" ... Ah, je vais lui proposer à nouveau... tiens.. ben ouais pour qu'il prenne aussi peu soin... Je peux pas lui faire confiance... autant qu'il prenne un logement par là.. s'il est assigné souvent ici..." grommelait-elle dans sa barbe.
Ses mots n'enlaidissaient pas la bonne odeur de bouillon qui s'exprimait de plus en plus dans l'air. Elle allait bientôt pouvoir se délester de sa couverture pour un pull, victoire ! Elle était en train de fabriquer des remèdes pour les marins du port. Elle allait transmettre la cargaison à un ami faisant des livraisons de ce côté. Son voyage dans les montagnes et le transport de son convoi l'avaient totalement vidé.. Elle prenait son mortier entre ses mains pour en faire une sorte de bouillie. Le coeur de cette plante avait une élasticité légendaire, écraser ses feuilles était un véritable exercice de patience. Elle prit son outil de travail pour observer sa cheminée, véritable sauveuse de la soirée. Quand elle aurait fini de les écraser, il faudrait qu'elle y ajoute un peu de lait, puis qu'elle mette sa solution près des braises chaudes pour la rendre la plus liquide possible. Elle avait déjà testé sans ce procédé, la plante s'était à peine dissoute. Elle se tourna vers son étagère, cligna fortement les yeux : aucun exemplaire de baies.. A quoi bon mettre des provisions s'il lui vidait son stock de baies... Cette fois, elle pestait plus que jamais. Elle était crevée, fatiguée et elle devait sortir chercher des baies. Vu la texture de son produit, elle rendait le goût meilleur par ces baies qui facilitaient aussi l'assimilation par l'organisme... Elle agrippa sa cape noire, puis marcha très doucement pour rejoindre les buissons situés en contrebas. Lyra prit son temps pour ensuite les baies rescapées de la saison. Elles avaient su résister au vent violent de la veille et à cette fameuse chute de température, tant mieux son remède n'en serait que meilleure. Lyra n'avait pas une connaissance étendue : elle savait guérir le mal de mer, des petits maux sans trop de gravité. Alors qu'elle saisisait une à une des baies pour les mettre dans son sac, Elle vit une silhouette avançait plus lentement qu'elle ne l'aurait.. De toute évidence, cette personne avait besoin de son secours. Elle se redressa, puis trottina de son mieux vers lui :
" Bonsoir, vous allez bien monsieur ? "
S'il avait une bonne ouie, il l'avait entendu. Comme elle en avait l'habitude, elle agita son bras dans sa direction tout en avançant. Un brouillard de plus en plus épais se propageait, la nuit promettait d'être fraîche... Elle allait proposer à l'étranger s'il avait besoin de soins sa maison un peu réchauffée. Ce serait certainement bien mieux que rester ainsi à l'extérieur.
" Vous avez besoin de soins ?"
Comme elle savait que sur sa maison avait été posée durant cet été, son petit écriteau, elle espérait pouvoir contribuer d'une façon ou d'une autre.
Un éclair mit en déroute le floki qui s’était approché d’eux avec curiosité, et Kaname fronça le museau à l’odeur de poil grillé lui chatouillant les narines. Elle ne se formalisa cependant pas du zèle protecteur de son camarade, elle-même focalisée sur sa propre tâche. Il y avait dans la petite sacoche ceinturant son torse un objet de valeur qui n’attendait qu’elle arrivât à la caserne du Village Perché. En moins d’une heure. Etaient-ils encore loin ?
- Au tourbium : vas légèrement sur la droite et continue en longeant le ruisseau, lui indiqua une voix étonnamment sage par rapport à son habitude.
S’exécutant, Kaname franchit les quelques mètres qui la séparait de l’immense tronc et bifurqua pour retrouver le cours d’eau.
- Ca devrait nous faire remonter directement au Village Perché, réfléchit Apolline d’une poche latérale des sacoches de la loutre.
Ils poursuivirent encore quelques minutes ainsi ; la loutre traçant son chemin aussi vite que ses pattes le lui permettaient, le teisheba vigile tournoyant au-dessus d’elle à la recherche de la moindre menace à éliminer, et la trousse de cuir ajustant ses indications à mesure de leur progression. Bientôt, l’ombre se fit plus prégnante sur la forêt humide, et le duo de familier redoubla d’ardeur. S’attarder en ces lieux qui leurs étaient étrangers dans les bras perfides de la nuit n’était pas une bonne option ni pour eux, ni pour le trésor transporté par Kaname.
Cela commença par du mouvement qu’elle perçut à l’ouïe quelques mètres plus loin dans les fourrés. Puis l’apparition progressive d’une brume de plus en plus épaisse qui n’avait rien de naturelle pour les sens aiguisés de la loutre. Fuyant le danger qui semblait les avoir pris pour cible dans la pénombre s’étirant davantage, elle se rapprocha encore plus du ruisseau et adressa un regard inquiet à Vreneli. Intrigué et d’humeur pugnace – comme d’ordinaire – le teisheba s’était au contraire intéressé au phénomène avec beaucoup plus d’enthousiasme que la situation ne l’aurait souhaité. Lui partageant son avis, Kaname poussa un petit cri à l’adresse de son camarade qui répliqua d’un grésillement têtu.
- Traverse, Kana, traverse, ordonna Apolline. Toi aussi, Eli.
Après un rapide regard vers le cœur scintillant de la brume qui s’avançait peu à peu vers eux, la loutre n’hésita pas davantage et réajusta ses sacoches pour éviter qu’elles ne prissent trop l’eau. Celle-ci l’accueillit dans son enveloppe glacée, mais Kaname, habituée à ce type de terrain d’évolution et bien protégée par son pelage comme par les talismans protecteurs dont Calixte l’avait dotée, n’en fut nullement déboussolée et traversa rapidement le ruisseau pour poursuivre sa course sur l’autre rive.
Un éclair zébra l’obscurité s’installant, et la loutre redoubla d’ardeur. Hors de question de prendre le risque d’être rattrapée par une quelconque créature prédatrice. Hors de question de finir dans le ventre de ce qui semblait être un marchebrume en quête de son dîner. Ses pattes parcoururent encore quelques bonnes centaines de mètres et les derniers filaments de brouillard, battant enfin retraite, s’estompèrent tout à fait. Reprenant son souffle et laissant les battements de son cœur retrouver une cadence moins effrénée, Kaname décéléra pour finalement s’arrêter. Un pas hésitant, le museau à l’affut, elle poussa un petit cri d’appel. Où était Vreneli ? Avait-il succombé à ses pulsions de chasseur était allé s’attaquer à plus gros que lui ?
- Il a aussi traversé, j’ai vu sa lueur passer au-dessus de l’eau, indiqua l’âme artificielle qui avait toujours été capable de communiquer d’une manière ou d’une autre avec toutes créatures quelles qu’elles fussent.
Un peu inquiète mais déterminée à retrouver le petit teisheba, la loutre avisa une dernière fois les berges du cours d’eau avant de s’enfoncer sous le couvert de la forêt. L’avantage de la soirée se profilant dans l’obscurité gagnant toujours plus les lieux, c’était que l’éclat de la nébuleuse de Vreneli n’en deviendrait que davantage visible. Les sens en exergue, Kaname s’aventura entre les buissons d’un pas timide. Le terrain s’inclina sous ses pattes, et elle risqua de temps à autres de se mettre tout à fait debout pour jeter un regard à la ronde. Bientôt, elle ne fût plus seule. Mais ça n’était pas son camarade qu’elle avait retrouvé.
La brise lui rapporta une odeur de feu de bois et de bouillon, puis celle – impossible à oublier pour un familier – de l’humain. Arrivait-elle enfin aux abords du Village Perché ? Prudente, séparée de son garde du corps, Kaname hésita un instant sur place avant de s’approcher doucement, d’une patte incertaine, de l’inconnu. Son œil chercha l’éclat d’une lame, la forme de muscles aguerris, et son museau se tendit à la recherche du parfum de la menace. Mais rien de tout cela ne lui parvint, et elle en fut davantage troublée. Devait-elle poursuivre sa route en estimant qu’elle n’était à présent plus loin de son objectif ? Devait-elle absolument retrouver Vreneli ? Devait-elle chercher de l’aide auprès de cette personne ? Elle fit quelques pas dans un sens, plus dans l’autre, incertaine, pensive. Et elle allait à nouveau filer vers la ville lorsque ce fut l’inconnu qui la repéra. Et décida de venir vers elle.
D’instinct, elle se plaqua au sol et s’arma de son manta pist’. Une voix en douces intonations, prudentes mais soucieuses, lui parvint. Rassurée par cette tonalité toute en bienveillance, la loutre se releva légèrement, et s’avança d’un pas réservé vers l’inconnu. Un voile opaque s’enroula autour des buissons alentours pour s’aventurer vers la silhouette humaine, et Kaname marqua un temps d’arrêt. Cette brume… était-elle à nouveau l’œuvre de créatures malfaisantes ? Etait-elle en réalité prête à se faire séduire par un marchombre ? … ça pouvait parler un marchombre ? Sa démarche vacilla. Qu’aurait fait le brave K’awill à sa place ?
Il aurait fait face.
Kaname s’apprêtait à user de son manta pist’ contre la silhouette inconnue se dirigeant vers elle puis à lui foncer dans les pattes grâce à son amélioration de déplacement, quand le vent tourna, apportant avec lui la fumée de l’âtre d’une maison non loin. Et le parfum familier d’un bouillon en cours de préparation. Ce n’était donc pas un marchombre qui venait à sa rencontre. Mais rien n’assurait qu’avec le brouillard s’épaississant une de ces créatures n’allait pas venir les surprendre. Sans hésiter davantage, la loutre franchit les derniers mètres la séparant de l’humain. De l’humaine. Calixte lui avait appris à reconnaitre les femelles et les mâles de son espèce. Même si elle ne comprenait pas trop l’intérêt de cette différence, vu que lui-même semblait passait de l’un à l’autre quand ça lui chantait.
- Bien l’bonsoir, les introduisit Apolline de sa voix à nouveau enjouée. Tu tombes à pic jeune fille : on a effectivement besoin de soins. Enfin pas nous. Mais la brindille maladroite que Kana – cette charmante loutre géante – trimballe. Et si j’peux me permettre une suggestion sans t’offrir un verre avant : on va chez toi ? C’est qu’on a possiblement un marchebrume aux trousses. Clairement moins agréable comme compagnie. Et apparemment n’ayant pas reçu le mémo sur les relations consenties.
Incapable de communiquer par la pensée avec d’autres que Calixte, Kaname leva un museau tout en sympathie vers l’inconnue en espérant que celle-ci était réellement aussi bienveillante que ce que sa voix laissait pressentir.
" Lyra, vous pouvez me suivre. Evitez les zones trop dissimulées dans la brume... j'habite sur les hauteurs dans le village perché, nous ne sommes pas loin..."
Comme pour renforcer cette impression, elle vit deux yeux jaunes à travers la brume. La créature était en effet à leurs trousses, elle se montrait comme pour montrer sa proximité. C'était à croire qu'elles se chargeaient de toute la peur des voyageurs. Lyra n'était pas une courageuse, mais lorsqu'il fallait fuir elle savait déployer toute son énergie. La nuit étant présente, ce n'était pas l'énergie qui lui manquait.
" Je l'ai aperçu.. faisons vite"
Elle n'allait pas rassurer ces inconnus alors que la menace se faisait toute proche. Mieux valait qu'ils se hâtent le plus rapidement possible. Lyra avait une bonne endurance, son corps lui faisait tellement de misère en journée qui lui rendait le soir venu. Ils progressaient dans cette mousse spongieuse et cette herbe glissante. Le brouillard avait rendu le sol humide, ce qui n'était pas vraiment une bonne nouvelle.
" Allez toujours tout droit..."
Une idée lui vint, elle chercha dans sa poche une fiole contenant une décoction au contenu visiblement visqueux. Il s'agissait de mousse sanglante ramassée aux marais mélangée à de la bourbe ainsi que d'autres herbes. Le mélange devrait dégager une forte odeur pour faire une occupation à leur poursuivant. Lyra se retourna pour lancer le plus loin possible. Son bras prit de l'élan avant de le lancer vers un bosquet plus loin pour leur faire gagner du temps... Elle venait dans l'espoir de secourir tranquillement une personne, elle en revenait à courir dans l'herbe en priant pour que son mélange expérimental fonctionne. Suite à son lancer, elle avait pris un léger retard... elle se reprit bien vite. Sauf que ... le brouillard semblait s'intensifiait... impossible de savoir si c'était la créature ou s'il s'agissait du phénomène naturel.. Comme par instinct, Lyra avança en restant au plus près de son groupe nouvellement acquis...
" Clairement moins agéable... " répéta t-elle en écho à cette phrase d'introduction que Appoline avait elle-même formulé. Elle n'avait plus de fiole si c'était cette fameuse créature... ¨Peut-être que l'odeur ne l'avait pas attiré, mais énervée.. Comment savoir ?
