-Comment ?! Mais tout c’était bien passé !
-Si le rapport préliminaire n’a rien relevé d’anormal, il semblerait que des informations transmises récemment ont modifiés les conclusions de la garde à votre égard, mettant en exergue des tentatives de corruptions envers des personnalités influentes en utilisant notamment vos… nt… charmes.
La conseillère Ginsburg lève les yeux de ses notes, fixant l’intéressée par-dessus ses lunettes. Si l’âge n’avait pas fait son travail, elle aurait été une très jolie femme en plus d’être une conseillère impartiale et avisé. Ce qui est sûr, par contre, c’est qu’elle n’aurait jamais abusé de ses atouts pour parvenir à ses fins. C’est clairement une chose qui ne passe pas et on sent toute la déception dans le regard de celle qui aurait pu voir en Camomille une collègue à son image.
-Le conseil a aussi eu vent de plusieurs tentatives d’intimidations de la part de vos… associés. Si vous pensez que vous désolidarisez de ces personnes suffit à passer l’éponge sur ce genre de comportement, je suis en regret de vous informer que vous faites fausse route. Pour accéder à un tel poste, il est important de savoir prendre ses responsabilités et d’encadrer ses subalternes. Si vous n’êtes pas capable de les guider sur le droit chemin, c’est que vous n’êtes pas capable de guider la Guilde vers une voie qui sied à ces valeurs historiques.
Dorénavant certaine d’avoir perdu son principal soutien dans cette nomination, Camomille cherche de l’aide dans les regards froids des autres conseillers. Celui de Cornélius Tantale est plein de dédain tandis que dans celui d’Irvin Mallory, on peut lire une once de pitié envers quelqu’un qui a rêvé de toucher les cieux, quitte à se trainer dans la boue.
-Je pense que nous pouvons voter.
-Effectivement, Ruth.
Un à un, les mains se lèvent. A l’unanimité, la candidature de Camomille est rejetée. Celle-ci baisse la tête, incapable de chercher à se défendre, puis fait demi-tour, quittant la salle d’audience du Conseil de la Guilde. Je l’accompagne du regard, espérant croiser ses yeux et lui signifier un peu de compassion, parce que c’est certainement un moment difficile à vivre, qu’importe ce qu’on a fait, et qu’un peu de gentillesse ne fait jamais de mal au monde. Rien n’y fait. De son côté, Arno Rak affiche un sourire triomphant. Après Varda une dizaine de minutes plus tôt, c’est la deuxième concurrente qui se fait éliminer. Plus que deux, doit-il se dire. Encore à côté. Trovnik affiche la même tête que s’il était en face d’un contre-rendu parfaitement ennuyant. Un visage que l’on connaît très bien.
Le conseiller Tantale toussote dans son poing avant de prendre la parole, alors que les portes de la salle se referment.
-Bien. Je pense que nous pouvons passer sur monsieur… Callahan.
Ma gorge se noue. Les deux candidats appelés auparavant ont été éliminés. Cela ne s’annonce pas bien. Je croise le regard d’Irvin Mallory, le conseiller qui est venu me débaucher pour prendre sa place. Il reste imperturbable, preuve que malgré tout, il sait rester impartial. On reconnaît là un bon conseiller.
-Je pense que nous sommes tous d’accord pour dire que le projet présenté par le candidat Callahan ne manque pas d’intérêt. Peut-être l’un des projets les plus documentés que l’on ait pu voir lors de ces dernières candidatures, mais certainement l’un des plus complexes, ce qui n’a pas manqué de nous interpeller. On peut aisément modifier les chiffres et y introduire des détournements qui ne sont pas facile à identifier.
-Cornélius. Il me semblait que le conseiller Sylvania avait revu les chiffres plusieurs fois et rien ne laissent indiquer qu’il y a matière à frauder.
L’intéressé, sortant d’une demi-sieste discrète se redresse avant de parler avec une lenteur certaine.
-En effet. Ruth. Les calculs sont complexes. Mais ils sont bons. Peut-être que Cornélius souhaite que je recompte ?
-Doit-on vraiment faire confiance en un conseiller qui dort en séance ?
-Cornélius. J’aurais cru qu’avec le temps, vous auriez eu vent de la formidable capacité de notre cher ami Penn à pouvoir suivre les débats tout en ayant l’air de somnoler.
-La question d’aujourd’hui est importante. Je trouvais ça dangereux de prendre ce vote à la légère. Un moment d’inattention et un vote peut être mal pris et faire pencher la balance dans le sens que personne ne veut.
-Vous souhaitez que je ne vote pas, Cornélius ?
-C’est peut-être à envisager.
-Chaque vote compte, Cornélius. Même celui de Penn. Je ne vous ai pas entendu sur ce sujet lors des deux votes précédents. Vous avez quelque contre monsieur Callahan ?
-Rien. Si ce n’est qu’il ne me parait pas correspondre au poste.
-Pas comme le candidat Rak, je présume ?
Le conseiller Tantale esquisse un sourire entendu alors que sur sa chaise, le candidat Rak bombe le torse, la mine triomphante.
