E anche questo dolore sarà vane
Je ne doutais pas que certains répondraient présents. Non qu'ils le devaient poussés par des considérations éthiques dont je ne peux pas présumer raisonnablement ; mais plutôt par curiosité. Nous avons peu en commun ; dans le cas contraire, la Cabale ne serait qu'un mot comme un autre. Ce conglomérat s'est cependant monté pour une raison, qui me semble constituer un ciment suffisant à la formation de notre entreprise : et c'est bien celle-ci que je postule au devant de l'intégralité des autres.
Un appel, sans doute. Aucun nom ne lui sied vraiment tout à fait.
De ce qu'ils font j'ai beaucoup entendu, rien vu ; des mots, certes, mais aucune phrase. On n'écrit pas les livres avec des résidus d'herbe folle. Il fallait que je marche jusqu'à eux, que je vienne à leur rencontre pour observer. Les rattraper avant qu'ils ne fanent ; cataloguer leurs esprits avant que leurs peaux n'appartiennent aux taxidermistes.
Je crois avoir compris qu'ils mènent une inquisition sans objet ; sans leur imaginer quelque intention -si tant est qu'il en existe une-, j'ose espérer du moins qu'ils n'ont pas mis feu à l'irremplaçable. Leurs vies, comme celles qu'ils ont peut-être fauchées, le sont ; bien sûr, ce fait n'implique aucune sorte de valeur sacrée. Un homme, c'est un homme : une fois mort, on lui trouve une utilité, et on le laisse aux charognards, comme il est de coutume de le faire.
Il y a longtemps, on disait, pour menacer : « ton corps nourrira les chiens et sera la pitance des oiseaux ».
Quels chiens ? Et quels oiseaux ?
Sans doute ont-il pris la peine de les regarder. S'ils sont de la même trempe que moi, s'ils souhaitent, ou croient, être de la même trempe que moi, alors ils ont dû le faire. Mais si cette hypothèse n'est pas vérifiée, j'espère qu'ils m'auront surpris : qui sait ce qu'ils désirent faire, sinon un génie malin dont ils n'ont pas plus conscience que moi ? Quels actes leur dicte-t-il, et à quoi vont-ils mener ?
La Cabale, je le souhaite, n'a pas cessé de marcher.
Mais où ?
Pour ma part, je suis allé en forêt.
« Nel mezzo del cammin di nostra vita,
mi ritrovai per una selva oscura
ché la diritta via era smarrita »*
Au milieu du chemin de notre vie,
je me suis retrouvé dans une forêt sombre
parce que j'avais perdu la droite route.
J'ai trouvé sur mes pas un vieux manoir aux murs mangés par la pluie, qui se tordait comme un corps désuni ; du lierre l'embrassait jusqu'à l'asphyxie. J'ai monté les escaliers de la grande pièce, dont il ne restait qu'une table et le cadavre d'un lustre en guise de témoin de son faste passé, et j'ai ouvert la porte de bois d'une chambre de réception, déjà à demi détachée -la force des gonds vermoulus ne la maintenant plus en place qu'au prix d'un effort pénible, dont il ne fallait pas espérer qu'ils supportent la perspective d'un nouveau banquet. Là, j'ai retrouvé la grand salle que j'avais vue battre de tout son cœur, il y a de ça des années qu'on ne comptait plus, et je me suis assis sur un fauteuil éventré, au milieu des tapisseries poussiéreuses qui figuraient autrefois les cinq sens que nous connaissons, plus un sixième sans nom, et dont la douceur avait laissé place à un collège de visages dolents.
Il ne me restait qu'à les attendre ici. Les messagers les préviendraient, et ils me rejoindraient après s'être perdus sur la route ; là où l'on ne va jamais par hasard, dans cette maison de maître montée comme un solstice d'hiver.
Nous avons tout le temps qu'il faut.
*Dante, Inferno, Canto Uno, Versi 1-3
Dans un silence mortuaire, Khepra s'avançait lentement jusqu'au point de rendez-vous que lui avaient communiqué ses informateurs. La nouvelle l'avait surpris, mais il l'avait accueilli avec joie et curiosité, car ce n'était pas tous les jours que celui qui avait fixé cette entrevue prenait la peine de se manifester pour venir rencontrer ses hommes. Le Marcheur avait initialement conservé le silence lorsque le plan machiavélique visant à investir le Village Perché avait été établi, mais il semblait désormais qu'il avait décidé de s'y impliquer, ce qui n'était pourtant pas son genre.
