Dévider les fils du souvenir



Quelques jours avant les évènements.

L'air s'attiédissait de jour en jour, bientôt, la saison chaude ne serait qu'un souvenir lointain, sujet principal des retrouvailles et douce nostalgie, regrettant les après-midis à paresser au soleil. Malheureusement et pour beaucoup, ce ne fut pas une saison de tout repos et nombre de personnes vécurent de curieux évènements, tout comme si une entité toute puissante las d'un quotidien trop joyeux avait décidé de faire bouger les choses et incité à l'action de pauvres âmes innocentes. Oh, Nora n'était pas à plaindre, bien qu'il ne conserve pas de souvenir particulièrement joyeux de cette période étouffante, il ne comptait pas parmi les plus malheureux. Le désir de changer d'air s'était prononcé et le verdict, inévitable, ainsi l'aventurier s'était pointé à plusieurs reprises aux bureaux de la Guilde à la recherche d'une mission l'emmenant proche des côtes, éventuellement, ou bien dans les terres au sud ou à l'est ? Le nez perdu dans les propositions toutes moins intéressantes les unes que les autres, ce fut le destin lui-même qui vint chercher la tête brune, au travers d'un courrier livré par un jeune homme cherchant à gagner sa croute. Le chasseur le délesta de la lettre à son nom et lui offrit quelques cristaux pour sa peine, ravit d'avoir pu offrir le sourire à un honnête citoyen. A première vue, l'enveloppe semblait banale mais une fois retournée, le chasseur reconnu un sceau frappé dans la cire, celui de la garde. Une convocation, donc ? Il tira de son enveloppe la missive et ses pupilles glissèrent entre les lignes à toute vitesse, effectuant une première lecture rapide avant de s'attarder sur les détails.

Il semblerait que le traqueur allait devoir allonger son séjour en ville, car – ayant vu juste en supposant une convocation – il reçut une date et une heure bien trop proche du jour actuel pour entreprendre le moindre périple, au risque de se mettre en retard et dans l'embarras. Il valait mieux ne pas manquer ce genre de rendez-vous, au risque d'être amené par la peau du postérieur jusqu'au bureau dans lequel on est convoqué. Il laissa alors filer un long soupire, plia le papier pour le retourner dans son premier support et le rangea dans son sac sans fond. Il faudrait donc s'occuper quelques jours en ville avant de pouvoir retrouver sa liberté, qu'allait-il bien pouvoir faire pendant tout ce temps ?

Le jour-même.

Partant de bonne heure d'une auberge modeste, Nora vit se dessiner les étendards marqués du blason de la garde, pendant à chaque fenêtre d'un bâtiment pour le moins impressionnant. Dix minutes à l'avance, planté devant la caserne, l'aventurier franchit la boule au ventre son entrée, se sentant comme de trop dans ce décor bien trop stricte. Oh, il avait bien été garde provisoire et avait même pu visiter des locaux réservés aux défenseurs de la justice, mais en pleine conscience du genre d'entretien qu'il allait affronter, ce jour-là. Aujourd'hui, la note était restée évasive sur la nature de la demande qui serait formulée, évoquant simplement son premier témoignage au Village Perché concernant une affaire de kidnapping. Il fut compliqué de réprimer l'anxiété prenant lentement de plus en plus de place dans les pensées du garçon. Une jeune femme en armure vint à la rencontre de Nora, l'accueillant dans l'encadrement de la porte menant au bureau qu'ils allaient emprunter. Ils se saluèrent, elle l'invita poliment à s'installer et commença à décrire la situation sitôt son attention entièrement captivée.

Il s'agissait donc d'un témoignage à livrer sans omettre le moindre détail, concernant cette certaine Natalia rencontrée dans la montagne. Ou plutôt, de ce qui était liée à cette étrange demoiselle ne s'avérant être rien de plus qu'une poupée de bois, au final. Les souvenirs étaient troublés par le temps, bien que le chasseur pu se remémorer parfaitement les émotions qu'il avait éprouvé ce jour-là. Une méfiance sans égale, flairant un comportement suspect, une rage face à son impuissance et finalement, la culpabilité d'avoir tiré sur un être humain. Ainsi par où commencer et comment retranscrire au mieux la scène ? Il faudrait certainement aussi occulter ses émotions du récit pour ne laisser qu'une empreinte objective et au plus fidèle possible. Après une courte inspiration, Nora entama son récit.

