Je sais pas si c’est ma mémoire qui fait défaut, mais quand j’ai vu la grande bâtisse émerger de la brume qui a cette fâcheuse tendance à vous geler jusqu’aux os, je me suis dis que j’étais arrivé au manoir Veriano. Il me semblait qu’il était dans le coin. Et puis, la stature de bâtiment et la propreté du jardin me rappelait bien l’endroit. C’est pas forcément quelque chose de très poli chez les gens, mais vous l’ambiance n’inspirait pas confiance. On aurait dit qu’on se trouvait dans une mauvaise histoire pour se faire peur, mais en vrai. Vous savez ? Le genre qu’on raconte aux enfants, le soir, pour leur faire peur, parce qu’il n’y a qu’eux pour y croire, et qu’ils vous laissent tranquille les prochains jours en ne vous demandant pas une « histoire » avant de se coucher de peur de se retrouver une nouvelle face à monstrocitrouille ou à l’homme chauve-souris.

J’ai pas peur, hein. Je suis juste méfiant. J’le jure.

J’ai senti que ça sentait un peu le sapin ; et je parle pas de la nature du bois de la porte ; quand j’ai vu personne de l’autre côté de la porte. Les règles de la bienséance me disaient de ne pas entrer sans y être invité, mais je sentais une bonne odeur à la cuisine et mon dernier casse-croute avait fini par terre à cause d’un accident de ptidodos. Ne cherchez pas, je vous raconterais peut-être ça un autre jour. J’ai repéré des odeurs de patates, de fromage et de charcuterie. Un bon repas de saison froide ça, avant l’heure. Le genre convivial avec un bon feu de cheminée à côté pour se réchauffer. Du coup, je me suis avancé et c’est là que le spectacle son et lumière à commencer. Enfin, pour la lumière, on repassera. Et niveau son, c’est plutôt ambiance cachot qui n’est pas vraiment le style de registre auditif que j’ai hâte d’entendre, vous en conviendrez.

L’avantage avec le royaume d’Aryon, c’est qu’on peut, sur le moment, s’étonner de tout, mais dans le fond, comme c’est un royaume de magie, on peut toujours se dire qu’un événement étrange trouve sa source dans le pouvoir d’un être humain souvent retors, parfois taquin. Le but dans ce genre de situation, c’est de montrer qu’on est clairement pas impressionner par son petit jeu et qu’il serait sage de ne pas le continuer puisque ça ne lui apporterait aucune joie face à mon profond ennui. Je lui ai donc fait clairement savoir que ça ne marchait pas sur moi.

-AH PUTAIN ! QU’EST-CE QUI SE PASSE ?! POURQUOI LA PORTE EST FERMEE ?!  ET ELLE EST OÙ L’ODEUR DE FROMAGE !

Clairement la pire nouvelle de la série d’événement. Je fais ce que tout individu normal ferait dans ce genre de situation, c'est-à-dire, garder son calme, en tambourinant comme un forcené contre la porte, en regardant par les fenêtres avec la crainte de voir un truc horrible de l’autre côté et à tendre l’oreille à sursauter au moindre bruit suspect. Evidemment, dans un manoir relevant soudainement plus de la ruine branlante, les bruits suspects, c’est pas ce qui manque. Heureusement, j’ai relativement gardé mon calme, comme je vous le disais et je vois qu’une personne arrive, surement le responsable de cette illusion, venant penaud s’excuser pour sa petite blague. Et je lui pardonnerais parce qu’on est pas des bêtes. Je vous avoue que son petit talent de faire des murs invisibles et de paraître intangible à côté de moi, c’est plutôt impressionnant. Il a dû sacrément améliorer son pouvoir, le poti blagueur. Les portes se referment et il se matérialise.

Je commence à comprendre. C’est une gamine. Enfin, adulte, mais gamine. Avec ses cheveux bleus, son air juvénile et son faux-air de surprise apeuré, elle m’a tout l’air de cette espèce de jeune individu qui s’enjaille à piéger les honnêtes  gens et à les faire tourner en bourrique. Elle veut parler, mais je ne lui en laisse pas le temps. C’est comme ça. Il faut occuper l’espace pour qu’elle balance pas son argumentaire à la noix comme quoi c’est pas sa faute, qu’elle est dans la même situation que moi et patati et patata.

-Bonsoir ma petite. C’est très drôle. On s’est bien amusé. Mais j’aimerais pouvoir rentrer chez moi tranquillement, c’est qu’il fait frisquet ici. De gros efforts pour l’ambiance, j’en conviens. Je tire même mon chapeau, même si j’en ai pas. Mais j’ai une petite faim qui fait son chemin et ça fait longtemps que j’ai pas pris une bière. Alors, on s’arrête là. On met fin à cette petite blagounette et on retourne chacun de notre côté. D’accord ?

Elle parait limite choquée par ce que je dis. C’est qu’on la fait pas à un esprit déduction tel que celui de Whiskeyjack Callahan. On est interrompu parce que la porte s’ouvre à nouveau. Décidemment. Ils sont deux dans leur blague ? Parce que plus on est, plus c’est la grosse poilade, c’est bien connu.