-Le candidat Rak apporte des qualités que vous avez tout reconnues lors de nos précédentes séances de travail.
-Il est vrai, Cornélius, permettez moi de passer à monsieur Rak, voulez-vous ? Autant aller au plus vite.
-Si vous le voulez, Ruth.
La conseillère échange un regard glacial avec le conseiller Tantale tandis que le conseiller Sylvania replonge dans un demi-sommeil attentif. Elle récupère d’autres notes puis commence à énoncer.
-Monsieur Rak. Vous avez fait l’objet d’une enquête de la garde qui n’a rien relevé de suspect. Vous avez présenté un projet de compagnonnage des nouveaux aventuriers par d’autres plus expérimentés. Il n’a pas été fait écho de comportements déplacés lors de la procédure de recueillement des votes et vous bénéficiez d’un soutien important au sein de la guilde. Les différents autres rapports et investigations ne relèvent aucune anomalie particulière.
-Un candidat en or, Ruth.
-On dirait, Cornélius. Mais permettez. Monsieur Rak ?
-Oui madame ?
-Approchez.
Le candidat Rak s’avance, glissant un regard méprisant sur ceux concurrents ; moi et Lou ; avant de fixer sereinement la conseillère Ruth.
-Dites-moi, candidat Rak. Pourquoi avez-vous candidater ?
La question semble prendre Arno Rak. Il bredouille un instant en cherchant le regard de Cornélius Tantale qui reste stoïque.
-Euh… madame… J’ai candidaté… pour apporter mon aide à la guilde.
-Comment s’est venu ? Ce n’est pas le genre de chose que l’on fait sur un coup de tête. Pour être aussi populaire et avec autant de qualité, c’est forcément quelque chose qui s’impose au fil des années, non ?
-Oui… tout à fait !
-Pourtant, en reprenant les historiques de la guilde, il n’en ressort pas grand-chose. Peu de missions réalisés et sans être vraiment dangereuse. Une absence régulière à différentes réunions participatives et à des comités d’aventuriers. Vous ne souhaitiez pas aider la guilde à cette époque.
-Je… euh… j’ai peut-être eu une phase comme cela. Mais c’est du passé.
-Et du jour au lendemain, vous vous êtes dit que vous seriez conseillé ?
-Voilà… je crois même que c’est en me regardant le matin dans glace, en me rasant, que je me le suis dit. Drôle n’est ce pas ?
Personne ne rit.
-Lors de votre soutenance, vous êtes venus avec plusieurs personnes qui ont beaucoup présenter les détails de votre projet. Un psychologue réputé, quelques nobles influents. Comment avez-vous trouvé ce genre de relation ?
-Euuh.. vous savez, la vie est faite d’opportunité. On rencontre des gens… on sympathise. On trouve des intérêts communs et puis on arrive à ce genre d’entreprise.
-Tout de même étonnant d’avoir autant de bonne opportunité. Vous devez connaître les bonnes personnes.
-En effet, quand on connaît les personnes pour vous mettre en contact ça aide.
-Ruth. Ou voulez vous en venir ?
Le conseiller Tantale a presque coupé la parole d’Arno Rak qui perd un peu de couleur suite à cela. La conseillère Ginsburg tourne la tête lentement vers son collègue.
-Je m’interroge sur cette candidature en or, Cornélius. Peut-être voulez vous parler à la place du candidat Rak ?
Le conseiller Tantale reste silencieux un instant. Puis fait signe de continuer. La conseillère Ginsburg et les dix minutes suivantes lui servent à minutieusement démonté toute la candidature d’Arno Rak qui s’empêtrent de plus en plus dans des explications qui se contredisent mutuellement. Au grand jour se dessine une candidature monté de toute pièce par des individus tiers avec comme homme de paille le candidat Arno Rak. Des soutiens. De la réputation. Des hommes de mains. Des idées. Tout lui a été fourni. Comme il n’avait pas à faire le travail, qu’il n’était qu’une figure au milieu d’une armada bien organisé, il n’a pris la peine de véritablement s’intéresser à ce qu’un candidat comme lui doit savoir et doit avoir fait. Son ignorance la plus totale ne rapidement plus aucun doute et c’est livide qu’Arno Rak finit la séance d’interrogation de la conseillère Ginsburg.
-Mes estimés collègues. Nous sommes tous d’accord qu’un candidat piloté par une tierce personne n’a rien à faire au sein du conseil.
-Tout à fait, Ruth.
-Cornélius ? Je me doute qu’il ne doit pas être simple d’avoir accordé sa confiance à un candidat ayant autant dissimulé. Vous avis, à la lumière de ces faits ?
Cornélius Tantale dévisage Arno Rak, le visage froid par une colère contenu. Le dégout perce dans ces yeux. Puis il assène sa conséquence.
-Je rejette sa candidature.
-Nous sommes donc d’accord. Votons pour officialiser ça.
Un à un, les mains se lèvent. Le candidat Rak est éliminé.
-Je vous conseille de faire profil bas. Nous verrons à établir des sanctions pour cette candidature frauduleuse. Sortez maintenant. Vous salissez l’honorabilité de cette salle.
