2ème lune de la saison chaude de l'an 1 000
Depuis quelques semaines maintenant, Rebecca ne se sent pas bien. Tous les matins, elle commence sa journée par un tour aux toilettes, à vomir tout le repas de la veille. Elle mange très peu depuis quelques jours, voir même elle se met à jeûner. Elle qui avait un appétit d’ogre il y a encore peu, maintenant, c’est à peine si un bout de salade passe correctement.
Et si c’était juste ça…
Ces hauts ne lui vont vraiment plus. Elle a l’impression d’être boudinée à l’intérieur, comme si son ventre et sa poitrine avaient doublé de volume en l’espace d’une nuit. Même, sa poitrine se fait beaucoup plus sensible, plus douloureux qu’à l’accoutumé.
Et encore, ce n’est pas fini…
Alors qu’elle avait réussi à retrouver une bonne santé depuis qu’elle était devenue aventurière, Rebecca recommence à être fatiguée. Une fatigue vraiment inhabituelle, puisque ses nuits sont bonnes et longues. Rien n’explique ce coup de fatigue.
Et tout continue…
Vous trouviez que le comportement de Rebecca était déjà énervant, terrifiant, chiant ? Et bien, venez chez elle maintenant, et vous verrez que tout cela n’est rien comparé à maintenant. En une dizaines de secondes, elle passe d’un calme plat à une crise de sanglots, en passant par une colère inratable.
Tout cela commence à inquiéter Rebecca. Elle n’a pas l’habitude de tomber malade, et surtout, d’avoir des symptômes aussi nombreux. Elle a bien essayé de rester calmement chez soi, mais rien n’y fait. Elle s’énerve toute seule, se met en boule dans un coin et pleure, ou bien fixe pendant plusieurs minutes une de ces plantes, sans bouger et sans rien dire.
Il fallait vraiment y faire quelque chose. Alors, au lieu d’aller à la Guilde des Aventuriers pour trouver une nouvelle quête, Rebecca allait rendre visite à une connaissance. Une connaissance ? Non, plutôt une bonne amie. Elles ont vécues beaucoup de choses, toutes les deux. On peut dire qu’une bonne amitié est en train de naître entre elle.
Devant la porte, l’aventurière hésite à frapper. N’aurait-il pas mieux fait de rester chez elle, à entendre que tout cela passe ? Mais allez savoir. Peut-être est-ce une nouvelle maladie, que tout le monde va tomber malade et que ça va être la fin du monde. Donc mieux vaut aller voir un spécialiste.
Alors sa main vient cogner contre la porte. Trois fois en tout. Un « entrée » assez lointain se fait entendre, et Rebecca poussa la porte.
- Luz ?
La phrase de bienvenue que Luz s’apprêtait à prononcer resta figée dans sa gorge lorsqu’elle leva les yeux sur une figure bien familière.
Elle posa immédiatement sur son bureau les deux lourdes encyclopédies qu’elle était en train de ranger pour se diriger vers son amie. Elle n’avait plus croisé la jeune femme depuis leurs pérégrinations à l’orphelinat, deux lunes environ auparavant. Elle lui ouvrit les bras avec la spontanéité qui la caractérisait tant, échangeant une courte accolade avec elle.
Elle recula et lui adressa un regard sincèrement curieux. Si Rebecca se tenait sur son pallier, ce n’était certainement pas pour lui compter fleurettes ni lui décrire sa dernière robe achetée. Déjà, la jeune femme n’était guère connue pour sa superficialité et avait d’ordinaire un quotidien aussi occupé que le planning d’un ministre… Alors, était-ce pour une réelle blessure ? Luz parcourut rapidement sa silhouette des prunelles, un coup d’œil circonspect mais tout à fait attentif. Elle se déplaçait bien et n’arborait pas de blessures apparentes. En revanche… La praticienne ne pouvait manquer l’aspect rebondi de ses courbes et son teint un tantinet plus blafard. Des rougeurs apparaissaient ici et là sur sa peau et Rebecca était bien moins filiforme qu’auparavant… Et Lucy savait qu’elle avait eu l’occasion de détailler de très, très près la finesse de sa taille ! Une dépression ? En aussi peu de temps ?