En bonne blonde et bonne citadine qu’elle était, Andra avait démontrée toute son incompétence à se repérer en forêt ce jour-là. La jeune noble avait décidé, sur un coup de tête, de se rendre au domaine Milan. Seule. Malheureusement elle s’était complètement perdue dans la forêt.  Le chemin qu’elle empruntait habituellement avait changé et elle ne parvenait pas à retrouver sa route. Ça faisait des heures quelle tournait dans cette foutue forêt, cernée par des arbres tous semblables les uns aux autres ne l’aidant définitivement pas à se repérer. Elle commençait même à se demander si elle n’était pas victime d’un mauvais sort. Il était tard ; la nuit l’avait surprise et le brouillard commençait à se lever lorsqu’un frisson vint lui glacer le corps en remontant le long de sa colonne vertébrale. Le froid ? Oui. Elle était dans une forêt humide, la saison chaude était finie et la nuit venait de tomber. Pourtant elle savait que ce frisson n’était simplement dû au climat. L’ambiance, l’atmosphère… elle avait un sentiment de malaise, de mal-être. Son instinct ne lui présageait rien de bon. Pourtant, elle ne pouvait dire pourquoi elle avait ce sentiment. Tentant de se convaincre que ce n’était qu’une impression sans fondement, elle reprit sa marche, s’enfonçant toujours plus à l’aveuglette dans ces bois en espérant tomber sur un refuge pour la nuit. Ses pas la guidèrent finalement jusqu’à une clairière au milieu de laquelle trônait un imposant manoir. Pas aussi imposant que le domaine de sa famille, le manoir avait tout de même une beauté indéniable et semblait entretenu à la perfection. Andra pensa immédiatement à des nobles et se dit qu’ils ne pourraient décemment pas refuser l’hospitalité à la cadette Milan. En plus une délicieuse odeur de mets cuisinés à la perfection s’échappait du manoir et Andra n’avait rien avalé depuis longtemps. Il n’en fallut pas plus pour la convaincre de toquer à la porte.

Une fois… deux fois… Pas de réponse. Andra décida finalement d’entrer puisque la porte était ouverte. Elle n’eut le temps de ne faire qu’un pas dans la bâtisse avant que, soudainement, tout s’évanouisse. Les lumières allumées s’éteignirent, bonne odeur de nourriture disparut et la porte se claqua derrière elle. Elle se retourna pour suivre le mouvement de la porte, puis se retourna à nouveau pour regarder l’intérieur du manoir et découvrit trois personnes face à elle, visiblement en pleine discussion. Elle ne leur prêta guère attention pour le moment et se retourna plutôt vers la porte pour l’ouvrir et ressortir de là, un peu agacée par cette mauvaise farce. Mais elle eut beau forcer la poignée, la porte ne bougea pas d’un pouce. - Amusant. Mais il faudra plus qu’une porte fermée à clefs pour m’empêcher de passer. Dans toute son arrogance, persuadée de pouvoir sortir de là sans problèmes, elle jeta un coup d’œil aux trois personnes derrière elle. - Bonne chance pour sortir. Sans plus de cérémonie, le corps de la blonde se décomposa en une multitude grains de sables flottant dans les airs avant de foncer vers la porte, tentant de se glisser par la serrure et entre les interstices présent entre la porte, les murs et le sol. Sans comprendre pourquoi, les grains de sables n’arrivaient pas à passer. Elle insista, testant chaque petit recoin, chaque petit espace potentiel vers l’extérieur mais rien n’y faisait, le passage était impossible. La masse de sable se rassembla donc devant la porte et la blonde reprit forme humaine.

- Bien, si vous comptiez défoncer la porte ou quelque chose du genre, oubliez. Si mon sable ne passe pas c’est que je ne sais quel phénomène magique tordu nous retient ici. De toute évidence, on ne peut pas forcer le passage. Elle marqua une pause pour analyser les trois personnes a qui elle avait affaire. Deux d’entres elles étaient assez proches, peut-être se connaissaient ils ? Le troisième un peu plus isolé. - Puisqu’on est enfermés ici je dois avoir le temps pour les présentations. Andra Milan. Et vous êtes ?

Bien évidemment elle n'était pas aussi sereine qu'elle le laissait entendre. Cette foutue illusion, ce piège idiot l'avait eu et elle s'en mordait les doigts. Cependant elle avait très vite émit la possibilité que l'un des trois personnes présentes avec elle soit à l'origine de tout ce cirque, ou à défaut, qu'ils soient tout les quatre victimes du piège mais que son instigateur observe leurs réactions d'une façon ou d'une autre. Elle avait donc tout intérêt à rester le plus calme possible et ne pas montrer de quelconque forme de panique.

On peut dire ce qu’on veut, j’ai mis le doigt dans le mille d’entrée. On ne peut cacher la vérité à Whiskyjack Callahan. J’aurais pu être enquêteur dans une autre vie, mais j’ai été appelé à des fonctions bien plus glorieuses. Le couple de jeune gens fait un peu son cinéma, même si dans cet univers, j’en conviens que l’expression ne veut rien dire, mais je ne suis pas dupe. Ils sont jeunes. Ils se connaissent. Et c’est bien connus, les jeunes qui se connaissent sont prompt à faire des blagues stupides pour se moquer gentiment, ou pas, des personnes plus âgés. Je ne suis pas si vieux, mais ça doit être la moustache, ça donne une certaine prestance qui vous font prendre vingt ans par les jeunes imberbes.

-Vous devriez retravailler votre jeu d’acteurs, parce que c’est quand même pas fou.

