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Il s'était écoulé peut-être une poignée de nuits à peine depuis la dernière réunion, celle durant laquelle le duo d'aventuriers offrait une Lumis Sylvatica, pour la faire amener au prince d'Aryon. Les voici aujourd'hui de nouveau réunis face à une Vlora qui malgré un très grand professionnalisme qui était sa signature, parvenait à laisser échapper une expression perplexe à la fin de son discours, envoyant ainsi les deux jeunes gens en mission dans un village à l'Est pour aider les locaux à sortir la tête de l'eau ... littéralement. Une crue menaçant les champs et un convoi à faire arriver jusqu'à destination, apprêté par les soins de leur premier commanditaire, un ordre de participer en plus de l'escorte aux aides urgentes et voici que les deux bruns furent libérés sur un pincement de lèvre et une prière à leur égard. Nora se garda évidemment de poser plus de questions que nécessaires, ils verraient bien en arrivant sur place, concernant l'état des lieux et l'étendue des dégâts.

Une fois à l'extérieur, l'expression sérieuse du cadet se changea lorsqu'il se fendit d'un sourire ravit de faire route avec le même partenaire qui l'accompagnait dans cette péripétie d'il y a quelques jours. Le chasseur dégagea une mèche rebelle de devant son visage et posa les mains sur ses hanches en appréciant l'air frais et le l'odeur des feuilles prêtes à tomber. La saison chaude s'achevait et prévenu à l'avance, le froid cherchait déjà à s'installer prématurément, affrontant le soleil qui lui radiait assez fort pour créer un climat agréable, ni trop chaud, ni trop frais.

- "Nous revoici partis, en espérant que ce village d'Ullial ne soit pas aussi dur à trouver qu'une Lumis Sylvatica."

Un rictus joueur aux lèvres, il chercha du regard le convoi qu'ils devraient escorter en balayant l'horizon du regard, jusqu'à ce qu'il se pose sur la trainée au sol de roues larges ayant aplaties l'herbe et partiellement creusé la terre. Sans le moindre détour, le chasseur avança jusqu'à la ligne d'arrivée du sentier encore frais et découvrit effectivement un véhicule apprêté, autour duquel s'agitaient encore en chargeant la remorque un homme et deux femmes, probablement là pour réunir les derniers préparatifs et ne laissant que le trentenaire bien rasé aux commandes. Cheveux courts, blond, pas en reste niveau musculature et probablement père de famille à en juger par ses vannes douteuses et son sourire éclatant, dénué de vil intérêt pour les précédentes congénères du sexe opposé. En apercevant les deux bruns, il leur fit signe comme s'il était déjà assuré de leur identité.

- "Hola ! Bien l'bonjour messieurs ! J'espère qu'vous êtes en forme parce qu'on a d'la trotte avant d'arriver !"

Enjoué et sociable, exactement ce que n'arrivait pas à être le chasseur actuellement. Il espérait simplement que l'intéressé ne soit pas vexé de son comportement distant car après-tout, cela n'avait rien de méchant, simplement la timidité à l'œuvre du jeune homme qui n'était d'ailleurs pas toujours un cadeau. Le blond approcha en tapant ses mains l'une contre l'autre comme pour les dépoussiérer après avoir chargé quelques caisses à bord de la charrette et la tendit d'abord à Jin puis à Nora.

- "J'me présente, mon nom c'est Carmin, je travaille avec vous aujourd'hui, enchanté !"

- "Hum ... Nora, aventurier. Enchanté de même."

Bien qu'à son expression, on aurait pu jurer le contraire. Nocturne sortit de la capuche du garçon et bailla avant d'installer ses pattes avant sur l'épaule de ce dernier en observant Jin qu'elle avait déjà eu le loisir d'observer la dernière fois et ce dénommé Carmin avec une mine curieuse. Le maître de convoi tira d'ailleurs une expression pour le moins singulière en croisant le regard de la cœurl et il commença à rire nerveusement, visiblement mal à l'aise. Nora leva sa main au niveau du visage de son familier et celle-ci commença à frotter son visage contre ses doigts en demandant des caresses, puis le jeune brun reprit la parole.

- "Ne vous en faites pas, c'est mon familier, elle n'attaque que les rongeurs et les petits oiseaux."

Une maigre tentative de répartie pour détendre son interlocuteur ne lui soutira que plus de rires gênés et après quelques papouilles en plus, Nora demandant télépathiquement à Nocturne de rester dans sa capuche, ce pour quoi elle ne se fit pas prier et savoura l'assise confortable de son hamac de voyage. Sans plus de formalités, Nora posa son sac et son arc dans la charrette puis se tourna vers ses deux partenaires de route pour les interroger du regard, attendant le signal du départ une fois que Jin aura terminé sa propre présentation.

Encore une histoire de flotte.

Bon, dès que j'rentre à la guilde, j'vais choper le premier examinateur pour bien leurs faire entrer dans le crâne que JE NE SERS A RIEN SOUS L'EAU.

Allez, respire. C'est pas qu'une histoire de flotte, aussi. C'est aussi la pérennité d'un village et de sa sécurité. Dans le genre urgence on est bien classé là. Faut admettre que j'me suis pas si mal débrouillé jusque-là, non ? Parfois ne faire confiance qu'en son pouvoir n'est pas forcément une bonne chose. C'est ce qui constitue sans doute du bon et du mauvais aventurier. Il faut savoir réfléchir, prendre de la distance et bien sûr s'adapter. Et j'ai de la chance, Nora qui sera avec moi en est un fervent bon exemple. Stratège, amateur de subterfuge et culture des animaux, le binôme parfait quand on veut traîner ses miches dehors et aujourd'hui c'est de ça dont il est question.

J'ai bien sûr mon lot d'expérience, mais quand j'traque pas une prime, j'préfère ne pas jouer les solitaires sur ce coup. Pis faut être honnête, on s'emmerde moins aussi, hein.

- En tout cas son nom est aussi compliqué que celle de la plante, ha.

Ullial ? Ma langue me déteste déjà quand j'le prononce.

On arrive à rejoindre le convoi quand on tombe sur ce type qui nous fait l'accueil, on a donc prévenu de notre venu. Professionnel, j'aime bien.

- Jin. Chasseur de Primes et aventurier comme le collègue.

Putain le pauvre, rien qu'à voir nos tronches c'est sûr que ça lui donne pas envie de tailler le bout de gras avec deux types de ce genre, peut-être faut se réveiller non ? Nocturne pointe sa trogne curieuse, renvoyé d'un clin d'œil pour le saluer. Il remarquera que cette fois j'viens pas avec Gromyr. On est véhiculé et il m'aurait plus embêté qu'autre chose une fois arrivée. Faut le laisser quelque part, payer à bouffer, non merci. On pose nos derches sur la chariote et j'fais un signe de la main pour qu'il claque les rennes.

Nous voilà parti. Bon bin, au travail.

Jamais fais ce genre de boulot. Faut dire qu'à la base j'suis pas dans l'humanitaire pour sauver la veuve et l'orphelin. Un chariot avec le nécessaire, et j'espère les bras qui vont avec pour les sortir de leurs pétrins. J'ai eu une boutique ravagée par le temps et les flammes. Y'a rien de pire que de perdre son chez soi, ses repères, son petit monde. Pis si ça préoccupe personnellement le Prince vaut mieux s'y coller. La p'tite Vlora n'avait pas l'air sereine. M'enfin, je m'en tape, faut faire le boulot, c'est tout. Les tracas des nobles, ça me passent au-dessus.

Sauf pour une Noble en particulier, mais c'est une tout autre histoire.

Maintenant qu'on a de la route, mes yeux vont se poser sur mon partenaire. Jamais deux sans trois, peut-être le moment d'en savoir davantage. Non ? J'sors une clope de ma tabatière que j'allume en claquant de doigts.

Deux ronds de fumées décorent le dessus de nos tête quand j'ouvre la bouche.

- Alors Nora, si tu me parlais de toi. On a de la route et ça commence à faire un moment qu'on bosse ensemble. Comment t'es arrivé ici? T'es devenu aventurier par hasard?

Quelques années nous séparent, et j'ai pourtant l'impression qu'il a un paquet de choses caché dans sa caboche. En temps normal j'en aurai rien à cirer. Mais si effectivement on est amené à bosser régulièrement ensemble, j'préfère creuser davantage. Et aussi parce que j'suis curieux, faut pas se leurrer.

- T'es pas obligé de l'ouvrir.

J'me pose contre la ridelle du véhicule à gauche en utilisant mon paquetage comme coussin, clope au bec, me préparant à son silence ou bien son récit. On va se tourner les pouces encore un petit moment, alors autant tailler la bavette. Ou peut-être taper un roupillon, c'est bien ça aussi.

C'est dur d'être aventurier, hein ? Aha.

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D'un claquement sec des rennes, le départ fut donné et les deux aventuriers assis à l'arrière de la voiture purent économiser leurs forces pour se laisser porter par les deux puissantes montures traînant tout le bordel sur le sentier pas si cabossé que ça. Nocturne profita alors d'être hors de la vue du conducteur pour sortir de la capuche et à planter ses griffes dans le bois de la remorque, tirant son arrière train vers l'arrière pour étirer le haut de son corps félin. Ceci fait, elle observa avec ses grands yeux doré le duo et s'approcha même de Jin pour renifler ses vêtements, reculant aussitôt que l'ainé avait tiré sa première latte. Elle alla alors se placer aux côtés du jeune chasseur pour s'en servir de protection contre la fumée. Nora lui-même n'avait pas grand-chose contre l'odeur du tabac, sinon qu'elle devenait désagréable en trop grosse quantité – ne fumant pas lui-même, il lui était difficile de pleinement l'apprécier.

- "Te parler de moi ? Hm, c'est un drôle de sujet ..."

Pour lui, bien évidemment.
Pour d'autres, il était simple de parler d'eux-mêmes et certains y prenaient même goût, à compter monts et légendes sur leurs exploits passés, leurs aventures et le nombre de Solstice qu'ils avaient affronté à mains nues lors d'une excursion dans le grand nord. Il y avait parfois du vrai, parfois du faux, encore venait de l'incohérent et finalement, l'aventurier n'en avait que faire, au contraire. Plus l'histoire était grosse et plus il en rêvait, dans une forme d'admiration pour l'imagination de ses congénères. Ses contes à lui n'avaient rien d'extraordinaire, au contraire, une histoire plutôt simple voir banale. Nombreux enfants perdent leurs parents tôt, encore plus dans la branche des aventuriers qui souvent, prennent ce métier à défaut de pouvoir ou vouloir trouver autre chose. Cette concertation avec lui-même poussa alors le cadet à s'exprimer, pourquoi ne pas partager un peu de son vécu avec Jin ? Même si elle n'était pas intéressante, il avait demandé une histoire dans le but de le connaître et il faut avouer qu'il y a du bon à apprendre de ses alliés. Il lui lança un regard amical et après un haussement d'épaule, ajouta à sa dernière tirade.

- "Très bien, dans ce cas tu me parleras de toi ensuite."

Le chasseur s'adossa donc plus ou moins en face de l'incandescent, de manière à pouvoir allonger une de ses jambes sans le gêner, ramenant l'autre sous la première cheville contre cuisse, puis il accueillit la cœurl sur ses genoux pour qu'elle y fasse sa toilette.

- "Par où commencer ... Je n'ai jamais été très bavard, mais ça allait mieux quand j'étais petit. Ma mère était professeure de chasse dans mon village natal et mon père, marin au Grand Port. On ne le voyait parfois qu'une fois par saison, dépendant de ses disponibilités. J'ai appris à chasser très tôt, à 10 ans, puis j'ai suivi l'école de ma mère jusqu'à mes 16 ans. Je n'avais pas beaucoup d'ami, seulement une de qui je n'ai plus de nouvelles depuis quelques temps, elle est mon dernier souvenir de cette époque."

Il marqua une petite pause pour attraper sa gourde fontaine et en prendre deux gorgées. Avant de la reboucher, il la proposa à Jin puis la rangea une fois qu'elle avait terminé de remplir son rôle.

- "C'était pendant la saison froide, mon père devait rentrer, seulement quelques jours après avoir perdu le contact, un homme est venu nous annoncer sa mort en mer. C'est à cette époque là que j'ai développé mon pouvoir, c'est aussi ce qui m'a permis de douter de cette personne. Il avait également ramené la dague que père avait échangé avec mère le jour de leur mariage." Il désigna l'arme à sa ceinture, cette même-dague qu'il avait gardé précieusement pendant tout ce temps. "Ma mère ne l'a pas aussi bien encaissé que moi et j'ai décidé de partir à sa recherche, j'étais encore jeune et inconscient, malgré quoi j'ai pu arriver au Grand Port, là où mon enquête a été arrêtée, la piste était bien trop trouble. A mon retour ..."

