Tout avait un prix, une lame bien aiguisée pouvait se montrer trop fragile, une armure trop solide bien trop lourde. On répétais souvent qu'à chaque chose, il fallait trouver un équilibre subtil pour que chaque partie soit utile sans se retrouver trop présente.
Le bureau d'Arthorias semblait répondre à cette règle sous bien des aspects, la décorations étant tournée de telle sorte à ce qu'un soldat s'y sente impressionné, de par l'imposant bureau en bois massif qui avait semble t-il, été monté dans la pièce avant la fin de sa construction. Un meuble qui marquait une séparation claire entre officier et soldat comme l'avait voulu ses prédécesseurs, mais chargé de décoration de telle sorte à montrer le côté humain de celui qui commandait, de par le vivarium qui y trônait, comportant un petit glooby en armure de fer blanc qui patrouillait les murs d'un château en plâtre peint comme le faisaient tant de garde royaux.
Léodécarius jouait son rôle, et tout glooby qu'il était, avait parfaitement les intentions de son maitre, et s'acquittait de sa tache avec brillo. Occupant souvent ceux assis en face d'Arthorias en leur donnant un point de repère apte à les faire se détendre.
Mais ce subtil mélange était entaché d'un peu trop de rigueur martial, et si les bannière cérémonielles étaient un contrepoint aux nombreuses armes et armures de la pièce, ce n'était guère suffisant à respecter cet équilibre.
Un golem inerte patientait dans un coin de la pièce, attendant un ordre de son maitre alors que ce dernier fixait un rapport qu'il ne savait comment prendre. L'officier était vêtu aussi sobrement que d'habitude, sa tenue gris sombre ne laissant qu'à peine deviner les tatouages dorés qui parcouraient certaines parties du corps du capitaine. Mais si ces objets faisaient de lui une machine de guerre au service de la reine, aucuns d'entre eux ne lui soufflaient magiquement la solution à ce problème.
En terme purement militaire, le rapport était d'une rigueur exemplaire, et un instructeur pointilleux n'aurait rien trouver à y redire tant les codes et les formes étaient respectées à la lettre. Le ton de son contenu était formel, parfaitement adaptés et résumait parfaitement la situation. Si bien d'autres auraient classé le compte rendu sans suite, Arthorias l'avait parcouru l'entement, d'abord étonné puis troublé par son contenu...
-Des livres érotiques dans les archives ?
Le fait était déjà surprenant, mais pire encore, ils étaient pour la plupart analysés en bonne et due forme, garnis de commentaires impersonnels et froids qui faisait chanceler l'avis du capitaine sans cesse.
Un cas insoluble que seule la responsable du rapport pouvait lui expliquer.
-Appelez moi Openeimer, de suite.
Ordonna l'officier à son aide de camp qui s'empressa d'aller chercher la garde incriminée. La jeune femme étant de toute façon plutôt difficile à rater
Encore une fois, l'argentée avait fait le nécessaire. Réveil avant tout le monde, repas simple pris en silence dans son coin et ronde menée à la seconde près. Une horloge la Marla. Une fois son devoir quotidien fini et la relève arrivée, la jeune fit un tour sur l'aire d'entraînement pour affûter ses techniques et se dépenser un peu. Arrivée sur place, les gardes déjà présents se retirèrent en voyant la jeune femme approcher. La personnalité zélée de Marla la suivait jusque dans ses entraînements qu'elle voulait physiques, un peu trop même. Dans ces moments-là, elle avait tendance à ne pas vraiment retenir ses coups, ne dépassant toutefois pas une certaine limite qui blesserai gravement un compagnon d'arme. Sa réputation n'était néanmoins plus à faire. Marla était une solide combattante qui ne laissait rien passer, ce qui amenait deux types de réactions, l'éloignement ou le mépris. La belle garde ne comprenait pas vraiment ces réactions. Sa connaissance des interactions sociales était trop limitée pour assimiler son comportement froid et jusqu'au boutiste à une mise à l'écart personnelle. Elle ne s'en plaignait pas. En fait elle ne savait pas vraiment de quoi il en retournait. Elle réussit néanmoins à trouver son candidat quotidien pour un duel qui se termina en toute sobriété: Marla qui saisit son adversaire par la taille et le projette au-dessus d'elle en utilisant la force de tout son corps et sa souplesse hors-normes.