- "C'était entre la fin de la saison douce et le début de la saison chaude. Je partais en quête avec un cuisinier ambulant du nom de Faolan, il y avait aussi son petit, Melta. Il me semble qu'il devait avoir trois ans ... ou était-ce deux ? Un petit enfant, parlant encore avec difficulté. Nous avons fait la route ensemble en partant du Village Perché jusqu'au flanc de montagne le plus proche en partant vers l'est, là où pousse la variété de fleur que l'on cherchait. Notre première nuit, une fois arrivé sur place, se déroula dans une bâtisse abandonnée et nous n'avions pas convenu d'un roulement pour surveiller les alentours, à vrai dire, on pensait être en sureté. C'est alors qu'une femme du nom de Natalia fit son apparition, prétendant être une cueilleuse de fleur pour nous approcher et profiter de l'abris avec nous. Son comportement était ... changeant, comme si elle passait d'une émotion à l'autre en un instant, je n'aimais pas trop cela mais ça ne semblait pas plus inquiéter mon partenaire, je n'ai donc rien fait à ce moment."

Le brun prit une petite pause, sentant la soif le guetter après avoir débité bien plus de paroles qu'à son habitude. D'un coup d'œil vers son sac sans fond, il hésita à en tirer sa gourde fontaine avant de renoncer, privilégiant un récit ininterrompu et la désaltération en suivant.

- "Elle nous a proposé un jeu, un pari dont les clauses sont restées obscures, avec pour nous une chance de récupérer le fruit de sa récolte, il s'agissait des fleurs que l'on cherchait. La situation a éclaté avant la fin du jeu et elle a appelé un sanglier des montagnes dressé, répondant à son nom, il était aussi bien plus gros que la moyenne. Elle a ensuite kidnappé Melta sous nos yeux et a tenté de prendre la fuite avec. Nous sommes sortis en vitesse sur sa piste et j'ai eu l'occasion de tirer une flèche pour tenter de l'arrêter. Le tir a touché et elle est tombée de sa monture, on a pu récupérer le petit, mais c'était étrange ... elle ne saignait pas, au contraire, sa peau semblait faite de bois lisse, comme celui des mannequins articulés. Elle s'est éteinte peu après sa chute en disant quelque chose d'étrange ... il me semble que c'était dans le genre que l'enfant aurait été parfait. Je n'ai pas encore pleinement compris ce qu'elle voulait dire, à ce moment."

Après avoir terminé son histoire, le brun approcha son sac pour en tirer une petite bourse en cuir qu'il posa sur la table, attrapant par la même occasion sa gourde qu'il garda fermée pour le moment.

- "Dans cette sacoche se trouve tout ce que j'ai pu ramener de Natalia, des bouts de bois séparés à l'impact de la flèche."

Le temps qu'elle termine d'écrire et examine la pièce à conviction, il prit une grande lampée d'eau et retint un soupire satisfait. Il aurait été inconvenant de sa part de briser le silence d'or, ainsi que potentiellement la concentration de cette fameuse Dahlia. Il se permit alors de reprendre la parole lorsque son interlocutrice relâcha son attention.

- "C'est une histoire assez inquiétante, si vous voulez mon avis ... quel genre de malade essaierait de kidnapper sous les yeux de son parent un enfant et pour quel critère serait-il parfait ... ?"

Une main contre sa propre tempe et son regard se perdit dans le néant. Le mystère était resté entier depuis bien longtemps et qui sait si le maniaque à l'origine de ce premier incident n'avait pas réitéré l'opération ? Le chasseur se pinça la lèvre et voulu retenir une interrogation, malgré quoi sa curiosité prit le dessus et les mots franchirent ses lèvres sans aucun filtre, dévoilant pleinement sa pensée face à la demoiselle.

- "Mademoiselle Delancy ... si j'ai été convoqué après tant de temps, c'est qu'il y a une nouvelle piste, je me trompe ... ? D'autant plus à la Capitale, alors que l'incident s'est déroulé dans les montagnes ... je ne supporte pas l'idée de savoir des familles séparées."