Evoluant sans peine dans la boue et la mousse spongieuse qui parsemaient le sol inhospitalier de la foret, la créature suivait la piste que ses compagnons lui avaient tracé avec ingéniosité en vue de la réunion, consistant en des gravures de formes diverses réalisées à même les troncs des arbres gigantesques. Pour un œil inaverti, il s'agissait là d'usure naturelle ou de simples coups de griffes portés par un prédateur quelconque, mais les membres de la Cabale reconnaissait sans mal ces symboles ostentatoires camouflés habilement dans le décor. Peu à peu, ils étendaient leur toile sur ce territoire et apposaient leur marque sur le village en toute discrétion.
Khepra n'accordait généralement que très peu d'importance à sa tenue, car lorsque le corps est aussi éphémère, il est bien rare de souhaiter l'accoutrer convenablement. Malheureusement pour ses camarades, le monstre n'avait pas fait exception à la règle aujourd'hui et était vêtu de haillons tout à fait sinistres, une tenue curieuse qu'il réservait généralement aux embuscades menées aux alentours du village. Il portait sur ses épaules cadavériques une épaisse cape de fourrure visant à masquer sa silhouette. Ses épaulières étaient serties de plumes brunes et son armure de cuir partiellement détruites par de précédentes altercations laissait entrevoir par endroit sa nature monstrueuse.
Sous les multiples épaisseurs de tissu qui le camouflaient maladroitement, Khepra avait pour l'occasion choisi sa forme la plus terrifiante et emblématique, celle d'un squelette parfaitement dépourvu de chair et dont les os grisâtres étaient fêlés en divers endroits, sans doute le corps d'un pauvre aventurier dont une bête sauvage avait eu raison. Néanmoins, il avait pris le temps de rassembler des herbes odorantes et de les fourrer dans ses poches afin de masquer le parfum que les maigres résidus de viande pourries pouvaient occasionner, épargnant aux autres invités d'avoir à subir des remugles de charogne. Mysora y était habituée, mais Vesper risquait quant à elle d'éprouver un certain inconfort s'il ne prenait pas soin de se parfumer correctement.
Sa longue marche se conclut enfin lorsqu'il aperçut, là où les feuillages se faisaient moins épais, les premiers éléments d'une vieille bâtisse poussiéreuse correspondant parfaitement au descriptif qui lui avait été fourni. Les yeux bleutés de la créature se posèrent sur la structure et il se surprit à éprouver une émotion qu'il pensait pourtant avoir perdu, car une certaine forme de trac vint secouer ses vieux os. Le Marcheur approuvait-il le déroulement de leur plan, ou les avait-il conviés à se rencontrer pour faire part de sa déception ? Si Khepra avait toujours senti une connexion surnaturelle avec son dirigeant du fait de la nature extraordinaire de leurs pouvoirs respectifs, il réalisait à quel point l'aura de mystère qui embaumait le Marcheur le rendait difficile à analyser, ce qui prévenait toute forme de prédiction concernant le thème exact de la réunion.
La caractéristique curiosité du mort-vivant l'emporta bien vite sur ses doutes et il se remit en marche avec diligence, poussant la première porte de son poing squelettique. Le silence de mort n'était rompu que par le sifflement des bourrasques s'insinuant dans la demeure par les vitres brisées, conférant au lieu une atmosphère terriblement inquiétante. Il observa un instant l'environnement délabré dans lequel il se trouvait et continua jusqu'à l'escalier dont la rampe ornée avec goût était sectionnée par endroits, puis il fit enfin son entrée dans la pièce où se trouvait son fameux mentor. Le Marcheur se tenait là, installé tranquillement dans un siège au dossier partiellement déchiré. Khepra constata d'abord qu'il était le premier à avoir répondu à l'appel, puis offrit au maitre une révérence étonnamment distinguée en guise de salutation. S'il avait eu des lèvres, elles se seraient sans doute tordues en un sourire. Il se redressa lentement puis s'exprima de cette voix monstrueusement sombre qu'était la sienne.