Puis la quatrième personne arrive. Dans la même tranche d’âge que le jeune couple. Je reste un peu dubitatif face à son arrivée, me souciant peu des deux autres qui vont surement chercher à se défendre pour que leur petit piège puisse durer le plus longtemps possible, donc ça ne sera pas très intéressant. Est-ce que la quatrième fait partie du complot ? La voir se transformer en sable est tout à fait surprenant et montre qu’on a affaire avec quelqu’un d’important. Bah oui. Un tel pouvoir implique de grande responsabilité. Puis, la gamine fait suffisamment propre sur elle, comparé aux deux autres. Etrange. Et inquiétant, puisqu’apparemment, son pouvoir, très utile ; bien plus que de se transformer en glooby ; ne fonctionne pas. Décidemment, c’est un piège bien solide que les deux zigotos nous ont concoctés là. L’autre se présente comme une Milan. Et il est assez osé de prétendre en être une quand on connaît la réputation de cette famille. Tout le monde a entendu parler des Milan à la capitale. Pas forcément en bien, parfois au détour d’une bonne blague, mais le nom n’est pas inconnu. Je ne suis pas expert des arcanes du pouvoir, mais il me semble que les Milan ont des filles de cet âge. Et puis, dans son ton transpire une certaine estime d’elle-même qui conforte cette idée qu’elle appartient une noblesse qui ne se laisse pas marcher sur les pieds. Bon. On va partir du principe qu’elle a raison.

-Appelez-moi Jack.

Toujours utiliser un pseudonyme. En dire trop, c’est dangereux. On peut retourner des informations contre soi et dans la situation présente, qui sait ce qui se cache derrière les portes massifs et grinçantes de cette demeure branlante ?

-Et ces deux là, je pense qu’il faut s’en méfier. A mon avis, ils ont quelque chose à voir avec ce qui se passe ici, puisqu’ils se connaissent. Sacré hasard, hein ? Faut bien voir à travers leur jeu d’acteurs, pas très bon, il faut se l’avouer.

Ça proteste, mais c’est normal que ça proteste. J’aurais fait pareil si j’étais un petit garnement cherchant à piéger les honnêtes citoyens. On est là à faire du rien quand soudainement, on entend tous un grognement. Vous savez ? Celui typique d’un animal criant depuis une crypte souterraine, ça se réverbère un peu. C’est un peu étouffé. Un peu menaçant, même. On s’arrête tous un instant.

-ça doit être juste un chien. Bonne déformation du bruit, les petits gars. Bien joué. C’est presque convaincant. Sauf que c’est presque.

Bon. On va faire comme si on respectait leur délire, comme ça ils seront contents et plus vite on sortira d’ici. Autant couvrir le plus d’espace possible.

-Bon, on se sépare ?

Le dénommé Jack fut le premier à se présenter après Andra. Enfin, se présenter est un bien grand mot. A vrai dire il ne donna que son prénom mais cela suffisait pour la blonde. Il était assez évident qu’il n’appartenait pas à la noblesse, son nom de famille ne l’intéressait donc pas. Mais avant que les deux autres, très proches l’un de l’autre, n’aient le temps d’ouvrir la bouche le moustachu les accusa d’être les instigateurs de cette mauvaise plaisanterie. N’étaient-ils pas simplement perdus ensemble avant de vouloir se réfugier ici ? se demanda Andra qui trouvait les accusations un peu légère à son goût. C’est vrai qu’ils avaient l’air proches mais c’était peu comme preuve. Un puissant grognement se fit alors entendre. De son côté, la noble paria sur un loup plus qu’un chien mais dans tous les cas il en faudrait un peu plus pour la vaciller. Depuis son expédition à la cité enfouie elle s’était endurcie. Quand on a survécu au wardans, ce n’est pas un vulgaire canidé qui vous effraie. En tout cas Jack en profita pour accuser les deux autres une fois de place et proposer de se séparer.

- Chien, loup ou ce que vous voulez d’autre. Qu’importe puisqu’il est sûrement dehors et nous à l’intérieur ? On est prêt d’une forêt, si vous sursautez au moindre bruit d’animaux que vous entendez ce n’est pas gagné.

Elle espérait par ces mots couper court au débat sur l’origine de la bête ayant grognée. Et d’une certaine manière elle avait réussie puisque le sujet de conversion changea pour autre chose. En revanche il s’agissait toujours d’un débat inutile. Andra désespérait de les voir tous s’entraccuser ainsi. Au moins la jeune femme apeurée s’était présentée, elle et l’homme qui l’accompagnait. Pas de nobles non plus, ou du moins s’ils étaient de la noblesse elle ne les connaissait pas. Finalement c’est Leif qui prit la parole pour tenter de calmer le jeu.

- Je pense bien pouvoir me défendre seule et je n’ai prévu de défendre aucun d’entre vous. A mes yeux vous êtes tous suspects même s’il est probable que vous soyez aussi tous innocents. La blonde s’arrêta un bref instant pour réfléchir à ce qu’elle allait faire. - En tout cas je ne vais pas rester plantée là à discuter pendant des heures. Commençons par explorer ce manoir, à quatre ç devrait aller assez vite. Et si quelqu’un trouve une piste il n’aura qu’à la partager aux autres. Si vous tremblez tant que ça à l’idée d’explorer on n’aura qu’à rester à portée de voix l’un de l’autre mais rester tous collés ne ferait que nous faire perdre du temps.

