Il avait mémorisé le chemin indiqué du bout des lèvres par un marchand méfiant, lequel n’avait eu de cesse de voir ce voyou dépenaillé partir, surveillant ses marchandises, persuadé que la demande n’avait été faite que pour en permettre le vol ; ou peut-être soucieux de l’image de marque de son étal si un mendiant restait trop longtemps devant ? Toujours est-il que la mémoire auditive de Valravn étant développée, il n’eut pas à redemander, l’individu n’aurait sans doute pas répêté.
Pour Valravn tous les bâtiments se ressemblaient, même : tous les citadins se ressemblaient. Le marchand avait dit d’un ton péremptoire : "tu ne peux pas te tromper, c’est écrit sur la façade !" Inconsciemment, l’adolescent soupira, écrit… qu’est-ce que ça pouvait bien lui faire que ça soit « écrit ». S'aidant de son bâton, il se remit en route, pestant contre sa jambe de plus en plus raide !
Avisant un homme à la tête bandée qui sortait d’une bâtisse qui lui parut immense, l’air soulagé, il s’installa face à l’entrée, de façon à « vérifier » que c’était bien là le dispensaire recherché. En une demi-heure, entrant ou sortant, diverses personnes blessées ou malades se présentèrent et il se décida à franchir la porte.
Une jeune personne avenante, impeccablement propre et bien habillée le héla tandis qu’il s’apprêtait à rebrousser chemin et il se retrouva sans comprendre comment à montrer son bras, le bandage collé à la peau par le pus, et à lui expliquer qu'il peinait à marcher. En énonçant ce second fait il grimaça, "peiner" c'était vraiment le minimum qu'on puisse dire... Alors qu’elle demandait ce qui était arrivé, il répondit traduisant son angoisse :
- Je ne peux pas payer…
La fille sourit et lui dit qu’elle allait voir quel soigneur était disponible.
Il chercha de sa main droite le corbeau sur son épaule, mais il l’avait laissé alors qu’ils arrivaient en vue des faubourgs. Il avait murmuré « je vais revenir » convaincu que l’oiseau comprenait, et l’avait vu s’envoler avec un pincement au cœur.
La ville l’épouvantait, aussi bien les rues tortueuses et populaires que les grandes avenues ou les places plus cossues. Une main sur son bras le tira de ses pensées : « viens, les soigneurs sont très occupés, ne leur fais pas perdre de temps ». A la suite de l’hôtesse souriante, il enfila des couloirs, un ou deux escaliers… Et lui capable de se retrouver au milieu de nulle part en regardant le ciel fut totalement désorienté.
Enfin, ils s’arrêtèrent. Dans une salle assez vaste, une jeune femme de son âge aux longs cheveux blancs le regarda tandis que sa guide parlait vite et à voix contenue.
Au signe qu’elles firent, il s’approcha, les yeux écarquillés et le visage fermé, et tendit son bras blessé, s'appuyant de toutes ses forces sur le bâton pour ne pas tomber.
Je venais à peine de nettoyer mes instruments suite à ma dernière intervention que déjà une infirmière revenait avec un autre patient.
Je fus étonné par son aspect, j'avais l'habitude de soigner les plus nécessiteux cela ne me dérangeais pas du tout bien au contraire, la lueur de reconnaissance que l'on pouvait lire dans leurs yeux me suffisait amplement, mais jamais je n'avais reçu quelqu'un en si piteux état.
Il boitait se retenant difficilement avec une canne improvisée et de son bras suintais un pus jaune, visqueux et nauséabond. Ses vêtements étaient couverts de poussière et de crasse et troués par endroit
Préparez la salle d'eau, monsieur en auras bien besoin avant que je panses sa plaie et essayez de lui trouver des vêtements dignes de ce nom
Bien madame
Sa jambe me préoccupais tout autant que son bras je la tâtais doucement jusqu'à lui arracher une grimace de douleur, sûrement une fracture du fémur au niveau de la rotule je ferais un autre examen après. L'état de son bras était vraiment alarmant, une fois la blessure nettoyée je pris quelques notes ne voulant pas inquiété le jeune homme. l'infermière revient jetant des vêtements sur un lit proche. J'estimais le pantalon un peu trop petit et la chemise sans aucun doute trop grande.