Il serra les poings sous la table. Bien heureusement, il y a plusieurs lunes, il avait réussi à tirer Melta des griffes d'un terrible complot. Mais si par malheur il avait échoué, la culpabilité l'aurait rongé, peut-être à vie. La peine d'un enfant soudainement orphelin n'était pas étrangère au garçon, celle d'un père privé de son enfant devait être toute aussi douloureuse. Encore aujourd'hui, Nora gardait la conviction que Lucy avait porté son tir, le soir de l'enlèvement.

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Il ne s'attendait pas à une réponse aussi concise. Son relationnel commun avec les membres de la garde s'arrêtaient là où commençait sa curiosité. Et ce fut peut dire, il en a souffert plus jeune, il y a cinq ans lorsque à peine majeur, il tenta de retrouver la piste de son père pour la première fois, perdant au même instant sa mère dans un mystérieux incendie. Cela le peinait de le reconnaître, mais au travers de cet échange, il eut du mal à reconnaître Dahlia comme une alliée. Elle avait certainement des clauses à respecter et s'il s'attendait à encaisser un refoule froid et peu conciliant, ce fut le contraire qui choqua les oreilles du garçon. Elle lui donna un bref résumé de la situation, aussi il trouva dans son regard une toute autre palette de sentiments, précieuses informations qu'il put traduire comme similaires aux siennes. Ils étaient en résonnance. Sa demande suivante n'attendit pas longtemps avant de trouver une réponse du chasseur.

- "J'accepte."

Ferme, décidé, tout ce qu'il y avait de plus direct, comme s'il s'était tenu prêt à l'aider aussitôt avait-elle entamer son récit. Nora n'est pas un mercenaire, ni rien de plus qu'un garde d'un jour. Il ne partage peut-être pas les mêmes méthodes ni l'autorité d'une garde, mais pour autant, leur but était similaire et il planta ses iris brûlantes de détermination dans celles mauves de Dahlia.

- "Si je peux vous être de la moindre utilité, je le ferais. Pas pour la garde, mais pour les familles brisées. Lorsque Nat ... la poupée de bois s'est éteinte, sa voix a changé. Je suis intimement convaincu qu'elle peut constituer un indice suffisant, c'était celle d'un homme, un adulte."

Il posa de nouveau une main sur sa tempe et la massant, tenta de se remémorer le timbre exact. Bien que l'évènement ait été traumatisant, sans piqure de rappel, il lui serait compliqué de retrouver la même sonorité. Tout au mieux, il se doutait qu'il devait avoir terminé de muer, le côté rauque laissa supposer qu'il avait au moins 25 bougies ou plus, dans ces eaux-là. Retournant à l'instant présent, Nora croisa le regard de la demoiselle et son air décidé. Il était fort probable qu'elle ne tienne pas non plus l'injustice dans son cœur, au contraire, il était préférable de s'imaginer que ce n'était le cas que d'une minorité et certainement pas d'un garde. Aussi semblait-elle impliquée dans le malheur d'autrui, se conduisant en rôle modèle parmi les siens, tout en inspirant une aura de sûreté au jeune homme pourtant bien prudent.

- "Je ne peux vous promettre de rester de marbre face au malheur des autres ... je pense que vous pouvez comprendre ce sentiment. Je suis prêt à vous suivre sitôt que tout sera en ordre pour vous, mademoiselle Delancy."

Un kidnappeur d'enfant sévissant au sein-même de la Capitale, voilà un détail qui n'est pas anodin. Aussi démunis soit certains quartiers, la garde effectuait malgré tout des patrouilles régulières et la possibilité de voir quelqu'un s'en sortir avec de tels méfaits firent s'hérisser les poils du garçon. Ce genre de crime immonde ne pouvait décemment pas rester impuni, si bien qu'il fut légitime pour lui de se poser la question : arriverait-il à appréhender de manière pacifique un tel énergumène, ou plutôt serait-il submergé par ses émotions ? Il se savait quelque peu impulsif par moment, malgré son amour de la prudence, mais certains sujets le touchent simplement plus que d'autres. Si ce genre de personne n'existait pas, peut-être aurait-il encore sa famille et aurait-il lui-même rejoint la garde. Si seulement, pourtant le monde n'est pas aussi beau que cela. La dure fatalité et le souvenir de son rêve d'enfance lancèrent une pointe d'angoisse dans le cœur de Nora, il se mordit de nouveau la lèvre.