Il fit une seconde halte dans son récit, prit une grande inspiration, puis expira en fermant les yeux. Son cœur s'emballait chaque fois qu'il repensait à cette scène, malgré quoi, arriver à en parler une première fois avec Vin et Rebecca avait endurcit le brun et à présent, il fut en capacité de tenir ses émotions pour ne pas s'effondrer. Sa voix ne laissa passer qu'un léger tressaillement qui trahissait malgré tout la plaie encore ouverte qu'avait créé ce souvenir.

- "Ma mère et mon foyer avaient été brûlés. Personne ne sait si c'était un incendie criminel ou un suicide, bien que la deuxième option semblait plus probable aux doyens du village. Mais je sais que mère ne se serait pas tuée, aussi triste soit-elle. J'ai passé les quatre années suivantes dans le culte de Lucy avec d'autres malades, des traumatisés, tant jeunes qu'âgés, pour affronter mon passé et me remettre sur pieds. Cette période est encore un peu floue, je n'en ai presque plus aucune notion du temps, mais grâce à l'aide du culte, j'ai réussi à me ressaisir et à me dévouer plein temps à mon objectif, découvrir la vérité concernant la disparition de mon père et la mort de ma mère."

Sa respiration s'était arrêtée. Tout était sorti ainsi, sans filtre, sans seconde pensée, la vérité à son état brut. Il observa alors Jin avec un air légèrement affligé et un sourire gêné, laissant retomber le soufflé en perdant son précédent air grave et déterminé. Nocturne, captant la détresse de son maître, se leva sur ses pattes arrière pour arriver à hauteur du menton de Nora et le fixer avec ses grands yeux curieux, il se mit alors à rire discrètement en caressant la frimousse d'ange de son familier.

- "Enfin, ce n'était certainement pas très passionnant, mais j'espère que tu auras trouvé ta réponse avec cette histoire."

Il détourna le regard de son interlocuteur pour le reporter sur la cœurl, de nouveau, qui s'était mise à ronronner après avoir reçu un sacré lot de papouilles. Le chasseur attendit donc le récit de Jin en l'invitant à prendre la parole d'un hochement de tête, l'air de dire "à ton tour".

Un sujet comme un autre.

Mais au vu de sa tronche, j'ai carrément eu l'impression de demander à une pucelle de venir m'accompagner au bal du Solstice. J'vois que quelques secondes de réflexion s'installent, comme s'il cherchait ses mots. Il me reste encore quelques lattes à clopiner avant de dire bonjour aux rêves et j'espère pas aux cauchemars. De toute manière, j'ai toujours mes herbes thérapeutiques au cas où j'deviendrais cintré. M'enfin, le sujet n'est pas là, l'heure était de comprendre et de connaître Nora Eos.

Et j'dois plutôt l'avouer, dur ne pas transférer sur sa propre vie.

Mes sourcils se rapprochent, le regard concentré sur ce qu'il bave quand il se met face à moi. D'homme à homme il se met à table et accouche. Sa gourde sera reçue pour prendre deux lampées quand il reprendra son récit. Nora est un débrouillard depuis tout petit, pas forcément le plus bavard mais ça j'l'avais déjà remarqué. Il a pu aller à l'école, chopé une éducation avoir une mère exemplaire bref, la belle vie. Le rêve.

Mais dans tout les rêves se cachent forcément un monstre à la fin. Et j'avais vu juste. Même si j'avais pas vraiment pigé.

Son père a canné, pourquoi il va le chercher ? Il veut en être sûr? En tout cas cette dague c'est tout ce qu'ils les lient. J'ai forcément une pensée pour mon vieux aussi... J'reste assez silencieux, pas moins attentif quand il poursuit sur la tragique mort de sa mère. Ça me fouette le sang, rien que d'imaginer ma propre mère morte. La mort par le feu, bien triste sort qui empêche de lire quoi que ce soit comme indice et j'sais de quoi j'parle. Nora est devenu Orphelin malgré lui.

Moche, soit Lucy a un curieux sens de l'humour, soit la vie a décidé par un procès dégueulasse de lui rendre la sienne cauchemardesque au possible. Connasse. Mais le culte lui a quand même permis de pouvoir rebondir. C'était forcément ce chemin qu'il fallait emprunter pour qu'il s'approche de la Chimère?...Question à un million de cristaux.

J'viens de me rendre compte que ma cigarette était terminée. Le mego' finit incinéré entre mes doigts quand les petites cendres s'envolent dans les airs.

Passionnant n'est peut-être pas le bon mot, intéressant non plus puisque Nora n'est pas un bouquin qu'on lit, mais une vie à part entière. Il aurait pu devenir le plus grand des salauds mais il a choisi une tout autre voie, et c'est pas rien. Peu de gens y arrivent, et il en fait partie. J'vois qu'il reprend sa moue gênée, déblayé par un coup de pied qu'il vient taper son genou.

- Eh, on risque de crever d'un instant à l'autre, on va peut-être éviter de jouer les jouvencelles coincées du derche pour se parler, t'en dis quoi ?

J'esquisse un sourire compatissant, ma façon de donner mon soutien malgré ce qu'il a vécu. Mais c'est pas mes démons, il va devoir se débrouiller seul malheureusement. Tout comme moi. J'sens que ça va être à mon tour de parler. Alors j'me gratte la tête en roulant les yeux vers le ciel pour trouver une ligne d'accroche, commencer par le début j'présume.

- Eh bien... J'étais le fils d'un grand explorateur, qui roulait pas sur l'or mais qui avait son lot d'histoire à raconter. Il tenait une antiquaire à la capitale et y vendait ou exposait ce qu'il trouvait. Un élémentaire de la Terre, il m'a aidé à maîtriser mon pouvoir. Tu l'aurais vu se battre... Une vraie forteresse sur patte. Il rencontre ma mère et fait deux gosses. Moi et ma petite sœur, Nara. On pouvait pas aller à l'école, à la capitale faut pas être n'importe qui pour se permettre d'y aller et fallait le pognon qui allait avec. Alors ma mère qui a pu en bénéficier jadis a fait comme elle a pu.

Mais j'vais peut-être rattraper le temps perdu avec Xylia. J'me rapproche et cherche des doigts Nocturne qui a joué les peluches consolatrice avec son maître pour lui gratter le haut du crâne.

- On bouffait, on avait un toit, une petite sœur chiante mais au fond j'aimais ça. Pas besoin d'avoir le fion remplit de cristaux pour profiter de la vie. Tu suis ?

J'me racle la gorge avant de chercher mes mots.

- Pis d'après mon père, j'étais  prêt pour devenir aventurier comme lui. Ma sœur le vivra très mal quand j'vais partir le suivre pendant quatre ans autour du royaume. Malheureusement, tu connais les outrages du temps, mon daron se fait vieux et reste à la boutique. Il me restait alors attendre tranquillement mon intégration à la guilde. Ma soeur ne m'adressera jamais un seul mot depuis. Et ensuite...

J'retire mes doigts du petit animal pour regarder l'horizon.

- Des bandits jugent bon de cambrioler la boutique avant de la cramer. J'étais pas encore capable d'éteindre un incendie de cette ampleur, juste assez pour sauver ma mère. Mon vieux va crever sous les flammes, transpercé par des lames de toute part. J'sais qu'il a rien vu venir. Après l'enterrement, c'est la cadette qui décide de décaniller. Impossible de la trouver alors qu'elle a juste 13 piges. Tu vois, les maisons en flamme, j'connais.

J'pouffe un rire sarcastique.

- Alors j'pète un câble, et j'me décide d'aller les griller moi-même comme la garde n'a pas pu remonter leurs traces. J'vais rencontrer une nana sur ma route, qui est une chasseur de prime confirmée. Elle va m'entraîner, m'apprendre à me battre et comprendre les rouages d'une investigation en bonne et du forme. Et tada, j'suis devenu Le Châtieur Ardent. J'traque les criminels, pour leurs faire mal, très mal, avant de les jeter en taule pour du pognon. J'ose espérer trouver ces enfoirés un jour.

J'pousse une expiration emplit d'une fumée blanche anormalement chaude. Comme une soupape de sécurité m'empêchant de monter dans les tours. Ca marche pas.

- Et j'espère trouver ma sœurette. J'y crois, c'est une Hidoru. On crève pas comme ça.

Mon regard cachait un peu d'espoir. Aujourd'hui elle est une femme, elle doit avoir l'âge de Nora, peut-être un chouya plus.

- Tu vois, on cherche tout les deux quelqu'un. Après la disparition de quelqu'un dans les flammes, qui plus est. On est peut-être pas si différent finalement.

Une belle conclusion pour s'allonger définitivement et commencer à dormir.

- Tu devrais te reposer. Ou alors tu peux surveiller la route, t'auras qu'à siffler si tu vois quelque chose.

Cette histoire m'a quand même pas mal retourné, roupiller sera pas aussi simple finalement.

Tu pourrais me laisser dormir peinard, au moins, hein p'pa ?

Enfoiré.

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C'est dans un silence religieux que Nora écouta l'histoire de Jin. Il aborda sa propre perte, celle de son père par les flammes qui dévoraient également la boutique, emportant certainement bon nombre de souvenirs en plus d'une vie précieuse. Sa vie semblait plutôt heureuse, avant le tragique incendie, pas forcément fortunée mais suffisante comme il le soulignait si bien. Le chasseur hocha la tête, rien ne vaut le confort d'un foyer aimant et complet, ce en dépit de tout autre moyen, même si sa lignée n'avait jamais roulé sur les cristaux. Un sentiment de nostalgie l'habitat jusqu'à la fin du récit et lentement, sa respiration se calqua sur celle de Jin, il pouvait voir son histoire, la vivre, ressentir les émotions que transmettait le triste conte et ce, sans même activer Anima Memoria. Il était devenu spectateur happé par ses lèvres délivrant un fragment de souvenir, un condensé emplit de détermination et de justification. Qui il était réellement ? Simplement l'enfant qu'il était il y a des années, ayant grandi, s'étant forgé et rodé à la dureté de la réalité. Il n'en était probablement que plus tendre au fond, ni plus ni moins un enfant ayant développé ses propres défenses, mué par sa volonté de vaincre. Une telle description fit relater au plus jeune aventurier, concernant son propre vécu, à son premier départ du foyer, celui qui marqua le tournant décisif qu'il affronterait une dizaine de jours plus tard. De retour à l'histoire de Jin, il acheva finalement sur son objectif, trouver les criminels à l'origine de l'incendie ainsi que sa sœur disparue. Un objectif effectivement similaire, une "drôle" de coïncidence, alors que peu de choses les rapprochaient l'un à l'autre, ils se trouvaient après s'être ouverts à la confidence plusieurs points communs. Ainsi Nora lui offrit une esquisse de sourire compatissant et ajouta simplement des mots qui pour lui, étaient lourds de sens.

- "Ne perds pas espoir, il y aura toujours de la lumière là où tu iras, il suffit juste d'avoir la foi d'aller la chercher."

Bien qu'il ne puisse le savoir, c'était là les mots de son père lorsque l'aventurier, encore jeune enfant, se trouvait face à une difficulté. Son regard devint un peu plus serein et lorsque Jin proposa à son partenaire de prendre du repos, celui-ci déclina.

- "Je vais surveiller. Je te réveille s'il y a un problème."

Et il porta son regard sur l'horizon. Nocturne qui avait fait des allers-retours entre les deux hommes pour recevoir volontiers autant de papouilles qui lui étaient offertes, s'arrêta donc contre le sac du plus jeune pour se mettre en boule contre, posant sa tête en hauteur et battant lentement des paupières en imitant l'initiative de l'incandescent.

- On est bientôt arrivé Papa ?
- Non, on a encore du chemin. On campera dehors ce soir encore.
- J'ai faim Papa.
- On chassera une fois arrivé, ne t'en fais pas.

Le familier grommela dans son langage félin, sachant maintenant d'expérience que son parent adoptif se montrait ferme devant ses caprices, inutile donc d'insister, elle tenta de trouver le sommeil et bientôt, il ne restait que Nora et Carmin d'éveillés, bien que peu enclins à la conversation pour ces deux-là après l'écart de la cœurl au moment de l'embarcation.

