V'là la maison qui brûle
[PV @Lyra Whelan]
La grange crépitait comme une marmite trop cuite. Elle pouvait entendre les amples poutres qui maintenaient la structure siffler et gémir dans la fournaise ardente, une pluie d’étincelles et de chardons ardents voltigeant dans les airs. Ils se voyaient aisément sur l’obscurité tempétueuse du ciel, un tableau composé de nuages roulants et menaçants. Ils étaient pourtant message d’espoir aujourd’hui, et les quelques curieux et rescapés qui étaient parvenus à s’amonceler à l’entrée du domaine levait vers la voûte céleste une nuée de prières muettes. Pourvu qu’il pleuve ! La pluie humidifierait la paille et les cultures, suffisamment pour ralentir les dégâts de cet immense incendie jusqu’à l’arrivée des autorités compétentes. Une femme avait déjà enfourché un canasson et l’avait lancé à triple galop en direction de la Capitale dans le but de faire prévenir quelqu’un au plus vite. Luz ne l’avait pas regardé partir. Elles voyaient alors ensemble, mais la praticienne n’avait pas hésité à lui céder son cheval pour lui permettre de se déplacer plus vite – elle aimait ainsi se déplacer avec des voyageurs rencontrés au hasard des routes, parce qu’il était plus simple et moins éreintant de discuter paisiblement à l’ombre des chemins pour encourager les heures à défiler sans attendre. Cela, avant qu’elles n’aperçoivent toutes deux les remous noirs de nuit qui s’évasaient en colonne de fumée par-delà la ramure des arbres. Une cheminée torsadée qui n’augurait rien de bon.
Les flammes avaient léchées toute la façade du bâtiment principal de la ferme et s’étaient peu à peu étendues à la grange. Des bêtes paniquées y hurlaient dans un concert infernal à peine entrecoupé du bruit du bois qui s’effondrait. L’incendie grondait en arrière fond, un rugissement bruyant qui recouvrait en revanche les voix des personnes encore prises au piège dans cet enfer. Un ouvrier et deux enfants contemplaient ce spectacle avec la fascination morbide d’herbivores tétanisés. Sur le chemin, une autre jeune femme arrivait en sens inverse avec le même regard alerté que Luz. Elle arborait de longs cheveux d’un rose pâle en partie dissimulés par une cape et ses grands yeux dorés fouillaient en tous sens à la recherche d’une manière de se rendre utile. La praticienne lisait en cette jeune femme un désir semblable d’aider les pauvres habitants de cette demeure.
Elle dut attraper ses épaules et le tourner vers elle pour attirer son attention. Le pauvre homme était sous le choc et bégaya tout d’abord une réponse inintelligible avant que l’urgence de la situation ne lui revienne.
Il désigna les deux marmots de douze et treize ans qui étaient collés à lui avec l’énergie d’une ancre en plein océan.
« O-Oui. Le patron et sa femme. Mathieu et Josias y sont aussi… Ils s’occupaient des bêtes et de ranger les récoltes. »
Des collègues donc. Luz se releva et adressa un regard vif à l’autre étrangère. Pourraient-elles aider à elles seules ces malheureux ? N’était-ce pas prendre trop de risques… ? Elle se retourna vers la façade embrasée et réfléchit autant qu’elle le pouvait à leurs diverses options. Une fumée opaque envahissait progressivement les lieux, mais l’incendie lui-même n’avait pas encore grignoté pleinement l’intérieur de la maison : les fenêtres du haut demeuraient intacts et aucune lueur malveillante ne s’y lisait. Autrement dit, il était encore possible de s’y glisser et de tenter quelque chose.
Elle s’était dirigée vers un abreuvoir esseulé tout en parlant. Avant de se laisser l’occasion de changer d’avis ou de comprendre pleinement quelle folie elle s’apprêtait à faire, elle sauta dans le récipient et entreprit de s’y allonger toute entière en y plongeant la tête. Lorsqu’elle se redressa, elle ruisselait d’eau glacée. Un bien maigre bouclier provisoire face à la colère affamée du feu. Ses propres boucliers étaient de toute façon trop larges pour circuler dans les couloirs d’une maison aussi étriquée.
Ce moment de la journée était le pire pour les patients pouvant être laissés à l'abandon et à l'inverse quant à elle, elle débordait d'énergie. Des volutes de fumée s'élevaient plus loin alors qu'elle chevauchait sur son habituelle monture à longues oreilles. Ses finances lui permettraient sans doute d'avoir à nouveau un cheval bientôt. Elle donna des coups sur ses flancs en se penchant vers l'avant pour que l'âne se décide à accélérer. Son approche n'avait rien ni d'élégant ni de discret. La créature n'aimait pas être pressée et manifestait sa colère en poussant des braiments. Ses cris agissaient comme une sorte d'alarme, ce qui n'était pas un mal vu ce qui semblait se dérouler. Lyra se penchait de plus en plus jusqu'à ce qu'elle puisse sauter de sa monture pour mieux voir la catastrophe. Les murs d'une grange se faisaient au bas mot complètement assiégés par un cortège de flammes de plus en plus épaisses et hostiles. Personne ne pouvait même déterminer combien de temps tiendrait cette infrastructure. Sans un mot, elle se rapprocha de cette femme qui semblait tout autant qu'elle touchait par ce qui se passait. Des gens étaient à l'intérieur... Elle n'avait pas même eu le temps de saluer tout le monde... Elle ne voulait qu'une chose rendre service.
" Bien sûr que je viens."
Les présentations se feraient par la suite. Le plus important restait d'agir. En la voyant se rendre à l'abreuvoir... elle la suivit tout en défaisant le ruban qu'elle avait dans les cheveux. L'avantage c'était qu'il était épais, suffisamment pour faire une maigre protection. Elle mouilla son écharpe puis la tendit à sa nouvelle associée.
" Si vous n'avez rien pour vous protéger du gaz, prenez ça."
