ou la ballade du dracaufleur
qui apprenait à vivre
[PV @Zilith Hesediel]
Luz jeta un dernier regard à l’ample masure dont l’ombre recouvrait le jardin à cette heure, aussi antique qu’une falaise dans la nuit. Les allées pavées étaient environnées d’un halo huileux tremblotant au rythme des feux de rue, et quelques passants commençaient à les parcourir d’un pas pressé, apprêtés pour quelques fêtes et soirées dans le riche salon d’un comparse. Luz referma les pans de son manteau sur ses flancs et son cou s’enfonça dans la fourrure duveteuse de son col. Les soirées se faisaient froides, et une frustration bouillait dans ses entrailles. Elle se détacha malgré elle de la contemplation de la demeure qui la narguait toujours et se hissa en selle d’un mouvement souple et habitué des hanches. Par bien des aspects, son enquête avait abouti à une impasse. Elle connaissait pourtant le couple Hesediel depuis bien longtemps, quoique très peu. Ses informations se limitaient à ce qu’ils voulaient bien laisser paraître en public lors des rares contacts entre la famille Weiss et la leur. Ils avaient en effet assistés à deux ou trois soirées communes, plus de dix ans auparavant. Autant dire que Luz n’en conservait qu’un souvenir trouble, altéré par sa jeunesse et par les affres du vin qu’elle dérobait alors dans le dos de son grand-père. Elle se souvenait vaguement de la présence d’une enfant, mais ses parents avaient déjà pris l’étrange habitude de la protéger et de la masquer aux yeux des visiteurs indiscrets. Son frère était bien plus connu. L’on disait qu’il s’était marié à la plus ravissante des jeunes héritières et qu’il était parvenu à décrocher la place de Conseiller au palais royal. Un avenir tout tracé pour un jeune homme prometteur…
La praticienne aurait pu tenter de le coincer dans ce fameux palais royal justement. Prétexter une excuse ou une autre pour l’interroger subtilement sur sa sœur, comme elle l’avait fait pour ses parents. Mais force était de constater qu’elle n’était pas des plus douées dans ce domaine et que se mettre à dos la totalité de la sphère Noble n’était pas dans ses plans… Elle avait donc ramené le sujet à l’excellence du thé lorsqu’elle avait décelé un pli de consternation et de raideur dans les sourcils des maîtres de maison et n’avait plus tenté d’évoquer le sujet de leurs enfants. Etaient-ils en mauvais terme avec elle ? Elle soupira, à demi bercée par le cataclop des sabots de sa monture sur les pavés. Un petit alezan docile qui avait la sale manie de tenter de manger ses cheveux dès qu’elle s’affairait à récurer ses sabots ou son poil. Par la sainte poitrine de Lucy, Luz n’était décidément pas prête à enterrer la hache de guerre avec ces satanées bourriques.
Elle glissa distraitement deux doigts songeurs sur son menton. Elle faisait partout savoir depuis quelques semaines qu’elle était à la recherche de talents rares dans le domaine médical pour garantir la bonne ouverture de son hôpital. La construction était désormais terminée et il était grand temps de recruter. Quel meilleur canal alors que de profiter du bouche à oreille ? C’était précisément de cette manière qu’une rumeur lui avait été rapportée… Une jeune femme un peu trop ivre avait vanté les mérites d’une connaissance en matière de magie de soin face à un herboriste décati et tout aussi éméché. C’en était suivi une joute verbale de haute volée qui s’était visiblement terminée par une énorme cuite et la disparition de trois précieuses bouteilles – le tavernier avait longuement insisté sur ce point auprès de Luz. Quant à la jeune femme elle-même, plus aucune trace d’elle depuis qu’ils l’avaient vue repartir cahin caha avec son adversaire du soir en chantant des chansons paillardes.
Il n’empêche que la praticienne s’était intéressée à cette histoire, corroborée par plusieurs autres rumeurs : il existait bien quelque part dans la Capitale une demoiselle dont l’étrange pouvoir de soin était foutrement efficace. En recoupant les nombreuses informations à sa disposition, Luz avait fini par comprendre qu’elle était dépeinte comme une jeune femme aux longs cheveux roses. Ciel de cerisier l’avait gracieusement appelée une vieille mamie en hommage à sa vitalité et à ses yeux qu’elle avait décrit comme d’un beau bleu céruléen. Et son chemin semblait prendre de longs détours, dont l’origine débutait à proximité de la demeure des Hesediel… Loué soit le carnet d’adresse des espions, songea Luz le lendemain, tandis qu’elle s’apprêtait à se rendre au marché, zone où la jeune femme semblait avoir été régulièrement croisée. Elle n’aurait pas su improviser sans l’aide extérieure de sa colocataire, Zahria.
Elle en était donc à plisser les yeux sur un vague portrait potentiel de Ciel de cerisier, lorsque ses prunelles éberluées tombèrent sur un minois quasiment identique qui marchait en sens inverse. Elle arborait une lippe concentrée et peinait à porter une dizaine de sacs en tous genres sur ses frêles épaules. Luz put apercevoir des œufs dans l’un et le sommet broussailleux d’un bouquet de persil dans un autre. Elle portait des courses. Luz dut s’ébrouer pour chasser sa stupéfaction. Il n’y avait plus qu’un moyen d’enquêter et de comprendre la nature de cette rumeur…
Elle avança d’un pas et se fendit d’un sourire chaleureux.
Bravo Luz. Quelle superbe phrase d’accroche dramatiquement nulle. Elle se serait appelée Jean-Charles, 1 mètre 80 et une moustache de conducteur de caravane, cette pseudo drague n’aurait pas été plus atrocement déplacée. Son sourire se fit un brin plus désolé et elle se sentit obligée de se justifier :
Si il y avait bien une chose que l’on ne pouvait ôter à Zilith en dehors de sa timidité c’était bien sa maladresse, pourtant elle s’obstinait à empiler toujours plus de sac sur ses épaules. L’idée n’était pas mauvaise en soit, si ça n’avait pas été la sienne. Sans compter ses capacités physiques digne de celle d’un bigorneau. Jouant les funambules, esquivant avec toute la peine du monde les quelques passants qui, pour certains, ne lui adressait que de vague grognement elle commença enfin à trouver un juste équilibre. Précaire, certes, mais qui lui permettait de gagner du temps. Elle n’aurait pas donné cher de sa peau si elle avait du faire plusieurs allers et retours afin de rapporter tout les sacs à bon port. La rombière ne le lui aurait pas pardonné.
La rose était en train de pester intérieurement derrière sa muraille de paquetage quand une voix interrompit le cours de ses pensées, la faisant sursauter. Sa tour de fortune vacilla, pencha à l’en faire pâlir et se redressa par l’intervention de sainte Lucy. Inconsciemment Zilith poussa un soupir de soulagement. Enfin, elle étira le cou afin de regarder par dessus les sacs.
- Euh… B-Bonjour… Marmonna-t-elle sans vraiment savoir pourquoi la jeune femme s’était interposée sur son chemin. Non pas qu’elle eut l’air encombrée mais un peu tout de même. D’un mouvement sec et pas parfaitement maîtrisé, elle rehaussa un sac et le cala sur sa hanche.
La proposition fut aussi soudaine que leur rencontre. Sans dire que la compassion était une chose rare c’était probablement la première fois qu’une personne venait spontanément lui proposer son aide. Qui ne serait pas de trop soit dit en passant. Toutefois, la noble se trouva dans une impasse. Etait-il approprié de laisser ainsi une inconnue travailler à sa place ? Bouche bée, elle la regarda un long moment, passant en revu ses boucles flamboyantes et ses yeux vert olive. Elles ne se connaissaient pas, une telle personne aurait marqué sa mémoire, au moins autant que maintenant. La présence solaire de la jeune femme la mit d'ailleurs rapidement mal à l’aise et elle se mit à danser d’un pied sur l’autre alors que son visage se fendait d’un sourire nébuleux.
- Je… Mh… Aaah… Merci… Mais.. Hum… Ma Dame. Je suis payée pour se travail… Il serait malvenue de ma part de vous… Euh… Et bien…De vous faire travailler alors que moi je suis payée pour. Elle eut un petit rire gêné. - Enfin vous voyez ce que je veux dire ? Ahaha… Mais ce-c’est très gentil de votre part ! J’apprécie ! Vraiment ! N’y voyez pas là quelconque rejet, enfin si… Mais non… Je… Sa bouche s’ouvrit de nouveau mais aucun son n’en sortie et elle la referma aussitôt. « Tu es un génie » lui souffla son esprit avec ironie. Ne sachant que faire d’autre elle se pencha vers l’avant dans l’espoir d’un salut polie. - Je suis désolée. Mais c’était sans compter la boite d’œuf qui décida de reprendre sa liberté sous le regard complètement désespéré de Zilith.
Oh, par tous les saints sacrements de Lucy, dieu qu’elle était mignonne ! Luz la détailla avec cette étrange fixité gênante qui la saisissait parfois, les lèvres légèrement entrouvertes sur une réplique qui ne viendrait jamais, ignorant superbement le refus de la jeune femme. A vrai dire, son cerveau ne l’avait pas même entendu, occupée qu’elle était à absorber les informations que lui confiait son regard… Elle n’était pas bien grande ni dotée de ces formes opulentes qui attiraient tant l'attention masculine – et pourtant ! Sa peau était de nacre, épargnée par la caresse du soleil et resplendissante dans le petit matin. Cette blancheur faisait ressortir les perles d’un bleu vert qui lui servaient de prunelles, qu’un trait d’encre rouge renforçait d’autant. La finesse de ses traits et de sa taille allait à merveille avec la pointe rougissante de ses pommettes et cette manière qu'elle avait de parler entrecoupée de doutes et d’hésitations charmantes. Cela n’en serait tenu qu’à elle, Luz aurait immédiatement signé les papiers d’adoption.