Le trajet s'était déroulé sans grand évènement notoire, sinon un petit groupe de cinq personnes à cheval, ayant suivit le convoi durant une petite partie du voyage sur des sentiers peu fréquentés, aussitôt perdus de vue après un tournant dans une zone boisée. Le groupe pu donc faire halte dans un endroit isolé, à une cinquantaine de mètres de la route en tirant la charrette au pas pour éviter une attaque de brigands. Nora ne parla qu'à Jin du groupe chevauchant, pour ne pas paniquer le conducteur, laissant un doute planer, même si ça ne devait être qu'une coïncidence. Les étrangers ayant chevauchés à une centaine de mètres de distance, il n'avait pu identifier ni leur équipement, ni leurs visages. Cela resterait probablement un mystère et désintéressé du sujet, il passa bien assez vite sur celui du camping, laissant à l'ainé la charge du feu et de l'installation pendant que le cadet irait avec Nocturne dans les bois environnant pour trouver un repas à partager à quatre bouches. Son dévolu se jeta sur un boucton solitaire, qu'il ordonna à Noctune de pister jusqu'à pouvoir l'acculer dans un coin un peu plus boisé, là où sa charge serait rendue inutile s'il décidait de riposter. Ce fut une maigre peine car en deux flèches bien placées et une entaille dans la poitrine avec sa dague et l'animal ne souffrait déjà plus. Il débarrassa alors les entrailles loin du camp, les abandonnant sur place pour un quelconque charognard affamé, puis laissa une large coupe traversant la gorge du gibier qu'il tira par les pattes sur son épaule. Ainsi faisant, il pourrait le tirer tout en lui laissant le temps de perdre le plus gros du sang sur l'aller et donc le préparer directement sur place, au confort du feu.

- Je veux manger, Papa !
- Tu attendras qu'on arrive avec tout le monde, ce n'est pas juste pour les autres si tu es toute seule à manger.
- Mais j'ai faim ...
- Je sais, je sais. Tu seras la première servie, ne t'en fais pas.

Satisfaite, elle fit mine alors de prendre une des pattes avant dans sa gueule pour aider Nora à tirer le sacré bestiau, ce qui en somme, ne contribua pas vraiment à l'effort mais plutôt au moral du chasseur, amusé par la démarche. Une fois installé avec ses compères, Nora remercia Jin pour le feu et tirant de nouveau sa dague à proximité de la dépouille, entama la coupe et le dépeçage. Le spectacle n'était pas forcément intéressant, aussi il le faisait là pour son propre intérêt, détaillant des morceaux de taille moyennes lorsqu'on tapait dans les muscles larges et au contraire, nettoyant ceux autour des os pour faire des pillons épais, un des pêché mignon de l'aventurier. Il laissa ainsi une partie coquette de la poitrine à son familier qui, appréciant les parties tendres, se régala dans un concert de grognements pendant que Nora termina la coupe pour proposer à chacun de se servir à sa faim.

- "D'ailleurs, Jin, tu peux contrôler l'intensité de tes flammes ? Enfin, gérer la chaleur qu'elles dégagent ... Car si c'est le cas, tu dois être doué en cuisine, c'est ce que je déplore le plus quand je campe au grand air ... l'absence de cristal de feu."

Une information parfaitement annexe et une invitation subtile à faire la rôtisserie, si le cœur lui en disait, il pourrait même faire un nouveau détour pour trouver quelques herbes aromatiques. Il faut dire qu'il serait bête de ne pas profiter de l'occasion pour s'essayer à de nouvelles techniques.

À la mission précédente, j'ai eu la prétention de le conseiller sur le concept de puissance. Que finalement tout réside dans la volonté intérieure et sa capacité à encaisser. Il n'est pas question de mesurer la puissance de quelqu'un, mais d'être suffisamment déterminé. Si on doit travailler deux fois plus, faudra le faire. S'il faut se lever plus tôt que son voisin, faudra le faire. S'il faut s'entraîner plus que les autres, rattraper ses lacunes, faudra le faire. On ne parle plus d'excuses, mais de moyens. Si j'ai pas de jambes, je rampe, si j'ai pas de bras, je cours, si j'parle pas, j'fais du bruit, si un de mes sens se barre, j'utilise les autres. Si j'ai pas d'armes, j'frappe quand même.

Gagner contre soi pour gagner contre les autres.

Mais j'dois avouer que là, son conseil a eu un curieux éco sur moi. J'la laisse raisonner en silence, tandis qu'elle éveille en moi une intrigue et plein d'interrogations, attendant sagement ma prochaine introspection. J'lui fais confiance, et c'est sagement que ma respiration devient régulière pour une bonne sieste. Autant s'économiser pour quand ça va chier dans les casseroles.


D'accord, cinq types.

Nora n'a pas relevé d'éléments suspects, et cette route ne nous appartiens pas. Leur droit d'emprunter ces routes peu importe leur nombre. M'enfin, j'garde ça en tête et si on se fait embusquer y n'aura qu'à cramer les montures et les mecs avec. Nan, faut pas réfléchir et penser aux 30 millions d'amis ou du dernier souvenir que vous avez eu en pension animalière. Une faute, et on crève. La vie n'est qu'une pièce avec ses deux côtés. C'est binaire, certes avec ses nuances.

Mais y'a pas 36 manières. Tu vis ou tu claques.

La déco change, et j'vois qu'on a bien avancé jusqu'ici. Aryon est un royaume paisible, traduit par ce calme et cette paix qui s'étale partout autour de nous. Le moment de respirer et de profiter de ce que le paysage nous apporte. Aussi beau que le décolleté d'une femme, 'trouvez pas ? Carmin arrête le véhicule quand on s'occupe de monter le camp tandis que Nora nous ramène de quoi becter.

C'était le moment de tailler le bout de gras avec notre ami.

- Alors, qu'est-ce que vous savez sur Ullial, l'ami?
- Seulement que c'est un petit village prospère, qui n'attire pas grand monde et qui pourtant possède de bons arguments pour y crécher ! M'voyez?
- Ouais, j'vois. Z'avez des informations sur ce qui s'est passé?
- Pas plus que vous. A vrai dire, je suis un peu inquiet.
- Pourquoi?
- Quand c'est le bazar dans un village...
- Ouais, des gens en profitent. Pas con.
- Restez sur vos garde, m'sieur.
- Ouais, aucun soucis à se faire à ce niveau là.
- Dixit le jeune homme qui dort sans sourciller ? Hé !
- J'ai un collègue de confiance.

Une gerbée de flammes se déverse dans le foyer prévu pour nous réchauffer et bouffer quand notre homme arrive avec la viande. Nocturne a l'air dans son nuage, visiblement il sait que c'est l'heure de la soupe.

J'reste attentif à notre boucher du groupe sur la manière dont il découpe chirurgicalement sa viande en optimisant le consommable comme la dextérité à séparer la peau du corps. On se sert quand on est devant la flamme, dont le brasier est encore instable. Sa question me fait étirer un sourire.

- Ouais, j'peux le faire. Et j'suis pas un bon cuisinier. J'sais faire que des grillades. Déjà ça tu me diras, mais c'est encore mieux quand on a un maître de la viande comme toi.

J'ai déjà fais une tarte une fois, pour la Première Ministre. Pour un pique-nique, sacré pique-nique d'ailleurs. J'pointe la paume de ma main, mes dextres à moitié fléchis comme si j'y tenais une molette, alors que mon pouvoir avait une emprise sur les mèches ardentes qui commencent à griller notre viande.

- Si j'tourne dans un sens...

La flamme diminue.

- Et de l'autre...

La flamme prend un pique de hauteur nous baignant de sa lumière. J'la réduis à un feu doux constant pour y poser ma viande entre deux pierres alors que sa chair brunis légèrement à la cuisson. J'ouvre mon sac et saisis un peu de sel pour saupoudrer mon escalope pour un assaisonnement en bonne et due forme. D'un signe de la main je l'invite à faire de même, Carmin me toisera avec des prunelles rondes comme des billes.

Le feu, ça impressionne, ha.

De herbes aromatiques, des viandes cuites selon les goûts de chacun, alors que le soleil nous quitte. Mon cristal s'illumine dans mon manteau.

- Ahem, Nora, j'te laisse.

Je m'échappe comme à l'accoutumée. Il a maintenant l'habitude comme je l'ai régulièrement fait durant notre précédente mission. Et j'y ai pris goût. Enfin, c'est surtout que ne pas voir Haru commence à me mettre à cran, et c'est la seule façon d'atténuer ce manque qui reste tout le temps là. Son odeur, sa chaleur, son sourire.

Merde, ouais, elle me manque.

J'espère que le collègue n'y verra pas comme quelque chose de suspect, ou au pire je n'aurai qu'à lui expliquer que j'parle à une proche. Il me croira jamais si j'lui dis que c'est le bras droit de la Reine. J'me pose contre un tronc d'arbre quand j'décroche, alors que mon pied s'amuse déjà à dessiner des ronds sur le sol.

- Oh bonsoir Jin, comment vas-tu ? Ta mission se passe bien ?
- Bonsoir Haru, ouais, pour l'instant tout va bien. Tout va bien de ton côté?
- Tout va bien, comme d’habitude. Des réunions, des entrevues avec la Reine. D’ailleurs, en parlant de la Reine, cette nuit, j’ai fais un drôle de rêve.
- Ah, un drôle de rêve...?
- Oui enfin tu vas rire, enfin non je ne pense pas mais je vais quand même te le raconter. C'était un rêve où j'étais retournée une dizaine d'année en arrière ou même un peu moins. Quand elle était encore princesse et moi j'étudiais encore. Tu ne l'a jamais connu plus jeune mais c'était déjà une jolie femme !
- Tu me fais déjà sourire en t'imaginant plus jeune, une adorable donzelle j'imagine. Rien d'étonnant, on dit que la Reine est l'une des plus belles femmes du monde.
- C'est vrai mais tu aurai dû ajouter que je l'étais encore plus ! ahahah
- Ha, pas bien, Jin..! Et qu'a fait notre magnifique Ministre durant ce rêve? Un souvenir d'enfance?
- Oui pas bien, j'ajoute ça sur ta liste ! Non, ce n'est pas un souvenir mais bel et bien un rêve. Je ne vais pas te mentir, oui Allys est une très belle femme. Peut-être que lire des livres romantiques ou simplement le fait que tu me manques et me voilà à rêver d'être dans les bras de la princesse !
- Voyez-vous ça... Et si je l'ajoutais à ta liste, aussi? Ha. Ca devait être joli à voir... M'enfin ce n'était qu'un rêve, et pis je préfère te savoir dans ce genre de songe, plutôt que tes fameuses inquiétudes qui bouffent tes nuits...Tu me manques aussi.
- Maintenant que mes inquiétudes vont bien, je dors beaucoup mieux. Mais oui, tu peux ajouter ça à ma liste alors, je ferai en sorte de me faire pardonner à ton retour. Allez, je te laisse à ta mission mon vaillant aventurier. Fais bien attention, d'accord ?
- Bien reçu, Majesté. Restez sage auprès du trône, je vous sens un tantinet fébrile. On se retrouve bientôt.

La liaison se coupe, ma main se referme machinalement sur mon collier jumeau quand mon cristal perd sa lumière. Un soupir, puis un rire nerveux qui traduit mon bonheur.

Elle a couchée avec la Reine dans ses rêves?... Un fantasme? Un but à atteindre? J'veux bien jouer les jaloux possessifs pour avoir un côté protecteur, mais contre la reine...Autant pisser dans un violon, j'ai aucune chance.

Prions que ça n'arrive pas...Nan mais j'suis réellement entrain d'anticiper un truc pareil ?! Rah, quel idiot, j'vais pas jouer les parano, hein. Hein ? Bon bref...

Il était temps de retourner au boulot. Alors j'retourne voir les deux loustics et vois que Nocturne dort déjà à point fermé avec un ventre anormalement gros, flottant comme un ballon de baudruche sur les cuisses de son propriétaire. J'viens d'ailleurs m'assoir à ses côtés quand une chose me revient en tête.

- Eh, si les types qu'on a croisé rappliquent pour nous tomber dessus ce soir, le mieux serai de faire des tours de gardes pour sécuriser la zone et anticiper une éventuelle attaque. T'en dis quoi ?

Une organisation nécessaire pour avoir la tranquillité voulue. Même si demain on se battra pour gratter cinq minutes de sommeils.  

Support logistique



- "Ouais, j'peux le faire. Et j'suis pas un bon cuisinier. J'sais faire que des grillades. Déjà ça tu me diras, mais c'est encore mieux quand on a un maître de la viande comme toi."