Elle enroula elle-même son ruban autour de sa bouche en laissant un petit espace pour respirer. Vu la fort concentration de bois en ce lieu, l'air devait être vicié par toutes les émanations de souffre. Lyra comptait encore sur sa capacité régénératrice... Son ruban suffirait à faire obstacle tant qu'elles procédaient rapidement... Elle ignorait tout de cette femme si courageuse. Tout comme elle, elle mit ce bouclier thermique qui s'évaporerait vite vu les braises importantes qui se dégageaient de ce chaos.
"Allons y..."
Lyra analysa rapidement la situation... Elle ignorait tout de l'origine du feu, mais une chose était sûr si les parents étaient bloqués.. s'ils étaient là haut, ils seraient bientôt cuits. Une échelle n'avait pas encore été prise par les flammes ... elle pouvait encore s'y rendre. Le seul problème c'était qu'une fois dans le grenier, ce serait le lieu du stockage sans doute du foin... Donc un lieu où le feu peut être entretenu... mais oui il fallait supprimer sa nourriture à la source. Ce pouvait être une solution, mais sans doute inadaptée vu l'avancée actuelle des flammes... Tout en courant, Lyra analysait tout ce qu'elle pouvait avant de rentrer dans l'enfer. Elle se coucha légèrement pour ne pas avaler ... et attrapa la main de sa coéquipière pour le moment anonyme.
" On joue pas les héros hein... " Comme elle savait qu'elle avait une petite voix, elle avait parlé comme à son habitude mais en se penchant. Elle ne tenait pas à perdre une personne s'étant jointe à elle de manière aussi naturelle. C'était presque aspirant. Une grosse planche tomba au travers du chemin en déclenchant un cri. Une personne se trouvait derrière. Sur le coup, elle remarqua l'endroit où était l'espace de stockage.. juste au dessus, en clair il fallait y aller dans la minute... voire la seconde. Elle posa ses mains sur une caisse pour passer par dessus la poutre enflammée et pouvoir rejoindre la personne... Comment pouvait-on rester immobile avec sa maison qui nous tombe dessus...? Il s'agissait sans doute du père ... son bras indiquait vers la droite avant qu'"il ne sombre dans l'inconscience.
" Sa femme est à droite.. "
Au dessus d'eux le toit craquelait, crépitait, tout une musique qui en disait long sur l'espérance de vie de ce lieu. Même les voix étaient un peu étouffées par toute cette fumée. Lyra trainait de son mieux le corps.. comme si elle n'avait encore pas besoin de parler ; l'autre personne la traina avec elle au moins le temps de sortir de ce guêpier. Une fois au centre de la grange, Lyra prit le bras de l'homme autour de ses épaules en essayant qu'il puisse poser un minimum le pied pour qu'elle sorte. Quitte à ce qu'il titube un peu, elle ne pouvait pas le traîner seule et laissait l'autre personne se débrouiller dans son coin également...
" Allez monsieur... prenez appui. "
Lyra essayait en plus de ramener sa tête le plus près du sol possible, de toute façon vu le poids qu'elle avait sur les épaules... C'était chose aisée. L'ouvrier la vit presque à l'extérieur, il prit le relai temporairement pour faire asseoir monsieur un peu à l'écart.
".. Je reviens " fit-elle en inspirant pour tenter de reprendre vite un peu d'oxygène. Tout son organisme oscillait entre sa régénération et toutes ces circonstances perturbatrices... En arrivant dans cet antre de l'enfer, elle mit ses mains en porte voix.
" Dites moi vite, où vous êtes ? "
Luz fut immédiatement soulagée par la réaction de sa comparse : elle acceptait de toute évidence de la suivre dans cet enfer sans rechigner. Une aide essentielle si elle désirait survivre et se montrer utile aux personnes coincées dans cet incendie. A deux, elles pourraient veiller l’une sur l’autre et combiner leurs forces pour se sortir de là. Elle accepta d’ailleurs de très bonne grâce l’écharpe tendue, car elle-même ne portait aucun vêtement susceptible de servir de protection contre les gaz nocifs qui faisaient rage ici-bas. La fumée, noire et opaque, s’évasait déjà en vaste tourbillons tempétueux, noircissant les structures et les végétaux alentours sous la forme d’un sinistre avertissement. Néanmoins, quelqu’un devait bien prendre les choses en main, sans quoi quatre innocents risquaient de périr fort désagréablement. Quelles étaient les chances de survie d’une personne adulte piégée dans une maison en flammes ? Luz réfléchissait à toute allure tandis qu’elle courrait et crapahutait aux côtés de sa comparse fraichement trouvée. S’ils pensaient à se plaquer au sol et à rechercher le rare oxygène restant, et qu’aucune poutre enflammée ne leur tombait sur le museau, peut-être y avait-il encore un peu d’espoir.
L’odeur la saisit immédiatement à la gorge, remugles obsédants dont elle ne put se débarrasser malgré sa légère toux. L’écharpe remplissait toutefois son office sans faillir, pratiquement déjà noire de suie lorsqu’elles ressortirent quelques minutes plus tard, le mari à moitié conscient dans les bras. Leur excursion ne s’était pas éternisée, et pourtant l’incendie continuait à gagner immanquablement du terrain… Luz fit volte-face sans attendre, un regard ourlé d’une profonde détermination sur le visage. Leur duo fonctionnait. Bien mieux qu’elle ne l’aurait cru. Elle contourna un meuble rogné par des braises naissantes, des langues de fumée léchant sa peau, l’eau ruisselante de l’abreuvoir s’évaporant à une vitesse hallucinante. Désormais, elle ne pouvait plus distinguer les gouttelettes restantes de la sueur qui maculait son corps dans la chaleur ahurissante qui leur saisissait les poumons comme un étau chauffé à blanc.