Luz se dirigea vers l’entrée de son cabinet et retourna le panneau qui indiquait à ses patients que le local était ouvert. Elle n’avait aucun rendez-vous cette après-midi, consacrant ce jour de la semaine aux visites sans rendez-vous. Cela tombait bien : elle se sentait parfaitement disposée à renouer avec une amie aujourd’hui et à ne rien faire d’autre.
Elle désigna la chaise confortable qui faisait face à son bureau, invitant Rebecca à s’y assoir.
2ème lune de la saison chaude de l'an 1 000
Venir ici était peut-être une mauvaise idée. Qu'est-ce qu'elle pourrait bien lui raconter ? Elle n'allait tout de même pas lui dire qu'elle vomissait régulièrement, que ces sauts d'humeur étaient intenables (plus que d'habitude, cela va sans dire) et qu'elle devenait de plus en plus gauche ?
- T'as oublié de dire que t'allais aux toilettes toutes les 10 minutes.
- Je ne suis pas sûre que cela l'intéresse grandement.
- Ah bah moi je peux te dire qu'un problème de vessis, c'est ultra bizarre, hein ! Surtout pour toi qui arrive à tout retenir pendant des heures...
- Si tu veux, Machin. Je lui en parlerai le moment venu.
- Pfff, t'es devenu trop bonne avec moi depuis quelques temps.
- Peut-être que je commence à t'apprécier ?
- Tu te fais surtout vieille, ouais.
Rebecca s'assoit à la place indiquée par Luz. Le fauteuil, confortable, l'apaise quelques secondes. Les livres tout autour donne un côté studieux à la pièce, même si l'aventurière trouve qu'il manque tout de même de plante.
La question "Raconte-moi tout" ne semble pas compliquée, mais pour Rebecca...c'est tout un art. Avec un certain nombre de mots, elle essaye d'expliquer au mieux son problème. Non sans oublier ses problèmes de vessie.
- Ca a commencé quelques semaines après...
Après quoi ? Tellement de chose ont été faites dans un laps de temps si court. Mais il n'y a que deux choses qui sorte de l'ordinaire. Mieux vaut attendre la confirmation du docteur avant d'imaginer quoique ce soit.
Luz tout d’abord curieuse se fit progressivement attentive. Tandis que Rebecca énonçait la longue succession de ses symptômes, la praticienne cochait les cases d’une liste invisible dans son esprit, de plus en plus incrédule. Habituée à traiter les menus tracas de la population locale lorsqu’elle s’installait quelque part, il n’était pas rare qu’elle ait à soigner des gastro-entérites ou même à expliquer le fonctionnement du cycle féminin à des demoiselles perdues du fait d’une famille bien trop pincée pour en parler librement. Mais Rebecca… Luz savait de source sûre que la jeune femme était paaarfaitement au fait de ces magies de la nature. Guère pudique pour deux sous et dotée d’un tempérament extrêmement volontaire et décideur, elle ne l’imaginait pas s’interroger soudainement sur des menstruations particulièrement difficiles. Ne restait donc qu’une maladie gastrique, s’il en était l’impact sur l’appareil reproducteur… Non, en réalité, se corrigea-t-elle, l’hypothèse la plus vraisemblable était justement celle qu’elle n’aurait jamais envisagé autrement pour Rebecca.
Luz plongea ses prunelles dans le regard de sa patiente et prit le temps de choisir ses mots avec soin. Au vu de son comportement agacé et un tantinet pressé d’en finir, son invitée ne devait pas avoir un seul instant envisagé cette autre possibilité…
La ligne de ses épaules se fit plus douce et elle reprit par davantage d’explications, espérant pouvoir prévenir toute angoisse chez son amie :
Les rondeurs de Rebecca lui sautèrent alors à nouveau aux yeux, témoignage supplémentaire de la vérité.
Luz ne rigolait jamais sur ces sujets. Les embryons étaient d’une extrême fragilité pour la grande majorité et en tant que médecin, elle ne pouvait décemment brûler les étapes. Pour l’heure, il n’était pas non plus temps de demander à Rebecca ce qu’elle comptait faire de cet enfant si elle était bel et bien enceinte… Elle se leva donc pour se diriger vers une plante en pot dans un coin et pour prélever l’une de ses fleurs en cône, d’un beau bleu profond. Elle tendit le spécimen et une fine aiguille à sa patiente, un sourire encourageant sur les lèvres :
- sevragea laiteuse :
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Rebecca ? Enceinte ?