C'est tout ce que j'ai pu trouver, mais ce seras mieux que vos guenilles
Accompagnez donc Monsieur pendant que je rassemble le nécessaire
Bien madame
Combien de fois fraudais devrais-je répéter de m'appeler Aube et non madame.
Je me préparais rassemblant le nécessaire gant, scalpel, petite pince, une décoction à la graine de pavot, onguent à bas de d'écorce de Lanth Airne, etc.
Le jeune homme accompagné par l'infirmière revint visiblement gêné, je ne m'en préoccupais guère et je lui tendais sans attendre la décoction
Buvez ça vous endormiras afin que vous ne ressentiez pas la douleur pour que je puisse travailler.
Je vais d'abord vous enlever les chairs mortes du bras puis je le désinfecterais et enfin j'appliquerais un onguent à base d'écorce de Lanth Airne afin d'accélérer la guérison. Il vous faudra rester allongé quand vous vous réveillerez. Je remettrais aussi l'os de la jambe en place avant d'y poser une attelle.
Le jeune homme devais sûrement déjà dormir avant la fin de ma tirade, me permettant de lui prodiguer les soins nécessaires.
Préparez moi donc la petite chambre, je resterais là cette nuit au cas ou.
Oui madame
Combien de fois fraudais-je que je vous le répète ? Appelez moi Aube !
L’infirmière fronçait le nez en lui tendant à bout de bras une sorte de drap pour se sécher. Gêné il suivit son regard tandis qu’elle notait sur un calepin il ne savait quoi ? Elle s’arrêta sur ses cicatrices, hocha la tête pour une raison qu’il ignorait, puis se détourna enfin pour le laisser s’envelopper dans le tissu épais !
La nudité ne dérangeait pas Valravn, mais pas en présence d’une femme ! Par les dieux heureusement une seule avait assisté à sa toilette… En fait, ce n’était pas d’être nu qui le troublait, mais -il devait bien l’admettre- d’être à la merci des autres.
Elle avait pris avec un air de dégoût ses « guenilles » et les avait remplacées par des vêtements neufs qu’il n’avait jamais demandés. Ses vêtements étaient encore parfaitement viables, pourquoi gâcher ? S’il avait souvent senti le mépris ou la pitié chez les autres, il n’avait jamais encore été obligé de la fermer parce qu’il avait besoin d’eux. Sa fierté en prenait un coup et il du convenir qu’il avait horreur de ça.
Il avait l’impression d’avoir été propulsé dans un autre monde, la soigneuse, très professionnelle, lui disait maintenant vouloir l’endormir pour qu’il ne souffre pas. Il se retint de répondre qu’il pouvait endurer la douleur… Mais le pouvait-il vraiment après tout ? Force lui fut de reconnaître que non. S’il l’avait pu, il n’aurait pas bravé la ville pour trouver de l’aide, et ne serait pas là, infantilisé par deux femmes au ton péremptoire.
Il l’entendit parler de retirer les chairs mortes de son bras et se mordit les lèvres, furieux de n’avoir pas pris conscience assez tôt de la nature de la blessure ! Les onguents que lui avait appliqués n’étaient pas adaptés, et ceux dont elle lui parlait n’évoquaient rien pour lui… Peut être parce qu’elle donnait un nom savant à des plantes que personne d’autre ne nommait ainsi ?
Désespéré il avala d’un trait sa mixture, s’en remettant aux dieux, à cette Lucy ? dont le Frère ne cessait de lui parler et qui paraît-il faisait des miracles ? Si c’était le cas, il devrait la prier un peu plus, il en avait bien besoin.
Rageant intérieurement il sombra dans l’inconscient, s’avouant que plus qu’aux deux femmes il s’en voulait à lui-même… Il avait échoué.
Dans ses rêves, amplifiés peut-être par la substance ingérée ? Il avait des ailes et jaillissait comme un dragon céleste hors du bâtiment ! Seulement les rêves… ne sont pas la réalité, et Valravn ne serait jamais un dragon…
Bien qu'il ne le reconnaisse pas, le sommeil artificiel lui apporta un bien être, un abandon qu'il ne se permettait pas habituellement. Il s'abandonna, son visage détendu témoignant de son extrême jeunesse, et d'une innocence qu'il refusait d'accepter... Sa main gauche serra son collier avant qu'il ne sombre totalement...
