Garli, sors ta plus belle plume et note.
“Vos majestés,
En tant que généalogiste royale chargée du maintien de la lignée royale, j’aimerai m’entretenir au plus vite avec vous. La situation nécessite un échange rapide à votre convenance.
Mademoiselle Alseif, Généalogiste Royale.”
Recopies ce message en deux exemplaires et fais le parvenir à sa Majesté la Reine et son altesse le Roi par les canaux usuels.
Je me lève de mon bureau prête à partir. Echanger avec la Reine et le Roi n’est qu’un minuscule bout de ce que j’ai en tête. Un travail long et harassant se profile mais aussi beaucoup de secrets à découvrir. Et rien que cela est une motivation plus que suffisante pour que je m’y attaque. Ce palais est bien trop calme pour ne pas cacher des secrets croustillants sur la gouvernance du royaume.
Termines cela et tu peux rentrer chez toi Garli, je n’aurais plus besoin de tes services aujourd’hui.
Bien Mademoiselle.
Garli est un jeune scribe que j’ai engagée il y a quelques mois. Tout juste libéré de son apprentissage, je l’ai propulsé au palais pour être mon “assistant”. Comme son maître, je suis contente de son travail. Et puis, sa petite bouille de jeune homme pas encore mature est des plus mignonne. Il a encore du mal à me regarder dans les yeux mais c’est si mignon… Je quitte mon bureau pour divaguer dans le palais à la recherche d’un endroit bien précis. Ou plutôt d’une personne précise ! Où trouve-t-on les meilleurs potins concernant la famille royale ? Là où l’on habille la Reine sans aucune hésitations. Et l'occasion se présente aujourd'hui même avec la venue de la Couturière Royale pour des essayages de la Reine Allys.
Mes pas me mène jusqu’à la pièce où la Couturière Royale présente ses créations à la Reine. C'est une femme qui doit forcément avoir de nombreux potins à raconter ou à cacher. J’ai un plan en tête et pour le mener à bien, il va falloir mettre la vie du palais sans-dessus dessous à mon plus grand plaisir ! Arrivée à destination, je frappe à la porte de la pièce avant de m’annoncer espérant tout de même ne pas arriver trop tard.
Mademoiselle Belmont, c’est Mira Alseif, je voudrais discuter avec vous de divers sujets urgents.
L’urgence, il n’y a que ça de vrai pour obtenir des réponses dans ce palais. Et l’urgence est vraiment là, la lignée royale en dépend !
Olenna n’avait même pas relevé les yeux de son parchemin lorsque la généalogiste royale déboula dans la pièce, sans même attendre une quelconque réponse de la couturière. Derrière Lady Belmont, sa fidèle servante masquée se tenait droite, portant entre les mains tout un assortiment de tissus. Il était fréquent que Mira Alseif aborde Olenna lors de ses visites au palais. D’ordinaire, la couturière se débrouillait pour écourter les conversations, ces dernières ne tournant généralement qu’autour de la lignée royale ou du besoin de trouver un mari, ce dont Olenna n’avait cure. Cette généalogiste semblait avoir une fixette maladive sur les amourettes des enfants royaux et leurs potentiels futurs marmots, ce qui avait souvent comme effet d’embarrasser les interlocuteurs non impliqués… Bon nombre de courtisans avaient rapporté à Olenna que Mira fouinait ça et là. Quand quelqu’un s’agitait à la Cour, il était normal qu’Olenna soit mise au courant la première. Après tout, elle en était la grande prêtresse…
- Quoi qu’il en soit, asseyez-vous. Dit nonchalamment la couturière d’un geste de la main, toujours en fixant le parchemin. La reine a terminé ses essayages il y a plusieurs minutes, je peux vous écouter.
Sans même qu’elle n’eut à l’intimer, la servante masquée s’était avancée vers Mira comme si elle glissait sur le sol. Sans émettre le moindre bruit, elle tira un fauteuil et le présenta à la noble visiteuse. D’un simple coup d’œil, Olenna remarqua que cette dernière, inquiète, regardait la domestique et son masque de chouette. Lady Belmont s’éclaircit un peu la gorge pour reporter l’attention de Mira vers elle. Elle savait que sa servante n’aimait pas être toisée, bien que bon nombre de visiteurs soient étrangement fascinés par son silence et ses gestes mécaniques. Olenna reprit :
- Je suis étonnée de vous voir revenir vers moi. La dernière fois que nous avons discuté, je me souviens avoir été relativement ferme lorsque vous avez évoqué mes fréquentations personnelles.