Sur ces mots et sans attendre l’avis des trois autres Andra prit les devants, fit quelques pas pour s’éloigner de l’entrée et se dirigea vers une pièce sur sa gauche qu’elle identifia comme le salon. Un salon a l'ambiance assez hétérogène mêlant richesse et délabrement. Il était clair pour Andra que ceux qui avaient vécu ici avaient les moyens mais aussi que plus personne n'entretenait la bâtisse depuis de nombreuses années.

Je suis la blonde du regard tandis qu’elle sort du vestibule sans un regard derrière elle. C’est sûr qu’elle dégage une certaine assurance. De là à ne pas la soupçonner, ce n’est pas forcément évident. Il y a toujours des nobles qui savent s’organiser des petits divertissements atypiques pour tromper leur ennui et un tel piège ne serait pas déconnant s’il s’agissait de tromper la confiance d’honnêtes gens. Mais ça colle pas avec les Milan, je crois. La trésorière royale n’est pas une Milan ? Ça se saurait s’ils organisaient des divertissements malsains comme celui là. Je pars du principe que je peux lui faire confiance. Puis je me retourne vers les deux autres. Mon cerveau a fonctionné à tout à l’heure et vous savez quoi ? Les noms qu’ils m’ont donnés me disent quelque chose. La première d’abord. Shadowrunner. Je crois avoir vu ce nom dans des registres de la guilde. On doit avoir un membre qui s’appelle presque comme ça, mais je crois bien que son nom, c’est Red Shadowlegends. Je me trompe ? Je ne crois pas. Peut-être qu’il y a un lien entre les deux. Ou la demoiselle essaie de se faire une réputation en prenant le nom d’un aventurier avec un peu de réputation. L’autre, aussi, ça me parle, mais c’est plus vague. Leif Achtorn ? Peut-être bien que j’ai aussi vu ce nom dans un registre de la guilde. Je vous avoue que ma mémoire est pas la plus fidèle, c’est qu’il y a autant de noms.

Par contre, que les deux zigotos n’aient pas reconnu Whiskeyjack Callahan, prestigieux candidats au conseil de la guilde, ça me fait encore plus me dire qu’il faut se méfier d’eux. Forcément ils ont entendu parler de moi et ils me causent comme si j’étais un inconnu. Ça fait mal à ma campagne électorale ça. Ça ne peut pas être possible. La seule explication qui me vient à ce moment là, c’est qu’on essaie de me piéger. Le résultat des élections n’est pas loin dans le temps et il serait malheureux qu’il arrive quelque chose au gagnant. Genre moi. Si c’est moi, évidemment. Est-ce que ça serait un dernier coup désespéré de mes concurrents ? Surtout qu’au contraire de la Milan, ils n’ont pas montré leur pouvoir. Peut-être que c’est parce qu’il nous bloque en ce moment même. Ils n’ont même pas vraiment essayé de s’échapper. Clairement, il faut se méfier d’eux.

-Bien. Restez ensemble. Mais je vous préviens, je vous ai à l’œil. S’il se passe quelque chose d’anormal, j’espère pour vous que vous serais convaincant.

Je recule de quelques pas en les dévisageant avant de faire demi-tour et de rentrer dans le couloir principal. La noble a pris la porte menant à une pièce sur ma gauche, elle ne sera donc pas trop loin. Peut-être que l’on est tous les deux piégés dans cette édifice. Les deux cibles à abattre. Une noble importante et un candidat solide au conseil de guilde des aventuriers. Ça a du sens. Je vais pas trop m’éloigner d’elle tout en gardant une certaine distance. J’espère bien prendre les responsables sur le fait avant que cela n’empire. L’édifice est délabré, et donc sombre. Je fouille dans mon sac pour trouver mes lunettes de jour, ce qui me permet de bien voir et de ne pas être surpris par les petits rigolos. Le bois grince sous mes pas et j’entends le duo bouger dix mètres derrière moi. Faites une erreur, et Whiskeyjack Callahan vous verra. Je prends une porte sur la droite que je pousse du plat de la main. Elle bouge en grinçant, si fort qu’on pourrait l’entendre dansa toute la maison. Sympathique. Je jette un œil. Je tombe sur une bibliothèque qui auparavant aurait pu être impressionnantes et chaleureuse si les meubles n’étaient pas si délabré. Les quelques livres restants moisissent sur le sol là où l’eau s’est infiltré au cours des années, peut-être, d’abandon. On ne parle même pas des sièges, autrefois confortables, aujourd’hui qui n’inspire aucune confiance. Je m’avance. La seule chose qui semble encore en état, ce sont des portraits sur les murs, comme si l’humidité avait su ne pas altérer la peinture. Quatre portraits d’hommes et de femmes, austères, vous fixant à vous en glaçant le sang, comme si votre présence en ces lieux était un blasphème.

Je suis un instant obnubilé par leur regard et je fais gaffe. Je bute sur une table basse. De surprise, j’ai un mouvement de répulsion et je fais brutalement un pas derrière moi. Pile sur une latte de parquet qui se rompt sous mon poids. Mon pied s’enfonce sous le bois pourri. Et je fais ce que tout honnête homme fait en pareil moment, c'est-à-dire, garder mon calme.

-AH PUTAIN MERDE !

Ça m’a échappé, évidemment. Et j’essaie de me sortir de là avant qu’on me trouve en pareille situation, qui ne me met pas beaucoup en valeur, sous le regard des portraits. Décidemment, on a l’impression que le peintre a su les rendre presque vivants.