En l’occurrence, elle avait malheureusement affaire à une femme bien vivante, dont le mouvement arracha d’ailleurs une boite d’œufs à sa paisible retraite. Vive comme un serpent, la senestre de Luz jaillit de sa manche pour réceptionner cet outrecuidant invité : sous ses yeux estomaqués, elle se vit donc décocher un splendide uppercut dans la boite d’œufs qui partit s’écraser sur leurs pieds avec la violence d’un vieux flan explosé au sol. Elle demeura là, figée d’horreur, l’espace d’un demi-millième de seconde.
Elle blêmit. Jean-Charles avait désormais des réflexes surhumains de destruction massive. Elle leva l’un de ses pieds et constata que leurs quatre chaussures étaient maculées d’œufs liquides. Le bas de l’uniforme de la jeune femme n’avait pas été épargné, de même que l’ourlet du pantalon d’équitation de la praticienne. Alors, Luz entrevit la lumière dans les nuages noirs mentaux de son esprit. Une opportunité à saisir, quelque chose pour convaincre la jeune travailleuse de rester un peu plus longtemps en sa compagnie… Elle se détendit imperceptiblement et un semi sourire amusé se dessina sur ses lèvres.
Son sourire s’élargit, ab-so-lu-ment certaine de son petit effet. Aucun prédateur sexuel à l’horizon, non non. Elle dut faire un effort pour faire disparaitre son sourire de crocodile et tâcha de faire transparaître toute la douceur possible sur ses traits :
Elle espérait que la perspective d’être assise à proximité de la foule rassurerait considérablement son interlocutrice. Ainsi, aucun danger potentiel ne pourrait venir troubler leur discussion. Etait-elle domestique d’une grande maison bourgeoise ? Travaillait-elle pour une auberge à proximité ? Elle avait mentionné être payée pour faire ces courses… Etait-elle véritablement l’héritière Hesediel ? Luz ne voyait certainement pas les parents autoriser leur fille à accomplir chaque jour de basses besognes pour gagner sa pitance… La question méritait d’être creusée, et le mystère qui environnait la rose s’épaississait. Hors de question de ce fait de la laisser fuir ! Elle ajouta ainsi avec une conviction armée de volonté :
Traduction, elle attendra aussi longtemps qu’il le faudra. Dans le pire des cas, une jeune femme aux cheveux de cette couleur ne devait pas non plus être bien difficile à retrouver dans la Capitale, tout de même !
- C-c’est… Ce n’est rien. Marmonna-t-elle. - J’aurais du faire plus attention… Bien, il était maintenant temps de filer. - Je vais vous lai… Naïve qu’elle était. Elle aurait dû se douter qu’un tel sourire en coin sur un visage aux traits si taquin n’était pas un signe de rédemption. Et aussi étrange que cela puisse paraître, au lieu de prendre la poudre d’escampette, elle l’écouta. Peut-être aussi parce qu’elle se trouvait encore en travers de sa route et qu’elle n’était pas emballée à l’idée de goutter elle aussi à son poing destructeur. - Non, quoi ? Répondit-elle avec méfiance à son interrogation. - Un verre ? Le voilà le guet-apens tant attendu qu’elle ne saurait éviter. C’est même à pieds joints qu’elle y sauta. Peut-être aurait-elle refusé si elle n’avait pas déjà décliné sa proposition de l’aider plus tôt. Toujours est-il qu’elle opina.
Un verre ? Après tout ce n’était rien de méchant. C’est ce qu’aurait sans doute pensé quelqu’un qui n’était pas Zilith. Pour sa part elle sentait déjà ses genoux s’entrechoquer et ses bras devenir de la guimauve. Son cœur loupait bien trop de battement, si bien qu’elle se demanda si elle n’allait pas y laisser sa peau. Et cette terrasse… Cette maudite terrasse déjà bondée, qui ne le serait qu’encore plus quand elle reviendrait. Si son sens de l’honneur avait été du niveau de celui d’Astrid elle ne serait jamais revenu. Cependant sa nature profonde l’incitait à ne pas lui poser un lapin, encore moins à une jolie demoiselle telle que Luz. A cette simple pensée elle rougit de nouveau.
- D’accord. Finit-elle par trancher sans certitude. - Alors… Je… Eh bien je vous dis à plus tard. Je suis désolée pour vos chaussures, vraiment, j’essaierais de ramener de quoi les nettoyer. Mais je dois y aller, ma cliente n’est pas une personne patiente. Ses paroles furent débitées comme le torrent inarrêtable d’une rivière en crue et elle poursuivit. - Non pas qu’elle ne soit pas une personne agréable hein, loin de là. C’est une vieille dame. Enfin je ne dis pas là que les personnes âgées sont embêtantes, elles sont simplement plus dépendantes, et puis je suis contente de lui rendre service, enfin ce n’est pas un service puisqu’elle me paie mais...Oh… Soupira-t-elle dépitée et à bout de souffle. Une grimace déforma ses traits, ses épaules s’affaissèrent un peu. - Z-Zi…Zilith He… Zilith. Confirma la petite noble avec plus de fermeté. Luz n’avait aucunement besoin de connaître son nom de famille, surtout que quelque chose chatouillait sa mémoire. Weiss… Sans être un nom de famille rependu il sonnait étrangement commun à ses oreilles. Mais elle se garda de le lui faire remarquer, son retard commençait à être bien trop grand. Réajustement comme elle put les sacs de course elle adressa l’esquisse d’un sourire à la jeune femme. - Je reviens. Dans une tornade de cheveux rose elle tourna les talons et disparu à l’angle d’une rue.
« C’était moins une... » Le dos appuyé contre le mur, les yeux exorbités par le stress et la respiration saccadée, Zilith tentait tant bien que mal de canaliser le stress qui l’avait subitement assaillit dès qu’elle avait échappé au regard acérée de sa nouvelle rencontre. Que cela soit par ses yeux scrutateurs, qui lui donnaient l’impression d’être une souris prise dans le piège d’un rapace, ou de cette aura assurée qui l’écrasait elle et sa timidité, Zilith était bouleversée. Peut-être aussi parce qu’elle ne l’a laissait pas complètement indifférente. Elle secoua la tête avec force, manquant de faire tomber une laitue. Ses émotions étaient bien trop vite toutes retournées, la beauté la touchait bien trop facilement, sa rencontre avec Luz ne faisait que confirmer ce fait déjà avéré. Un nouveau soupir lui échappa. Il était temps de faire son travail.
Comme elle s’y était attendu la grand-mère l’attendait de pied ferme, emmitouflé dans une petite laine et faisant balancer son vieux rocking-chair dans un grincement lugubre. Ses yeux noirs et petits comme ceux d’une souris scrutèrent son visage. Zilith se contorsionna afin d’effectuer une petite révérence polie, s’excusa platement puis fila ranger toutes les courses dans un silence quasi inviolable. Les minutes s’écoulèrent, troublées de temps à autre par le claquement d’une porte te placard.
- Pourquoi es-tu si rouge ma fille ?
Zilith releva nerveusement la tête et se mordilla la lèvre instinctivement.
- J-je-j’ai couru.
- Tu as couru et tu es arrivé en retard ? Moi je crois que tu batifolais.
- Quoi ? Non ! Ma dame, je vous le jure ! S’écria-t-elle.
Pour toute réponse le rire de la vieille femme raisonna.
- Non, bien sur que non, tu es bien trop coincée pour ça ma fille. Je ne sais pas d’où tu sors mais c’est à croire que l’on t’as enfoncé un manche à balais dans le soupirail rectal. Tu m’dirais que tu es une petite nobliette que ça me surprendrait pas.
La rose ouvrit la bouche pour rétorquer mais se ravisa rapidement.
- Allons allons, ne fait pas cette tête.
- Je viens de me rendre compte que j’ai oublié vos œufs, je vous les rapporterez plus tard. Prétexta-t-elle pour changer de sujet.
- Tch… Un grognement échappa aux lèvres ridées de d’Aiglefeuille et elle croisa les bras sur sa poitrine. - Bien. Retourne les chercher. Je te paierais quand j’aurais mes œufs. Les jeunes de nos jours… On ne peut pas leur confier la plus simple des missions. Va ma fille et cesse d’user mes pauvres nerfs, ils ont eut assez d’une vie !
Révérencieuse, elle s’inclina bassement et tourna les talons.
Par chance la petite place où elle avait fait la rencontre de Luz n’était pas très loin et surtout son sens de l’orientation s’était amélioré. Ce qu’elle n’aurait pas parié il y avait de cela un petit mois. A l’époque elle s’était perdu plus d’une fois, à tel point que c’est Astrid qui avait du l’accompagner sur ses premières missions, au moins le temps qu’elle retienne les artères principales de la capitale. Après toutes ces semaines elle les maîtrisaient mieux ; elle commençait même à retenir de petits raccourcis, ci et là, qui lui étaient fort utile pour gagner du temps.
Deux grands-pères se tenaient, pipe à la main, dans un recoin de la terrasse, les volutes de fumée montaient en tourbillon se faisant et se défaisant au rythme de leurs rires soufflés. Un peu plus sur la droite une jeune femme aux cheveux d’un noir d’encre se tenait penché sur un vieux livre, ses yeux suivaient les lignes à une vitesse folle. Bien trop absorbée par l’ouvrage elle ne releva pas la tête lorsque deux bambins passèrent en criant juste à côté d’elle pour disparaître derrière le rideau de l’entrée. Enfin, à l’extrémité droite, a une petite table excentré -pour son plus grand plaisir -, se tenait Luz. « Tout va bien se passer. Tu peux le faire. Aller Zi’, soit une grande fille. » Elle fit un pas en avant. « Aller, c’est elle qui t’as invité en plus. Tu y vas, tu prend la chaise et tu t’assois ! » Et elle le fit. Mais à un pas de la table elle effectua un demi tour puis un second et posa finalement sa main sur le dossier en bois. - Bonjour… Enfin.. Je suis… Euh… Revenu… Voilà. D’un geste sec elle tira la chaise et s’assit dessus, glissant ses mains entre ses cuisses, baissant les yeux sur le sol. Le silence qui s’installa lui sembla bien plus gênant que les paroles hachurées qui lui échappait, alors, sans laisser le temps à Luz d’en placer une elle reprit. - Vous…Sans vouloir vous offenser ma dame, j’ai déjà un travail. Je veux dire, tout à l’heure vous parliez d’un travail à me proposer… Ses iris bleuâtre croisèrent furtivement celles de la rousse et elles replongèrent sur la table. Son palpitant battait si fort dans sa cage thoracique qu’elle se mit à craindre que Luz l’entendit.