Des cris leur parvinrent alors, tandis qu’elles progressaient vaillamment vers la droite. Plus teigneuse que son mari, la mère de famille avait trouvé refuge dans le salon de leur masure, et s’était glissée sous le vaste espace de la table taillée en pierre brute. Là, elle jurait, hurlait, et se débattait contre les copeaux de bois qui s’effondraient progressivement du plafond, tâchant de signaler sa position dans le même temps à un mari qu’elle espérait encore voir venir la sauver de ce chahut. Ses bras costauds étaient recouverts de griffures et d’ecchymose, et sa robe était sévèrement roussie sur le côté – sa jambe droite elle-même semblait avoir été atteinte, brûlée sur le seul carré de peau visible.
Déterminée à survivre, cette dernière ramassa ses jupons dès qu’elle les vit et entreprit de les rejoindre, aidée par la main tendue de Lyra. Un sinistre craquement déchira cependant l’espace, et le toit parut soudainement se gondoler d’une invisible torsion monstrueuse. Pressentant le désastre, Luz n’eut que le temps de puiser avec précipitation dans l’énergie magique de métrique et de lever haut sa senestre au-dessus d’elles trois : une poutre entière s’effondra aussitôt sur le champ de force miraculeusement apparu, grande plaque d’un bleu chatoyant qui vibra dangereusement sous la force de l’impact. Les dents serrées par l’effort titanesque, Luz manqua ployer les genoux. Mais sa comparse de mésaventure eut le réflexe de l’aider à tenir debout en combinant sa force à la sienne, la retenant de deux bras autour de sa taille. Dans l’air vicié par le manque d’oxygène, les trois femmes se regardèrent avec la surprise incongrue de trois herbivores étonnés d’avoir survécu. Puis elles détalèrent de cet enfer aussi vite qu’elles le purent, avant que le reste du toit ne s’écroule à son tour.
Elles débouchèrent dans la pénombre de la nuit à l’extérieur de la masure, flageolant sur leurs jambes et à bout de souffle. Les paupières gonflées par les fumées toxiques, Luz prit le temps d’offrir son visage au ciel, un soupir sifflant filtrant entre ses lèvres. Elle rouvrit précipitamment les yeux lorsqu’une note fraiche embrasa sa joue, constatant qu’une bruine fine gratifiait à présent les rescapés d’un voile humide ténu. A leur gauche, un deuxième homme était parvenu à s’extirper de la grange vacillante, portant à bout de bras son collègue totalement inconscient. Les deux ouvriers désignés plus tôt, songea Luz. Mathieu et Josias. Un veau apeuré s’était collé à leurs jambes, ses longues pattes malhabiles décrivant un parcours hasardeux.
La jeune fille plaqua sa main sur la zone touchée comme pour stimuler son pouvoir de guérison tout en progressant dans cet enfer. Même la terre semblait devenir incandescente tant toutes les couleurs se mélangeaient. Il fallait au plus vite trouver cette femme. Son pouvoir ne pouvait pas la soigner de son mal, mais aussi de ces flammes encore longtemps. Alors qu'elle essayait des lieux très aux prises des flammes, la jeune femme lui indiqua un autre lieu d'intervention. Si elle avait pu aviser où était la personne à secourir, tout irait pour le mieux.. Elle fit son possible pour avancer vers eux.. mais toute progression était de plus en plus difficile. Des craquements sinistres retentissaient, Lyra eut peur à cet instant. Son pouvoir ne pourrait supporter une telle régénération... elle allait mourir. Elle en était sûre. Son corps se refusait au moindre effort, elle était paralysée par la peur. La femme qu'elles venaient tirer de ce mauvais manifestait toute une force de s'en sortir alors qu'elle ne pouvait détourner son visage de ces poutres se détachant du plafond. Elle revoyait l'incendie du camp avec Rukia qui lui hurlait de faire demi-tour.. sauf qu'ici elle était seule avec une personne inconnue... Elle fixa soudainement cette personne qui semblait se concentrer sur le problème non parce que la peur la bloquait, mais bien parce qu'elle savait ce qu'elle faisait. Lyra ne réfléchit pas une seconde... Elle marcha jusqu'à elle le plus vite qu'elle put pour serrer dans ses bras son corps en train de presque chanceler... Il fallait qu'elle tienne le temps que la femme et elles par la même occasion puissent sortir.
Ses yeux se fermèrent, ils ne s'ouvrirent que lorsque qu'elle sentit que le champ de force n'était plus actif. Son étreinte se défit d'elle-même pour empoigner tout comme cette femme leur survivante enfin sauvé alors que derrière eux le brasier retombait sans état d'âme. Elles avaient laissé derrière elles les bêtes... dont seul un veau était parvenu visiblement à s'en sortir. Si la jeune femme était épuisée, Lyra avait encore de la ressource. Ses bras retrouvaient une parfaite texture sans aucune brûlure, ses poumons respiraient normalement, ses yeux peinaient un peu mais se régénéraient un peu. Fort heureusement, la lune était de son côté. Comme elle vit son acolyte encore dans les vapes suite au choc de l'explosion, elle la mit de côté pour qu'elle puisse se reprendre tandis qu'elle allait agir de son mieux... Allongée sur le côté, elle aurait moins de difficulté à se reprendre normalement.