"Qu'il est bon de vous revoir."
Il était bien rare de pouvoir observer un tel respect dans les mots de la créature, encore plus lorsqu'il les prononçait avec sincérité. Sans y être invité, Khepra se posta instinctivement près de la portée d'entrée et posa lentement sa dextre sur le pommeau de son khopesh. Il ne pensait pas avoir été suivi, mais certaines rencontres avec des gardes plus récalcitrants que d'autres le poussait à davantage de prudence qu'à l'accoutumée. Malgré leurs précautions, ils étaient bel et bien en territoire ennemi.
Les deux jeunes gens finirent par arriver, après quelques errances malgré les indications tacites répandues sur le chemin, devant le manoir qui accueillerait la rencontre. Un fugace regard à sa façade permit à Vesper de constater à quel point le temps y avait imprimé sa marque. Naguère, il devait s'agir d'une splendide demeure, magnifiquement enchâssée dans cet écrin boisé. À présent, il n'en restait plus qu'un souvenir dévasté. Se faufilant entre les lourds battants chus de guingois de la porte d'entrée, ils pénétrèrent dans le hall, dont l'ambiance se révéla aussi sinistre qu'un mausolée, puis montèrent rapidement à l'étage, pour y trouver signe de vie.
Après avoir traversé quelques pièces désolantes de déchéance, ils finirent par gagner ce qui devait être la grand-salle, au regard de sa vaste ampleur. Les voûtes de celle-ci s'élançaient fièrement en hauteur, avec majesté, et des tapisseries en loque pendaient le long de ses murs aveugles, exsudant des relents de poussière. La pièce n'offrait plus que le fantôme de son faste passé, dotée d'une splendeur toute mortuaire. De hautes fenêtres à meneaux, éventrées, ouvraient des échappées à certains endroits. Dans le jour anémié qui en tombait, se trouvait le Marcheur.
En l'apercevant, Vesper sut immédiatement qu'elle avait affaire à lui, et non à un simple promeneur errant. Car ce qui émanait de sa personne ne laissait pas l'ombre d'un doute sur sa qualité. La noble s'inclina aussitôt de façon appuyée devant lui. Elle se trouvait drapée dans une robe sombre et luxueuse, taillée dans un velours plus doux que duvet, et au col rehaussé d'une frange d'ofroi. Une parure qu'elle réservait pour les grandes occasions. Sa chevelure au blond froid était nouée en une natte épaisse, rabattue sur le côté droit de sa poitrine. Vesper brisa assez vite le silence lugubre qui figeait les lieux, avec diligence et un respect composé.
« Vous avez requis ma présence, Marcheur. Je m'en viens honorer cette demande, et toutes celles qui s'ensuivront. »
Main d'Argent, qui la flanquait, se fendit également d'une révérence. Puis, parvenant à détacher temporairement son attention de cet astre froid qui irradiait la pièce de sa prestance, Vesper huma soudainement les effluves singuliers qui flottaient dans l'air, non loin de là. Des miasmes douceâtres de mort, relevés par un odorant bouquet aromatique. Un sourire étira alors ses lèvres maquillées avec soin, tandis qu'elle jetait un regard dans la direction que lui indiquait son odorat. Cela lui permit d'apercevoir une enveloppe particulièrement osseuse et émaciée, dont la maigreur se trouvait quelque peu atténuée par l'épaisse fourrure qui l'étoffait. Celle-ci ne lui évoquait rien de familier, mais elle ne pouvait pour autant se fourvoyer sur son appartenance.
« Vous soignez toujours autant votre bouquet, très cher Khepra. Je suis fort aise de constater que votre présence se révèle toujours aussi riche en agréments. »
Cette réunion se plaçait sous les meilleurs auspices.
En réalité, le Marcheur ne lui était pas totalement inconnu. Parle-d'Or lui avait longuement parlé de lui, de ce qu'il savait à son propos, et du fait qu'il finirait par refaire irruption un jour ou l'autre en réclamant sa place légitime. Mais les temps changent ; ce jour-là, cette place ne serait plus la sienne aux yeux de la Cabale...