- Je n’suis pas toujours pour réduire la durée des interactions – les prolongations ont leur charme – mais il semblerait qu’il vaudrait effectivement mieux que celle-ci soit brève, acquiesça Apolline d’une voix enjouée.
Bien décidée à ne pas finir entre les dents de la créature venant leur chercher des noises, Kaname ne se fit pas davantage prier pour emboiter le pas de l’inconnue. Peut-être que celle-ci déciderait finalement de les ajouter au potage qu’elle semblait avoir quitté dans sa demeure, mais c’était là des préoccupations pour d’autres temps.
La saison fraiche avait amené avec elle une humidité froide dans les sous-bois de la Grande Forêt, rendant presque marécageux le sol bordant le ruisseau un peu plus en contrebas. Et si les pattes de la loutre n’étaient nullement gênées par la terre meuble de l’humus, il semblait que les pieds de Lyra étaient moins habiles sur ce terrain. Ce qui risquait d’être fâcheux, s’ils avaient bien un marchebrume à leurs trousses. Hésitant, Kaname ralentit la cadence de sa course pour prendre la mesure de la propre progression de la jeune femme. Mais cette dernière paraissait déterminée à ce que le familier gardât son avance, voire gagnât les hauteurs pour se mettre davantage en sécurité. Une fraction de seconde tétanisa les pattes de la loutre, indécise. Puis un bref éclair, presqu’un mirage dans la brume opaque s’enroulant décidemment contre leurs flancs, finit de convaincre celle-ci. Reprenant son chemin d’un pas pressé, elle laissa Lyra à ses préoccupations. Et atteignit l’échelle indiquée.
Kaname était plutôt débrouillarde comme créature. Mais depuis qu’elle avait quasiment atteint sa taille adulte, il y avait certaines activités qui lui étaient moins aisées du fait de son envergure. Et de son poids. D’un œil critique bien que volontaire, elle jaugea un instant la construction de bois. Finalement, elle décida d’user en partie de sa magie de rétrécissement pour atteindre un gabarit pour adéquat pour ce genre d’acrobaties, puis se mit en route pour les cimes. L’affaire fût un peu longue, et demanda au familier un effort de concentration tout particulier, mais lorsqu’il posa enfin la patte sur la plateforme surélevée, un sentiment de fierté et de soulagement l’envahirent au point d’effacer tout à fait la pénibilité de l’entreprise. Faisant volte-face, à présent curieuse – et un peu inquiète – du développement de la situation, Kaname se pencha prudemment par-dessus le parapet, le regard sombre à la recherche de Lyra. Le voile épais de la brume s’opposa tout d’abord comme un couperet à ses investigations, et puis l’odeur devenant rapidement familière de la jeune femme lui fit considérer autrement l’étendue boisée sous ses pattes, et ses yeux avisèrent l’échelle à laquelle se hissait présentement Lyra. Elle n’avait visiblement pas trop perdu de temps en route, quoi qu’elle eût fait, et commençait elle-même à gagner les hauteurs salvatrices.
- Kana, manta pist’ ! indiqua soudain Apolline, attirant l’attention de la loutre vers les fourrés encadrant le bas de l’échelle.
Une anticipation viscérale s’installa dans la chair de l’animal, et la loutre sut que le danger arrivait. Et si elle-même était à présent en sécurité, la jeune femme restait à porté de bras. De griffes. De crocs. Le trajet vif et sinueux d’un éclair dans la brume réaffirma sa prise sur son arme de fortune, et dès que les buissons s’animèrent au bas de l’échelle, elle visa ceux-ci d’un jet d’eau. Celui-ci n’était pas très puissant mais, avec la gravité en sa faveur, il atteignit l’espace pointé. Un grognement, comme un rire, s’insinua le long des volutes de brume. Avant de déchirer le silence pesant de l’obscurité naissante, surpris par la décharge électrique pugnace, décuplée par l’eau conductrice. Le brouillard et ses ténèbres s’enroulèrent contre le flanc d’une créature difficilement observable, et comme Lyra atteignait bientôt elle-même la plateforme, l’ombre incertaine esquiva un dernier éclair dans un grondement vexé, et s’en fût regagner l’immensité du couvert.
- Dommage. T’avais presque une touche, Lyra, commenta Apolline d’un ton léger. Et comme il semblerait qu’on ait un peu de répit, et qu’on se soit pas tellement présenté de notre côté : Kaname – cette brave loutre – Vreneli – ce teisheba guerrier – et Apolline – moi-même. Du calme, Eli, c’est Lyra qui a sauvé nos fesses avec cette échappatoire, indiqua l’âme artificielle au familier qui observait la jeune femme d’un œil peu amène.
Peu convaincu, mais obéissant aux ordres de la trousse de cuir, le teisheba écarta sa nébuleuse frémissant d’électricité du corps frêle de Lyra, et vint se positionner en protecteur au-dessus de la tête de Kaname.
- Maintenant qu’il me semble voir le chemin menant au cœur du Village Perché sans nécessité de repasser par les crocs de la chose ayant tourné les talons un peu trop récemment, peut-être pourrais-tu nous renseigner sur la présence d’un soigneur ? Ou d’une soigneuse. On prend les deux. Dans tous les sens du terme, même ahahah. Puisque t’avais raison en nous abordant un peu plus tôt : on a besoin de soins.
"... Mer... Merci j'ai un arc normalement..."
C'était comme pour justifié son manque de répondant face à cette situation. Une pauvre petite potion n'allait certainement pas tout réglé, tout du moins pas celle-ci.
"Une touche... tu plaisantes.. il voulait me... " Lyra n'avait pas cerné la blague en sentant encore sa panique dans sa poitrine. Quelle rencontre terrifiante ! Qu'est ce qu'il était laid... Lyra souffla le plus doucement possible tandis qu'elle eut droit à des présentations plus convenables. Une chose l'alerta...
" Pourquoi êtiez vous dans ces bois si tardivement..? "
Tous les trois formaient un ensemble bien hétérogène. Une trousse, une créature électrique, une loutre avec un don de parole... Ils s'étaient sans doute échappés. Elle attendrait d'en savoir plus avant d'ajouter quoi que ce soit. Cette trousse prenait complètement les choses en main.. c'était cependant étrange de porter son regard aussi bas.
" Je ne connais pas de soigneur à cette heure qui serait disponible, mais je peux vous offrir des premiers soins... Qui donc est à soigner ? "
C'était la première fois qu'elle s'adressait à une âme artificielle, elle en avait bien sûr entendu parler, mais il y avait une différence entre le fait et la réalité. La jeune herboriste avait hâte de faire son possible pour appliquer les quelques bases qu'elle avait apprises.
- Il faut savoir voir au-delà des apparences, Lyra, déclara la trousse de cuir, toujours amusée lorsque ses interlocuteurs étaient très premier degré – quoi que tous les degrés l’amusaient, vraiment. Peut-être était-il excellent parti et d’une âme romantique à souhait. Je peux même te parier qu’il était prêt à te dévorer des yeux, comme du bout des lèvres !
Kaname voulut adresser un regard perplexe à l’âme artificielle, mais comme celle-ci avait temporairement gagné le haut de son crâne pour mieux parler à la jeune femme, la loutre ne réussit qu’à loucher.
- C’est une longue histoire. Assurément passionnante, mais une longue histoire tout de même. Et nous devons trouver un soigneur, répondit Apolline en quittant son perchoir pour retrouver le confort relatif de l’une des sacoches du baudrier de Kaname.
Agacé par le délai, Vreneli commençait à tournoyer de plus belle au-dessus de leurs têtes, sa nébuleuse crépitant de plus belle. Il était difficile de dire s’il s’agissait de méfiance persistant vis-à-vis de Lyra, d’inquiétude quant à leur objectif de plus en plus pressant, ou simplement de son impatience habituelle. Rangeant son manta pist’, la loutre géante amorça un mouvement pour se remettre en route vers le cœur du Village Perché, quand la suite des propos de l’inconnue arrêta son pas. Intriguée, elle leva un regard plein d’espoir scintillant vers Lyra. Elle avait su dès le début que celle-ci était un trésor de bienveillance !
- Lyra, tu es une perle, déclara joyeusement Apolline. Je me retiens de te demander ta main, mais c’est tout juste !
Dans un hululement contrarié, Vreneli leur fit comprendre son exaspération mais se tint tout de même sagement non loin de l’étrange groupe.
- Vois-tu, nous avons une brindille à soigner. Ahahah ne fais pas cette tête. Cette brindille contient actuellement un être humain dont le pied peu agile l’a fait heurter un peu durement le sol. Et un arbre. Et un rocher. Au passage.
Hochant frénétiquement le museau, Kaname indiqua d’une patte sa sacoche ventrale, qu’elle tapota avec délicatesse. Là où reposait le trésor qu’elle gardait.
- Si tu peux effectivement lui offrir les premiers soins, le plus simple est probablement d’aller jusqu’à chez toi. Ou tout autre endroit où nous pourrons l’allonger, poursuivit l’âme artificielle. La brindille est facile à transporter en l’état, son corps actuellement inconscient – ou tout juste – bien moins.
Et puis, le temps leur était compté. C’était une disposition dans laquelle il était potentiellement dangereux pour leur maitre de rester sous cette forme, et au-delà du temps usuel de fusion… il était encore plus difficile de se prononcer sur les effets potentiels de celle-ci sur l’esprit engourdi. Resterait-il coincé dans la brindille ? Passerait-il le restant de ses jours à penser qu’il en était une ? Perdrait-il son pouvoir ? Des éventualités ennuyeuses qu’aucun des familiers ni la trousse de cuir n’avaient envie d’envisager. C’était donc une course contre la montre, et il leur restait une demi-heure.
- Dans tous les cas, il faut qu’on se remette rapidement en route. Le moyen par lequel on la transporte risque d’être extrêmement délétère pour cette âme si on ne la fait pas sortir bientôt de la brindille.
" J'aime autant qu'il ne me dévore pas" finit-elle par répondre par un timide sourire. Elle avait vraiment senti le coup venir, pour le coup elle n'aurait pas été d'un grand secours. Elle aurait soulagé l'appétit d'une créature ne lui évitant de chasser... La trousse avait gagné la tête de la loutre ce qui donnait moins l'impression à la jeune femme de parler vers le sol. Au dessus d'eux, l'espèce de nuage menaçant tournoyait... Lyra avait l'un de ces regards perplexes encore... Au moins quand ils fuyaient une créature, elle n'avait pas mille questions à poser. Ces individus se mettaient à nouveau en marche, Lyra les suivait tout en leur parlant de cette aide. Elle leur offrait de bon coeur, elle aimait se sentir utile. Elle serait d'un plus grand secours que tout à l'heure. C'était alors que Appoline lui parla de prendre sa main, proposition qui fit rougir Lyra comme d'habitude dès que l'on évoquait ce sujet. Comme elle sentait à nouveau ses joues se réchauffer, elle souleva son écharpe pour les dissimuler un peu plus... En plus d'aider à combattre le froid, cette écharpe avait plusieurs utilités, elle avait même servi de bandage une fois pour un aventurier perdu en forêt. Enfin là n'était pas la question, elle allait enfin apprendre ce qu'il en retournait... Une expression ancienne disait " tomber sur un os", mais elle n'évoquait pas de ... brindille... Lyra cligna les yeux plusieurs fois : d'une part comment un être humain avait eu la possibilité d'avoir autant de chocs, d'autre part... que faisait-il en branche... Bref là n'était plus la question... Lyra hocha la tête, prit délicatement la branche et se mit à courir jusque chez elle. Elle devinait bien qu'elle serait suivie sans qu'elle ait à dire quoi que ce soit. Elle n'était pas très communicative parfois, mais pour une fois cela suffirait. Les planches de bois avaient au moins le mérite de ne pas être aussi contraignant que la mousse, après quelques maisons ils arrivèrent à la sienne. Elle mit son bras devant elle pour pousser la porte sans effort. Sa maison n'avait rien de très grand ou de très petit.
C'était une maison où tout se résumait par quatre pièces : l'une de toilettes vers le fond, l'autre de stockage et une autre servant de couchage. Elle s'en servait souvent pour ramener des blessés chez elle. Contrairement aux apparences, elle dormait dans la pièce à vivre. Comme elle dormait souvent le jour, elle pouvait être alertée des gens qui venaient frapper à sa porte. Des herbes séchaient au dessus de son espace cuisine, son potage était toujours en train de cuir dans sa cheminée. Personne ne pouvait oublier qu'elle était herboriste vu le nombre d'ouvrages présents non pas sur ses étagères mais en pile près du canapé servant de toute évidence de lit. Visiblement, elle ne chômait pas dans son apprentissage. Sigur dans son passage s'était bien donné de garde de ranger... il avait juste mis le bazar avant de partir davantage. Elle se retrouva donc dans la chambre où... elle posa dubitativement la brindille sur le lit... C'était parfaitement ridicule. Elle ne pouvait s'empêcher de pencher la tête en se disant qu'elle croyait vraiment n'importe quoi et que les drôles d'acolytes devaient bien rire derrière elle... Quand quelqu'un était blessé, elle aurait bien cru n'importe quoi. Elle pensait même qu'elle allait soigner une loutre ce soir, alors elle n'était plus à ça près.