Lyra sentait la fatigue à nouveau tambouriner dans ses tampes... elle aurait tout le temps de dormir... en journée. A contresens, elle revint vers ce scénario catastrophe... La jeune femme s'était entre temps redressée, parfait elle reprenait peu à peu du poil de la bête... L'urgence maintenant était de s'occuper de cette personne évanouie que l'autre homme s'évertuait de ramener à un état de conscience... en vain. Lyra l'écarta de son patient à qui elle fit le même traitement que la deuxième secouriste. Elle le coucha doucement sur le côté en desserrant tous les vêtements pouvant empêcher la respiration. Même s'il respirait, mieux valait qu'il se fatigue le moins possible. Tout d'un coup, elle pâlit en sentant qu'elle perdait sa respiration à en juger par le pouls qui palpitait sous ses doigts. Elle avait gardé constamment son poignet dans sa main pour mesurer toute variable... et ce n'était pas bon. Comme un changement de programme, elle se mit à lui donner des tapes dans le dos pour forcer une toux ou une quelconque réaction. Voyant que l'homme ne réagissait pazs.... elle eut un moment d'hésitation avant de le remettre sur le dos pour faire des compressions abdominales... Son compagnon d'infortune commençait à stresser à côté d'elle, n'en pouvant plus elle lui dit :
" Allez plus loin. Monsieur. Merci. " dit-elle par saccades tandis qu'elle alternait les compressions et les claques pour le maintenir conscient. Elle avait comme un coup de chaud et n'allait pas supporter de forcer ainsi longtemps. Un râle se fit entendre... presque un bruit de la victoire, mais rien n'était joué d'avance. Ses mains tremblaient.. elle n'était jamais si proche de perdre une personne, à nouveau les doutes s'emparaient d'elle... Elle ferma les yeux tout en essayant de lui donner de l'énergie.. ah si elle pouvait transférer son pouvoir ne serait-ce qu'un instant...
"Monsieur... .. ne ... partez pas.... pas...? " Lyra faiblissait... et sa peau commençait à ne plus se régénérer tant elle forçait sur ses capacités... "Ma... dame.. s'il vous plaît... " Un relai.. quelque chose... elle espérait juste qu'elle savait pratiquer les compressions.. " je peux vous montrer... mettez vos deux mains en contact avec le sternum.. " Comme si elle ne lui laissait pas le choix, elle lui expliquait...elle ne pouvait se résoudre de voir quelqu'un mourir devant ses yeux... tout cela parce qu'elle était arrivée à sa limite... Elle l'avait aidé jusqu'à là.. peut-être allait-elle pouvoir poursuivre...
Elle ne sentait pratiquement plus sa gorge, un mal pour un bien au regard de la rugosité de ses cordes vocales. Une toux lui avait déchiré quelques instants la poitrine et elle n’était parvenue à se calmer qu’au prix de la fraicheur de l’herbe tendre, étendue là avec l’aide bienfaitrice de sa jeune compagne. Celle-ci n’arborait d’ailleurs aucune séquelle apparente de leur traversée du feu, et ce détail ne manqua pas d’attirer le regard et la curiosité naturelle de la praticienne. Même mourante ou souffrante, rien ne pouvait de toute façon l’empêcher de se mêler de tout, surtout lorsqu’un mystère ou qu’une capacité magique était à l’œuvre… Sa surprise s’accentua lorsqu’elle put constater à travers la brume chahutée de ses prunelles que sa compagne connaissait parfaitement les premiers gestes de secours et plus encore. Elle prit les choses en main avec autorité, s’emparant du patient qu’on lui tendait avec l’habitude bien rôdée d’une soigneuse. Soigneuse en devenir ou d’ores et déjà médecin ? Luz fit un effort pour se hisser sur ses jambes hasardeuses et se traîna jusqu’à elle sans perdre une seule miette du spectacle. Derrière leur trio ainsi formé, le tout premier homme qu’elles avaient rencontré se dégagea enfin des marmots qui s’étaient glués à lui avec la férocité d’un moule dans la tempête. Il courrait à présent en direction de l’étable, et Luz comprit qu’il avait pour but d’ouvrir la porte au bétail coincé à l’intérieur – ce qu’il fit sans incident au prix de plusieurs efforts pour dégager l’imposante cale en bois dans une chaleur suffocante.
Elle se détourna pour sa part du spectacle de cette marée animale qui galopait en tous sens autour de leur groupe de rescapés comme un fleuve contourne une île, et préféra s’accroupir aux côtés de l’inconnue aux cheveux fleurs de cerisier pour prêter attention à ses consignes. Mais plutôt que de poser ses mains sur le sternum à la manière indiquée, elle se fendit d’un léger sourire qui contenait plus d’assurance qu’elle n’avait réellement d’énergie.
Sa voix lui parut à l’image d’un concassé de galets saupoudré de sable. Elle toussa. S’installa cette fois-ci confortablement et frotta ses mains l’une contre l’autre pour s’échauffer.
Elle désigna la boucle en or qui ceignait son oreille droite. Vol vie. Et ne put s’empêcher d’arborer un air mutin. Combien d’hommes avait-elle vu mourir, après tout ? Peut-être autant que l’on abattait de bétails pour se nourrir dans une existence. Les hospices étaient emplis de mouroirs, et ce n’était pas une prière à Lucy qui modifiait le devenir d’un patient au bord de la mort. C’était plutôt l’entêtement de ses soigneurs. Et Luz pressentait que la frêle jeune femme qui l’accompagnait avait du cœur et de l’énergie à revendre, de la force à prêter à ses prochains… Peut-être même une volonté qu’elle n’avait plus elle-même. La jeunesse passait bien vite au fil des années. Elle tendit donc ses doigts vers le plus proche arbuste, premier jalon de la vaste haie qui encerclait le chemin en terre battue, symbolisant l’entrée de la propriété.
Ce ne fut qu’au bout du huitième arbuste mort que l’homme grommela dans son inconscience et rouvrit finalement les yeux.