Parle-d'Or n'avait qu'à demi raison : s'il était bel et bien réapparut, il n'y avait en revanche qu'une moitié de la Cabale qui s'opposait à lui. Et c'est à peine si cette moitié osait le revendiquer... Mysora, de son coté, n'était pas le genre de personne à s'intéresser à ces guerres intestines. Toutefois, sa fidélité au Parleur de l'Amarante ne lui laissait d'autres choix que de s'opposer au Marcheur.
Ces dernières paroles compliquaient la tâche. Aujourd'hui, au manoir, le danger était inévitable... Le marcheur ne mourrait donc pas ce soir.
Elle arriva sans grand mal devant la demeure - ou plutôt ce qu'il en restait - désignée comme lieu de la rencontre. La portée d'entrée dépassée, elle emprunta le même chemin que ses compagnons quelques minutes plus tôt et gravit les escaliers grinçants, la conduisant à l'étage où elle chercha signe de vie. Après avoir parcouru quelques pièces, son odorat confirma qu'elle était sur la bonne voie : la voleuse sentit une odeur de parfum, semblable à celle que Khepra avait l'habitude de confectionner pour camoufler les relents de moisissures qu'il dégageait. Elle tourna dans la pièce suivante, y aperçut plusieurs silhouettes et s'arrêta sur l'une d'entre elles.
Ses yeux changèrent de cible, puis elle s'inclina très légèrement.
Elle confirma : il ne valait mieux pas tenter quoi que ce soit aujourd'hui.
E anche questo dolore sarà vane
Bien sûr, leurs visages ne me disaient rien ; le premier arrivé, cependant, n'en avait pas. Impossible visuellement de déterminer par quels moyens il se tenait encore, ni selon quelles modalités son âme -en possédait-il seulement une?- occupait sa carcasse fleurie ; il ressemblait à ces étranges priants que l'on trouvait parfois aux confins du monde, figés dans une sorte de méditation profonde, à ce point absorbés par les mortifications qu'ils en avaient pourri au milieu des clairières.
Ou bien les ai-je inventés ?
Qui sait ?
Peut-être que lui et moi partirons un jour à la recherche de ces cathédrales d'ossements sacrifiées à ciel ouvert.
« Au plaisir de recommencer. »
Il s'agissait de répondre à ses amabilités par une considération semblable ; sans doute un être comme lui pourrait partager bien des connaissances dont il n'avait possiblement pas encore conscience. On l'a dit : en principe, les morts ne reviennent jamais.
S'il n'est pas mort, qu'est-il ? Et moi, lui suis-je en un point semblable ?
[Note : Il semble que la révérence n'ait jamais quitté les impératifs de leur protocole ; un certain nombre d'années d'étude me porterait à croire qu'il s'agit d'une pratique inefficace, mais il leur revient d'en appliquer ou non les principes, sans que je n'émette aucune interdiction que ce soit pour les en empêcher.]
« Vous êtes bien obligeante. »
Une autre, arrivée peu après ; attifée de couture moderne, qui ne s'avançait pas seule. Elle dégageait quelque chose d'une maréchale sèche, juste entre la pompe ruineuse et la tentative de meurtre par strangulation.
« Vous ne m'en voudrez pas, madame, si je vous dis que les lieux vous vont comme un couteau à sa plaie. »
En avait-elle percé beaucoup ?
« Il est vrai que nous nous reverrons. Mais il n'est pas l'heure de prophétiser. »
Quant à la troisième venue, ses manières ne trahissaient pas grand chose, sinon qu'elle paraissait le parfait inverse de la seconde : moins rêche, moins hantée, mais aussi et surtout plus souple. Elle avait l'air, s'il se peut, d'une manière de contrepoint ; aux deux autres elle apportait la dose exacte de doute pour que la fiction se tienne et se mette à bouger.
« Je vous sais gré d'avoir répondu. Prenez place avec les autres là où bon vous semblera. »
[Note : Il n'étaient alors que trois, c'est-à-dire à la fois trop peu et bien trop ; il était absolument nécessaire de déterminer dans quelle mesure ils pouvaient ou non articuler la marionnette d'une conversation à plus de voix qu'il n'en faut.]