" Et... comment cette... chose redevient humaine ? " fit-elle en désignant le lit.
Si jamais il y avait des conditions, on ne savait jamais. On lui parlait de touche, de prendre sa main, elle allait devoir faire la princesse et l'embrasser. Après les avoir regardés pour cette réponse nécessaire, elle se pencha au dessus de la brindille.. sans trop savoir comment procéder... Puis quelque chose lui vint à l'esprit, elle avait un onguent pour endormir les douleurs. Il fallait juste qu'elle masse la brindille... masser une brindille... et puis quoi encore. Il était dedans c'est bien cela...
" Vous pouvez sortir...? " demanda t-elle prudemment à la brindille comme si elle allait la mordre.
Il ne faisait pas mauvais, dedans. Mais il persistait une humidité froide aux angles des murs éclairés par l’âtre rougeoyant des braises d’un feu délaissé depuis peu de temps, donnant l’impression que la pièce était restée ouverte aux quatre vents pendant toute la journée. Mais s’intéressant alors davantage aux gestes précautionneux de Lyra, Kaname laissa sa curiosité de côté pour quitter la salle principale, et emboiter le pas de la jeune femme se dirigeant vers une chambre. Enfin ! La loutre avait emmené son trésor aux mains capables d’un soigneur – ou d’une soigneuse, en l’occurrence – et à l’abri des caprices du temps. La brindille fut posée sur le lit, et tandis que Vreneli tournoyait avec anticipation au-dessus de sa tête, Kaname adressa un regard solennel à Lyra. Nul doute que la jeune femme, à présent dans son élément, savait comment procéder pour la suite. D’ailleurs, elle inspectait avec minutie la brindille chétive gisant sur la couverture. Certainement qu’elle élaborait son plan de soins.
Ou qu’elle ne savait pas par quel bout s’y attaquer. Penchant la tête sur le côté, la loutre chercha à mettre un sens derrière les mots de la jeune femme. Qu’est-ce qui pouvait bien lui poser problème ?
- Il est dit que seul le baiser d’une jeune femme à la chevelure d’un argent lunaire, posé délicatement sur le corps de l’âme transformée, redonnera à celle-ci son apparence d’origine, déclara d’un ton éminemment sérieux Apolline.
Elle avait à nouveau glissé de sa sacoche de transport pour rouler au sommet du crâne de Kaname. Un moment, les familiers et l’âme artificielle contemplèrent Lyra dans l’expectative. Avant que la trousse n’éclatât de rire.
- Kana, fais sortir notre princesse endormie pour que Lyra puisse exercer ses soins, finit par indiquer Apolline à la loutre entre deux éclats de rire. Ça va lui rajouter une bonne migraine en plus du reste, mais à choisir…
Contente de pouvoir aider leur bienfaitrice dans son travail, Kaname s’approcha avec détermination du lit pour attraper la brindille. Et, tout en maintenant celle-ci au-dessus des draps, brisa nettement celle-ci en deux. S’il lui sembla entendre une exclamation surprise de la part de Lyra, elle aurait été bien en peine de savoir si c’était le geste sec qui l’avait troublée, ou bien l’apparition soudaine du corps gémissant. Se recroquevillant davantage dans le lit qui l’accueillait, la jeune femme brusquement sortie de la brindille émit une douce lamentation aux accents de souffrance. Ses mains salies par la terre tenaient en étau son crâne, et ses paupières étaient closent sur un froncement douloureux. Cherchant la réassurance d’une position fœtale, son dos s’arrondit pour lui permettre d’envelopper presque ses jambes, mettant en évidence le tapi d’humus qui s’était constitué de sa nuque à ses fesses suite à sa rencontre fortuite avec le parterre de la forêt.
L’œil avisé pouvait repérer l’inconfort de sa cheville droite cherchant à se décharger le plus possible de son poids même dans le plan du lit, les larges ecchymoses découvertes sous la manche en charpie, et les petites coupures courant du menton à l’arcade sourcilière gauche. L’œil contemplatif notait le désordre des longues mèches brunes, les vêtements simples mais de facture tout à fait correcte, à présent couverts de terre. Et globalement un excellent échantillonnage de la Grande Forêt des semelles à la tête.
- T’es vivante, princesse maladresse ? s’enquit Apolline en roulant de Kaname à la couverture pour contourner l’amas vivant partiellement transformé en forêt ambulante et appréhender son visage. Allez fais un effort, t’as fait que pioncer jusque-là.
Un grommellement peu amène lui répondit, mais les paupières de la jeune femme s’entrouvrirent finalement, dévoilant doucement deux iris ambrés. La flamme les animant était encore vacillante, et elle manquait certainement de précision, mais elle était tout de même bien présente. Et cela rassura la loutre géante, qui s’écarta alors un peu pour laisser davantage de place à Lyra. Peut-être que celle-ci saurait quoi faire à présent ?
- Dis au moins bonjour – ou bonsoir – à notre sympathique hôte, poursuivit l’âme artificielle sans s’offusquer du regard agacé que lui renvoyait son interlocutrice visiblement souffrante et sonnée. On a trouvé Lyra, ou Lyra nous a trouvés. Et apparemment elle pourrait te faire garder un souvenir un peu moins douloureux de ta rencontre avec le sol. Et l’arbre. Et le rocher.
Fronçant les sourcils, la jeune femme tourna lentement le regard vers celle qui se penchait au-dessus elle.
- Et après, j’la demanderai en mariage.
Dans un soupir exaspéré, la gisante décolla enfin l’une de ses mains de sa tête souffrante pour mieux chasser l’âme artificielle qui roula dans un rire amusé jusqu’au pied du lit, hors de portée.
- Bonjour ?
" Franchement pour une urgence... "
Ses dents se serrèrent pour ne laisser échapper aucun son. Elle se releva pour ne plus être penchée au dessus de cette brindille.. Les mains sur les hanches, elle plissait les yeux visiblement contrariée dans sa démarche. Cet éclat de rire avait même de nouveau faire naître une rougeur sans précédent sur ses joues. Lyra pinçait les lèvres pour s'empêcher de les presser à lui donner le moyen d'aider en fait... c'était juste crucial. Elle s'écarta en voyant s'approcher la loutre s'approcher du lit... A présent, elle ne pouvait s'empêcher de se méfier de cette Apolline même si elle l'amusait beaucoup. Elle lui faisait penser à Rukia qui avait toujours un mot pour rire et la piéger sans arrêt. Kaname avait les deux pattes sur le lit pour se saisir avec délicatesse, lever légèrement la brindille... et la personne devrait revenir. Tout ne se passa pas exactement comme ce que Lyra avait en tête, la loutre brisa la branche. Lyra plaça l'une de ses mains devant sa bouche pour étouffer son petit cri. Elle l'imaginait encore plus mal qu'il ne devait être au pire... brisé. Une jeune femme apparut avec toute la terre, les feuilles qui avaient dû se trouver sur son passage. Le lit de la chambre semblait s'être transformé en un tapis de mousse. Le réveil ne semblait pas être des plus agréables. Lyra ne savait pas quoi à faire à une personne sortant d'un objet... Sa cheville droite cherchait à ne pas reposer sur la couverture... Son visage semblait marqué par un coup à l'arcade.
Apolline ne s'offusqua pas de cette recherche de tranquillité, Lyra aurait été d'avis de lui laisser reprendre tranquillement vie, mais elle poussait la patiente quant à elle à vite réagir. Lyra se demandait encore comment cette troupe avait pu se constituer, mais ils formaient un bon groupe. La jeune femme croisa les bras pour laisser sa blessée reprendre un peu conscience de son environnement. De cette façon, elle laissait à Apolline le soin de le ramener à un état plus de conscience et de son côté elle attendait pour qu'elle puisse lui répondre. Une fois ses yeux ouverts, Lyra eut un temps d'arrêt. C'était rare de trouver une personne ayant les mêmes yeux que les siens à quelques nuances près. Les yeux de Lyra devenaient dorés le soir venu tant que son pouvoir était actif, autrement ils redevenaient d'une légère teinte à la frontière entre le marron et le doré... cet ambre était donc assez semblable.. C'était très atypique.
Kaname était une loutre d'un bon gabarit, si bien qu'elle ne pouvait passer près du blessée dans les circonstances actuelles.La créature tourna la tête vers elle et d'un air convenu elles permutèrent leurs places sans échanger le moindre mot. Elle veilla à ne pas se trouver ni en dessous ni au dessus d'une de ses pattes. La chambre n'était pas étroite, mais elle le devenait un peu en cet instant. Elle hocha la tête en la remerciant pour ce petit exercice peu aisé. Ses joues perdirent leur éclat lorsque Apolline lui rappela le nombre de coups qu'elle avait reçue... d'abord elle avait percuté le sol... sans doute c'était à ce moment que sa cheville avait dû être affectée. Cette blessure l'avait sans doute empêché d'éviter la suite. Elle pouvait avoir des douleurs également à la tête ainsi que dans le dos. Son premier geste avait été de se recroqueviller s'il y avait des affects... les muscles ne devaient pas être touchés. Elle y veillerait pas un massage. Visiblement, Apolline avait fini de réveiller la patiente ...
" Bonjour... je m'appelle Lyra... dites moi tout. Que s'est-il passé ? Où sentez vous des douleurs..? Je vous écoute.."
Lyra s'assit sur le bord du lit tout en prenant cette bassine d'eau claire qu'elle mettait toujours dans un coin de la pièce. L'eau était à température ambiante pour ne pas qu'elle surprenne sa patiente. Elle tendit le bras vers un linge propre pour laver le front doucement de sa patiente. Elle allait de cette manière également voir si elle avait de la température tout en nettoyant cette écorchure. Ses gestes étaient mesurés, très calmes et ne cherchaient qu'à apaiser sa patiente. Toute cette terre n'était pas bonne pour soigner ses plaies, mais pour le moment, elle avait une assise agréable. Ses yeux descendirent vers le bas de son visage... Elle espérait juste qu'en tant que branche, elle n'avait pas eu conscience de la scène précédente. La main de Lyra faisait des allers et retours entre la bassine et le visage de sa patiente.
" Prenez votre temps... dites moi si l'eau est trop fraîche."
Tandis qu'elle écoutait son récit en lui donnant tout le temps qu'il fallait pour exprimer ses douleurs, Lyra passa son bras derrière sa tête pour mettre l'oreiller derrière sa tête. Si elle avait mal à la tête, il fallait soigner sa position en toute urgence... Elle souleva son corps en surveillant chaque réaction sur son visage. Parfois les gestes trahissaient bien plus que les mots...
- Heum, répondit-iel intelligemment alors que le matelas s’affaissait à ses côtés sous le poids – pourtant léger – de l’inconnue.
Ses sourcils se froncèrent légèrement alors que son cerveau refaisait un point sur les raisons pour lesquelles iel était présentement dans le lit de cette jeune fille, le corps transformé en tapis d’humus. D’humus douloureux.
Courrier rapide, intervint Kaname en se rapprochant des deux femmes, et posant sa tête à proximité de la main de Calixte.
Gens bizarres. Regards bizarres. Mais Cal veut pas Vreneli attaquer, ajouta le teisheba en grésillant de vexation au-dessus de la loutre.
Rien que de percevoir l’écho des pensées de ses familiers lo revigora quelque peu, et Calixte se détendit légèrement sous le tissu humide que Lyra lui passait sur le visage.
- J’ai été prise… d’un vertige, je crois, choisit-iel de répondre pour le moment, repassant en mémoire les derniers instants avant les longues minutes de souffrance. Je ne suis pas des plus adroites, et comme l’a dit Apolline… il n’est effectivement pas improbable que j’aie rencontré un arbre, et un rocher, avant de finir ma course contre le sol.
Les mouvements lents et bienveillants de la jeune fille avivaient certaines sensibilités mais globalement leur passage était appréciable pour lo garde qui ferma temporairement les yeux pour savourer ce moment de répit.
- Il me semble que c’est ma cheville qui m’a fait défaut sur ce vertige, poursuivit-iel songeux-e en explorant mentalement les sensations – principalement désagréables – livrées par son corps. La droite. Mais…
Iel tenta de la bouger doucement, et celle-ci répondit dans une salve de tiraillements. Néanmoins, pas au point de limiter tout à fait ses mouvements, ni peut-être même à l’empêcher de poser le pied par terre pour marcher.
- Je n’ai pas l’impression qu’elle soit cassée. Enfin je crois.