Derrière eux, son comparse s’était rasséréné en voyant la magie à l’œuvre et l’incendie avait définitivement attaqué la structure principale de la masure. Il y eut un bref craquement et le tout s’effondra dans un dernier souffle chuintant. La bruine éteignit les étincelles projetées alentour en feux d’artifice, la végétation et la terre d’ores et déjà imbibées d’humidité. Epuisée, rendue gauche par la perte d’adrénaline, Luz laissa leur patient reprendre ses esprits tandis qu’elle rampait elle-même vers le neuvième et dixième arbuste pour se redonner contenance. Elle dut se dévisser le cou pour dévisager sa compagne de mésaventure, mais ne résista guère à la joie d’un sourire amusé :
Elle plissa les prunelles pour scruter sa silhouette malgré l’obscurité agitée de la nuit et une évidente curiosité se dessina sur ses traits :
Au bout d'une vingtaine, elle se pencha pour lui donner un bouche à bouche plus ou moins bien réalisé en écartant les cheveux lui arrivant sur le visage avant de revenir pour faire ces maudits massages qui la rendaient si anxieuse. Au fur et à mesure que les minutes augmentaient, elle y mettait plus de fermeté comme si elle avait compris que de toute manière cela devenait une affaire qu'elle devait mener. Elle avait de la sueur tant qu'elle s'épuisait... Elle se retournait derrière elle comme si elle attendait que son associée de circonstance vienne lui apporter plus de soutien, mais elle était visiblement occupée à une autre activité sans qu'elle saisisse exactement quoi... Elle inspira et poursuivit la manoeuvre une troisième fois avant de sentir la poitrine de l'homme se soulever légèrement.
" Monsieur, monsieur... revenez... revenez" fit-elle en prenant son pouls qui était un peu meilleur tout en étant toujours assez discret. Elle avait presque envie de se laisser tomber sur lui tant elle était soulagée et que cet exercice lui avait demandé beaucoup d'énergie. Elle laissa le monsieur revenir parmi les vivants alors qu'elle se reprenait doucement en s'allongeant dans l'herbe un instant. Si son associée avait une capacité de soin, elle pourrait sans doute s'occuper des blessures par la suite... Elle sentit la fraîcheur de l'herbe dans son dos. Personne n'aurait pu croire qu'elle avait traversé un incendie hormis ses vêtements sentant bon le feu de cheminée. Elle reprit son souffle en sentant sa magie lui redonner de l'énergie, elle pouvait toujours remercier ce précieux don. Son âne s'était tenu à l'écart surtout voyant la débandade sauvage qui avait cavalé un peu partout, mais voyant les flammes diminuer en ampleur et sa maîtresse au sol. IL s'approcha pour pencher son museau au dessus d'elle et lui souffler dessus. C'était comme s'il lui refusait ce repos juste pour avoir cette petite grattouille derrière l'oreille... Elle frictionna ses oreilles pour qu'il éloigne son muffle d'au dessus d'elle. L'homme à côté d'elle avait ouvert les yeux le temps de cela... Son âne ne fut pas le seul à revenir à sa rencontre, sa fidèle associée revint vers elle. Elle semblait plus rayonnante que précédemment, même si elle demeurait marqué par l'incendie, bien plus que Lyra. Encore heureux qu'elle était assise, elle ne pensait pas croiser la personne dont Calixte lui avait parlé... La seule réponse intelligible qui sortit de ses lèvres fut un "heuuuu" allongé. C'était sûr, elle allait être prise pour une débile, elle venait de perdre toute crédibilité... Non mais un médecin venait de la féliciter là... elle ne rêvait pas... Si ... mais non... Elle la regardait avec ses grands yeux écarquillés sans qu'elle puisse ajouter quoi que ce soit.. Elle savait bien à quel point cette situation pouvait être gênante pour son interlocutrice. Ce fut loin d'être terminé... Elle se mit à avoir de forts rougissements face à ce compliments de cette personne qu'elle avait hâte de rencontrer... Un vrai médecin !
" ... J'ai une magie de soin lunaire d'autoguérison... Et heu... Voi... là. Sinon ... maissij'avaissu quevousêtiez... cequevousêtes ... mais ... jerêvaisderencontrerun VRAI médecin... "
Elle parlait à la fois avec lenteur tout en précipitant ses mots ce qui rendait son discours peu audible. Lyra n'avait pas en plus le timbre de voix qui portait autant dire que les efforts pour la comprendre devaient être titanesques. Lyra remarqua l'air de son interlocutrice... Elle se mit à tousser en se redressant pour se présenter sur ses deux jambes. Sauf qu'elle avait le même regard gêné, elle lui avait dit quoi... " une efficacité redoutable". Elle allait se le répéter en boucle encore et encore tant elle explosait de joie intérieurement. Son sourire était plus que visible même si elle cherchait à rattraper son bredouillage de tout à l'heure. Comme montrer qu'elle tenait à faire des présentations plus propres, elle tendit la main vers son associée.
" Lyra Whelan, herboriste du village perché... Et... excusez... mais si j'ai quelques notions...c'est que... " Elle baissa la tête en reprenant à nouveau sa gêne. " Je souhaite devenir un médecin... voilà... voilà... héhé... c'est basique... mais heu... c'est à peu près tout... enfin je crois... je ne sais plus... Encore merci pour le compliment."
Elle souffla en se disant qu'elle avait été un peu plus claire qu'à son dernier essai. Lyra espérait qu'elle puisse échanger avec elle éventuellement dès que bien sûr tout le monde ici aurait reçu les soins nécessaires. Lyra songea à sa présentation en regrettant déjà de lui avoir montré son admiration à ce point.