Andra ne semblait pas avoir été suivie ; de toute évidence les autres semblaient avoir compris qu’ils trouveraient bien plus rapidement un moyen de sortir de ce foutu manoir en le fouillant séparément plutôt qu’en restant collé tous ensemble. Enfin, la demoiselle en détresse et son prince charmant avaient sûrement dû rester ensemble mais c’était toujours mieux que rien. Un léger doute commença cependant à s’insinuer dans l’esprit de la noble. Et si l’une des trois personnes trouvaient le moyen de sortir mais le gardait pour lui ? Après tout elle-même ne comptait pas forcément partager les informations qu’elle trouverait. Comment est-ce qu’elle n’y avait pas pensé directement ? Elle ne le savait pas. Mais en tout cas il était maintenant clair pour elle qu’elle devrait vérifier personnellement chaque pièce du manoir, quand bien même elle avait été fouillée préalablement par l’un des trois autres enfermés avec elle.

La blonde allait donc commencer à retourner ce salon de fond en comble à la recherche d’un potentiel indice lorsqu’elle entendit la voix de Jack jurer en criant. Puis des pas sur le plancher se diriger vers lui. - Ne peuvent-ils pas se taire ? pesta-t-elle contre ce désagrément auditif de plus. Être enfermée dans ce manoir avec ces trois là étaient un calvaire pour elle et en plus ils étaient incapables de garder le silence plus de trente secondes. Voilà qui ne manquait pas de taper un peu plus sur le système de la noble.

Andra s’avança un peu plus loin dans le petit salon. Les quelques chandeliers servant initialement à éclairer la pièce étaient tombés du mur il y a bien longtemps. Seule une faible lumière pénétrait dans la pièce par une petite fenêtre, fermée, de laquelle elle pouvait observer l'extérieur. De petits flocons s’étaient mit à tomber, déposant un fin manteau de neige sur le domaine. Insuffisant pour la blonde qui décida de sortir ses lunettes de jour de son sac sans fond pour avoir une meilleure visibilité. Heureusement qu’elle avait pensée à prendre ça avec elle. En revanche elle regrettait d'avoir oublié de prendre des vpetements chauds car le froid se faisait sentir, même à l'intérieur du manoir. Maintenant qu’elle avait une vision plus claire de la pièce, elle pouvait véritablement commencer à fouiller bien qu’elle hésita un peu avant de s’y mettre. La noble n’avait jamais aimée se salir les mains et l’état de la pièce était quelque peu repoussant pour elle. Mais elle n’avait pas le choix si elle voulait sortir d’ici. Retournant ce qui restait des vieux coussins, inspectant le plancher délabré et vérifiant chaque coin de la pièce, Andra recherchait le moindre petit indice. Une trace de quelque chose, un papier important laissé là par mégarde ou un mécanisme caché ; n’importe quoi qui puisse lui permettre de sortir du manoir. Mais après de longues minutes à fouiller la pièce de fond en comble dans un silence de mort, elle dû se résoudre à sortir de là bredouille. Elle retourna dans le corridor et appela les autres par acquis de conscience avant de s’engager dans une autre pièce.

- J’imagine que vous n’avez rien trouvé ?

-Ah ? Merci bien, mon brave. Vous êtes bien urbain.

Comment qu’il s’appelle déjà ? Machtorn ? Ca me fait penser à de la salade, ça me donne faim, et j’avoue, c’est quand même un peu rude de caler ce mot là dans ces circonstances, mais passons. Je vois donc débouler le jeune aventurier avec sur le visage une véritable volonté de me venir en aide. C’est vrai que je le soupçonne de ne pas être étranger à ce qui se trame ici, mais on ne dit jamais non à un coup de main, surtout quand on est en fâcheuse posture. J’ai le pied coincé et j’en fais part à mon sauveur qui s’approche pour mieux voir. Avec son aide, on arrive à m’extraire le pied du plancher pourrissant sans que je me casse la figure sous l’effort, ce qui est plutôt une bonne chose. Pendant le processus, une petite idée vient toquer à la porte de ma réflexion et je n’y fais pas attention au départ. Puis une fois une sûreté avec l’honnête homme en face de moi, elle se fait plus insistante et j’y fais attention. Attendez ? Le bois à certes pété sous mon poids, mais j’ai clairement plus gueulé que le bruit provoqué. D’où le jeune homme arrive la fleur au fusil ; même si cette expression n’a pas de sens dans le monde d’Aryon ; en sachant d’avance ce qui m’est arrivé. Clairement, il y a une couille dans le potage ; et celle là, à davantage de sens. J’allais le gracier de toutes mes suspicions, mais les voilà bien renforcer.

-Comment pouvais-tu savoir que du bois avait craqué sous mon pied avant même d’arriver ? Seul quelqu’un connaissant l’état du plancher pouvait savoir ça. Soit, quelqu’un qui connaît les lieux.

Je porte un doigt accusateur en direction de Lif Hachetord qui reste sans voix, clairement, sous l’émotion d’avoir été si facilement mis en défaut par mon intellect supérieur. C’est qu’on ne l’a fait pas à Whiskeyjack Callahan, future conseillé de la guilde, enfin, quand on peut se permettre de dire ça quand on connaît l’avenir, hein, ce qui n’est pas forcément le cas au moment où se déroule l’action, évidemment. Son silence abasourdi est une preuve de sa culpabilité et je vais mettre le coup fatal quand j’entends quelque chose à mon oreille. Je me retourne. Rien. De son côté, Laif semble aussi avoir entendu quelque chose, ou bien est-ce une tentative pour m’amadouer. Rien n’est moins sûr. J’ai même ma petite idée sur la question.