Reprenant davantage confiance dans ses membres, Calixte se releva lentement sur ses coudes, grimaçant à la compression de ses hématomes, jusqu’à s’assoir complètement à côté de Lyra. Avec milles précautions, iel commença à se débarrasser bout par bout de la forêt qui s’était accrochée à ses vêtements, avant de suspendre son geste pour adresser un regard contrit à son hôte.
- Pardon, je suis en train de mettre milles saletés chez vous. Enfin, si c’est bien chez vous ?
- Oui, oui, c’est bien chez elle, intervint Apolline en roulant de l’une à l’autre. Allez, retire ces affaires bourrées de feuilles qu’elles partent entretenir le feu de la pièce d’à côté ; t’en as d’autres dans ton sac. Et réponds à la gentille Lyra – ma promise – où c’est qu’t’as mal, qu’elle nous fasse d’autres miracles. Son existence est déjà un miracle pour nous. Kana et Eli t’ont dit comment on a failli se faire bouffer par un marchebrume ? Sale histoire ; et pas du genre que j’aime.
Kana chercher change ! s’exclama la loutre avant de se débattre avec ses sacoches tandis que Vreneli disparaissait dans l’une d’elles, de plus en plus désintéressé de l’affaire.
- Oui, pardon. Je suis un peu… déboussolée. Encore. Pardon de nous imposer, aussi, ajouta-t-iel en massant doucement ses tempes qui lo lançaient un peu plus. Et merci, du coup.
Reprenant le temps de saisir lentement les pans de ses vêtements, iel commença à s’en défaire afin de retrouver forme humaine. Sans souci particulier de pudeur, retenu-e uniquement par la douleur saisissant par moment ses gestes un peu trop brusques, Calixte quitta doucement son manteau de mousse, ses bottes terreuses, son pantalon plein de fougères, afin de finir au terme de longues minutes en t-shirt et sous-vêtements.
- Je crois qu’en dehors des diverses petites plaies et contusions, c’est surtout ma cheville qui me gêne. Et ma tête. Déjà amochée par l’arbre. Et le rocher. Et le sol. Et la défusion, ajouta-t-iel en grimaçant.
- Hé pas notre faute si ton pouvoir marche comme ça !
- Bien sûr, bien sûr, acquiesça rapidement lo garde en frissonnant.
Iel voulut tirer sur le drap afin de se recouvrir pour mieux affronter la morsure du froid, mais lorsque ses yeux remarquèrent les débris de forêt le parsemant, iel marqua une halte, avant de reposer son regard sur Lyra.
- Je suis vraiment désolée pour le bazar. La couverture est toute sale, je…
D’un geste rapide iel tenta de débarrasser le lit des fragments divers le souillant, mais la rapidité du mouvement majora la réticence de ses muscles, et aggrava la tension battant les parois de son crâne. Un temps, un vertige lo prit, et iel se rattrapa au bras frêle de son hôte pour éviter un énième traumatisme.
- Pardon, réitéra-t-iel finalement en adressant un nouveau sourire embarrassé à Lyra.
" Comment vous appelez-vous ? Je n'ai pas souvenir d'avoir entendu votre nom... Pardonnez moi si tel est le cas... "
Il arrivait qu'elle demande plusieurs fois le prénom, surtout quand elle réfléchissait à ses remèdes disponibles... Cela permettait au moins de tester la réactivité du patient. Pour le moment, même si elle était lente, elle réagissait à ses questions. Quand elle évoqua sa cheville, Lyra se positionna vers sa jambe en arrêtant d'humidifier son front. Quelques tests doux pouvaient être fait sans trop la solliciter. En voyant la patiente se redresser, Lyra fit des gros yeux, elle n'était vraiment pas sûre que cette idée soit bonne. Si c'était pour retomber à nouveau, était-ce bien prudent ? Si elle était si déboussolée, mieux valait qu'elle reste immobile sans chercher davantage. Elle ne voulait cependant pas imposer son point de vue. De toute façon, elle n'était pas pour aller à l'encontre d'un patient, elle se tenait simplement prête pour la rattraper. Comme ils faisaient relativement la même taille, elle n'aurait aucun mal à la rattraper. Quand ils parlèrent d'affaires propres, elle avait presque envie d'aller chercher... Elle se tourna, mais ne pouvait se résoudre à laisser sa patiente sans surveillance. Lyra s'en sentait responsable. Si elle avait hésité en revanche, elle avait bien entendu... sa promise. Ses joues suivirent cette information en marquant sa peau d'une teinte rouge tomate...
" ... Je... je vais chercher ce qu'il vous faut"
Parler de ce genre de choses qu'elle partage ou non des sentiments lui donnaient envie de se cacher. Elle eut au moins la certitude que quelques instants d'inattention n'allaient pas être dévastateurs. En se saisissant du sac, elle y chercha des vêtements propres... avant de réaliser que ce n'était pas très courtois de se servir. Lyra avait très peur qu'elle ne fasse trop d'effort. Elle allait les poser sur les bords du lit silencieusement. Pendant ce temps là... la jeune femme s'était levée pour essuyer un peu le lit. Elle tenait debout donc ... c'était peut-être une foulure... Peut-être que quelques soins, une légère immobilisation et... un bon nettoyage du sol. Elle ne put s'empêcher de voir qu'elle venait d'obtenir un tapis de sol parfait : bien uniforme et représentatif de toute la forêt environnante. La plus grande catastrophe ne portait peut-être pas le nom de Sigur. A elle seule, elle venait de personnaliser la chambre. C'était même fou qu'elle transporte autant de brindilles...
" ... Oh j'ai l'habitude du bazar... et... "
Lyra s'était retournée pour voir la pâleur du visage de sa patiente. Elle allait la rattraper, mais elle bougea presque au même instant si bien qu'elle se cogna contre sa tête. Très bien... elle tentait de mettre hors d'état de nuire sa patiente... par Lucy elle avait déjà mal et elle avait peut-être aggravé son cas. Elle la prit par la taille en se disant qu'à présent, elle allait plus imposer un traitement à sa manière. Ses bras entouraient son corps en veillant qu'il ne penche ni d'un côté ni de l'autre... Elle l'accompagna en faisant passer sa tête derrière son bras tout en serrant sa taille fortement. Elle n'allait certainement pas permettre une autre chute. Une fois, la patiente assise, elle enroula la couverture de lit en se disant que de toute façon le mieux à faire était de la changer. Lyra la mit vers le canapé en boule en disant d'un ton plus autoritaire :
" Vous ne bougez pas Madame.. "
Elle devait bien avoir de l'ortie macérée mélangée avec de l'aloé véra quelque part. L'odeur était très entêtante, mais le résultat donnait un soulagement très agréable. La texture était épaisse, ne faisait pas envie. La jeune femme ouvrait tous les placards, se rehaussait pour atteindre ceux plus hors d'atteinte. Les orties étaient la base même de beaucoup de ses remèdes. Beaucoup de mauvaises herbes étaient d'un coup tout à fait raisonnables, trouvables en abondance ; une vraie aubaine pour elle. Elle inspira un grand coup en sortant un pot énorme avec une fiole beaucoup plus fine. Elle n'avait plus qu'à s'emparer d'un saladier pour mélanger le tout. La lavande distillée en revanche avait un coût plus élevée, elle était beaucoup plus efficace dans cet état qu'à l'état naturel. Lyra cotoyait quelques alchimistes pour ces travaux demandant des outils dont elle ne disposait pas. Si elle avait les ingrédients de base, elle n'avait pas le laboratoire pouvant aider à la conception de tous les remèdes. Elle ajouta de l'aubépine ainsi que de la passiflore pour anesthésier la douleur tout en la soignant. La patiente devait trouver le temps long, fort heureusement elle n'avait pas à attendre la macération de l'ortie... L'herboriste prit des compresses à son passage qui chauffaient près de la cheminée pour aider par la chaleur la pénétration du produit. Elle se hâta pour traverser le grand salon et retourner dans la chambre.
" Me voilà... je vais laver votre jambe... vous pouvez redresser votre pantalon ? "
Lyra retira tout ce qui pouvait gêner pour l'application du produit sur la cheville : chaussures ou autre tissu. Elle lava rapidement en insistant sur les quelques morceaux de terre encore agrippée à sa peau. Le linge ne resterait pas chaud éternellement.
"... Je vais vous appliquer une lotion qui détend les muscles et apaise toute forme de compression du muscle. Visiblement, comme vous dites c'est une douleur à l'effort, donc ce n'est pas osseux. "
Après avoir lavé le bas de sa jambe à température ambiante, elle observa la jeune femme pour l'avertir que le linge serait plus chaud. Lors de son massage, elle cherchait son regard pour savoir si elle devait plus ou moins appuyer. Elle y était forcée pour que le produit rentre, mais elle ne voulait pas la conduire à une douleur plus intense. Ses mains faisaient des cercles sur sa peau. Elle finit par tirer un peu sur un tabouret près d'elle pour surélever sa cheville endolorie et pouvoir mieux la travailler. La jeune femme sentait que c'était tendu.. de toute évidence ce mouvement brusque avait bloqué son articulation : une bonne tendinite. Ce qui serait souhaitable ce serait éviter également tout mouvement. Elle allait devoir la bloquer. Les accessoires dont elle disposait n'étaient pas très poussés, mais elle pouvait lui faire des compresses solidifiées à l'aide de la sève de pin. Elle ne pourrait sans doute pas poser le pied pendant 2 ou 3 jours, mais c'était le mieux à faire..
" Ne bougez pas" redit-elle en repartant.
Lyra repartit avec son saladier pour revenir avec un lot de bandages de toute longueur. Toutes ses bandes étaient triées par taille, épaisseur pour un gain de temps.
"Je vais vous immobilier la jambe, mais il faudra changer le pansement... elle retrouvera sa mobilité d'ici 3 jours". Elle massa à nouveau sa jambe pour vérifier que le produit pénétrait bien. La peau de sa patiente avait pris une nuance de vert jaunâtre plutôt laid. Une impression de chaleur se dégageait comme si le linge chaud n'avait jamais quitté sa jambe. C'était là toute la force de l'aloé vera, elle permettait d'isoler la lotion. Lyra en était si fière. La première fois qu'elle avait testé le produit, elle avait eu des démangeaisons.. Elle avait dû attendre la nuit pour enfin trouver un peu de repos. Elle commença par enrouler sa cheville tranquillement en baissant le regard. Une petite chanson lui venait en tête, elle ne put s'empêcher de chantonner à voix très basse. Elle prit le pinceau posée sur les bandages pour appliquer la sève et faire tenir l'ensemble. Pour marcher correctement, il lui fallait également une canne ou quelque chose de semblable... Elle irait acheter une canne demain.
" Pour aujourd'hui, vous resterez au lit. Je pense qu'il vaut mieux.. "
- Ow, gémit-iel en tâtant précautionneusement la zone meurtrie. Pardon, je suis vraiment maladroite. Croyez bien que je n’essaie pas de vous assommer vous aussi, rit-iel doucement en accusant une vague de nausées.
Il y eut une petite pause, où iel put reprendre quelque peu ses esprits, puis le corps frêle de Lyra se cala contre le sien. Un bras fin mais déterminé épousa la cambrure de ses reins, et iel fut lentement, mais sûrement, amené-e vers le canapé de la salle principale, où iel s’assit à nouveau dans un soupir de soulagement. L’âtre brulant diffusait là une chaleur toute réconfortante, et quitter le tapi d’humus pour le toucher soyeux du tissu propre était appréciable. Acquiesçant à la demande – l’ordre – de la jeune fille, Calixte s’enfonça davantage dans le moelleux de son assise, et avisa les affaires sèches et présentable qu’on lui avait remises. Doucement, iel enfila le pantalon fluide puis le large pull dans lequel iel se perdit quelque peu. C’étaient là des vêtements de secours, plus sélectionnés pour leur praticité que leur élégance.
Les pensées moins troubles, le regard passant de la silhouette fragile mais vive de Lyra affairée à quelques préparations à ses propres blessures, Calixte fit enfin l’inventaire succinct et définitif de celles-ci. Sa cheville risquait d’être un souci pour la suite, mais il devait trainer dans son sac une potion de soin au besoin. Ses maux de tête, probablement à part égale dus aux chocs successifs comme à sa défusion brutale, risquaient de l’immobiliser encore un certain temps, mais si Lucy le voulait bien, ou si sa soigneuse avait là de quoi soulager un peu l’élancement de ses tempes, d’ici quarante-huit heures ils ne seraient plus qu’un mauvais souvenir. L’idée d’appeler Luz lui effleura l’esprit, puis celle-ci s’étiola alors que Lyra revenait vers iel. Iel avait survécu à sa maladresse jusque-là, pas la peine d’enquiquiner son amie qui avait certainement mieux à faire que de vérifier son état à la moindre de ses chutes. Et puis la jeune fille, si iel ne la connait que depuis que quelques minutes, méritait qu’iel lui laissât l’occasion de faire ses preuves. Pas qu’iel fut juge de quoi que ce soit, mais maintenant qu’une certaine lucidité lui revenait, sa curiosité s’éveillait elle aussi.