Mira restait penaude, mais avant qu’elle ne puisse répondre Olenna reposa son parchemin en éclatant d’un rire cristallin. Elle sortit un élégant éventail en nacre et dentelle qu’elle déplia avant de battre la mesure.
- Je vous taquine. Je suis tout ouïe, quelle est cette affaire urgente dont vous voulez me faire part ?
Aucunement Mademoiselle, je viens pour tout autre chose !
Pour une fois, j’ai une toute autre idée en tête. Invitée à m'asseoir, je ne me le fais pas dire deux fois. Avec elle, la discussion est habituellement trop expéditive pour avoir le temps de s'installer confortablement. Machinalement, je jette un regard à la domestique de la couturière. Elle est bien étrange à porter ainsi un masque. Peut-être a-t-elle subi quelque chose qui l’a dévisagée. Pauvre petite… Je me reconcentre sur la femme lorsqu’elle essaye d’attirer mon attention avant de lancer les hostilités. Je me disais bien qu’Olenna Belmont n’était pas devenue sympathique. Cela l’amuse visiblement mais je ne suis pas sans répartie.
Voyons ma chère, toute l’activité du palais gravitant autour de nos majesté est un maillon important de la généalogie. Votre situation maritale est toute aussi importante, vous êtes un exemple pour notre princesse. D’ailleurs puisque vous évoquez le sujet, qu’en est-il de votre situation ma chère ?
Juste retour des choses, chacune sa façon de taquiner l’autre.
Plus sérieusement, je suis, premièrement, en recherche d’informations ma chère pour un grand projet d’envergure. Auriez-vous entendu parler de domestiques du palais futurs parents ou jeunes parents à tout hasard ?
Rien de plus efficace pour titiller les instincts biologiques que d’entourer la cible avec des femmes enceintes ou jeunes parents respirant le bonheur.
- Mademoiselle Asleif, au risque de paraître peut-être un peu froide, je préfère être honnête avec vous : personne au palais ne se soucie un tant soit peu de ces histoires de descendance. Croyez-moi, je sais pertinemment tout ce que pense la Cour. Après tout, c'est moi qui leur donne le La... Je suis persuadée, le plus sincèrement du monde, que vous pourriez être une historienne généalogiste de génie. Sans aucun doute la meilleure du royaume si vous ne passiez pas votre temps à faire la marieuse. Le futur est à prendre, mais est encore loin, surtout pour les enfants royaux. Le passé, lui, se perd si personne n’est là pour le rappeler. Vous pourriez l’être, si seulement…
Olenna soupira. Elle enroula prestement son parchemin alors que le silence s’installait dans la pièce. Derrière elle, sa servant masquée attendait sans bruit que sa maîtresse ne lui passe le papier, les mains tendues comme une statue. En quelques secondes, il était dans ses mains, et Olenna s’en retourna vers la généalogiste qui continuait de la regarder, toujours penaude.
- Mais pour répondre à votre question, non. Je n’ai entendu parler d’aucun domestique du palais attendant des enfants. Là encore, je vais à nouveau être sincère, c’est bien loin d’être ma préoccupation première. Mais je suis curieuse de savoir pourquoi vous jeter votre dévolu à leur sujet ?
Sur ces mots, la couturière royale claqua des doigts. Tel un automate dont on remonte la clé, sa servante se mit à se mouvoir et apporta un service à thé pour servir les deux femmes pendant leur discussion. De ses gestes mécaniques, elle versait la mixture dans deux jolies tasses, toujours sans faire le moindre son.
C’est justement mon travail Lady Belmont. Garantir une lignée royale pérenne est un art que mon prédécesseur n’a guère cultivé, la preuve en est l’âge avancée de feu la Reine lorsqu’elle a donné naissance à notre actuelle Reine. Il s’en est fallu de peu que le royaume s’en trouve sans héritier de la lignée ancestrale… Je vous remercie pour ce compliment, cela me va droit au coeur.
Généalogiste, c’est un travail assez intéressant mais mon gratte-papier de prédécesseur m’en a quelque peu “dégoutée”, il n’avait que cela en tête et pas assez de réflexion vers le futur à mes yeux. A trop regarder le passé, on en oublie l’avenir.
Ne vous inquiétez pas, je ne compte pas essayer d’imposer une épouse à sa majesté Aeron, juste veiller à ce qu’il ne s’enferme pas dans le palais loin de toute rencontres possibles. Vous en conviendrez, je n’en doute pas, pour rencontrer l’amour, il faut d’abord rencontrer des personnes réelles. Disons que je compte organiser quelques événements où ses majestés prince et princesse seront vivement incité à participer.