Les retrouvailles s'annonçaient fructueuses.
« Vous me faites tant d'amabilités qu'on jurerait que vous voulez tous me tuer. »
Le théâtre ancien apprend qu'il est de circonstances de laisser un temps.
« Vous savez aussi bien que moi pourquoi les tragédies s'écrivent aussi souvent autour d'un banquet. »
Pour dire toute la vérité, je n'avais aucune idée de ce qu'ils tramaient ; je ne les connaissais pas. Mais ils vivaient la Cabale, et moi, cette Cabale, je l'avais montée.
Je ne sais pas tracer le sang ; cependant, malgré tout, je le sens.
L'ampleur de mes connaissances ne me donnaient pas encore l'accès aux détours de la tête des Hommes.
« Ne m'en tenez pas rigueur. Moi, de mon côté, je n'en ferai rien. »
Le parquet ouvert et les murs branlants semblaient se pencher pour voir, et se tordre pour nous entendre.
« Si vous vous demandez quelle raison a motivé le choix du manoir que vous avez découvert en guise de salle de réception, autant vous le dire avant d'entamer notre conversation : aucune. J'espère, du moins, que les lieux sont à votre goût. N'hésitez pas, je vous y enjoint, à me partager vos impressions. »
Avaient-ils le goût de la mise en scène ?
« Autrement, je n'ai pas appelé cette réunion de mes vœux pour y présenter des ordres. C'est vous, et vous seuls, qui en avez justifié la tenue. La Cabale, c'est vous, et c'est aussi moi : ce que je sais de vos plans ne me suffit pas. Les messagers ne sauraient l'expliquer mieux que vos propres mots. Alors, puisque nous sommes rassemblés, de vos motivations, de vos buts, et de vos découvertes : instruisez-moi. »
"Je vous remercie, ma chère."
Il était inhabituel de découvrir Khepra aussi sérieux et surtout si peu porté sur la plaisanterie, mais la situation le poussait à se tenir d'une manière exceptionnellement convenable. Pour une fois, Main d'Argent allait être à l'abri des allusions douteuses de son compère monstrueux ainsi que de sa tendance à empiéter sur son espace personnel. Si cela s'avérait sans doute reposant pour le garde du corps de Vesper, Khepra risquait simplement d'en rajouter une couche lors de leur prochaine rencontre pour rattraper son retard en matière de singerie.
Peu après, Khepra entendit le rythme de la marche assurée et nonchalante de son autre camarade, qui n'était autre que Mysora. Cette dernière, avec laquelle il avait appris à composer au cours de leurs dernières opérations, le salua joyeusement et s'autorisa même une petite touche d'humour. Bien déçu de ne pas être doté de paupière, le mort-vivant se dit alors qu'il lui aurait bien répondu par un clin d'oeil mais fut contraint de conserver l'expression parfaitement neutre que lui imposait son faciès squelettique.
Ils attendirent ensemble un court moment mais aucun autre membre de l'organisation ne fit son apparition. Khepra finit donc par rejoindre l'ensemble de l'assistance mais resta alerte néanmoins, étant à l'affut d'un encerclement potentiel de la part des Belluaires. Se sachant traqué, il se montrait d'autant plus prudent en présence de leur dirigeant et n'excluait d'ailleurs pas que la menace puisse venir de l'intérieur. Malgré son désintérêt profond pour la politique interne de la Cabale, il savait de source sûre que son maître ne faisait pas l'unanimité parmi les effectifs.
Le Marcheur s'exprima enfin, introduisant d'ailleurs la séance d'une manière qui poussa Khepra à croire que l'hôte de cette réunion se savait effectivement menacé. Les iris bleutés de la créature furetèrent d'un visage à l'autre, comme pour tenter de déceler dans l'attitude de ses compagnons un quelconque signe indiquant une intention néfaste. Bien évidemment, il ne discerna aucun signe troublant dans l'élégance froide de Vesper ou même dans le sourire narquois de Mysora. Intrigué mais attentif, Khepra continua donc d'écouter son dirigeant.