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La garde souligna là tout l'intérêt qu'il vienne. Élaborant en partie sur le fait qu'il fut un témoin auditif, ainsi ils seraient plus avancés qu'à elle seule s'il devait être question d'identifier ce genre d'élément. Enfin, ç'aurait été gros que tout se passe aussi simplement, mais ne laissant passer aucune chance, leur devoir, aujourd'hui commun, était d'éclaircir chaque piste et ce autant qu'il leur était permit de le faire. Alors avec elle, Nora se leva et envoya son sac par-dessus son épaule, l'air décidé, poing serré en guise de résolution. Le chemin du retour vers l'extérieur lui aurait presque fait languir l'air du grand sauvage, lui étant peu adapté à la vie dans un bureau et ce aussi bien entretenu soit-il. L'odeur de pierre dressée, de poussière, de papier, voici des charmes auxquels il n'était pas vraiment sensible et ce bien au contraire. Pour rien au monde il ne troquerait les fragrances de la sève et de l'herbe mouillée au petit matin.

A plusieurs reprises, durant le début du trajet, Nora sentit le regard de sa nouvelle partenaire et ces quelques œillades discrètes lui furent rendues sans trop de gêne bien au contraire. Au premier abord, elle avait l'air d'une femme plutôt stricte et réservée, mais son élan de justice l'avait ému, aussi ne pouvait-il se refuser de penser à une facette plus douce de sa personnalité. Une personne éprise de justice ne pouvait pas être mauvaise, voilà une certitude pour le brun qui chercha à décrypter chaque regard, chaque geste de la demoiselle, marchant à un demi-mètre en retrait jusqu'à ce qu'elle initie la conversation.

- "Compris, D-Dahlia."

Il venait de bégayer et s'en mordit la lèvre. Sa composition en avait certainement pris un coup et pourtant, il ne voulait laisser sa couverture assurée lui faillir. Cet exercice étant pour lui des plus sérieux, il ne voulait laisser aucune place à la timidité et s'était tiré dans le pied en se précipitant à lui répondre. Il se racla alors la gorge et reprit son ton calme et posé, parlant plus distinctement pour éviter un deuxième incident du même genre.

- "J'y passe de temps en temps, pour le marché, la guilde, j'ai aussi quelques amis dans le coin."

Et il allait sans dire qu'il ne lui présenterait pas un certain ex-mercenaire coincé dans le corps d'une jeune femme innocente. Pour autant, même si ses méthodes semblent détestables, il est aussi un excellent coéquipier dans une majorité de situation épineuse. Aussi, s'il devait s'avérer que son enquête avec Dahlia soit infructueuse à la fin de la journée, il passerait sûrement le voir pour lui demander quelques renseignements à ce propos. Nora se rendit compte assez tard que sa réponse ne laissait pas beaucoup de débouché pour poursuivre la conversation sans trop d'indiscrétion et fut alors rassuré de voir la demoiselle l'emmener sous un porche après quelques pas dans un quartier défavorisé. Elle émit une proposition qui semblait être intéressante et si le grand brun s'en gratta le menton avec une mine songeuse, ce fut simplement pour tenter de se remémorer ses expériences avec les enfants par le passé. Et elle se résumait au bambin tout craquant qui avait manqué de se faire kidnapper par le criminel qu'ils pourchassaient, pour autant il ne souhaitait pas faillir à sa coéquipière et acquiesça après un temps voué à la réflexion intense du dialecte qu'il allait devoir employer.

- "Faisons ainsi. Je vais tenter une approche."