Elle passa alors aux dortoirs pour retirer son armure de service, se nettoyer et enfiler sa tenue dite de "plaisance": une armure moins lourde, portée sur les tons bleu, noir, blanc et doré. Elle récupéra sa fidèle lance son livre du moment et fila dans son coin lecture habituel, sous l'arbre de la cour de la caserne. Elle lisait autant que possible. On lui avait donné l'autorisation d'accéder aux archives royales pour faire des comptes-rendus de lecture afin d'aider la classification et la comparaison des données. Elle était devenu un élément clé du processus, et aimait beaucoup recevoir une telle responsabilité. Alors, elle prenait un ouvrage, souvent au hasard, le lisait et en faisait le rapport le plus analytique et objectif possible. Assise sous son arbre, lance calée entre l'avant-bras et l'épaule, la garde se fondait dans le décor telle une statue de marbre blanc. Elle poursuivit ce qu'elle avait commencé la veille avant qu'une voix ne la sorte de son univers de lettres.
- Oppenheimer! Le capitaine veut vous voir.
La jeune femme leva les yeux, resta interdite un instant puis se mit debout. Il était très rare que le capitaine la demande de la sorte. Avait-elle fait une erreur? Pas dans ses souvenirs. Elle marcha d'un pas assuré vers le bureau des son supérieur, toqua et entra quand l'autorisation fut donnée.
- Vous m'avez demandée capitaine?
Elle observa Arthorias avec son habituel regard rubis froid ancré dans une profonde neutralité faciale. Chercher des émotions sur le visage de Marla était une expédition perdue d'avance.
Oppenheimer était la soldate que tout bon capitaine aurait rêvé d'avoir. Disciplinée à l'extrême, le terme professionnelle lui allait presque mieux que son armure faite sur mesure. Jamais dans sa mémoire il n'avait vu son nom cité pour autre chose que du travail bien fait.
Certains murmuraient qu'elle était capable de tacler le roi s'il outrepassait ses droits. Ce qui en soit... N'était pas une mauvaise chose.
Cela dit, Arthorias aimait parfois avoir des contacts plus humains avec ses subordonnés, et il avait parfois l'impression d'avoir à faire à l'un de ses propres golems en la présence de la belle garde.
Plongé dans ses pensées, il releva la tête lorsqu'on toqua à la porte. Difficile de se tromper sur l'identité de la personne qui allait entrer. Après avoir un fait un bref tour d'horizon de son bureau, à la recherche du moindre signe de désordre. L'officier ordonna à la jeune femme d'entrer, la trouvant dans une tenue un peu plus décontractée, mais toujours professionnelle... A croire que la passion des armures du capitaine commençait à déteindre sur tous les gardes du régiment.
-Correct Oppenheimer, entrez, j'ai quelques questions à vous poser.
Le ton était froid mais nullement agressif. Arthorias avait toujours un aspect assez froid au premier abords, ses grand yeux bicolores mettant mal à l'aise quand on y était pas habitué, alors que son physique avait de quoi déstabiliser.
Et présentement, Marla semblait l'exact reflet féminin de l'officier de par son attitude. Elle n'avait rien fait de mal, comme d'habitude, mais le rapport qu'elle avait soumis était troublant. Certes, elle aidait grandement l'archiviste, au point d'être devenue un élément quasiment indispensable de la bibliothèque royale, mais parfois sa rigueur débordait quelque peu.
Il fit glisser le rapport sur le devant de son bureau en lui faisant signe de s'asseoir.
-C'est au sujet de votre rapport pour les archives, je l'ai parcouru plusieurs fois... Et je me suis demandé si vous vous fichiez de moi pendant un petit moment.
Mais je commence à vous connaitre...
Si le soldat Oppenheimer se moquait de son capitaine, c'était que le monde était devenu fou, voir pire... La jeune femme étant tellement stricte avec elle même qu'Arthorias se demandait parfois si une quelconque pensée non réglementaire passait dans son esprit
-J'aimerai que vous me parliez un peu de ce que vous avez lu, et dans quelles circonstances vous les avez trouvés. Vous vous doutez que ce genre de livres sont difficilement compatible avec ce qu'on trouve habituellement dans les archives
"L'épée et le fourreau"... Si le nom pouvait faire référence à bien des choses... Le rapport disait clairement qu'il ne s'agissait d'aucuns traités d'armes, ni même de manuel de forgeron...
L'officier eut un petit soupir en repensant aux lignes résumées. Comment un tel livre avait pu se retrouver dans un endroit aussi prestigieux, et quel genre d'idiot l'avait mit là ?