Je souris à Olenna. Bien que nos caractères sont différents, nous ne sommes pas si différentes dans le fond. J’observe attentivement le ballet entre la couturière et son assistante muette. Tout semble bien organisé entre ces deux-là laissant à penser que leur collaboration est de longue date. Je grimace à la réponse que me donne la femme. Pas de femmes enceintes ou autres dans le palais… Cela va compliquer mon plan mais cela n’est qu’un contretemps fâcheux. Néanmoins, je lui souris lorsqu’elle s’avoue curieuse de cette soudaine préoccupation.
Ce palais manque d’agitation, vous ne trouvez pas ? Un événement heureux ne serait pas de refus pour égayer le palais et mettre du baume au coeur du peuple. L’ambiance est bien morose depuis la dernière expédition royale et la découverte de plusieurs monstres extrêmement dangereux au sein de notre territoire. Un mariage royal ou la naissance d’un nouveau prince ou une petite princesse ne pourrait qu’apporter de bonnes choses à notre royaume.
En bonus, cela serait bon pour la préservation de la lignée royale car ne nous le cachons pas, la princesse Atheas est encore loin d’être prête à faire croître la lignée. Le prince aussi à vrai dire…
C’est là que vous intervenez en tant que Couturière Royale Lady Belmont. J’attend de vous quelques créations pour sa majesté la reine histoire de motiver notre roi.
Autant mettre toutes les chances de notre côté avec un peu de “mode” de la talentueuse Lady Belmont.
La couturière but une gorgée de thé. La mixture chaude avait un goût légèrement sucré et amer ainsi qu’une odeur chargée d’épices exotiques rappelant la cannelle ou la griotte. Elle huma l’agréable fragrance avant de reposer sa tasse, non sans profiter de la chaleur que la boisson conférait à la porcelaine en passant ses doigts délicats sur sa surface. Quelque chose clochait dans ce que lui évoquait la généalogiste. Elle lui demandait des renseignements au sujet du personnel pour ensuite lui commander des robes pour la reine, suggérant de créer plus d’agitation dans le palais. Il y avait clairement anguille sous roche, et Olenna percevait que son interlocutrice voulait récupérer du crédit auprès du couple royal suite à toute cette affaire. A moins que…
- Vous voulez que le roi et la reine aient un troisième enfant !
La pensée lui avait traversé l’esprit comme un éclair lorsque Mira s’était mise à évoquer le potentiel nouveau bébé royal. Il était de notoriété publique que le prince Aeron et la princesse Atheas n’avaient, pour l’instant, aucun intérêt pour le mariage ni engendrer une quelconque descendance. La généalogiste ne pouvait donc pas espérer les faire changer d’avis en organisant un énième bal comme il y en avait souvent à la cour. Elle voulait certainement changer de cible pour mettre en œuvre sa lubie… Olenna se mit alors à sourire, une expression mêlant malice et mystère.
- Je peux envisager de vous aider… Mais je veux que vous m’expliquiez votre idée en détail. Ne tournez plus autour du pot, mademoiselle Asleif. Dites moi précisément ce que vous avez en tête.
Il n’y a jamais assez de mouvement dans un palais.
Imitant la couturière, je prends une gorgée de thé. J'attends de voir combien de temps il lui faudra avant de comprendre l’objectif final de tout cela. Et enfin, le déclic se fait. Sa surprise me tire un petit sourire amusé. Les jeunes Aeron et Atheas ne semblent pas prêt à tenir leurs obligations royales pour le moment mais cela viendra, je l’espère en tout cas. En attendant, la solution qui s’impose est un nouveau bébé de sa Majesté la Reine ! Je pose ma tasse sur le bureau avant de répondre à sa demande de précision.
Comme vous l’avez dit, la naissance d’un nouveau prince ou d’une princesse apportera une touche joyeuse dont notre royaume a besoin. La disparition du prince puis les rumeurs à son retour, l’expédition royale et de la Citadelle ayant conduit à la découvertes de créatures inconnues et visiblement très dangereuses ont miné le moral de notre bon royaume. Convaincre notre reine et le roi est de mon ressort. Ce que j’attend de vous est simple, quelques tenues affriolantes pour motiver notre cher roi.
ll faut bien mettre toutes les chances de notre côté pour que le roi Grimvor y mette du sien dans cette entreprise. Avec un peu de chance, l’annonce de ce genre de chose motivera le prince a se trouver une compagne pour éviter son devoir de jouer au Grand-Frère.