L'aventurier prit un instant pour décrocher son arc de son attache au sac, de même pour son épée avec le fourreau, il dut même retirer partiellement sa ceinture pour ainsi procéder et fit dos à Dahlia pour toute cette partie-là. Ne sait-on jamais quel genre de situation peut-être mal interprété lorsque Nora, lui, ne souhaites y voir que l'expression de son propre sérieux. Ainsi il glissa ses armes à l'exception de sa dague dans le sac sans fond et cacha cette dernière sous le drapé de tissu gris lui servant de cape au quotidien. Puis il tourna au coin de la rue après un dernier regard vers Dahlia pour observer les lieux. Comme précisé par son amie, l'ébauche d'usine abandonnée ne laissait en rien penser qu'on y trouverait qui que ce soit et pourtant, ne souhaitant douter de ses paroles, le jeune homme observa minutieusement une manière d'en contourner le portail, fermé et condamné. Il y avait bien un passage au ras du sol qui servait certainement d'accès pour les enfants pouvant s'y glisser, mais lui passa plutôt son tour à l'avantage de l'escalade, activité bien plus accessible à un adulte de sa taille. Il prit quelques mètres d'élan puis s'élança en direction du mur, sautant à un demi-mètre de celui-ci et plaquant le plat des orteils contre sa paroi robuste afin de s'y projeter plus haut. Bras tendus et lancé par la vitesse, il n'eut aucun mal à tracter sa masse et celle de son sac par-dessus l'obstacle. L'instant suivant, il se laissa glisser de l'autre côté, assumant sans trop de mal la chute de deux mètres, jambes ballantes côté cour.

Ses semelles frappant le sol et levant la poussière furent le premier pas pour lui dans un nouveau rôle qu'il mijotait depuis quelques minutes. Il faudrait gagner la confiance de ces enfants et déterminer s'ils sont en possession d'informations intéressantes, pour se faire, ses airs d'aventurier taciturne ne seraient d'aucun effet, à moins qu'il ne se fourvoie totalement sur ce qu'aiment les enfants, ce qui n'aurait été pas si surprenant que ça. La porte d'entrée du bâtiment était condamnée au même titre que le portail, il fallut donc contourner la bâtisse principale pour apercevoir une seconde sortie, elle démunie de chaîne entravant l'accès. Face à ce passage marquant le début officiel de son numéro de comédie, Nora s'y engouffra en prenant une dernière bouffée d'air frais.

L'intérieur n'avait pour éclairage que la lumière filtrant au travers des carreaux poussiéreux, laissant dans les rares rayons passant au travers du verre brisé un aperçu de la poussière ambiante qui se levait à chacun de ses pas. Si l'endroit était parsemé d'empreintes de pieds nus ou de rares souliers, aucune piste ne semblait plus vieille qu'une autre, sûrement avait-il emprunté un accès différent des garnements nichant en ces lieux et cela expliquerait aussi que malgré l'espace largement ouvert, il n'y voit aucune tête blonde ou brune jouant avec ses camarades. Un coup d'œil circulaire lui assura la présence d'un escalier en colimaçon dans le fond d'une pièce et fut bien assez rapidement sa seule piste pour poursuivre l'investigation des lieux. Ses pas résonnèrent dans l'amplitude déserte d'une salle privée de ses aménagements passés, réduite à servir de planque pour quiconque arrivait à s'y faufiler. Nora s'arrêta face aux escaliers et cru percevoir une respiration à l'étage. Redoublant de concentration, il grimpa deux par deux les marches et découvrit une pièce ... vide. Soudain, un poids pesa sur ses épaules et le fit tituber en avant, puis sans voir ce qui bloquait ses jambes, il trébucha en grognant sourdement. Finalement il sentit son sac se faire tirer et pu exercer une pression inverse pour le récupérer, se tournant vers un groupe d'enfants au nombre de quatre, allant de huit à quatorze ans, environ. Le plus âgé tenait d'ailleurs une lame dont le fil avait été ébréché par l'usure et les conditions d'entretien, malheureusement, il était suffisant pour occasionner quelques blessures. Nora prit alors le temps de s'épousseter en se relevant calmement, si bien pour son rôle qui tombait à l'eau, les enfants se groupèrent comme une meute de chats sauvages effrayés.

- "T'es qui ? Tu nous veux quoi ?" s'exprime le plus vieux.
- "Du calme, je cherche quelqu'un."
- "Qui ça ? On a rien vu nous."
- "Vous en êtes sûrs ?"

Répondu du tac au tac, le trouble s'installa rapidement dans le regard des petits qui se concertèrent entre eux avant de tenter de bégayer une réponse, ce à quoi le chasseur leva une main pour imposer le silence. Il chercha alors dans sa bourse un petit lot de cristaux et s'avança vers un des petits.

- "Tends ta main."
- "Qu'est-ce que tu nous veux ?"
- "Juste discuter ... et vous aider."
- "Tout les adultes sont pareils !"
- "Qui vous dit que je suis un adulte ?"