" Pardon... je n'ai pas l'habitude de recevoir de pareils compliments... surtout que vous n'êtes pas une néologiste... néophyte.. oui néophyte... "
Luz observa un long moment son interlocutrice, quelque peu déroutée par sa réaction pleine de candeur. Elle qui faisait montre jusqu’alors d’une assurance affirmée dans l’incendie, sa peau insensible aux flammes par elle ne savait quelle magie et sa jeunesse pour toute arme, se transformait soudainement en petite fille aux joues rosies. Certes, elle était adorable, mais Luz ne sut pas immédiatement comment réagir à une admiration qu’elle ne méritait aucunement dans les circonstances présentes. Elle n’avait après tout fait que suivre sa consœur à travers la masure en feu, tâchant tout comme les autres de lutter pour sa maigre vie. A ce jeu-là, la dénommée Lyra n’avait pas démérité, sans évoquer l’exploit de sortir de cet enfer brûlant aussi fraîche et neuve qu’à sa naissance. Une magie d’auto guérison donc ? Réalisant qu’elle la dévisageait depuis à présent de longues secondes, son regard oscillant d’une prunelle à l’autre à la manière d’une naufragée incrédule, Luz baissa les yeux sur son propre corps et eut une grimace plus qu’équivoque. Sa peau était tartinée de longues langues de suie noirâtres que la pluie n’avait aucunement arrangées. La matière huileuse s’étirait désormais en tâches hasardeuses et presque artistiques, lui donnant tous les airs d’une damnée récemment échappée d’un asile. Tout bien pensé, elle n’était pas mécontente de ne pas pouvoir s’observer dans un miroir, ses cheveux devaient être plus raides que de la paille et elle allait vraisemblablement sentir la fumée durant plusieurs jours…
Elle était sérieuse. Vol Vie nécessitait un apport extérieur pour fonctionner, quand bien même elle était capable de s’appliquer ses propriétés. Son interlocutrice, pour sa part, avait conservé ses couleurs et sa superbe sans effort apparent ni outil supplémentaire. Ou peut-être s’agissait-il de conditions qu’elle ne pouvait pas apercevoir… ? Luz ravala sa curiosité dévorante et se contraignit à ne pas creuser le sujet plus avant. Elle pressentait l’odeur d’une future recrue pour l’Astre de l’Aube ainsi que des capacités hors normes… Mieux valait ne pas l’effrayer dès les premières heures alors que la jeune fille lui témoignait pour le moment une admiration sans faille. La praticienne se redressa donc et entreprit d’épousseter ses vêtements, toussotant lorsqu’une chape de poussière s’étiola autour de ses paumes malgré l’humidité grandissante des plaines. Bientôt leurs vêtements seraient entièrement trempés par la pluie…
Elle rit de bon cœur, un éclat de dent blanche qui trancha sur la suie noire maculant son visage.
Elle glissa délicatement son index sous le menton de la demoiselle et lui releva la tête avec douceur.
Luz fit un souple pas de côté, et ses mains vinrent se poser sur les épaules de sa consœur pour mieux la tourner vers les villageois déboussolés qui observaient l’incendie s’éteindre sur l’herbe mouillée.
Elle voulut ajouter autre chose mais une voix les interpella à quelques mètres de là. Elle pivota de ce fait sur ses hanches et constata qu’un groupe de cinq individus à cheval se rapprochaient d’elles, troquant le grand galop pour un trot plus pratique.
La Garde, constata intérieurement Luz au regard de leurs tenues. Sans doute venue au triple galop de la Capitale, voire peut-être d’un bastion dans les environs. Professionnels, les subalternes du chef avaient déjà entrepris de marcher à grandes enjambées jusqu’aux survivants pour s’enquérir de leurs blessures.
« Nous allons procéder aux vérifications d’usage et nous assurer que le feu ne se répande pas davantage malgré la pluie. Je vous remercie toutes les deux pour les soins d’urgence apportés aux victimes, c’est une chance que deux médecins se soient trouvés dans les parages. »
Sans attendre de réponse de leur part, il siffle ses hommes et leur fit signe de se diriger vers la masure effondrée. Luz les observa un léger temps s’adonner à l’étouffement des dernières braises et à la sécurisation des lieux puis se tourna à nouveau vers sa jeune compagne, un sourire aux lèvres :
Surtout, quatre murs et un toit chaleureux seraient infiniment mieux pour discuter plus amplement avec sa nouvelle trouvaille. Luz n’en démordrait pas, elle n’achèverait pas cette journée sans avoir arraché au moins une promesse de recrutement à cette Lyra…
Elle plissa les yeux dans les nuits et aperçu la lueur d’une ferme à deux ou trois kilomètres dans les plaines. Les plus proches voisins, vraisemblablement. Ils n’allaient pas refuser d’accueillir la famille et les ouvriers désemparés pour une seule nuit et un repas.
"Oh... oui m... merci. C'est lui qui me donne ... enfin ma donné envie d'aider... Si je pouvais le partager... "
Elle avait souvent songé que si elle pouvait dupliquer son pouvoir, elle pourrait maintenir en vie une personne le temps au moins qu'elle reçoive les soins nécessaires. C'était une fois ce qu'elle s'était imaginée après qu'elle ait cru perdre des personnes. " Si j'avais pu leur donner la chance que j'ai... ce serait une belle avancée pour eux." Elle s'était dit cette phrase une bonne centaine de fois. Même si elle s'était présentée, si elle était debout que tout semblait reprendre un cours normal, son estomac était noué. Pouvait-on avoir une angoisse avec du recul ? ... Son âne comme pour la réveiller lui donnait des coups de tête dans le dos. Il profitait sans doute pour frotter ses oreilles, mais Lyra avait l'impression qui l'encourageait à sa façon. Elle avait sans doute passer trop de temps sur les routes en sa compagnie jusqu'à lui attribuer cette présence bienveillante. Une fois que ses oreilles ne le démangeaient plus, il mangea un peu d'herbe près d'elles comme s'il avait oublié. Lyra ne sentait plus ses petits coups de tête, elle vérifia simplement qu'il ne s'éloigne pas trop... cherchait un prétexte pour se faire plus petite. Qu'importe si la pluie collait ses cheveux, rendait ses vêtements plaqués, elle n'avait qu'une idée en tête... comment lui répondre.. Aucune réponse ne lui venait.. Alors elle hocha la tête pour appuyer cette affirmation, bien sûr qu'elle pouvait l'appeler Lyra... La jeune femme n'était pas accrochée aux convenances à ce point.