- Hahaha, non tu dois sûrement te tromper. Je ne peux pas être...comme ça.
Non, clairement pas, elle ne pouvait pas l’imaginer ne serait-ce qu’une seule seconde. Elle ? Avait un marmot dans les pattes à devoir faire la maman parfaite ? A jongler entre biberons et couches ? A ne dormir que deux heures par nuit et ce, pendant des mois et des mois ? A n’entendre que des cris pour les reste de sa vie ? A devoir lui donner des cristaux tous les mois pour qu’il puisse sortir toute la nuit ?
Et encore..ça, ce n’est que la partie immergé de l’iceberg. Va falloir le foutre à l’école, payer une blinde pour ses affaires, ses vêtements, ses sorties, ses bêtises. Devoir le couvrir s’il fait des conneries...Non, en faite, les gardes devront le protéger de son gourou.
Se levant, Rebecca se déplace vers Luz et attrapa l’aiguille tendue.
- Prends tout le sang qu’il te faudra, pour prouver que ce n’est absolument pas ça.
Oui, c’était sûr que ce n’était pas ça. Ça ne devait absolument pas être ça,
L’aiguille dans sa dextre, Rebecca se la plante dans l’index opposé. Une petite perle rouge vient s’écraser contre le pétale bleu de la plante providentielle. Il fallait maintenant attendre une dizaine de minutes avant de voir le résultat.
Tellement de questions lui trottaient dans la tête. Mais mieux vaut pas se mettre la pression tout de suite. Il n’y a aucune chance qu’elle soit enceinte, ah ça...non.
Luz eut un mouvement silencieux de la tête en signe d’acquiescement, n’osant trop démentir les affirmations de sa jeune amie. Pour elle, tous les symptômes évocateurs étaient présents et ne laissaient que peu de place à l’imagination… Fort heureusement, Rebecca consentait à réaliser un test de grossesse, les épaules de la praticienne étaient donc soulagées de la perspective d’une bataille psychologique avec sa patiente. Elle récupéra précautionneusement le spécimen contenant la perle de sang et le déposa dans un récipient en verre, bien en équilibre. L’objet menaçant les fixa dans le silence qui s’était installé, tel les nuages annonciateurs de l’orage. Luz s’ébroua alors brusquement et la nécessité de distraire Rebecca durant ces interminables minutes d’attente se fit impérieuse dans son esprit.
Elle n’ajouta rien, soulignant par son regard l’évidente pâleur de sa patiente. Un choc psychologique n’arrangerait rien, autant prévenir que guérir par conséquent. Elle se leva et se dirigea vers le semblant de cuisine installé dans un coin de son cabinet – davantage à vrai dire un réchaud installé de manière précaire pour occuper ses longues journées de travail. Tandis que l’eau de leur futur thé bouillait, Luz se vit sortir un nombre incalculable de banalités dans l’espoir vain de distraire la jolie jeune femme qui patientait sur sa chaise : elle s’entendit ainsi s’enquérir du temps, des activités de Rebecca, des heures qui décidément passaient vite à leur âge, et comment va Paola Ruiza Picassa – quoi ? Elle a emménagé avec Vincente Vanaghogue et ils s’apprêtent à se marier ?!
Tout en parlant à travers le filtre de ses lèvres, Luz réfléchissait autant qu’elle le pouvait. Elle ne connaissait aucune relation présente à Rebecca, mais son amie était des plus secrètes et discrètes en la matière. Elle savait qu’elle disposait d’un ex-mari et que leur relation n’était pas au beau fixe grâce au temps qu’elles avaient passé dans ce jacuzzi au Village Perché… Quant à des aventures… Rebecca avait-elle des aventures ?
Elle n’eut guère l’occasion de se poser plus avant la question, car ses yeux tombèrent par mégarde sur les pétales de la sevragea laiteuse tandis qu’elles sirotaient leur tasse de thé respective. La fleur s’était saisie d’un beau blanc laiteux. Ah.
Elle lui désigna d’un geste délié l’évidence.