Arthorias lui montra un rapport qu'elle reconnut aussitôt. Nul besoin pour l'argentée de l'ouvrir, voir le titre lui suffisait. Sa mémoire, immenses archives, ne pouvait oublier ce qu'elle lisait et donc ce qu'elle écrivait. Chaque mot, chaque tournure de phrase, elle pouvait les réciter sans aucune erreur, à la ponctuation prête. Dans le prolongement du rapport, elle se rappelait bien évidemment du livre qu'elle avait lu et qui avait mené à ce rapport. Si elle devait le résumer en quelques mots, elle dirait très probablement "grosse prise de tête". Marla n'avait jamais lu d'ouvrage pareil auparavant. En lisant le titre, elle avait pensé à un énième traité d'armes et leur entretien. L'épée et le fourreau. Il n'y avait pas plus parlant comme titre. Elle se remémora rapidement les écrits et prit enfin la parole.
- Je ne peux dire qui l'a placé aux archives, ni même comment quelqu'un peut écrire pareilles inepties.
Elle marqua une pose.
- Quand je choisis un ouvrage ou un document aux archives, je ne cherche pas de référence particulière. Je prends ce qui m'attire sur le coup. Et j'ai trouvé ce titre aguicheur sur une magnifique couverture reliée cuir, je pensait avoir trouvé un imposant traité sur les épées et leur entretien. En commençant à le lire, l'aspect très romancé du texte m'a particulièrement prise au dépourvu. Puis après réflexion je me suis dit que ce devait être voulu, comme dans certains essais philosophiques par exemple.
Le ton de Marla restait neutre, dénué de tout sentiment, comme si elle était détachée de tout ce qu'elle avait lu et écrit, ou qu'elle ne le comprenait pas. Cependant, on ne pouvait nier le fait qu'elle ne mentait pas.
- Par la suite, je me suis rendue compte que rien ne portait sur ce que j'espérais. J'avais plus des descriptions de techniques au sol qui m'ont faites penser à des arts martiaux. Mais là encore il ne semblerait que la soumission ou la mise en échec de l'autre ne soit pas le moteur de l'action. Alors je me demande toujours quel en est l'intérêt pour le combattant, mais je ne l'ai pas noté dans le rapport, car ce serait apporter un jugement critique qui est impropre à la composition d'un tel document.
Marla prit un petit instant pour réfléchir.
- Pour être franche, j'ai souhaité en savoir plus, notamment autour de certaines techniques nommées. J'ai demandé aux autres gardes, mais à chaque fois ils me regardaient bizarrement et s'éloignaient en me disant qu'ils n'en savaient rien. Et d'après ce que vous me dite, ces livres n'ont pas leur place au sein des archives royales. Dois-en déduire que ce livre rescelle des techniques martiales ou magiques dangereuses voire interdites? Sur le moment je me suis dite que vous faire le rapport ferait la lumière sur la situation, mais si j'ai commis une erreur, je vous demande sincèrement de m'excuser, capitaine.
La jeune femme inclina la tête pour présenter ses excuses à Arthorias. Au fond, elle ne pensait pas à mal, elle voulait juste faire son travail. Marla avait toujours à cœur de se rendre utile à la garde et au royaume.
Bien entendu, ce ne serait pas aussi facile… Mais le rapport avait de quoi troubler le capitaine. Car s’il s’agissait juste d’un livre érotique… Cela voulait surtout dire que l’archiviste avait mal fait son travail, ou que quelqu’un c’était bien introduit dans les archives.
Difficile à dire, mais c’était typiquement le genre de détails qui tracassaient Arthorias. Quelqu’un qui voulait s’infiltrer dans le palais ne le ferait pas au son des épées et des cors de guerre, l’endroit était bien trop gardé pour cela. Non ce serait à l’aide de ruse et de discrétion chose que commençait lentement à intégrer la garde royale.
Plus le temps passait plus le nombre de garde faisant appel à ces compétences augmentaient, notamment grâce aux parties de chasse.
-Effectivement, on ne peut pas dire que ça parle d’épée ou de la moindre technique de métallurgie…
A en lire le résumé, c’était surtout un roman fait par une noble en manque d’amant, fantasmant justement la relation avec un garde plutôt doué dans autre chose que son métier.
L’idée dépassait largement Arthorias qui bien plus terre à terre n’avait jamais lu de chose dans le genre, mais avait déjà vu de tels désirs chez certaines nobles…
Le souvenir de la jeune noble qui avait pénétré son bureau le fit soupirer avant qu’il ne se reporte sur Marla, s’appuyant dans le fond de son fauteuil en croisant les mains.
Un demi sourire commença à poindre avant que le rictus ne retombe pour laisser à l’officier son air concerné.
Il était vrai que le soldat Oppenheimer était un cas dans tout ce qui sortait de son métier… Cela lui rappelait ses débuts dans la garde royale.
Toujours est-il qu’il ne pouvait décemment pas reprocher quoi que ce soit à l’argenté, qui avait visiblement tout fait pour que son travail soit aussi exemplaire que d’habitude.