Bien entendu, je n’abandonne pas l’idée d’aider le prince et la princesse à rencontrer des jeunes gens de leur âge. J’ai d’ailleurs dans l’idée d’organiser un nouveau bal, je ferai également appel à vos talents à cette occasion.
Qui de mieux placer pour habiller ces deux jeunes gens pour un bal masqué.
Et, qui mieux que vous, pourrait habiller le futur bébé ?
Certainement mon meilleur argument pour la convaincre de m’aider. Habiller la reine est une chose, habiller un bébé, un défi autrement plus complexe.
La généalogiste l’avait avoué, elle avait effectivement pour projet d’inciter le roi et la reine à avoir un troisième enfant. Dubitative, Olenna ne pouvait s’empêcher de penser qu’il y avait de nombreuses failles dans ce complot. Et, par la même occasion, que Mira Alseif risquait de n’en tirer aucun crédit, pas plus que toutes les personnes qu’elle pourrait impliquer dans son stratagème. Elle aurait beau quémander à tous les dignitaires du royaume, demander les plus puissants aphrodisiaques ou les tenues les plus sophistiquées, on ne pourrait remercier que les parents pour l’arrivée d’un nouveau-né.
- Quoi qu’il en soit, cela ne règle pas votre plus grande fixette. Une troisième enfant royal emplira le pays de liesse, cela va de soi. Mais ça ne règlera pas votre soucis de descendance.
Mira le savait sans doute déjà, mais Olenna appréciait pointer à nouveau l’évidence. Jusque là, l’élégante dame ne voyait pas où était son intérêt dans toute cette histoire. Des robes, elle en concevait constamment pour la reine. C’était d’ailleurs sa principale occupation en tant que grande couturière royale. Une robe affriolante en plus ou en moins, personne ne verrait la différence, encore moins le roi. Il faudrait bien plus que ça pour faire venir un enfant et mettre son plan à exécution. Cependant… peut-être qu’Olenna pourrait tirer son épingle du jeu autrement…
- Vous n’avez d’ailleurs, permettez moi de vous le pointer, pas encore évoqué mon paiement. Je suis diligente, mais je ne travaille pas gratuitement ! Fit-elle en affichant un sourire malicieux. Avez-vous une idée pour acheter mes petites mains… et ma discrétion ?
Olenna battit des cils en attendant la réponse de son interlocutrice. Mira devait savoir que tous les nobles de la Cour tournaient autour de la couturière comme des abeilles autour de leur reine. Un seul mot de sa part, et la rumeur pouvait partir comme une traînée de poudre, au grand dam des concernés… Olenna n’avait que peu d’intérêt de dévoiler les intérêts de la généalogiste, si ce n’est cruellement amuser la galerie. Mais sa remarque pouvait faire son effet et lui permettre de gagner une nouvelle alliée de circonstances sur son échiquier personnel.
- Si jamais rien ne vous vient, peut-être aurais-je une idée. Mais, je vous écoute.
Dans l’immédiat, assurément. Mais, je vois plus loin, à l’horizon d’une vingtaine d'années, ma chère. Mon prédécesseur n’était pas très actif pour garantir la pérennité de la lignée contrairement à moi.
Favoriser les rencontres avec la jeunesse de son âge sera primordiale pour qu’un nouvel enfant royal ne s’enferme pas dans des comportements toxiques comme son frère ou sa sœur. Circonspecte lorsqu’elle commence à me parler de paiement, je pose carrément ma tasse sur le bureau lorsqu’elle évoque son “silence”. Ainsi, la couturière est une vipère digne de la noblesse qui inonde le palais. Parfait, nous parlerons donc un langage commun.
Bien entendu, lady Olenna, je payerai vos services à la hauteur de sa valeur. Cela n’est que justice, néanmoins, je me réserve le droit de faire appel à d’autres artisans. J’ai entendu beaucoup de bien de plusieurs artisans de la Ville Aquatique suite au bal du Festival du Solstice.
Autrement dit, vous n’êtes ni indispensable, ni irremplaçable à mes yeux. Cela gênerait mes plans de devoir faire appel à la Ville Aquatique mais ce n’est aucunement impossible. Qui sait, la Reine se découvrira peut-être une passion pour les créations uniques de cette cité marine.