Ce qui eut comme effet de le réveiller... Il se redressa, à demi abruti et regarda autour de lui.
Constatant qu'une atèle tenait sa jambe et qu'un pansement propre entourait son bras, il se leva, avisant son bâton de marche posé contre le mur d'en face, et entreprit d'aller le chercher.
Que ce fut la fragilité de sa jambe ou les résidus de soporifique, il renversa bruyamment une chaise qu'il avait jugé plus à sa gauche, et s'étala de tout son long, sacrant comme seuls savent le faire les natifs des côtes de l'est...
Je me revis dans la forêt vêtue de ma robe déchirée dévoilant mes jambes nues, un manteau bien trop grand pour moi, volé dans une petite hutte la saison passée, j'étais infesté de tique puce et autres parasites, mes cheveux étaient gris-noirs de crasse. Bien pire que le jeune homme en somme. C'était le bon temps, un temps merveilleux d'insouciance et de liberté. Si je dois dire à quel moment ou ce temps s'arrête, je dirais au moment où j'ai entendu ma voix de nouveau. Elle me paraissait discordante troublant le silence avec fracas...
Je fis un bond dans le lit quelque chose venais de tomber suivis d'un chapelet de juron, armée d'une petite bougie et vêtue d'une simple robe de chambre je m'avançais pied nu sur le dallage froid du dortoir. Le jeune homme était allongé de tout son long, je m'en doutais les personnes comme lui n'aimais pas qu'on les aides. Préparant une tisane à base de Weissium je le sermonnais.
Tu dois rester au lit sinon jamais ta jambe pourra guérir. Tu as une fracture proche de la rotule c'est un miracle que tu es réussis à marcher jusque ici. Tu devras rester allongé encore un moment et ce ne seras que plus long si tu essayes de te lever avant que je ne te le dise. Tiens bois ça t'aideras à te rendormir.
Au moins l'os est resté en place tu as eu de la chance cette fois
Il attendit encore un moment, puis se releva, prenant soin de se tenir au lit puis au mur d’une main. Ouvrant avec précaution une fenêtre proche il cracha le liquide qu’il fit remonter de sa gorge et s’apprêtait à vider le bol quand entendant râler un malade, il claudiqua jusqu’à son lit et le lui tendit « Bois le vieux, ça te fera dormir, tu n’auras plus mal ». Le vieillard ouvrit un œil et appela sur lui les bénédictions de Lucy.
Toujours à demi à cloche-pied, Valravn reposa le bol à côté de son lit, prit le temps de disposer les couvertures de façon à les faire gonfler pour qu’on ait l’illusion d’un mince corps allongé dessous, ramassa son bâton et repartit à travers le dortoir ayant au passage attrapé sa précieuse cape, épargnée par le changement de « guenilles ».
Les portes intérieures ne semblaient pas verrouillées, les fenêtres s’ouvraient… En avisant une qui donnait sur une petite cour, il l’entrebâilla et se frotta le dos jusqu’à ce que la chemise se déchire et laisse un morceau de tissu coincé dans une écharde du bois.
« Ma grande, je ne peux pas rester… Désolé, tu m’as aidé, je devrais t’être reconnaissant -et je le suis- mais ma place est ailleurs. »
Il poursuivit son chemin, ouvrit une porte, s’accrocha à la rampe d’un escalier obscur et étroit, ouvrit une autre porte, et à force d’avancer se retrouva dans une vaste cuisine. Fourneaux, tables, comptoirs, tout était vide et immaculé… Jusqu’où ces gens poussaient le vice de l’hygiène ! Toutefois, dans un panier posé sur une desserte, des fruits aussi rutilants que le reste de la pièce attirèrent son regard.