Un regard intrigué et Nora agita sa poignée devant l'enfant le plus proche qui timidement approcha ses deux mains. Il y lâcha la pluie de cristaux, ses maigres économies mais pour autant qu'elle puisse lui apporter des renseignements et aider des enfants démunis, il n'y perdait rien, au final.

- "Pourquoi tu nous donnes ça ? Tu crois qu'on est aussi stupide que Denzell ?"
- "Denzell ? Un camarade ?"
- "Non, c'est un idiot ! Il a parlé avec des adultes alors il fait plus partie de notre bande !"
- "Pourquoi vous détestez tant les adultes ?"
- "Ce sont des menteurs ! Ils disent faire les choses pour notre bien mais personne ne nous aide ! Si Maggy ne volait pas aussi bien, on devrait manger des rats tous les jours !"
- "Ce n'est plus le cas, vous avez un peu d'argent maintenant. Ce Denzell, vous l'avez vu il y a pas longtemps ?"
- "Non ... il doit trainer avec ses potes les adultes ! C'est un menteur aussi, il a dit qu'on resterait qu'entre nous !"

L'air songeur, Nora observa un peu mieux la pièce pendant cette brève accalmie dans les hostilités, puis reporta son attention sur le groupe d'enfant.

- "Vous n'êtes que vous quatre à connaître cette cachette ? Avec Denzell ?"
- "Non, il a essayé de faire venir une fille un jour, elle était adulte alors on lui a dit de partir !"
- "Une fille ... ? Quel âge il a déjà ?"
- "Hein ? Euh ... comme moi, je crois."

Un jeune adolescent, donc.

- "Et cette fille, elle était comment ?"
- "Bizarre, elle voulait jouer avec nous."
- "Un jeu ... ?"
- "Ouais, mais on lui a dit que les adultes sont interdits ici et on l'a fait partir, Denzell voulait pas la lâcher."
- "Et vous l'avez revu, après-ça ?!" pressa Nora.

Le ton du chasseur devenu soudainement impatient fit reculer le petit groupe et il paniqua un instant avant de s'excuser.

- "Je suis désolé d'avoir crié ... Ça m'a échappé ... Il est parti avec cette fille, du coup ?"
- "Oui, on l'a pas revu après non plus ..."

Nora se mordit la lèvre, il redoutait sa prochaine question et pourtant, il n'avait pas le choix de la poser.

- "Elle portait sur elle un signe distinctif ? Quelque chose qui la rendait reconnaissable ? Elle vous a proposé quel jeu ?"
- "Euh ... Elle avait une grosse robe et ... elle voulait jouer à un jeu avec des dés ... je crois que c'était le Perudo."

Son sang ne fit qu'un tour. Nora serra ses poings pour contenir la haine grandissante et au travers de son air forcé, cela dû transparaître car le petit comité semblait un peu plus paniqué. Le même jeu qui avait faillit causer la perte du petit Melta, il y a de ça plusieurs lunes, ainsi qu'une description similaire du kidnappeur, utilisant sans douter une seconde marionnette pour limiter les risques de se faire prendre.

- "T-Tu dois partir, les adultes ne sont pas autorisés !"
- "A-Attendez, ça fait combien de temps que cette fille est passée ?!"
- "On sait plus ! Va-t'en maintenant !"
- "S'il vous plaît faites un effort ! Il faut la retrouver à tous prix !"

La patience visiblement à bout du plus grand lui fit de nouveau dresser son arme face à l'aventurier qui recula d'un pas, mains en évidence. Il ne souhaitait pas effrayer les enfants et porté par la panique, avait agit compulsivement. Il se mit à genoux et posa son arrière-train sur ses talons, gage de sa faiblesse présente. Une piste si concluante ne pouvait pas tomber à l'eau maintenant et pourtant, tout semblait parti pour.