Elle se fendit d’une once de sourire qu’elle espérait le plus rassurant possible :
Par chaleureuse prévenance, sa main se tendit pour se poser avec douceur sur l’épaule de l’Aventurière. Elle espérait lui montrer son soutien dans cette épreuve, y compris si Rebecca ne souhaitait pas conserver l’enfant. De nombreuses possibilités existaient, et elle se devait d’y réfléchir prudemment.
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Rebecca ? Enceinte ?
- Tu n’as pas plutôt un alcool fort ? Je pense qu’une telle annonce vaut bien un petit coup.
Mais non, à la place, la doctoresse apporte une tasse d’eau chaude avec des plantes flottant à l’intérieur. Bon et bien, il ne manque plus qu’à attendre. Attendre un résultat qui va changer toute sa vie. Attendre pour savoir si elle allait gonfler comme une montgolfière. Allez, ce n’est que dix minutes d’attente. Qu’est-ce que c’est, que dix minutes ? Rien, dans une vie. Mais cela paraît tellement longtemps, maintenant. C’est long, dix minutes, quand tu attends des résultats. Et qu’importe le résultat, hein. Que ça soit celui pour un poste, un diplôme ou un test de grossesse.
Et puis le résultat tombe.
Enceinte. Rebecca est enceinte. La nouvelle rentrait dans ses oreilles, mais ne parvenait pas à son cerveau. Enceinte….enceinte…
- Hé petite fleur, réveilles toi ! T’es enceinte ! EN-CEIN-TE !
- Non, ce n’est pas possible. C’est juste une grosse gastro, voilà tout.
Rebecca boit sa tasse de thé cul-sec, la chaleur du liquide brûlant sa gorge. Elle essayait de remettre ses idées en place. Quelles idées ? Qu’importe, le plus important, c’est de faire digérer la pilule. La pilule, tiens, un bon mot vu la situation.
- Voilà, une grosse gastro. C’est tout.
- Mais, sœur, franchement. FRANCHEMENT. Une grosse gastro ? C’est sûr que vu ce que t’as dans le ventre, ça va être compliqué de le faire sortir sans forcer un peu...
- C’est complètement dégueulasse, Machin !
Rebecca avait haussé la voix sans trop le vouloir. Toute cette situation la mettait un peu beaucoup mal à l’aise.
- Désolée.
Reprenant son sang froid en inspirant plusieurs fois longtemps, l’aventurière prenait enfin conscience de la situation, et de la chose qui va pousser en elle pendant 9 mois.
- Me féliciter d’avoir « ça » dans le ventre ? Je ne sais pas.
- Tu sais qui est le père ?
- Bien sûr. C’est...c’est..
- Allez petite fleur, vas-y, dis qui est le père.
- Je...je sais pas.
- T’as pas trop de choix, hein. C’est soit ton chevalier capitaine, soit ton super aventurier.
- Mais à qui est ce truc, au final ?
Elle avait pensé à voix haute. Parfait. Luz allait savoir qu’Arthorias n’était pas la seule personne à avoir pénétrer le sanctuaire.
- Arthorias Hekmatyar ou Nora Eos. Je ne sais pas si tu le connais. C’est un des deux.
- Allez, ma p’tite dévergondée. Ta nouvelle mission : Trouver le pôpa de ton future mioche!
Lentement, Luz haussa un sourcil en une fine ligne courbe, une visible inquiétude sur ses traits. « Machin » ? Son amie perdait-elle l’esprit ? L’annonce avait-elle été un brin trop violente pour ce qu’elle était capable d’absorber ? Elle s’apprêtait à s’enquérir de la bonne santé de l’Aventurière lorsque celle-ci reprit le fil de ses questions. Elle referma donc la bouche et lui décocha un regard tout bonnement stupéfait. Cela, juste avant qu’un immense éclat de rire ne la saisisse bien malgré elle.
Réduire et arrêter tout à fait son hilarité lui coûtèrent un effort supplémentaire. Une main levée en signe d’excuses, elle lissa du plat du pouce le coin de ses yeux pour en ôter quelques larmes invisibles et redevint immédiatement d’un sérieux abyssal.