La tête basse, Arno Rak s’en va comme Camomille juste avant lui. Les portes se referment et il ne reste que moi et Trovnik, dont l’intégralité de ce qui s’est passé l’a laissé totalement indifférent. Les conseillers s’accordent quelques minutes de pause avec cet épisode avant de revenir sereinement. Le conseiller Mallory prend la parole en premier.
-Reprenons donc le dossier du candidat Callahan.
Là, il expose les résultats de mon travail. Outre mon projet de prévoyance avec Calixte, il est rappelé les résultats de l’enquête judiciaire par la garde. Pour couper l’herbe sous le pied du conseiller Tantale, le conseiller Mallory évoque mon passif avec l’ex-capitaine Von Andrasil en soulignant que je n’y suis pour rien et que la perte d’un être cher est toujours une chose difficile à surmonter, rappelant sa propre expérience personnelle. Sur le soutien populaire, j’ai fait des chiffres moins importants que ceux d’Arno Rak, désormais annulés. Par contre, je suis assez diversifié, preuve qu’on se retrouve beaucoup dans ce que j’ai pu dire, qu’importe la situation. Ça fait plaisir. Le bilan est plutôt bon.
Sauf qu’après moi vient le bilan de Trovnik et l’examinateur en chef a plutôt bien cacher son jeu. Certes, il n’a eu beaucoup de votes, mais il a démontré dans tous les autres secteurs qu’il était parfaitement compétent et intransigeant sur les règles. Il a lui-même relever des écarts chez les gardes venus l’inspecter d’après les règlements intérieurs de la garnison qu’il connaît sur le bout des doigts et à notamment présenter un système d’unification des règlements tout à fait révolutionnaire, ce qui permettrait d’introduire dans une nouvelle ère d’une administration toute puissante, mais contrôlé. Tout un programme.
-Je pense que nous sommes tous d’accord ?
-En effet.
-Le candidat Trovnik parait être l’homme de la situation.
-Je suis d’accord, Cornélius.
-Peut-être que le candidat Trovnik pourrait faire une déclaration avant de voter solennellement ?
-Oui. Monsieur Trovnik. Un dernier commentaire avant votre nomination ?
Bon. Ça ne sera pas pour moi. L’avantage, c’est que je n’aurais plus sur le dos au boulot. Et puis, c’est un bon gars. Un peu inhumain, mais droit dans ses bottes. Ca devrait bien se passer pour la guilde. Lou Trovnik se lève et vient se placer devant les conseiller, main dans le dos. Aucune once de triomphalisme sur le visage.
-Merci, honorable conseiller. Votre confiance est une immense satisfaction. Comme vous le savez, j’ai à cœur que sois respecté les règlements de notre institution. Sans règlement, il n’y a que le chaos. Il est bon de savoir que vous avez ouvert les yeux sur le chaos qui gagne chaque jour du terrain dans notre institution et nos cents jours seront cruciaux. J’ai hâte de travailler avec vous sur la suppression totale des avantages des conseillers en conformité avec le manifeste des douze, datés de l’an 965 et qui doit expirer l’année prochaine. Avant toute chose, je recourrais à l’article 37 de la charte de gestion du conseil de la guilde, ceci afin de prendre le contrôle total et intégral du conseil afin de pouvoir prendre les décisions le plus vite possible et ainsi enrayer la corruption de nos institutions.
-Que quoi ? Prendre le contrôle ?
-Mais ne pouvez pas faire ça !
-Si, monsieur le conseiller Tantale. L’article 37 de la charte de gestion du conseil de la guilde est formel sur le point. C’est une mesure d’urgence afin de passer outre le processus de vote classique et de prendre les décisions quand les intérêts de la guilde sont en danger.
-Mais … mais … attendez… Cette charte date de quand ?
-De l’année 652, mise en place notamment sous l’égide du roi Feardor Renmyrth.
-Mais cette charte n’est plus applicable !
-Sur ce point, vous vous trompez. Certes, la majorité des autres articles ont été supprimé lors des conciles des années 700 et 752, mais l’article 37 est toujours applicable et il est opérant à chaque nouveau conseiller. En vertu de sa nouvelle arrivée et en connaissance de cause de cette possibilité, le nouveau conseiller peut opérer de grand changement dans la guilde. Ceci a déjà été réalisé lors des votes de 717, 721 et 801. L’ensemble des secondes des réunions sont consultables dans les archives, sous sol 7, salles 45, étagères AZ, indicateur 12, deuxième étagère, à gauche du dossier jaune avec des taches brunes.
Un silence de plomb s’installe dans la pièce. Les conseillers se fixent mutuellement, effrayés par les conséquences qui s’annoncent. Devant eux, Trovnik reste imperturbable. Puis, lentement, Cornélius Tantale se tourne vers moi.
-Monsieur Callahan. Comptez-vous appliquer l’article 37 de la charte de gestion du conseil de la guilde ?
-Moi ? Jamais.
-Parfait. Mon vote va à Callahan.
-Moi aussi.
-De même.
-Callahan au conseil !
-C’est entendu. Callahan est élu.
C’est ainsi que je suis devenu conseiller.
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