Et dans un mouvement de rotation venant de la main droite, paume vers le brasier, Jin fit des miracles. Littéralement. La flamme, bien obéissante, grandit lorsqu'il tourna sa dextre vers la droite, s'assagit lorsqu'il pivote à gauche. Avec la lueur tant de l'ambre embrasé que de l'admiration dans le regard, Nora constata comme un enfant devant sa première manifestation magique à cet exploit brûlant qui le laissa rêveur. Nocturne prit peur, surprise par la soudaine montée, mais se ravisa bien vite en constatant que ce n'était là que les faits de Jin en qui elle avait prit confiance après la première mission. Il faut dire, aucune magie ne liait l'empathie du chasseur à celle du cœurl, malgré quoi elle pouvait le voir lorsqu'il avait peur, ou lorsqu'il était serein. L'instinct animal est vraiment incroyable. En prime, l'incandescent ayant nié ses talents de cuisinier apporta littéralement le grain de sel qu'il manquait à la cuisson et ce repas s'améliora nettement en termes de qualité. Une viande fraîche, abattue dans la demi-heure et une cuisson parfaite, tout en préservant l'arôme singulier de la braise du feu de bois et voici un met à en faire pâlir les aubergistes ventant les mérites d'une cuisson contrôlée dans leurs petites cuisines. On n'était pas non plus sur de la haute gastronomie mais bon sang ... voilà là un exemple de qualité à n'en pas douter un instant, si bien que l'appétit du chasseur ne fit qu'en accroître, s'accordant une demie part en plus dans l'assiette. Les restes du boucton furent rapidement débarrassés de la carcasse et celle-ci, traînée plus loin en forêt alors que Jin s'absentait pour passer un coup de cristal de communication. Ce n'était pas la première fois qu'il s'éloignait pour discuter et il en revenait souvent un peu plus joyeux qu'à l'initiale, alors le chasseur ne se soucia pas de ces absences régulières. Empruntant une caisse de transport et un peu de gros sel à Carmin, Nora stocka les parties de viande dans la charrette, qui serviraient à faire plusieurs repas voir mieux, aidera les locaux d'Ullial à manger autre chose que des céréales à la flotte.

L'aventurier revint alors près du feu et Nocturne s'installa sur ses genoux pour entreprendre un roupillon après avoir rongé pour l'équivalent de trois repas sur ce que lui avait laissé le grand brun. Passant sa main dans la fourrure du familier pour la bercer, il observa Jin revenir et prendre place non loin, avec un sourire – comme toujours depuis quelques temps avec lui – serein. Il proposa d'établir des tours de garde et Nora acquiesça de la tête. Il faudrait cependant laisser Carmin dormir car premièrement, le cadet n'avait pas totalement confiance en lui, secondement, il conduirait toute la journée de demain aussi. Il faut dire, même s'il n'aurait pas à affronter les brigands en cas d'attaque, il n'avait pas non plus le meilleur rôle, la route fatigue vite et un conducteur épuisé aura tôt fait de les foutre dans le ravin et là, mission échouée.

- "Si ça te va, je te laisse prendre le premier tour. On peut faire ça en un ou trois relais, comme bon te semble."

Il avait effectivement une préférence pour un relais, car cela lui permettait de ne pas interrompre ses cycles de sommeils, même si ça impliquait de rester éveiller plus longtemps, mais certaines personnes travaillaient avec trois pour préserver les performances de chacun et ainsi créer un meilleur roulement. Cette technique était malgré tout plus efficace en plus large effectif.

Après s'être souhaité la bonne nuit, Nora accompagna Carmin pour aller s'assurer du bien-être des chevaux, puis lui laissa s'installer dans la caravane pendant que le brun fit comme à son habitude : il s'enroula dans sa cape à quelques mètres du feu, épée rangée à ses côtés, dague contre le sac en guise d'oreiller et ferma les yeux lorsque Nocturne se lova proche de son père adoptif. A présent, il ne manquait plus qu'à voir s'il serait tiré de ses rêves par une alerte de son collègue, ou s'il pourrait dormir jusqu'à devoir prendre la relève. Dans tous les cas, une première journée s'était écoulée sans accroc, c'était là déjà une première grande nouvelle pour une mission d'escorte qui souvent, ne s'avère pas aussi simple qu'escomptée.

Premier tour de garde.

Un moment un peu traitre.

Parce que, on se retrouve seul avec soi, et toutes les tentations sont là pour s'endormir sans faire exprès. Une nuit calme, une flamme hypnotisante, la respiration régulière de nos compagnons, une température agréable. Tous les facteurs nécessaires pour envoyer son esprit dans le monde des rêves.

Mais ça c'est quand on a pas grand chose à penser.

J'ai peur de dormir, en ce moment. C'est ça, marrez-vous.

Des lueurs vertes me toisent dans mon esprit, des flashs de galeries sombres comme les ténèbres, et un paquet de merdiers que j'me tais de dire pour éviter de ressasser. Une saloperie qui nous trahit. Vouloir oublier c'est y penser. Le moment de m'envoyer ces herbes j'pense. J'veux pas inquiéter Nora et pis il n'a pas besoin de savoir que j'ai traversé un cauchemar dans une île aussi inconnue et mystérieuse. Dans un petit bol, j'verse de l'eau de ma gourde fontaine avant de le faire bouillir dans le creux de mes mains qui deviennent incandescentes.

L'inhalation commence et mon corps se relâche. Comme si toute mes frustrations, mes mauvaises sensations, se barraient pour un petit moment.

Pis quelqu'un arrive.

Une capuche, des mèches rouges y dépassent, des épaules larges, une cape qui frotte le sol. Il lève le bras dans une direction et une motte de terre se dessine sous la forme d'une petite assise de l'autre côté du feu. J'étire un sourire quand il vient s'assoir.

- 'Lut, p'pa.

Il retire sa capuche, une crinière flamboyante avec quelques mèches d'argent tombent sur ses épaules me dévoilant une immense barbe. Comme si dans mon esprit il avait quand même vieilli.

- Bonsoir, fils. Alors, tu t'ennuis un peu, au point de te foutre des plantes dans le nez?
- On m'a prescrit ce truc, et ça marche.
- Depuis quand les Hidoru ont besoin de médocs pour rester fort ?
- P'pa je...
- Il a l'air sympa celui qui t'accompagne. Qu'il me coupe.
- Ouais, il a tout d'un gosse, mais faut pas se fier aux apparences.

Il frotte ses mains au-dessus du feu et m'invite avec ce fameux regard qu'il faisait jadis de lui donner un coup de pouce. J'souris en roulant les yeux vers le haut, pis j'm'exécute en fouettant ma main dans l'air. L'effet est immédiat, la flamme revit plus fort et mon paternel en rigole, satisfait.

- C'est vraiment pratique d'avoir un Jin avec soi.
- Voilà que tu jactes comme Haru maintenant ?
- Pourquoi t'es comme ça en ce moment? Tu es fade, et sans couleurs. T'as restauré la boutique, tu t'es trouvé quelqu'un et pas n'importe qui, et le plus important, tu as rendu ta mère heureuse.
- Parce que j'ai pas trouvé les gens qui t'ont refroidis, putain. Il m'arrive que des conneries dans ma tête depuis ce voyage et j'chope des crises d'angoisses quand j'suis dans un espace restreint.
- ...Ton langage, fils.
- Désolé, p'pa.

Il regarde Nora, puis sort une gourde avant de boire une lampée.

- Tu as parlé à ce gamin.
- Bah, faut bien. Fermer son clapet chaque mission c'est un chouya emmer...embêtant, tu vois.
- "Ce qui compte ce n'est pas d'être un bon cogneur, l'important c'est de se faire cogner, et d'aller quand même de l'avant." Tu retiens bien les leçons, quant à les appliquer...
- Merde, hein.
- Tu veux une mandale dans la trogne ?
- C'est pas facile, j'ai jamais encaisser un truc pareil. C'est pas comme si on m'avait juste tabassé.
- Ca te donne pas le droit de pas le faire. T'as pas besoin d'herbes, de thérapies ou d'une bonne femme avec un bloc note et un joli sourire pour t'écouter. C'est des trucs de trouillard et t'en es pas un, toi.

J'pousse un soupir. Mais ses mots me gonflent d'une force qui est de plus en plus présente. Père fronce alors les sourcils avant de tourner la tête d'un côté, puis de l'autre. Aux aguets.

- Y'a un truc qui va pas?
- 27 mètres de ta position, un archer. Il est accompagné de trois personnes qui marchent en quinconce autour de ton colis à une quinzaine de mètres. Le dernier est dans ton dos.

J'me raidis d'un coup, puis fronce les sourcils, main sur Portecendres.

- Tu vas y arriver, fils.
- Comment ils ont fait pour t'avoir? Que j'demande, sidéré.
- Tu trouveras la réponse, j'en suis sûr. Maintenant va réveiller le gamin.

J'me lève doucement. Un dernier regard vers Okubo Hidoru...

Plus là, pas non plus de motte de terre. J'me retourne délicatement, le reflet de la lune réfléchit le métal d'une dague derrière un buisson. Un œil vif sur mon flanc aperçoit une silhouette disparaître derrière un arbre à une bonne trentaine de mètres. Aucunes nouvelles des trois autres.

Sans doute les cinq cavaliers de tout à l'heure. Putain.

J'vide le bol en bazardant les herbes, puis le jette dans l'épaule de Nora. Il ouvre ses yeux péniblement, j'demeure devant le feu quand j'lui affiche mes cinq doigts désignant le nombre de personnes. Mon poing se ferme hormis l'index qui fait un tour sur lui-même, pour donner grosso modo leurs positions. Ce doigt finira sur mes lèvres pour lui dire de bien fermer sa gueule et faire comme si de rien n'était.

Ils veulent nous surprendre. On va devoir le faire avant.

Allez, on danse.

Support logistique



Sitôt les yeux clos, un sommeil profond s'empara du chasseur qui s'en remit complètement à la garde de Jin. Il était rare qu'en pleine nature, il s'en remette aux capacités d'un autre que lui-même, dormant toujours sur une oreille en tendant l'autre, à l'affut du moindre mouvement autour de lui. Mais ce soir, après avoir parlé avec son camarade et ayant témoigné de sa puissance à plusieurs reprises, il n'éprouvait aucune difficulté à trouver la paix. Elle ne fut cependant que de courte durée, car sitôt se voyait-il transporté dans le monde des rêves, un choc le réveilla dans un sursaut contrôlé, ouvrant les yeux lentement en affrontant le poids de ses propres paupières.

Jin semblait tendu, sitôt que le regard du chasseur devint lucide il lui désigna cinq positions approximatives encerclant leur camp et lui incita à se taire. Nora cligna fermement des yeux avec un air assuré, sérieux, pour lui indiquer qu'il avait comprit le message, puis d'une main discrète, passa sur la tête de Nocturne qui, à moitié éveillée, avait également flairé le danger.

- Nocturne, on va se faire attaquer.
- Ils toucheront pas à Papa !
- On fais comme à l'entraînement, d'accord ? Tu attaques celui qui chasse.
- Je veux pas partir loin de Papa !
- Sois forte, ma chérie, tu en es capable.
- Mais ...
- J'ai foi en toi, tu es ma toute petite. Tu sauras te débrouiller. Maintenant, va !

Nora fit dépasser une main de sa cape faisant office de couverture, désigna le feu et abaissa sa main paume vers le sol pour demander à Jin d'en réduire l'intensité et quand la pénombre gagna assez de terrain, une silhouette féline partit dans l'obscurité au signal du chasseur. Son épée se trouvait à portée de main, mais un mouvement suspect aurait sûrement vite fait d'alerter l'ennemi, il vaudrait sûrement mieux lui tendre une embuscade, ainsi Nora prépara Partio Memoria pour créer un leurre, revisualisant ses souvenirs de la veille. Il ne voulait tuer personne, malheureusement, si ses jours étaient compromis, il devrait affronter l'adversaire et se sortir lui-même de ce mauvais pas. Aucun garde, pas de menottes magiques, rien d'autre qu'eux-mêmes face à cette épreuve subite. Ayant presque fini son tour, Nocturne rétablit le contact télépathique avec son maître.

- Il y a quatre monsieur et une dame ! La dame chasse et les monsieur ont des épées !
- Reste à coté de la dame et quand je te donne le signal, tu l'attaques, compris ?
- Oui Papa !
- Ne grogne pas, attend sagement.