« J’ai faim… » il sourit, c’était si normal comme situation. Un jour saurait-il dire « non merci, j’ai mangé à satiété » ? Attrapant pommes, poires, et autre chose qu’il ne savait nommer mais qui ayant croqué dedans se révéla délicieux, il en remplit la poche de sa cape. Regardant par la fenêtre, il vit que la nuit était encore bien là et prit le temps de finir son fruit, puis ouvrant un ou deux placards, de boire à la goulée un peu de lait. Son repas terminé, il reprit son chemin, la table devant laquelle il s’était assis était désormais tachée de petites gouttes sucrées et brunes et il n’avait pas remarqué que du lait avait goutté.
Progressant, il ouvrit la porte de la cuisine, se retrouva dans une cour et se projeta contre le mur quand le portail s’ouvrit, donnant le passage à un chariot de maraîcher. Il se rendit compte qu’il avait failli être découvert pendant son goûter improvisé, un commis de cuisine ensommeillé s’avançant à la rencontre du paysan.
Les laissant décharger, Valravn s’approcha du chariot et l’examina. Un paysan qui livre en ville repart chez lui, et les paysans ne vivent pas dans les villes… Une sorte de coffre long aménagé sur un côté du chariot semblait servir de siège comme de rangement, il se faufila dedans, renversant un sac de grain qui tomba sans bruit lorsqu’il monta dans le chariot et rattrapant au vol un bocal qui s'ouvrit : du sang de cochon ? Qu'est-ce qu'il faisait avec ça loin de sa ferme, on fait le boudin sur place ?
La livraison terminée, il entendit le villageois intimer l’ordre d’avancer à son mulet. Le « Rêveur » se laissa aller dans l’attente d’une arrivée loin de la ville, grinçant des dents en étendant au mieux sa jambe franchement douloureuse.
Aube elle aussi sera sans doute réveillée tôt, comme son infirmière de nuit qui piquait un somme. Elle entendra une des femmes chargées du ménage, furieuse, expliquer d’une voix forte à sa collègue que « non, elle n’a pas pour habitude de laisser des tâches sur les tables et le sol de la cuisine ! Qu’elle l’a bien dit au cuisinier ! et qu’elle ne vole pas de fruits non plus ! Elle est honnête elle, pas comme le premier commis qu’il vaut mieux qu’on n’en parle pas hein ! Et puis, ce bazar dans la cour hein ! Comme si c’était elle qui l’avait foutu là ! Des sacs renversés au sol, du sang, mais qu’est-ce que c’est que cet endroit ! s’qui faut pas faire pour gagner sa croûte ma bonne dame ! à vous dégouter de servir ! » ce discours à coup de balai rageur et d’éclaboussures de serpillère… Les malades se tenaient cois, épouvantés par cette furie qui les avait sortis du sommeil à l’aube. Et de la deuxième femme qui ponctue le discours par des « Ah ça, c’est ben vrai » en criant plus fort que la première pour être entendue…
Dans le dortoir en ébullition, seul un vieil homme dort du sommeil du juste, un petit sourire aux lèvres, soulagé… Il rêve peut-être d’un adolescent brun charitable qui lui a donné un excellent remède.
Caché dans son coffre, Valravn fit encore quelques livraisons puis entendit le fermier remonter avec un tonnelet de bière qu’il vida en chantant à tue-tête assis sur son siège… Le mulet, imperturbable continua sa progression et s’arrêta devant une minuscule bâtisse en piteux état. Une voix de femme se fit entendre, mécontente et grondeuse, tandis que le paysan descendait péniblement du chariot. Le mulet dételé, la femme rentra au chaud, insultant encore son ivrogne de mari. Valravn sortit difficilement de sa cachette, la jambe engourdie et douloureuse.
Il se laissa glisser et regarda autour de lui, puis le ciel. S’aidant du bâton il se faufila vers une grange minable et s’enfouit tout au fond dans la paille.
A ce qu’il avait vu, il était tout près des faubourgs, tout près de la ville elle-même. S’il doutait que ses hôtes involontaires aient l’envie de l’aider, il se dit que la fille du dispensaire n’était pas si loin, et dut bien reconnaître qu’elle avait raison, il lui faudrait beaucoup de repos…
Un croassement le fit se retourner et quelques coups de bec affectueux lui valurent de sombrer dans un sommeil réparateur. Le jour se levait.
