

“ - Stop. T’parles bien trop. T’vas nous faire cette potion sans r’chigner. Comme dit, t’veux pas perdr’ t’jolis ongles ?”

Il appuya un peu plus fort pour que la lame transperce un peu plus la peau, avant de la retirer et de la glisser sur la joue de l’alchimiste. Un filet rouge teinta la peau laiteuse de la cible.

“ - Une potion-passion. C’ça qu’t’vas nous faire. J’ai plutôt pas intérêt d’t’entendre dire non ou essayer d’nous duper. S’non, on va d’voir passer à l’deuxième phase et j’vais d’voir m’retenir pour t’laisser en état d’la faire, c’te potion.”

De lapin à Pilori

Inaros

C’était le premier coup porté sur le corps de Nema Thomme. Si elle était chanceuse, ce serait le dernier. Si elle ne l’était pas… Eh, ce n’était là que sa malchance à elle. Inaros n’avait strictement aucun remord et rien à se reprocher. Il n’aurait plus manqué que ça, dans son métier, commencer à regretter ses actes. Satisfait intérieurement, le mercenaire poussa le supplice psychologique de l’alchimiste royale en essuyant sa lame de verre sur la robe de sa victime commune avec Irina.

Fatigué par avance des jérémiades de la demoiselle, il s’éloigna de quelques pas pour éviter de l’abîmer avant qu’elle ne réalise ce dont ils avaient besoin. Irina était déjà en train de la terroriser davantage avec la pince qui commençait à tirer sur un pauvre ongle.
Il s’approcha de l’établi, confectionné pour l’occasion, vérifiant que tout était là. Il n’était pas un fin connaisseur, mais l’oubli d’un quelconque matériel aurait été désastreux pour Nema, qui aurait dû attendre avec un de ses bourreaux que l’autre revienne avec ce qui manquait. Fort heureusement, ça ne semblait pas être le cas.

Tandis que l’alchimiste posait encore une question, Inaros revint vers l’alchimiste et trancha les liens qui maintenaient ses poignets. Il espérait qu’elle ne songeait pas à s'enfuir à toutes jambes : c’était impossible. Les deux mercenaires veillaient au grain sur les moindres mouvements de la jeune femme. Même si elle l’avait voulu, elle n’aurait pas pu avancer d’un seul centimètre.

“Ouais, j’suis peu patient et tu t’es pas aidée quant à c’que j’te réserve pour l’suite.”

Cependant, la jeune femme avait eu plusieurs reflux gastriques, du sang sur la joue et les larmes avaient coulé le long de ses joues, mettant à mal toute sa mise en beauté. Avec une fausse galanterie, Inaros offrit un bout de tissu - en guise de mouchoir - à Nema pour qu’elle puisse se débarrasser de tout ça. Même s’il trépignait d’impatience, il fallait que le travail soit bien fait.

“Garde le, c’cadeau. Vaut mieux qu’ta v’sion soit claire p’dant qu’tu fais c’te potion. C’qu’on va faire d’toi dépend toujours d’ta façon d’nous répondre et d’ta rapidité à l’faire. Pas d’entourloup’ ou elle t’arrache un ongle. Viens r’garder ici. On s’en fout qu’t’aies pas l’droit d’le fair’. T’pas au Palais ici, alors t’vas agir maint’nant.”

Attendant qu’elle s’essuie les yeux, il attrapa solidement les poignets de l’alchimiste royale et, avec brutalité, l’entraîna jusqu’à l’établi. Le coin était suffisamment éclairé pour qu’elle puisse voir ce qu’elle allait faire. Et, puisqu’il avait ressorti sa lame de verre, il la menaça en enfonçant très légèrement le bout entre ses côtes.

“Oublie pas, pas l’moindre mouv’ment brusque.”

De lapin à Pilori

Inaros

À la demande de l’alchimiste, Inaros retira la pointe de la lame qu’il avait enfoncé entre ses côtes. Il n’abaissa pas pour autant sa surveillance, gardant bien en main son arme. Au moindre signe de fuite, il n’hésiterait pas à l’utiliser. Elle semblait pourtant encline à réaliser la potion. Comme il le fallait ? Ça, les deux mercenaires le sauraient à la fin. Irina s’était assurée qu’ils ne se feraient pas berner en demandant deux potions identiques. Inaros en devinait les raisons et l’alchimiste, si elle était en capacité de réfléchir et n’était pas tétanisée par la peur, le pourrait aussi certainement.

Le temps s’écoula et, à la demande du fil d’argent, Inaros jeta un regard entendu à Irina pour qu’il se charge d’aller le récupérer. Il ne fut pas très long, il savait à peu près où se procurer ce genre de marchandises. Un larcin plus tard, car les commerces étaient bien fermés à cette heure tardive, Inaros retourna là où l’attendait les deux femmes.

Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il sentit un animal à poils se glisser entre sa jambe et la porte, dans la fine ouverture qu’il avait créé. Pestant et comprenant sur un appel de sa comparse qu’il s’agissait de leur alchimiste, le sang d’Inaros ne fit qu’un tour et il dégaina du sable de sa pochette pour créer très rapidement une boule de verre. Heureusement qu’il s’entraînait quotidiennement. Il la lança à pleine vitesse sur le matou qui avait déjà commencé à s’enfuir. Dans un bruit sourd, le projectile percuta le chat de plein fouet qui stoppa sa course folle. Ces précieuses secondes gagnées furent bénéfiques pour Inaros qui l’attrapa par la peau du cou.

Veillant à ne pas l’approcher de son visage et à ne pas se faire mordre ou griffer, il attrapa les quatre pattes de la bête. Ce n’était pas facile de la tenir comme ça et il faillit la lâcher à plusieurs reprises. Heureusement, il avait pu entrer dans le “laboratoire” avec sa victime et Irina avait refermé la porte derrière eux. Le chat miaulait de colère, probablement aussi de douleur, et Inaros, agacé, s’exclama avec virulence :

“Bordel, j’savais pas qu’elle pouvait s’transformer en chat ! P’tain, faut toujours qu’ces gens compliquent l’choses ! C’ta seule faute si ça va mal s’passer maint’nant !”

Sa respiration était plus rapide et rythmée. Il commençait à fulminer. Lui qui n’avait pas eu l’intention de passer à des actes répréhensibles immédiatement, voilà qu’il allait presque en être contraint par sa cible elle-même.
Seulement, cette cible restait d’abord et prioritairement celle d’Irina. S’il fallait l’abîmer, cela passerait d’abord par elle.

“Elle r’d’vient comment à s’forme d’origine ? Faut lui faire encor’ plus mal ?”

Inaros ne savait pas comment il pouvait s’y prendre pour changer ça et observait donc Irina avec une pointe d’interrogation dans le regard. Elle saurait peut-être comment faire. Dans tous les cas, l’alchimiste qui avait essayé de s’enfuir pour sa vie allait finir par la perdre plus rapidement que prévu si elle s’entêtait avec les deux mercenaires.