D'un second regard vers Jin, il fit dépasser sa main de nouveau du drap, énumérant un décompte de cinq à zéro, puis désignant le feu et paume ouverte vers le ciel, la ferma brusquement en se couvrant les yeux d'une autre main.

La nature de son plan était simple, éteindre le feu pour perturber l'adversaire, attaquer l'archère et faire jaillir la lumière vive d'Achromat, la bague au doigt du chasseur, pour aveugler l'ennemi. Ensuite, il n'y aurait qu'à se ruer sur la position de l'ennemi pour les désarmer, la partie la plus tendue de l'opération, en somme. Ainsi, il attendit un hochement de tête accordé avec son binôme et fit le décompte lui-même, maintenant le contact avec Nocturne au même instant.

- Tiens toi prête, dans 3 ... 2 ... 1, attaque !

- "Memoria !!"

La lumière s'éteignit, l'aventurier alité se leva brusquement. D'une main, il créa une réplique de la charrette entre l'archer et le duo pour intercepter un projectile perdu, de l'autre, claqua des doigts en baissant la tête pour s'orienter à l'inverse de la source du flash bang. Un cri sinistre retentit, féminin, témoin de l'attaque du familier qui l'avait croqué dans le trapèze en tirant sa chair, soutirant une suite de gémissement douloureux à l'archère. Les plaintes de surprise dans les buissons alentours permit au chasseur de définir sa trajectoire à venir, se ruant sur son épée toujours rangée proche de la couche pour en tirer la lame, en se débarrassant du fourreau. Il sprinta alors en direction du plus proche. A peine arrivé face au amas de feuilles et branches fines, il se fondit au travers de celui-ci, sénestre la première pour saisir l'intrus armé. Il le tira alors de toute sa force pour l'extirper de sa cachette et ignorant l'appréhension et la peur, se laissant aller à l'adrénaline de la chasse, plantant sa lame dans le biceps tenant l'arme, sectionnant le muscle dans son travers et sans seconde pensée. Non-loin, alerté par le cri de détresse de son allié, un autre homme sortit avec une épée à une main et certainement moins affecté par la lumière que son allié, porta deux coups, parés in-extremis qui firent reculer Nora sur ses appuis. Au corps à corps, il n'était pas encore assez fort pour tenir tête à n'importe quel adversaire, ainsi le désavantage serait vite prononcé. Un coup supplémentaire et il fléchit un peu plus, perdant petit à petit l'avantage. Sur une taille verticale de son agresseur, il se déroba sur le côté et sortit sa dague pour poignarder le flanc du loubard, tirant un trait d'hémoglobine et un souffle étranglé par l'adversaire. Si Jin avait aussi réussi à en tomber deux de son côté, ainsi ils seraient en bien meilleure posture qu'escompté.

Ceci aurait été, bien évidemment, sans compter un cri qui glaça le sang de Nora. Un hurlement animal, celui d'un félin. Un frisson parcourut son échine toute entière et les dents serrées, trancha sans hésitation la gorge de son adversaire à genoux qui tenta de profiter de l'occasion pour se défaire du chasseur. Lâchant ses armes, il s'élança à toute vitesse au travers du camp en direction du cri et témoigna d'une scène qui brisa le peu de calme qu'il lui restait. La femme dans un élan de rage avait poignardé Nocturne dans l'estomac avec une flèche, tournant celle-ci dans la plaie en faisant couiner le familier. Sans seconde mesure, Nora se jeta sur elle comme un lion furieux, l'arrachant aux prises du cœurl pour la saisir à la gorge et la plaquer au sol. Son regard s'arrêta une fraction de seconde dans celui de la demoiselle qui n'était rien d'autre à ce moment qu'un danger pour sa dernière famille, il envoya alors un crochet du droit dans sa mâchoire, suivit d'un autre, encore et encore, poussant un long cri de haine profonde en dénaturant les traits de son ennemi. Chaque coup se fit plus puissant, plus marquant, résonnant dans la clairière comme un tambour que l'on frappe pour donner le rythme aux marins, comme le son d'une hache battue à répétition dans l'écorce d'un arbre pour l'abattre. A un moment donné, elle cessa de bouger, Nora n'arrêta pas, se saisissant d'une pierre à proximité, la levant à deux mains pour commettre l'irréparable. La roche s'abattit contre son visage dans un son de bris, de sang et une dernière supplique agonisante de sa proie. Il réitéra trois fois le coup, détruisant intégralement son visage jusqu'à ne plus avoir d'énergie, lâchant un nouveau cri à chaque coup. Les larmes incontrôlées du chasseur, mêlées au sang éclaboussant son visage, il laissa trôner sa dernière arme sur son point d'impact et se tourna vers Nocturne, miaulant de douleur avec la munition encore plantée en elle.

- "Nocturne, Nocturne, Nocturne ... !"

La voix fébrile et le cœur emballé, Nora s'installa à son chevet en posant une main sur son visage et examina la plaie.

- Papa ... j'ai mal ...

Prit de panique, le chasseur tenta de retrouver sa respiration, malheureusement, sans soin immédiat, il risquerait de perdre son familier, il se tourna alors vers Carmin qui, alerté par le raffut, se tenait pantois devant la scène, ayant probablement assisté au massacre de l'aventurier.

- "De quoi la soigner ! Vite ! Une potion, quoi que ce soit !!"

Crachant sa frustration et sa haine, le ton de Nora était méconnaissable, partagé entre l'inquiétude et l'adrénaline. Il avait déjà perdu ses parents, s'il s'avérait que sa vie était requise pour sauver Nocturne, alors il n'hésiterait pas une seule fraction de seconde. Le blond, tétanisé, n'avait pas bougé d'un millimètre, le chasseur perdit patience.

- "BOUGES TOI LE CUL !"

Le brasier du camp disparaît. La mémoire de la chariote nous prend en sandwich avec l'autre alors qu'il se fait canarder de flèches. Mon pied d'appel enraciné au sol, c'est toute ma jambe droite qui prend feu quand un type débaroule de nulle part, épée à la main.

Coup de pied retourné fouetté, mon panard dérape sur la mâchoire sur des crépitements alors que sa joue fond instantanément. Sa tête dévie, le corps suit le mouvement. Il se roule au sol, mordu par les flammes, pousse des hurlements.

Un cri de guerre sur ma droite, l'autre arrive sur mon flanc. D'un geste du bras vers le haut, un mur enflammé de 2000° nous sépare. Il s'arrête net, s'éjecte vers l'arrière. J'traverse le barrage ardent pour lui mettre un coup d'épaule.

Esquiver sa lame en aveugle, répliquer direct du droit dans le torse. Recommencer pour fragiliser, fracturer sur un crochet-marteau métallique. Poumons perforés, il tente le tout pour le tout sur une attaque verticale. Désaxé vers la droite, il prendra une cravate qui lui écrase la carotide et le renvoie directement au sol. Il se noie dans son propre sang.

Le grand brûlé voit le spectacle et se donne une dernière chance, il tente plusieurs attaques diagonales qui feront des étincelles contre mon bras armuré. J'décide de dégainer Portecendres quand il prend feu. J'dévie son attaque, j'l'accueille avec le genou dans le bide. Giclée buccale de sang. Mon pied, ma hanche, mon torse et mon épaule dévient de toutes leurs forces pour effectuer deux cisaillements aux jambes illuminant la scène par deux flashs de flammes.

Les plaies directement cautérisées, l'homme tombe en hurlant une deuxième fois. Il prend un gantelet fermé d'une dizaine de kilos dans la tronche pour un dodo forcé.



La poussière retombe et j'entends Nora gueuler.

J'me grouille en courant vers lui. Le spectacle est pas joli, Carmin bafouille, Nora a une sale gueule et Nocturne dans un sale état.

- Merde ! Carmin, z'avez quelque chose ?
- Je ... je...

Rien à faire, il est paralysé. J'arrive aux côtés de Nora, ses mains ensanglantés compriment la blessure comme il peut. Va falloir que j'utilise l'Art du Feu, faute de mieux.

- J'vais essayer un truc. Nocturne va avoir très mal, j'préfère prévenir.

Dans de nombreux cas, la flèche traverse simplement le bras ou la jambe, et le traitement consiste uniquement a désinfecter et bander les plaies. Si le trait se fiche dans un os, l'extraction est bien plus complexe, car il faut souvent une traction extrêmement significative pour retirer la pointe. Dans notre cas, la munition est dans le bide faut espérer qu'aucun organes ne soient toucher. J'retire mon gantelet et mon gant droit qui tombent dans un fracas métallique au sol. J'frotte mes mains pour les rendre brûlantes. Traduit par une fumée blanche qui les entourent et un crépitement par rassurant, j'peux comprendre.

- Tu vas sortir la flèche, et j'vais cautériser derrière. On a pas trop le temps, là.

Va falloir faire un choix. Comme j'disais plus tôt, c'est binaire.

Il vit ou il claque.

Support logistique



Sa voix avait résonné dans la plaine, faisant écho et gage aux animaux sauvages alentours de la peur du chasseur face à son familier blessé. Carmin ne bougea pas d'un millimètre et son regard était le même que lorsqu'il vit Nocturne pour la première fois, en plus choqué. Celui d'une proie face au prédateur, craignant pour sa vie et sa moindre respiration, feignant la mort pour éviter les foudres d'un potentiel agresseur. Bien heureusement, Jin fut assez lucide et se dépêcha au chevet du cœurl, ne pouvant voir que le bois de la flèche entre les doigts de Nora qui arrêtait tant bien que mal le saignement. Il annonça une nouvelle qui ne plut guère au cadet, mais sa voix et son ton assuré ne lui laissèrent d'autre option que de s'en remettre aux techniques de l'incandescent, gardant son regard sérieux. Sans un mot, Nora hocha la tête et selon ses instructions, se prépara à tirer la flèche, préservant le contact télépathique avec Nocturne.

- On va t'aider, n'ai crainte, accroches-toi !
- J'ai mal ... j'ai peur ...
- Patientes encore un tout petit instant, je suis avec toi ma chérie.
- Papa ...

L'archère avait tourné la flèche dans la plaie, il serait donc dangereux de la retirer d'un coup sec, au risque d'aggraver la blessure. Il tâta alors le terrain et dans le sens inverse – là où la flèche demandait le moins d'effort pour tourner – il s'appliqua à faire correspondre l'ouverture de l'épiderme avec la forme de la tête en acier, lorsqu'il fut dans le bon axe, Nora se tourna vers Jin avec un regard grave.

- "Fais ça rapidement, s'il-te-plaît."

- Inspires profondément et à mon signal, expires, d'accord ?
- Oui ...

- "A trois. Un ... deux ... trois."

Il tira la flèche d'un mouvement net, soutirant la pointe à son emprise dans les chairs du félin en limitant au maximum les dégâts, il ne restait à Jin qu'à pratiquer son art avant que le saignement ne s'aggrave et en un court instant, dont le début fut marqué par un cri de douleur animal, la fin par un gémissement étouffé, Nocturne n'était plus en danger de mort immédiate. Le second cri tout comme le premier empoigna le cœur du plus jeune et lui fit se mordre la lèvre jusqu'au sang, fermant les yeux en endurant patiemment les rasoirs du cœurl dans sa sénestre, seul exutoire à portée du familier criant sa douleur. Lorsque le plus gros fut passé, Nora caressa la tête de sa petite avec sa seule main encore en état et prit quelques secondes de silence pour se consacrer à la petite, bientôt rompu par son propre signal.

- "Surveilles-là, Jin. Je vais chercher mon sac pour lui faire un pansement."

Il se leva alors et dépassa Carmin sans lui adresser le moindre regard, le gaillard pourtant plus planté que l'aventurier s'écarta en bégayant de la route du garçon alors qu'il retourna proche de sa couche pour empoigner ses affaires, faisant un demi-tour illico entre les quelques bandits encore agonisants. L'aller-retour ne lui prit qu'une poignée de secondes et sans plus de formalité, il s'adressa à Jin qui devrait se contenter d'une demande sèche, écourtée par la froideur acquise au cours de cet évènement traumatisant.

- "Il reste des blessés, fais-en ce que tu veux."

Avant de lui laisser totalement prendre congé, il attrapa sa manche en plantant une dernière fois son regard dans le sien. Les yeux du traqueur étaient rouges, pas autant que le sang encore frais sur ses cheveux, ses habits et ses mains, mais tout de même bien enflés par l'émotion.

- "Et ... merci."