Je ne pouvais qu'être surprise quand je vis qu'un vieil homme dormais encore malgré le vacarme effectué par les deux pipelettes et que le lit d'à côté était vide. Le jeune homme n'étais plus là. Dans son état il n'avait pas dû aller bien loin.
Je décidais de partir à sa recherche parcourant les couloirs, différentes salles et chambre allant même dans la cuisine et les réserves, mais rien il n'était plus à l'intérieur. Les deux râleuses s'échinaient à nettoyer une tache de sang séchant sur les pavés tandis que quelques oiseaux en tout genre étaient entrain de picorer des graines lançant des piaillements moqueurs aux deux femmes.
Ne le trouvant nulle part, je me remis au travail pour le reste de la journée. Bien que moins chargé je quittais le dispensaire au soir harassée comme souvent, espérant que l'aubergiste m'avait mis de côté de quoi manger.
Je m'endormis ayant une petite pensée pour le jeune homme espérant que l'attelle avait maintenu l'os en place et que sa blessure ne c'était pas infecté ou remise à saigner.
Il pouvait bien sûr profiter du chariot pour aller en ville, sans que l’ivrogne n’y voie autre chose que du feu, mais dans ce cas-là il ne pourrait pas repartir avec après avoir reçu des soins de la soigneuse. Il pouvait aussi essayer de se vendre comme conducteur occasionnel, mais même lavé, il doutait que les paysans acceptent de confier leur chariot et leur bête de trait à un inconnu, en particulier si cet inconnu était blessé et peinait à marcher.
Toujours tapi dans la grange, il écoutait, épiant la vie des maraichers, tentant de se faire une idée de leur caractère réel et des possibilités qui s’offraient à lui.
Ce qui était sûr, c’est que la masse de travail fournie par l’homme ne suffisait pas à faire tourner la ferme. Il sourit en le voyant tituber en chantant à tue-tête, moins en constatant que la femme, elle, restait ostensiblement sobre et avait un œil de rapace auquel rien n’échappait. Alors qu’elle entrait dans la grange pour y quérir de la paille, elle avait froncé le nez comme un limier à la recherche d’une proie, visiblement en alerte, et il s’était immobilisé, respirant le plus doucement possible.
Bien, il faudrait trouver une solution tout en restant dans l’ombre.
Mangeant un des fruits du dispensaire, il fit le tour de la grange, puis de l’arrière de la ferme. Oh ! quelle heureuse surprise ! Il savait ! La nuit tombait, il se prépara un lit douillet.
Le lendemain matin, l’homme eut la stupéfaction de découvrir dés poltron minet une chope accueillante et un tonneau de bière dans l’écurie. La table était mise, quelques salaisons accompagnaient la boisson. Crut-il à un cadeau de son épouse pour se faire pardonner les reproches incessants de la veille ? ou plutôt à un bienfait de Lucy, loué soit son nom ? Toujours est-il qu’à peine levé il ronflait quand Valravn l’escamota dans une stalle vide après avoir mis en sécurité les réserves trouvées dans la cachette de la fermière et dérobées. Celle-ci, si elle jetait un coup d’œil par la fenêtre en entendant le chariot s’ébranler verrait la cape et le chapeau de son homme, un peu avachi sur le siège, ce qui ne la surprendrait que peu.
Menant le mulet au pas, Valravn fit de son mieux la tournée de la veille en se débrouillant pour arriver au dispensaire alors que le jour était levé, au commis de cuisine rageur de s’être tiré du lit tôt pour rien il marmonna un « pouvais pas faire mieux, le patron est malade » et sortit la commande qu’il avait entendu passer la veille depuis le coffre du chariot.
Une fois les légumes livrés, il se faufila vers l’entrée principale, laissant les hardes du paysan, la charrette et le mulet dans la cour et demanda à l’accueil « la fille aux cheveux blancs ».
Mené dans la salle d’Aube, il lui décocha un sourire radieux, exhibant deux rangées de dents blanches et saines qui juraient avec son visage de nouveau sale.
- Je suis revenu, tu as raison, j’ai besoin de toi.
Il marqua une pause ne la laissant pas répondre :
- Mais je ne reste pas ! On ne met pas les oiseaux en cage… Je ne suis pas fait pour la prison.