Par Lucy, que le monde était petit ! On ne pouvait donc pas sortir et fréquenter des gens sans croiser deux potentiels visiteurs invétérés du sanctuaire de Rebecca ? Elle ne savait quelle information était la plus étonnante. Que le Capitaine de la Garde royale ait eu le temps de se consacrer à une femme, lui qui était un véritable bourreau du travail, ou que Nora soit parvenu à vaincre ses élans de timidité pour toucher un corps féminin de son plein grés. Les deux étaient du moins terriblement séduisants, chacun à leur manière, et Luz n’avait aucune difficulté à comprendre ce qui avait convaincu Rebecca de s’essayer à une sauvage partie de jambes en l’air avec eux. Au point qu’elle ne s’était pas protégée.
Certes, l’occasion était un brin triste, mais pour une fois que Luz pouvait apprendre quelques éléments de plus sur la vie de Rebecca… ! Une opportunité idéale pour contourner ses habituelles réponses sibyllines. Elle réfléchit.
Elle chercha le regard de Rebecca et ancra ses prunelles aux siennes, désireuse de lui faire comprendre toute l’importance de ce qu’elle allait dire :
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- Pffff, elle vient de se moquer de toi là !
- Non, ce n'est pas du style de Luz.
- Et son petit rire, là, c'est de son style ?
- Non, il doit y avoir une explication rationnelle derrière tout ça.
- Moi je te l'aurai retourné tel un bon gros bout de viande façon barbecue...
- Le monde est petit...
Super, Luz pouvait la juger pleinement, elle connaissant les deux prétendants. Mais en croisant son regard, Rebecca ne lu aucun jugement. Même, elle avait l'air intéressée, voire inquiète de sa situation.
- C'est....c'est compliqué. Mais oui, Art-...Arthorias est mon ex mari.
- Bôh alors, on bafouille ? C'est troooop choupi !
Tomber enceinte d'un inconnu est quand même assez haut de chapeau. Mais tomber enceinte de son ex-mari ? Alors là, non, c'est le gros pompon. Il fallait mettre tout ça au claire, est assez vite.
- Ou sinon tu attends qu'il naisse, histoire de voir s'il a les cheveux d'un blond soyeux ou d'un noir ténébreux.
- Tu ne peux pas garder tes idées foireuses pour toi ?
- Non mais au moins comme ça, tu as le temps de te mettre les deux à dos !
- Je ne sais pas si je pourrais les revoir, les deux. Imagine qu'au final, ce n'est aucun, le père ? Bon, il est vrai que ça peut pas être vrai, parce que les autres personnes avec qui je l'ai fait, c'était des femmes. A part une fois. Mais là, ça ne compte pas ! C'était vraiment une femme, mais transformé en homme. Et moi aussi, j'étais un homme. C'était vraiment bizarre, mais pas si gênant que cela....Enfin bref ! Imagine que tout ne se passe pas comme prévus ? Je vais me retrouver seule, avec deux hommes à dos...
Trop de questions, tout s'embrouille dans sa tête. Rebecca a l'impression de revivre ses pires angoisses, de revenir à la femme qu'elle était avant : timide, pas sûre d'elle...Un cauchemar qui va redevenir réalité.
Une femme, mais transformée en homme ? Luz fronça les sourcils. Hormis Calixte, elle ne connaissait actuellement personne capable de telles prouesses. Et Zahria, se corrigea-t-elle instantanément. Mais elle balaya son argument d’un mouvement mental de la main, impossible que le Maître espion s’amuse à se travestir par magie pour visiter des sanctuaires d’Aventurière ! Elle vivait après tout une parfaite idylle avec… Frenn ? Grenn ? L’autre, quoi.
Le cœur arrachée de voir Rebecca dans un tel état, Luz se releva et vint s’assoir tout contre la chaise de son amie pour passer un bras rassurant par-dessus son épaule. Elle espérait lui transmettre ainsi un peu de sa chaleur et de sa compassion toute maternelle au travers de cette épreuve difficile. La praticienne n’avait été enceinte qu’une seule fois, et cela avait constitué un effroyable choc. Certes, elle avait finalement gardé l’enfant, mais elle n’était définitivement pas prête à renouveler l’expérience. Heureusement que son appareil reproducteur était désormais aussi efficace qu’un cristal de communication fissuré et bouilli. Un marmot, ça coûtait la trésorerie d’une Reine. Au moins. Les intérêts avec. Et Luz préférait grandement utiliser son argent pour ses projets personnels.