Luz était une personne compatissante, investie d’une profonde empathie et compréhension de son prochain. C’est donc pour cette raison qu’elle écouta avec attention la première remarque que lui délivra la dénommée Zilith, avant de balayer l’argument d’un grand geste de la main avec la grâce impériale d’une Souveraine tranchant le destin de ses sujets. Oui, aujourd’hui, Luz se sentait l’âme d’une racaille s’apprêtant à racketter dignement une jeune fille innocente dans la rue. Maligne et renarde, elle fit glisser sur la table les trois boites d’œuf fraichement acquises jusqu’à sa jolie invitée, davantage pour la désarçonner dans son refus que pour le lui offrir. Elle n’avait néanmoins pas lésiné sur les moyens puisque les dites boites étaient désormais peintes à la main, comprenant 12 œufs chacune.
C’est qu’elle lui paraissait bien fine sous son uniforme, ce qui ne cessait d’aiguillonner l’instinct maternel de la praticienne. Elle avait mis à profit son temps d’attente pour réfléchir à la situation présente, au demeurant fort compliquée… Qui était exactement son interlocutrice ? Sa grâce naturelle était empreinte d’un petit quelque chose de Noble, et pourtant ses mains commençaient à s’abimer du travail manuel qu’elle devait à présent faire depuis quelques temps. Elle faisait les courses pour une personne âgée… Quelqu’un de sa famille ? Un travail alimentaire ? La situation lui plaisait-elle ? Son prénom n’avait pas réveillé d’échos révolutionnaires dans la mémoire de la rousse, bien que pouvant tout à fait convenir à la probable fille des Hesediel. Elle était contrainte de se l’avouer : elle n’avait aucune preuve irréfutable en sa possession. Et ne savait pas même si sa vie actuelle lui convenait, elle qui défendait si ardemment son métier.
Pour autant, elle le sentait, cela valait le coup d’essayer. Luz était persuadée de pouvoir lui apporter davantage, un rôle dans la société ou la sensation d’être utile à autrui, puisque les personnes âgées semblaient lui convenir. Elle ne venait pas l’empoisonner de valeur ni la débaucher pour quelques objectifs obscurs – et cela seul contribuait à la rassurer intérieurement. Elle avait ainsi opté pour un franc parler sans fioriture, une honnêteté qu’elle jugeait désormais essentielle pour garantir une bonne relation par la suite avec elle. Si Zilith acceptait, bien entendu. Mais l’on ne construisait rien en mentant sur ses intentions premières et Luz était prête à prendre le risque de l’effrayer s’il le fallait. Elle s’installa de ce fait confortablement contre le dossier de sa chaise, ses mains aux longs doigts croisés posées contre son giron, sur ses cuisses.
Un marché qu’elle jugeait honnête. Et qui lui éviterait de parler dans le vide pendant que la belle rose s’enfuyait à toutes jambes.
Elle ne put empêcher sa dextre d’échapper à son contrôle, s’agitant dans les airs pour souligner son propos. Elle se fendit pour sa part d’un sourire rassurant et aussi paisible qu’un lac de montagne :
Elle ancra ses prunelles aux iris bleu vert de sa voisine et se pencha sensiblement vers la table, les bras appuyés sur celle-ci.
Tout ceci n’était malheureusement qu’un vaste coup de poker. Elle ignorait totalement qu’elles étaient les aspirations de la jeune femme, ni si son discours ferait mouche. Mais heh, à ne pas prendre de risque, on n’avançait jamais !
Ah, je comprends bien sûr que tout ceci soit un peu surprenant à absorber ! Je n’attends pas de réponse immédiate de votre part à vrai dire, mais je souhaiterais que vous y réfléchissiez sérieusement. Je suis disponible pour toutes questions que vous auriez… »
Ses prunelles pétillèrent, cherchant à glisser une once de douceur dans son discours. Ce fut cet instant que choisit un serveur pour s’inviter à leur table et prendre leur commande :
- Mais vous ne deviez pas… « En acheter autant » aurait-elle voulu finir. Mais la noble lui coupa parole. C’était un présent utile, indéniablement et Astrid serait ravie de savoir qu’elles auraient des œufs -gratuit- au menu. Mais Zilith, elle, ne l’entendait pas de cette oreille. Ils n’étaient pas mérités, elle n’avait pas travaillé pour acquérir cela. Pourtant elle ne pipa mot, sa timidité était bien trop grande. A la place elle fit un effort considérable pour chasser toutes les pensées intruses ou déplacée et ne se concentrer que sur son interlocutrice. Elle lui devait bien ça. Alors, inconsciemment elle imita sa position, se redressant – si cela était possible – sur sa chaise et rivant ses yeux pâle dans ceux de la demoiselle. - Je vous écoute. Dit-elle simplement d’une petite voix qui fut facilement recouverte par le brouhaha environnant.
Le discours de Luz la laissa sans voix. Qu’elle ne la trouve pas par hasard n’était déjà pas rassurant mais qu’en plus elle fut au courant de ses capacités l’était encore moins. En dehors des membres de sa famille rare était les personnes au fait. Quelques rumeurs avaient éclos ci et là mais sans jamais obtenir de preuve ; elles s’étaient éteintes en un rien de temps. Pour la première fois depuis son arrivée la jeune Hesediel regarda vraiment la jeune femme qui lui faisait face et elle se demanda : « Etait-elle vraiment partie à la recherche d’un pouvoir sur de simple supposition ? », et étrangement quelque chose lui soufflait que oui. Elle lui parla ensuite de l’hôpital ; intérieurement Zilith remercia Astrid de l’avoir remarqué avant elle. Quel air aurait elle eut si elle l’avait coupé à base de « Un établissement hospitalier ? Jamais vu » ? Il valait mieux ne pas y penser.
Au final la jeune femme avait vu juste ; les mots qu’elle employait faisaient sens dans l’esprit de la rose, plus encore, comme une goutte d’eau dans le calme plat d’une mare, les échos se répercutèrent dans chaque fibre de son être. Luz lui offrait sur un plateau d’argent se qu’elle était venu chercher. Toute sa vie n’avait été que discrétion et cachotterie. Aux yeux du monde elle n’était personne, peu de gens connaissaient son existence, encore moins son nom. Et surtout elle n’était utile en rien. Hormis à faire d’elle sa prisonnière, son pouvoir n’avait jamais servit à quoi que ce soit. Jugé trop puissant par ceux de son monde. Une bribe de souvenir vint alors se faufiler dans la noirceur de ses réflexions, sous la forme d’un oiseau bleu. Il y avait une personne à qui ses capacités avait été utiles ; elle s’était retrouvé enchaîné à elle. A croire que ce qu’ils appelaient un don n’était autre qu’une malédiction pour Zilith. Le souvenir de sa mère lui revint ; «Une malédiction s’accompagne toujours de son contraire, mon enfant ». Si à l’époque elle n’avait pas vraiment saisie où elle voulait en venir, le voile d’incompréhension était en train de se retirer.
- Je… Euh… Du… La même chose. S’il vous plait. Balbutia-t-elle tout en s’efforçant de se souvenir des dernières paroles de Luz mais aussi de ses propres idées. Ses yeux gagnèrent la table et ses mains commencèrent à se tordre dans tout les sens, elle se mordit la lèvre et enfin releva la tête. - Comment avez vous su ? Demanda enfin la petite noble. Elle voulait savoir, était-ce un pur coup de poker auquel cas sa camarade devait être un peu folle ou est-ce qu’elle avait rencontré quelqu’un qui l’avait trahi ? - Mais je crois que vous faites erreur… Mon pouvoir… Comment dire… Il n’est pas aussi efficace que vous pouvez le croire et surtout… Elle s’arrêta, cherchant ses mots. - Je ne l’ai utilisé qu’une fois par erreur. Je ne sais pas.. Mh… Comment il fonctionne. Enfin... J-je n'en ai qu'une vague idée. Ça c’était honteux, Zilith le savait. Mais la franchise de Luz l’obligeait à répondre avec autant de sincérité. - Vous ne pensez pas qu’il y a des talents bien plus exploitable ? Et des gens beaucoup plus...Mh… Doués ? Vous voyez ? Ses mains n’avaient pas cessées de se tortiller et la pauvre fut bien incapable de retenir un sursaut lorsque l’homme revint poser les verres sur la table.
« Tu n’as jamais bu d’alcool, idiote » songea-t-elle alors que ses doigts glissaient autour du verre.
Une lueur vive traversa les prunelles de la praticienne, témoignage sans équivoque de son regain d’espoir. Elle qui n’était certaine de rien au moment d’abattre ses cartes sur la table, venait d’obtenir la preuve que cette dénommée Zilith était bien détentrice d’un don, ou du moins de quelque chose qui s’apparentait à des soins magiques. Dans le cas contraire, la jeune fille aurait tâché de démentir ses affirmations, et non de creuser la question comme elle le faisait en cet instant. Luz jugea qu’il était important de répondre à ses interrogations et de lui expliquer plus avant le cheminement de sa pensée – peut-être la considérerait-elle moins effrayante si elle se rapprochait davantage de l’humain que du prédateur sexuel ? Elle esquissa une moue d’excuse, vaguement désolée de ce qu’elle s’apprêtait à révéler. Elle espérait ne pas plonger sa si agréable compagne dans les turpitudes de l’angoisse et de la paranoïa.