Ce que je vous propose, ce n’est pas juste la création d’une ou deux nuisettes affriolantes Olenna. Je vous propose toute une série de créations uniques pour l'ensemble de la famille. Des créations uniques allant des vêtements que sa majesté Allys n'oserait pas demandé à des tenues de soirée uniques pour le prince et la princesse, à même de démontrer vos talents et de rayonner dans le royaume tout entier. On ne parle pas de ce que vous faites tous les jours pour sa majesté bien entendu, on parle de bien plus grand et spectaculaire. Ne serait-il pas gratifiant d’être celle qui révèle la magnificence qui sommeille en ces cher chérubin que son Atheas et Aeron ?
A vrai dire, je n’ai que peu d’inquiétude sur l’effet d’une révélation de mon plan. Quel noble ne tenterait pas d’en profiter pour mettre en avant son fils ou sa fille dans l’espoir de se raccrocher à la famille royale ? Pour eux, cela ne sera qu’un puits d’opportunités. Après tout, ils ne sont que des chacals prés à se jeter sur le moindre os à ronger.
La question était purement rhétorique, et le ton passablement agacé de Lady Belmont ne laissait aucune équivoque. Elle voulait au départ des tenues sulfureuses pour la reine Allys dans l’unique but d’exciter le roi Grimvor, tout ça dans l’optique qu’un futur bébé royal puisse voir le jour. Et voilà que la généalogiste se mettait à lui parler à nouveau d’Athéas et Aeron. Il était de notoriété publique que ces deux là n’avaient aucun intérêt pour les choses de l’amour, forcer la providence n’avait jamais rien de bon ni de prometteur. Derrière Olenna, sa servante masquée sentait bien que sa maîtresse perdait patience et s’empressa de lui resservir une tasse de thé chaud. Ensuite, elle se mit à réunir les divers papiers étalés sur la table en vue d’un éventuel départ en trombe, mais il n’en fut rien. La couturière prit la tasse entre ses doigts avant d’inspirer, puis reprit d’une voix plus posée mais néanmoins menaçante :
- Votre plan n’a que de très maigres chances de réussite. Mais soit, je ferai ces diverses tenues, si ça peut calmer vos propres ardeurs. Ils ne remarqueront même pas leur apparition dans leur collection de toute façon. Mais vous vous méprenez quant à mon paiement. Ma renommée et mon talent ne sont plus à faire, je peux sans modestie affirmer être la meilleure dans mon domaine. Quant à l’argent, je n’en ai pas plus besoin que vous.
Ce que voulait Olenna, c’était un service concret et pas de futiles promesses. Si la généalogiste voulait mettre à l’épreuve ses talents de couturière, alors elle ne comptait pas se gêner pour faire de même. Après tout, ça ne serait que justice, un échange équitable pour les deux parties. Olenna planta son regard, aussi perçant qu’un faucon, dans celui de Mira.
- Je ferai vos tenues, mademoiselle Alseif, car tel est mon travail de couturière royale. Mais en retour, je trouve primordial que vous accomplissiez la vôtre, considérez ceci comme mon paiement pour soulager mon inquiétude. Je me préoccupe autant que vous de l’avenir du royaume, mais avant tout de notre famille royale. J’ai cru comprendre que notre souverain Grimvor avait une certaine propension à fréquenter les tavernes, tout comme il est connu qu’il laisse à sa Majesté Allys tous les soucis de la couronne. Ne pensez-vous pas qu’un bâtard pourrait entacher la réputation de la famille royale et inquiéter le royaume ?
Olenna battit des cils, esquissant un fin sourire aux allures de rictus par la même occasion. Elle reposa délicatement sa tasse sur sa soucoupe avant de les déposer sur la table puis reprit innocemment :
- Si seulement un expert en filiation pouvait mener sa petite enquête pour en avoir le cœur net… Je ne supporterais pas de savoir nos majestés accablées par une telle chose, vous ne pensez pas ?
Olenna avait accepté de faire ses tenues, elle lui avait promis. Restait à savoir si elle avait piqué l’intérêt de la généalogiste royale…
Je ne vais pas fâcher la dame qui me fait face pour si peu. Si elle considère que ma demande n’est que le quotidien de son travail, je ne compte pas la brusquer. Après tout, si elle me fait l’extraordinaire au prix de l’ordinaire, je ne dis pas non. J’acquiesce quand la femme affirme que mon plan n’a que peu de chances d’aboutir au résultat escompter. Cela est bien entendu vrai, cela est une évidence mais qui ne tente rien, n’a rien ! Que cela soit du côté du couple royal comme des enfants royaux, mes plans n’ont qu’une chance de réussite minime mais, avec un peu d’aplomb, je pourrais sans aucun doute augmenter cette probabilité.