A la demande de Lyra, iel retroussa son pantalon jusqu’au-dessus de son genou droit, et la regarda s’activer avec intérêt. Ses mouvements étaient nets, efficaces, dénotant une habitude réfléchie de l’acte. Ou un sacré sens de l’improvisation et du sang-froid.
- Je t’avais dit qu’elle était merveilleuse, commenta Apolline d’une satisfaction amusée alors qu’elle et Kaname profitaient de ce moment pour explorer la pièce.
Qu’elles cédassent à leur curiosité, laissant Calixte entre les mains de leur hôte, démontrait qu’elles avaient confiance en celle-ci. Et le regard ambré du-de la garde observa avec davantage d’attention la silhouette de Lyra. Sa peau, blafarde, réhaussée de sa longue chevelure argentée, luisait presque dans la pénombre, comme un cristal de lumière. Ses prunelles, accusant l’hésitation de la jeunesse comme une volonté de caractère, semblaient osciller de couleur dans un camaïeu d’ocre, en fonction de l’intensité des flammes s’agitant dans l’âtre. Elle portait la bienveillance au bout des doigts, et le mystère au fond de ses pupilles. Une douce innocence émanait de ses mimiques, et l’espion-ne pouvait presqu’aisément croire qu’elle était bien réelle.
Le massage des doigts fins contre sa cheville endolorie accentua tout d’abord son inconfort, et une grimace de douleur fit temporairement dérailler ses observations. Mais, rapidement, les gestes se corrigèrent pour s’adapter à ses contusions, et le baume commença à faire son effet. Bientôt, une sensation étonnante d’anesthésie diffusa le long de son pied jusqu’à son mollet, et Calixte soupira à nouveau de soulagement. Comme il semblait que l’objectif de Lyra était là atteint, elle s’arma de bandages qu’elle entreprit de passer autour de la cheville endolorie, afin de confectionner une attelle de fortune. Laissant sa soigneuse travailler, bien que milles questions brûlassent à présent ses lèvres, Calixte s’astreignit au silence respectueux et avisa Kaname qui s’aventurait près d’une marmite visiblement bien remplie.
Kana ? Est-ce que tu peux m’apporter mon sac, s’il-te-plait ?
Sent bon ! Quand Cal mieux, Kana manger ?
On va regarder ça, oui. Si tu m’apportes mon sac, on va en profiter pour te chercher une ration pour le repas.
Enthousiaste à l’idée de bientôt se remplir l’estomac, la loutre géante ne se fit pas davantage prier, et elle déposa sur le canapé l’objet demandé. Avant d’attendre sagement, pleine d’anticipation, juste à côté.
Les doigts de l’espion-ne trouvèrent son peigne magique, et après un moment d’hésitation, le passèrent méticuleusement dans ses cheveux. D’abord pour lo rendre presque chauve, éliminant ainsi de fait des feuilles et brindilles qui s’étaient accrochées à ses mèches, puis pour lui rendre sa chevelure usuelle. Courte, d’un blond cendré.
- Tu vas me la perturber, encore, nota avec amusement Apolline qui s’était hissée sur le front de Kaname pour mieux observer la scène.
- J’y peux rien si on arrive à la fin du temps imparti, grimaça Calixte, sentant les prémices de la désactivation du produit du SAPIC.
Et comme iel l’avait déjà utilisé dernièrement plus que de raison, une nouvelle injection n’était pas envisageable.
- Je me plierai à vos recommandations, ajouta-t-iel à l’adresse de Lyra, qui lui indiquait de rester au lit alors qu’elle finissait de bander sa cheville. Je vous sais gré de m’avoir recueilli, et pansé. Une fois que j’aurai regagné la Caserne, je vous ferai parvenir les cristaux nécessaires pour vous dédommager du matériel que vous avez utilisé, de vos soins, et de votre temps.
- Et la bague de fiançailles ! On te fera aussi parvenir la bague de fiançailles !
- Je suis coursier pour la Garde, répondit-il au regard interrogateur de la jeune fille. Calixte, se présenta-t-il plus formellement en tendant une main à Lyra.
Alors qu’effectivement, il était bien redevenu coursier. Au masculin.
" Ah mais non , mais non je ne le.. " répondait elle confusément, puis comprenant son ton blagueur elle se reprit : " Je suis encore debout comme vous voyez... ça n'a pas marché"
Malgré tout dans l'histoire, elle lui donnait envie de se mettre en retrait de ce simple geste maladroit. Elle montrait déjà sa gêne sans en rajouter... Elles en étaient arrivées à se rassurer mutuellement, on aurait pu croire que Lyra tirait les marrons du feu pour chercher à se redonner des points après cet échec. Ce n'était pas le cas.. Elle prenait les occasions pour retrouver une posture disons le plus professionnelle. En entendant les commentaires de sa nouvelle promise, Lyra s'arrêta en sentant ses joues se teindre à nouveau. Elle retint sa respiration doucement pour tenter de reprendre le contrôle pour montrer un visage moins emprunt de sa sensibilité. Il ne se passait pas une journée sans qu'elle maudisse ses rougissements intempestifs. Malgré tout, elle adressa un timide sourire à cette trousse... avant de se dire que à ses yeux, elle prenait de plus en plus de place comme un être humain. Elle n'osait imaginer les circonstances d'acquisition d'un tel objet pour cette jeune personne.. Une trousse qui parle c'était tout de même peu commun. Lyra était bien de trop affairée pour remarquer que la jeune femme avait plongé ses doigts dans son sac, qu'elle avait changé son apparence. Sous ses doigts, une forte tension s'était installée, difficile à atténuer, canaliser...
La jeune femme allait ensuite lui soulager la tête, lui donner aussi des remèdes naturels pour le remettre sur pied avec un bon potage. Elle eut un sourire satisfait en fermant le bandage solidement à la fois pour qu'il n'étouffe pas sa jambe, mais parvienne à se lier à l'attèle. Sa voix avait quelque chose de changé.. c'était sans doute la douleur. Elle devait encore avoir bien mal à sa jambe même si elle cherchait à atteindre ses douleurs musculaires, elle avait eu un traumatisme. Le mal ne pouvait se défaire en un claquement de doigt. Lyra prit appui sur le dos c'est alors... qu'elle vit une autre tête étrangère. Ses yeux s'écarquillèrent comme si elle voyait un fantôme, sa bouche s'ouvrit sans qu'aucun son n'en sorte... Un marchebrume.. un baiser sur une brindille... et maintenant une tête étrangère chez elle... Et pourquoi pas un marchand de sucre d'orge faisant du porte à porte ? Elle sentit que sa respiration s'était fait la mal, tellement qu'elle dut tousser en cognant dans sa poitrine. Même quand elle s'adressa à elle... elle gardait cet air de fin du monde sans pouvoir s'en départir. C'était beaucoup pour une soirée... Un dédommagement... un coursier ...
" Heu.. une bague oui.. une bague" faisait-elle un peu ailleurs en se disant que oui elle aimait les bagues. Son esprit s'était fait la mal temporairement. Elle secoua la tête en se cachant les joues tout en souriant. " Non, vous rigolez... je ne fais pas payer mes soins. Je ne suis même pas médecin... " Soudain, elle réalisa deux choses : elle venait de se décrédibiliser et venait d'accepter une bague... Cette capacité à répondre n'importe quoi en état de choc était vraiment fâcheux. Enfin vu comment elle avait parlé très doucement, presque à elle-même, il n'y avait aucune chance que ses mots précédents aient été entendus. Lyra avait tellement l'habitude de passer à côté des gens sans être pour le moins remarquée. Sa petite voix discrète y était pour beaucoup... Même si elle savait que c'était la même personne, elle n'arrivait pas à comprendre comment... ça s'était passé, mais elle resterait polie.
" Enchantée Calixte.. si je n'avais pas tenu votre jambe, j'aurais pu croire.. qu'une autre personne soit rentrée." Elle se saisit de la main du.. jeune homme pour le coup pour le saluer correctement. Vraiment, elle n'avait jamais connu de personne qui la destabilise autant. Ses joues allaient sans doute restées un moment marquées. Elle était sûre de ressembler à une chouette effraie tant elle le regardait toujours étrangement.. comme s'il allait disparaître. Elle avait même gardé de son mélange sur ses mains qu'elle laissait s'égouttait le long de ses doigts au sol. Découvrant cette bêtise, elle s'excusa avant de disparaître à nouveau. Elle partit se donner un peu d'eau sur le visage avant de reprendre les soins pour le remettre sur pied. Lyra découpa de la glace pour en faire des glaçons pour les mettre dans un gantelet et en faire un bandeau de fraîcheur. Sa... Son patient pourrait l'appliquer sur son front pour se soulager. Elle se rapprocha de lui en souriant.. puis lui tendit l'objet avant de l'appliquer sur son front. Une fois son anesthésiant transmis, elle disparut pour préparer sa lotion dans le plus grand silence. Cette transformation avait eu son petit impact sur Lyra qui malgré tout voulait terminer les soins qu'elle voulait effectuer. Elle servit un bol de la soupe qu'elle avait préparé en croisant la loutre qui se rapprochait d'un panier rempli de poissons. Comme elle n'était pas avare, elle sortit une assiette pour lui déposer un poisson. Elle ignorait si c'était ce qu'elle recherchait.. mais personne ne devait être oublié. En arrivant non loin de Calixte, elle posa le bol sur une petite table ronde près de lui. Elle se mit en face de lui avec toujours son petit air surpris insistant.
"... J'ai presque envie de me présenter à nouveau... c'est idiot. C'est pour vous, je l'avais préparé. Cela vous fera du bien de manger un peu.
- Nos fiançailles seront grandioses, notre mariage inoubliable ! Je te trouverai une bague à la hauteur de ta beauté. Cal connait quelques adresses. Pas toujours très légales, mais de bonnes adresses.
- Je ne suis pas certain que ce soit votre mariage qui soit légal…
- Quelle intransigeance ! Quelle intolérance ! Mariage pour tous, et toutes ! Ne l’écoute pas, merveilleuse Lyra. Notre amour ne connaitra pas de frontières.
- Vous êtes sûre pour la bague ? Je ne sais pas ce qu’Apolline vous a dit, mais heu… Enfin si c’est vraiment votre souhait… C’est pas un peu rapide sinon quand même ? A moins que vous ne vous fussent connues par le passé ?
- Le coup de foudre, Cal. Eli a flashé le marchebrume, Lyra et moi avons flashé ensemble. Un peu comme tes yeux avec le décolleté de Sol…
- NON MAIS J’INSISTE !
Kaname sursauta, renversant une partie du sac du coursier qu’elle s’empressa de reranger en adressant un regard curieux aux différents protagonistes.
- Pardon, fit Calixte avec un sourire contrit à l’adresse de sa soigneuse dont il tenait toujours la main. Mais j’insiste. Si ce n’est en cristaux, laissez-moi vous remercier en services.
- Ou en nature.
- C’est moi qui suis enchanté de vous connaître, si vous n’aviez pas été là… Merci infiniment de nous avoir recueillis. Et de nous tolérer.
- Je te l’ai dit : l’amour est plus fort que tout.
Secouant doucement la tête – dans la mesure où ses élancements le laissaient un peu tranquille – le coursier lâcha enfin les doigts frêles de la jeune fille, et l’observa poursuivre sa besogne. En faisant un passage par la case débarbouillage. Apparemment Lyra avait-elle aussi besoin d’un peu d’eau fraîche.
- Je comprends votre étonnement, et je m’avouerai coupable. Les traits précédents sous lesquels vous m’avez vu apparaitre étaient dus à une certaine magie, qui a depuis cessé de fonctionner. Promis, ces traits actuels vous faisant face ne sont pas prêts de changer.
Se calant davantage contre le dossier moelleux du canapé, savourant l’engourdissement salvateur de son membre inférieur droit, l’espion laissa à nouveau l’ambre de ses yeux balayer la pièce avec un intérêt tout en langueur. L’éreintante journée se rappelait peu à peu à lui, implacable dans ce nid douillet et chaleureux qu’il avait eu la chance de trouver. La loutre géante, qui avait encore réduit sa taille pour se promener plus aisément dans la maisonnette, semblait avoir abandonné l’idée que le coursier la nourrît bientôt, et avait repris son exploration des placards. L’âme artificielle, roulant tranquillement sur les arrêtes du mobilier, paraissait toute heureuse de suivre leur hôte dans ses déambulations affairées. Et alors qu’il apposait le pain de glace qu’elle lui avait présenté tout en la regardant se lancer dans de nouvelles préparations, Calixte céda à la tentation de fermer les yeux. Juste un petit peu.