Son statut de femme à tout faire semblait avoir porté ses fruits, et la plupart des clients sur lesquels Luz était tombée n’avaient dit que des compliments à son sujet. Si la praticienne n’était pas certaine de ses réelles capacités magiques, elle avait du moins la preuve de son tempérament altruiste et de ses aptitudes à se dépasser pour autrui. Cela serait un réel gâchis que de la laisser retourner à sa sphère familiale… Elle attrapa son verre de deux doigts machinaux et porta celui-ci à ses lèvres pour en déguster l’arôme. Elle ne put empêcher un sourcil interrogateur de se soulever lorsqu’elle constata que Zilith avait pris la même chose. Oh ? Une autre grande amatrice de vin ? Sous ses airs de naïveté beaucoup trop adorable, avait-elle l’âme d’une œnologue de talent ? Luz faillit déraper. Et fit un effort pour chasser de son esprit la tentation de découvrir quel goût aurait le vin sur ces lèvres si roses et si charmantes. Elle se laissa aller contre le dossier de sa chaise pour se forcer à s’arracher à sa contemplation un brin trop impolie et reprit :
A présent, une étincelle de profonde curiosité s’était emparée de son regard, les lèvres entrouvertes à la manière d’une élève attentive. Zilith ne connaissait pas les tenants et aboutissants de sa magie heh… Quel terrain de jeu était plus appétissant que celui-ci ? Il y aurait tout à faire ! Un champ de possibilités infinies qu’elle n’aurait qu’à arpenter comme bon lui semblerait -que l’existence était bien faite !
Tâchant de réfréner ses élans de savant fou excité par la perspective d’une découverte scientifique et magique sans réellement y parvenir, Luz s’empressa d’ajouter :
Le vin était bon, le temps était agréable, et Zilith n’avait pas encore détalé à toutes jambes en hurlant. Elle lui posait même des questions ! Encore un peu, et Luz ne parviendrait plus à tenir en place, incrédule face à cette chance tout à fait inespérée…
« Astrid... » maugréa son esprit lorsque la rouquine décrivit la personne à l’origine des rumeurs. Personne d’autre qui l’eut suffisamment connu n’aurait pu correspondre à ce point à ce qu’elle entendait. En vérité, à sa connaissance, personne dans son entourage ne pouvait être qualifié de « soularde » dans un recoin de taverne. Aucun doute la dessus c’était bien elle. La question qui vint ensuite et qui turlupina un peu plus la rose, fut : A quel point Astrid avait parlé ? Qu’avait-elle pu dire d’autres ? Zilith n’avait peu voire pas de secret mais elle espérait tout de même qu’elle n’eut pas été trop loin. Mais Luz ne lui avoua rien de plus et bientôt elle changea un peu de sujet en parlant de ses clients. A vrai dire elle avait un peu de mal à concevoir qu’une personne puisse être contente de son travail. Elle n’était pas bavarde, pas des plus agile et en prime elle s’enfuyait dès que son salaire lui avait été payé. Ses joues rougirent quelques peu, et elle toussota avant de l’imiter en prenant son verre d’un geste maladroit, dépourvu de grâce.
Tandis que la conversation se poursuivait, elle porta la petite coupe à ses lèvres pour en prendre une gorgée. D’aussi loin qu’elle se souvienne, la dernière fois qu’elle avait bu du vin remontait à sa petite enfance. Lorsque son père avait par inadvertance laissé son verre sur le bord de la table et qu’elle en avait bu une lippée avant de se faire surprendre – et réprimander- par la gouvernante. D’ailleurs à l’époque elle avait trouvé cette boisson parfaitement infecte, amer et ne s’accordant absolument pas avec les termes fruité et boisé qu’employaient toujours les adultes. Visiblement les choses n’avaient pas changées. Dès que le liquide entra en contact avec ses papilles elle ne put s’empêcher de grimacer en manquant de tout recracher. Prenant une grande inspiration par le nez elle s’obligea tout de même à avaler, laissant un sensation de sécheresse et un goût âpre en bouche. Elle reposa son verre, l’air de rien.
- Vous voulez… Reprit-elle. - … Faire des expériences sur… Moi ? Elle n’était pas sûre d’avoir bien compris. Il fallait dire que sa mauvaise expérience l’avait obligée à décrocher de la conversation quelques instants. Cependant elle ne voulait surtout pas que Luz puisse croire qu’elle ne l’écoutait pas alors elle enchaîna en bégayant. - Mon pouvoir… Comment dire… Il est… Mh… Comment expliquer qu’elle ne savait pas non plus quelle en était la teneur. Aider les femmes à enfanter ? Soulager la douleur peut-être ? Elle décida de prendre le problème à contre pied. Plutôt que d’expliquer sa capacité, elle allait lui raconter la première fois qu’elle l’avait utilisé. Contre son gré. - C’était il y a un moment, commença-t-elle, ma belle sœur était en train de faire une fausse couche et je crois pouvoir dire que ça ne se passait pas bien. J-je ne sais pas comment nous en sommes arrivée là, toujours est-il qu’elle m’a mordu. Jusqu’au sang. Afin de prouver ses dires, elle posa sur la table son avant bras et retroussa sa manche afin de laisser apparaître une trace de demi lune sur son poignet. - Elle a survécu. De manière parfaitement inespérée. Mais elle ne pourra plus jamais porter d’enfant. Alors je ne sais pas en quoi consiste mon pouvoir mais je crains qu’il soit bien moins efficace que vous ne puissiez l’espérer. Elle retira son bras et le recouvrir de nouveau. - Enfant je ne possédais pas cette capacité, j’avais simplement une apparence… Différente. Mon frère m’a mordu suffisamment de fois pendant nos bagarres pour que je me souvienne d’une telle chose. Sincèrement Mademoiselle Weiss… Je pense que vous faites erreur sur la personne… Elle lui adressa ensuite un rire nerveux et fixa le sol.
Ah. Oh.
Et ce fut à peu près tout ce que pu articuler mentalement Luz, ses lèvres mimant ces deux charmantes onomatopées en un rond parfait. Elle ne pouvait arracher son regard de la marque que lui présentait Zilith, une cicatrice profonde et sanglante de dents qui arborait désormais l’argent des plaies oubliées. Par tous les dieux et la calotte de Lucy, cette jeune femme était maudite. Qu’était exactement son pouvoir ? En échange d’un bout de chair croqué, la capacité de tuer les bébés ? Luz retint à grand pleine un gloussement saugrenu. Si ce n’était que cela, alors elle connaissait déjà une splendide utilité à proposer à sa jeune interlocutrice. Il y avait là dehors une foultitude de racoleuses un brin trop intrépides qu’un petit service au détour du bain aiderait grandement… Personne ne voulait d’un geignard ingrat qui ne vous rapportait aucun cristaux.
Luz porta mécaniquement sa main à son verre et but une gorgée. Pour se donner contenance et du courage, elle ne savait pas trop, mais en tous cas, l’alcool eut un effet bienfaisant sur ses neurones court-circuités par son envol de pensées. Cela pépiait dans tous les sens à la manière d’étourneaux surpris par quelque renard bravache et Luz n’arrivait plus à faire silence, son drôle de regard dévisageant toujours la jolie rose. En d’autres termes, elle se révélait choquée par ses explications. Pas le type de choc que l’on ressent face à l’horreur d’un combat qui tourne mal, d’une créature affreuse ou tout autre drame qui dépassait l’entendement. Non, plutôt le type de choc douceâtre amer d’un quotidien qui avait sensiblement viré de travers et touchait tout un chacun. Il y avait ainsi cette note barbare à imaginer cette fine jeune femme devoir se faire croquer la peau pour sauver une vie à ses côtés ou simplement alléger la migraine d’autrui, souffrant à la place de cicatrices incessantes et d’écoulements du sang permanents. Et Lucy seule savait que les femmes avaient déjà fort à faire une fois par mois sans se rajouter un supplément gratuit de tour de manège.
Soudain, Luz comprit la raison pour laquelle l’existence de Zilith avait été cachée au commun des mortels. Du moins, une maigre pièce du puzzle s’ajouta sur la tour branlante de ses élucubrations, reposant toute entière sur l’hypothèse que son interlocutrice était bien la jeune Hesediel. Avec un pouvoir pareil, elle n’aurait pas manqué d’attirer une personne mal intentionnée. Pour suivre moult affaires de cet acabit lors des services médicaux qu’elle rendait à la Garde, il n’était pas rare que des jeunes femmes soient droguées et abusées dans des soupirails peu ragoûtants… Son tortionnaire n’aurait plus alors qu’à se servir à sa guise de ses capacités magiques. Un frisson glacé retourna ses anneaux dans le creux de ses reins. L’imagination de la praticienne avait peut-être galopé en tous sens à bride abattue, mais ce monde était plein de dangers pour une jeune femme candide et naïve.
Elle désigna les attributs qu’exhibait en effet Zilith. Sans réfléchir et d’une spontanéité franche, la dextre de Luz vint se poser avec douceur sur la main de la rose qu’elle tint ainsi plusieurs secondes contre sa propre chaleur. Elle arborait à présent une moue désolée, un brin concernée et surtout compatissante :
Elle se fendit d’un sourire plus rassurant, une volonté farouche s’inscrivant dans ses prunelles comme une porte vers d’autres possibilités.
