Loupiote

+ Proposé par : @Aeron Renmyrth
+ Participants : Libre
+ Objectif : Ramener une Lumis Sylvatica

Aeron arracha son regard de la feuille de parchemin qui lui faisait face, contenant des listes d’inventaires pour le Village Perché. Les chiffres annoncés correspondaient bien au rapport initial, et il n’avait rien détecté de particulièrement suspect pendant sa fastidieuse examination des différentiels de stock. Il y avait passé plusieurs jours, sans réelle raison, là où cela n’aurait dû être l’affaire que de quelques heures.

Le prince grimaça en remontant ses lunettes sur l’arête de son nez, et regarda autour de lui. Il se faisait tôt, de fait, et les lueurs de l’aube commençaient à poindre à travers les épaisses tentures, non-tirées, qui servaient de rideaux. En prime, de nombreux cristaux magiques parsemaient son immense bureau, lui donnant davantage l’impression d’une terrasse extérieure au zénith que des appartements au Palais, dans les dernières heures de la nuit.

Un regard machinal sur le calendrier le sortit du vide de ses pensées, et la date acheva de réveiller ses dernières. Attrapant un autre parchemin, il gratta vigoureusement avec sa plume, et fit signe à Vlora de venir le prendre. La jeune femme prit la missive, la parcourut rapidement et prit la parole :

« Votre Grâce, est-ce pour aujourd’hui ?
- Oui, Vlora, à faire au plus vite.
- A vos ordres. »

Aeron la congédia d’un geste et retourna à l’examen vague de ce qui parsemait son espace de travail, non sans avoir adressé un regard coupable en direction de son lit.


Vlora, débarrassée de ses atours de servante, attendit que les volontaires soient introduits dans le petit salon qui servirait de salle de présentation aujourd’hui. Le petit manoir était à l’écart de la Capitale, mais elle avait, avec la célérité qui lui était caractéristique, trouvé rapidement du personnel pour accomplir la demande du Prince. Sur un signal, les deux aventuriers furent introduits. Jin Hidoru et Nora Eos, rien de particulier à signaler suite aux vérifications de routine qu’elle avait fait effectuer avant de les laisser travailler pour le Prince.

A la rigueur, la Guilde enverrait une note pour faire part de son profond désarroi à voir des aventuriers ne pas passer par une quête officielle. Note qui ne parviendrait jamais jusqu’à Aeron, car beaucoup trop triviale.

« Bonjour, Aventuriers. »

Elle les laissa s’asseoir dans les confortables fauteuils qui lui faisaient face, et s’assura d’avoir leur pleine et entière attention avant de reprendre.

« Votre mission est d’aller chercher un exemplaire vivant, vigoureux et en bonne santé de Lumis Sylvatica. Je réitère, il est impératif que la plante puisse vivre ensuite ici, avec toutes les contraintes qui lui sont inhérentes. »

Une fois que les souhaits de son employeur furent bien exprimés et intégrés, elle croisa ses doigts devant elle en inclinant la tête sur le côté.

« Eu égard à la rareté de la Lumis, je me suis permis de faire quelques recherches. Un homme du village de Ramani, un certain Philodendron, prétend récemment avoir la possibilité de s’en procurer. Je vous laisse décider si vous ferez appel à lui ou non. Peut-être ne s’agit-il après tout que de rumeurs. Toutefois, comme indiqué dans la demande initiale, vous n’avez que quinze jours pour revenir avec la plante. Au-delà de ce délai, le contrat sera considéré comme nul et non-avenu. Avez-vous des questions ? »

Il n’y avait pas de question à poser. Tout reposait sur eux. Enfin, tout… Vlora avait déjà mis en place un plan de secours, au cas où les aventuriers échoueraient à la tâche. Après tout, son seul objectif était que la volonté d’Aeron soit faite.

Vlora leva la tête quand le domestique lui signala le retour des aventuriers. Bien sûr, elle aurait pu arranger un coursier rapide en provenance des portes de la Capitale, ou un enfant désoeuvré qui n’aurait certainement pas refusé de courir jusqu’ici en échange de quelques cristaux, prêt à faire le guet pendant plusieurs jours s’il le fallait. C’était une mesure qu’elle gardait pour la toute fin, quand il ne resterait que quelques heures avant de devoir fournir la fleur à son Prince.

Cela ne s’avéra donc pas nécessaire, et elle s’autorisa un petit sourire satisfait du choix qu’elle avait fait, avant de descendre les escaliers pour rejoindre les deux aventuriers.

« Bonjour, Jin Hidoru, Nora Eos. Si vous voulez bien me suivre ? »

Elle les guida jusqu’à une petite salle de réception meublée avec goût, et destinée d’avantage à des conversations plus intimes que les occasions plus festives pouvant conduire à avoir plusieurs dizaines de personnes regroupées au même endroit. Cette fois-ci, elle n’était plus séparée des aventuriers par un grand bureau, mais bien par une simple table basse, alors qu’ils s’asseyaient dans le canapé moelleux qui lui faisait face.