Et il tendit le bras, le bandage était déjà tâché, en se tenant au bâton pour marcher. Il se mordit les lèvres en prenant conscience que tout à sa joie d'avoir réussi il avait tutoyé la soigneuse...
Je profitais de cette accalmie pour préparer divers onguents et préparations qui seront utiles dans la journée et que j'aurais sûrement pas le temps de faire plus tard quand j'entendis des pas rythmé par le son d'une canne sur le dallage
Déjà !
L'infirmière entra dans la salle suivie du jeune homme. Il était une fois de plus dans un état épouvantable, comment avait-il pu se recouvrir de crasse comme ça et en une seule journée en plus, son bandage était taché de sang et j'étais presque sûr que l'os de sa jambe avait bougé.
Et vous osez revenir me voir ! Sans compter que vous allez repartir aussitôt.
Le jeune homme m'avais énervé et la journée n'avait même pas commencé. Il osait revenir ici alors que je lui avais dis de ne pas bouger et en plus de ça il me tutoyait. Sans ménagement je lui tâtais la jambe avant de remettre l'os en place d'un coup sec. J'enlevais le bandage avec plus de douceur ne voulant pas arracher de possible croûtes de sang s'il avait commencé à guérir. Je remis une couche d'onguent avant de refaire un pansement neuf.
Tu n'es pas en état de marcher
alors que le jeune homme était déjà en train de se diriger vers la cour.
Tu ne peux pas partir tu as besoin de soin
Et merde !
Je décidais de suivre l'imbécile afin de lui apporter mon aide, il en aurait besoin.
Il n’ignorait pas toutefois que c’était la façon de procéder, et ne dit donc rien, pas plus que quand elle refit le bandage, après tout, il était revenu pour ça.
Les soins apportés, il lui décocha un nouveau sourire et lança un :
Merci !
Puis tourna les talons, appuyé sur son fidèle bâton, et déterminé à ramener au plus vite chariot et mulet à leurs propriétaires.
Descendant les escaliers en se tenant au mur de son mieux, et à la rampe, il entendit la fille lui emboîter le pas.
pourquoi ? je reviendrai ?
Elle ne répondit pas et continua à le suivre, haussant les épaules il finit de descendre, monta dans la charrette, grimaça un peu quand elle en fit de même, et mit l’attelage en route. Il espérait que la maraîchère n’avait pas trouvé l’ivrogne dans l’écurie en train de cuver bière et cochonnailles.
Tout à ses pensées, il ne tourna même pas la tête vers la fille qui s’était installée derrière, sur le coffre dans lequel il avait voyagé lors de son « évasion ». Arrivé à proximité de la cour, il entendit des beuglements annonciateurs d’ennuis, se laissa glisser du siège, cacha dessous la bourse remplie des gains de la tournée, et partit vers la forêt le plus discrètement possible, après avoir vérifié que sa compagne sautait de la remorque. Un coup sur la croupe du mulet lança celui-ci vers la ferme, la charrette en s’ébranlant attira l’attention des paysans alors qu’il était déjà sous les arbres, la jeune femme sur les talons.
Tu devrais rentrer ! -il se reprit- pardon, vous devriez. Je reviendrai demain, je vous le promets !
Il allongea le pas, souriant en entendant un bruit d’ailes…
Tu vas vraiment finir par devenir boiteux si tu continues comme ça. Jamais l'os pourras se ressouder correctement si tu sollicites ta jambe sans arrêt.
Oh et .. heu.. Moi c'est Aube
Je pris son bras afin de le passer autour de mon coup pour soulager un maximum le poids porté par sa jambe. Je l'accompagnais ainsi quelques heures sans savoir où il voulait aller et bien que nous nous trouvions dans la forêt je ne tardas pas à ressentir une certaine frustration envers le jeune homme
Tu vois tu tiens pas debout ! t'aurais mieux fais de rester au lit. Vraiment pas possible d'être borné à ce point.
De mauvaise grâce je l'aidais à se relever pour poursuivre notre route, j'avais comme l'impression qu'il boitait beaucoup moins que ce matin, mais mon humeur c'était encore dégradé et je ressentais maintenant une légère colère contre lui.
Jamais j'aurais du te soigner, regarde toi ! Des vêtements propres déjà trouer, ! tes bandages de nouveaux sales !