Combien de fois la médecine pure échouait-elle à sauver des agonisants… ? Et pourtant, pourtant Zilith avait réussi ce miracle pour sauver un proche aimé. De quoi serait-elle capable en apprivoisant ses capacités et en prenant plus d’assurance ? Luz leva un doigt docte entre elles deux, et reprit avec une moue malicieuse :
Un coup de poker, une tentative jetée dans l’eau. Réagirait-elle positivement ?
- Oh… Euh… Je… Bafouilla-t-elle sans être capable d’aligner trois mots. Luz reprit, Zilith choisit de se taire.
Les paroles qui lui parvinrent lui firent l’effet d’un coup de poing dans l’estomac. C’était la première fois que cet évènement était abordé de ce point de vue. Évidemment personne ne lui avait jamais reproché l’état de Zylan, mais elle-même s’en était toujours tenu pour responsable. De plus sa belle-sœur stérile, c’était à elle qu’il incombait de poursuivre la lignée Hesediel. C’était une chose bien compliqué lorsque l’on éprouvait des sentiments pour une femme, qui plus est pour la femme de son frère. Un voile passa dans son regard, ses lèvres se tordirent. Ce qu’elle avait fait n’était pas raté. Pas complètement. Un soubresaut fit sursauter ses épaules lorsqu’elle entendit son nom. Elle avait l’impression que cela faisait mille ans qu’elle ne l’avait pas entendu.
Maintenant plus que jamais elle se rendait compte de l’ironie de cette situation. Ce pouvoir n’était peut-être pas si maudit qu’elle le pensait, songea-t-elle. Elle la laissa finir de parler. Et quand ce fut chose faites, elle prit une gorgée de vint en ne grimaçant presque pas. Cela dit le goût lui semblait toujours aussi mauvais.
- Vous pourriez… Enfin, je n’ai aucune compétences. J-je n’ai reçu que l’instruction que toutes les petites filles nobles reçoivent. La lecture, la peinture, l’algèbre… Rien qui ne me permette de… Eh bien vous savez. Ce que vous...Faites. Que faites vous d’ailleurs ? La question avait franchit ses lèvres avant-même qu’elle n’ait terminée de le penser, et en réponse elle piqua un fard tout en plaquant une main sur sa bouche. - Pardon, c’était peut-être déplacée et évident. Enfin. Non. Oubliez. Le Dracau’fleur. C’est de lui. Les cornes. Vous voyez. Dit-elle précipitamment en les tapotant du bout des doigts avec l’espoir de changer de sujet. - Enfin lui. Une sorte d’hybridation. Euh… Enfin… On suppose. Quand j’étais enfant, ma peau était… Rouge, mes cornes plus grandes et euh… L’accident de Zylan ensuite… Vous voyez ? Elle s’arrêta enfin pour reprendre son souffle ainsi qu’une gorgée du liquide qui était en train de mettre feu à ses joues.
Zilith n’était pas sûre de prendre la bonne décision, mais elle n’était pas sûre que fuir le soit pour autant. En vérité, l’occasion était bien trop belle pour qu’elle ne s’y intéresse pas. Elle qui avait toujours voulu être utile, donner un sens à sa vie, même sa timidité ne pouvait l’empêcher de s’intéresser aux propositions de Luz. Dans un recoin de son esprit, elle pensa également à Astrid, qui lui avait offert le gîte et le couvert, ainsi qu’un premier travail. Elle avait fait preuve de patience avec la petite noble qui, il fallait le dire, n’était pas des plus dégourdies. Sortant pour la première fois de son luxe pour se retrouver au milieu d’une mer tumultueuse de travail, de gens et de manières qui lui étaient inconnus. Pourtant la femme à tout faire n’avait pas faillit et était resté un roc sur lequel Zilith avait pu s’appuyer.
- Pourrais-je continuer de loger à l’endroit où je vis actuellement ? Demanda-t-elle de but en blanc.
Les sourcils de Luz atteignirent si cela était encore possible une nouvelle strate de perplexité. Peut-être atteindraient-ils son cuir chevelu avant l’heure suivante si cette conversation avec Zilith se poursuivait… Elle n’était pas certaine de pouvoir les arquer davantage et les révélations de la jeune femme ne cessaient de la plonger dans un abime de réflexions stupéfaites. Le dracaufleur donc ? Elle se morigéna. Cela semblait évident, à présent qu’elle détaillait les traits de son interlocutrice à l’aune de ce nouvel élément. Ces longs cheveux d’un rose soyeux, aussi fins que la ramure fragile d’un cerisier, ces iris de la couleur du ciel et ces cornes qui perçaient son front de deux légères pointes rougeâtres… Son tempérament timide n’était peut-être pas entièrement de son fait, si l’empreinte du dracaufleur avait investi sa psychologie de la même manière que son corps. Quant à son pouvoir de soin… Luz grimaça. Elle se souvint sans peine que les dracaufleurs étaient élevés pour être abattus puis décortiqués au merveilleux profit de l’empire médical. Zilith finirait-elle de la même manière si elle ne prenait pas garde à ses fréquentations… ? Luz retint un vague grognement. Elle s’agaçait toute seule, à se créer des angoisses pour la jeune femme qu’elle connaissait tout juste depuis quelques heures et qu’elle tendait déjà à vouloir protéger comme un membre à part entière de sa meute. D’ailleurs, son vêtement actuel était-il assez chaud ? Il y avait cette petite brise du midi, là, voilà qui allait sûrement l’enrhumer si elle ne se couvrait pas davantage en cette saison…
Et le regard plus qu’équivoque qu’elle posa sur la mince silhouette de la jeune fille témoigna à lui seul de l’inquiétude de Luz. Pouvait-on travailler sans danger avec un corps aussi gracile et fuselé ? Aah, si seulement Zilith acceptait un repas à ses côtés… Luz se savait capable de composer des plats aussi gras que copieux. De quoi même remplumer une goule. Elle fit signe au serveur qui rôdait non loin et lui commanda pour sa part une salade composée. Non sans souffrance. Néanmoins, avec la saison froide en approche, la Volière aux Dragons s’était progressivement remplie de fondues, de raclettes, et autres nourritures goutues mais fort peu convenables pour une lady… Enfin, surtout fort peu convenable pour un médecin de terrain qui devait rester capable de courir vite devant un Gevaudan affamé. En attendant leurs commandes, Luz posa ses coudes sur la table et vint appuyer son menton sur le dos de ses mains croisées, un regard songeur tandis qu’elle tâchait de reprendre le fil de leur discussion :
Elle pencha sensiblement la tête de côté, quelques mèches flammes éparses glissant d’une épaule. Sa moue se mua en quelque chose de plus aiguisé à la manière d’un chat observant les formes appréciables d’une souris :
Après tout, Luz n’avait jusqu’alors pas entièrement réfléchi aux raisons pour lesquelles Zilith ne vivait plus avec ses parents. Si ces derniers continuaient à chercher à la protéger corps et âme, il n’était pas difficile de sentir une tension chaque fois qu’elle avait évoqué l’existence de leur fille… Et la dernière réaction de Zilith face à son nom était aussi un signe manifeste que leur relation n’était pas au beau fixe. Une fugue ? Pour quelle raison les jeunes femmes fuguaient-elles ? Souvent par amour, dut en convenir la praticienne. Avait-elle fui la cage dorée proposée par ses parents au bras d’un domestique ou d’un prétendant rencontré hors de sa sphère ? Vivait-elle chez lui ? Parfaitement à côté de la plaque, mais malheureusement sûre de son coup et bien trop curieuse, Luz ne put s’empêcher de chercher à creuser le sujet.
Elle recula contre le dossier de sa chaise et opta pour un changement d’approche, là encore au coup de poker. Elle se trompait certes totalement sur les causes, mais les conséquences n’étaient en revanche peut-être pas si loin de la vérité…
Alors, Luz-la-maladresse s’empêtra les pieds dans son hypothèse et lâcha comme une bombe :
- Des personnes qui… Me… Euh… ? Plaisent ? Zilith ouvrit la bouche puis la referma pour laisser la rousse poursuivre sur sa lancée. Aussi parce qu’elle n’était pas sûre de comprendre où elle voulait en venir. Et à mesure qu’elle parla, la rose se décomposa jusqu’à ne devenir plus qu’un petit amas d’épaules recroquevillées et de joues rouges écrevisses. Elle manqua de tomber à la renverse quand fut évoquée la possibilité d’une quelconque liaison. Pour se donner du courage, elle attrapa son verre de vin qu’elle vida d’une traite. Il lui faudrait plus que du courage pour affronter Luz.
- J-j-je n’ai pas ce genre de relation avec ma colocataire. Commença-t-elle en fixant à outrance l’un des nœuds du bois de leur table. - Ma-madame Astrid est seulement… Mon employeuse. Enfin. Non. Enfin. Si. Elle… Comment appelle-t-on ces gens qui vous offre un travail ? Un collègue ? Un associé ! S’exclama-t-elle en retrouvant enfin le mot qu’elle cherchait. - Voilà, elle n’est que mon associé. Elle prend aussi soin de moi, c’est vrai, mais il n’y a rien entre nous. Maintenant que ce point était parfaitement éclaircit, ou presque, elle pouvait reprendre sa respiration. Pourtant elle ne put s’empêcher de reprendre, comme si la situation n’était pas suffisamment bien expliqué. - Et puis… Vous savez… C’est une femme alors. Vous comprenez. Quand bien même je l’aurais voulu. Ce qui n’est pas le cas. Ce n’est pas elle que je désire. Un blanc s’installa. - Pas que je désire qui que ce soit. Je ne désire personne. AHAH. Encore moins une femme. Ce serait le comble pour l’héritière que je suis ! Surtout lorsqu’on sait que Zylan est un infertile maintenant. Et j’imagine mal Ayden la répudier. Mais si il le faisait… Elle cligna plusieurs fois des paupières avant de secouer la tête comme si elle chassait des pensées de son esprit. Son sourire timide revint et ses yeux allèrent se planter dans ceux de son vis-a-vis.