-Rien d’interdit, que ce soit en technique ou en magie, car à vrai dire, ce livre ne contient rien de martial ou de magique.
« Les élucubration d’une noble en manque d’affection », ce serait un titre bien plus parlant plutôt que ce qui était marqué sur la couverture.
Inutile donc de vous excuser, vous avez fait votre travail comme d’habitude
Inutile d’épiloguer trop longtemps sur sa responsabilité, elle n’en avait aucune. Et Arthorias chassa le moindre reproche qu’il aurai pu lui formuler.
Cela mettait cela dit quelque chose en évidence.
-Quand vous avez mentionné de vous renseigner auprès des autres gardes… Je ne suis pas sur d’avoir saisi cette partie.
Pour expérimenter ou simplement pour savoir de quoi il s’agissait ? J’avoue ne pas vouloir me tromper
Quoique dans les deux cas…
Dans le premier cas… ce n’était pas reluisant, et dans le second… L’officier restait quelque peu circonspect. Marla n’aurait donc aucune connaissance du sujet ?
Marla n'avait que très peu de notions de "savoir vivre". Elle savait essentiellement qu'il valait mieux sortir habillée, ne pas agresser des gens sans raisons et éviter certains choses comme manquer de respect aux supérieurs ou la famille royale, mais pour le reste rien. Quand elle s'entraînait, elle ne retenait pas ses coups, dans sa chambre elle était libre comme l'air, à table elle ne laissait rien aux autres s'ils ne se manifestaient pas. Pour couronner le tout, ce visage, qui pourtant siérait bien à une jolie noble ne connaissait que deux variantes: l'une neutre et l'autre, plus rare, mais menaçante. Elle écouta Arthorias dérouler ses explications, sans les comprendre. Pour elle, ce livre avait encore moins de sens qu'au départ. Son cerveau cherchait désespérément à trier les informations et à les archiver dans une case connue, mais rien ne correspondait. Quel casse-tête. Néanmoins l'officier supérieur méritait des explications, peut-être serait-il plus clair par la suite.
- Les deux mon capitaine. Je leur ai demandé s'il connaissaient le technique de nom et s'ils pouvaient m'en faire une démonstration. Tous ont fuit. J'avoue ne guère aimer cette attitude de leur part, de même que ne pas avoir eu la moindre réponse. J'espère donc que vous pourrez m'éclairer sur le sujet capitaine, je ne vois que vous pour en être capable.
Ses yeux rubis fixèrent ceux d'Arthorias avec une motivation exemplaire de soldat prêt à foncer tête baissée dans les rangs ennemis. Elle tenait à avoir ses réponses.
Pendant quelques secondes, l'officier resta de marbre, ses doigts croisés au dessus de son bureau sa seule réaction étant ses deux yeux qui clignèrent plusieurs fois comme seul signe d'incrédulité. Il réprima un sourire qui ne vint que difficilement avant de finalement se résoudre à lui expliquer, au moins en partie, ce dont il s'agissait.
Une petite inspiration plus tard, il dut se rende à l'évidence : le sujet était vaste et visiblement l'incompréhension de sa subalterne intense.
-Effectivement... Ils ne risquaient pas de vous montrer, et je comprend leurs quelques réticences pour vous expliquer. Mais j'imagine leurs surprises.
Grossièrement, vous avez lu et fait un rapport sur un livre érotique, autant dire que les "techniques" dont vous leurs avez parlé relèvent de relations un peu plus intimes que celles que vous devez échanger avec vos collègues.
Pour n'importe qui d'autre, l'explication aurai été plus simple. Mais personne n'aurait fait le moindre rapport sur ce genre de bouquin autrement... Autant dire que dans cette situation, les mots ne venaient pas aussi simplement que cela.
Son index tapant la table à un rythme régulier, avant que finalement, il ne finisse par développer un peu plus.
-Vous n'êtes pas sans savoir que ce genre de choses sont plutôt mal vues dans la garde, du moins tant que cela se sait. Disons que vos compagnons ont simplement voulu éviter quelque chose que tout le monde pourrait regretter.
Mais passons sut ce fait, les pratiques sexuelles de ce livres et leurs pratiques seraient plutôt à demander à votre compagnon si vous en avez un, ou qui que ce soit qui s'en rapproche
Pour avoir vu le rapport et ses descriptions, il ne doutait pas que ça serait sportif, et plutôt intense, mais au vu de la forme physique de Marla, rien n'était impossible.
Mais encore une fois, mieux valait éviter de créer une rumeur inutile. Soupirant doucement l'officier remit une mèche rebelle en place avant de poursuivre
-En tout cas... ça explique votre rapport et les quelques rumeurs que j'entend. Depuis combien de temps vous le demandez ?