Je suis sûr de devoir remettre l'os en place et en plus la nuit est entrain de tomber et on n'a pas de toit par ta faute.
Je le laissais maintenant boiter devant moi, me contentant de le suivre et me renfermant sur moi-même. Je me demandais encore pourquoi je l'avais suivis, je ne lui devais rien, j'avais envie de rentrer à la capitale. Furieuse je lui lançais des regards noirs, me rapprochant d'un coup du jeune homme pour lui arracher son bâton, le faisant tomber au passage
AH! Tu vois!
- Mais tu l’as fait exprès ?! C’est idiot ! on va le rater !
Il se mordit les lèvres, se rendant compte qu’il l’avait de nouveau tutoyée. Ramassant son bâton, il se remit péniblement debout, cette fois-ci boîtant bas.
- Tu veux me ramener à tout prix ? c’est ça ?
Bien qu’agacé, il restait calme, scrutant la fille en essayant de comprendre.
- On m’appelle Valravn Wraith.
Il n’ajouta rien, et si elle est attentive, elle remarquera qu’il a dit « on ».
Se remettant en route, il tenta d’avancer plus vite, jetant un regard inquiet au ciel.
- Il est tard, il faut se presser, sinon ils passeront et on devra rester là. Viens ou reste, mais cesse de m’empêcher d’avancer !
Pressant le pas du mieux qu’il pouvait, il suivit la direction du nord jusqu’à trouver un chemin aux ornières profondes et récentes. Se dissimulant derrière un énorme tronc d’arbre, il leva la tête, cherchant une odeur et du bruit. Le corbeau qui les avait suivis était visible assez loin et croassait en décrivant des cercles concentriques…
- Donne-moi la main si tu veux me suivre, tiens-toi bien !
Un chariot de roulier impressionnant approchait, les roues profondément enfoncées dans les ornières de terre, comme sur rails. Des troncs d’arbres énormes étaient fixés sur la remorque avec des attaches démesurées. Sur le siège du conducteur, trois hommes chantaient à tue-tête, chacun tenant une gourde à laquelle ils s’abreuvaient allégrement, celui qui tenait les rênes faisait sauter en l’air une bourse replète.
Valravn détacha sa ceinture, lança les bolas en direction du tombereau en faisant en sorte qu’elles s’enroulent autour d’un arbre plus long que les autres, malheureusement elles lui échappèrent, son bras de lancer s’étant raidi à force de s’agripper au bâton.
Etouffant un cri de douleur, il pesta, descendit péniblement la pente pour les ramasser et s’éloigna de la route, marchant plus lentement… Quelques minutes plus tard il repoussait avec le bâton une sorte de buisson sec et découvrit l’entrée d’une minuscule grotte. Ne s’occupant toujours pas d’Aube, il s’y faufila et s’effondra sur une jonchée de paille pas trop propre, son visage exprimant fatigue et contrariété.
J'avisais un arbre non loin auquel pendait une liane, après m'avoir assurée de sa solidité, j'essayais tant bien que mal d'y grimper. J'avais perdu la main, petite j'avais moins de souci pour grimper aux arbres. Après m'avoir assuré avec la liane, je pus enfin m'endormir en constatant que les plateformes étaient beaucoup plus confortables.
La nuit n'avait pas été de tout repos, inconfortablement installée je ne m'étais pas vraiment reposée.
Val s'extirpait de la grotte et après un rapide examen permis de me rassurer que l'os était toujours en place et qu'une belle croûte de sang séché ornais maintenant sa blessure aux bras, il était ne bonne voix de guérison.
Les jours qui suivirent furent à l'image de celui-ci : Le matin je l'aidais à avancer, puis exaspérer sur l'état de santé et son obstination à refuser de s'arrêter, je passais le reste de la journée à lui faire la tête ou à le sermonner. Cependant son état s'améliorait de façon spectaculaire et rapidement il n'eut plus besoin de moi pour marcher.
Après une dizaine à suivre le chemin le décor commença à changer les douces collines laissaient place à des pentes plus raide et les arbres de la dense forêt se transformait petit à petit en conifère : Nous étions arrivés au pied des montagnes.