Le voile du rêve le saisit immédiatement, ferrant ce poisson si pressé de mordre à l’hameçon. Et pendant quelques minutes, les paupières closes s’agitèrent des soubresauts incontrôlés des songes tumultueux. Il y avait là, dans les limbes de l’inconscience, un monde glacé d’un nappage blanc, sur lequel zigzaguaient les traces enthousiastes attestant du passage de patins de traineaux. Fendant l’étrange atmosphère onirique de neige et d’absurde, le tintement de grelots, le rire d’un Capitaine de Bastion, la respiration bruyante de rennes en cavale. Bientôt dans ses mains des milliers de cadeaux, comme le plus précieux de tous. Le plus perturbant, aussi. Drapée de vert et de rouge, dotée d’une longue barbe inhabituelle, Solveig version lutine l’observait de ses yeux vairons, joueurs.
- Faut pas lui en vouloir, belle Lyra. Il a eu une sale journée.
Se réveillant en sursaut, l’espion rattrapa instinctivement le bandeau froid qui se carapatait de son front, et leva des yeux ensommeillés et décontenancés vers sa bienfaitrice.
- Je… pardon. Oh ! s’exclama-t-il en appréhendant le bol de soupe fumant déposé à ses côtés. C’est pour moi ? Merci !
Kana aussi miam !
Oh Kana, pardon ! J’ai complètement oublié.
Pas grave. Cal cassé. Lyra gentille.
- Vraiment, Lyra. Dites-moi comment vous remercier dignement de votre bonté. Il semblerait que j’en profite éhontément, encore et encore.
- C’est le moment de décrire ta bague idéale, ma chérie.
- Peut-être puis-je vous proposer de porter certaines de vos missives ? De vos courriers ? C’est après tout mon travail, même s’il est rattaché à la Garde.
- On pourrait lui faire envoyer nos faire-parts !
- Ou simplement vous aider pour quelques activités domestiques, une fois que ma jambe – et ma tête – sera remise ? Le ménage, la cuisine, divers travaux…
- Peut-être pour installer notre lit nuptial ?
- Ou quelque chose en rapport avec, même si vous vous défendez de n’être médecin, le soin ? Vous aider à récupérer les ingrédients de décoctions, renflouer vos stocks, vous mettre en relation avec d’autres soigneurs…
- Vrai que Luz n’est jamais contre les plans à trois. Qu’est-ce que t’en dis ma merveilleuse Lyra : toi, Luz et moi ?
Le doigt agacé de Calixte éjecta d’une pichenette la trousse un peu trop bavarde, et celle-ci s’envola à travers la pièce pour rebondir contre une étagère et finir sa chute à proximité de Kaname qui la regarda s’approcher d’elle avec amusement. Bien que le rire éclatant de l’âme artificielle fût encore prégnant, l’espion soupira d’aise à la disparition momentanée de cette source incessante de distraction.
- Cette soupe est très bonne, nota-t-il avec un sourire pour Lyra qui ne semblait pas se départir de son air de chouette. Vous aviez raison : elle m’a fait du bien. Avez-vous, vous-même, mangé un peu ? demanda-t-il soudainement soucieux du regard troublé de la jeune fille. J’ai l’impression de rendre ce lieu étranger à vos yeux, alors que vous êtes ici chez vous. Puis-je faire quelque chose pour adoucir notre présence ? Peut-être préféreriez-vous que l’on parte ? Nous avons déjà bien abusé de votre hospitalité, la Caserne des Belluaires nous accueillera sans soucis.
Quand Calixte voulut arrêter tout ce dialogue hâtif, Lyra agrandit les yeux en reculant un peu tant sa voix avait beaucoup porté. Elle ne savait pas où se positionner et de toute façon vu la hauteur vocale c'était bien hors de sa portée. Ses lèvres avaient tenté à de multiples reprises avec des mots isolés tels que " mais... " "Et... " "Le mar...". Rien n'y faisait, rien ne les arrêtait comme du papier à musique, une musique assourdissante. Tout comme elle, Kaname avait reporté ses recherches pour venir se poster à ses côtés. Le pire dans cette histoire c'était qu'elle ... tentait de suivre de son mieux en hochant la tête. Elle voulait montrer qu'elle suivait un tant soit peu. Le seul moment où elle put voir une certaine ouverture, c'était à "l'amour est plus fort que tout". Voulant saisir son seul temps de parole, elle intervint toujours en hochant la tête.
" Oui bien sûr, je ne connais pas de meilleur sentiment... Enfin heu j'imagine. Enfin...."
Tout le temps d'avant, elle ne s'était concentrée qu'en tant que spectatrice, elle n'avait pas été très actrice de ce qui avait piu s'échanger autour de la légalité de ce mariage, de la bague... Elle eut comme un retour à la réalité un peu brusque. Elle regarda Apolline ... avança sa main pour la saisir en se disant que en la portant... Elle se montrerait moins ... et bien moins ... volubile ... Plus normale, elle ne savait pas trop, mais elle s'en voulait de n'avoir pas compris grand chose à la déferlante de mots qui s'était déroulée.
" Tant mieux... " sourit elle calmement en se disant que si elle se retournerait, elle n'aurait pas peur de croiser une mère-grand ou une autre personne pouvant réellement la faire tomber dans les pommes. Elle avait vraiment senti toute sa logique s'échapper d'elle pendant quelques secondes qui lui avaient paru infinies. Visiblement sa tentative d'amadouer sa "femme autoproclamée" avait presque marché, c'était ce qu'elle croyait.. Elle avait tenu dans sa main une trousse parlante pour la calmer, embrasser un bâton, elle se demandait vraiment ce que donnerait la prochaine étape de cette rencontre unique. Son patient s'endormaient alors que de son côté, elle entendait les commentaires incessants de la trousse. Visiblement sa tentative de l'apaiser avait juste donné quelques minutes de silence, mais le pire c'était qu'elle finissait par apprécier le fait que son silence soit brisé. Rien que sa présence brisait toute cette tranquillité presque abrutissante, elle n'avait pas eu de journée aussi animée depuis longtemps.
" Oui.. c'est une soupe faite de mes mains"
" De tes si douces mains, mais quand aurais-je le privilège de te passer la bague au doigt, belle Lyra? "
"... Elles sont bien de trop occupées, tu vois bien...
Lyra se saisissait des bols avec méticulosité, elle ne tenait pas à en renverser par mégarde surtout vu le nombre de temps que son bouillon chauffait. Elle déposa le bol fumant aux côtés du dormeur, elle n'était pas mécontente qu'il songe enfin à se reposer. Lyra s'assit à ses côtés assez satisfaite d'avoir pu lui octroyer ce moment de repos. Son regard se dirigea vers sa cheville en se demandant si elle s'était bien occupé de l'onguent, si elle en avait trop ou peu mis. En se penchant, elle sentit la compresse fraîche retomber sur son dos ainsi baissée. La différence de température la fit sursauter. Comme par réflexe, elle se redressa pour se trouver assise au même niveau que Calixte sur le canapé. Ses sentiments s'inscrivaient comme sur de la pierre. Même quelques secondes après, on pouvait encore voir ses yeux écarquillés prête à percevoir le danger d'une nouvelle compresse tombant du front de son patient. Il avait même récupéré un peu de rigueur, il s'était aussitôt saisi de la compresse fuyante. Voyant que la loutre regardait avec envie, elle lui déposa devant la truffe son bol en se disant qu'elle aurait bien le temps de boire ensuite. Des poissons.. une soupe... Ce n'était pas sans doute ce qu'elle cherchait, mais c'était bien assez chaud pour lui apporter un réconfort. La jeune femme se rassit à nouveau pour entednre à nouveau le caquetage de Calixte et d'Appolline. Son sourire gêné se fit de plus en plus grand... Elle était à la fois heureuse de sentir une bonne ambiance tout en se demandant comment réagir.
"....Luz ? Il est vrai que je n'ai croisé aucun médecin encore.... et c'est un vrai problème pour en trouver qui accepte .. de prendre un non initié... Si je dois faire des préparatifs de mariage... cela complexifiera encore les préparatifs... Appoline. "
C'était comme si elle luttait contre sa gêne en tentant d'accueillir de son mieux tout ce beau monde dans une ambiance à la frontière de celle des camps.
" Vous savez ... auparavant il ne se passait pas une soirée sans que je sois dans une ambiance comme celle-ci... Bien sûr je n'avais pas d'aussi illustres présences... " rajouta t-elle en regardant la fameuse trousse qui venait de se faire expédier sous un rire assez communicatif. Même si elle pouvait être agaçante, qu'elle la bloquait, qu'elle soufflait un peu depuis que leur échange redevenait normal, elle n'avait pas pu s'empêcher un petit regard vers elle. Après tout ne venait-elle pas de parler de bague...? Il allait vraiment falloir qu'elle se repose de cette journée également. Au sujet de la soupe, elle en était touchée, si touchée qu'elle lui reprit le bol pour le remplir à nouveau. Arrivée à sa marmite, elle mit la main à sa bouche, elle ne faisait rien dans les règles. " Vous avez encore faim...? Elle avait complètement oublié de répondre à la question la concernant, de toute façon elle était bien de trop focalisé sur lui. Sitôt après avoir déposé un nouveau bol, elle sautilla pour aller faire un brin de ménage dans sa chambre pour accueillir son patient qui visiblement avait grand besoin de repos. C'était sans doute même une priorité.
" Redites moi pour la soupe... J'ai du fromage et du pain également... Je vais préparer la chambre. "
En rentrant dans la chambre, elle claqua fortement la porte d'entrer dans la précipitation. Sa main cogna contre la poignée, mais peu importe elle n'avait que peu de temps, elle devait respecter son cycle de sommeil.
" Une seconde !" crie t-elle en passant avec les couvertures souillées de terre, de mousse, de branches... pour repasser avec des couettes plus blanches... Visiblement, elle était à nouveau montée sur ressorts, tellement qu'aucune parole ne semblait l'arrêter. Il était tout de même une heure du matin, mais c'était justement une heure qui ne l'effrayait pas. Une fois que tout fut posé, il ne restait que le sol ... mais ce serait vite fait.. Et hop un coup de balai. Tout était brillant. Elle attendait simplement qu'une personne vienne s'y reposer. Tout en s'activant, elle se mit à chanter pour que ses gestes soient plus rapides, ou qu'ils lui donnent l'impression du moins. Dès que ce fut fini, elle passa la tête par la tête avant de pénétrer à nouveau dans le salon.
" De l'eau chaude, vous attend Monsieur Calixte. Et votre lit, nous aurons tout le temps de parler demain. Ne vous en faites pas pour le bazar, un peu de mouvement, ça fait pas de mal... " Elle rajouta presque d'une voix indistincte, un peu comme un petit grognement "Même si... j'avoue me perdre un peu... " Même perdue... elle était contente de leur proposer son chez elle " Trois jours de repos et après vous ferez ce qu'il vous plaira... " commenta t-elle en tapotant son épaule... Elle en fut ensuite gêné, elle retira ce geste trop familier ... pour se concentrer sur le lavage de sa couette salie. Lyra laissait Calixte et sa bande maîtres des lieux, qu'importe qu'ils prennent ou non de la place car comme les chasseurs disaient " tant qu'il y a des braises dans le feu, notre coeur reste ouvert." Le feu de la cheminée apportait donc bien cette réponse... il crépitait encore de toute sa force. Tiens, elle pourrait même faire quelques marrons ou pommes grillées si compté que cela plaise à ses hôtes. Elle le laissait libre d'aller à la salle d'eau se composant très sobrement d'une cuve en hauteur pour la douche ainsi que d'une cuve en semi-hauteur pour le lavage de mains. Tout était dans le meilleur des mondes, tout était calme.. trop calme un moment.
Le lendemain, premier jour de repos, fut encore un peu étrange. La dynamique était nouvelle, et si elle était suffisamment rodée du côté du groupe d’invités, elle sembla encore surprendre Lyra qui ne se défit pas de ses airs de chouettes. Elle accompagna tout de même les deux familiers et Apolline auprès de la Garde pour leur permettre de livrer les missives du coursier, et l’affaire se déroula globalement sans encombre. Profitant de ce temps de tranquillité, Calixte avait sorti son propre matériel de correspondance, et s’était mis en tête de poursuivre celle qu’il entretenait avec Solveig. Avant d’être mis à contribution par la trousse de cuir qui, revenue de leur courte promenade, le tanna jusqu’à ce qu’il mît la main sur un fil de fer, quelques herbes aromatiques encore souples, et une petite étoile anisée. Ses doigts maladroits malgré l’entrainement d’espion avaient mis de longues minutes à confectionner le bijou demandé par l’âme artificielle, mais dès le milieu d’après-midi Lyra put arborer sa bague aux parfums d’épices.