" D'accord... Luz"
Quand elle l'entendit rire, elle eut un mouvement d'hésitation. Elle mit sa tête dans ses épaules avant de sourire légèrement. Elle assouplit ses bras qu'elle raidissait le long de son corps. Son rire la rendait moins inatteignable. Lyra entrouvrit les lèvres une fois, au son ne sortit, une deuxième non plus.. Son intervention allait-elle se terminer sur cette prise de parole.. ? Non, après ce rire venant du coeur, elle lui fit à nouveau un compliment qui lui fit baisser la tête tandis que son regard ne la quittait pas. Elle frottait son bras gauche à la recherche d'une réaction à avoir, à ressentir.. enfin quelque chose, il n'y avait rien d'autre qu'un mutisme persistant. Ses joues persistaient à continuer leur teinte rosée sans réussir à devenir plus fade. En essayant de retrouver ses moyens, elle vit Luz s'avancer pour lui redresser la tête doucement. Elle avait l'impression de trouver en elle une personne réellement bienveillante, elle l'avait déjà vue par son courage, mais c'était d'autant plus fort que Lyra ne se sentait pas en danger, elle ... avait juste du mal à se trouver à une hauteur qu'elle ne connaissait pas. Elle écarquilla les yeux comme pour laisser passer ces mots comme une douce lumière en elle.
Si ses joues avaient été rouges, ses oreilles l'étaient tout autant. En la voyant rapidement se mettre dans son dos, elle eut cette sensation agréable de se sentir soutenue, entendue. Elle rassembla ses bras en croix devant elle pour toucher également l'une des mains de cette inconnue. C'était comme si elle se raccrochait à ces mots en se disant qu'ils appartenaient bien à cette personne. Elle avait l'impression de patauger, que son cerveau ne suivait pas... En sentant le bruit d'un galop se rapprochant, l'herboriste se retourna furtivement. Etait-ce des bandits ? Venus finir le travail? Non qu'allait-elle s'imaginer ? Elle observa le dialogue où elles reçurent toutes les deux à un niveau équivalent les remerciements d'homme venus pour secourir les blessés. Ils seraient arrivés bien de trop tard, mais ils pouvaient au moins s'assurer que chacun allait bientôt reprendre le cours de ses activités. La jeune femme semblait chercher son appui sur les épaules de Luz.
"... Oui, je pense qu'ils ont la situation en main... C'était.. quelque chose"
C'était bien la première fois que des gardes s'adressaient à elle de cette façon.
" Il y a quelques masures que j'ai vu en chemin, il y en une de ce côté il me semble.. La plus proche."
Alors que Lyra désignait une direction, Luz plissait les yeux pour que se détachent les contours d'une habitation. La perspective d'être au chaud devant un bon repas lui plaisait énormément. Dès que la suggestion pour le transport des enfants fut soulevée, Lyra y réfléchit de façon posée en songeant que son âne n'était pas le plus obéissant. De toute évidence, il n'allait pas apprécier.
" Essayons oui... vous savez il est plutôt capricieux."
Les deux enfants n'avaient vraiment pas l'air rassurés. Lyra ne savait pas trop quoi leur dire pour les convaincre qu'ils allaient tous se rendre dans un endroit pour reprendre des forces. Elle mettait tellement de temps que la pluie se densifiait. L'âne se mit à braire de mécontentement en se rapprochant de Lyra comme pour l'inviter à partir. La jeune herboriste profita de ce moment de détresse pour soulever un des enfants en disant : " Tu verras, tu vas aimer la balade". Elle n'était pas vraiment douée pour parler aux enfants. Pour le deuxième plus âgée, elle lui mit ses mains en marche-pied pour l'aider à atteindre le dos de l'animal. Mécontent, l'âne se prit d'envie de mordre dans la tunique déjà en sale état de la personne qui accompagnait Lyra sans qu'elle n'en sache rien. Visiblement, il était irrité de ne pas être au sec. Lyra savait y faire avec lui et lui donna une tape sur les flancs. Il n'avait pas le choix, il avancerait. Elle prit les rênes pour éviter qu'il ne lui prenne l'envie de n'en faire qu'à sa tête.
"... Mon âne n'est pas très facile ... au quotidien, mais c'est un animal avec qui je ne m'ennuie pas...Luz vous veniez de quel endroit avant d'atterrir par ici?"
Lyra en profitait pour en apprendre un peu plus sur elle en essayant d'oublier qu'elle se trouvait avec un vrai médecin. Pour le moment, elles n'étaient rien d'autre que deux femmes aux vêtements roussis et à la mine sale sous une pluie torrentielle. Le voyage n'allait pas être très long, l'eau allait bientôt arrêter de les frigorifier. D'autant que le jour arrivait, que Lyra savait que cela signifierait. Vu comment elle avait dû utiliser de son pouvoir, elle allait être faible d'un coup. Elle avait tout intérêt à prévenir Luz de ce changement d'état. En arrivant dans la ferme, les voisins furent horrifiés par la nouvelle. Ils accueillirent bien entendu les ouvriers, les enfants ainsi que leurs parents. Dans cette campagne, tout le monde se connaissait plus ou moins. Ils ne vivaient pas pour autant en se serrant tous les coudes en cas de coup dur, mais face au désespoir de personnes ayant tout perdu, ils n'hésitèrent pas une seconde. Il s'agissait de deux frères qui avaient repris la ferme familiale. Ils ouvrirent la grange, sortirent les draps et tout ce qui pouvait servir de près ou de loin à une literie de fortune. Elles furent mises à contribution à nouveau pour aider à l'installation de fortune. Lyra n'aurait pas refusé de donner un coup de main. Les deux frères offrirent une humble soupe à tous, mais Lyra semblait de plus en plus absente. Elle s'empressa de terminer son assiette pour s'allonger. Elle savait bien que son pouvoir fléchissait, que la seule façon de contrer était de s'allonger pour récupérer. Comme elle ne comptait pas partir sans dire au revoir, elle manifesta son désir de se reposer. Son teint donnait l'impression d'avoir été lessivé de toute couleur, elle se doutait bien que sa fatigue devait être visible. Elle quitta la table en vacillant pour se rendre à la grange pour offrir une carotte à son âne avant d'aller se coucher. Sauf qu'elle ne revint pas à la maison. Elle s'était évanouie dans la paille. Son âne croquait sa carotte sans chercher autre chose que la récompense de son laborieux labeur.