Il détourna alors son attention sur la créature convulsant légèrement dont la souffrance était palpable. Enfournant sa main dans son sac de voyage, il en tira son mortier et pilon, des orties et un fond de baume cicatrisant qu'il avait préparé l'avant-veille. Écrasant le tout pour créer une mixture au plus saine possible, il fit cesser le bruit des bois s'entrechoquant et en tira sur le bout des doigts une noisette du produit fraîchement concocté pour l'appliquer sur la blessure. Nocturne râla faiblement, comme épuisée par l'enchaînement des évènements, si bien que Nora ne craignait plus l'hémorragie mais l'arrêt cardiaque. Il valait mieux, malgré tout, prendre le temps de bien faire les choses plutôt que de se hâter. Une voix hésitante, masculine, approcha du jeune homme qui ne daigna lever la tête jusqu'à comprendre l'intention de Carmin qui s'était avancé, une boîte entre les mains.

- "J-Je ... je suis désolé, petit, je n'ai que ça à te proposer ..."

Un coup d'œil vers le blond et Nora lui fit signe de la tête d'approcher, il s'installa à côté en dévoilant dans le bagage un assortiment de produits avec des bandages. L'aventurier attrapa alors une compresse tressée et du ruban avec quelques épingles pour maintenir le baume contre la plaie cautérisée et en entourant l'abdomen du félin et constatant le travail terminé, il put finalement se laisser aller en arrière, posant son séant à même l'herbe en surveillant Nocturne.

- "Merci, Carmin."

Un long silence sur le point de s'installer laissa une fraction de seconde au jeune homme pour penser aux conséquences de ses actes. Il saurait plaider la légitime défense d'un point de vue juridique, mais moralement, il venait de tuer de sang froid une femme, allant jusqu'à battre ses restes déjà morts pour extérioriser sa haine. Le convoyé avait probablement était témoin de la scène, aussi, il avait peut-être quelques explications à lui fournir pour éviter de semer la discorde dans leur groupe encore fraîchement créé.

- "Hum ... C'était ... la première fois que je tue quelqu'un ..."

Un regard interpellé de l'intéressé fut suffisant pour comprendre qu'il venait de gaffer. Certainement pas la meilleure manière de se dédouaner d'un acte répréhensible, pensa Nora.

- "J'ai toujours voulu opter pour la solution pacifiste, mais ... je n'ai pas réussi à me contrôler ... Nocturne est ma seule famille, je ne supporterais pas de la voir mourir."

Le regard du blond passa de la stupéfaction à une forme légère de compréhension, il alla même jusqu'à tapoter l'épaule du brun, ce dernier fut surprit du geste.

- "Petit, tu as encore à apprendre de la vie, moi aussi ... Ce que tu as fais là, peut-être que c'était ta manière de défendre ta famille ? C'est un comportement, disons ... normal ? Enfin, je ne le préconise pas le moins du monde, tuer est grave ! Mais ... c'est aussi ton boulot de nous escorter. Je me sentirais bien moins en sécurité avec quelqu'un sacrifiant son familier, plutôt que quelqu'un tuant pour le protéger."

L'air perdu, Nora se trouva à repartir fixer et décrire la fractale présente dans la fourrure du cœurl, des tâches noires et marrons au milieu d'une mer d'ambre, dégarnie proche du bas-ventre. Un petit pincement au cœur et l'aventurier retrouva le regard presque paternel du camarade de route qu'ils s'étaient faits. Malgré sa tétanie et les ordres rugis par le plus jeune de toute l'équipe, il semblait avoir la capacité de prendre un recul nécessaire car la situation s'y prêtait. Une belle qualité somme toute, qu'il apprenait tout juste à apprécier.

- "Merci, Carmin. Je continuerais d'assurer ma mission au maximum de mes capacités, les locaux d'Ullial ne déploreront aucun retard. Je pense qu'il serait judicieux de changer de camp, aussi. Dormir au milieu des ... enfin, je veux dire, je ne suis pas fan de rester dans le coin, on devrait probablement s'éloigner d'une centaine de mètres au moins."

Évitant malhabilement le sujet du massacre, il considéra plusieurs fois ses options et pensif, se verrait bien assez rapidement proposer à Jin ce même plan, prenant par la même occasion son tour de garde pour le restant de la nuit. Il n'arriverait clairement pas à dormir après un affrontement aussi riche en émotions.

Tabasser des gens, leurs faire mal, les briser, entendre leurs supplications dans le fracas des os.

Les châtier. C'est un peu mon boulot, et je n'ai jamais hésité.

Jamais.

Ce soir c'est différent.

J'regarde les marques que j'vais sans doute laisser à vie sur le derme du bestiau. Lui qui n'a pas de casier judiciaire, pas de primes sur la tronche, nope, rien. J'suis entrain de le torturer pour refermer sa plaie. Heureusement pour la bestiole, mon pallier utilitaire me permet de faire "gaffe" et éviter de le transformer en fougasse au chorizo. Nora revient avec le nécessaire pour panser et stabiliser, et voilà que mon travail se termine pour un autre. Il ajoute qu'il reste des blessés et moi j'pousse un soupir.

- On va devoir faire le ménage.

Il m'empoigne le bras, laisse un remerciement timide, répondu par un haussement des épaules.

- Sors ta bestiole de ce pétrin, on aura tout le temps de s'embrasser après.

Nan, jamais.

Maintenant, la partie que mon pouvoir apprécie mais qui est mauvaise pour les affaires. On vient de buter des gens. J'en ai tué un dans la tournure du combat, un autre agonise, même topo pour l'autre duo qui a voulu tenter leur chance avec notre traqueur.

Trois avec la donzelle qui a le visage d'un clafoutis aux fruits rouges. J'commence avec les deux vivants, un a perdu trop de sang suite à une section du muscle qui a causé une hémorragie. Ma main prend feu, et sans la délicatesse que j'ai pu avoir avec le coeurl que j'attrape le bras pour cautériser sa plaie, en bâclant le boulot. Il se réveille en sursaut, réalise et pousse un début d'hurlement interrompu par le talon de ma botte qui l'assomme net. Saisis à la cheville j'le traîne vers notre grand brûlé qui rampe vers les bois. Son collègue qui s'est noyé dans son sang est inerte. Ouais, il est canné. Épée en main, j'la plante dans sa jambe avant d'enfoncer son crâne dans la pelouse pour le faire taire.

- T'as vraiment pas de chance, t'es pas tombé sur un groupe de pucelles qui pouvait vous attendre les sacs remplit de cristaux et une virginité disponible à souiller par vos soins. Tes potes sont mort, l'autre est en train de crevé, ta connasse d'archère ressemble à une tomate écrasée par un cheval. T'as plus d'espoir, t'as plus rien. J'devrai te crever non?

J'saisis ses cheveux pour le tourner vers moi.

- Pis j'imagine que tu vas vouloir te venger maintenant que t'as nos visages, hein.
- Non, je ne dirai rien...
- J'te crois pas. Sois convaincant.

Ma tête prend feu, mes yeux sont déformés par les flammes, ma crinière flotte dans les airs alors qu'un rugissement vrombit dans ses tempes.

- PROUVE LE !

Il chiale, prononçant des supplications timides. Mais rien à faire, j'le crois pas. Toujours marrants, ils n'ont jamais peur de mourir quand ils volent la vie injustement à des personnes innocentes jusqu'à ce que ça leur tombe dessus. Abrutis. Combien de groupes ils ont pillés, combien de nanas ont subi leurs coups de béliers entre les jambes, combien de gosses ont perdu leurs parents pour des conneries pareilles. D'une grande inspiration, j'souffle un brasier constant sur son visage, en étouffant son hurlement alors que je le consume rapidement comme la fraise d'une cigarette.

J'ai un crâne carbonisé désormais, entre les mains, puis j'traîne le corps. Silencieusement. Il restera que l'homme inconscient. Il va rejoindre ses collègues dans un fossé naturel qui nous sépare de la route. Du bois mort, en quantité que j'balance machinalement sur les cadavres. L'un d'eux se réveille, son bras le douille et il sursaute quand il vois le crâne en miettes de sa collègue.

- Mais bon sang vous êtes qui ?!
- Deux aventuriers qui voulaient bosser peinard. Tu peux m'appeler Jin, que tu saches mon nom change rien de toute façon.
- Hein?! Et j'peux savoir pourquoi ?!
- Parce que tu vas crever.

J'balance un tronc plus lourd qui l'empêche de bouger dans son nouveau lit plein de viande humaine. Il hurle, même discours classique, qu'il ne recommencera pas, qu'il veut une seconde chance blablabla...

Dans ma posture de bourreau, j'charge une flamme dans le creux de mes mains. Froid, indifférent, impartial, solennel.

- Un dernier mot? Que j'termine, monotone.

Il se noie dans ses larmes alors qu'il essaie d'expirer des mots. Il prend une seconde pour accepter son sort, et me dit non de la tête.

Un autre de torrent de flammes s'abat sur eux, une conclusion Ardente de leurs Châtiments. Le pic de flamme s'élève dans le ciel et maintenant il est temps de revenir vers les vivants. J'rejoins le binôme, visiblement ils taillent le bout de gras pendant que j'cuisinais. De là on pouvait voir le regard de Nora, reconnaissant sur Carmin, j'suppose qu'il avait besoin d'être rassuré. J'aimerais hurler sur Nora, lui dire que c'est pas bien ce qu'on a fait, qu'on pouvait les neutraliser et les ramener au village pour que la garde prenne le relais. Mais c'est jamais comme ça, et c'est jamais facile. Et j'ai bien compris que s'il fallait recommencer, il le referait sans hésiter.

Il obtiendra de ma part un regard froid et perçant, qui traduit un "on a merdé et j'espère que le sais, tu vas devoir dormir avec."

La proposition de partir est lancé et nous voilà en route, j'essaie de me détendre et prend une grande inspiration, en essayant de penser aux choses agréables. Le parfum d'Haru me revient en tête, sa chaleur, sa douceur et le reste, j'vais le garder pour moi.

Un dernier regard vers Nora et sa bestiole.

- Réveille moi, si y'a besoin.

Ainsi j'essaie de m'abandonner à mes douces images pour espérer dormir après ce bordel.

Support logistique



La discussion tourna court après cela, Carmin laissant le jeune brun avec son familier dans un moment d'intimité. Nocturne avait perdu connaissance et n'arrivait à sortir d'entre ses crocs aiguisés qu'un râle à chaque respiration, ainsi Nora l'observa longuement, sûrement que ses jours ne seraient pas comptés mais elle n'allait pas non plus péter la grande forme à son réveil. Il repensa à la blessure et certainement assez basse pour ne pas avoir touché d'organe, il restait l'hypothèse du poison. D'un coup d'œil vers le tas de flèche laissé sur place après que Jin ait déplacé le cadavre de l'archère, Nora tendit le bras pour en examiner une et inspecter sa pointe. Aucun mécanisme, aucune substance apparente, aucune odeur. Un soupire de soulagement rompu en son milieu par le cri lointain des derniers rescapés et le chasseur récupéra le frêle corps félin pour le porter dans ses bras, approchant avec précaution la charrette pour l'allonger dans une caisse vide, manière d'éviter qu'elle ne glisse pendant le trajet. Laissant le familier un instant sans surveillance, il approcha de Jin pour constater le travail en cours, une fosse aménagée au fond duquel toute chair fondue laissait une odeur nauséabonde, avec quelques flammes supplémentaires, le tout ne sera – avec un peu de chance – plus qu'une vague piste, l'indice obscur d'un drame déroulé lors d'une nuit mouvementée.

Aidant le cocher à préparer les chevaux légèrement agités pendant que Jin terminait sa cuisson, Nora alla chercher sa longue-vue dans ses effets personnels pour analyser les alentours et trouver un potentiel lieu de camping assez éloigné et d'autant plus discret, ils ne voulaient pas avoir à affronter une deuxième vague de criminel. Jin arriva à ce moment-là avec un regard froid, en disant long sur son impression de la soirée. Ainsi lorsque tous les effets personnels furent jetés à l'arrière du véhicule, les cendres du feu de camp balayées, la route reprit et le traqueur s'installa aux côtés de la cœurl pour veiller sur son état. Le trajet se déroula dans le silence et dura une vingtaine de minutes.