Le deuxième jour, un imposant rideau de pluie s’abattit sur le Village Perché, rendant tout à fait adéquates leurs ambitions casanières. Le coursier, qui initialement s’était dit qu’il allait pouvoir aider Lyra dans ses affaires quotidiennes, resta sagement le séant posé sur un siège quelconque sous le regard attentif de la jeune fille, alors qu’il la regardait évoluer autour de lui. Bientôt les langues se délièrent tout à fait à la faveur de cette promiscuité qui se poursuivait, et les « vous » devinrent des « tu ». Plus que de la reconnaissance, l’espion se prit à développer peu à peu d’amicaux sentiments pour cette jeune fille à l’allure frêle, mais bien pleine de ressources. Le bain impromptu – séparé bien entendu – dans lequel ils se jetèrent suite à l’assaut d’un nuage de poil à gratter ayant échappé à son contenant alors que Kaname poursuivait ses fouilles poussées des placards, tout comme la crise de rires l’accompagnant, acheva de baisser les barrières de la convenance entre eux deux. Bien qu’il n’empêchât guère la jeune fille de conserver, de temps à autres, ses yeux de hibou.
Au troisième jour de repos, Calixte avait eu l’autorisation de Lyra de se réappuyer sur sa cheville de moins en moins douloureuse – voire absolument pas douloureuse si elle n’était pas en charge – et avait enfin pu la convaincre de le laisser l’aider dans ses préparations. Ainsi, au milieu d’un après-midi aussi maussade que celui de la veille, les deux jeunes gens s’étaient installés à une table près de l’âtre rougeoyant, et préparaient les dernières cueillettes médicinales de la jeune fille pour les conditionner en poudres, essences, et autres formes galéniques adaptées et conservables. Profitant de la lueur de la cheminée, Vreneli s’était roulé en boule sur une pierre à proximité, et pas défaite par l’incident de la veille, Kaname poursuivait ses explorations. Avec un peu plus de prudence néanmoins. Apolline, évidemment, avait choisi de rester auprès de leur bienveillante hôte. A mesure des heures et des jours, le « malentendu » initial s’était dissipé, et l’âme artificielle avait presque complètement arrêté d’appeler Lyra « sa promise ». Elle n’en restait pas moins taquine, marque de sa tendresse grandissante pour la jeune fille. Ou de son caractère de base.
- Faudra absolument que tu passes nous voir quand tu seras à la Capitale, Ly-bellule. Y des chambres à revendre à la volière, ou des cœurs à prendre ; pas besoin de chercher où crécher.
- Comme ça ou un peu plus fin ? demanda Calixte à Lyra alors qu’il ciselait quelques plantes.
Elle ramena derrière son oreille une mèche argentée qui s’était échappée de la couronne de tresses qu’il lui avait faite, et lui indiqua le diamètre plus approprié pour ses préparations. Discrète sur sa propre vie, Lyra avait fini par évoquer sa vie intermittente à la Capitale, et la trousse de cuir tentait depuis quelques minutes de l’inciter à passer à la colocation Luzah.
- Même si tu restes chez… Grégor, Apolline a tout de même raison sur ce point : on serait ravi de te voir passer chez nous.
- Chez Luz et Zahria, où Cal squatte. Serait plus exacte. Ceci dit, vu les dernières valses qui y ont eu lieu, on comprend son intérêt. Tu sais valser, Ly-bellule ?
Et il semblait que si elle savait danser, aucun pas formel ne lui avait été enseigné, Calixte proposa :
- Quand ma cheville sera remise, je te montrerai quelques enchainements si tu veux.
- On dirait pas comme ça, mais tango, paso doble et salsa n’ont aucun secret pour lui. La sarabande non plus. Mais ma préférée c’est ptet bien quand il branle…
- On va éviter les danses de cour aux noms désuets. Je ne suis pas certain que ce soit le genre d’occasion préférée de Lyra.
Car si ces quelques jours de promiscuité lui avaient appris quelque chose, c’était bien que la jeune femme préférait la discrétion. Et grommeler à mi mot, mais ça c’était autre chose. Et c’était relativement mignon aux yeux du coursier.
Et comme Lyra avouait qu’à défaut de connaitre les rythmes de ces danses officielles, elle savait cependant chanter pour en accompagner les pas, il ne fallut pas plus de temps à l’âme artificielle et l’espion pour se liguer afin de lui soutirer une mélodie. Même Kaname, haltant ses fouilles, leva un museau intéressé vers la jeune fille.
".. Et donc me voilà fiancée.... si je m'attendais à cela... "
Limite elle souriait tout en rougissant, elle était vraiment liée à ce visage confus, un peu ému. Quoi qu'il puisse se passer, ce fut également une soirée où elle parla beaucoup avec Appolline en lui avouant que à sa façon elle était marrante. Lyra avait après tout embrassé une branche, elle lui fit un baiser plus pour s'amuser, mais aussi pour entendre la trousse lui raconter des bêtises. Elle s'endormit sur le coup de quatre heures du matin avec sur ses genoux Appoline qui ne manqua pas de la taquiner au réveil.. Et mince, elle n'aurait pas dû être aussi proche la veille. Toutes ses remarques lui faisaient toujours monter le rouge aux joues et certaines bloquer. Lyra ignora si ce fut au moment où elle répondit un " mais non! " un peu trop fortement ou le nom d'Appoline dit sur un ton de reproche qui tira la belle aux bois dormant de son sommeil comme l'appelait la trousse. La pluie battait sec également le toit de bois ce qui rendait tout endormissement difficile. Lyra expliqua qu'elle songeait à mettre un enchantement pour se préserver des sons extérieurs, mais que comme elle était seule ici ; elle avait peur que l'isolement soit trop fort " Après tout... ce n'est que de la pluie" finit-elle en balayant un peu dans le salon. Comme elle faisait le ménage ainsi que des allers et venues du salon à la boutique située à côté, elle ne parla pas ensuite beaucoup. La préparation des herbes lui prenait également du temps. Elle suivait en revanche tous les sujets de Calixte, ses réponses devenant de plus en plus longues ; le tutoiement vint tout naturellement.
" J'ai bien failli tomber comme toi.. on aurait demandé à Apolline ou Kaname de nous soigner.. Je crois qu'il connaît bien mes placards.. Apolline en revanche... Enfin je ne dirai pas de mal de ma fiancée... Cela porte malheur pour nos futures années."
C'était curieux mais tous ses rires partagés avaient fini par briser son côté taciturne, même si elle gardait sa petite voix toute discrète. Elle servit les pommes sur des bâtonnets qu'ils mangèrent l'un à côté de l'autre. Dans l'après-midi, Lyra lui proposa de jouer aux cartes pour passer le temps... Calixte était doué pour faire un suspense et la dépouiller de toutes ses bonnes cartes. En même temps, dès que sa main était bonne, elle rougissait en songeant d'avance à cette raclée qu'elle allait lui infliger. Elle le soupçonna même à des moments de ne pas la regarder pour conserver plus de suspense à cette partie. Alors qu'elle s'était levé, une boîte dégringola sur la table en provoquant une vague de démangeaisons subites. Du poil à gratter ! La coupable était tout désignée, il s'agissait de Kaname. Visiblement, elle ne connaissait pas encore assez bien ses placards, il faut croire. Lyra était en panique, elle devait empêcher tout mouvement brusque à un moment tout en étant elle-même soumise au même mal. Elle lui proposa son épaule, ils avancèrent avec difficulté jusqu'à la salle d'eau. Lyra lui laissa la priorité tandis qu'elle hésitait à aller sous la pluie pour se débarrasser de cela... Elle ne pouvait s'empêcher de fixer Kaname.
" ... Petite fouineuse.. tu devrais avoir honte.. "
Avant de voir que la loutre aussi n'avait pas échappé à cette danse si particulière qu'était celle du poil à gratter... A regret, elle lui laissa tout le loisir de se rendre pour s'en débarrasser.. quand Calixte sortit, il put voir Lyra lui montrer la salle d'eau et la loutre qui ne bougeait pas. C'était à celui qui serait le plus poli à en juger .. mais la dispute tourna court et ils finirent par s'y précipiter et se coincer dans la porte. Grand moment de solitude. Lyra souffla de s'être débarrassé de toutes ces démangeaisons plutôt gênante.
" Tu dois te demander Calixte.. pourquoi je garde ce produit... il a une utilité.... je te le promets mais là... j'en suis presque venue à en douter."
C'était à croire que ses invités ne verraient d'elle qu'un visage continuellement surpris... Le poil à gratter et cette entrée vers la salle d'eau n'avait pas aidé à changer cette image. Appolline n'avait pas manqué de rire, même si sa fiancée boudait un peu. Lyra réclama un autre bijou pour se faire pardonner cette "humiliation".
Au troisième jour, la cheville de Calixte mais aussi toutes ses blessures étaient presque de l'histoire ancienne. Lyra n'eut pas cette fois à refaire de bandage, même si elle lui recommanda une extrême vigilance pour l'usage de cette cheville. Elle lui prêta des béquilles et veillait toujours à ce qu'il ne force pas trop. Calixte reçut à nouveau un repas chaud à base de viande et de légumes cuits sur une roche brûlante. Ils avaient une saveur particulière. Lyra lui avait ajouté qu'en plus il s'agissait de légumes qu'elle avait par le troc à un autre commerçant talentueux.
" A force... on finit par se faire des contacts... petit à petit" avait-elle ajouté plus bas. En effet, il était un peu son seul contact. " A présent, j'ai même des contacts dans la garde. Mon cercle passe à trois personnes dans mon nouveau réseau... Je me demande quels sont les avantages.. si un autre marchebrume vient, je serai protégée ? ... Tu peux me laisser Kaname et son intervention de poil à gratter sinon ? "
Elle commençait à s'attacher à eux tous, cela se sentait bien. Lyra rentra sa tête quand on parla de coeur à prendre.
" Tu prends le coup de main Cal ! Je vais t'embaucher, un jour de repos en plus cela t'irait.. Ma boutique est juste à côté si tu veux prendre le relais."
Au fur et à mesure, elle raconta comment elle vivait chez son tuteur à la Capitale bien qu'elle ne parla pas de ce côté infantilisant qu'elle ressentait, on sentait bien qu'elle ne cherchait ni la solitude du village perché ni la présence de son tuteur de cette façon. A ses yeux, il était toujours la petite fille dont il avait la charge. Ses problèmes de santé faisaient qu'il continuait de la protéger... Non elle dit simplement de la façon suivante :
" Je suis à la fois au Village perché... mais j'ai aussi un point de chute chez mon tuteur... Cela me dépanne bien pour faire des courses et écouler un peu les stocks"
Vu comment elle réagissait face à la présence du groupe, on devinait bien qu'elle n'était pas faite pour vivre seule, que même si elle était discrète ; elle en souffrait. Même ses expressions semblaient plus tournées vers des sourires sincères comme si à sa façon Calixte l'avait guéri de la même façon qu'elle l'avait soigné.
" ... Une colocation doit être une belle expérience. Vous devez passer de bons moments.... " En disant ces mots, elle tentait de s'imaginer une vie où le groupe ne se serait pas scindé... Cette dynamique lui manquait. Elle remit la même mèche de sa couronne avant qu'elle ne se défasse à nouveau. Ses cheveux permettaient bon nombre de coiffure, peu de gens s'y étaient attardés, mais Calixte l'avait pourtant coiffée de telle façon qu'elle avait la nuque plus libre. Elle avait rajouté en clignant les deux yeux qu'elle voulait la même coiffure le jour de son mariage, que donc il faudrait qu'il se libère pour lui faire. Lyra avait ajouté un " bien entendu si tu es disponible", elle craignait toujours d'imposer quelque chose... en aucun cas elle ne voulait gêner.
" Luzz, c'est bien la personne dont tu me parlais.. qui est médecin ? J'aimerais beaucoup la rencontrer en plus... vu ce que tu m'en as dit. Tu vois j'adore mon métier... mais je voudrais être capable de plus pouvoir mettre mes herbes en pratique... "
Lyra écarquilla encore les yeux, elle l'imaginait danser comme un virtuose mais cette image s’accompagnait d'une autre bien plus tenace : celle de sa chute.
" Tu fais souvent des chutes suite à tes entrainements ? En tout cas.... je veux bien que tu me montres des pas... mais... évite de tomber à nouveau devant moi... je ne voudrais pas encore.. t'assommer" finit-elle en tournant la tête comme si elle avait tenté de faire une blague.. mais qu'elle en avait honte. " Pardonne moi, mais comme tu m'as parlé de toutes ces chutes que tu as eu... tu as toujours une potion. C'est normal dans un sens.. tu peux être amené à faire des missions plus dangereuses... d'ailleurs pourquoi étais-tu en femme quand je t'ai trouvé ?
Ce passage traumatisant l'avait bien marqué, mais elle n'était jamais revenu dessus durant ces trois jours. Calixte s'était endormi presque tout de suite après ce qui avait mis un terme à toute sa surprise, mais pas à sa mémoire.