Ce dernier ne tarda pas à leur faire part de l'exacte nature de l'entrevue, à savoir une envie d'éclaircissement quant à leurs réelles intentions en ces contrées forestières. Le zombie échangea un bref regard avec Mysora puis décida qu'elle était plus à même que lui d'apporter de véritables réponses aux questions de leur supérieur.
Quand bien même la noble aurait été parmi les partisans prônant une gouvernance de la Cabale par l'Amarante, elle aurait veillé à ne rien laisser paraître devant le Marcheur, et aurait conservé cette même serviabilité docile qu'elle avait appris à composer. Oui, la noble n'était que calcul, mais cela était une question de survie, dans les milieux dans lequel elle évoluait.
Un fantôme de sourire erra sur ses lèvres, à l'entente de la métaphore dont elle fut gratifiée par leur hôte.
« Ou un édredon à son faciès, si je peux me permettre d'émettre une variante un peu plus à propos. »
Vesper faisait là référence au premier meurtre que Main d'Argent - et elle, d'une certaine façon, car le commanditaire n'était-il pas autant coupable que l'exécutant ? - avaient commis, tout récemment au Village Perché, en présence de Khepra. Le corps sans vie de la victime s'immisça fugacement dans son esprit, puis s'en alla. Elle reporta son attention sur le Non-mort, qui faisait preuve d'une sobriété qu'elle lui connaissait peu. Était-ce la présence du Marcheur, qui le gardait de darder son sourire habituellement fielleux et un brin salace ? Ainsi donc, il devait lui avoir voué son allégeance...
Tandis que cette conclusion s'ébauchait dans l'esprit de Vesper, une nouvelle venue fit son entrée dans la pièce. La noble reconnut aussitôt leur Forge-savoir. Cette dernière les rejoignit de sa démarche leste et féline, teintée d'un soupçon de désinvolture, et Vesper nota le faible angle avec lequel elle inclina son buste face au Marcheur. Visiblement, elle ne devait pas lui porter la même obédience que Khepra, ou était-elle rétive à toute idée de révérence ?
Un rire perlé franchit les lèvres de Vesper, lorsque le Marcheur avança qu'ils montraient tant qu'amabilité qu'il s'en sentait menacé. Avait-il raison ? Vesper ne comptait pas se salir les mains, pour sa part. Le mort-vivant, aux aguets, la détailla toutefois de ses yeux inquisiteurs pour s'en assurer. La noble n'en prit ombrage, et s'appliqua plutôt à répondre à la question de leur hôte quant au choix du lieu qui les réunissait.
« Cet endroit est splendide, cela va sans dire. Quoi de mieux que ce ravissant vestige de désastre, pour vous présenter celui que nous fomentons ? » Une brève hésitation flotta dans son regard bleu givre, avant qu'elle n'ajoute : « Il manque peut-être quelque peu... de chaleur, si vous me permettez une remarque. Ne voyez-vous pas d'inconvénient à ce que l'on allume la cheminée ? »
Cela aurait l'avantage de rehausser quelque peu l'atmosphère. Il manquerait certes le vin, le gibier et les fruits confits, pour un véritable banquet, mais ils allaient faire un festin d'une autre nature. Ils allaient se nourrir de la tragédie qu'ils ourdissaient, et au sujet de laquelle le Marcheur souhaitait en apprendre davantage. Suite à sa demande d'être instruit, Vesper nota le silence de Khepra, et jugea également opportun de laisser la parole à la personne la plus indiquée pour exposer les détails de leur plan.
« Je laisse à notre Forge-savoir ici présente l'honneur et le plaisir de vous informer. » conclut-elle avec un sourire glacé.