J’en suis consciente, c’est pourquoi votre participation est essentielle afin d’augmenter les chances de réussite grâce à des créations vestimentaires soigneusement étudiées.
Je souris par convenance à son pessimisme vis à vis du risque que la famille royale ne voit même pas apparaître ces tenues. Comme si j’allais leur laisser l’occasion d’échapper à mon programme. Je suis une spécialiste de la préservation de la lignée, rien n’est laissé au hasard. Adossée confortablement au siège, je hausse un sourcil au commentaire sur sa rémunération. Je sais que la noble peut être capricieuse mais je ne pensais pas la voir tenter d’exiger un service. Avant qu’elle ne puisse évoquer son souhait, je me permet de l’interrompre un sourire en coin aux lèvres.
Je serais ravie de mettre mes talents à votre service pour identifier un partie idéale pour vous Dame Belmont.
Ce n’est certainement pas ce qu’elle compte me demander mais il faut bien s’amuser un peu au milieu d’une discussion si sérieuse. Plus sérieuse, j’écoute attentivement sa demande. Je me retient de rire tellement la demande me paraît si peu utile. Surveiller le Roi et d’éventuels bâtards est un travail que mon maître effectuait. Je ne réalise plus trop cette surveillance mais le Roi était plutôt sage depuis son mariage, il n’y a pas de raison que cela change. Tout au plus, il avait fallu faire quelques recherches auprès de ses conquêtes précédant le mariage.
Si cela peut vous rassurer ma chère, notre Roi n’est plus aussi coureur de jupon que dans sa prime jeunesse. Mais je me ferais un plaisir de renforcer cette éventuelle recherche de bâtards de notre monarque, j’ai justement sollicité une entrevue avec pour discuter des projets entourant le prince et la princesse.
Mais un bâtard du roi pourrait mettre un peu d’ambiance dans mon quotidien, cela serait sans aucun doute, une situation fort divertissante.
Si c’est cela votre demande pour garder un peu de secret autour du projet, cela me semble convenable. Quand pourriez-vous commencer à concevoir quelques tenues de nuit pour notre reine ?
Un préalable nécessaire pour commencer à mettre en œuvre mon plan.
Les deux femmes avaient réussi à trouver un accord, c’était le plus important. La discussion s’était prolongée plus que de raison, et Olenna commençait à perdre patience. Les lubies loufoques de la généalogiste avaient don de faire fuir bon nombre de nobles au sein du palais, la couturière en était toujours surprise. Cette dernière n’arrivait pas à comprendre si la reine tolérait cela, si ça l’amusait, ou si elle était même au courant de pareilles manies. Peu importait, l’historienne était toujours au palais ; et Olenna comptait bien éviter quelque peu de la croiser pendant au moins plusieurs mois…
- Sur ce, je pense que nous avons conclu notre affaire. Je dois vous laisser, beaucoup de travail m’attend. Fit-elle simplement.
Olenna, en se levant, reposa délicatement sa tasse de thé et sa soucoupe sur le plateau d’argent laissé sur la table à côté des deux femmes. Toujours aux aguets, derrière sa maîtresse, la servante masquée avait déjà réuni ses affaires, pressentant que l’heure du départ avait depuis longtemps sonné. La couturière ignorait si la généalogiste allait honorer sa promesse, ni même si elle réussirait à trouver un quelconque enfant illégitime du roi. Peut-être n’en avait-il tout simplement pas, mais elle ne pouvait se permettre de ne pas exploiter cette piste pour accomplir ses propres desseins. Si Grimvor avait un ou plusieurs bâtards, alors la couturière royale se devait d’être celle qui leur tomberait dessus toutes griffes dehors. S’il n’en avait pas, alors elle aurait fait poireauter Lady Alseif pendant quelque temps.
Elle fit quelques pas pour se diriger vers la sortie, choisissant de contourner le siège de la généalogiste. Posant sa main sur le dossier, la Lady se pencha légèrement vers son interlocutrice, escortée par sa servante. Arrivant doucement au dessus de Mira, Olenna ne se gèna pas pour lui rétorquer d’une voix des plus sereines :
- Si à l’avenir vous me suggérer à nouveau de me trouver un bon parti, croyez moi, même au fond de la Cité Aquatique vous ne pourrez pas m’échapper.
Et elle s’en fut, laissant Mira seule siroter son thé dans le silence de la salle.