-C’est ton amie qui essaie de me jouer une farce pour te sortir de ton pétrin, c’est ça ? Liliane qu’elle s’appelle ? Liliane ! Je sais que t’es invisible. Ca ne prend pas !

Je regarde aux alentours pour essayer de la voir, mais bon, la tache est un peu ardue quand on cherche quelqu’un d’invisible. Je ne sais pas comment, mais elle parvient quand même à passer dans mon dos pour susurrer quelques mots incompréhensibles à mon oreille. Ça parle d’une grande joie et d’une grande tristesse à la fois. C’est l’inspiration que ça me donne. Mais c’est aussi fugace qu’un clignement de l’œil. Ça grince. Jusque là, rien ne méchant.

-Bon ? Ca suffit ?

Je crois que Leff Dachthor essaie de dire quelque chose en secouant la tête d’un air paniqué. Je vous avais dit qu’il était mauvais acteur ? Ca ne prend pas non plus. Rien ne saura ébranler mon valeureux travail de déduction. Puis là ! On voit les traces de pas. Alors, j’interviens. Je tente de chopper la fautive. Et là, je n’attrape que du vent. Rien. Quedal. Elle n’est pas invisible, elle n’est simplement pas là. Et puis il y a ce rire au loin. Qui ne correspond pas beaucoup à celui de Liliane et de la Milan. C’est peut-être à ce moment là que je commence vraiment à m’inquiéter et que l’affaire tourne au vinaigre. Finalement, l’autre décide de s’enfuir et à l’inverse de l’autre, lui, est visible, donc plus facilement rattrapable. Je m’élance à sa poursuite en mettant soigneusement mes pieds dans ses pas, histoire d’éviter les autres pièges du parquet qu’il doit connaître, responsable qu’il est.

Bon, clairement, ça se passe assez mal la suite. Mais l’intervention extérieur l’a plutôt bien expliqué, je vais pas trop radoter là-dessus. Ca surprend, c’est sûr. Je fais en sorte de suivre Leffe Hashtom de près, parce que a priori, l’agencement des pièces dans l’espace et le temps change avec une facilité déconcertante et qu’il serait malavisé de se retrouver seul, surtout qu’il doit savoir ce qu’il se passe. Hein ? Allez. Il a quelque chose à voir dans cette histoire. Non ? On va dire que oui. Ça vaut mieux. Je  veux pas pourrir dans ce manoir pour la nuit des temps, j’ai une élection à gagner. Au bout d’un moment, on finit par s’arrêter, parce que la fuite, ça fatigue. Et j’en profite pour mettre les choses aux clairs, entre deux reprises de souffles.

-Bon… Je comprends bien que votre farce vous dépasse. Mais est-ce qu’il y a un moyen de l’arrêter ? Est-ce que tu peux faire quelque chose d’utile ? La fuite n’est pas une solution à long terme.

Surtout que dans le fond, rien ne dit qu’on est amené là où le veut et que le choix de nos salles n’est pas un véritable choix en soit.

Pas de réponses. Les trois autres personnes enfermées avec elle dans ce foutu manoir n’avait pas à l’appel d’Andra. Elle se dit alors simplement qu’ils n’avaient bel et bien rien trouvés eux aussi et elle fit quelques pas dans le couloir pour aller visiter une autre pièce. Elle venait d’entrer dans ce qui semblait être un bureau qu’elle commença à fouiller. Tout un tas de choses trainaient encore dans la pièce alors Andra examina minutieusement chaque étagère, chaque tiroir, à la recherche d’un indice sur le manoir et d’une façon d’en sortir. Vieux livre, vieux document, plume, encre, … Elle avait beau chercher, elle ne trouva rien d’intéressant jusqu’à atterrir sur une boussole visiblement cassée puisque l’aiguille tournait aléatoirement au lieu d’indiquer une direction. Se disant que la boussole devait être dérèglée à cause de la magie à l’œuvre en ces lieux, elle décida de la garder malgré tout. Une fois qu’elle serait sortie de là, la boussole lui éviterait au moins de se perdre.

Mais avant même qu’elle n’ait eu le temps de ranger la boussole dans son sac, quelque chose lui glaça le sang. Elle venait d’entre des chuchotements juste derrière elle. Elle se retourna en surfait mais rien. Elle était toujours seule. Est-ce qu’elle devenait folle à cause de la situation ? Elle se posa la question en tout cas. Elle se rassura en se disant que ce n’était que son imagination et s’apprêtait à sortir quand elle entendit la voix pour la seconde fois. Elle ne comprenait pas ce qu’elle disait mais elle était sûre d’elle, cette voix était bien là. Ce n’était pas son imagination qui interprétait mal un de sons de la bâtisse. Et ce qui était sûr également était que cette voix n’augurait rien de bon. Elle ne s’y trompait pas : après la voix, le plancher se mit à grincer. Des pas se dessinèrent dans la poussière. Quelqu’un ou quelque chose d’invisible était là. La blonde allait se changer en sable pour quadriller la pièce et démasquer l’imposteur mais elle entendit un rire enfantin au loin. L’homme invisible avait dû avoir peur et avait quitté la pièce pour se réfugier autre part dans le manoir, son rire résonnant dans les couloirs.