Par chance, leurs deux plats arrivèrent. L’alcool qu’elle avait subitement ingéré était en train de réchauffer ses entrailles, bien mieux que ne le ferait n’importe quel repas chaud et surtout il lui permit de se détendre. Une sensation exotique et qu’elle ne connaissait pas. Aussi il lui fut aisée de se laisser aller a un comportement beaucoup moins guindé. Ou alors ce changement s’opérait-il déjà depuis quelques minutes sans qu’elle ne l’eut remarquer ? Peut-être. Zilith n’y connaissait rien en alcool. En vérité c’était la première fois qu’elle finissait un verre dans son intégralité.
- E-et vous, Luz ? J’imagine que vous avez beaucoup de prétendant. Du moins. Vous êtes aussi jolie que sympathique. Mais ce ne sont pas des avances hein ! S’exclama-t-elle en agitant ses mains vers l’avant en se rendant compte du quiproquo possible. Diantre qu’il était compliqué de communiquer avec ses paires, comment faisait donc Zylan pour être aussi à l’aise en société d’habitude ? Désespérée, par son propre comportement, la noble attrapa sa fourchette et la planta dans le ragoût. - Dites, vous pensez vraiment que je pourrais être utile ? Ou ce n’est que mon pouvoir qui vous a convaincu ? Et elle imposa son regard, franc et soucieux, à celui de la doctoresse.
Bingo, songea Luz sans le moindre scrupule devant le torrent de paroles qui filtra des lèvres de son interlocutrice. Non contente de dénombrer pas moins de sept références à cette dénommée Astrid que la praticienne n’avait fait qu’évoquer, Zilith semblait avoir pris le plus terrible des virages… Le déni. La bouche subtilement pincée à la manière d’une matrone savourant la délicieuse candeur d’une enfant – par Helmex, on ne croisait plus guère de spécimens aussi adorablement naïfs par les temps qui courraient, elle ne put qu’adresser un regard équivoque à leurs deux verres vides. Elle en fit son affaire d’un mouvement subtile du coude, gratifiant son invitée d’un nouveau verre de vin flambant neuf. Elle en aurait besoin, au regard de l’état chaotique de ses pensées… Pourquoi le prénom Astrid lui était-il si familier ? Impossible de remettre la main sur le visage de sa propriétaire qui n’était probablement qu’un lointain doppelgänger de la patronne de Zilith. Une désagréable sensation de beauferie persistait néanmoins dans sa mémoire… Ainsi qu’un zeste de plat renversé. Non, décidément, il était tout bonnement impossible qu’une créature splendide, gracieuse et délicate comme Ciel de cerisier parvienne à vivre quotidiennement avec l’ivrogne déchainée qu’elle avait autrefois croisée au palais royal. Quant aux autres informations… Luz ne savait qu’en faire. Etrangement consciente qu’elle n’était aucunement supposée savoir que Zilith en pinçait pour sa belle-sœur, elle opta pour une autre approche de combat.
… Mais tout de même. Bon sang. Sa belle-sœur. Et certains se disaient malheureux en amour !
Après tout, la Première ministre en personne pouvait témoigner du bonheur qu’il y avait à retirer d’une relation homosexuelle. Le Maître espion également. Ainsi qu’une certaine Saphir dotée d’un manque de tact plus terrible encore que les gardes de la frontière. Enfin, deux Saphirs, se corrigea intérieurement Luz, à croire qu’il s’agissait justement d’un critère de sélection ! Et qu’en dirait Calixte, lui qui avait l’insigne honneur d’explorer librement les plaisirs des deux sexes ? … Non, à bien y réfléchir, Calixte était peut-être un mauvais exemple. La femme qui le ferait sombrer n’était sans doute pas encore née et ne nécessiterait pas moins qu’un miracle, une dose de chiraki et une sacrée devanture. Un fantasme bien trop charmant et idéal pour exister. La praticienne se retint de soupirer. Il n’y avait guère qu’Apolline pour espérer encore un avenir romantique radieux pour Calixte. Au moins décrivait-elle ses ébats sexuels avec une véracité saisissante qui trahissait toute l’envergure de son talent… Son dernier ouvrage, Alerte au Manta'bu, était particulièrement croustillant. Luz avait hâte de pouvoir lire son prochain chef d’œuvre dont les actions érotiques se passeraient a priori de nuit sur un toit de la Capitale. Une histoire de désir et de phall…
Luz dut se racler la gorge. Quelque chose entre le fort peu convenant et l’attentat terroriste à l’élégance.
Elle ouvrit, referma la bouche. Hésita quelques instants en apnée, sa main soudain de nouveau posée sur la senestre si chaude de Zilith :
Échaudée par sa déclaration, Luz ne perçut qu'avec trop d'acuité sa cuisse s’écarter sensiblement de son autre jambe pour venir frôler celle de Zilith sous l’espace réduit de leur table. Cette fois, ses prunelles furent animées d’une conviction profonde, un brin admirative :
Par chance un serveur interrompit le silence qui s’installait entre elles et Luz reprit la parole.
Zilith l’écouta avec intérêt, peut-être un peu trop d’ailleurs parce qu’au bout de quelques mots sa bouche s’entrouvrit légèrement lui donnant un air parfaitement ébahis face aux paroles de son interlocutrice. « Des cibles? » songea-t-elle tout en se demandant si c’était bien de cette façon que la médecin voyait ses conquêtes. D’ailleurs ne venait-elle pas de dire, à l’instant, qu’elle était déjà avec une certaine Naery ? Ou peut-être un. « A tout les coups un… un ami avec quelques plus, comme les appellent poliment Astrid. ». Elle hocha la tête activement avant de s’empourprer de nouveau.
- Je…
La main de Luz se posa sur la sienne ; elle ravala ses paroles.
L’explication de la rouquine était élogieuse, trop élogieuse aux yeux de Zilith qui ne s’estimait pas à ce point. Elle cru se mettre à fondre. Par chance ce ne fut pas le cas et elle ne fit que sentir une douce chaleur qui émanait même de ses oreilles. Cependant, elle se sentit touchée. Difficile de ne pas l’être avec de tels compliments, sans compter que ce n’était pas dans ses habitudes. Mais elle était certaine d’une chose ; elle ne s’y ferait jamais !
D’aucun sait ce qu’un effleurement, un frôlement peut provoquer. Pourtant la réaction de tout un chacun est parfaitement différence. Certains fantasme, rougissent, d’autres encore réagissent favorablement. Et il ne fait aucun doute quant au fait que, si Zilith n’était pas tant rongée par sa timidité, elle aurait sans doute adopté l’un de ces comportements. Malheureusement cette jeune femme téméraire n’existait probablement que dans une réalité bien éloignée de celle-ci et que si il existait une partie d’elle ainsi, elle en ignorait totalement l’existence. Alors pour toute réaction, la noble se raidit tel les manches à balais les plus rectilignes, et son visage perdit de sa couleur. Plus que jamais elle ressemblait à une poupée, une poupée dont on n’avait oublier de mettre en couleur le minois. Ses yeux s’agrandirent et elle ne pipa mot pendant cinq longues minutes. Il n’y avait plus que le son régulier quoi qu’un peu trop rapide de son palpitant pulsant contre ses tempes.
- Astrid prendra son envol pour les bienfaits ? Baragouina-t-elle d’une voix suraigu. - Excusez moi ! Ni une ni deux elle bondit sur ses pieds, et abandonna aussi bien Luz que son ragoût sur place. Elle disparu à l’intérieur de l’établissement.
Lorsqu’elle revint son visage avait reprit des couleurs et elle semblait étrangement sereine. Presque un peu trop. Reprenant place elle offrit un sourire affable à la jeune femme.
- Désolée… Elle tendit la main et reprit sa fourchette, qu’elle replanta dans son plat, jouant avec la nourriture sans en manger malgré son estomac qui continuait de crier famine. - Merci. Dit-elle finalement. - Pour euh… Vos… Compliments. N’était-il pas mal polie de remercier quelqu’un pour une chose pareille ? « Au point ou j’en suis... » Effectivement, au stade qu’elles venaient de franchir la bienséance pouvait tout à fait prendre des vacances. - En tout cas, j-je suis ravi que vous ne m’ayez pas contacté uniquement pour mon pouvoir. Enfin je vous aurais quand même suivit, ce n’est pas comme si j’avais mieux à faire. Quoi que mon poste actuel me convient mais… « Mais quoi ? Il ne te satisfait pas, dis le » souffla sa conscience d’un air railleur. Effectivement, il ne lui convenait pas même si elle n’osa l’admettre à voix haute. Après tout Astrid lui avait offert ce qu’elle avait pu et grâce à cela elle lui avait permit de subsister, d’apprendre et bien d’autres choses. Elle ne pouvait décemment pas critiquer cet emploi bien qu’elle ne l’aima pas réellement.
Enfin, elle daigna enfourner une part de son repas dans sa bouche. Il explosa sur ses papilles comme si c’était la première fois qu’elle mangeait depuis au moins cent ans. Ce fut sans doute pour cette unique raison qu’il lui parut aussi délicieux alors que, somme toute, il n’avait rien de très exceptionnel. Étrangement depuis qu’elle avait quitté le domicile de ses parents et partagé les repas simple de la blonde, tout se qu’elle mangeait en dehors de la maison lui semblait exceptionnellement savoureux.