Suite à quoi un second camp plus modeste fut installé pour permettre à l'équipage de prendre un meilleur repos, loin des odeurs de chair brûlé et de sang dans l'air. Nora indiqua à son coéquipier de lui laisser le tour de garde jusqu'à l'aube et il ne se fit pas prier, le brun s'installa alors sur le côté de la charrette pour écouter la respiration de Nocturne en même temps que de guetter le trafic inexistant sur le sentier. Silencieux, sans le moindre écart, il laissa lentement retomber l'adrénaline et peu à peu s'installèrent les images violentes du massacre. C'était le second qu'il perpétuait et si le premier, au sein d'une taverne avec des ivrognes ne s'était soldé que par des nez cassés et quelques dents de perdues, celui-ci comptait autant de morts que d'agresseurs et pire encore. Il avait tué à deux reprises, une fois de sang-froid, la seconde en se laissant guider par la rage, si Alter était là, il aurait jubilé face à tant de violence. Il repensa alors au regard de Jin, pourtant lui ayant un passif plus mouvementé que le sien, aussi proche du mercenaire que de l'aventurier dans la pratique, si lui-même portait cette mine, c'est qu'ils avaient vraiment déconnés. Nora lutta un premier temps contre les visions d'horreur, dans un second, contre la fatigue qui le gagnait. Un tel affrontement avait été éprouvant et pourtant, il ne voyait aucun autre moyen de trouver le repos que de s'écrouler d'épuisement. Enfin, il n'avait pas le choix pour le moment et continua donc son tour de garde jusqu'à ce que le soleil pointe à l'horizon, ses partenaires ne tarderaient pas à se réveiller.

Mes joues chauffent.

Les rayons du soleil qui repointent sa trogne après une nuit aussi macabre qu'obscure.

J'regarde Nora, me relevant doucement. Il a dû se lever un chouya avant moi. Pas de rêves particuliers, pas de vestiges de songes dans ma tête, non, comme si... Mon cerveau avait fait un blocage, une parade à tout ce qui s'est passé. Il tirait une sale tête, mais son regard protecteur envers sa bestiole reste intact.

Nora est moche ce matin. Me redressant doucement, un silence plane quand nos yeux se rencontrent, avant que j'casse le silence.

- C'était pas un rêve, hein.

Il me répond non de la tête. On a bien descendu tous ces types. J'pousse un soupir, les mirettes ambrées dans ceux du petit familier, qui va pas oublier cette nuit de sitôt. On l'a pas fait pour elle à la base, mais ça l'est devenu après. Est-ce que ça donne un sens au bordel qu'on a foutu? Des gens le feraient par pur déni, moi j'dirai que c'est qu'une altercation qui s'est mal terminé. On ne prévoit pas les choses, et même si on veut bien faire, ça sera jamais comme on le projette. Parce que les gens sont pas des sacs de patates et qu'ils sont aussi imprévisibles que les situations qu'ils nous imposent. Bagarre, embuscade, duel.

Rien n'est prévu, même quand on l'avantage. C'est peut-être le plus excitant finalement.

Est-ce que j'regrette? Bien sûr que non, pas le temps, et on a encore du travail. Un silence pèse dans le lieu, une espèce de deuil improvisé, où Carmin se range bien de l'ouvrir pendant qu'on commence de déjeuner. Le collègue graille que dalle, malgré mes regards menaçant d'essayer de becter un truc avant qu'il ne soit trop faible pour poursuivre le voyage.

Il est entrain de se battre contre lui-même, j'espère qu'il est pas en train de perdre, ça m'emmerderait qu'il est tourné la carte et que son esprit ressemble à celui d'un cintré qui chope le gout du sang.

Mais on y est pas.

Les chevaux frais, le chargement encore en bonne état et ses occupants encore...en vie, on reprend la route. Se laissant chacun notre tour le temps nécessaire de reprendre du poil de la bête. Mon focus reste sur la mission, et j'ai toujours l'envie de plier ça en bonne et due forme et sortir le village de ce pétrin.

En route.

***

- Jin, Nora. Bienvenue à Ullial.
- Eh bah bordel...

Mes yeux s'écarquillent, un peu sidéré par ce qu'est capable de faire la flotte à un village. Le sol est retourné, des arbres mort peint par la vase et les algues meublent les routes ou bien sont sur des toits. Les cultures sont inondés, pourtant le paysage paraissait si beau avant que les choses se précisent.

Quelques pécores essaient de sauver ce qui reste mais j'ai pas l'impression que ça va suffire à faire quoi que ce soit. Finalement, on fait bien de se ramener. Deux gardes postés à l'entrée pointent leurs lances quand Carmin lève les deux mains.

- Halte !
- On se calme ! La Couronne envoie ces deux aventuriers afin de vous aider dans le malheur qui est tombé sur votre village.
- Ouais, tout pareil.

Un immense soupir de soulagement alors que les deux loustics se toisent, le sourire aux lèvres, celui qui a parlé s'approche du chargement, j'lève la patte pour dire bonjour discrètement avant de toiser le familier du camarade.

- On a une bestiole qui s'est blessé, on la rafistolé avec les moyens du bord.
- On a une guérisseuse, suivez nous.
- Nora, va y. J'm'occupe du chargement.

On entre, et les villageois de plus en plus curieux s'approchent du véhicule, et les sourires commencent à se pointer, les gardes annoncent notre venue, et la foule nous suit jusqu'à la place publique où un vieil homme nous attend les bras ouverts, accompagné du reste du village. Ils avaient tous l'air abimés, épuisés. Les pauvres ils ont ramassé une sacrée facture.

Maintenant tout ça s'arrête.  

Support logistique



Non, ce n'était pas un rêve. Après avoir échangé un long duel de regard avec Jin, Nora lui concéda sans mal la victoire pour reporter son attention sur Nocturne, dont l'abdomen gonflant au rythme de ses respiration l'inquiétait bien plus qu'à l'usuel. Il fit non de la tête, muet. La nuit fut longue et multiples craintes l'avaient saisi, dont aucune qu'il oserait citer tant l'appréhension qu'elles arrivent était puissante. Ses bras, ses jambes, une majorité de ses muscles abdominaux se trouvaient tous engourdis, fatigués d'une bataille certes courte, mais suffisante pour les émotions fragiles de l'éphèbe n'ayant découvert la vie que depuis une année environ. Jin insista pour qu'il mange, le chasseur hocha négativement la tête une seconde fois, le regard perdu dans les fractales noires au milieu de la mer d'ambre que dessine le pellage du félin. Sa bouche avait un goût de sang, son nez avait été choqué par l'odeur de la mort qu'il avait lui-même provoqué, ses yeux aussi avaient perdus en éclat. Le départ fut annoncé et le chasseur prit place dans la charrette, s'allongeant aux côtés du cœurl sans un mot. Dans sa tête, plusieurs voix se disputaient.

Il y avait celle qui plus que tout, voulait protéger Nocturne, la plus puissante, hurlant sa rage, qu'il recommencerait autant de fois que nécessaire. Il y avait la compassion aussi, cherchant un compromis, se voyant troquer tout ses biens contre la vie du familier pour éviter l'altercation. La responsabilité le flagellant d'avoir envoyé la petite en contre-embuscade malgré son jeune âge, malgré quoi elle avait fait un formidable travaille, les conséquences n'étaient pas maigres. Et finalement, il y avait lui, riant doucement de la situation.

- "Alors Nora. Tu y prends goût, non ? Dis-moi, ça fait quoi de tuer ? De te sentir puissant ? Ce n'était qu'une jeune femme et pourtant ... j'suis sûr que t'en as bandé, de lui fracasser le crâne."

Il resta muet. Aiguisés comme des couteaux, les mots firent mouche et coupèrent la respiration de l'aventurier. S'il devait répondre à cet être occulte, il ne devait pas rentrer dans son jeu.

- "J'ai fais ce qui était juste."
- "Juste ? Ahahah ! Ne me fais pas rire, voyons. Toi ? Juste ? Tu as ôté la vie de plusieurs personnes. Et pire ! T'as envoyé ton pote finir le travail pour toi, tu les a condamné toi-même ! Qui veux-tu faire rire à parler de justice ?"
- "..."
- "Eh. Simple curiosité. A ton avis, combien d'enfant t'as privé de parent, en butant ces gars ? Elle était jeune, la minette que t'as éclaté, ses parents à elle, ils doivent s'attendre à la trouver pionçant dans son lit, pas cramée au fond d'un fossé !"
- "Silence ..."
- "Tu me diras, c'est la double précaution ! Avec son faciès déformé et les brûlures, impossible de la reconnaître ! Ahahah ! Vous êtes trop fort, les gars !"

Son sang se mit à bouillir, la rage dans les veines, Nora serra les poings et cria.

- "SILENCE !!"

Buste dressé au milieu des caisses, sur une route mal entretenue, la voix du brun avait franchit les barrières du pays des songe pour quitter ses cordes vocales dans le monde réel. Essoufflé comme après un marathon, il prit sa tête entre ses mains en accusant les douloureuses pointes d'un début de migraine. Le repos ne lui semblait pas accorder et instinctivement, il tapota le sol à proximité de son flanc gauche, sans sentir la présence de la petite. Un regard paniqué tout autour de lui aperçut la créature enroulée dans un nid de fortune, fait de tissus et couvert par une cape se levant au rythme de sa respiration. Était-ce l'œuvre de Jin et Carmin ? Ces deux-là semblaient plutôt préoccupés et Nora reprit finalement la parole.

- "Excusez-moi ... un mauvais rêve."

Sans chercher plus de retour que ça, il attrapa sa gourde fontaine et en prit une gorgée. Boire lui avait légèrement ouvert l'appétit et il profita des derniers instants de voyage pour manger quelques restes de la veille, gardant sur lui une part pour Nocturne lorsqu'elle se réveillerait. Et l'arrivée fut annoncée par Carmin, le chasseur enjamba quelques caisses et se pencha à l'extérieur du voile en toile, côté conducteur, pour observer leur destination. Un village proche des côtes comme indiqué par leur employeur, ravagé par les dégâts des eaux. Une paire de garde arrêta le convois et l'incandescent fit la conversation pour le chasseur qui ne s'y voyait pas le cœur aujourd'hui. Il en profita pour décrire l'état de Nocturne et une lueur d'espoir parvint au brun qui devint tout de suite plus attentif. Une guérisseuse serait présente et une l'occasion rêvée pour soigner Nocturne. Avec un regard emplit de reconnaissance, Nora prit le familier dans ses bras avec précaution et s'apprêta à suivre les gardes.

- "Merci, Jin."

Il se hâta ensuite derrière les gardes, pour trouver cette fameuse guérisseuse qui devait déjà avoir son lot de blessés à soigner. Dans une des zones les moins sinistrée, en hauteur, il y découvrit effectivement une dame dans la trentaine d'année, accompagnée d'une apprentie plus jeune s'affairant autour de brancards de fortune et prodiguant divers soins à ceux le nécessitant. La voix de l'ainée fut la première à tonner.

- "Il peut marcher, celui-là, je vous ai dit de m'apporter d'abord les inconscients ! Ne nous faites pas perdre notre-"
- "Sylvia, je crois que ce n'est pas pour ce monsieur."

La cadette approcha aussitôt Nora et leva un morceau du drap enveloppant Nocturne.

- "C'est votre familier ?" demanda-t-elle.

Nora hocha simplement la tête avant d'enchaîner.

- "Je suis un aventurier, dépêché avec une cargaison à destination de ce village. Nous venons vous porter main forte, malheureusement, Nocturne ... mon familier a été blessé, nous avons essuyés quelques obstacles avant d'arriver."
- "C'est le fardeau de beaucoup de personnes, mais nous n'avons pas le temps de nous attarder sur les animaux, les vies humaines sont prioritaires." coupa la plus vieille.

L'apprentie tira la moue, le regard désolé, avant de tendre les bras pour recueillir le familier blessé avec un air nouvellement déterminé, tout comme si elle venait d'avoir l'illumination.

- "Toutes les vies importes. Cet aventurier est venu nous aider, je soignerais moi-même son familier s'il le faut. Hum ... brave aventurier, si vous acceptez de me confier votre amie, je m'occuperais d'elle. Mais nous avons besoin d'aide en retour."

Sans la moindre once d'hésitation, Nora acquiesça.

- "Tout ce qui est en mon pouvoir ! Nous avons également du matériel médical, je vais de ce pas le chercher."
- "Merci, brave aventurier."

Le chasseur posa une caresse entre les oreilles de Nocturne et peinant à détacher son regard de celle-ci, trouva la force dans cet espoir nouveau de se hâter en direction de la charrette ayant poursuivi sa route plus loin dans le village. Une fois arrivé, Jin et Carmin déchargeaient déjà les cargaisons et Nora se pressa pour leur prêter main forte.

- "Carmin, quelle caisse pour le matériel médical ?"
- "Ah ? Euh, celle-là, au fond de la charrette. Je vais t'aider à la descendre."