Et puis, ce serait l’occasion d’essayer de glisser davantage de cristaux à sa bienfaitrice, puisqu’elle ne semblait pas vouloir de dédommagement autre. Brièvement, il effleura l’idée de venir chez elle régulièrement pour se réapprovisionner, puis la raison l’emporta sur le cœur. S’il variait de fournisseurs et choisissait parmi les moins soucieux, c’était bien parce qu’il jouissait de l’anonymat ainsi obtenu. Lyra pourrait être une parenthèse agréable lors de ses passages au Village Perché, mais une parenthèse néanmoins niveau professionnel.
- Oh heu, répondit-il intelligemment à sa question sur son apparence initiale trois jours auparavant.
L’explication – le mensonge – qu’il avait préparée dès le début s’était un peu effacée de son esprit au fil des rondes du soleil, dépourvues de questionnement de la jeune fille.
- Il faut que tu saches, le devança Apolline d’un ton sérieux. Qu’il n’est pas le simple, gentillet, coursier de la Garde que tu penses voir là.
Les mains de Calixte haltèrent leur ballet au-dessus des herbes médicinales, et il fixa d’un regard incrédule la petite trousse qui se rapprochait de Lyra comme pour lui confier un secret.
- En réalité, il fait partie d’une secte adepte des travestissements et déguisements divers ayant pour coutume de se rassembler à l’occasion de concours de flatulences musicales tous les soirs de pleine lune des jours impairs.
Cal faire ça avec Zah, Lichael et Lia ?
Les sourcils du garde s’arquèrent haut sur son front tandis que l’âme artificielle poursuivait avec aplomb :
- Il lui arrive ainsi de profiter de quelques soirées esseulées – ou en compagnie de charmants camarades de route d’une tolérance à la hauteur de leur curiosité… ou manque de goût – pour s’entrainer à cet exercice délicat, afin de pouvoir briller – flatuler – de milles feux le soir promis venu. Si tu veux absolument savoir : sa sonate en fa mineur est véritablement détonante.
Apo toujours plein d’histoires intéressantes, nota Kaname en hochant songeusement de la tête.
Apo raconter bêtises, commenta Vreneli sans bouger du coin du feu où il s’était lové.
- D’où son amour pour les flageolets, conclut Apolline du ton de l’évidence. Tu aimes les flageolets, Ly-bellule ?
- Il se trouve que j’ai un objet de pouvoir permettant de changer transitoirement d’apparence – et de sexe ; ou inversement plutôt – qui, un peu plus tôt dans la journée, m’a permis d’accéder à certaines facilités sous forme féminine, soupira Calixte en tentant de rectifier le tir.
- Autrement dit, il pécho plus avec une paire de melons qu’avec son petit éléphant.
- Je… non, mais…
- Hé, ta valse à mille temps qu’on attendait depuis des lunes c’est pas avec ton service trois pièces que tu l’as débloquée !
- Oui, mais…
- D’ailleurs Ly-bellule, tu pense pas que les corps devenus féminins après une potion de changement de sexe – ou via tout autre artefact de magie – devraient être soumis aux affres de celui-ci ? Genre : les règles. Ou ptet que ça dépend de la qualité de l’enchantement. Imagine : tu commences ta journée tranquilou en pensant être pénard dans son corps d’emprunt pour allez faire le tapin et…
- Apolline…
- Quoi ? Tu crois que les gens achètent ce genre d’artifice pour quoi d’autre sinon ? Et donc, je disais : t’es prêt à faire le tapin et bim ! Obligé de passer tes heures enchantées à trouver en urgence quelques garnitures pour éviter de repeindre le sol autour de toi de vermeil ! Ça ne serait que logique, non ?
- … admettons. Mais si, comme tu le dis, l’objectif est de faire « le tapin », je pense que les enchantements ont pu se passer des détails, même plus réalistes.
- Mmm. Hé Ly-bellule, envie de voir à quoi tu ressemblerais en mec ? Ça dure huit heures par contre son bazar, pas plus pas moins. Et faut aimer les piqûres.
- Je crois que je préférai quand tu parlais de flageolets, grommela le coursier tout en se débattant mentalement avec la loutre géante qui s’interrogeait sur ce que pouvait bien signifier « faire le tapin ». Pour revenir à des sujets moins…
- Tendancieux ?
- … abscons ; concernant ton commerce Lyra, j’en parlerai à Luz si tu le souhaites. Lorsque tu dis que tu aimerais être capable d’utiliser tes préparations plus en pratique, qu’est-ce que tu entends exactement ? Simplement améliorer les conseils qui viennent avec la vente ? Ou soigner ; comme tu l’as si gentiment fait avec ma cheville ?
Ce qui réveillait d’autres curiosités chez l’espion qui était aussi intéressé d’en apprendre davantage sur la jeune fille que d’oublier la conversation avec Apolline.
- Je ne crois pas qu’on l’ait évoqué mais, si ce n’est pas indiscret : as-tu, à tout hasard, un pouvoir en rapport avec ça ou pas du tout ?
" Je pratiquerai un tarif ami, de quoi aurais-tu besoin exactement ? "
Si elle s'attendait à cette explication... oui et non... En fait, elle commençait à ressembler à Calixte en entendant l'histoire de sa fiancée... bien qu'elle essaie d'y porter du crédit. Malgré tout elle ne pouvait nier qu'elle avait une imagination débordante. Partagée entre ça y est c'est reparti dans le délire et une espèce de gêne, elle continuait d'écouter les déblatérations de cette petite trousse si pleine de vie. Mais où allait-elle chercher toutes ces idées en cascade ? Et surtout comment faisait-elle pour être aussi convaincante ? Cette réponse ne devait pas être connue par beaucoup de monde. Lyra se mit même à observer cet affrontement très singulier, on sentait bien qu'ils avaient l'habitude de s'envoyer des piques. Elle baissa les yeux à la mention des melons et du petit éléphant. Une valse à mille temps, cela lui donnait envie d'apprendre une nouvelle danse.. d'autant qu'elle avait une légère expérience avec Carciphona plutôt unique... Elle en avait encore des images très précises. Elle se demandait à quoi ressemblaient les valses que pouvait effectuer Calixte.. Elle se réveilla au mot "tapin", c'était un peu le genre de mot qu'elle n'entendait que très peu... Lyra écarquilla les yeux comme si elle venait de se réveiller.
" Le tapin ? Quoi ? Tu fais le tapin...? "
Son surnom lui plaisait en revanche, elle y répondait en souriant. Elle avait toujours trouvé les libellules particulièrement élégantes à survoler les lacs tout en légèreté. Pour le moment, la libellule était en stationnaire dans une conversation dont elle peinait à suivre tous les tenants et les aboutissants. En revanche par simple curiosité... elle se demandait si c'était aussi simple que cela de changer d'apparence. Elle en avait entendu parler.. mais elle n'avait jamais expérimenté.. Lyra eut une espèce d'image en tête, où elle aurait une tête différente... Mieux valait oublier même si ici ce qu'elle cherchait à oublier était principalement non pas cette histoire de flageolets, mais toute la discussion d'Appoline.
" Oui... c'était... tendancieux.. "
Dans l'affaire, ses pensées avaient navigué d'une idée à l'autre comme si elle cherchait à suivre Appolline comme si elle ne savait pas qu'il était difficile de la suivre. Elle s'obstinait pourtant toujours à le faire. Calixte avait finalement enfin réussi à avoir le dessus, Lyra put reprendre sa tête plus normale.. Elle avait tellement été retournée qu'elle en avait oublié sa question de base, ou peut-être ne voulait-elle pas une autre démonstration du légendaire savoir-faire d'Appolline. En vérité, elle lui tapota ... un peu le haut de sa poche de cuir comme pour lui dire que tous ses efforts méritaient cette petite tape amicale. C'était un peu déconcertant tout de même cette âme artificielle. Son attention se reporta de façon plus figée sur Calixte.
" Mon rêve est d'offrir des soins à ceux dans le besoin... donc oui être médecin est mon souhait le plus cher. J'ai commencé par l'apprentissage des plantes si tu veux... la raison est.. très simple... et tu as tout à fait raison.. Elle est liée à mon pouvoir."
Comme ils étaient en journée, son pouvoir n'était pas actif ; elle ne pouvait donc lui faire de réelle démonstration. Elle inspira tranquillement en prenant son temps de lui énoncer les choses. C'était un sujet très personnel, elle ne se voyait pas l'évoquer sans lui proposer de partager quelque chose. Elle se leva pour chercher des biscuits au citron et au miel cuisinés la veille. Lyra ne supportait de ne pas avoir ce qu'il fallait pour recevoir. Les chasseurs lui avaient appris que les invités peuvent toujours survenir à tout instant. Elle posa l'assiette sur les genoux de Calixte.
" ... J'ai des soucis de santé, mon pouvoir m'a maintenu en vie. Je me régénère si la lune monte dans le ciel... J'ai juste des faiblesses quand c'est une éclipse, mais je travaille à trouver un moyen de palier ce problème. Et j'ai toujours pensé à ce qu'il serait advenu de moi si j'avais eu un autre pouvoir... "
Tandis qu'elle parlait, elle ne le regardait avec intensité. Ces paroles vibraient en elle comme une sorte d'aveu vraiment profond.
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"... Disons que je veux offrir la chance que j'ai eu.. à d'autre. Enfin... Hum.. pardon pour ce moment, tu veux toujours voir la boutique ? C'est juste une porte entre la salle d'eau et la chambre. Nous allons apporter ce que tu as découpé, je vais faire les faire sécher.. et nous pourrons discuter de ce que tu souhaites emmener."
Ly-bellule gentille !
Oui, très gentille.
Va se marier à Apo ?
Heu non. Je n’espère pas pour elle.
Dommage ! Viendra à volière ?
On verra. Mais ça pourrait être intéressant pour elle. Et pour Luz.
- Ne t’excuse pas pour ce moment, finit-il par répondre doucement en posant légèrement ses doigts sur ceux de Lyra. Je suis heureux de pouvoir le partager avec toi. Néanmoins je ne peux que m’interroger : du fait de ces soucis de santé, et malgré ton pouvoir, n’es-tu pas en difficulté dans ton quotidien ? N’est-il pas un peu… audacieux, de vivre seule ?
- Oh ! On peut t’emporter avec nous ! On pourra te faire une petite place au Bastion. Voire se trouver une maison familiale toi et moi, après notre mariage. J’ai bien envie d’un petit cottage sur le littoral. Avec une cave réservée pour nos activités lubriques à venir. On pourrait l’appeler la fisti…
- J’ai toujours envie de voir ta boutique, coupa Calixte en lançant la trousse un peu plus loin.
Amusée, Kaname décrut de taille et partit à la poursuite de l’âme artificielle roulant à travers la pièce.
- Laisse-moi juste le temps de vérifier mes affaires et tu pourras me montrer.
Il tendit l’assiette à la jeune fille et retourna précautionneusement auprès de ses sacoches. Il y avait une partie de ses stocks qui était répartie entre son grand sac sans fond et les paquets de Kaname. L’autre, en bien moindre quantité et plus réfléchie, était présente dans sa ceinture d’espion. Passant ses doigts d’une réserve à l’autre, il nota mentalement les préparations qui risquaient de lui manquer rapidement.
- Il me faudrait éventuellement quelques bleuets des champs, du beodassa, du pavot somnifère et de la villaope, nota-t-il en omettant les produits moins légaux. Penses-tu en avoir ?
Ils se répartirent les préparations entre leurs paires de bras, et Lyra ouvrit la marche vers le passage attenant menant à sa boutique. L’odeur des plantes, presque vertigineuse, mélange de leurs parfums fleuris et boisés, les accueillit en premier. Comme le temps maussade avait laissé une chape d’ombres sur les lieux, Calixte attendit prudemment que l’herboriste activât quelques cristaux de lumière avant de s’aventurer davantage le long des étagères garnies. Ses yeux parcourant avec avidité les étiquettes des produits exposés.
- Tu as beaucoup de monde qui passe ici ? Ça n’est pas trop compliqué de te réapprovisionner ? demanda-t-il en arrêtant sa curiosité sur de larges boites de fer. Tu vends uniquement sous forme séchée ? Ou aussi en poudres, crèmes, huiles essentielles et autres galéniques ?
Repensant à ce que la jeune fille lui avait dit un peu plus tôt, il fronça les sourcils et agita une main désinvolte.
- Quant au prix d’ami, je t’en prie, pas cette fois-ci. Je ne peux décemment pas abuser de ton hospitalité, de tes soins et de ton commerce ; ce serait presque criminel. Et puis je m’en voudrais de ne pas payer ton travail à sa juste valeur.
Quittant les produits qu’il examinait, il rejoignit Lyra un peu plus loin dans la boutique, son regard balayant avidement les reliefs – et trésors – de celle-ci.
- Il faudra certainement réaménager les choses si tu arrives à, en plus, obtenir ce statut de médecin que tu vises, nota-t-il songeur. Mais c’est un bien joli commerce par ailleurs. Tu as pu l’hériter – ou le récupérer – quasiment en l’état, ou tout est de ton fait ?