- Je n’aurais choisit aucun de vous deux. Lâcha la rose de but en blanc. - Je… Ne… Mh… Je ne vous connais pas. Vous et le serveur. Ni la serveuse. Alors je n’en aurais choisit aucun d’entre vous. N’y voyez là aucune malédiction. Je suis sûre que les gens ont seulement peur de l’aura que vous dégagez, surtout les hommes. Elle recommença à jouer avec sa nourriture. - I-i-ils… Lorsqu’une femme sûre d’elle entre en ligne de mire ils la convoitent, mais si… Si elle est trop… Impétueuse… Ils en ont peur et ils s’enfuit. J-je-j’ai remarqué cela à de nombreuses occasions. Alors je ne pense pas que vous soyez maudite. Un peu trop entreprenante… Seulement. Et aux yeux de Zilith cela faisait déjà beaucoup. Néanmoins elle aimait rencontrer des personnes solaires comme Luz, alors même si dès qu’elle croisait son regard elle avait véritablement envie de s’enfoncer six pieds sous terre, elle n’allait pas s’en plaindre. - Oh et… « Est-ce vraiment nécessaire ? » - J’aime autant les hommes que les femmes. Si ça ne l’était pas, elle allait partir du principe que maintenant ça l’était. Ses grands yeux bleus plongèrent dans la mixture qui ne fumait presque plus.
- J’accepte votre offre. Marmonna-t-elle de manière presque inintelligible.
Luz se retint de se taper le front du plat de la main. Comment avait-elle pu voir Zilith une seule seconde comme une jeune femme capable de rebondir immédiatement sur les avances d’une illustre inconnue ? Bien sûr qu’elle était sentimentale. Elle en renvoyait du moins tous les échos, avec sa sensibilité gracile et aisément écornée, les rougeurs délicates qui envahissaient ses joues et jusqu’à sa manière de paniquer verbalement… Assurément, elle devrait connaître et fréquenter régulièrement la personne qui remporterait son cœur. Et cette pensée attrista un brin la praticienne, digne couperet définitif de ses fantasmes : il ne suffirait pas de bousculer la jeune fille comme un éléphant pataud et entreprenant pour s’attirer ses faveurs. De toute façon, elle méritait bien mieux que le comportement d’un ivrogne au détour d’un bar.
Elle parut enfin se souvenir d’un détail essentiel et se mit brusquement à farfouiller dans l’une de ses sacoches dans une forme de demi-sursaut. Elle marmonna une injure de tavernier et finit par extraire de son fouillis plusieurs livrets soigneusement reliés, rédigés et peints par des artisans compétents.
Oui, se morigéna-t-elle, peut-être serait-ce plus judicieux la prochaine fois de commencer par tendre ces papiers aux gens qu’elle abordait plutôt que de kidnapper des jeunes filles sur la place du marché. Qu’avait dit Zilith déjà ? Trop entreprenante… ? Elle grimaça intérieurement, forcée de s’apercevoir que ses actions manquaient effectivement jusqu’à présent cruellement de délicatesse. Loger dans la Capitale depuis un an n’avait vraisemblablement pas amélioré ses affreuses habitudes de sauvage, gagnées au cours de ses pérégrinations à travers le continent.
Craignant que la jolie rose ne panique à l’idée de devoir se fier à un illustre inconnu, voire le fréquenter jusqu’au restant de ses jours, Luz se pencha en avant et crut judicieux de prendre les devants pour la rassurer.
Et pour illustrer son propos, elle invita son adorable interlocutrice à copier son mouvement, formant par la même une forme de cœur avec leurs deux mains :
Oui, Zilith avait-elle oublié de préciser à Luz qu’elle était aussi atrocement gênante dans son comportement ? Persuadée de l’infini contraire, la praticienne eut un immense sourire satisfait en se rencognant dans son siège. Et puisqu’elle n’avait pas encore fini de noyer sa jeune recrue de paroles depuis le début de cette entrevue, elle ajouta de but en blanc, fière de son idée :
Un peu plus, et Luz faisait déjà presque mine de se lever pour venir s’agenouiller à ses pieds. Elle n’avait certes pas de bagues, mais elle possédait des œufs. Beaucoup d’œufs.
Les bonnes nouvelles s’enchaînèrent ensuite ; premièrement elle n’aurait pas à passer un nouvel entretien –quoi que l’on pouvait en dire, ce repas n’avait rien d’un moment détente entre filles et la noble était toujours aussi proche de l’attaque qu’au début, si ce n’était plus- deuxièmement elle confirmait que ce n’était pas elle qui était folle mais bien son interlocutrice. Formant un cœur avec leurs mains, Zilith se souvint d’un livre qu’elle lisait souvent étant enfant « Rolias Noom » qui traitait d’un groupe de jeune fille prête à combattre le mal grâce au pouvoir de l’amitié. Elle s’attendit presque à voir Luz se transformer sous ses yeux et scander une phrase ridicule, mais rien ne vint.
- Le...Les… Mes disponibilités ? Demanda-t-elle d’un air hébété. - Je… Oh… Fit-elle.
Si elle s’apprêtait à fouiller ses poches à la recherche du petit agenda qu’elle promenait toujours avec elle son mouvement s’arrêta en l’air, ses yeux bleus s’ouvrant beaucoup trop grand. Là comme ça, Zilith ressemblait plus à un hibou prit par surprise qu’à une fleur de cerisier. Ou alors une fleur de cerisier avec un air ébahit. Vu tout ce que l’on pouvait trouver à Aryon, elle n’aurait pas juré que la chose soit introuvable. Mais étonnamment, et de la même façon que l’avait fait sa compagne elle s’exclama :
- Je le veux ! Avant de se rembrunir en se rendant compte de l’image qu’elle pouvait renvoyer. Comme pour faire écho à ses pensées la table à côté de la sienne applaudit, suivit d’une autre, puis encore une autre ; en l’espace d’une minute toute la terrasse mais également l’intérieur de la taverne exultait d’une union bien différente de ce à quoi ils pouvaient bien penser. Les oreilles de Zilith virèrent à un rouge cardinal très prononcé qui n’était pas sans rappeler la couleur de sa stricte veste. Immédiatement le tavernier sorti en personne pour les féliciter. Peut-être que si elle priait assez fort, Lucy la rendrait invisible et elle pourrait s’enfuir. Évidemment elle restait aussi tangible que visible, elle le remarqua particulièrement lorsque la grande paluche de l’homme se posa sur son épaule d’un air tout à fait amical. Vacillant sur sa chaise, elle manqua de perdre connaissance.
- C’pas tout les jours qu’j’ai une d’mande en mariage ici. M’félicitation les p’tiotes.
- … Zilith aurait volontiers rétablie la vérité mais elle avait peur que cela n’attise les foudres de l’homme.
- L’repas est pour moi.
De nouveau elle tenta d’expliquer, mais sa voix resta bien au chaud dans sa gorge et il s’éloigna aussi vite qu’il était arrivé. Tant et si bien qu’en un clin d’œil il avait disparu.
- Oh…P-p-ar la sainte ! Si, je, vous. Nous ! Hein ? Il-il faut lui dire. Vous… Oh… Pouvons-nous nous en aller ? Dit-elle en trépignant, se mettant debout d’un seul coup, comme si le ressort de son fessier venait subitement de se détendre. Elle attrapa les livrets d’un côté, et tenta de coincer les boites d’œufs sous son bras sans grand succès. Utilisant du mieux qu’elle put sa mémoire, elle tenta au passage de se souvenir de ses jours de disponibilité.
- La semaine prochaine, je pense pouvoir libérer une journée… Si vous le pouvez…
Luz aurait bien elle-même détrompée leur public, mais le charmant serveur qui s’était occupé jusqu’à présent de leur table vint enrouler un bras complice autour de ses épaules pour lui faire part d’un regard d’adoration émue.
Il passa son pouce au coin de ses yeux, chassant les infimes gouttelettes qui s’étaient prises dans les ridules de sa peau. Et soudainement, juste comme cela, Luz n’eut plus tout à fait le cœur de le contredire, optant à la place pour un semi mélange de grimace horrifiée et de sourire artificiel.
Il glissa un clin d’œil éloquent à Zilith et se rangea aux côtés du propriétaire. Deux parents attendris devant leurs meilleurs enfants.
« Non. Ne poussez pas non plus mémé dans les orties. Allez, oust, nos tourterelles. »
Il agita son chiffon à la manière d’un prêtre bénissant deux adorables créatures. Luz sortit péniblement de sa torpeur dépassée par les événements, leva haut son bras libre et esquissa un « Merci » hésitant à la foule qui les observait toujours. Il y eut un regain de vivats, accompagnés de multiples commentaires sur la fraicheur exceptionnelle de sa nouvelle épouse, ce qui acheva de convaincre la praticienne qu’il devenait urgent d’éloigner Zilith. La jeune femme avait adopté des tons de couleurs que Luz ne lui connaissait pas, quelque part entre la fin de vie et l’exorcisme.
Elle baissa les yeux sur le petit paquet que lui avait confié le serveur et découvrit un tas de cerises soigneusement emballées dans du beau papier. Peut-être pourrait-elle en offrir la moitié à sa nouvelle apprentie ? Les fruits la remettraient-elle d’attaque ? Elle remit l’une de ses mèches flammes rebelles derrière une oreille de deux doigts vaguement gênés et après un temps interminable de marche extrêmement silencieuse, crut bon de préciser :
Même si cela signifiait avoir le pouvoir de tuer des bébés. Mais cela, elle ne le formula pas à haute voix. Après tout, c’était le choix de son apprentie de viser une diminution de la population locale. Toute à ses pensées, elle ne vit pas que Zilith se conduisait comme quelqu’un qui avait presque atteint sa maison, à cinq mètres de là. Ni même l’homme pressé qui voulut les dépasser un peu trop vivement et dont l’épaule heurta le bras de Luz. Surprise et aucunement préparée par ce choc, elle eut le réflexe vivace de raffermir son emprise sur la boite en carton, envoyant la totalité de son contenu sur le haut de Zilith. Les fruits trop mûrs se déversèrent sur son ventre, dégoutant un liquide sanglant visible à des kilomètres à la ronde.
La bouche fixée sur un interminable « O », incapable de détourner les prunelles de l’horrible tâche, Luz se mit à chercher comment aider la Rose de toute la force de ses méninges.