Elle lui frotta le dos du plat de la main. Le Capitaine de la Garde royale avait donc été marié avec Rebecca Hekmatyar… Luz peinait à les imaginer tous les deux ensemble dans un duo épanoui et heureux. Elle en déduit qu’il appréciait de toute évidence les femmes de caractère, et l’idée la fit sourire intérieurement. Elle remit l’une des mèches argent de Rebecca derrière une oreille et se redressa pour s’adonner à ses préparations. Elle attrapa trois bocaux dans une étagère proche, en vérifia l’étiquette frappée de lettres manuscrites et emballa le tout dans un torchon propre sous la forme d’un ballot qu’elle tendit à l’Aventurière.
Elle se pencha et s’accroupit à côté d’elle, frôlant ses genoux. Son regard était interrogateur et affectueux :
Inutile de préciser de qui elle pouvait bien parler !
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Rebecca se laissa aller contre l'épaule de son amie. Sa vie recommençait à déraper, et bizarrement, cela ne lui allait plus du tout. C'était bien, une vie posée, au final. Sans surprise, sans mauvais coup, sans rien. Une vie où on pouvait prévoir le lendemain sans soucis, une petite tisane dans les mains, entrain de regarder un orage dehors. Voilà la vie que voulait Rebecca ! Mais on dirait que la Sainte Lucy ne voulait rien savoir...
- Peut-être est-ce le moment de changer de religion ? Tu sais, abandonner Lucy et tout le blablabla qui va avec.
- J'essaierai de penser à tout prendre.
- Vas-y, fais comme si tu ne m'entendais pas. Je vais finir par partir, hein.
- N'oublis pas de laisser les clés après avoir fermer la porte.
- L'humour de maman ne te va pas du tout. PAS-DU-TOUT.
Rebecca sentit que Luz se leva pour se mettre accroupie devant elle. Dans d'autre circonstance, elle aurait chercher à jouer avec elle, et aurait même essayer de l'embrasser. Mais là, le coeur n'y était pas.
- Il va bien falloir, non ?
Oui, elle s'imagine mal les recroiser au coin d'une rue, le ventre gonfler comme un ballon, et leur dire que c'est juste parce qu'elle a trop mangé de fromage. Non, clairement pas. Mais avant d'aller le dire à un des deux, l'aventurière voudrait quand même trouver le père, histoire de ne pas donner de..."faux espoir" à un des deux.
- Tu as dit que tu connaissais quelqu'un qui pouvait savoir qui était le père ? Je peux manigancer quelque chose d'assez simple pour amener un des deux.
Rebecca avait prévus de voir Nora dans quelques semaines / lunes. Elle commencerait par lui. Mais sans le prévenir bien sur.
- Mieux vaut garder ça...tout ça pour toi, pour l'instant. Je ne veux pas que cela s'ébruite plus que de raison.
Oui, mieux vaut que cela reste entre elles deux. Ou du moins, que cela reste dans un cercle très très fermé.
Elle lui offrit un clin d’œil qui avait principalement pour but de dédramatiser l’atmosphère et se redressa pour se diriger cette fois vers son bureau.
Elle farfouilla quelques instants dans l’un de ses tiroirs dont le fond semblait infini, et finit par parvenir à en extraire un dossier. Après quelques interminables secondes de recherche, son visage s’éclaira et elle attrapa sa plume pour tracer consciencieusement les indications souhaitées sur une feuille vierge. Elle la tendit aussitôt après à Rebecca. Il s’agissait désormais d’une missive soigneusement écrite à la main dont l’en-tête reprenait l’adresse exacte de la vieille dame en question.
Elle rit doucement au souvenir de leurs déboires de la saison chaude.
Il était tard. Peut-être ? songea-t-elle en contemplant la nuit qui gagnait les rues au-dehors. Mais l’Aventurière n’était pas n’importe qui et saurait parfaitement rentrer chez elle – Luz ne doutait pas un instant qu’elle avait affronté bien pire que quelques soulards en déveine. Elle l’étreignit pourtant brièvement et lui lança un dernier « Sois prudente ! » avant de la regarder s’éloigner à la manière d’une mère inquiète. Lorsque sa silhouette disparut à une intersection, elle tâcha d’apaiser le pincement qui persistait dans son cœur et tourna les talons. Il était temps de voir ce que la cuisinière de la Volière aux Dragons avait préparé pour ce soir !