Luz savourait le contact de la terre cuite contre ses mains en coupe, un délicieux fumet s’évasant en corolle du liquide brûlant. Autour d’eux, la maison était paisible. Un silence vivant néanmoins, puisque agrémenté des respirations lourdes et amples des rescapés, tant bien que mal installés sur de légers matelas de pailles et de manteau un peu partout dans la demeure. Il ne devait pas être aisé de loger autant de personnes imprévues, et pourtant les deux frères qui possédaient cet endroit n’avaient pas démérité. Ils avaient chacun reçu un quignon de pain, une tranche de fromage et un bout de lard dans une soupe fumante – Luz savait que cela représentait une certaine somme pour des agriculteurs au sortir de la saison froide. Dans l’obscurité de la nuit elle avait cru déceler le poitrail d’animaux serrés les uns contre les autres dans un champ plus loin, leurs larges silhouettes appesanties d’ombres et de fins filets d’argent que leurs museaux soufflaient par instant. Sans être riches d’un grand nombre de bétails ou d’immenses champs, les deux frères n’avaient pas rechigné à la dépense et ce court dîner de fortune avait fait un bien considérable aux victimes de l’incendie. Les enfants dormaient d’ailleurs d’un sommeil si profond que le léger murmure des derniers éveillés ne parvenait pas à les réveiller. Lovés l’un contre l’autre entre leurs parents, ils vivaient de cette inconscience bienfaisante qui suit généralement les traumatismes et guérit kyrielle de blessures psychologiques.
Luz sirotait pour sa part une tisane brûlante depuis une petite dizaine de minutes, dernière éveillée aux côtés de l’un des deux frères et d’un ouvrier. Ils parlaient à voix basse de ce timbre grave et profond de parents cherchant à épargner la calme torpeur de leur progéniture à proximité. Nul ne souhaitait déranger la tranquillité paisible qui s’était emparée de la demeure, une unique et dernière bougie luisant entre eux et projetant alentour sa chaleureuse lumière.
« Avec cet incident, j’espère qu’ils ne vont pas nous licencier… Je ne sais pas ce que je pourrais faire à la place, hormis chercher du travail à la Capitale ? »
Luz comprenait la détresse de l’ouvrier. Personne ici n’avait encore pu constater toute l’étendue des dégâts et les ressources dévorées par le feu étaient l’équivalent d’une année entière de travail… Il faudrait également retrouver les bêtes enfuies au petit matin, le tout sans assurance d’être un jour payés pour leur dur travail. Lucy prenait parfois des décisions bien tristes, songea-t-elle. A demie ensommeillée, elle eut alors pour réflexe incertain de chercher des yeux la silhouette endormie de Lyra. La jeune femme était partie se coucher trente minutes auparavant. Ou était-ce quarante à cinquante minutes ? Accaparée par son propre repas et par la discussion enrichissante qui était spontanément née entre eux trois, Luz n’avait pas prêté attention aux dormeurs alentours. C’est qu’elle avait passé de longues minutes à leur transmettre des nouvelles de la Capitale et du continent, voyageant davantage que les propriétaires des lieux et les ouvriers harassés par leur travail quotidien dans la campagne… A présent, elle ressentait le besoin de finir sa tisane et de se rasséréner au regard de la silhouette paisible de sa jeune trouvaille.
Les deux hommes se turent et finirent par lui retourner un court mouvement de dénégation du chef. Cette fois, un pli soucieux s’installa sur le front de la praticienne tandis qu’elle se redressait pour parcourir les différentes pièces à pas de loup, n’hésitant pas à soulever délicatement le coin d’un drap pour mieux dévisager les endormis. Elle en était certaine à présent – aucune trace de Lyra.
Ils trouvèrent effectivement la jeune fille endormie en chien de fusil dans la paille, son animal revêche à ses côtés. Luz s’accroupit immédiatement auprès d’elle et tenta une première fois sans succès de lui secouer l’épaule.
A deux, ils parvinrent à esquiver les morsures de l’âne pendant que son accompagnateur soulevait délicatement l’herboriste pour la reconduire vers la chaleur de la masure.
Luz releva les yeux de ses viennoiseries pour contempler Lyra qui venait d’entrer dans la pièce. Le soleil était haut déjà et les parents accompagnés des deux ouvriers étaient repartis deux heures auparavant pour déterminer l’étendue des dégâts. Seuls leurs enfants étaient restés, heureusement occupés par le plus jeune frère du duo qui s’occupait à cette heure des bêtes dans la cour. Luz dégustait son petit déjeuner en compagnie de l’aîné et ne put retenir un rire en découvrant la moue de sa future apprentie.
Elle se fendit d’un sourire taquin et échangea un regard de connivence avec Mathieu, l’aîné du duo. Lyra avait eu le plaisir de se réveiller dans des draps chauds, et Luz avait profité de ce rapprochement inespéré avec le propriétaire des lieux pour se glisser dans sa chambre : elle n’avait donc eu aucun scrupule à laisser son propre lit de secours à la jolie herboriste, savourant pour sa part d’autres… Chahuts mouvementés. Hé bien quoi, deux frères dans une même ferme, il leur fallait bien profiter des rares passantes !
Voilà qui sonnerait bien la conclusion de cette longue épopée harassante. Elles n'auraient plus qu'à regagner la civilisation un peu plus tard dans la matinée, ainsi qu'à s'assurer de récupérer les coordonnées de la jolie herboriste pour mieux convenir d'un prochain rendez-vous !