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Tout espoir semblait perdu et pourtant, Dahlia intervint. Nora lança vers elle un regard perdu, comme si à une table de poker, elle lançait un bluff avec une main abominable. Pourtant, nulle manigance ne franchit ses lèvres, simplement la vérité immuable qu'avait tenté de représenter le jeune homme, l'instant d'avant. Était-ce l'aura charismatique de la jeune femme qui toucha les enfants et permit de desceller leurs lèvres ? Son ton, calme et posé, reflétait sans mal ce que Nora fut trop gauche pour exprimer et pour cela, il se fit petit de peur de rompre le charme. Mué dans un silence presque religieux, l'aventurier écouta l'échange sans faire de vague et nota le nom de la taverne mentalement. Aucune qu'il connaissait ne portait un nom pareil, mais n'étant pas un gros client de manière générale, ce fait là ne l'inquiéta pas plus qu'autre chose. Le regard de la demoiselle croisa celui de l'aventurier et sans un mot, ils s'accordèrent à approfondir cette piste ensemble. De retour sur ses appuis, Nora laissa Dahlia partir devant et accorda un dernier regard aux petits. Ils avaient l'air méfiant de tout, l'innocence avait été battue dans leurs yeux, assassinée par le poids du destin les incombant. Il détourna alors le regard et avant de disparaître totalement de leur champ de vision, répéta à mi-voix.

- "Nous allons le ramener."

Il quitta alors les lieux sans regarder par-dessus son épaule. Si le sort de ces enfants était désastreux, celui de Denzell était potentiellement critique et ils ne pouvaient se permettre aucune trêve tant que son cas n'avait pas été confirmé. Ainsi le brun retrouva sa partenaire en quelques foulées agiles et à quelques mètres à peine pour retourner à sa hauteur, entama d'une voix légèrement agitée.

- "Tu connais cet endroit, le Sanglier blanc ?"

Il marqua une petite pause et calqua le rythme de ses pas à celui de Dahlia.

- "Ce n'est peut-être qu'une coïncidence, mais notre homme a l'air d'apprécier les sangliers, avec Melta, c'éta-"
- "Ô Perudo ! Ô Perudo ! Pourquoi es-tu *hic* Perudo ?"

Nora se figea une fraction de seconde, celle d'après, il talonnait la garde pour rejoindre la ruelle d'où provenait la voix. Elle fut la première sur les lieux et empoigna le col d'un mendiant qui lui offrit un sourire mal aligné. Enfin, s'il lui restait assez de dents pour aligner quoi que ce soit. Son état ne lui permit pas de répondre à la question de Dahlia et celle-ci lança alors un regard désespéré au chasseur qui eut – sans surprise aucune – une idée pour le forcer à parler. A mi-voix, il annonça.

- "Je suis à peu près sûr qu'entrer par effraction dans un bâtiment est un crime ... qu'en est-il pour la tête des gens ?" Il soupira longuement. "C'est pour Denzell, excusez-moi, vieil homme."

Nora approcha alors une main de l'épaule du mendiant et ferma les yeux. Fronçant des sourcils en puisant dans sa concentration, il canalisa Memoria assez longtemps pour trouver les 15 dernières minutes de mémoire du personnage.

Il était assis à un bar. La tête lourde et les sens amoindris, seule son ouïe semblait encore fonctionnelle, en comparaison de la vue ou du toucher. Une voix gaillarde l'interpellait.

- "Eh, Farel, doucement sur ta consommation, je ne suis pas sans te rappeler que ton ardoise n'a fait qu'enfler, ces derniers temps."
- "Ça va ... ça va ... je vais te la payer ... regarde."

Il se tourna et jeta un coup d'œil à droit puis à gauche, avant de repérer sur une table discrète une demoiselle encapuchonnée et son enfant, accompagnés d'un homme plutôt mal luné. Visiblement agressif, il haussait la voix sur son interlocutrice.

- "Je ... comment ... c'est de ta faute, satanée ..."
- "Xav ! Tu ferais mieux de ne pas jurer devant un mioche si tu veux pas que je te sorte d'ici à grand coup de pied, là où je pense !"

La même voix ayant interpellé Nora plus tôt venait de tonner comme un orage, laissant un blanc immaculé dans l'ambiance jusqu'alors plutôt joyeuse. L'homme acariâtre entama alors une série de grommellement et quitta le bar en tenant difficilement sur ses deux jambes. Alors Nora – ou plutôt, le souvenir – s'avança vers cette table et salua la jeune femme au sourire charmeur.