Sur un geste de sa part, les cristaux s’étaient allumés et fournissaient un éclairage qui, s’il était modulable, n’avait pour l’instant rien de tamisé.

« J’ai fait mander une connaissance qui se chargera d’authentifier la plante, étant donné que mes connaissances dans ce domaine sont parfaitement parcellaires. Je vous prie donc de bien vouloir patienter quelques instants. »

Dans l’intervalle de leur arrivée, des rafraîchissements avaient déjà commencé à être préparés, et une poignée de secondes plus tard, une servante entra avec un plateau sur lequel se trouvaient une théière fumante au parfum floral, trois tasses aux motifs évoquant des oiseaux et munies de leurs soucoupes, ainsi qu’une assiette à fond plat ils pouvaient voir des délicatesses salées et sucrées, séparées par des apéritifs tout en longueur. Juste après, un majordome entra également avec des bols d’eau chaude et des serviettes afin que les derniers invités puissent se débarbouiller les mains avant de manger.

Vlora prit sur elle-même de servir le thé aux deux hommes, congédiant par là-même les autres serviteurs. Même parmi eux, il existait une hiérarchie, parfois implicite mais indéniable, et si elle était absolument claire ici, cela ne l’empêchait pas de se servir pour tout un ensemble de raisons pratiques. Aujourd’hui, la plus importante était de tisser du lien avec les deux mercenaires, au cas où Aeron aurait à nouveau besoin de personnel pour des tâches dangereuses, donc les brosser dans le sens du poil semblait bien un minimum politique.

Ils échangèrent quelques banalités en grignotant et en attendant que le jardinier arrive, Vlora se contentant de sa tasse de thé. L’homme d’une cinquantaine d’années pénétra dans le petit salon, son calot à la main, et s’inclina respectueusement vis-à-vis des trois personnes présentes, avant de se rapprocher sur un geste de la jeune femme.

« Comme nous en avions parlé il y a quelques jours, Maître Dran, pouvez-vous analyser cette fleur et confirmer qu’il s’agit bien d’une Lumis Sylvatica ? »

Dran s’attaqua donc à examiner la fleur, d’abord les pétales, puis les feuilles et la tige, et écarta enfin un peu la terre pour examiner le haut des racines.

« Maîtresse Vlora, j’vous assure que c’este bien de la Lumis Sylvatica, en excellente santé d’ailleurs. Des comme ça que j’en voyais que chez Papy, dans l’temps.
- Je vous remercie, Maître Dran. Vous pouvez reprendre vos activités, répondit-elle avec précision.
- Au plaisir. »

Elle remarqua par réflexe qu’il avait laissé une traînée de boue sur le tapis, et se nota de signaler à la fois au majordome et à la servante qu’ils devaient être vigilants sur les personnes qui pénétraient dans le manoir, ainsi que s’assurer que le sol ne soit pas définitivement taché par le passage du jardinier. Puis elle reporta son attention sur les deux jeunes hommes qui lui faisaient face, et n’avaient pas lâché un mot pendant l’expertise de la fleur.

« Messieurs, votre contrat est donc rempli. »

Elle posa deux bourses sur la table basse, entre eux, à côté du plateau.

« Au nom du Prince Aeron, je tiens à vous féliciter et vous remercier de la célérité et de l’attention dont vous avez fait preuve pour ramener cette fleur. J’insisterai personnellement sur votre investissement personnel. Nul doute qu’il vous en sera reconnaissant, et saura se rappeler de vous s’il se trouve avoir à nouveau besoin d’aide. »

Poliment, elle se leva, et les guida jusqu’à la sortie. Puis, accompagnée d’un nouveau domestique, elle se prépara à retourner au Palais.


Aeron retint son souffle quelques secondes, dans le couloir du Palais, avant d’expirer tout doucement. Il sentit son cœur se calmer progressivement, et passa avec détermination le coin qui l’empêchait de voir l’entrée du bureau royal. Arrivé devant la porte, il répondit d’un signe de tête aux deux gardes royaux qui le saluèrent, et leva une main pour les empêcher de toquer à sa place. Un rapide coup d’œil par la fenêtre lui confirma que la journée touchait à sa fin, mais il attendit tout de même quelques instants supplémentaires.

Les jointures de ses doigts produisirent un son qui lui parut faible et creux contre l’imposant battant en bois brut, mais il l’ignora.

« Mère ? C’est moi, Aeron. Puis-je entrer ? »

Sur un son d’assentiment, il pénétra dans le bureau de la Reine, une main dans son dos. Et, alors que le crépuscule commençait à laisser la place à la nuit, il présenta la lumis sylvatica, dans un beau pot ouvragé, avec une légère inclinaison du buste.

« Mère, joyeuse fête. »

Alors même que le soleil tombait sous la ligne d’horizon, la fleur s’éclaira de mille couleurs et jeta un éclairage fantasmagorique sur le mobilier et le visage d’Allys Renmyrth, Reine du Royaume d’Aryon, et sa mère.