Bien décidée à mettre la main sur ce gosse aussi invisible qu’agaçant, Andra sortit en trombe du bureau en pensant découvrir le couloir qui l’y avait menée mais elle arriva dans une toute autre pièce. Elle répéta l’opération une fois, deux fois, trois fois, … et encore et encore jusqu’à se rendre à l’évidence : les portes menaient à des pièces -aléatoires ou choisies- du manoir mais celle auxquelles elles devraient mener normalement. Mais Andra avait remarqué du coin de l’œil un détail tandis qu’elle passa d’une pièce à l’autre en écoutant les rire de ce foutu gosse invisible. Elle s’arrêta un moment dans l’une des pièces et fixa sa boussole puis tâcha de prendre des chemins correspondait approximativement aux directions indiquées par l’aiguille. Cette stratégie finit par la mener dans une pièce ou se trouvait l’autre femme enfermée dans ce manoir. Léliana. Elle était seule et paraissait complètement terrorisée ce qui n’étonnait pas la noble. Dès le début elle avait eu l’air d’être la moins sereine du groupe alors la retrouver apeurée n’avait rien d’étonnant. Qu’elle soit seule, en revanche, était plus surprenant. Le dénommé Leif était un de ses proches de ce qu’elle avait compris alors elle se demandait bien pourquoi ils s’étaient séparés. Elle alla pour s’approcher de la jeune femme et lui poser la question mais le rire enfantin résonna de plus belle dans tout le manoir tandis que Léliana regardait dans le vide. Rapidement Andra jeta un coup d’œil à la direction indiquée par sa boussole. L’apeurée au centre de la pièce se mit à se tordre et hurler de douleur ce qui fit reculer la blonde de quelques pas. Puis Léliana tomba genoux au sol et un froid glacial émanait d’elle. Timidement, Andra s’approcha pour essayer de comprendre et l’autre jeune femme releva son visage vers elle. Un visage horrifique, marqué de terreur et de douleur, ses yeux étaient devenus complètement noirs et pleuraient des larmes de sang tandis que des paroles prononcées dans un dialecte inconnu sortaient de sa bouche. Soudain, la porte de derrière elle commença à s’ouvrir dans un abominable grincement. Dans l’encadrement de la porte ne se trouvait que des ombres qui surgirent pour engloutir Léliana puis disparurent, laissa place à Jack. Andra était à bout de patience, ces plaisanteries malsaines lui tapait sur les nerfs depuis bien trop longtemps maintenant. Elle jeta un énième coup d’œil à sa boussole puis la rangea dans son sac.

- Ça suffit ! La plaisanterie n’a qu’assez durée !

Elle ne prêta même pas attention à Jack et se changea en sable, se ruant vers la direction qu’elle avait notée sur sa boussole. Si le rire résonnant dans l’ensemble du manoir rendait le point d’origine dur à déterminer, Andra était néanmoins sûre d’elle. Elle ne savait si les portes ne la téléportaient plus dans des endroits à aléatoire du fait qu’elles les passent sous forme de sable ou si c’était dû à autre chose mas toujours était il qu’elle semblait enfin réussir à garder le cap sans être désorientée sans arrêt. Elle arriva dans le corridor à l’étage où le rire était plus fort, lui confirmant que le gosse devait être ici. Elle balaya alors la zone de son sable, comme une véritable tempête. Mais rien. Rien du tout. Elle ne trouvait personne, aucun corps, de la sorte. En revanche, ses grains de sable avaient déniché quelque chose d’étrange sur une zone du mur. Un renfoncement anormal. Andra reprit forme humaine et tonna le mur dans la zone repérée jusqu’à faire s’ouvrir une porte cachée.

- Pars ici, j’ai trouvé quelque chose. fit-elle sans vraiment savoir si Jack l’avait suivie ou non.

Je suis du regard la jeune Milan qui s’éloigne sans s’attarder sur ma personne, au contraire de sa boussole qu’elle range précieusement. Je vois moins qu’une boussole. D’accord. Je note. C’est tout de même pas très sympa. Je reste un instant un peu immobile sans trop savoir quoi réagir. Il est vrai, que, peut-être, j’ai été un peu dur avec les deux zigotos. Mais c’est pas ma faute ! Les apparences étaient contre eux. Vous êtes bien d’accord avec moi, non ? Tout le monde aurait pu s’y méprendre. Mais là, le coup que vient de me faire Leif sous mes yeux, après une énième tentative de me persuader de sa bonne foi, il a de quoi vous retourner le cerveau. On est à la limite du choquant, dans le déroulé. Cette ombre qui avale totalement un être humain, le faisant disparaître, après qu’elle ait eu à souffrir de quelque chose d’invisible, mais de terriblement douloureux ; c’est qu’on gueule pas comme ça quand on s’est juste cogner le genou contre une porte. Rien ne l’a touché. Et pourtant, il a commencé à balancer autant de froid que de décibel. Et toujours cette voix enfantine. Mon moi d’avant aurait dit que c’était cette Léliana, mais faire ça à son ami, ça serait un sacré coup de couteau dans le dos. Choisis mieux tes amis, Leif. Mais ça, ça me parait saugrenue. Leif serait au courant de son pouvoir. De ses capacités. Elle aurait réagi. Dit quelque chose. Il n’y avait que de la douleur sur son visage.

Pardon, c’était pas vous.
Ça n’enlève en rien la problématique de la situation.
Donc, pardon, mais plus tard.