- "Excusez-moi hum ... mam'zelle. J'vois là que vous faites une partie de Perudo, sachez que dans ce bar, on fais pas plus fort que moi à ce jeu."
- "Plait-il ? Allons, je ne suis pas femme à refuser un défi de ce genre. Jouons donc une courte partie, j'ai d'autres occupations qui malheureusement, ne me laisseront pas le loisir de m'amuser autant que je le veux. Parions-nous quelque chose ?"
- "Oh, z'en faites pas pour ça. Que diriez vous de parier en cristaux ?"
- "Je n'ai guère besoin d'argent. Mais soit. Si je gagne, vous me serez redevable d'un maigre service. Est-ce bon ?"

L'esprit du chasseur fulminait. Un pari énigmatique, comme l'avait fait la marionnette autrefois. Si les deux ne se ressemblaient absolument pas, la méthode employée semblait hautement similaire. Ainsi les deux furent tirés et à tour de rôle, ils jouèrent. Sur un bluff de la demoiselle, le mendiant la dénonça et gagna la manche. La jeune femme garda un calme exemplaire et se leva de table.

- "Je reviens dans un instant."

Sous le regard inquisiteur du vieillard, elle s'en alla jusqu'au bar et tira une bourse tintant de précieux cristaux.

- "C'est pour l'ardoise de ce monsieur. Je lui paie également un verre de votre liqueur la plus forte."
- "Ohoh, c'est bien généreux de vot' part, mam'zelle ... z'auriez pas un p'tit nom ?"
- "... non. Félicitation pour votre victoire et au revoir, cher monsieur."

Et elle fit un signe à l'enfant au regard fuyant, resté en retrait le temps de la partie, puis ils quittèrent les lieux. Nora et le patron du bar échangèrent un regard intrigué avant que l'homme libre de dette ne vienne récupérer son verre au comptoir. La suite ne s'avéra alors être que banale discussion doublée de grivoiseries, puis il quitta la taverne en titubant, s'enfonçant dans les ruelles en chantant son air à tue-tête, visiblement heureux de sa victoire.

Nora revint à ses sens avec un léger mal de crâne, rouvrant subitement les yeux et titubant par réflexe. Son équilibre parfait eut le don de le surprendre, après avoir passé un quart d'heure dans la peau d'un vieillard bien arrosé.

- "Il y avait bien quelqu'un ... je ne peux pas dire pour sûr si c'était bien elle, mais on a une piste ! Elle est partie il y a une dizaine de minutes à peine, il faut la rattraper ou demander des informations à la taverne ..."

Et sans plus de formalité, le brun se hâta en direction de leur destination. En quelques minutes à peine, ils se trouvaient devant et comme escompté, aucune trace de la demoiselle en question. L'aventurier serra les poings et pesta dans son souffle en jetant un œil sur la droite pour y voir une avenue assez fréquentée pour noyer un individu dans la masse. A gauche, un réseau de ruelles discrètes dans lesquelles il serait aisé de se faufiler pour y disparaître. Finalement, face à lui, la porte aux gonds grinçants de la taverne. Il jeta un regard un peu désemparé à son alliée.

- "Que faire ... on se sépare ?"

L'idée ne l'enchantait guère, qui plus est, il n'aurait aucun moyen de l'avertir s'il trouvait leur suspect, il se ravisa alors.

- "Non, il vaut mieux rester grouper ... que faire alors, on interroge les locaux ? On la poursuit ?"

Son regard partit en direction de la ruelle et une forme au vent attira son attention. Comme un drapé épais remué par un signe de providence, posé sur un fagot de bois à l'extérieur, destiné à alimenter la cheminée de la taverne. Nora s'en approcha et hésita un contact avec l'objet, celui-ci répondit à l'appel de son don, bien plus spontanément encore qu'il ne l'aurait espéré.

- "Attends."

Il plongea avec aisance dans ce souvenir récent et pu y reconnaître l'enfant, à défaut de croiser son reflet. Si aucun autre détail n'importait réellement, le chasseur de souvenir put au moins déterminer la direction initiale de sa cible. Il reprit la parole en tentant de maîtriser ses émotions.

- "Oublie ce que j'ai dit, ils sont partis par-là."

Sans même prendre le temps d'expliquer la nature de son don, le brun partit devant, s'engouffrant dans la première ruelle en espérant qu'elle le mène à son objectif.