Elijah & la Cabale Canto Uno L’épouvantail s’était mis en route dès qu’il avait reçu le message de son Espoir. Bien que la Cabale n’occupait pas une grande place dans le cœur de cet homme qu’était Elijah, le Marcheur, lui, bien que son retour récent suscitait quelque questionnement, était apprécié par l’homme de paille. En effet, le créateur à l’origine de cette organisation avait les mots justes et de belles phrases afin de rallier les Hommes à sa cause. C’était un rendez-vous. Cependant, cet appel semblait lui être adressé personnellement. Peut-être que d’autres avaient réceptionné le même message, au nom près, mais soit. En plus du lieu de rendez-vous, le messager lui avait transmis les mots suivants : observe, juge et informe-toi. Il était donc clair, qu’Elijah, en tant que Collectionneur du Manuscrit, serait de la partie, mais pas simplement pour discuter autour d’un feu. Il se rendit alors dans cet endroit que lui avait indiqué l’homme encagoulé. Il arriva assez tôt dans l’après-midi, alors que le soleil rayonnait au-delà des arbres immenses qui assombrissait les chemins. Un vieux manoir semblant avoir été abandonné depuis des lustres, ravagé par le temps et les intempéries. Ce serait donc là qu’Elijah rencontrerai le Marcheur. Ici même dans cet endroit que l’épouvantail découvrirait les autres membres assez respectés pour avoir été invité. À vrai dire, ses vadrouilles incessantes ne lui avaient pas permis de rencontrer tant de ses confrères. Bien sûr, il avait eu affaire à sa hiérarchie directe tel que le Forge-savoir. Quelques nomades des autres cercles, mais rien de bien fou. Sans mystère, c’est un personnage assez solitaire. Il poussa alors les portes de cette respectueuse bâtisse sans pour autant monter les escaliers. L’homme qui avait orchestré ce rendez-vous se tenait probablement prêt à accueillir ses fidèles à l’étage, mais Eli’ avait une tout autre idée en tête pour l’heure. Alors qu’il observait chaque recoin de l’entrée, il y trouva alors ce qu’il cherchait. Un endroit sombre totalement désordonné où se trouvait plusieurs vestiges d’un ancien temps. Quelques meubles ainsi que de vieux draps en pagaille. C’est ainsi qu’il prit place dans ce désordre en modelant son corps afin de n’être qu’un vulgaire pantin de paille ressemblant à un mannequin de couture. Ici, il y serait totalement inaperçu. Elijah prit le temps de se recouvrir tant bien que mal de poussière pour se fondre dans la masse d’objet ayant traversé les époques. Il ne resta pas longtemps sans rien faire, à réfléchir à sa mission, au Marcheur ainsi qu’à la Cabale. Celle-là même qui l’avait rendu ainsi. Qui l’avait détruit, mais aussi accueilli à bras ouvert. En effet, une petite heure plus tard, les portes du manoir s’ouvrirent à nouveau. Et avec stupéfaction, le mannequin de paille put observer un squelette habillé d’une épaisse cape de fourrure et d’une armure en cuir. Pendant quelques secondes, la question de comment était-ce possible se posa, puis disparut aussitôt. Lui-même étant un esprit vivant dans de la paille, tout était possible. Sans hésitation aucune, le lugubre personnage continua d’un pas assuré vers l’escalier, y monta et disparu à l’étage. Aucun regard vers l’arrière, un aller franc et direct vers l’objectif. Peu après, une femme, une belle femme dotée d’une chevelure blonde à la hauteur de son habit tout aussi élégant. Un bien bel accoutrement pour un endroit pareil. Au vu de cette robe, elle était probablement une citoyenne peu ordinaire ou une noble appartenant au cercle du Verbe. Cependant, cette dernière était accompagnée d’un homme armé. Jusqu’à là rien de trop suspect bien que mystérieux. Si cette femme se trouvait être effectivement une noble, il se pourrait bien que son accompagnateur soit simplement un quelconque garde du corps. Enfin, une autre venue, quelques minutes plus tard. Une autre femme. D’une chevelure rousse, et dotée de généreuses formes, elle emboîta le pas des autres convives directement après avoir ouvert la porte. Elle se rendit, à l’étage comme les deux autres et disparut après l’escalier. L’épouvantail attendit encore quelques instants. Vérifiant que personne d’autres ne se joint à la fête, en bien ou en mal. Pour l’instant, pas de traces immédiates de danger. Désormais, c’était à lui de se joindre à la réunion. Lui que personne