A deux, ils la tirèrent et avec plus de contenance que la veille, le gaillard proposa son aide pour la transporter, l'aventurier déclina.

- "Pas besoin."

Il se concentra un instant et employa son don.

- "Memoria."

Une image de Jin transportant les caisses plus tôt prit place à côté du brun et allégea nettement sa charge à transporter. En binôme avec son pouvoir, Nora s'éloignait déjà pour amener la première caisse au camp de fortune.

- Ca va aller, Nora.

Nora se casse. Hé, vraiment incroyable son pouvoir. J'toise ce Jin partir avec cette caisse comme si de rien n'était, imitant mes gestes comme si c'était... Moi. M'enfin bref.

Au boulot.

Pas mal de visages autour de moi. Abîmés, épuisés, vieux. Alors que certains n'arrivent même pas à l'adolescence. Ces gosses de cet âge devraient pas avoir une tronche pareille. M'enfin, espérons que notre ravitaillement puisse au moins leurs faciliter la tâche.

Pour le peuple d'Aryon, la couronne, tout ça tout ça.

Toujours est-il que dans un bruit de foule, les habitants m'aident à décharger le charriot alors que leurs muscles peinent à les faire simplement marcher. Dans un élan de solidarité, d'euphorie. La fin d'un calvaire. Loin d'une sinécure de fonctionnaire à se gratter les miches à heure fixe. Là, c'est les éléments qui imposent leurs règles. Et à part fermer sa gueule, serrer les dents et les fesses tout en attendant que ça se calme, y'a pas grand-chose à faire.

Il y a de la bouffe, des caisses de soin, des couchettes et des vêtements propres, mais aussi des outils et des ressources pour essayer de rafistoler ce coin de malheur. J'imagine que sans tout ce merdier, le coin n'est pas si mal que ça. Alors j'm'adresse à ce vieil homme pour essayer de nous rendre utile.

- Monsieur, avez-vous fait bon voyage ? Merci encore pour votre bravoure et votre altruisme.
- Faudra remercier la Couronne, on est que les larbins. Ouais, on s'est fait attaquer par des bandits. Un paquet de loustics.
- Je vois de qui vous voulez parler, ils ont coupés nos accès aux ressources extérieures. Chaque fois que certains d'entre nous s'essayaient de venir avec de la nourriture ou bien avec de quoi rénover nos maisons, ils intervenaient pour tout embarquer. Un cauchemar qui ne cessait de tourner en boucle.
- Hm. Vous en êtes débarrassé maintenant.
- Mais... Comment est-ce possible?
- Croyez-moi, z'avez pas besoin de savoir. J'peux faire quelque chose en attendant?
- Profitez de notre hospitalité avec votre ami, du moins, du peu que nous avons.
- On est bien reposé, z'en faîtes pas.

Un type débaroule avec deux collègues sur son flanc.

- On essaie de redresser la charpente du temple, si vous voulez.
- D'accord, j'arrive.

J'rejoins le groupe en leur serrant chacun leur tour la main avant de les suivre. Le moment de détailler un peu plus le coin. Ca empeste l'humidité, la déco est vraiment chaotique, les tuiles ruissellent encore de flotte croupie. Ouais, vraiment dégueulasse. Pis finalement, le petit temple se dévoile et on peut voir que le toit n'a pas survécu hormis la charpente qui manque quand même de céder. Métallique, il fallait le revisser sur la structure interne, mais la poutre était fendue.

- Vous pouvez faire quelque chose?
- J'vais essayer, mais j'suis pas maçon.

J'm'envole sous les hurlement de surprise des bonhommes, avant de rester en stationnaire devant la fente, le métal déchiré par le poids des évènements. J'concentre mon pouvoir durant de longues secondes, ma main dégageant une lumière d'un blanc immaculé. J'approche cette immense source de chaleur devant la brèche et commence une soudure qui devrait faire l'affaire. La besogne dure quand même quelques minutes.

Les échafaudages sont installées depuis et les habitants reprenne le flambeau, dans tout les sens du terme. Mine de rien, ça m'a pompé énormément de jus, alors j'passerai le reste de mes moments à charger les caisses, distribués et bricoler des conneries. Mais le chantier va être long.  Le manteau contre une rambarde d'un enclot, les manches retroussés, j'toise un peu le panorama et j'vois des habitants unis qui vont dans le même sens. Aryon c'est beau, quand c'est en paix, et j'ai l'impression que finalement, ça va peut-être suffire à faire le boulot. J'saisis mes affaires à l'épaules avant de rejoindre l'Ancêtre qui donnent des directives à son auditoire.

Une bonne partie de la journée s'est écoulée.

- On va peut-être pas trop traîner.
- Vous avez fais beaucoup.
- Comment se porte le familier de mon collègue ?
- Je suis sûr que tout se déroule pour le mieux. J'ai cru comprendre que Carmin ne fera pas le voyage retour, alors accepter s'il vous plaît notre modeste contribution en vous offrants des montures fraîches.
- Bien aimable.
- Si ce familier a besoin de repos, nous les préparons pour le lendemain à l'aube.
- Noté.

On se quitte là-dessus, et j'trouve pas de mal à retrouver ledit endroit en hauteur. J'me grille une clope devant et préfère attendre qu'il sorte de lui-même. Et justement en attendant, j'pose mon cul au sol et contemple le panorama d'un village qui renaît de ses cendres...

Et ils vécurent heureux...Et, baiseront pour avoir plein de gosses. Aha.

Support logistique



Les bras chargés, aux côtés du clone de Jin, le cadet du duo se retrouva bien assez tôt là où il avait laissé son familier, c’est-à-dire entre les bras de l'apprentie soigneuse qui lui dégota une surface plane pour entreprendre son art. L'aventurier de lui-même commença à ouvrir les caisses de ravitaillement et se présenta à Sylvia.

- "Laissez-moi vous aider. Je ne possède aucun don me permettant de soigner, mais je sais appliquer des bandages et porter des blessés."
- "Hum ... Encore heureux. Voyez ces hommes, allongés dans la tente ? Ils ont besoin d'un traitement qui devrait se trouver dans vos boîtes. Cherchez les feuilles de beodassa. Oh, il doit y avoir de la villaope aussi. Et donnez-moi les bulbes de rurd. Activez-vous, on n'a pas toute la journée, des gens meurent !"

Prit de court, Nora s'activa en fouillant frénétiquement parmi les fioles et bocaux portant tous des étiquettes, mais dont l'écriture était quasiment illisible. Il n'était pas le plus grand, ni le plus fervent lecteur, mais celui qui était chargé de l'étiquetage aurait grandement bénéficié d'un stage de calligraphie. Il se fia donc en majorité à ses tripes et trouva sans problème le premier ingrédient. Étant familier aux beodassas, suite à un boulot commandé par Luz Weiss, il reconnu rapidement les feuilles et porta ce premier pot à la guérisseuse.

- "Que veux-tu que je fasse sans la villaope ? Tu penses qu'ils vont mastiquer les feuilles et repartir comme en quarante ? Je doutais pas un instant de ton ignorance de la médecine, mais là, c'est affligeant mon garçon !"

Nora serra les dents. Il était nullement agréable de se faire lyncher verbalement de la sorte, mais il avait une mission et surtout, un problème plus urgent en tête. Il jeta un œil vers là où se trouvait Nocturne et sans trop avoir de visuel sur la scène, s'en remit une fois de plus aux soins de sa sauveuse. Il repiqua alors une tête dans la caisse et à force d'effort en déchiffrage, il tira un bocal dans lequel se trouvait un nombre incalculable de petites racines et fleurs blanches. Un de moins. Le dernier récipient étant le plus large, il contenait un bon lot de bulbes entiers qu'il porta jusqu'à la demoiselle.

- "C'est pas trop tôt. Bon, toi tu écrases les pétales et racines de villaope avec les feuilles de beodassa, quantité égale. Faut que la texture soit uniforme et attention à l'odeur. On veux en faire une mixture à faire avaler à ces pauvres hommes."
- "Je m'en occupe."

Il attrapa un mortier et pilon à disposition sur le plan de travail et jeta autant d'un bocal que de l'autre dans son support en bois, puis il commença à taper, racler les bords, écraser, extraire la sève des plantes et réduire sa fine écorce sans faiblir. Après bien quelques longues minutes à heurter le bois contre la mixture épaisse, il pu laisser filer un soupire et interpella Sylvia.

- "Est-ce bon ainsi ?"

Elle jeta un œil expert au mélange et tourna légèrement le pilon dans son bol.

- "Ça fera l'affaire. Dans une tasse avec de l'eau tiède pour délayer le mélange, tu vas le faire boire aux blessés. Pas d'eau trop chaude, sinon tu vas tuer les propriétés des plantes et ajoutes du sucre s'ils sont trop réticents à boire. Ça a un goût infect."

D'un hochement de tête, l'aventurier s'exécuta et sans en démordre un instant, la journée s'écoula bien plus rapidement que prévu. Essoufflé après avoir couru dans tout les sens, il y avait au moins une bonne expérience qu'il avait tiré de cette expédition. Le sourire des locaux, les voir retrouver leurs forces petit à petit, certains retournant déjà aider aux réparations du village ... ça avait de quoi mettre du baume au cœur. Ainsi Nora attendit patiemment que son dernier patient daigne terminer sa boisson revigorante et une fois débarrassés, retourna vers la guérisseuse en chef.

- "C'est bon. Tout le monde a été traité pour la journée."

Elle se tourna vers Nora et son regard semblait nettement moins stricte qu'au début de la journée.

- "Bien. Je dois reconnaître que tu n'as pas été aussi inutile que je l'aurais pensé ... non. Bien plus que ça encore. Votre intervention a été un grand soulagement, moi qui m'attendais à recevoir d'autant plus de blessés avec les réparations en cours, il semblerait que votre ami ait aussi largement contribué au soutien des ouvriers."
- "Jin ? Comment savez-vous ?"
- "Les gens parlent, ici. Lorsqu'on soigne quelqu'un, il faut aussi l'écouter. Tu n'es pas encore un grand médecin, mais la fougue que tu met à l'ouvrage t'emmèneras loin, si tu devais choisir de changer de voie."

Elle retourna vers son plan de travail et attrapa un petit pot fermé, transparent, contenant une mixture inconnue.

- "Donne ça à ton familier, une fois par jour, pendant cinq jours, l'équivalent d'une noisette à l'heure du repas du soir. Ça ne paie pas de mine et le goût n'est pas extraordinaire, mais ça lui permettra de cicatriser bien plus rapidement."

Le chasseur prit le pot à deux mains et hocha la tête, ne sachant trop quoi répondre.

- "Je ... um ... merci beaucoup."

Elle tira une mine satisfaite et se retira la première de l'endroit, laissant seulement l'aventurier et l'apprentie revenant vers lui avec une grande écharpe blanche.

- "Levez les bras, brave aventurier."

L'air interrogateur, Nora s'exécuta sans piper mot et la jeune femme enroula le drap autour de son épaule droite en passant sous l'aisselle gauche, nouant finalement le tout avec un nœud robuste dans le dos. Elle s'absenta alors un instant et revint en portant Nocturne avec beaucoup de précaution. Le familier semblait encore somnolent et ne broncha pas lorsque la demoiselle le posa au creux de l'écharpe.

- "Elle va se rétablir, il lui faut juste un peu de repos. Veillez à la garder au chaud en toute circonstance et suivez les instructions de Sylvia. Si vous partez ce soir, je vous souhaite un bon retour. Encore merci pour les caisses et les ... en fait ... merci pour tout."

Elle inclina respectueusement le haut du buste et prit également sa retraite à cet instant. Nora, quelque peu chamboulé par tant d'évènements en si peu de temps, sortit de la cabane l'air désorienté, là où Jin l'attendait.

- "Jin. Tout s'est bien passé de ton côté ?"

Le chasseur jeta un œil à Carmin qui semblait encore s'activer de son côté, il faudrait qu'il pense à le saluer avant de partir.

- "J'ai terminé pour ma part, on décolle quand tu veux."

Ainsi l'expédition pourrait prendre la route inverse, à meilleure allure qui plus est. Discret, Nora gardait en lui nombre de sentiments étranges, malgré quoi il restait sur une note positive : Nocturne allait se rétablir. Son prochain objectif était donc de retrouver la domestique ayant dépêché la cargaison, avec une seconde mission rondement menée en guise de bonne nouvelle. C'était encore une fois sans compter sur le talent de l'incandescent qui avait fait part de son talent au combat pour les sortir d'un mauvais pas. Lui aussi, il allait devoir le remercier convenablement.