De qui se méfier, alors ? Faut-il se méfier de cette Andra Milan alors ? C’est qu’elle était de l’autre côté de la porte quand Leif a hurlé. Encore, la disparition du corps, je peux lui pardonner de pas avoir fait gaffe. C’est allé très vite et en passant la porte, c’est comme s’il s’était vaporisé. Mais c’est qu’il a bien envoyé, le jeunot. Est-ce qu’on aurait pas là une des preuves de la rumeur totalement infondée comme quoi les nobles sont des gens insensibles et indifférents aux sorts des petites gens ? Je ne me prononcerais pas là-dessus. Je vais pas croire qu’elle est derrière tout ça. Elle a une réputation, certes, mais pas de faire ça. J’espère. Mais elle doit avoir quelque chose derrière la tête pour s’en être moqué autant. Quelque chose qui a peut-être avoir avec cette boussole. Sait-elle comment sortir de ces lieux ? Et donc, elle ne va pas perdre de temps à s’embarrasser du sort des gens de la plèbe et continuer son chemin vers la liberté, seul de préférence. Vraiment pas très sympa. Et quand je finis par arriver à cette réflexion dans cette unité de temps si rapide qu’en fait il n’a duré que deux battements de cœurs ; à voir à quelle rythme votre cœur bat, la mort n’est pas compté ; je me dis qu’il ne faut pas lâcher la noble d’une semelle. Enfin, façon de parler, puisqu’elle s’est transformé en sable. Vous savez ? Celui qui est grossier, agressif, irritant et qui s’insinue partout. Je parle évidemment pas d’une noble, là.

Du coup, je suis pas très loin quand la Milan reprend forme. Pas trop près hein, parce que je me suis demandé ce qu’il se passé si j’avalais un grain de sable par erreur. Est-ce qu’il sort de mon corps pour reformer son propriétaire par un chemin incluant le percement de tous mes organes vitaux ? Ça serait pas très rigolo, je vous l’accorde. Bref, j’emboite le pas de la noble pour entrer à sa suite dans une sorte de cabinet des horreurs. En même temps, une porte cachée, on allait pas s’attendre à tomber sur la collection honteuse des dessins d’enfants des propriétaires des lieux. Non. Sur des étagères, des tas de babioles parfois très communes, mais aux auras terriblement dérangeante. Sur une table, des gribouillis avec des annotations dans une langue inconnue. Pour mettre encore mieux dans l’ambiance, il y a ces dessins d’humains comme si on comptait les disséquer. Toujours sympa comme idée déco.

-Touchons à rien ! On ne sait pas ce qui peut se passer !

‘Fin, si, on en devine plein. Des potentiellement létaux pour ceux qui ne sauront pas se transformer en sable à temps. Genre moi. Puisque je ne peux pas. Au fond de la salle, j’identifie une sorte de piédestal avec une grosse boule sombre posé dessus. Et quelque chose me dit que ce truc est important, mais terriblement dangereux. Afin de faire une grosse bêtise, je me concentre sur les bibelots. Pour trouver quelque chose qui pourrait être utile. Un genre de boussole qui pourrait me sauver quand la noble aura décidé de faire cavalier seul. Devrais-je prendre ce chandelier dont les flammes sont comme des yeux vous regardant d’un air moqueur ? Ou plutôt cette boule de verre, grosse comme le poing, contenant une fumée tournoyante formant de terrifiants visages horrifiés. Peut-être ce qu’il y a à côté peut-être utile : une plume d’oie longue d’un bras qui semble perler des gouttes de sang sans qu’il y ait de recharge de sang à proximité. Fascinant, hein ? Mais le plus fascinant, c’est sans nul doute le crane poli d’un animal, accroché au mur, vous fixant de ces orbites vides. Et en les regardant, on pourrait presque y voir une petite lueur rouge tandis qu’une petite voix vous chuchote à l’oreille de venir plus près. Encore plus près. Une murmure lancinant qui fait son bonhomme de chemin et qui a plutôt sa place dans ce musée des choses aussi étranges que perturbantes. Evidemment, je ne m’approche pas. Enfin, j’ai dû faire trois pas, mais ça n’a rien à voir avec un quelconque pouvoir hypnotique qui aurait tenté de m’amadouer. Ah ça non. Je m’écarte à nouveau de la tête et ma main se porte sur la grosse boule de verre dans le plus grand des hasards. Dans le doute, je pourrais le fracasser sur le crane de quelqu’un. Enfin, quelqu’un de matériel. Et il y a pas masse ici.

Je me retourne pour faire gaffe à la noble et je m’apprête surtout à déguerpir dès que le moment s’en fait sentir. En restant près de la porte, je pourrais sortir en premier et refermer derrière moi, évitant ainsi les nuées de rats, les torrents de sang ou bien encore la chose qui a fait disparaître Leif tantôt. Ça serait un sacré défi de le faire avant que mademoiselle Milan n’intervienne, mais on fait avec ce que le destin nous donne, non ? Et ça peut vous paraître risible de se croire protéger derrière une simple porte, mais on fait avec ce qu’on peut. Quand quelque chose à le pouvoir de faire disparaître des gens dans la souffrance la plus totale, mais qu’elle vous épargne pour l’instant, c’est que soit elle s’amuse, soit elle a des limites. On espère que c’est le deuxième. Et alors que je pensais m’arrêter là, il me vient un truc qu’on a peut-être oublié. Parce que je pars du principe que je l’ai pas vu.

-C’est quand la dernière fois que t’as vu Léliana ?