n’avait remarqué dans l’obscurité grandissante de la pièce. En quelques secondes, au vu de la forme simpliste qu’il avait endossée, il reprit son corps basique. Après s’être dépoussiéré comme il faut et remit correctement ses vêtements, il se mit en chemin pour rejoindre celui qui l’avait appelé. D’après ce qu’il entendait, la conversation avait déjà débuté. Les premiers mots que l’homme de paille put percevoir sont : instruisez-moi. Bien que le manoir fût vide, l’écho des mots précèdent, n’avait pas traversé les quelques pièces qui se trouvait avant la salle de banquet. C’est alors qu’une des deux femmes parlait d’un Forge-savoir, Elijah poussa la porte pour se présenter. - Pardonnez-moi mon retard, j’ai eu une tâche à accomplir avant de venir. Après avoir effectué une certaine révérence, il fixa la personne assis sur un beau fauteuil attaqué par le temps. Le Marcheur. Il était là. C’était lui. Elijah pouvait le ressentir. Cependant, il se retint d’une quelconque remarque, jugeant que ce n’était nullement nécessaire. Les présentations avaient sûrement été faites et ces personnes invitées directement par le Créateur, resteront pour le moment inconnu. - Permettez-moi de me présenter avant que vous repreniez votre discussion. Elijah. Bien que la Cabale pouvait compter un grand nombre de membres ainsi que d’affiliés, la réputation d’un homme de paille dans les rangs de ce conglomérat n’était sûrement pas passée inaperçu. Probablement, que ces gens n’avaient jamais entendu de lui, mais sa condition physique, peut être en avaient il ouï-dire. Pendant de longues semaines, l’épouvantail était en vadrouille bien plus au nord de la capitale, dans les montagnes. Pour le compte de la Cabale, un petit peu, mais surtout pour son propre intérêt. Bien que certaines informations aient circulé jusqu’à lui, il n’était lui-même pas au courant de tout. Cette réunion serait une bonne occasion pour en apprendre plus aussi. |
Lorsqu'il demanda à être mit au courant de leurs activités, Vesper répondit qu'elle n'était pas la plus à même de l'en informer et le silence de Khepra laissait entendre qu'il partageait son avis. La tâche revenait donc à Mysora.
La forge-savoir voulut s'avancer en direction de leur hôte afin de mieux distinguer un visage dont elle avait tant entendu parler, mais l'entrée d'un nouvel arrivant derrière elle l'interrompit. Elle tourna la tête. Devant ses yeux apparut alors ce qu'elle prit en premier lieu pour un simple épouvantail ; elle se forgea rapidement un nouvel avis quand la chose s'anima d'une révérence, probablement à destination du Marcheur, après avoir prit la parole pour s'excuser de son retard. La jeune femme ne resta intriguée qu'un court instant, se rappelant qu'à quelques mètres d'elle se tenait un individu capable de voguer de cadavres en cadavres et, plus loin, une personne probablement plus agée que tout les êtres présents dans la pièce réunis. Un être constitué de paille n'était finalement pas la chose la plus étrange qu'il lui avait été donné de voir, surtout qu'il ne lui était pas totalement inconnu.
De souvenir, Hershel gardait un oeil sur un dénommé Elijah. Une histoire en lien avec sa fille, Zahria, qui n'avait pas particulièrement marqué la demoiselle. Toutefois, il avait tenu à lui notifier la dangerosité de cet individu et sa fidelité absolue envers le marcheur. S'il y avait bien un obstacle qui se mettrait en travers de leur chemin, nul doute qu'il viendrait de cet homme. Ou plutôt de cette chose. Plusieurs secondes s'étaient écoulées depuis son arrivée et Mysora détourna finalement le regard pour fixer à nouveau son interlocuteur. Elle prit alors la parole.
Elle marqua une pause après avoir révélé ces informations, très probablement déjà parvenues au Marcheur. Elle ne pouvait parler au nom de Khepra, Vesper et Main d'Argent, mais elle ne souhaitait pas révéler l'intégralité de leur plan à une personne qui prétendait être un individu, disparu depuis des années, et qui leur apparaissait soudainement en demandant à ce qu'on révele un projet jusqu'ici demeuré secret.
Sans rien ajouter, elle s'approcha de la grande table et tira l'une des chaises afin de s'y asseoir. Si le "Marcheur" n'était pas capable de la persuader, elle se contenterait de rester passive et laisserait ses camarades lui donner les explications qu'il demandait.