Paniqué, il fouilla frénétiquement ses poches et en sortit tout en même temps un mouchoir et un multi couteau. Le mouchoir s’était pris dans les mécanismes du multi couteau, au point qu’il dut en sortir la lame d’une main tremblante pour débloquer le carré de tissu.
De loin, derrière la fenêtre d’une maison, elle devait sans aucun doute ressembler à un cadavre livide, une corolle cramoisie s’épanouissant sur son ventre, la haute stature d’un homme brandissant un couteau juste devant elle sous le regard choqué d'une autre passante…
La lente et pénible plainte d'un cadavre malodorant sortant peu à peu de sa longue torpeur. Dans un lit double des plus confortables et emmitouflée dans une couette en laine, la jeune femme ouvrit peu à peu les paupières en entendant les cris incessants de ses familiers.
-Guuuuoi, fermeeeez làààààà….Bordel de merde….
La tête tambourinant tant qu'une douleur bien familière lui arracha une grimace, la silhouette qui avait vu de meilleurs jours cacha lamentablement sa tête sous son doux oreiller, espérant de tout cœur que les piaillements et les couinements cesseraient.
Malheureusement pour elle, les trop nombreux animaux vivant dans la petite maison avaient faim et réclamaient que leur maîtresse se réveille au plus vite, et tant pis si elle avait une gueule de bois des enfers.
Avec un profond soupir exaspéré, la femme daigna enfin sortir de son antre avec un état des plus épouvantables : les cheveux ébouriffés, les yeux injectés de sang, et un long filet de bave coulant le long de son menton, le tout dans son pyjama d'ours. Dans la confusion de ce réveil inopiné, elle se demanda bien quelle heure il était, et quel jour d'ailleurs. La bouche pâteuse, elle sentit son ventre protester à chaque pas qu'elle faisait sur ce sol qui lui semblait bien instable. Elle sentait l'alcool et le vomi, avait encore une sacrée envie de dégueuler, et bien que les familiers furent ravis de la voir en vie et debout, ils n'osèrent pas s'approcher pour épargner leur museau du magnifique arôme que dégageait la citoyenne. Avec des mouvements las et mécaniques, forgés par l'habitude, cette dernière distribua la nourriture tout en baillant à se décrocher la mâchoire.
Maintenant que son esprit se faisait plus clair….Zilith n'était de toute évidence pas là. En se creusant la tête, Astrid eut un vague souvenir de courses à faire...pour la vieille D'Aiglefeuille. Oui, ça lui revenait maintenant. Une tâche ingrate mais utile, et que la jeune noble n'aurait aucune difficulté à réussir. Enfin, elle l'espérait.
Avec une lenteur infinie, Astrid commença à se brosser les dents puis se dirigea vers l'une des fenêtres pour tirer les lourds rideaux, laissant ainsi pénétrer les rayons du soleil qui vinrent lui caresser la peau du visage.
-Aaaaaah, le so….MES SHHHHYEEEEEUUUUUUUX !
Dans un cri atroce, elle cacha sa vision avec ses deux mains pour se protéger de l'attaque sournoise de cet être céleste sans pitié. Encore une fois, il fallut qu'elle habitue peu à peu ses yeux à la lumière du jour avant de retrouver la vue. Tout en continuant à se brosser les dents, elle continua :
-Alors, le sholeil le sholeil, il est où dans le ci….
Elle ne termina jamais sa phrase, car son regard se posa sur une scène bien particulière qui lui glaça immédiatement le sang et qui fit rater un bond à son cœur.
Son amie, du rouge au niveau de l'abdomen, une passante choquée, et un homme avec un couteau.
À peine le temps de battre une seule fois les paupières qu'Astrid avait déjà mis à terre l'homme qui se retrouva, sans comprendre comment ni pourquoi, face contre sol. Les yeux grands ouverts et sentant le poids d'une personne appuyée sur son dos, il tenta de protester mais s'en abstint lorsqu'il aperçut du coin de l’œil une lame flotter de manière télékinétique au dessus de sa tête telle une épée de Damoclès et le regard froid de son agresseur.
-Pas un gheshte sinon t'es mort.
Tout aussi rapidement, l'ex-garde qui était toujours dans son pyjama d'ours avec des pantoufles roses et une brosse à dents dans la bouche, se releva et se précipita vers la noble qu'elle pensait gravement blessée, une potion de soin dans la main.
-Zilith ? Çha va ?!
L'inquiétude se lisait dans les yeux de la femme à tout faire malgré son accoutrement absolument ridicule, mais en voyant l'air hébété de sa colocataire et de la rousse, elle comprit que quelque chose clochait. En y réfléchissant un peu et en observant les alentours à la vitesse du son – la boite en carton qui contenait des cerises, le couteau qui n'était pas ensanglanté, la santé évidente de son amie, la passante – une beauté à la chevelure feu qu'elle avait déjà croisée – un « Ah! » de surprise - comme si on venait de lui annoncer sans détour que les femmes ne savaient pas faire une cabane - s'échappa des lèvres d'Astrid et sa brosse à dent tomba silencieusement au sol en même temps que l'épée qui arrêta de menacer l'homme.
-Bonjour. Dit-elle peu sûre d'elle en ramassant sa brosse à dent. Une belle journée pour croire que son amie s'est faite poignarder en pleine rue et en pleine journée alors que paaaas du tout n'est-ce pas…? Et cerise sur le gâteau – ou sur les vêtements plutôt ahah – j'ai même pas eu le temps de m'habiller ! Elle se tut enfin et avec un air désolé elle rajouta : Ahem….J'ai...euh...merdé hein ?
Au même moment, les familiers passèrent curieusement leur tête par la fenêtre de la maison dont les battants étaient grands ouverts.
Les yeux ronds Zilith ne cessaient de fixer le rond rouge qui refusait d’arrêter sa course sur le tissu, comme si lui même trouvait son rouge passé et souhaitait le rendre plus profond. Nul doute que cela ne lui aurait pas déplu si il s’était agit d’une véritable teinture et non d’une tâche qui allait imprégner le tissus à tout jamais. « Peut-être lancé une mode ? » pensa-t-elle l’esprit tout aussi absorbé parce qui se tramait que le jus sur son ventre. Finalement c’est la voix de Luz qui la ramena à la raison, et elle posa sur elle le même regard qu’elle arborait depuis déjà deux bonnes minutes.
- Je vais… « Bien » aurait-elle pu finir si seulement un éclair aux pantoufles roses pétasses n’avait pas manqué de lui faire frôlée la crise cardiaque. Quoi que tout bien réfléchit elle s’en sortait mieux que le pauvre homme dont l’épaule craqua si fort qu’elle cru qu’il faudrait la remboîter. D’une certaine façon cela lui aurait permis d’avoir une première approche réelle du métier. Elle fut presque chagriné en entendant pas l’inconnu hurler de douleur, mais elle se rabroua bien vite. C’était peut-être pour ce genre de pensées qu’elle prenait des boite de cerises mûres sur ses vêtements adorés ! Et ce serait amplement mérité.
L’image d’Astrid, les cheveux en bataille, la brosse à dents dans la bouche et ses horribles chaussons rose était parfaitement habituelle, quoi qu’un peu « matinale » contrairement à ce dont elle avait l’habitude, ainsi Zilith ne s’en formalisa pas. Toutefois elle souffla à son amie un : - Lâchez ce pauvre homme… Qui l’incita visiblement à analyser un peu plus calmement la situation. - Je vais bien… Ajouta-t-elle également afin qu’il n’y ait plus méprise mais d’un air parfaitement attristé. Une fois que son faux agresseur fut libéré elle l’aida à se relever. Cependant l’homme, mort de trouille, s’enfuit dès lors qu’elle lui lâcha le bras. Il aurait presque pu rivaliser avec Astrid. Elle le regarda donc s’éloigner d’un air dépité. Voilà qui n’allait certainement pas l’aider, songea-t-elle dans un soupire à pierre fendre.
- Ce n’est pas grave. Soupira-t-elle à l’intention de son amie. - Vous n’avez pas fait exprès tout les deux. En vérité la blonde l’avait tout à fait fait exprès mais qu’aurait-elle pu lui dire ? Après tout c’était par inquiétude qu’elle avait agit et non seulement Zilith n’était pas du genre à reprocher quoi que ce soit à qui que ce soit, mais elle n’allait certainement pas la gronder d’avoir voulu prendre sa défense. Encore moins lorsque -pour une fois– Astrid n’était pas responsable de la situation. Un nouveau et las soupir lui échappa puis elle se tourna vers les deux femmes.
- J-j’en oublie presque les bonnes manières ! S’exclama-t-elle soudainement en redressant les épaules, se rendant compte qu'elle n’avait absolument pas suivit les convenances. - Mademoiselle Astrid, je vous présente mademoiselle Luz Weiss. C’est… Euh… Une… Amie… Que j’ai… Mh… Rencontré… Un jour ? Marmonna-t-elle. - Bref, poursuivit-elle, soyez gentille et polie avec elle. S’il vous plait. Sa demande se fit presque supplique. Après tout, il en allait de sa carrière. D’ailleurs, avant qu’Astrid ait pu débiter le moindre mot – qui lui aurait sans doute valu de perdre la place qu’on venait tout juste de lui offrir, elle attrapa la femme à tout faire par le bras et l’entraîna à sa suite. - Mademoiselle Weiss, la semaine prochaine, si cela vous convient ! Je… euh… Je serais ravi de rediscuter avec vous de notre… Euh… Mariage ! Oh ! Non ! Enfin vous savez. Bref. Nous devons y aller ! Et elle emmena de force de sa camarade, abandonnant la rouquine sur le pas de la porte. Mieux valait avoir l’air malpolie que de laisser Astrid lui raconter n’importe quoi, il serait encore temps de s’excuser à leur prochaine rencontre.
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